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23 août 2020 7 23 /08 /août /2020 06:35
Des gens ont été enfermés à clé dans leur chambre, au motif de les protéger - entretien de l'Humanité avec Michel Billé, auteur de "la Tyrannie du Bien vieillir"
Vendredi, 21 Août, 2020
« Des gens ont été enfermés à clé dans leur chambre, au motif de les protéger »

Il faut changer durablement notre regard sur le grand âge, alerte le sociologue Michel Billé, auteur de la Tyrannie du "Bienvieillir". Et ne pas reproduire les erreurs du confinement, qui ont incité les seniors à regarder leur vieillesse dans l’aspect le plus effrayant. Entretien.

 

Qu’est-ce que le confinement a révélé du regard porté par la société sur la vieillesse ?

Michel Billé On a voulu protéger les personnes âgées, à domicile parfois, mais surtout en établissement. Cela part d’une bonne intention. Pour les protéger, on a voulu les confiner. Et pour confiner, on a fermé. On a empêché d’entrer dans les établissements des visiteurs de toute sorte, en particulier des proches, des aidants, des bénévoles… On a empêché aussi d’en sortir. Ce confinement a eu pour effet d’isoler les personnes. En établissement, il a été fréquent que cette absence de contacts a créé des difficultés pour les personnes âgées, qui se sont parfois trouvées désorientées. Quand on est habitué à dire bonjour, à se faire la bise, il est difficile de se priver de ce genre de relations. On a alors glissé de l’isolement à l’enfermement. Il y a eu trois étapes dans le processus : le confinement, l’isolement, l’enfermement. J’emploie volontairement ce mot terrible en référence aux travaux du philosophe Michel Foucault sur le grand enfermement dans les secteurs de la psychiatrie et du handicap, parce qu’ils traduisent une réalité. Des gens ont été enfermés à clé dans leur chambre d’Ehpad, au motif de les protéger et de protéger les autres d’un microbe qu’ils n’avaient pas. C’est terrible.

Comment en est-on arrivé là ?

Michel Billé C’est facile de jeter la pierre sur les établissements. Je ne sais pas si dans la même situation, j’aurais pu trouver une solution intelligente. Mais au-delà de cet épisode de Covid-19 et de confinement, au-delà des attitudes abusives, outrancières, liberticides qu’on a pu observer, il faut ouvrir une réflexion éthique sur ce qui s’est passé et repérer ce qui n’est pas acceptable pour que ça ne se reproduise pas. Cette crise du Covid doit nous amener à regarder différemment les réponses que nous apportons à celles et ceux de nos contemporains qui ont besoin de soins et d’accompagnement. Un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes est une réponse. Mais correspond-il aujourd’hui aux attentes de la personne ? Comment pourrait-on ouvrir différemment l’établissement, inventer des réponses à domicile, des allers-retours entre les deux ? Il faut accepter de rouvrir toutes ces questions.

Comment nos anciens ont-ils pu glisser du statut de sages à celui de personnes à charge dans notre société ?
Michel Billé Ce qui induit ce glissement, c’est cette terrible notion d’utilité sociale liée au monde de la production, au monde industriel et à la société capitaliste ultralibérale. Regarder avec quels mots on ose parler. On divise la société française entre actifs et inactifs. Que les retraités ne soient pas actifs de la même manière, dans le même domaine que ceux qui travaillent, c’est une évidence. Mais dire qu’ils sont inactifs, c’est absurde. En fait, derrière l’opposition actif/inactif se cache celle de productif/non productif. Ce qui est non productif est inutile, donc indésirable. Ajouter à cela la peur de la mort… Nous devons personnellement aider les gens à changer le regard porté sur la vieillesse. Nous avons l’habitude lamentable de regarder les sommes consacrées à l’accompagnement comme des charges, des dépenses. Oui, il y a des sommes d’argent à consacrer à la vieillesse, mais il faut les regarder comme un investissement, porteur d’emplois multiples, directs et indirects, de développement économique, d’échanges. L’argent pour les vieux, c’est l’emploi des jeunes.

Entretien réalisé par Kareen Janselme
Le 5e risque, un serpent de mer vieux de vingt ans

Depuis plus de vingt ans, les gouvernements français évoquent la création d’une cinquième branche de la Sécurité sociale, qui viserait à prendre en charge la dépendance liée au grand âge ou au handicap. Si le ministre des Solidarités et de la Santé, Olivier Véran, a lancé en juin des travaux et attendait un rapport prévu en septembre, les députés ont finalement voté avant la rentrée sa création. De « l’affichage », estime le député PCF Pierre Dharréville alors que les financements restent à imaginer.

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23 août 2020 7 23 /08 /août /2020 06:32
Âgisme. Les anciens ont-ils encore une place dans notre société ? - L'Humanité, Kareen Janselme, 21 août 2020
Vendredi, 21 Août, 2020 - L'Humanité
Âgisme. Les anciens ont-ils encore une place dans notre société ?

Si le confinement a largement été employé pour endiguer le coronavirus, son impact sanitaire et psychologique se révèle délétère chez les personnes âgées, déjà gravement isolées et stigmatisées dans notre société.

 

Anne-Marie avait plutôt bien vécu son confinement. Un grand appartement lumineux, un balcon fleuri pour y déjeuner. Et la forêt limitrophe dans laquelle elle tentait des échappées quasi quotidiennes, bravant le gendarme. Une voisine compatissante s’occupait des courses, pour éviter à la vieille dame d’aller en ville avec sa voiture et de risquer d’attraper le virus. Éloignés, ses enfants lui téléphonaient quotidiennement. Mais ça n’a pas suffi… Ceux-ci ont découvert, malgré le discours rassurant de leur mère, qu’elle oubliait de plus en plus d’événements, de souvenirs. Désormais, à la veille de ses 80 ans, Anne-Marie omet parfois de manger… Autonome et vaillante il y a cinq mois, elle pourrait à la rentrée rejoindre un établissement spécialisé. Brutalement, sans signe avant-coureur.

