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24 juillet 2021 6 24 /07 /juillet /2021 09:20
Marie Salou, résistante communiste brestoise et déportée a Ravensbrück et Mathausen, rendait hommage aux 19 fusillés communistes brestois du Mont-Valerien du 17 septembre 1943 avec les petits-enfants d'Angéline et Maurice Dollet,  et le maire de Brest, ainsi que François Tournevache, natif de Berrien en 1916, cheminot, militant communiste et cégétiste à Morlaix et à Brest,  résistant envoyé en camp de concentration en France (Châteaubriant, Pithiviers, île de Ré), conseiller municipal PCF de Morlaix à la Libération, secrétaire de la fédération PCF du Finistère en 1949, puis responsable de l'ANACR.  Photo et article de journal de la collection privée de Claudie Quillec, la fille de la résistante Angeline-Yvette Dollet, née Yvinec, agent de liaison du bataillon Yves Giloux

Marie Salou, résistante communiste brestoise et déportée a Ravensbrück et Mathausen, rendait hommage aux 19 fusillés communistes brestois du Mont-Valerien du 17 septembre 1943 avec les petits-enfants d'Angéline et Maurice Dollet, et le maire de Brest, ainsi que François Tournevache, natif de Berrien en 1916, cheminot, militant communiste et cégétiste à Morlaix et à Brest, résistant envoyé en camp de concentration en France (Châteaubriant, Pithiviers, île de Ré), conseiller municipal PCF de Morlaix à la Libération, secrétaire de la fédération PCF du Finistère en 1949, puis responsable de l'ANACR. Photo et article de journal de la collection privée de Claudie Quillec, la fille de la résistante Angeline-Yvette Dollet, née Yvinec, agent de liaison du bataillon Yves Giloux

Résistance finistérienne - l'inauguration du monument aux 19 fusillés - résistants communistes brestois - du Mont Valérien (17 septembre 1943) à Brest au jardin du Guelmeur en présence de François Tournevache, du maire de Brest, et de Marie Salou
Marie Salou, résistante communiste brestoise et déportée a Ravensbrück et Mathausen, rendait hommage aux 19 fusillés communistes brestois du Mont-Valerien du 17 septembre 1943 avec les enfants d'Albert Yvinec et le maire de Brest, ainsi que François Tournevache, natif de Berrien en 1916, cheminot, militant communiste et cégétiste à Morlaix et à Brest,  résistant envoyé en camp de concentration en France (Châteaubriant, Pithiviers, île de Ré), conseiller municipal PCF de Morlaix à la Libération, secrétaire de la fédération PCF du Finistère en 1949, puis responsable de l'ANACR.
 
Photo et article de journal de la collection privée de Claudie Quillec, la fille de la résistante Angeline-Yvette Dollet, née Yvinec, agent de liaison du bataillon Yves Giloux.
 
Marie Salou (née Marie Cam) - 1914-2011
Marie Cam-Salou est née en 1914 à Saint-Marc, aujourd'hui un quartier de Brest, jadis une commune indépendante, d’un père ouvrier à l’Arsenal de Brest (Finistère) et d’une mère travaillant à la Poudrerie de Saint-Nicolas au Le Releq-Kerhuon (Finistère). Marie Cam avait deux sœurs plus âgée qu’elle. Elle se maria le 4 juin 1932 avec Goulven Salou, ajusteur à l’arsenal. Ils eurent deux enfants.
Marie Salou milita au Comité mondial des femmes contre la guerre et le fascisme où elle s’occupa notamment de l’aide aux enfants de républicains espagnols.
Elle adhéra au Parti communiste en 1939.
Après la déclaration de guerre et la mobilisation, le couple fut séparé. En 1940, son mari se retrouva à Dakar (Sénégal), puis Casablanca (Maroc), où il entra dans la Résistance. En avril 43 il intégra la 1re DFL et fut envoyé en Tunisie. Il participa à la libération de l’Italie, au débarquement de Provence, et l’avancée sur Marseille, Lyon, et Colmar.
Membre du P.C.F clandestin, elle héberge les résistants recherchés par la police ou les allemands. Début 1942 elle aide plusieurs prisonniers républicains espagnols à fuir la ville. Elle participe à la manifestation du 28 avril 1942. En Août 1942 elle saccage avec une amie la vitrine de la L.V.F rue de Siam. Arrêtée en octobre 1942 par des policiers français, elle est brutalisée. Internée, elle est finalement remise aux allemands qui la juge à Fresnes en 1943. Déportée, elle revient en 1945 très affaiblie. ----- Angèle Kerlirzin-Le Nédelec, née en 1910 à Scrignac. Membre du P.C.F clandestin. A la débâcle elle cache des armes récupérés par son mari. Participe à la diffusion des tracts du P.C.F et F.N. Elle participe à la manifestation du 28 avril 1942 et à la tentative de manifestation patriotique du 14 juillet 1942. Arrêtée en octobre, elle est également internée à Brest, Vitré et Rennes. Libérée en Novembre 1943, elle gagne les Côtes-du-Nord et intègre les F.T.P.
Elle fut libérée le 28 avril 1945 à Mauthausen (Allemagne).
Revenue en France, tout en continuant à militer au Parti communiste, elle adhéra et milita, à l’Union des Femmes Française, à la FNDIRP, à l’ARAC.
On la décora de la Médaille de la déportation, de celle du Combattant volontaire de la Résistance, de la Croix de guerre 39-45, de la Médaille militaire. Elle fut fait Chevalier de la légion d’honneur.
 
Itinéraire d'une Déportée
De Brest a Mauthausen
Marie SALOU
1942-1945
par Jean Nédélec d'après les archives de Marie Salou
 
01.10.1942- arrestation
Fin novembre, prisons: Château de Brest, Centrale de Rennes
11.12.1942 : jugement à Rennes
13.04.1943 : départ de la centrale de Rennes pour la prison Jacques Cartier
Juillet 1943 : départ pour la prison de Fresnes
Aout 1943 : jugement allemand
23.12.1943 : départ de Fresnes pour I'Allemagne. Arrivée à Karlsruhe
8 jours a Francfort sur Ie Main 4 jours a Guenmiz
07.01.1944: arrivée à Walheim
14.02.1944: depart pour Lubeck en passant par Berlin et Hambourg
Mai 1944 : départ pour Cottbus
07.11.1944: départ pour Ravensbruck
07.11.1945: départ de Ravensbruck pour Mathausen
20.03.1945: bombardement d' Amsteten
24.05.1945: libération par la Croix Rouge Internationale 11.06.1945: arrivée à Brest
 
