Marwan Barghouthi : lettre de Desmond Tutu au Comité Nobel de Norvège
Desmond Tutu, mercredi 8 juin 2016
Au Comité Nobel de Norvège
Henrik Ibsens gate 51 0255
Oslo, NORVEGE
Par la présente, je propose la nomination de Marwan Barghouthi, dirigeant palestinien emprisonné, pour le Prix Nobel de la Paix.
Emprisonné une première fois à l’âge de 15 ans, Marwan Barghouthi a passé plus de 20 ans de sa vie dans les prisons israéliennes. Il fut le premier parlementaire palestinien à être kidnappé, en 2002. Nombre de ses collègues devaient suivre, presque la moitié du Conseil législatif palestinien ayant été arrêté ces dix dernières années.
L’arrestation de ces élus constitue une attaque flagrante contre la nation palestinienne, la démocratie et le droit. Depuis 1967, Israël a arrêté plus de 850 000 Palestiniens. C’est l’exemple le plus frappant dans l’histoire contemporaine d’arrestations arbitraires de masse. Dans sa volonté de briser un peuple qui, tout entier, réclame la liberté et l’indépendance, il a arrêté des dirigeants, des militants, des universitaires, des journalistes, des femmes et des enfants, des personnes âgées, des défenseurs des droits humains.
Les 7000 Palestiniens détenus aujourd’hui par Israël sont le reflet de l’emprisonnement de toute la nation et de la négation de ses droits par l’occupation, l’oppression et le blocus.
La libération des prisonniers palestiniens est un pré-requis pour la liberté du peuple palestinien.
La nomination de Marwan Barghouthi, symbole de la lutte du peuple palestinien pour la liberté, est un signal fort en faveur de la réalisation des droits inaliénables du peuple palestinien, y compris l’auto-détermination.
Il existe un consensus international autour de ces droits mais ils doivent être soutenus par des actes symboliques et pratiques qui entraîneront la fin de l’occupation comme étape indispensable pour accéder à la paix.
Marwan Barghouthi s’est battu pour la liberté et pour la paix. Il a émis une corrélation entre ces deux combats en déclarant que le dernier jour de l’occupation serait le premier jour de la paix.
Du fond de sa cellule il a initié le document des prisonniers, signé par les dirigeants palestiniens de tous bords politiques, qui constitue aujourd’hui encore la base des efforts déployés pour la réconciliation nationale et qui est le programme politique permettant d’atteindre l’unité, la liberté et la paix.
Marwan est aussi un partisan de la démocratie et des droits de l’Homme qu’il défend activement, y compris les droits des femmes, tout comme il défend le pluralisme, politique et religieux, dans une région et un monde qui manquent cruellement de tels partisans.
Bientôt la Palestine commémorera la Nakba qui, 70 ans plus tôt, entraina la dépossession et le déplacement du peuple palestinien et la négation de ses droits. La Palestine demeure aujourd’hui le symbole de l’échec de la communauté internationale à assumer ses obligations, à savoir respecter et faire respecter le droit international et établir la paix et la sécurité du monde.
J’en appelle aux membres du Comité Nobel norvégien afin qu’ils saisissent cette occasion de remettre sur le devant de la scène la question de Palestine et tous les appels pour une paix juste et durable. C’est un avenir que Marwan Barghouthi continue de prôner et pour lequel il agit malgré des années d’emprisonnement et d’isolement.
En 2013, une Campagne internationale pour la Libération de Marwan Barghouthi et de tous les prisonniers palestiniens fut lancée à Robben island par l’une des icones de notre lutte contre l’apartheid, Ahmed Kathrada, depuis la cellule du symbole universel de paix qu’est Nelson Mandela.
Avec 7 autres lauréats du prix Nobel de la Paix, j’ai décidé de soutenir cette campagne car elle reflète bien notre conviction que la liberté est le seul chemin vers la paix.
La Campagne est soutenue par 115 gouvernements un peu partout dans le monde, par 15 anciens chefs d’Etats ou de gouvernements, des parlementaires, des artistes et des intellectuels, des universitaires, des organisations qui défendent les droits humains, de même que par des milliers de citoyens sur la planète. Ce vaste soutien international connaîtra un essor encore plus grand si Marwan obtient le Prix Nobel de la paix.
J’espère que le Comité Nobel va prendre une décision courageuse qui nous rapprochera du jour où cette terre sainte, chargée d’une valeur symbolique absolument unique, cessera d’être le témoin vivant de l’injustice et de l’impunité, de l’occupation et de l’apartheid, et deviendra enfin le phare de la liberté, de l’espoir et de la paix.