« Âgée de 95 ans, Odette avait déjà lutté plus de dix jours contre le Covid-19. Elle avait vaillamment surmonté le confinement dans sa chambre, la toux épuisante, la fièvre qui monte et descend en un V caractéristique. Les soignants étaient confiants », relate la psychiatre Véronique Lefebvre des Noettes dans The Conversation France, une revue rédigée par des universitaires. La chercheuse associée à l’université Paris-Est-Créteil (Upec) raconte comment cette patiente en voie de guérison voulait se laisser mourir, « refusant toutes les tentatives prises pour la nourrir comme un bébé ». Or, « ce qui la mettait en danger, c’était le chagrin de ne plus voir les siens ». Un syndrome du glissement connu depuis 1956, marqué par l’anorexie, la dénutrition, un comportement de repli et d’opposition. Le processus se déclenche après une rupture, un événement déstabilisant, perturbant. Dans 80 à 90 % des cas, le décès survient en quelques semaines. Pour Odette, l’élément déclenchant a été le confinement. La vieille dame s’est sentie abandonnée par ses proches, conséquence d’un isolement imposé.

Les conséquences d'un enfermement subi

Si l’obligation de confinement a concerné toute la population pendant 56 jours, tout le monde n’a pas été logé à la même enseigne. Au nom de la protection des plus fragiles, des plus « à risque », des portes ont été fermées sans s’appesantir sur l’accompagnement ni le consentement. La majorité des Français pouvait respirer une heure dehors pour aller chercher du pain ou s’adonner au jogging. Les anciens étaient, eux, claquemurés dans des établissements spécialisés ou parfois même à domicile. On découvre aujourd’hui les conséquences sanitaires sous-estimées de cet enfermement subi. « Le Covid a mis en lumière le vrai déficit de mécanismes de solidarité et de prise en soin dans notre société, souligne Olivier Guérin, chef du pôle gérontologie du CHU de Nice (Alpes-Maritimes). On peut chiffrer son impact sanitaire. »

Alors que le système hospitalier était quasi intégralement consacré au Covid, la population a mis en veilleuse le suivi de ses maladies chroniques. Un renoncement dévastateur pour le 3e âge. « Les patients n’avaient pas très envie d’avoir recours au système de soins libéral ou hospitalier en urgence, confirme le praticien. Il y a eu une mauvaise prise en charge des maladies chroniques des populations âgées très polypathologiques et des décompensations importantes. Cela s’est traduit par une surmortalité importante qui s’est ajoutée à celle du Covid. Il y a eu environ 30 000 décès induits liés à l’absence de suivi suffisant de pathologies cardiaques, rénales, pulmonaires ou neurologiques chroniques. »

Rupture dans le soin et le suivi

Les hôpitaux tentent maintenant de s’organiser différemment, avec une structuration qui sera moins centrée sur la seule activité Covid si la pandémie grossit. Mais la prise en charge des troubles psychiques n’est malheureusement pas placée au premier plan. « Avant la fin du confinement, nous avons vu arriver de plus en plus de personnes âgées atteintes de troubles du comportement, a remarqué celui qui est aussi président de la Société française de gériatrie et gérontologie (SFGG). Dès qu’il y a quelque chose de très perturbant dans les habitudes, ça fait décompenser sur un plan anxiodépressif des troubles cognitifs qui étaient parfaitement cadrés auparavant. » La rupture dans le soin et du suivi par les auxiliaires de vie a été délétère. Particulièrement pour une génération qui n’est pas familiarisée avec ces enjeux. Par pudeur ou manque d’information, les seniors prennent moins en compte les troubles psychiques et imaginent rarement que cela se traite avec des professionnels.

« Baisse de la qualité nutritionnelle, diminution de l’activité physique, réduction du lien social : ce sont les trois éléments essentiels du bien-vieillir qui sont finalement mis à mal par le stress généré et la distanciation sociale. » Olivier Guérin, chef du pôle gérontologie du CHU de Nice

La stigmatisation du grand âge dans la société n’a pas aidé. Et le confinement n’a fait que souligner cette relégation. Malgré un vieillissement de la population depuis cinquante ans, les anciens restent invisibilisés, éloignés, infantilisés. Les hésitations du gouvernement, les annonces du président Macron au soir du 13 avril concernant un déconfinement progressif qui ne libérerait les seniors qu’en dernier ont clairement enfoncé le clou. Dans certains endroits, les libertés se sont vues violemment rognées au nom du principe de précaution. Comme en témoigne le sociologue spécialisé de la vieillesse Michel Billé. « À 69 ans, une personne handicapée que je connais résidant dans un établissement a été enfermée à clé pendant trois semaines dans sa chambre, avec une télévision en panne pendant 15 jours. On lui a fait croire qu’il était impossible de la réparer car on ne pouvait pas prendre le risque de faire entrer un technicien de l’extérieur. Mais ce n’est pas un malfaiteur ! Il n’y a aucune raison qu’elle p asse des semaines en prison. » La peur de la contamination, celle du procès en responsabilité ont entraîné bien des excès. Et le reconfinement d’une vingtaine d’Ehpad (établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes) inquiète à nouveau des familles et des professionnels. À domicile, l’émoi demeure. « Vous ne sortez plus, résume Olivier Guérin, vous ne voyez plus les gens, vous vous nourrissez moins bien parce que vous allez moins faire vos courses… Baisse de la qualité nutritionnelle, diminution de l’activité physique, réduction du lien social : ce sont les trois éléments essentiels du bien-vieillir qui sont finalement mis à mal par le stress généré et la distanciation sociale. »

Le gouvernement tarde à répondre

Comment avons-nous accepté que les anciens, auparavant considérés comme sages, soient aujourd’hui uniquement désignés comme des personnes à charge ? La silver économie, brandie par certains comme un modèle, se résume trop souvent à un label pour établissements à but lucratif dont les fonds viennent remplir les poches d’actionnaires plutôt qu’améliorer les conditions de vie des occupants ou de ses salariés. Repenser le lien entre l’hôpital et la médecine de ville, décloisonner le sanitaire, le social : des réflexions qu’auraient dû sainement entraîner les travaux sur une cinquième branche maladie consacrée à la dépendance, annoncée en juillet par le ministre de la Santé. Mais le gouvernement tarde toujours à répondre réellement au manque de moyens de l’hôpital, mis clairement à nu pendant la crise sanitaire. En 2018, pour la première fois dans l’histoire, les plus de 65 ans étaient plus nombreux sur la planète que les enfants de moins de 5 ans. Selon l’Organisation des Nations unies, une personne sur quatre en Europe et en Amérique du Nord appartiendra à cette même classe d’âge en 2050. Ce sera plus difficile de l’ignorer. 