Marie Salou, née Cam, a vu le jour le 30.11.1914 à St Marc. Dès l'âge de 16 ans elle apprend le métier de couturière, trois ans d'apprentissage auprès d'ouvrières très expertes, avant de devenir elle-même ouvrière. Très vite elle va connaître la vie militante, notamment au moment de la guerre civile en Espagne.
En 1936, elle faisait partie de l'Association Nationale du soutien de l'enfance malheureuse avec Jeanne Cariou, Alice de Bortoli, Mmes Bernard, Riou et Duchêne.
Ces femmes avaient pris en charge les réfugiés républicains espagnols qui avaient fui la guerre civile de leur pays. Ils étaient hébergés dans des baraquements à Berthaume qui servaient de lieux de vacances pour la commune de Lambezellec dont le responsable était M. Le Berre et son épouse, instituteurs a l'école de Kerraloche. Le Secours Populaire était aussi partie prenante dans cette action. Marie Salou, en juin 1939, va faire un nouveau pas dans sa vie en adhérant au Parti Communiste Français.
Dès 1940 va commencer sa vie de résistante. Tout d'abord avec des distributions de tracts et des journaux clandestins du Parti Communiste. En aout 1941, elle ajoute à ses activités celles d'hébergement de résistants du P.C et du F.N. en mission (il s'agit bien entendu du Front National de la Résistance) Goulven Salou son mari, prisonnier évadé, avait du partir en zone libre en janvier 1941. En février, restant seule avec sa fille, il lui a fallu travailler cinq mois au Fort de Penfeld où était cantonnée l'organisation Todt qui s'occupait de la construction du Mur de l'Atlantique.
Elle réussissait dans cet endroit à lâcher quelques tracts rédigés en allemand qui lui étaient fournis par Charles Cadiou. En avril 41, elle héberge Venise Gosnat*, responsable national et son épouse, en attendant qu'on leur trouve une planque dont devait se charger Jean Le Nedellec.
* Venise Gosnat, alias Georges, inter-régional responsable de la résistance communiste en Bretagne (décembre 1940- décembre 1942)
En juin 41, Marie a voulu rejoindre Goulven à Dakar. Hélas, elle ne faisait qu'un aller-retour a Paris n'ayant qu'un laisser passer pour la ligne de démarcation. Revenue a Brest, elle se remettait au travail, il fallait bien vivre. Cette fois ce fut au Fort Montbarrey ou étaient détenus prisonniers les républicains espagnols. Avec Jeanne Goasguen qui leur procurait de fausses cartes d'identité, elles réussirent à faire sortir certains qui retournèrent en Espagne combattre Franco. Marie arrête de travailler en février 42, l'argent circulant entre les deux zones. Elle apprend à ce moment que les espagnols ont été envoyés aux lies d'Aurigny-Guernesey ou plusieurs sont morts et la plupart déportes en Allemagne.
Marie Salou va prendre une part active à la préparation et au déroulement de la manifestation des femmes, organisée par le P.C.F. mais signée "Union des femmes patriotiques", devant l'annexe de la mairie, rue Danton, le 28.01.1942.
A l'issue de cette manifestation, elle est interpellée, mais relâchee faute de preuves et d'aveu. Au mois d'aout, avec Raymonde Valaine, protégées par un groupe de F.T.P. elles saccagent la vitrine de la L.V.F. (Ligue des volontaires français contre le bolchevisme, qui recrute pour la Werhrmacht).
Cela se passait rue de Siam, à quelques mètres d'une sentinelle allemande postée a l'entrée de la Préfecture Maritime occupée par la Kriegsmarine. Avant que les allemands du poste de garde avaient été en mesure d'intervenir, les deux patriotes réussissent à se perdre dans la foule sous la sauvegarde des F.T.P. qui eux-mêmes se replient sans anicroche. Marie Salou possède a son actif de résistante bien d'autres actes de bravoure comme cette prise de parole à la porte de l'Arsenal contre le depart des ouvriers pour le S.T.O. (service du travail obligatoire pour I' Allemagne) et sa responsabilité comme agent de liaison avec le Finistère Sud .....
Le 1er octobre 1942, à la veille de la rentrée scolaire, au retour d'une promenade avec sa fille Andrée, elle est arrêtée par la police de Vichy. Andrée sera recueillie, pendant la durée de la déportation de Marie, par la sœur de son mari, Goulven.
 