Que Dieu vous bénisse.
Archevêque émérite Desmond Tutu Le Cap, Afrique du Sud, 6 juin 2016
Lu sur la lettre d'info de l'AFPS
Lire aussi sur L'Orient le jour:
Marwan Barghouti : un destin à la Mandela ?
Sept députés belges ont appuyé la candidature au prix Nobel de la paix du leader palestinien emprisonné depuis 14 ans par Israël.
Caroline Hayek, L’Orient le Jour, mardi 7 juin 2016
On le surnomme le Mandela palestinien. Parce que cela fait déjà vingt ans qu’il est incarcéré dans les geôles israéliennes, dont les quatorze dernières années sans discontinuer, et trois en isolement, Marwan Barghouti est devenu l’incarnation de la résistance palestinienne et le premier parlementaire palestinien détenu par l’État hébreu. En octobre 2013, a été lancée la campagne internationale pour sa libération ainsi que celle des 7 000 autres prisonniers, dont 7 parlementaires, 400 enfants, 30 prisonniers pré-Oslo, 67 femmes, 20 journalistes, 750 détenus administratifs et des centaines de prisonniers malades.
Défenseur des droits de l’homme, avocat acharné du pluralisme palestinien, tant religieux que politique, Marwan Barghouti a été la figure d’un combat politique, durant toutes ces années en tant que parlementaire, depuis son élection en 1996 jusqu’à son arrestation en 2002. Il est apparu comme « une composante essentielle de notre identité et de notre destin », estime le diplomate palestinien, Majed Bamya, coordinateur général de la Campagne internationale pour la libération de Marwan Barghouti et de tous les prisonniers palestiniens, interrogé par L’Orient-Le Jour. Le 18 mai dernier, sept parlementaires belges, appartenant à cinq partis différents, ont présenté la candidature du leader palestinien au prix Nobel de la paix. Cette première nomination européenne vient appuyer davantage la campagne en faveur de sa libération.
Marwan Barghouti, enfant de Kobar, près de Ramallah, naît en 1959. Alors adolescent, il s’engage dans le Fateh et cofonde le mouvement des jeunes du parti, les Chabiba, en Cisjordanie. À l’instar de Nelson Mandela, qui avait également formé le mouvement de la jeunesse au sein de sa faction politique, l’ANC.
Cette nouvelle nomination au prix Nobel de la paix, par des parlementaires belges, vient s’ajouter à plusieurs autres. En janvier dernier, Adolfo Pérez Esquivel, Prix Nobel de la paix argentin, icône de la lutte pour la liberté contre les dictatures en Amérique latine et ancien prisonnier politique, a proposé le nom du leader palestinien. Le Parlement arabe a suivi, à l’unanimité, ainsi que le président de l’Union interparlementaire arabe et chef du législatif libanais, Nabih Berry.
« Personnage emblématique »
Ces soutiens sont le fruit du travail acharné des meneurs de la campagne internationale pour la liberté de Marwan Barghouti et de tous les prisonniers palestiniens. Cette campagne a été lancée le 27 octobre 2013 depuis la cellule de Nelson Mandela, par l’homme qui qui était à l’origine de la campagne Free Mandela, Ahmad Kathrada, avant de passer lui-même 26 ans dans les geôles de l’apartheid. Elle a, depuis, reçu le soutien de 8 prix Nobel de la paix (Jimmy Carter, Adolfo Perez Esquivel, José Ramos Horta, Desmond Tutu, Mairead Maguire, Jody Williams, Sherin Ebadi, Rigoberta Menchú Tum), 115 gouvernements et 15 anciens chefs d’État. Le soutien est notamment venu de centaines de parlementaires, d’artistes et d’intellectuels du monde entier. De leur côté, les lauréats tunisiens du Nobel 2015 lui ont remis symboliquement leur prix.
Gwenaëlle Grovonius, députée fédérale belge et présidente de la section Palestine de l’Union interparlementaire, est l’une des sept signataires ayant appuyé la candidature de Marwan Barghouti. « Pour moi, c’est un personnage emblématique de la résistance du peuple palestinien et tout à fait représentatif de la question plus large des prisonniers palestiniens », confie-t-elle à L’Orient-Le Jour. Engagée durant ses années d’étudiante en faveur de la cause palestinienne, Gwenaëlle Grovonius a, depuis son élection au Parlement belge en 2014, mené plusieurs actions en ce sens. « Pour l’instant, nous n’avons pas encore reçu de réaction de la part du Comité Nobel norvégien, mais même si cette candidature n’aboutit pas, le seul fait d’avoir réussi à mettre cette question en lumière et d’avoir mobilisé un grand nombre de parlementaires, tous partis confondus, pour soutenir cette action, est déjà un succès en soi », estime-t-elle.