Kareen Janselme
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21 août 2020 5 21 /08 /août /2020 05:54
Plan de relance - Crise sanitaire - Propositions des parlementaires communistes adressées au Premier ministre
Plan de relance - Crise sanitaire - Propositions des parlementaires communistes adressées au Premier ministre
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21 août 2020 5 21 /08 /août /2020 05:45

 

Les jeunes payent un lourd tribut depuis l’arrivée de la crise économique. Occupant les postes les plus précaires, ce sont eux les plus touchés par la montée du chômage. Les plans de licenciements, la diminution des missions d'intérim, la suppression d’emplois saisonniers… L’été fut rude pour une grande partie des jeunes. La rentrée ne s’annonce pas moins compliquée. Aux suppressions d’emplois vont s'ajouter les 750 000 jeunes ayant fini leur formation arrivant sur un marché de l’emploi dégradé et quasi-saturé à compter du mois de septembre.

 

 

De plus en plus de jeunes vont se retrouver sur le carreau avec peu, voire aucune source de revenu pour celles et ceux qui n'auront pas encore travaillé. La précarité qui est déjà une réalité quotidienne pour de nombreux jeunes va s’aggraver au fil des mois. Dans ce contexte, les annonces de réformes du gouvernement risquent d’aggraver encore plus ce phénomène de précarisation.

Face à la montée du chômage chez les jeunes, Jean Castex a annoncé un grand plan de secours pour la jeunesse. Celui-ci s'intitule un jeune est égal à une solution. Un joli slogan pour masquer une réalité bien moins attrayante.

Dans ce plan de secours, figure une prime à l’embauche des jeunes pour les entreprises. Un simple CDD de trois mois pour un jeune de moins de 26 ans suffira à décrocher ladite prime. Jean Castex propose comme perspectives pour les jeunes une société de petits boulots. Mais le pire est à venir. Dès le mois de septembre, le Premier ministre a annoncé la création de 100 000 missions de service civique afin d’endiguer le chômage chez les jeunes. Nous sommes ici bien éloignés de l'objectif originel des services civiques qui devaient permettre « d'encourager l'engagement » des jeunes. Mais cela ne choque désormais plus personne, tant ce contrat a été dévoyé de sa mission d’origine. Si bien qu’aujourd’hui, le premier consommateur de ces emplois déguisés est l’Etat et plus particulièrement l'Education nationale. Ce contrat n’est en réalité ni plus ni moins qu’un contrat pour les moins de 25 ans avec le droit du travail en moins et rémunéré en dessous du smic. Le plan du gouvernement « un jeune une solution » vise à multiplier les contrats précaires pour les jeunes. Nous sommes bien éloignés des aspirations des jeunes.

Ce gouvernement ne s’inscrit pas en rupture avec le précédent comme l’avait annoncé Emmanuel Macron lors du remaniement. Bien au contraire, celui-ci s’inscrit dans la droite ligne du précédent et continue les mêmes politiques libérales qui nous ont amenés à cette crise économique. Ce sont ces réformes qui ont entrainée la destruction de l’industrie en France et fragilisé par là même notre économie ; qui ont détruit toutes formes de sécurité de l'emploi en ubérisant le travail et en cassant le code du travail. Ce sont toutes ces réformes libérales qui nous ont amenés à cette crise et nous n’en sortirons pas en faisant la même politique. Les emplois plus ou moins déguisés mais toujours plus précaires nous mènent droit dans le mur et offrent comme seul horizon pour la jeunesse un travail et une vie précaire.

Les jeunes communistes dénoncent le manque d’ambition et de perspective pour les jeunes. Nous le revendiquons depuis l’arrivée de la crise économique : nous ne paierons pas la crise.

L’urgence doit être à un projet politique ambitieux pour la jeunesse. Ce projet doit s’accompagner aussi bien de mesures immédiates de protection sociale que de mesures à plus long terme favorisant une sécurité de l’emploi et de la formation pour l’ensemble des jeunes.

C’est autour de ce projet que les jeunes communistes vont dès la rentrée militer pour permettre une éducation de qualité et gratuite sur l’ensemble du territoire pour toutes et tous. C’est également dans ce sens que nous militerons tout au long de l’année pour gagner de nouveaux droit au travail pour les jeunes notamment en revendiquant l’interdiction des licenciements à cause de la Covid-19 et l’interdiction des rémunérations en dessous du smic.

Léon Deffontaines, secrétaire général du MJCF.

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19 août 2020 3 19 /08 /août /2020 08:10

Frédéric Boccara est économiste, diplômé de l'Ensae qui forme les administrateurs de l’Insee et docteur en sciences économiques, spécialiste des Entreprises (des firmes multinationales aux PME) et du système de crédit, des transports et de l'environnement.

Chercheur associé au CEPN-Paris 13. Il fait partie du collectif d'animation de la revue PCF "Economie et Politique". Il est membre du Conseil économique, social et environnemental.

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19 août 2020 3 19 /08 /août /2020 05:56
Universités. Les mauvais coûts de la rentrée étudiante - Nadège Dubessay, L'Humanité - 18 août 2020
Mardi, 18 Août, 2020 - L'Humanité
Universités. Les mauvais coûts de la rentrée étudiante

Hausse des loyers, APL amputées, bourses qui ne suivent pas l’inflation, masques anti-Covid 19… Une fois de plus, le porte-monnaie des étudiants explose. C’est ce que révèlent la Fage et l’Unef dans leurs baromètres annuels.