Arrestation et Déportation
C'est le début pour Marie Salou d'un long calvaire qui va la mener de Brest a Mauthausen, jusqu'à sa libération, le 24 avril 1945, par la Croix Rouge Internationale. Le 1er octobre 1942, des messieurs en chapeaux mous nous attendaient raconte Marie. Après une fouille en règle, ils n'ont rien trouvé, mais ils m'ont quand même embarquée. Le plus gros des arrestations eut lieu ce jour-là. Toute la police était sur les dents, même les agents de ville. Nous avons été répartis dans les différents commissariats de la ville de Brest, les hommes un moment à la prison de Pontaniou où j'ai vu les gendarmes, gantés de blanc, les y enfermer. Je n'y suis pas restée parce qu'on n'y gardait pas les femmes. Par la suite, nous avons été regroupés au Château d'où les hommes sont partis pour Rennes afin d'être interroges par la SPAC (Section de Protection Anticommuniste) lis en sont revenus bien amochés : Albert Abalain, son bridge cassé, Paul Le Guen les pieds écrasés etc. .. Conduites également à la Centrale de Rennes avec trois compagnes : Yvette Richard, Angèle Le Nedellec et Raymonde Vadaine, nous avons été nous aussi jugées par la SPAC et condamnées à cinq ans de prison. Le 18 avril 1943, nous avons été remises aux allemands et emprisonnées a la prison Jacques Cartier de Rennes où se trouvaient déjà des camarades hommes. Le 23 juillet, c'est le départ pour Fresnes avec une de mes compagnes. Là, dans une baraque qui servait de tribunal, nous avons été rejugées le 28 août et condamnées à mort, ainsi que 19 hommes qui seront fusilles le 17 septembre 1943 au Mont Valérien.
Après six mois passes à Fresnes, j'ai quitté mes compagnes de cellule. Le 23 décembre je partais pour l'Allemagne, Raymonde Vadaine m'avait devancée d'un mois. Le lendemain, 24 décembre, j'étais dans la prison de Karlsruhe, après avoir fait le voyage avec Capelle, une autre française, arrêtée pour avoir hébergé un déserteur allemand. II y avait aussi deux allemandes: Anne Roth, arrêtée pour avoir aide son fiancé à déserter (il faisait partie de la DCA de Guilers) II ne voulait pas servir Hitler. II s'est évadé, fut repris et fusillé, Anne condamnée à deux ans de prison. II y avait aussi Alma qui avait volé dans les colis destinés aux soldats partant pour le front russe.
Huit jours avant un convoi de françaises, était parti pour Lubeck. Le voyage avait duré trois mois. Je passais la nuit de Noël a Karlsruhe. Anne et Capelle sont allées à la Messe de Minuit et je suis restée avec Alma qui en a profité pour voler les provisions des autres. lci c'était le régime pois chiches bourrés de charançons. Nous sommes restées quatre jours à Karlsruhe qui était la plaque tournante vers les différentes destinations. Nous avons été transférées à Heildelberg ou je retrouvais plusieurs résistantes françaises qui étaient en Allemagne depuis déjà un bout de temps. On les baladait de prison en prison. II y avait Margot qui en état à sa 24ème prison et qui est morte depuis son retour. II y avait aussi Yvonne Muller, vendeuse aux Halles de Paris et une vieille dame de Bayonne.
Le 1er janvier 1944, j'étais à Francfort-sur-Main. Nous avons atterri dans une énorme pièce qu'ils appelaient Presidium. La vivaient depuis un certain temps quelques femmes russes dont deux étaient malades. Les autres allaient au travail dans la journée et rentraient le soir. Nous avons séjourné huit jours dans cette pièce ou les châlits étaient infectés par les poux, les punaises et les puces. Des que les SS arrivaient, iI fallait se ranger pour que la chambrière dise combien nous étions. Le matin nous avions un ersatz de café dans des gamelles toutes grasses puisque nous les lavions a l'eau froide. L'ersatz de café était accompagné d'une tranche de pain que nous frottions a l'ail.
A la suite de mille ruses nous avions réussi à ramasser une tête d'ail sur Ie quai de la gare d'Heildelberg. A midi nous avions une soupe de choux rouges, bien grasse elle aussi. Pour la nuit de la Saint-Sylvestre nous avons demandé de coucher sur les bancs et les tables, à cause des parasites. On nous avait répondu affirmativement, mais au milieu de la nuit les SS sont arrivés comme des fous, criant "Schnell in bet" (Vite au lit) en nous envoyant des coups de bottes. Avant de quitter ce fameux Présidium, avec quel soulagement, nous avons assisté à une scène affreuse. Une couverture avant disparu, une russe avait été soupçonnée de I'avoir volée pour s'en faire une jupe. Un matin arrivent les SS qui appellent la femme, la frappent tant et plus. Pour en finir lui jettent un seau d'eau en pleine figure et lui ordonnent de laver Ie parquet de la pièce qui faisait bien dix metres de long sur six mètres de large. De là, nous avons passé une nuit à Kassel dans la prison qui avait été bombardée. Ensuite, un train nous a conduites à Magdebourg. lci nous avons été séparées et je suis partie seule de mon bordo J'ai passé une nuit dans une baraque à Leipzig avec des hommes de plusieurs nationalites.
Ce fut ensuite Gueimenitz ou j'ai passé trois jours avec quatre allemandes, dont I'une avait été arrêtée, avec toute sa famille, parce que son frère, qui était sur Ie front russe, avait critique I'état-major du grand Reich dans son courrier Une russe était venue nous rejoindre. Elle venait soi-disant d'un camp de travail. Elle avait un de ces pochons à I'oeil. Elle portait une grosse veste matelassée, mais rien dessous. Comme j'avais des vêtements je lui ai passé des tricots et Ie soir, lorsque j'ai exprimé de coucher près d'elle, les allemandes m'en ont dissuadé en me disant que Ie lendemain cette femme serait tuée. Effectivement, elle est partie seule Ie lendemain. Je suis arrivée à Waldheim Ie 7 janvier 1944. Là, comme mes trois compagnes, j'ai été tondue. J'avais de longs cheveux, et pas de poux. La forteresse gardait les cheveux pour en faire de la bure. Lorsque la première est passée à la toise, nous I'avons entendue. Nous nous demandions ce qu'on lui faisait. Quand nous I'avons vue, Ie crane complètement rasée, les autres se sont mises à pleurer, et moi de les consoler en leur disant que ça ne faisait rien puisque nous serions bientôt Iibres. L'une d'elles avait plus de cinquante ans et n'était condamnée qu'à un an. Elle a tout de même passé à la toise. Je suis passée la dernière. lis me demandaient s'iI fallait Ie faire aussi a la "Frantzose" En me demandant ma peine, j'ai répondu ' A mort'. « Allez, vite aussi » fut la réponse. J'ai été mise en cellule toute seule, il faisait plusieurs degrés en dessous de zéro. Je pensais rester dans cette prison jusqu'à la fin puisque ma condamnation à mort avait été commuée en réclusion. La discipline était très dure. C'était une vieille prison, mais propre. N'empêche qu'il n'y avait pas mal de punaises. Toutes les semaines, je devais laver mon parquet à I'eau de lessive. Le linge aussi était changé chaque semaine. La nourriture était mangeable, mais pas suffisante. Nuit et jour, j'entendais les colonnes qui partaient au travail. De temps en temps, on me donnait des peaux de lapins qu'il fallait découper en tout petits morceaux afin de récupérer les poils ou j'enlevais l’arête des plumes de poulets.
