La justice a cassé en appel la décision du tribunal d'arbitrage obtenue grâce à Lagarde et Sarkozy. Tapie va devoir payer 404 millions d'euros à l'Etat. Coup dur mais l'escroc de haut vol manœuvre pour ne pas rendre l'argent. Il vient ainsi de placer ses sociétés en "sauvegarde judiciaire", une procédure gérée par un administrateur judiciaire et curieusement acceptée par le tribunal de commerce de Paris. Des biens personnels ont été cédés à sa femme et son fils, et sa villa de Saint-Tropez (estimée à 47 millions d'euros) est déjà sous séquestre. Au-delà de son cas, ce nouveau jugement donne un argument de poids à la thèse de l'escroquerie dans le volet pénal de l'affaire, dans lequel sont inquiétés Christine Lagarde (à l'époque ministre de l'Economie) et Claude Guéant.
Pour se faire plaisir, deux bonnes pages d'essais publiés dans la dernière décennie avec des chapitres sur Nanar, l'idole de la France mitterrandienne.
« Bernard Tapie, « wonder boy » et propagandiste » - par François Cusset (La décennie. Le grand cauchemar des années 1980 : La Découverte, 2006)
« - Et vos idoles ?
- Ma mère, parce qu'elle m'a fait, et qu'elle ne s'est pas trompée ce jour-là. »
Agacés par l'insolence et les manières peu amènes de Bernard Tapie, le si populaire racheteur et revendeur (et non créateur) d'entreprises, les élites politiques et médiatiques tentent déjà de lui substituer le fringant industriel du papier Vincent Bolloré, mieux mis et plus bourgeois – que Le Nouvel Economiste élira « manager de l'année » 1987. Peine perdue : on n'a pas fini de voir Tapie. Ceux qu'il gêne, ou qui le voudraient en simple stéréotype de transition entre la France d'avant l'entreprise, et un nouveau libéralisme plus chic, seront même forcés bientôt de tout faire pour l'écarter, jusqu'aux stratagèmes des années 1990, eux aussi peu élégants, pour ruiner sa fortune et le rendre inéligible.
En attendant, il a tout essayé, et tout lui réussit : violon, chanson, handball, aérobic avec Véronique et Davina, football évidemment, la télévision toujours (d'août 1983 avec « Faiseurs de fric » jusqu'au jeu « Ambition » de 1986, où le candidat a une soirée pour créer en direct son entreprise), politique municipale à Marseille et bientôt nationale, théâtre et cinéma, sans oublier les rachats de marques emblématiques (comme les piles Wonder) et toujours, de façon significative, liées au corps et à la santé – d'un service d'assistance téléphonique aux malades cardiaques, qui lançait jadis sa carrière, aux rachats d'Adidas, La Vie Claire ou des skis Salomon. Sa réussite, en un mot, n'a pas d'objet a priori, elle est aussi intransitive que le verbe-titre de son best seller de 1986, Gagner. C'est le conseiller en communication de l'Elysée, Jacques Pilhan, qui l'avait déniché en 1983 pour incarner les nouvelles valeurs de l'entreprise, et c'est l'establishment politique et patronal qui l'avait d'abord encensé ; mais cette fois il les déborde, et leur échappe. Le fils d'ouvrier du Bourget n'a plus besoin de ses protecteurs. Il dénonce même tout ce qui s'interpose entre le public et lui, lançant un clin d'oeil à ses fans par-dessus les journalistes et leurs questions oiseuses.
Il faut dire que cette année 1986 est bel et bien son année : le succès de son émission, les unes de magazines, la présidence de l'Olympique de Marseille, le triomphe de son équipe au Tour de France (menée par Bernard Hinault et Greg Lemond) et même le récit de son ascension en best-seller inattendu. Ce livre, derrière les airs romanesques de la success-story, est le bréviaire d'une nouvelle agit-prop managériale aux relents plus autoritaires que libertaires. Tapie y vante la guerre et l'armée, depuis l'expérience bien sûr « décisive » du service militaire jusqu'aux « parcours du combattant » auxquels il soumet ses collaborateurs pour les tester. Il y célèbre le (besoin d'un) chef, il conspue la paresse, criminalise l'échec et individualise toute responsabilité, pour que « vous sachiez que votre sort ne dépend que de vous-même ». Mélange détonnant de l'initiative individuelle et d'un autoritarisme militaire. Et puis Tapie s'assoit sur les scrupules, c'est son charme et sa force -redoutable. Il parle même, dans le mensuel Confidences, de son épouse Dominique comme « la femme-femme que j'attendais, celle qui s'occupe des enfants sans s'aider d'une nourrice ». Il exulte, rien ne lui résiste. «
« Comment en êtes-vous arrivé là ? » lui demandait Anne Sinclair sur la scène du palais des Congrès le 30 avril 1985 pour le premier grand show Tapie. « Parce que je m'aime », répondait-t-il du tac au tac, avant d'énumérer les secrets du bon leader.
S'il est « l'homme des années 1980 » (Jeanne Villeneuve), c'est moins pour ce qu'il est que pour la plasticité du personnage, la succession de ses rôles, et le vide abyssal surtout qui lui a permis d'occuper seul le terrain. Jusqu'à rester dans les annales de la décennie comme le seul qui ait su désamorcer le piège rhétorique tendu à tous par Le Pen, lorsqu'il lui proposa d'en venir aux mains au terme d'un débat télévisé houleux. Le problème est donc moins Tapie que la France qui s'en est éprise : « une société qui ne peut engendrer qu'un Bernard Tapie... pour clairement s'opposer à la montée d'une idéologie fasciste a quelques questions à se poser » (Jeanne Villeneuve).
Bernard Tapie, symbole d'un système secret d'enrichissement « made in Crédit Lyonnais » (Martine Orange, dans Histoire secrète du Patronat de 1945 à nos jours - La Découverte, 2009)
Tous pensaient qu'il avait disparu corps et biens, emporté par la bourrasque financière qui s'était abattue sur lui au milieu des années 1990. Entre matchs de football truqués, faillite financière et affairisme politique, il semblait ne pas devoir se relever. Pourtant, le 7 juillet 2008, Bernard Tapie reparut. A la stupeur générale, l'homme d'affaires se voyait accorder, par la discrétion d'un tribunal arbitral réuni à la demande pressante de l'Elysée, une indemnité de 240 millions d'euros assortie d'une indemnité pour le préjudice moral de 45 millions d'euros, pour régler son différend avec le Crédit Lyonnais dans l'affaire de la vente d'Adidas en 1992. Estimant qu'il avait été volé par la banque lors de la cession -réalisée avec une forte plus-value – du groupe d'équipements sportifs, il a perçu en outre des intérêts calculés depuis le début de la procédure en 1994. Le tout représente une somme de 390 millions d'euros. La somme qu'il recevra au final était, en juin 2009, encore en négociation avec le ministère des Finances, qui lui demandait de payer ses arriérés d'impôt. Certains connaisseurs du dossier estimaient qu'il toucherait au moins 100 millions d'euros.
Pour Bernard Tapie, ce jugement arbitral était la réparation légitime d'une injustice commise à son encontre. L'explication laisse rêveur. Car, au fond, quel aurait été le destin de Bernard Tapie s'il n'avait rencontré sur son chemin, en 1977, le Crédit Lyonnais ? Pendant quinze ans, Bernard Tapie fut à la fois le plus illustre symbole et la marionnette d'un système complexe et secret d'enrichissement, que la banque du boulevard des Italiens a largement orchestré".
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