 

C’est un mélange de colère et d’inquiétude. À 20 ans, Guéwen Douesneau connaît déjà la galère d’un quotidien où il faut compter le moindre sou. Forfait à Internet et au téléphone, livres pour la fac, nourriture et, désormais, masques de protection contre le coronavirus… Après avoir payé les 650 euros de son loyer, il ne restait plus que 250 euros au jeune couple qu’il forme avec sa compagne, boursière comme lui. À deux, ils bénéficiaient de 900 euros. Sauf que cette année, Guéwen ne percevra que 250 euros au lieu des 550 de l’année dernière. « Ce doit être une erreur, j’ai demandé que mon dossier soit réévalué », lâche l’étudiant qui doit entamer sa deuxième année de licence de lettres à Angers. Si rien ne change, il devra mettre la fac de côté, au moins une année, pour travailler. Ou alors contracter un emprunt étudiant. La crise du Covid-19 avait déjà mis fin à ses espoirs de trouver un job cet été : « J’ai envoyé 80 CV. J’ai eu 80 refus », soupire-t-il. Comme beaucoup, il n’a pas eu d’autre choix que demander une aide alimentaire au Secours populaire français. « À 20 ans, on essaie de se préparer à la vie. Mais si c’est ça… » souffle-t-il sans cacher sa peur d’un avenir incertain. Selon un sondage Ipsos pour la Fage (première fédération étudiante), les trois quarts des jeunes ont perdu des revenus entre mars et juin. Un sacré problème quand on sait que près d’un étudiant sur deux doit se salarier pour financer ses études.

Une rentrée chiffrée à 2 361 euros, soit 76 euros de plus que l'an passé

Cette année encore, les chiffres sont têtus. La Fage, tout comme le syndicat Unef, viennent de publier chacun leur baromètre du coût de la rentrée 2020. Selon la boussole de la Fage, l’augmentation moyenne par rapport à l’an dernier est de 2,5 % en Île-de-France et 3 % en province. Pour la fédération, le coût de cette rentrée s’élève à 2 361 euros, soit 76 euros de plus que l’année dernière. « Alors que l’inflation au mois de juin est de 0,2 %, le coût de la vie pour les étudiants augmente de 3,69 %, soit presque 18,5 fois plus », note, pour sa part, le rapport de l’Unef. Ainsi, « le coût de la vie étudiante explose depuis le début du quinquennat avec une augmentation de 8,71 % ». Les calculs sont vite faits : « L’APL (aide personnalisée au logement) a été amputée et les bourses ne suivent pas l’inflation », explique Mélanie Luce, la présidente du syndicat étudiant. C’est bien connu, la crise profite toujours à certains. Et là, les propriétaires de studios – des biens extrêmement convoités – s’en sont donné à cœur joie. « L’explosion du coût de la vie étudiante demeure liée en partie à l’augmentation du prix des petites surfaces. L’écart entre les appartements de moins de 24 m² et les autres est en moyenne de + 2,56 % », note la jeune femme. L’Unef observe une augmentation des loyers de 5 % à Lyon ou de 4 % à Bordeaux, contre 1 % à Paris, là où s’applique l’encadrement des loyers. Une mesure dont le syndicat demande l’extension partout en France, alors que le loyer représente de loin le poste de dépense le plus important pour les étudiants : 69 % de leur budget mensuel.

Un coût de la vie plus de 118 % plus élevé pour les femmes

L’Unef note par ailleurs que les étudiantes et les étudiants étrangers représentent des profils particulièrement touchés par la précarité. Entre les frais d’inscription différenciés, les frais administratifs importants et le non-accès à la grande majorité des aides publiques, les étudiants étrangers hors Union européenne ont un coût de la vie entre… 261,46 % et 339,93 % plus élevé que les autres. Quant aux étudiantes, le syndicat mettait déjà en avant, l’année dernière, un écart énorme : un coût de la vie plus de 118 % plus élevé pour les femmes. Des différences qui s’expliquent par « une précarité menstruelle forte touchant toutes les personnes menstruées, mais également la “taxe rose” des conventions sexistes qui encouragent les femmes à supporter le coût de la contraception, à s’épiler, se maquiller… ».

L’Unef, tout comme la Fage, ajoutent, cette année, dans le budget des étudiants les masques de protection contre le coronavirus qu’il faudra sans doute porter pour aller en cours. « En prenant les moins chers, nous arrivons à 230 euros sur l’année », précise Mélanie Luce. Selon la Fage, à raison de trois masques jetables par jour, la facture s’élève à 31,75 euros par mois. Une « goutte d’eau » qui fait déborder le vase. L’Unef tire la sonnette d’alarme et appelle à un plan d’urgence.

Nadège Dubessay
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18 août 2020 2 18 /08 /août /2020 08:35

 

Dans la lutte contre l’épidémie, les « héros » sont bien fatigués. Déjà malmenés avant la crise, les soignants s’exposent aujourd’hui à un risque de stress post-traumatique. Beaucoup craignent de ne pas tenir le coup face à un rebond du Covid.

Elle n’en doute pas une seconde : s’il le faut, vaille que vaille, elle y retournera. Pourtant Huguette Mayeko, auxiliaire de puériculture à l’hôpital Delafontaine (Seine-Saint-Denis), le précise immédiatement : elle préférerait ne plus avoir à revivre l’effervescence d’un hôpital métamorphosé en accueil de malades Covid. À trois ans de la retraite, en mars dernier, elle s’était retrouvée propulsée au service neurologie, puis en réa, après deux petits jours de formation. « Douze heures debout, à retourner des patients intubés, les laver », racontait-elle dans nos colonnes le 15 avril. Avec toujours au ventre la peur d’attraper le virus, et celle de ne pas assez bien faire. « Aujourd’hui, j’aurai les bons gestes. Mais je saurai aussi ce qui m’attend. Et ça, c’est très angoissant », souffle-t-elle. Pour rien au monde elle ne voudrait revivre la toilette mortuaire, un souvenir « très violent » pour celle qui jusqu’alors ne s’était jamais occupée que des tout-petits.