Le 13 février, on est venu me chercher pour aller au bureau, puis au grenier, afin de récupérer mes vêtements. Au retour on me change de cellule. La gardienne me prévient de me tenir prête pour 6 heures Ie lendemain. Je me demande ce qui va se passer. Le lendemain en effet on me conduit au bureau. On me remet un pain et un peu de margarine. Après maintes discussions, un homme d'un certain age est arrive, un policier d'une soixantaine d'années. II m'ordonne de le suivre. Dehors il fait froid, on gelait, les enfants allaient à l'école en luge. Après quelques pas, nous sommes entrés dans un commissariat ou on m'a passé les menottes, et en route pour la gare ou il a fallu attendre Ie train. Avec mon gardien, nous avons voyagé dans les compartiments réservés au personnel des chemins de fer. Je ne comprenais pas grand-chose de ce que me disait mon gardien. II ne parlait qu'allemand, bien qu'il prétendait être natif de Metz. Les employés qui voyageaient avec nous lui ont demandé qui j'étais, ce que je faisais là. J'avais I'air bien, avec mon crane rasé et les menottes. Mon gardien leur disait que j'étais française et précisait pourquoi j'étais dans ce train. C'était de grosses et grandes exclamations "Oh,scheinerie" (cochonne) Les femmes enviaient mes bas, elles demandaient au gardien si j'en avais dans mon balluchon . Elles auraient bien voulu en prendre mais Ie gardien Ie leur refusa. A midi nous étions à Berlin. Pour traverser cette ville, nous avons pris Ie métro, dans Ie compartiment des ballots. Mon gardien s'y est d'ailleurs fait disputer pour y être entre.
Je regardais partout si je ne distinguais pas de visage connu, quelqu'un qui aurait pu m'aider à me lâcher de mon garde du corps. J'entendais parler français, peut-être des ouvriers de I'arsenal ,requis pour Ie S.T.O., mais hélas ! Nous avons repris un train pour Hambourg, ou après un nouveau changement, nous étions Ie soir même, vers 19 h à Lubeck. Nous avons pris un tramway pour se rapprocher du gasthaus (centre d'hébergement) qui était retiré de la ville et c'est la que mon 'cavalier' m'a laissée. Je retrouvais à nouveau une cellule glaciale, seule, avec seulement une couverture. Étant arrivée trop tard Ie soir , je n'ai pas eu de pain, mais Ie lendemain on m'a donné ce qui allait avec Ie pain, Ie "zulag" (repas) qui était un jour une cuillerée de confiture, un morceau de margarine ou un peu de petit sale que j'ai dû manger comme cela. Heureusement qu'il y avait de I'eau dans la cellule, car je crevais de soif. La soupe se composait surtout de rutabagas et pois cassés. Souvent des asticots surnageaient. Le lendemain après-midi, j'ai entendu les françaises qui allaient à la promenade. Au retour quelqu'un a frappé doucement à ma porte en me disant que des camarades que je connaissais étaient là, et que Ie soir, après la seconde cloche, il me faudrait vider I'eau de ma cuvette de water avec un chiffon et qu'a ce moment quelqu'un me parlerait. Ce que je fis et j'entendis des conversations dans tous les sens. J'appris ainsi que les françaises et les belges étaient nombreuses et travaillaient en atelier. Moi, dans ma cellule, je découpais des uniformes verts de gris, tout macule de sang et qui sentaient Ie "macchabée" à plein nez. Malgré cela, la nuit j'avais tellement froid que je m'en servais comme couverture Un jour, a la suite d'une dispute dans une cellule, on me transporta ailleurs afin de mettre à ma place une camarade qui, je crois avait perdu la tête. Je me retrouvais ainsi, avec trois campagnes qui, dans la journée, allaient aux ateliers et je restais seule. Un jour qu'ils nous avaient prêté un livre Assimil, j'ai appris la phrase" Je voudrais aller à I'atelier" Ce qui fut fait et là je confectionnais des sacs à provision, Ie moins possible évidemment. Les gardiennes, en général, n'étaient pas terribles, à part le chef nommée Jansen, qui était pendue au judas.
Le 9 mai, je suis partie en train, pour Cottbus. II faisait un temps splendide. Nous étions au moins 150, dans ce train. Nous avions presque I'impression d'être Iibres. Hélas! Nous avons passe une nuit dans la gare de Stettin qui avait été bombardée. Arrivées a Cottbus, nous avons retrouvé des camarades du convoi qui nous avait precédées lei, la nourriture était mangeable, mais peu copieuse. Dans la prison, nous travaillions en atelier à la confection de chemises d'hommes. Le pensum était de 7 chemises par jour, nous en faisions 7 par semaine. Nos gardiens étaient fous de rage. lis nous ont transférées à I'atelier de tissage ou avec des brins de jonc ou des feuilles de mars nous devions faire des boules. La encore, il nous était demandé une boule par jour. Nous la faisions dans la semaine, ce qui fait que nous étions privées de nourriture. Lors des promenades, nous devions ramasser des glands sous Ie chêne de la cour, ou les épluchures lorsque nous passions devant les cuisines. Pour finir, nous avons été gardées en cellule et nous n'avions plus droit aux promenades que de temps en temps, parce que nous étions au moins 300 françaises et que ça faisait un tel chahut ces sorties!
Nous étions cinq par cellule de trois Iits. Deux avaient Ie droit de coucher par terre, avec une couverture. C'etait des cellules à tinettes, nous avions un unique broc d'eau pour notre toilette. Nous devions nous laver toutes les cinq dans la meme eau et après la toilette c'etait Ie Iinge. Sur les six mois nous n'avons pas eu de Iinge de rechange. En juin 44, j'ai fait une otite carabinée qui a duré plus d'un mois. Un jour j'ai ete conduite au spécialiste, en ville, avec 39° degré de fièvre menottes aux mains. Le docteur avait décidé de me mettre à I'infirmerie, mais comme il n'y avait plus de place je n'y suis pas allée.
