Le conflit entre les rebelles kurdes du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK, interdit en Turquie) et Ankara « pourrait être réglé en six mois » si les négociations de paix venaient à reprendre, a estimé Abdullah Öcalan, le chef emprisonné du PKK, dont les propos ont été rapportés par son frère Mehmet Öcalan, lundi 12 septembre.
C’est la première fois depuis octobre 2014 que le chef kurde, surnommé « Apo », peut recevoir la visite d’un membre de sa famille sur l’îlot-prison d’Imrali (mer de Marmara) où il purge une peine de prison à vie pour avoir dirigé la lutte armée contre l’Etat turc, qui a causé 40 000 morts depuis les années 1980.
La dernière visite autorisée était celle d’une délégation du Parti démocratique des peuples (HDP, prokurde, troisième formation du Parlement) en avril 2015. Depuis, les militants n’ont cessé de s’inquiéter au sujet de l’état de santé de leur chef historique, âgé de 68 ans, et objet d’un véritable culte.
Reprise des hostilités
Alarmés, une cinquantaine de militants prokurdes, revêtus d’un tee-shirt à l’effigie de leur chef, ont entamé tout récemment une grève de la faim à Diyarbakir (sud-est), exigeant la fin de son isolement. Après avoir entendu le message de Mehmet Öcalan, venu à Diyarbakir, lundi 12 septembre, au lendemain de sa visite à Imrali, le mouvement a cessé.
« AUCUNE PARTIE NE PEUT GAGNER CETTE GUERRE. IL EST TEMPS DE FAIRE CESSERLES LARMES ET LE BAIN DE SANG »
« Il a dit que si l’Etat était prêt pour ce projet, nous pourrions le finir en six mois, et que le précédent processus n’était pas complètement effacé, a expliqué Mehmet Öcalan. Aucune partie ne peut gagner cette guerre. Il est temps de faire cesser les larmes et le bain de sang, c’est ce qu’il a dit. »
L’appel du chef kurde intervient au moment où les affrontements sont quotidiens dans les régions majoritairement peuplées de Kurdes à
l’est et au sud-est du pays. Lundi, cinquante personnes (46 civils et quatre policiers) ont été blessées dans un attentat à la voiture piégée attribué au PKK à Van (est), non loin de la permanence du Parti de la justiceet du développement (AKP, islamo-conservateur), au pouvoir depuis 2002.
De 2012 à 2015, des pourparlers historiques avaient eu lieu entre le gouvernement et le PKK. Ils ont volé en éclats à l’été 2015, quand le PKK a revendiqué l’assassinat de deux policiers à Ceylanpinar, après un attentat-suicide (33 morts) survenu non loin de là, à Suruç, lors d’un rassemblement de la gauche prokurde.
Quelques mois plus tôt, le président Recep Tayyip Erdogan avait rejeté la « feuille de route pour la paix » en dix points, dévoilée par son gouvernement.« Electoralement parlant, estime l’universitaire Ahmet Insel, faire la paix avec le PKK n’était pas une stratégie payante pour Recep Tayyip Erdogan, puisqu’il a vu le score de son parti baisser aux législatives de juin 2015 au profit du HDP, le parti prokurde, qui, franchissant pour la première fois la barre des 10 %, a fait son entrée au Parlement. »
Depuis, les hostilités ont repris de plus belle entre les rebelles kurdes et les forces turques. Il ne se passe pas un jour sans l’annonce d’un attentat ou d’une attaque à l’explosif contre un convoi militaire dans les régions kurdes. Forts de l’expérience acquise en Syrie, où le PKK combat les djihadistes de l’organisation Etat islamique (EI) au côté des milices kurdes syriennes (les Unités de protection du peuple, YPG) qui lui sont affiliées, les rebelles kurdes ont de plus en plus recours aux engins explosifs télécommandés et aux attentats-suicides.
« En position offensive »
La situation en Syrie, où les YPG veulent établir une région autonome kurde le long de la frontière turque, ruine, pour le moment, toute perspective d’un retour à la table des négociations en Turquie. Au moment où l’armée turque mène des opérations contre l’EI et contre les YPG dans le nord de la Syrie, le gouvernement ne veut pas entendre parler de paix avec le PKK. « Nous sommes en position offensive », a rappelé récemment le premier ministre, Binali Yildirim.
Une purge drastique s’est abattue sur le PKK. Le 8 septembre, le premier ministre a annoncé la mise à l’écart de 11 835 enseignants soupçonnés de sympathie envers lui. Ils s’ajoutent aux 23 000 enseignants déjà suspendus ou limogés pour leurs liens présumés avec la communauté religieuse de Fethullah Gülen, désignée par Ankara comme l’instigatrice du putsch raté du 15 juillet.
Soumise à l’état d’urgence depuis le 18 juillet, la Turquie vit au rythme des décrets-lois. Le dernier en date prive 28 maires de leurs mandats. Accusés d’être liés au PKK ou à la mouvance Gülen, ils ont été remplacés par des administrateurs proches de l’AKP. La plupart des municipalités concernées (Sur, Silvan…) sont situées dans le sud-est du pays, où le PKK est bien implanté.
Bien que révéré, Abdullah Öcalan fait de plus en plus figure d’icône sans rôle décisionnel important, tandis que la direction militaire du PKK, basée au mont Qandil, dans le nord de l’Irak, a la main sur le mouvement.