« On est tous sur les rotules, toujours en sous-effectif »

Tous les soignants vous le diront : personne ne s’habitue à la mort d’un être humain qui vous confie son sort. Les mois de mars et avril ont été particulièrement éprouvants. Un véritable cataclysme, avec des dizaines de morts par jour dans les services et un contexte déshumanisé, où les familles ne pouvaient pas rendre visite à leurs proches mourants. À cela s’ajoutait la crainte d’attraper le virus (10 % des soignants ont été malades). « On a pas mal trinqué ! », rappelle Diane Languille, infirmière depuis douze ans au service pédiatrie de Delafontaine : « On manquait de tout : des masques, des surblouses, mais aussi des perfusions, en neurologie où j’avais été affectée. »

Quatre mois après la crise épidémique, la lutte contre le Covid a laissé des traces parmi les soignants. Malgré des vacances bien méritées, Diane Languille avoue se sentir encore très fatiguée : « J’ai eu le Covid comme pas mal de mes collègues. On est tous sur les rotules, épuisés, et toujours en sous-effectif. » Alors imaginer un rebond de l’épidémie cet automne lui est très difficile. « On ne va pas pouvoir tenir le coup, physiquement et moralement. Personne n’a envie de refaire de tels efforts alors que la reconnaissance, nous l’attendons toujours. ». Elle soupire : « On n’aura pourtant pas le choix. »

Un risque augmenté d’anxiété, de dépression, d’épuisement

Fin mai, une étude de l’Intersyndicale des internes (Isni) dévoilait que 47,1 % des jeunes praticiens interrogés montraient des symptômes d’anxiété, soit 15 points de plus qu’en 2017. Ils étaient 29,8 % à présenter des symptômes de stress post-traumatique, et 18,4 % des syndromes dépressifs. Une autre étude publiée dans la revue l’Encéphale révèle que les soignants, en première ou en deuxième ligne, ont un risque augmenté d’anxiété, de dépression, d’épuisement, d’addiction. Ainsi, trois ans après l’épidémie de Sras en 2003, chez les personnels hospitaliers de Pékin, on détectait une hausse significative de l’usage d’alcool et des conduites suicidaires. « Les répercussions psychologiques sont extrêmement importantes », constate Frédéric Adnet, chef du service des urgences de l’hôpital Avicenne (Seine-Saint-Denis) et du Samu 93. « Les mois de mars et avril, les personnels tenaient le coup car ils étaient sous adrénaline. Aux services des urgences et en réanimation, ils étaient en première ligne. La situation était à la fois nouvelle et très stressante, avec le risque de se mettre en danger. »

Chaque soir, à 20 heures, la société a fait endosser aux soignants des habits de super-héros. Les ministres, le président procédaient à la tournée des popotes, tels des généraux qui remonteraient le moral des troupes. Du haut de ses trente ans d’expérience aux urgences, jamais Frédéric Adnet n’avait connu un tel hommage. « Sauf que quand on vous hisse sur un cheval blanc, il est très difficile de redescendre », observe-t-il. La décrue de l’épidémie se montre aussi rapide que la montée en charge : « Au Samu et aux urgences, du jour au lendemain, nous n’avions pratiquement plus de patients. » Tous les services transformés en services Covid retrouvent alors leur fonction d’origine. « Le personnel avait besoin de souffler, il n’acceptait plus d’être balancé d’un point à un autre. Ce qui a créé des tensions, des conflits, des arrêts maladie et aussi des décompensations post-traumatiques, suite à un stress intense », note Frédéric Adnet.

Surtout, l’après-Covid devait signer l’arrêt de mort de l’ancien monde. Et là, le chef du Samu 93 avoue sa plus grande déception. Une vraie claque psychologique : « Malheureusement, nous sommes retournés vers l’hôpital d’avant à très grande vitesse, avec toutes ses contraintes budgétaires… » Même constat amer pour Roland Amathieu. Médecin anesthésiste réanimateur dans un établissement à but non lucratif parisien, il déplore une absence de reconnaissance des soignants après la crise. « Tout est redevenu comme avant. Ceux qui applaudissaient aux fenêtres insultent de nouveau les soignants aux urgences, lassés par des heures d’attente. Nous travaillons toujours avec des personnels soignants sous-payés, qui s’épuisent parce qu’ils ne sont pas assez nombreux. »

« Le Covid n’a fait que catalyser un mal-être bien présent »

Et ne leur parlez surtout pas du Ségur de la santé, où pourtant 8,2 milliards d’euros de revalorisations salariales, 6 milliards pour l’investissement et 15 000 recrutements ont été annoncés par le gouvernement. « Les 4 000 lits supplémentaires ne remplacent pas tous ceux qui ont disparu », tempête Roland Amathieu. À titre de rappel, en six ans, 17 500 lits de nuit ont été fermés dans les hôpitaux et cliniques. Diane Languille préfère en rire : « Les postes supplémentaires accordés par l’État ? Ils représenteront deux ou trois personnes par hôpital, pas plus. » Elle décrit son quotidien : une seule infirmière pour dix à quinze enfants, des statuts de contractuel qui sont monnaie courante. Quant à la revalorisation salariale, il faudra s’armer de patience. Une partie sera versée en janvier, l’autre en mars. Mais « cela ne fera toujours pas le compte », assure-t-elle avant de lâcher, écœurée : « La période Covid nous a achevés. » Roland Amathieu rappelle que depuis quinze ans, les infirmiers en réanimation réclament en vain leur reconnaissance. Il assiste, impuissant, à des démissions en cascade, des départs à l’étranger, en Suisse, en Belgique ou au Canada. Partout où l’herbe est plus verte. Pourtant, il en est convaincu : tout le monde s’y était mis et tout le monde s’y remettra : « S’il y a besoin de soigner, on doublera encore nos heures. » Frédéric Adent se veut raisonnablement optimiste : « Le virus va se déplacer avec les mesures de contact tracing, la distanciation et une immunité collective de 10 %. Il se diffusera beaucoup plus lentement, de manière plus contrôlée. Nous ne connaîtrons pas l’engorgement des mois de mars et avril dans les hôpitaux. » Il s’interroge néanmoins : « Le personnel hospitalier sera-t-il présent ? Ce sera sûrement très tendu. » Roland Amathieu le sait : « Le Covid n’a fait que catalyser un mal-être bien présent depuis des années dans les hôpitaux. La cocotte finira par exploser. Et nul n’en connaît les conséquences. »

Nadège Dubessay

 

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17 août 2020 1 17 /08 /août /2020 08:33

 

Cette nouvelle période de sécheresse ravive les débats sur le partage de l’eau en France. Marion Veber, responsable des programmes de la Fondation Danielle-Mitterrand, pointe du doigt les politiques nationales et les opérateurs privés, tout en préconisant plus de démocratie. Entretien.

Marion Veber

Responsable des programmes à la Fondation Danielle-Mitterrand

 

La France semblait épargnée par les crises hydriques jusque-là. Ce temps est-il révolu ?