Nous avons quitté Cottbus début novembre, avec une gardienne que nous surnommions Villette.
Elle nous donnait souvent des nouvelles et nous souhaita bon courage en nous quittant. Nous allions dans un camp très dur. Des le depart nous en avons eu un aperçu. Nous étions rangées par cinq, sous la garde de la Wermacht. Pour ma part, mal rangée, j'ai reçu une bonne paire de claques. Le long du parcours nous avons chanté tout ce que nous avons pu : la Marseillaise, l'lnternationale, et tous les chants patriotiques de chez nous. Nos gardiens nous disaient: « Chantez, ce soir vous déchanterez. » En effet, dans la nuit, nous avons débarqué en pleine campagne.
RAVENSBRÜCK
Le 9 mars 1944, nous étions à Ravensbruck. C'est là que me fut attribué Ie numéro 85225 de ma déportation. Aussitôt rangées par cinq et en colonnes nous sommes entrées dans ce camp, dont nous apercevions au loin les lumières. A cette heure tardive, des colonnes de prisonnières partaient au travail. Nous avons fait une pause devant les douches, puis nous y avons été enfermées, entassées. Dans la nuit il y a eu des bombardements. Avant Ie jour les "kubels" (récipients) débordaient. Nous étouffions et étions malades avec les odeurs. Aussi, au petit jour, les portes s'étant ouvertes, quel soupir de soulagement. Hélas ! C’était pour voir des choses de plus en plus horribles. Comme ils n'avaient pas Ie temps de s'occuper de nous, ils nous ont plaquées dans une tente immense, d'au moins 400 mètres carrés où se trouvaient plusieurs centaines de hongroises dont plusieurs avaient déjà perdu la tête. Puis nous avons fait des kilomètres à pied et ensuite sur des wagons découverts. Vers 11 heures, ils se sont décidés à nous donner une soupe. Ensuite de fut une nouvelle pose devant les douches, à I'entrée du camp. Nous étions près du cabanon ou étaient enfermées les folies. De là, nous avions vue sur la morgue ou nous voyions arriver des cadavres entravés, sur des charrettes a bras .. Nous sommes restées là, jusqu'à la nuit, sans que personne, s'occupe de nous, puis ramenées à la tente ou deux femmes se promenaient avec un bâton, pour mettre de "I'ordre" si besoin était. Nous étions épuisées et il nous fallait dormir à même Ie sol. II y régnait une odeur infecte. Le lendemain nous avons été reconduites devant les douches, toute la journée, avec seulement une soupe dans Ie ventre. Cette fois, dans la soirée, nous sommes passées à la douche, par groupes. On nous mettait nues afin de nous enlever nos affaires personnelles et on nous donnait de vielles frusques à la place. En plein mois de novembre, je recevais une chemise à fleurs en crêpe de chine artificiel, une jupe de coton bayadère et un manteau avec une croix blanche dans le dos, car c'était une régie pour toutes. Ensuite nous avons été dirigées vers Ie bloc 32 et réparties en colonnes de travail pour Ie lendemain. Le lever avait lieu à quatre heures du matin, souvent par 25° ou 30° degrés au-dessous de zéro, et après avoir bu une espèce de lavasse appelée café, il nous fallait monter sur Ie "lager strass" (Ia grande rue) pour I'appel qui durait jusqu'au petit jour. Nous devions nous ranger, la "blockova" (Ia surveillante) nous comptait et nous devions attendre que les SS viennent contrôler. Pendant ce temps nous essayions de nous réchauffer en tapant du pied. Après cet appel il fallait rejoindre sa colonne en nous cachant Ie visage afin d'apparaitre plus vieilles pour éviter la corvée. Ces fameux wagons arrives, à I'extérieur du camp, nous avions bien 800 mètres de marche a pied pour nous y rendre. Certains allaient au sable, d'autres au 'betrieb' (atelier de couture) Moi je faisais partie des 'wagons'. Le travail consistait à tirer les produits des rapines qui venaient des pays de l'Est. Nous y trouvions les objets les plus hétéroclites: des équipements militaires, capotes, bidons, chaussures, machines à écrire, machines à tricoter, vêtements, literie, porcelaine, cristaux. II y avait un hangar pour ranger chaque catégorie d'objets. Par exemple, pour la literie, il y en avait sur une longueur de 500 mètres au moins. Parfois nous trouvions, enfoui dans un tapis de table noué aux quatre coins, un tricot commencé. C’était du linge que I'on sentait, entassé à la hâte par quelques réfugiés.
Je me rappelle, un jour nous avons trouvé des gamelles militaires, presque toutes neuves. Je m'étais promis d'en prendre une, à la place de ma vieille. J'attendais la soupe, quant tout à coup je sens qu'on me l'arrache des mains et aussitôt je reçois un violent coup sur la tête. L'instant d'après, je me tourne vers une camarade qui portait des lunettes, qui lui étaient indispensables. Je m’inquiète de savoir s'il lui était arrivé le même coup. Or, elle aussi avait change sa gamelle et le SS qu'on appelait "Ie fou" lui avait assené un coup également et cassé ses lunettes. Le soir, tard, nous rentrions au camp ou il fallait passer à la fouille. Souvent nous ne pouvions pas nous défaire tellement nous avions les mains engourdies par le froid. Après la fouille, nous avions quelquefois une tranche de pain et un rond de saucisson, en rentrant au block une soupe et un nouveau morceau de pain. Notre réconfort, c'était quand Marie-Claude ou Danielle venaient nous donner des nouvelles. Avant de se coucher, il fallait faire la grande toilette, à I'eau glacée, car le matin c'était impossible. II ne fallait pas se laisser gagner par la vermine.
Vers février 45, les russes approchant, nos gardiens étaient sur les dents. II y avait de l’énervement dans I'air. Pendant plusieurs jours, ils nous ont fait passer sur le "lager strass" des journées entières, avec notre balluchon, prêtes a partir. Nous étions un peu inquiètes. Le soir on rentrait au block. Un jour, dans I'après-midi, nous en avions marre et nous sommes rentrées au block par les fenêtres. Mal nous en a pris. Aussitôt entrées, la "stoupova" nous en faisait sortir, avec son baton et dehors le SS que l'on appelait 'le marchand de vaches' parce que c'était lui qui préparait les colonnes de transport, nous attendait pour nous taper dessus à coups de planches et nous faisait remonter à la pose. Un après-midi, nous passions devant le block quand nous vîmes un SS s'en prendre à une grand-mère bretonne, la tabasser tant et plus. Notre camarade lui tenait tête en lui disant : « Vous en faites pas, bientôt ce sera votre tour»
 
