Service public, fonction publique
Une histoire, des principes, un avenir
La question de la fonction publique et des fonctionnaires a été l’une des plus débattues au cours de la dernière campagne des élections présidentielles et elle continuera de l’être car c’est l’aboutissement d’une longue histoire en même temps qu’un enjeu d’avenir qui met en cause des données essentielles de notre pacte républicain.
Une exigence historique
L’intérêt général est une prérogative du pouvoir politique dont la responsabilité est de le définir à travers un débat démocratique et d’en assurer autant que possible l’accomplissement grâce aux services publics dont la fonction publique est la partie essentielle. Sous l’Ancien Régime on parlait de bien commun, pendant la Révolution Française d’utilité commune ou de nécessité publique. La question a été très présente au XIXe et dans la première moitié du XXesiècle dans les luttes pour la République, le socialisme, la laïcité. Le programme du Conseil National de la Résistance (CNR) mettait fortement l’accent sur les besoins fondamentaux et les moyens nécessaires à leur satisfaction à travers un processus général de démocratisation, en particulier de l’administration, un secteur public étendu par des nationalisations prévoyant l’intervention des travailleurs, des services publics important avec un système social sécurisant les populations. C’est dans ces conditions qu’a pu s’affirmer une conception française de la fonction publique.
Le concept de service public est donc ancien en France et a fait l’objet d’une théorisation approfondie à la fin du XIXe siècle. Il était défini par l’identification d’un intérêt général, un organisme public le mettant en œuvre et un droit spécifique, le droit administratif. Notion simple à l’origine, elle n’a cessé de se complexifier. Partant, le service public est devenu plus hétérogène et le contrat l’a disputé progressivement à la loi dans la définition de son champ et son fonctionnement. L’Union européenne n’en retient l’idée que sous les appellations de services d’intérêt général essentiellement économiques mais en affirmant la concurrence comme principe fondamental et le marché comme horizon indépassable de la vie en société.
La fonction publique est la partie la plus importante et la plus structurée du service public. Son histoire est marquée par la confrontation de deux lignes de fores : celle du fonctionnaire-sujet qui a prévalu pendant le XIXe siècle et la première moitié du XXesiècle ; celle du fonctionnaire-citoyen formalisée par le statut général fondateur de 1946. Son élaboration, voulue par le Général de Gaulle a été menée à bien par le ministre chargé de la Fonction publique à l’époque, Maurice Thorez, Vice-Président du Conseil, avec le concours actif de la CGT à travers bien des péripéties qui ont demandé beaucoup de lucidité et de courage aux acteurs. Ce statut a été approfondi et étendu par le statut fédérateur de 1983 fondé sur des choix de conception clairs mais qui n’ont cessé de susciter des oppositions de la part des tenants d’une fonction publique fondée sur un principe hiérarchique strict. La confrontation perdure jusqu’à la campagne électorale actuelle.
Une extension inéluctable
On sous-estime en général le fait que le service public s’est imposé dans les sociétés modernes et qu’il ne cesse de se développer malgré les attaques dont il est l’objet. L’évolution du financement public traduit la socialisation financière de la société et de ses services publics. La dépense publique n’a cessé de croitre pour répondre à des besoins fondamentaux sans cesse croissants. Les prélèvements obligatoires destinés à les financer se sont accrus de 10 % du produit intérieur brut (PIB), c’est-à-dire des richesses créées, au début du XXe siècle à 45 % aujourd’hui.
Les comparaisons internationales montrent que si les dépenses de transferts sociaux sont relativement élevées en France (grâce notamment au système de sécurité sociale), le nombre de fonctionnaires se situe à un niveau moyen au sein des pays développés selon les études de l’OFCE en 2015, on compte, en France, 83 agents salariés dans la fonction publique, le même ordre de grandeur qu’au Royaume Uni, au Canada ou … aux États Unis. On compte aujourd’hui en France 5,4 millions de fonctionnaires, il n’y en avait qu’un million au lendemain de la Libération.
La spécificité française c’est l’affirmation statutaire, c’est-à-dire dire la protection par la loi de l’agent public base de la neutralité du service public. Le statut actuel a été fondé sur quatre choix : le fonctionnaire-citoyen, le système de la carrière, un équilibre entre unité et diversité, des principes républicains (égalité, indépendance, responsabilité). Depuis 1983, s’il a subi offensives et dénaturations le statut a prouvé sa solidité et son adaptabilité. Il reste menacé, un enjeu, notamment dans son versant territorial, cible privilégiée des attaques.
Le XXIe siècle « âge d’or » ?
Les services publics sont un enjeu actuel. Les gouvernements de droite les ont mis en cause mais ont échoué. Le dernier quinquennat n’a pas contesté les statuts de manière frontale mais a manqué de courage et d’ambition. Un assainissement serait indispensable comme préalable.
Des chantiers structurels devraient être engagés : rétablissement de moyens d’expertise des collectivités publiques, gestion prévisionnelle des effectifs et des compétences, moyens pour une mobilité choisie, organisation de multi-carrières, progrès de l’égalité femmes-hommes, développement de la concertation, amélioration des relations internationales en matière de fonction publique, promotion d’un nouveau statut des travailleurs salariés du secteur privé, etc.
Selon Edgar Morin, a décomposition sociale actuelle doit être regardée comme l’expression d’une « métamorphose » vers une nouvelle civilisation. Les besoins de coopérations, d’interdépendances, de solidarités se condensent en France en une idée : le service public. Le XXIe siècle peut et doit être l’ « âge d’or » du service public.