Marion Veber Il suffit d’observer ce qu’il se passe : le nombre de sécheresses augmente, c’est presque devenu normal. Chaque année, des territoires sont placés en zone de crise hydrique. Je pense notamment au Massif central qui subit des sécheresses depuis quatre ans. Celles-ci sont la conséquence des activités humaines et de nos choix de développement qui ont bouleversé le cycle de l’eau. Nous avons priorisé une agriculture intensive et chimique, surtout après la Seconde Guerre mondiale, pour en tirer un maximum de bénéfices. Ce qui nous a menés à des monocultures à grande échelle, perdant tout lien raisonné et raisonnable à la terre. Nous ne pointons pas du doigt les agriculteurs, mais le modèle agricole décidé au niveau national et européen avec la PAC. Il existe aussi une fracture importante entre la métropole et les Outre-mer. C’est un problème qui ne touche pas que l’agriculture, mais également les besoins vitaux des populations (boisson, hygiène, etc.).

 

Comment expliquer que la situation n’évolue pas ?

Marion Veber Ce système agricole va à l’inverse des préconisations des experts du climat et des hydrologues. Ils nous invitent à revenir à des systèmes liés à la permaculture, à l’agroécologie, et à travailler sur des parcelles plus petites. Toutes les pistes nous sont données. Mais elles ne sont pas retenues, car il existe un lobbying du secteur privé de l’eau. La France accueille parmi les plus importantes multinationales du secteur (Veolia, Suez, Saur). La tendance mondiale qui consiste à marchandiser, privatiser et financiariser l’eau, mais aussi à promouvoir des solutions basées sur la technologie, renforce les problèmes. Ces idées sont portées par les multinationales et les autres acteurs de l’eau. Ils se réunissent, notamment lors des forums mondiaux de l’eau, tous les trois ans, et influent sur les décisions des organes de l’ONU et des États. L’eau ne devrait pas être pensée comme une ressource à gérer, mais bien comme un élément soutenant la vie.

Comment éviter la répétition de ces crises hydriques ?

Marion Veber Après les élections de mars dernier, on va voir si les remunicipalisations promises vont être engagées. C’est un enjeu clé pour penser l’eau sur le long terme, en apportant davantage de démocratie et de transparence. Il faut privilégier une approche par les droits humains, et non par le marché. L’eau est un droit, elle ne se mérite pas. La place des usagers est aussi très faible sur les décisions autour de l’eau. Il faudrait redonner davantage de poids à certains usagers dans les comités de bassin (instances de concertation locale sur la gestion de l’eau – NDLR). Malheureusement, le gouvernement ne semble pas conscient de la situation et ne prend pas de décision en ce sens. Certaines avancées ne sont pas retenues, alors qu’elles constituent un consensus dans la communauté scientifique et sont mises en place dans certains territoires en France. Les agriculteurs sont nombreux à se considérer paysans avant tout, et non pas exploitants. Il faut surtout montrer les réussites et les modèles vertueux, à la fois pour les écosystèmes, mais aussi pour les agriculteurs.

Entretien réalisé par

Mathieu Lorrriaux

 

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17 août 2020 1 17 /08 /août /2020 05:59
Manifestation de défense de l'emploi chez Hop! à Morlaix en juillet 2020

Manifestation de défense de l'emploi chez Hop! à Morlaix en juillet 2020

Vendredi, 14 Août, 2020 - L'Humanité
Compagnies aériennes. Hop ! largue ses travailleurs

La direction de la filiale d’Air France a présenté mercredi un plan social à ses salariés. Les syndicats dénoncent une manœuvre financière sur le dos des contribuables.

 

Le crash social avait été annoncé début juillet. Ses contours se sont profilés cette semaine, au désespoir des salariés. La direction nantaise de Hop !, filiale d’Air France en charge des vols domestiques, a confirmé mercredi à ses employés qu’elle taillerait massivement dans ses effectifs, au cours d’un CSE extraordinaire. En tout, 1 007 postes en équivalent temps plein seraient supprimés, sur 2 400 emplois. « C’est un plan inadmissible, catastrophique pour les salariés », s’insurge le secrétaire du CSE et élu CGT Hop !, Joël Rondel. Trois sites de maintenance de la compagnie devraient par ailleurs définitivement fermer leurs portes : ceux de Morlaix (Finistère), d’Orly (Val-de-Marne) et de Lille. Seuls les sites de Roissy-Charles-de-Gaulle et Lyon seraient épargnés.

La pilule du PSE a d’autant plus de mal à passer que les raisons avancées par la direction de Hop ! ne convainquent en rien les syndicats. Le Covid-19 aurait trop mis à mal le groupe, déjà déficitaire sur son réseau de court-courriers, en clouant au sol toute sa flotte, et le forcerait à accélérer une restructuration. Air France a pourtant bénéficié d’une aide de l’état de 7 milliards d’euros pour rester à flot, dont 4 milliards de prêts bancaires garantis à 90 % et 3 milliards de prêts directs. « C’est scandaleux, ils se servent de l’argent des Français, de nos impôts, pour saborder la compagnie », fustige un pilote présent au CSE. Environ 350 pilotes (317 postes en équivalent temps plein) devraient perdre leur emploi. Tandis que les patrons garantissent qu’aucun départ contraint n’aura lieu, les syndicats dénoncent un écran de fumée. Des licenciements secs sont à attendre, craignent-ils.

L’argument écologique brandi par la direction de la compagnie française ne convainc pas plus. La suppression des lignes de court-courriers prise en charge par Hop !, trop polluantes, ne serait en fait qu’un leurre. C’est en effet la filiale low-cost d’Air France, Transavia, qui prendra la relève. Une stratégie de rationalisation des coûts aux airs de greenwashing et de sabordage des conditions de travail. « Air France et Hop ! s’assoient sur la loi. Ils ont besoin de pilotes pour le développement de Transavia, mais ils nous mettent à la porte. Nos conditions de reclassement sont extrêmement sévères, on nous impose une sélection très difficile. Et si on est retenu, on repart à zéro en termes d’ancienneté », déplore le pilote. « Ce n’est pas un problème écologique, c’est un problème de rentabilité », abonde Joël Rondel. Avec Transavia, Air France mise sur des travailleurs employés par des sous-traitants en contrats précaires pour réduire ses coûts d’exploitation. Selon le pilote présent au CSE, le groupe compte retrouver l’équilibre financier dans trois à quatre ans avec cette stratégie. Mais, chez les syndicats, ce double sacrifice social des salariés de Hop ! et des futurs précaires de la compagnie low-cost ne passe pas.

