A LA MEMOIRE DES FUSILLES DE POULGUEN
par Alain Signor en 1964
Le 8 mai dernier (1964), dans toutes les communes de France, a été commémoré l’Armistice du 8 mai 45. Au Guilvinec, à Treffiagat et Penmarc’h, cette cérémonie a été marquée par un dépôt de gerbe au monument aux Morts. La plupart des participants se sont ensuite rendus au monument des fusillés de Poulguen, Poulguen où, d’avril à mai 1944 (voici donc 20 ans), tombèrent avec un grand courage 33 combattants de la Résistance.
Deux républicains espagnols y achevèrent leur héroïque combat pour la liberté, mêlant un sang généreux à celui de nos compatriotes . Plus tard les bourreaux hitlériens, après avoir abattu sur le territoire de leur commune natale les deux frères Volant, de Plobannalec-Lesconil. vinrent enfouir leurs cadavres dans le sable abreuvé de sang de Poulguen. Au total 35 patriotes y trouvèrent une fin glorieuse.
Leurs noms sont gravés dans le granit du monument érigé en 1947 à l’initiative de la municipalité de Penmarc’h, sur les lieux même du massacre, sauf pour quatre d’entre eux, non identifiés et qui y figurent sous l’inscription : « quatre Anonymes » .Quatre soldats sans uniforme, de la liberté et de l’indépendance, soldats aux noms perdus, d’autant plus chers, s’il est possible, à nos cœurs.
Ces combattants étaient tous des travailleurs : ouvriers, paysans, marins, artisans, commerçants, enseignants, fonctionnaires…
La noble figure du docteur Nicolas, né à Pont-L’Abbé , le 16 décembre 1879, domicilié à Concarneau représentait les professions libérales. C’était aussi le doyen d’âge de tous ces héros. Il aurait pu être le père, et même le grand-père de beaucoup d’entre eux.
Ce qui frappe, en effet, c’est leur jeunesse. La plupart étaient Finistériens; mais l’Ille-et-Vilaine, l’Eure-et-Loir et la Région parisienne y étaient aussi représentés, et, nous l’avons vu les Républicains espagnols . Ce qu’ils avaient tous de commun, c’était la haine de l’oppression, l’amour de la liberté, la volonté d’une vie meilleure dans un monde libéré de la servitude.
Nom et prénoms
date de naissance lieu de naissance Résidence
Quatre anonymes
MORENO (pseudo) Joseph 15.09.1915 Madrid (Espagne) Réfugié en France
GARCIA Martin Antonio 13.0.1911 Avila (Espagne) idem
LE GALL François 09.11.1923 ? Saint-Grégoire(Ille et Vilaine)
CARON William 18.02.1919 ? Sorel-Moussel (Eure et Loir)
COCHERY René 06.01.1914 Chartres (Eure et Loir) Morlaix
BEVIN Yves 09.01.1921 Peumerit ( Fin.) Vitry-sur-Seine
LANCIEN Jean-Louis 05.05.1921 Scaër
QUEINNEC Arthur 18.09.1919 Quimper
LE PORT Charles 2301.1920 Quimper
VOLANT Marcel 04.08.1916 Quimper
KERGONNA Marcel 08.09.1919 Beuzec-Cap-Sizun Quimper
PLOUZENNEC Pierre 12.05.1920 Plogastel-Saint-Germain Quimper
CAM Maurice 20.06.1919 Pont-De-Buis
NORMANT Robert 30.07.1919 Plouhinec
VOLANT Antoine 20 ans Plobannalec-Lesconil
VOLANT Yvon 30 ans idem idem
GRALL Henri 07.01.1922 Pleyber-Christ
BOURLES Jean 11.06.1920 Pleyber-Christ
CREAC’H Albert 07.08.1920 idem
PHILIPPE François 22.09.1920 Landivisiau
LE BUANEC Arthur 01.09.1919 Guerlesquin Morlaix
LE SIGNOR Roger 29.12.1919 Camaret-sur-Mer
COAT Paul 03.03.1925 Brest St Marc Brest
TANGUY Hervé 25.01.1926 idem
PAUGAM Roger 12.10.1923 idem
LE BAUT Roger 17.09.1921 idem
BRUSQ Emmanuel 13.08.1923 Audierne
SIMON Jean 09.10.1924 idem
CADIC Eugène 14.04.1921 Bannalec
LOREC Eugène 10.04.1920 Pont-L’Abbé idem
Dr NICOLAS Pierre 16.12.1879 idem Concarneau
Les Résistants étaient astreints à la stricte observation des règles de la clandestinité. La moindre indiscipline en ce domaine pouvait entraîner de redoutables conséquences. C’est pourquoi de leurs épreuves, de leurs combats, de leurs succès comme aussi de leurs revers, il subsiste peu de traces écrites, car l’ordre était, ici, inflexible : il fallait détruire toutes les traces écrites susceptibles de renseigner l’ennemi.
Toutefois, voici deux témoignages : l’un émane de Jean-Roland PENNEC de Camaret-sur-Mer, plus connu de ses compagnons d’armes sous le pseudonyme de « Capo ». L’autre vient d’un douanier allemand de la Gast de Guilvinec, recueilli par un de ses collègues d’Audierne et rapporté par Francis POSTIC, ancien maire de cette dernière commune et ancien douanier lui-même.