Criminaliser la lutte
Figure de proue de la première intifada en 1987, pour laquelle il sera expulsé en Jordanie jusqu’en 1994 jusqu’à la signature des accords d’Oslo, puis de la seconde intifada en 2000, Marwan Barghouti devient l’une des personnalités politiques à abattre. Alors secrétaire général du Fateh en Cisjordanie, il est arrêté en 2002 par les forces israéliennes et il est condamné le 20 mai 2004 pour cinq meurtres, y compris pour avoir organisé l’attentat du Sea Food Market à Tel-Aviv en 2002, dans lequel trois civils ont été tués. Le 6 juin, Barghouti est condamné à cinq peines de réclusion à perpétuité pour les cinq meurtres et à 40 ans d’emprisonnement pour tentative de meurtre. Le président sud-africain a, lui aussi, dirigé l’aile armée de son parti lors de son arrestation et a toujours prôné le droit à la résistance, même par le biais des armes.
Pour Majed Bamya, Israël a arrêté Marwan Barghouti dans l’espoir de criminaliser la lutte du peuple palestinien. Refusant de se défendre, il a toujours clamé son innocence et a refusé de reconnaître la légitimité du tribunal israélien. Tout comme Mandela à l’époque. « Marwan a réussi à transformer son procès en procès de la puissance occupante », estime Majed Bamya.
Fort du soutien de la population, mais également d’une partie de la communauté internationale, le prisonnier le plus célèbre de Palestine est devenu au fil de ses années d’incarcération un artisan de l’unité, de la liberté et de la paix. La campagne de dénigrement menée par le gouvernement israélien n’a su empêcher la montée en puissance de ce personnage politique, considéré par certains comme le nouvel Arafat.
Alors que les chances de se voir remettre le prix Nobel de la paix augmentent au fil des semaines, le gouvernement israélien pourrait s’inquiéter de la popularité grandissante de son prisonnier numéro 1. Après dix années passées dans la cellule 28 de la prison de Hadarim, Marwan Barghouti a été transféré il y a deux semaines dans celle de Ramon, où il aurait été accueilli en héros par les autres détenus. Mais cinq jours plus tard, ses proches étaient sans nouvelles de lui, après un second transfert vers un lieu inconnu. Selon les informations recueillies par L’Orient-Le Jour, il serait désormais détenu dans la prison de Galbou, sous haute sécurité, et aurait été victime d’un transfert punitif.
Futur leader ? Dans le dernier sondage d’Awrad, l’un des instituts les plus importants de Palestine, Marwan Barghouti a été crédité d’une popularité inégalée et sans précédent de 82 % dans le territoire palestinien occupé, avec un taux de popularité plus fort à Gaza qu’en Cisjordanie. Toujours selon le sondage, « Marwan Barghouti est le leader le plus éligible, suivi de Mahmoud Abbas et d’Ismaïl Haniyé. Preuve que loin de l’avoir coupé de ses soutiens, l’emprisonnement de M. Barghouti a eu exactement l’effet inverse puisqu’il a renforcé sa légitimité aux yeux de la population palestinienne ».
« Marwan est en ces temps de division le symbole de l’unité palestinienne ; en ces temps où l’occupation semble invincible, un espoir de liberté ; en ces temps de fanatisme, d’extrémisme et de terrorisme, un artisan de paix, de pluralisme, de coexistence », estime Majed Bamya, selon qui Marwan Barghouti peut être le catalyseur d’une nouvelle ère du projet national palestinien. Ce dernier serait le seul capable de reconstituer une unité palestinienne à même de réconcilier Ramallah et Gaza.
La mobilisation des proches et des scènes nationale et internationale en faveur de la libération du leader palestinien fera-t-elle plier un jour où l’autre Israël, à l’heure où le gouvernement est plus à droite que jamais ? Sa détention arrangerait-elle certains hauts cadres du Fateh qui voient d’un mauvais œil les nominations au prix Nobel déferler ? Selon une source proche de l’Autorité palestinienne, même les concurrents de Marwan Barghouti, qui pensaient que sa présence en prison l’éliminerait de tout destin national, ont désormais compris qu’il est le choix du peuple. « Ils ont désormais commencé à se rallier à lui. Soit par conviction, soit par calcul », confie-t-elle.
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