Débutent à présent quatre mois de discussions et de négociations autour du PSE présenté par la direction de Hop !. Et les travailleurs ne comptent pas arrêter le combat. « On va amplifier la lutte, et on sera dans la rue le 17 septembre pour la rentrée sociale », assure le cégétiste. En plus des travailleurs de Hop !, 6 500 salariés d’Air France pourraient être licenciés.

Marie Toulgoat, L'Humanité
Compagnies aériennes. Hop ! largue ses travailleurs - Marie Toulgoat, L'Humanité, 14 août 2020
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13 août 2020 4 13 /08 /août /2020 08:19

 

Il est d’autant plus difficile de quantifier le racisme en France que les données disponibles sont dispersées et souvent peu fiables. Si l’on enregistre manifestement une augmentation des actes racistes depuis 2018, la tolérance semble elle aussi en hausse, à rebours des discours dominants.

En 2017, 1,1 million de personnes déclaraient avoir subi au moins un acte raciste, soit 1 personne sur 45(1). En 2019, le ministère de l’Intérieur comptabilise 5 730 infractions(2) et la justice a mis en place en 2018 : 1 385 alternatives aux poursuites, poursuivi 985 personnes et prononcé 393 condamnations(3). Dire que le chiffre noir(4) est important est un euphémisme ! Les différences de dates entre ces trois données sont aussi un indicateur… Pour analyser le racisme en France, il faut croiser des données multiples qui ne mesurent pas la même chose.

 

Des sources diverses

La première série de données provient de l’auto-déclaration. En attendant les résultats de la nouvelle enquête « Trajectoires et origines » (TeO2), menée par l’INSEE et l’Institut national d’études démographiques (INED), en cours de réalisation, nous ne disposons que de l’enquête annuelle « Cadre de vie et sécurité », qui a pour objectif d’identifier le sentiment d’insécurité. Elle reste notre principale source en population générale avec 16 000 ménages répondant à l’enquête. Les questions précisent le caractère « raciste, antisémite, xénophobe » des injures subies depuis 2007, des actes de menaces depuis 2012, des violences physiques depuis 2016. Ce travail était commandé par l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP), qui vient d’être supprimé par le gouvernement, tout comme l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale (ONPES). Il y a donc lieu de s’inquiéter de voir disparaître des données scientifiquement fondées. Mais casser les thermomètres n’est-ce pas un moyen de cacher l’échec d’une politique ?
Le second paquet de données se contente de mesurer l’activité des administrations. Pour le seul ministère de l’Intérieur, il existe trois sources de données. Il y a d’abord celles du Service statistique ministériel de la sécurité intérieure (SSMSI). Les données collectées par ce service portent sur les procédures enregistrées par la police et la gendarmerie, sur la base d’une série d’infractions commises « en raison de la race, de l’origine, de l’ethnie ou de la religion », et transmises au parquet. Elles excluent par exemple les mains courantes. En 2019, les services de police et les brigades de gendarmerie ont enregistré 5 730 infractions de nature criminelle ou délictuelle. Après trois années consécutives de baisse pour ce contentieux (– 20 % entre 2015 et 2016, – 11 % entre 2016 et 2017 et – 4 % entre 2017 et 2018), une hausse de 11 % est enregistrée entre 2018 et 2019.

« Les réseaux sociaux sont les principaux supports de messages de haine. La majorité des signalements concerne les entreprises états-uniennes (Twitter : 8 376 signalements, Facebook : 2 066, Youtube : 761). »

Ensuite, il y a les données de la Plate-forme d’harmonisation, d’analyse, de recoupement et d’orientation des signalements (PHAROS). Chargée de la criminalité sur Internet, elle est toujours limitée par le nombre d’enquêteurs (30) et les priorités données au terrorisme sur le Net qui ne représente que 2,68 % des signalements mais l’occupe beaucoup. En 2019, la PHAROS a reçu 228 545 signalements (contre 163 723 en 2018) dont 17 555 dans le domaine des discriminations, soit 7,68 % des signalements (8,75 % en 2018), sachant qu’il peut y avoir plusieurs signalements pour un même contenu. Les réseaux sociaux sont les principaux supports des messages de haine. La majorité des signalements concerne les entreprises états-uniennes (Twitter : 8 376 signalements, Facebook : 2 066, Youtube : 761).

Enfin, il y a les données du Service central du renseignement territorial (SCRT). On y trouve toutes les catégories d’actes, de crimes et de délits mélangés. Ces chiffres, qui sont utilisés tous les ans par le gouvernement à la fin-janvier, sont particulièrement sujets à caution. Ils ne prennent pas en compte la qualité du recueil des actes : il est parfois difficile de différencier ce qui relève du pur vandalisme, ou de sectes « satanistes », d’actes racistes. Les chiffres sont livrés brut et souvent de manière orientée : en janvier 2019, à l’annonce des données du SCRT, les média ont relayé une augmentation de 130 % du racisme en France. Ces chiffres portaient sur la catégorie des « autres actes racistes et xénophobes » et non sur la totalité des faits, ce qui ramène l’augmentation à « seulement » 38 %…

« L’ONDRP vient d’être supprimé par le gouvernement, tout comme l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale (ONPES). Il y a donc lieu de s’inquiéter de voir disparaître des données scientifiquement fondées. »

De plus, une partie des faits sont rapportés par les associations issues des communautés. Or il n’y a pas d’organisation communautaire rom, le Conseil français du culte musulman (CFCM) est bien incapable d’avoir un observatoire efficace sur les actes antimusulmans. En revanche, les Églises chrétiennes font le travail et la communauté juive, est, elle, très bien organisée. En conséquence, il est donc fort probable que le chiffre noir des actes antisémites soit sensiblement plus faible que celui d’autres communautés peu ou pas organisées.