MATHAUSEN
Début mars, c'est un nouveau départ. Je me réjouissais, bien que nous que nous sachions que ce serait de plus en plus dur. Je disais aux camarades: « Ne vous tracassez pas, c'est un nouveau pas vers la Iiberté.» Malheureusement, combien ne I'ont pas connue cette Iiberté? Après avoir été parquées dans un block pour la nuit, nous avons rejoint la voie ferrée pour monter dans des wagons à bestiaux, 70 par wagon. Nous avons reçu pour le voyage: un pain, un morceau de margarine et du saucisson. Ce voyage dura cinq jours et cinq nuits. Aussi, il y avait longtemps que le pain était dans les talons avant I'arrivée. Ce fut un voyage infernal. Nous devions uriner dans nos gamelles, les dysentériques de même. Nous avons été bombardés de nuit. Pour ma part, j'ai réussi a dormir une seule nuit, pendant ces cinq nuits. J'ai cru devenir folle. Aussi, quand j'ai entendu les beuglements annonçant l'arrivée, quel ouf! Hélas, dans plusieurs wagons, il y avait des morts. Nous apprenions, en arrivant, que nous étions a Mathausen. Le sol était recouvert de neige. Nous avions une bonne marche à faire et Ie tout dans une montée. II a été proposé que les malades montent en camion. Les plus fatiguées se sont armées de courage et ont pris la route. Nous n'avions pas fait 200 mètres que certaines commençaient à tomber. Des que I'une tombait un SS approchait. D'une balle silencieuse, il I'abattait et repartait. Enfin nous avons aperçu sur les collines les lueurs du camp. II était peut-être minuit et nous avons attendu jusqu'à I'après-midi devant les cuisines.
Heureusement, je ne sais par quel subterfuge, les cuisiniers qui étaient espagnols pour la plupart, avaient réussi a nous donner un peu de café chaud. Nous sommes ensuite passées aux douches, entre une haie de SS et de capots qui nous mettaient un grand K dans Ie dos, de celles qui leur paraissaient mal en point, puis badigeonnaient les endroits pileux d'un produit désinfectant. Je ne vous raconte pas la scène, d'autres I'ont fait avant moi. Nous sommes sorties de la, habillées d'un caleçon long et d'une chemise d'homme. Nous avons été placées en quarantaine, sous la garde de tziganes. Pendant la soupe, elles organisaient une certaine pagaille, ce qui amenait une trentaine de françaises à ne pas en avoir. Quand les vêtements arrivaient de I'étuve, elles les resquillaient si bien qu'i1 y avait plusieurs camarades qui sont restées en caleçon un certain temps. Des fois, au milieu de la nuit, on nous appelait encore pour la douche.
Dès notre arrivée, ils ont formé un transport pour malades. Gardées dans un block, parquées comme des betes, elles y sont restées quelque temps et réexpédies à Bergen- Belsen. Sur 300, 3 seulement sont rentrées en France. Dans Ie block où nous étions, les premières ont réussi a avoir un lit, les dernières, couchant à même Ie sol. Pour ma part, j'étais entre deux camarades, têtes bêche. Le 19 mars, nous avons été appelées pour former soi-disant un commando des champs. Bien que plutôt méfiantes, nous envisagions la possibilité de pouvoir manger des légumes. Le lendemain 20 mars, nous avons été réveillées à quatre heures du matin, et au sortir du block installées sur un "lager strass". Quelle ne fut pas notre surprise de nous voir encadrées par des civils, les fusils braqués sur nous. On se demandait si c’était des prisonniers. II y en avait un tous les deux mètres, des vieux et des jeunes, nous avons su que c’était la "volkstum". Nous sommes descendues, cinq par cinq, à pied, jusqu'à la gare de Mauthausen. II y avait aussi une colonne d'hommes. Nous étions environ 200 femmes et 80 hommes. Puis nous avons pris Ie train, debout tout Ie long. Celles qui savaient I'allemand essayaient de deviner ou nous allions, mais motus. Nous avons traversé Ie Danube, et des kilomètres après nous nous disions que I'on ne retournerait sans doute pas au camp. Mais à la gare d' Amsteten, nous sommes descendues et la nous ont remises une pelle et une pioche à chacune d'entre nous. II s'agissait de déblayer les voies de chemin de fer bombardées la veille et recouvertes de glaise. Moins d'une heure apres avoir commencé à déblayer, c'était une alerte. Le bombardement a duré quatre heures. Nous avons du nous réfugier dans un bois. Les bombes tombaient sur la gare et hélas! Les deux dernières étaient pour nous. Le petit bois a été complètement retourné. Nous entendions crier les camarades "Adieu, adieu". Quand nous avons pu relever la tête, c'était un triste spectacle. Certaines étaient en charpie à la cime des arbres, dont une Olga, rescapée d' Auschwitz. Yvonne, de Bordeaux, avait Ie bassin fracture. La petite Rosette (Therese Rigaut) et moi nous nous sommes dépêchées de gratter la terre avec nos mains pour déterrer les compagnes qui étaient ensevelies, dont une petite roumaine, Berthe, ancienne elle aussi d' Auschwitz Elle avait des côtes fracturées et elle s' en est tirée. II y avait aussi deux soeurs belges qui étaient déjà toutes violacées ainsi que Yvonne Kieffer. Nous avons eu 90 tués. L'alerte terminée, les habitants de I'orée du bois sont venus et ils ont fait boire du schnaps à certaines. Ce jour la, nous sommes rentrées tard au camp, après un voyage très pénible. Les mortes ou mourantes étaient arrivées avant nous. Nous avons vu descendre les corps au crématoire. Quelques jours après, il y eut un moment d'affolement. C'était appel sur appel, ils ne savaient pas au juste combien il y avait de manquants. Pendant ce temps, au camp, ils ont voulu une colonne pour nous remplacer Ie lendemain, mais ayant su que nous avions été bombardées, elles ont protesté. Elles ont été menacées d'être enfermées dans la salle de douches et fusillées. Ce fut une grande panique parce qu'elles ont cru qu'on allait les gazer, mais tout s'est passé sans anicroches.
Quand tout a été remis en ordre, une partie des camarades a été gardée au camp, et le plus grand nombre descendu dans une horrible carrière ou nous nous couchions à même le sol, sauf les blessées du bombardement qui avaient droit à une paillasse. Nous logions dans une grande baraque, entourée d'un ruisseau, à I'orée d'un petit bois, ou nous avions des biches comme voisines. Dans I'obscurité, à la moindre alerte, lorsqu'il fallait se lever pour aller faire ses besoins, on marchait sur des blessées. Les dernières nuits, on ne pouvait même pas s'allonger. Le matin, avant de commencer Ie travail, il fallait sortir de cette carrière, marcher et rentrer au camp pour défiler, en rang, devant ces messieurs.
CROIX ROUGE INTERNATIONALE
Nous sommes revenues sur les lieux du travail qui consistait à ramasser des pommes de terre pour les mettre dans des caves. Nous les transportions à deux à I'aide de ' draguers' ( petites caisses a brancard). C'était un travail éreintant, surtout que le soir il fallait monter au camp pour la fouille. Heureusement, sur Ie travail nous pouvions manger des pommes de terre ou du pissenlit. Un jour, nous avons même découvert un silo de betteraves pour vaches, mais elles n'étaient pas faciles a manger.
A la mi-avril Nous avons appris par les groupes résistants clandestins du camp que la croix internationale était sur les Iieux. Nous avons eu un espoir lorsque les norvégiennes et les hollandaises sont parties. Cependant, la vie devenait de plus en plus pénible. La nourriture diminuait toujours et Ie crématoire marchait à plein. Lorsqu'il nous arrivait de sortir la nuit, nous voyions de longues flammes s'élancer dans le noir et cette odeur de viande grillée qui nous remplissait les narines. Le 22 avril, nous étions descendues au sillon, comme d'habitude. Dans I'après-midi, nous avons vu une voiture s'arrêter près de nous, un homme en descendre et annoncer à une camarade qui se trouvait sur la route que le lendemain nous serions rapatriées. Aussitôt, plusieurs laissèrent éclater leur joie, à la grande colère des SS bien entendu. Un d'entre eux assena une bonne paire de claques à celle qui se trouvait la plus près de lui. Les plus sages continrent leur joie, car il fallait toujours se méfier. Au retour du travail, nous avons vu monter les malades au camp. Nos gardiennes SS avaient disparu, elles devaient se cacher. Nous sommes partis à la douche. Pendant que nous attendions notre tour, nous avons vu passer devant nous, un groupe d'hommes nus, plutôt des squelettes qui montaient du petit camp. lis étaient recouverts d'une simple couverture et allaient sûrement à la chambre a gaz.
Plus près de nous quelques prisonniers étaient là Ie visage tourné vers le mur et bien surveillés.
Nous avons réussi à savoir qu'ils y étaient depuis plusieurs jours, sans manger. C’était des Alsaciens et de Lorrains qui avaient refusé de porter I'uniforme allemand. Après la douche, retour à la carrière. Le lendemain matin, nous sommes montées au camp ou nous avons attendu à nouveau dans la salle de douche. Enfin, nous avons été conduites au terrain de sport (qui servait évidemment aux SS) De là nous avons vu arriver toute une colonne de camions de la Croix Rouge Internationale dans lesquels sont montées les plus pressées. Faute de places, plusieurs d'entre nous n'ont pu y grimper. Désespérées, nous sommes retournées à la salle de douche et I'après-midi d'autres camions sont arrivés pour nos prendre. II nous a été distribué du pain à la sciure de bois et du pâté confectionné avec les vieux chevaux malades, couverts de plaques, que nous avions vu revenir du front russe. Nous avons protesté et nous avons obtenu qu'il nous soit distribué du pain des SS et du saucisson mangeable. Nous avons traversé une grande partie de I' Autriche en car, de jour et de nuit. Le 24 avril au matin, les cars sont montés sur Ie bac qui traverse le lac de Constance.
Aussi, c'est avec un Ouf ! de soulagement que nous avons posé nos pieds sur le sol Suisse, car jusque la nous n'étions sures de rien. Dans ce pays d'accueil, nous avons été bien reçues sur Ie quai. II y avait presque une infirmière pour chacune. Nous avons passé une visite médicale.
Celles jugées incapables de continuer le voyage sont restées en Suisse ou plusieurs, hélas, sont mortes.
Voila un résumé de mon parcours à travers I'univers concentrationnaire. J'aurais beaucoup à ajouter. Je voudrais pouvoir oublier, mais c'est impossible quand nous voyons tant de camarades laissées derrière nous. Pour que ceci ne se renouvelle pas, noud devons crier bien fort ce qui s'est passé. Nous n'avons pas lutté contre le nazisme, contre la mort, pour voir ce qui se passe aujourd'hui.
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22 juillet 2021 4 22 /07 /juillet /2021 13:18
Yvonne Ropars, dite Suzanne, résistante communiste brestoise (photo d'Yvonne Ropars trouvé sur le site https://www.resistance-brest.net)