« Capo » avait 23 ans lors de évènements dramatiques de Poulguen. Ce n’est qu’à une énergie indomptable qu’il dut de ne point partager le sort de ses infortunés compagnons.
Très tôt, sa volonté de combattre l’envahisseur les armes à la main le conduisit à s’enrôler dans les F.T.P.F., avec une poignée de Camarétois aussi décidés que lui à la lutte. Affecté au maquis de Spézet, il entra, avec son ami Roger SIGNOR dans l’unité de choc constituée en 1943 et placée sous le commandement de Yves BEVIN, professeur à Vitry-sur-Seine.
L’unité comprenait d’autres résistants connus pour leur bravoure : Jean-Louis LANCIEN de Scaër , Fernand AUMEL, probablement de Callac ( Côtes du Nord), Jean-Louis DERRIEN de Plonéour-Ménez, leur agent de liaison et un Camarade juif dont « Capo » ignorait l’identité et dont il pense qu’ils seraient parmi les « anonymes » de Poulguen.
Cette unité harcela l’ennemi dès sa constitution ; elle battait un vaste secteur de la Montagne Noire. Admirablement renseignés, elle frappait les postes isolés, mitraillait les cantonnements, les transports, faisait sauter les dépôts de munitions et de matériel de guerre. L’objectif atteint la troupe s’évanouissait, puis se regroupait sur des bases éloignées.
Cependant Yves BEVIN fut arrêté au Fell en Spézet, en 1943, avec son agent de liaison et un autre camarade. Condamnés à mort, ils furent exécutés à Poulguen. L’unité reconstituée,
Le commandement en fut confié à « Capo ».
Au début de l’hiver 1943-44, elle reçut la mission de transférer cinq aviateurs américains dans les Côtes-du-Nord. La tâche accomplie, l’escorte s’arrêta à Gourin sur le chemin du retour ; elle fut hébergée à l’hôtel-restaurant Perrot, près de la gare. A ce moment « Capo » contracta une forte grippe et dut garder le lit. Il demanda en vain à ses compagnons de quitter l’hôtel-restaurant, mais aucun ne voulut le laisser seul. Deux jours plus tard , ils y étaient encore. Au cours de la dernière nuit passée à l’hôtel, 200 Allemands transportés par camions, cernèrent l’immeuble. Jetés dehors, en chemise, les mains levées et aveuglés par les phares des camions, Capo et ses compagnons demeurèrent deux heures durant exposés aux morsures d’un froid glacial. Emprisonnés d’abord à Carhaix, privés de toute nourriture et de boisson pendant trois jours, ils furent ensuite transférés à la prison Saint-Charles de Quimper. Tous furent condamnés à mort. Ils se retrouvèrent à dix dans le cachot destiné aux condamnés à mort. Aussitôt, ils entreprirent de s’évader, se procurèrent une corde, peu solide hélas, percèrent le plafond de la cellule puis la toiture. Selon l’ordre déterminé; Capo sortit le premier suivi de Jean-Louis DERRIEN. Lorsque Roger SIGNOR, plus corpulent parvint presqu’à la toiture, la corde se rompit. Les huit patriotes qui restaient furent exécutés à Poulguen en avril-mai 1944.
Pour terminer cette évocation et faire toucher du doigt – notamment aux jeunes générations- le courage inouï de ces hommes , nous rappellerons l’exemple de Manu BRUSQ d’Audierne. Ce témoignage nous vient d’un douanier allemand de la GAST (Douane allemande) du Guilvinec, recueilli par un de ses collègues d’Audierne et que nous a rapporté Francis Postic, ancien maire de cette commune et ancien douanier lui-même.
Manu Brusq, jeune homme athlétique. Dynamique, très intelligent et cultivé, était l’homme des coups de main spectaculaires, I’homme « sans peur ». Il avait du mal à se contenir et sa témérité frisait apparemment l’inconscience du danger comme en témoigne son dernier acte avant son exécution.
Alors que les condamnés arrivaient au lieu désigné pour leur exécution, encadrés par les soldats allemands, fusils chargés, baïonnette au canon, un capitaine commit l’imprudence de s’approcher trop près des patriotes pour lancer un ordre aux soldats de tête. D’un geste frénétique, Manu BRUSQ s ‘empara du petit sabre de l’officier et le tua. Presque massacré à coups de crosses, il fut fusillé quelques minutes plus tard.
Ni chez Manu, ni chez ses camarades, il n’y avait la moindre inconscience du danger. Bien au contraire, ils étaient bien placés pour apprécier la sauvagerie de l’ennemi et savaient pertinemment à quoi ils s’exposaient, mais leur détermination venait d’abord de leur haine d’un oppresseur particulièrement féroce, mais aussi dans ce que, dans le combat, ils s’étaient aguerris et connaissaient parfaitement ses insuffisances et ses faiblesses.
A l’heure où certains s’efforcent de ternir l’image de la Résistance, de réhabiliter quelques criminels nazis, où certaines organisations d’extrême-droite se réclament ouvertement de l’idéologie fasciste, il était bon que soient rappelés les immenses sacrifices consentis par notre peuple pour libérer notre territoire de l’oppresseur hitlérien.
Alain Signor, Député du Finistère