Avec la confirmation par Le Monde de l’identité du généreux donateur du candidat de la droite à la présidentielle pour ses costumes de luxe – en l’occurrence l’avocat Robert Bourgi –, l'affaire Fillon vient désormais percuter le monde des réseaux occultes de la Françafrique.
L'afaire des costumes de François Fillon prend une nouvelle tournure. Avec la confirmation par le journal Le Monde, vendredi 17 mars, de l’identité du généreux donateur du candidat de la droite à la présidentielle pour ses costumes de luxe – en l’occurrence l’avocat Robert Bourgi –, le dossier vient désormais percuter le monde des réseaux occultes de la Françafrique.
Alors que, depuis une semaine, la rumeur circulait avec insistance selon laquelle Robert Bourgi était l’homme qui se cachait derrière l’achat de plusieurs costumes dans la boutique de luxe Arnys (propriété de LVMH) offerts à Fillon, l’avocat parisien avait catégoriquement démenti – notamment auprès de Mediapart.
Seulement voilà, au lendemain des révélations du Journal du Dimanche (JDD) la semaine dernière, le juge Tournaire, déjà saisi des soupçons d’emplois fictifs de l’épouse de Fillon, avait obtenu auprès du Parquet national financier (PNF) que l’affaire des costumes entre dans son périmètre d’enquête, par un réquisitoire supplétif, afin de vérifier si ces libéralités ne cachaient pas un délit de « trafic d’influence ». Pourquoi offrir des vêtements de prix à un présidentiable, sinon pour en attendre quelque chose en retour ? Là est le soupçon.
Les policiers de l’Office anticorruption (OCLCIFF) de Nanterre ont, dans la foulée, mené plusieurs perquisitions dans les locaux d’Arnys, à Paris.
Selon les éléments recueillis par les enquêteurs, Robert Bourgi a réglé récemment pour 13 000 euros de costumes offerts à François Fillon. Ceux-ci avaient été commandés le 7 décembre 2016, soit neuf jours à peine après la victoire du candidat Fillon à la primaire de la droite, et ont été réglés par chèque le 20 février.
Ce n’est pas tout. Comme l’avait rapporté le JDD, d’autres vêtements issus de la boutique Arnys auraient été offerts depuis 2012 à Fillon pour une somme totale de 35 500 euros, semble-t-il payés cette fois en espèces. Il est cependant impossible à ce jour de savoir si Robert Bourgi est également derrière ces règlements. Si cela devait être le cas, il est étrange que cet avocat expérimenté soit passé subitement d’un mode de paiement discret (en liquide) à un autre (par chèque) qui, lui, laisse des traces.
Lors d’un entretien téléphonique avec Mediapart, jeudi 16 mars, soit la veille de la publication par Le Monde de son identité, Robert Bourgi, tout en refusant de confirmer être le généreux donateur de Fillon, avait tenu prudemment à nuancer la portée de l’affaire : « Quoi qu’il en soit, le donateur n’a commis aucun délit. »
En dehors de la justice, le déontologue de l’Assemblée nationale, où François Fillon siège depuis 2012, s’est également saisi du dossier pour vérifier si l’ancien premier ministre n’avait pas commis une faute en ne déclarant pas ces onéreux cadeaux, tout député devant faire état de présents « en lien avec leur mandat » dépassant les 150 euros. Reste à savoir si cette générosité appuyée de Bourgi relève de la vie privée de François Fillon.
Depuis la révélation de ce nouveau dossier embarrassant, le candidat de la droite à la présidentielle a pris le parti de balayer les faits d’une chiquenaude : « Un ami m’a offert des costumes en février. Et alors ? », a-t-il déclaré dans Les Échos dimanche 12 mars.Selon nos informations, François Fillon n’avait pas alerté son staff de risques quant au nom de son mécène, présenté comme un vieil ami.
Et alors ? Le nom de Robert Bourgi, bientôt 71 ans, figure emblématique des réseaux de la Françafrique, fait partie de ceux qui sentent le soufre dans la sphère publique et politique depuis trois décennies. Surtout depuis qu’il a affirmé en 2011 dans un livre (La République des mallettes, de Pierre Péan), puis dans la presse (déjà dans le JDD), et enfin sur procès-verbal devant des juges (lire notre article), qu’il avait participé à des remises de montagnes d’espèces provenant de plusieurs dignitaires africains (Gabon, Côte d’Ivoire, Burkina Faso et Congo-Brazzaville) au profit de l’ancien président Jacques Chirac et de l’ex-premier ministre Dominique de Villepin. Des faits démentis par ce dernier.
« Je n'ai jamais touché, comme on dit en Afrique, le “papier”, avait expliqué, le 4 octobre 2011, Robert Bourgi aux juges de l’affaire dite des Biens mal acquis. C'était des missionnaires qui arrivaient avec la valise diplomatique et que je conduisais chez le président de la République française, chez monsieur Chirac et chez monsieur Villepin. » Bourgi avait estimé à 20 millions d’euros le montant des espèces ainsi convoyées, entre 1995 et 2005.
Ces missions un peu spéciales auraient toutefois cessé en novembre 2005 après un clash avec Dominique de Villepin, selon le témoignage de Bourgi. Et elles n'auraient pas repris avec Nicolas Sarkozy, que Robert Bourgi avait accepté de conseiller aussitôt après sa rupture avec M. Villepin. L’ancien chef de l’État avait d'ailleurs remis en mains propres la Légion d'honneur à l'ancien Monsieur Afrique, en 2007.
En 2015, Robert Bourgi, indigné par les positions de Nicolas Sarkozy sur l’islam et le voile, avait décidé de rallier François Fillon, auquel il a ouvert plusieurs portes sur le continent africain. Mais un an plus tard, nouveau revirement : Bourgi lâche Fillon et rejoint Sarkozy. « Je crois en lui. Il aime passionnément son pays, il aime passionnément la politique étrangère et le rôle de la France dans le monde […] malgré les déconvenues judiciaires qui apparaissent ça et là », avait-il alors déclaré à la chaîne France 24.
Né en avril 1945 à Dakar (Sénégal) dans une famille d’origine libanaise, Robert Bourgi, qui est souvent présenté comme l’héritier de Jacques Foccart, le « Monsieur Afrique » de Charles de Gaulle, avait soutenu sa thèse à la Sorbonne sur le thème : « Le général de Gaulle et l’Afrique noire 1940-1969 ». Très vite, Bourgi a ensuite intégré tous les cercles de la droite chiraquienne. Chargé de mission de Jacques Chirac au RPR, pour les relations avec les pays d’Afrique au Sud du Sahara en 1983, il devient trois ans plus tard conseiller politique du ministre de la coopération Michel Aurillac (1986-88), puis délégué national du Club 89 (un think tank chiraquien) pour les pays en développement. Il s’inscrira au barreau de Paris en 1993.
Lors de son discours de remise de la Légion d’honneur, le 27 septembre 2007, Nicolas Sarkozy avait déclaré à l’adresse de Bourgi : « Je sais, cher Robert, pouvoir continuer à compter sur ta participation à la politique étrangère de la France, avec efficacité et discrétion. Je sais que, sur ce terrain de l’efficacité et de la discrétion, tu as eu le meilleur des professeurs et que tu n’es pas homme à oublier les conseils de celui qui te conseillait jadis de “rester à l’ombre pour ne pas attraper de coup de soleil”. Sous le chaud soleil africain, ce n’est pas une vaine précaution. Jacques Foccart avait raison. » Dix ans plus tard, l’affaire Fillon vient finalement lui donner tort.