Yvonne Ropars, dite Suzanne, résistante communiste brestoise (photo d'Yvonne Ropars trouvé sur le site https://www.resistance-brest.net)

Angéline Dollet et Yvonne Ropars

Angéline Dollet et Yvonne Ropars

Yvonne Ropars est née le 22 novembre 1914 à Guissény, deux ans après son frère Joseph Ropars, fusillé au Mont Valérien en tant que résistant communiste brestois le 17 septembre 1943. Elle a 26 ans au début de l'occupation. La déclaration de guerre a été ressenti avec horreur pour Yvonne, sa mère, née Le Roy à Guissény (décédée à Brest en 1966) et son frère Joseph, ancien engagé de la Marine Nationale devenu ouvrier communiste à l'Arsenal de Brest. Les trois avaient la crainte que d'autres jeunes aient à subir ce qu'ils avaient subi lors de la grande guerre de 14-18: la mort d'un mari et d'un père tué pendant la bataille de la Marne en septembre 1914, des trois oncles maternels et frères de la mère d'Yvonne: J.M Le Roy, Gabriel Le Roy, et J-L Le Roy, ainsi que d'un oncle paternel.   

Dès 1940, Yvonne, sensibilisée aux idées communistes et cégétistes de son frère Joseph, éprouve du dégoût pour Vichy et son gouvernement, qui se sont mis à disposition de l'envahisseur. Elle ne rentre dans la Résistance qu'en octobre 1942. Joseph, son frère, entré à 14 ans dans les pupilles de la Marine, puis à 15 ans et demi à l'école des mousses, engagé à 16 ans pour une durée de 8 ans, puis ayant repris son travail une fois démobilisé comme réserviste à l'arsenal de Brest, était lui rentré dans la résistance dès 1940. Il apportait à Yvonne et à sa mère des tracts pour les plier et des souscriptions (collecte d'argent afin de venir en aide à la résistance). Joseph est arrêté en octobre 1942. Peu de temps après, le hasard avait fait entré Yvonne Ropars en contact avec une FTP dont le mari avec été arrêté. Par elle, elle connut d'autres communistes clandestins. Yvonne alla à ce miment coller des affichettes patriotiques pour le PCF, mettre des tracts dans les boîtes aux aux lettres, et elle collectait de l'argent pour le Secours Populaire. Avec sa mère, elle hébergeait des camarades résistants recherchés par la police à leur domicile, qui servait de planque. Trois de ces camarades, pris par la police, ont été fusillés, dont l'un en même temps que son frère Joseph Ropars. La cave de Yvonne, dite Suzanne dans la clandestinité, servait de dépôt d'armes et de munitions (grenades, revolvers 6/35 et 7/65) et de matériel (une ronéo pour imprimer des tracts). Yvonne a surtout travaillé avec des communistes, mais, dira t-elle dans son témoignage, des années plus tard, si le hasard l'avait fait rencontrer d'autres groupes de résistance, elle aurait agi de même. Elle a d'ailleurs servi d'agent de liaison entre les FTP et le mouvement "Défense de la France". Avec sa mère, suite à l'emprisonnement de son frère Joseph, elle est allée au fort d'Ivry en région parisienne afin de voir son frère avec la sœur d'Albert Rolland, qui avait le même avocat commis d'office par la justice de Pétain que Joseph Ropars, et pour prendre contact avec l'avocat allemand commis d'office chargé de la défense des Résistants emprisonnés.

Celui-ci leur apprit qu'ils venaient d'être fusillés au Mont Valérien le 17 septembre 1943 et leur confia: "avec les dossiers que les policiers français nous ont transmis, leur cause était perdue d'avance". Yvonne Ropars dira:

"Je pense que cet Allemand était un anti-nazi. Il savait que mon père avait été tué en 1914, et il a dit que le sien avait été tué lors de cette même guerre. Je lui ai demandé comment nous serions officiellement avertis des exécutions, il m'a répondu "par la police sans doute". J'ai ajouté "surtout que la police ne mette pas les pieds chez nous". Il a dit "vous ne trouvez pas que vous avez assez donné, votre père, votre frère...". Il a dit: "Plus tard, vous le vengerez!". Ma mère nous a jamais inculqué la haine à l'encontre du peuple allemand".  

En 1944, les F.T.P se préparent aux combats de la Libération en organisant des unités combattantes. Sur le principe de sections de combat, appelées ici détachements, les groupes sont formés par rattachement géographique. Yvonne Ropars, dont le pseudonyme est Suzanne, devient le numéro 153 et se voit affecter au détachement Fraternité, groupe Monot. À la déclaration du siège de la ville, le 7 août 1944, elle rejoint la base F.T.P de la rue de la République et sert d’agente de liaison. Quelques jours après, cette cache est abandonnée, l’effectif se répartissant alors en trois maisons à Saint-Martin. Yvonne Ropars pour sa part, rejoint le 13 rue de la rue Coat-ar-Guéven avec sept ou huit camarades, dont Joseph Laot.

Le manque d’armes est flagrant et des pourparlers sont en cours avec les FFI pour obtenir une dotation. Finalement, les parachutages prévus pour équiper les brestois n’ayant pas eu lieu, les tensions qui ne demandaient qu’à éclater refont surfaces. Le siège de la ville et l’évacuation générale de celle-ci dans la première quinzaine d’août 1944, désorganisent complètement les plans déjà fébriles de la Résistance. Yvonne Ropars et ses camarades évacuent la ville et se reforment à Plouarzel, laissant derrière elle son groupe qui a refusé l’ordre d’évacuer et qui se regroupe sous l’appellation Groupe-Franc Marc Pour sa part, Yvonne Ropars intègre la Compagnie FTP Michel. Au sein de cette unité, elle participe aux combats de réduction de la poche du Conquet comme agente de liaison, notamment à la prise de Kervélédan où elle joue le rôle d’éclaireuse. Son unité est ensuite engagée durant la fin des opérations du siège de Brest.

Yvonne Ropars et son amie Eliane Goasguen ont fait partie d'un groupe FTP brestois. Dans les combats de la libération: 3 jeunes hommes, surpris par les Allemands rue Coat-ar-Guéven, pendant le siège de Brest, ont été fusillés sur place. Elles les avaient quitté quelques jours auparavant pour le maquis de Kergroadès. Là, Yvonne et Eliane ont participé au côté des FTP à la prise du camp de Kervélédan, occupé par les Allemands, solidement retranchés. Elles avaient fait la reconnaissance au préalable du terrain. 

Yvonne Ropars travaillait comme vendeuse dans une maroquinerie rue de Siam pendant la guerre, et ensuite à la SNCF et à l'économat.

Elle avait beaucoup de gaieté, de joie de vivre.

Elle est restée une militante communiste et cégétiste fervente et a confié une partie de ses documents à Claudie Quillec, la fille de sa camarade de résistance Angéline Dollet, qui nous les a transmis.

Sources:

Témoignage de Yvonne Ropars à Raphaël Guillou, de l'Anacr 29.          

Gildas Priol: https://www.resistance-brest.net/article2583.html

Eugène Kerbaul, 1640 militants du Finistère

Documents transmis au Chiffon Rouge et à Ismaël Dupont par Claudie Quillec, la fille d'Angéline Dollet, amie et camarade de Yvonne Ropars, dite Suzanne

Lire aussi:

1920-2020: 100 ans d'engagements communistes en Finistère: 92/ Angéline Dollet dit "Yvette" née Yvinec

Résistance communiste finistérienne - la dernière lettre de Joseph Ropars, fusillé au Mont Valérien le 17 septembre 1943 avec 18 autres camarades finistériens

 

1920-2020: 100 ans d'engagements communistes en Finistère: 109/ Pierre Plassart (1912-1983)

1920-2020: Cent ans d'engagements communistes en Finistère : 108/Jean Baudry (1901-1944)

1920-2020: 100 ans d'engagements communistes en Finistère: 107/ Aline de Bortoli (1908-2004)

1920-2020: 100 ans d'engagements communistes en Finistère: 106/ Louis Departout (1916-1943)

1920-2020: 100 ans d'engagements communistes en Finistère: 105/ Charles Vuillemin (1918-1943)

1920-2020: 100 ans d'engagements communistes en Finistère: 104/ Louis Le Guen (1907-1943)

1920-2020: 100 ans d'engagements communistes en Finistère: 103/ Louis Hémeury (1911-1999)

1920-2020: Cent ans d'engagements communistes en Finistère: 102/ Jean Autret (1891- 1974)

1920-2020: 100 ans d'engagements communistes dans le Finistère: 101/ Yvette Castel

1920-2020: 100 ans d'engagements communistes en Finistère: 100/ Simone Moreau (1908-1962)

1920-2020: 100 ans d'engagements communistes en Finistère: 99/ Francine Poulichet (1918-2014) et Christophe Poulichet

1920-2020: 100 ans d'engagements communistes: 98/ Rosine Kersulec (1894-1985)