Après une tendance à la baisse des actes racistes continue entre 2015 et 2017, les chiffres communiqués depuis 2018 par le SCRT marquent une hausse qui concerne l’ensemble des catégories mesurées. Les actes antimusulmans enregistrent une hausse globale de 54 % sur l’année écoulée, soit 154 actes (contre 100 en 2018). Les actes antisémites comptabilisés ont connu une hausse de 27 %, passant de 541 en 2018 à 687 en 2019. Précisons que ces actes sont très majoritairement localisés en Île-de-France. Les autres actes, réunis sous la catégorie générique d’« actes racistes », enregistrent une hausse globale de 131 % (1 142 en 2019 contre 496 en 2018). Les populations noires (218 contre 137 en 2018, soit + 59 %) et arabes (213 contre 125 en 2018, soit + 70 %) restent les plus ciblées.

Pour le ministère de la Justice, les chiffres disponibles sont ceux de 2018. 6 603 affaires à caractère raciste ont été orientées par les parquets, comportant 6 107 personnes mises en cause. Ce qui représente une hausse de 6 % des affaires et 7 % des auteurs orientés par rapport à 2017. Parmi les 6 107 personnes mises en cause et orientées en 2018, près de 7 % étaient mineures et 178 mis en cause étaient des personnes morales. 54 % des 6 107 auteurs orientés par les parquets ont fait l’objet d’un classement sans suite, soit 3 305. 42 % des réponses pénales (985 personnes) se sont traduites par une poursuite devant les juridictions pénales et 58 % par une procédure alternative aux poursuites (1 385). Quant aux condamnations, le nombre de 393 en 2018 est inférieur à ceux des années précédentes (entre 440 et 510 de 2012 à 2017). Être condamné pour racisme relève donc de l’exception… Enfin, le chiffre noir est là aussi important parce qu’il n’est pas possible d’identifier toutes les affaires. Par exemple, si plusieurs circonstances aggravantes sont retenues, le logiciel du ministère permet uniquement de saisir le code « avec plusieurs circonstances aggravantes » ; il n’est donc que rarement possible d’identifier les circonstances aggravantes racistes en matière de violence.

 

La tolérance à l’autre

L’enquête du Système d’information et de vigilance sur la sécurité scolaire (SIVIS), mise en place à la rentrée 2007 dans l’Éducation nationale, est trop fragmentaire et ne permet pas d’analyser le phénomène en milieu scolaire. Ajoutons qu’il existe le baromètre du défenseur des droits et de l’Organisation internationale du travail (OIT) sur les discriminations dans l’emploi.
Les dernières données sont celles de l’enquête annuelle menée depuis 1991 par la Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH). Cette enquête vaut surtout par la stabilité des questions posées depuis le début et par l’analyse des chercheurs. Pour des raisons budgétaires, cette enquête est remise en cause dans sa forme, ce qui va là encore conduire à casser le thermomètre…

« La minorité rom/tzigane n’est acceptée que par 35 % de la population : les Roms restent de très loin le groupe le plus rejeté, mais celui sur lequel il n’existe pas de données. »

Pourtant, l’enquête rompt avec le discours dominant : la tolérance à l’autre, au différent, n’a jamais été aussi forte que sur les trois dernières années en se stabilisant autour de 66 % ! Depuis trois ans, l’acceptation des minorités noires et juives se situe autour de 80 %, la minorité arabe de 70 % et celle des musulmans de 60 %… La minorité rom/tzigane n’est acceptée que par 35 % de la population : les Roms restent de très loin le groupe le plus rejeté, mais celui sur lequel il n’existe pas de données !

« Casser les thermomètres n’est-ce pas un moyen de cacher l’échec d’une politique ? »

Plus on va à l’école, plus on est jeune, plus on se situe à gauche et moins on est raciste et moins on rejette l’autre. La tolérance à l’autre est autour de 70 % pour les personnes nées après 1977 contre 60 % pour ceux nés avant 1955. Elle est de 75 % pour les titulaires de diplômes du supérieur contre 60 % pour les non-diplômés ! Et 73 % des gens de gauche sont tolérants contre 52 % à droite… Il y a donc toujours une différence entre droite et gauche ! L’enquête rappelle aussi que la perspective d’une « lutte vigoureuse » contre le racisme est partagée par plus de 75 % de la population. Plus de 9 Français sur 10 considèrent qu’il est grave de refuser l’embauche d’une personne noire qualifiée pour le poste et 60 % ne se déclarent « pas racistes du tout » !
Certes, la bataille contre le racisme n’est pas gagnée, un peu moins de 20 % de la population se reconnaît raciste, et il reste des gens qui pensent que le racisme biologique existe. Même si cela représente moins de 10 % de la population, c’est parmi ces personnes que les agressions, les insultes sont banalisées. Internet, les réseaux sociaux et certains média peuvent les relayer et ils savent qu’il y a peu de risques qu’ils soient condamnés…

« La perspective d’une “lutte vigoureuse” contre le racisme est partagée par plus de 75 % de la population. »

L’idéologie d’extrême droite agite le rejet de la différence, la peur de l’autre, elle rencontre une demande d’autorité de la population qui veut se protéger de la pauvreté, de la dérégulation et de la concurrence sauvage. C’est donc à la gauche de dessiner un monde qui allie la sécurité sociale intégrale, la qualité de l’emploi et de vie avec l’égalité, la défense des libertés pu­bliques et la fraternité. 

 

Alain Dru est membre du Conseil économique, social et environnemental (CESE). Il représente la CGT à la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CHCDH) et au Conseil économique, social et environnemental (CESE).

 


1. Enquête annuelle « Cadre de vie et sécurité » – Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) et Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP) – 16 000 répondants de 14 ans et plus de métropole.
2. Service statistique ministériel de la sécurité intérieure (SSMSI) – Bilan 2019.
3. Ministère de la Justice – sous-direction de la statistique et des études du secrétariat général (SDSE-SG) – Tables statistiques du casier judiciaire national – direction des affaires criminelles et des grâces – pôle d’évaluation des politiques pénales (DACG-PEPP) – Données 2018 provisoires, derniers chiffres connus.
4. Les documents administratifs, policiers et judiciaires ne permettent pas de connaître le niveau exact de la criminalité, car ils ne peuvent tenir compte que des infractions qui ont été constatées ou pour lesquelles il a été porté plainte. Le degré de la criminalité réelle est évalué, sur cette base, par des suppositions, des estimations, des extrapolations ; c’est le chiffre noir de la criminalité. 

 

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