1920-2020: 100 ans d'engagements communistes en Finistère: 97/ Marie Mahé (1911-2000)

1920-2020: 100 ans d'engagements communistes en Finistère: 96/ Germaine Le Lièvre, Geneviève dans la résistance brestoise (1911-1945)

1920-2020: 100 ans d'engagements communistes en Finistère: 94/ Marie Miry née Calvarin (1905-1997)

1920-2020: 100 ans d'engagements communistes en Finistère: 93/Virginie Bénard (1920-2014)

1920-2020: 100 ans d'engagements communistes en Finistère: 92/ Evangéline Dollet dit "Yvette" née Yvinec

1920-2020: Cent ans d'engagements communistes en Finistère: 91/ Joseph Laot (1920-2001)

1920-2020: 100 ans d'engagements communistes en Finistère: 90/ Les fusillés de Lesconil, de la Torche et de Poulguen (Juin 1944)

1920-2020: 100 ans d'engagements communistes en Finistère: 89/ Théo Le Coz (1900-1976)

1920-2020: Cent ans d'engagements communistes en Finistère: 88/ René Lijour (1900-1979) et Lucie Lijour, née Le Goff (1909-1986)

1920-2020: Cent ans d'engagements communistes en Finistère: 87/ Eugène Le Bris (1913-1943)

1920-2020: Cent ans d'engagements communistes en Finistère: 86/ Alphonse Duot (1874-1964)

1920-2020: Cent ans d'engagements communistes en Finistère: 85/ Alain Signor (1905-1970)

1920-2020: Cent ans d'engagements communistes en Finistère: 84/ Marc Scouarnec (1894-1968)

1920-2020: Cent ans d'engagements communistes en Finistère: 83/ Germain Bournot (1915-2007)

1920-2020: Cent ans d'engagements communistes en Finistère: 82/ Michel Nédelec (1940-2009)

1920-2020: Cent ans d'engagements communistes en Finistère: 81/ Eric Texier (1902-1941)

1920-2020: Cent ans d'engagements communistes en Finistère: 80/ Théophile Kerdraon ( 1891-1984)

1920-2020: 100 ans d'engagements communistes en Finistère: 79/ André Guéziec (1922-1941)

1920-2020: Cent ans d'engagements communistes dans le Finistère: 78/ Jean Kérautret (1918-1942) et Vincent Guivarc'h (1918-1942)

1920-2020: 100 ans d'engagements communistes en Finistère: 77/ Emile Le Page (1922-1942) et Pierre Jolivet (1921-1942)

1920-2020: Cent ans d'engagements communistes en Finistère: 76/ Louise Tymen (1925-2015)

1920-2020: Cent ans d'engagements communistes en Finistère: 75/ Yves Giloux (1921-1943)

1920-2020: Cent ans d'engagements communistes en Finistère: 74/ André Garrec (1922-1944)

1920-2020: Cent ans d'engagements communistes en Finistère: 73/ Frantz Boucher (1924-1944)

1920-2020: Cent ans d'engagements communistes en Finistère: 72/ François Echardour (1925-1988)

1920-2020: Cent ans d'engagements communistes en Finistère: 71/ Marie Le Manchec (1914-1999)

100 ans d'engagements communistes en Finistère: 70/ Charles Moigne (1894-date de décès inconnue)

1920-2020: Cent ans d'engagements communistes en Finistère: 69/ Jean Le Tréis (1884-1970)

1920-2020: Cent ans d'engagements communistes en Finistère: 68/ François Tanguy (1925-1987)

1920-2020: Cent ans d'engagements communistes: 67/ François Tournevache (1919-1993)

1920-2020: Cent ans d'engagements communistes en Finistère: 66/ Jos Quiniou (1900-1976)

1920-2020: Cent ans d'engagements communistes en Finistère: 65/ François Gaonac'h (1901-1978)

1920-2020: Cent ans d'engagements communistes en Finistère: 64/ Paul Lespagnol (1949-2003)

1920-2020: Cent ans d'engagements communistes en Finistère: 63/ Jean-Marie Le Scraigne (1920-2016)

1920-2020: Cent ans d'engagements communistes en Finistère: 62/ Le docteur Tran

1920-2020: Cent ans d'engagements communistes en Finistère: 61/ Jean-Marie Plonéis (1934-2018)

1920-2020: Cent ans d'engagements communistes dans le Finistère: 60/ Guillaume Bodéré

1920-2020: Cent ans d'engagements communistes dans le Finistère: 59/ Pierre Salaun

1920-2020: 100 ans d'engagements communistes en Finistère - 58/ Guy Laurent (1940-1994)

1920-2020: 100 ans d'engagements communistes en Finistère - 57/ Eugène Kerbaul (1917-2005)

1920-2020: 100 ans d'engagements communistes en Finistère - 56/ Pierre Cauzien (1922-2009)

1920-2020: 100 ans d'engagements communistes en Finistère - 55/ Albert Jaouen (1909-1976)

1920-2020: 100 ans d'engagements communistes en Finistère - 54/ Pierre Hervé (1913-1993)

1920-2020: 100 ans d'engagements communistes en Finistère: 53/ Julien Gracq, de son vrai nom Louis Poirier (1910-2007)

1920-2020: 100 ans d'engagements communistes en Finistère: 52/ Yves Le Meur (1924-1981)

1920-2020: 100 ans d'engagements communistes en Finistère: 51/ Jean Burel (1921-1944)

1920-2020: 100 ans d'engagements communistes en Finistère: 50/ Jacob Mendrès (1916-2012)

1920-2020: 100 ans d'engagements communistes en Finistère: 49/ Henri Tanguy dit Rol-Tanguy (1908-2002)

1920-2020: 100 ans d'engagements communistes en Finistère: 48/ Carlo de Bortoli (1909-1942)

1920-2020: 100 ans d'engagements communistes en Finistère: 47/ Robert Jan (1908-1987)

1920-2020: 100 ans d'engagements communistes en Finistère: 46/ Denise Roudot (1933-2002)

1920-2020: 100 ans d'engagements communistes en Finistère: 45/ Paul Le Gall (né en 1925)

1920-2020: 100 ans d'engagements communistes en Finistère: 44/ René Le Bars (1933-2016)

1920-2020: 100 ans d'engagements communistes en Finistère: 43/ Louis Le Roux (1929-1997)

1920-2020: 100 ans d'engagements communistes en Finistère: 42/ Pierre Corre (1915-1943)

1920-2020: 100 ans d'engagements communistes en Finistère: 41/ Daniel Le Flanchec (1881-1944)

1920-2020: 100 ans d'engagements communistes en Finistère: 40/ Joséphine Pencalet (1886-1972)

1920-2020: 100 ans d'engagements communistes en Finistère: 39/ Sébastien Velly (1878-1924)

1920-2020: 100 ans d'engagements communistes en Finistère: 38/ Edouard Mazé (1924-1950)

1920-2020: 100 ans d'engagements communistes en Finistère: 37/ Guy Liziar (1937-2010)

1920-2020: 100 ans d'engagements communistes en Finistère: 36/ Henri Moreau (1908-1943)

1920-2020: 100 ans d'engagements communistes en Finistère: 35/ Alphonse Penven (1913-1994)

1920-2020: 100 ans d'engagements communistes en Finistère: 34/ Michel Mazéas (1928-2013)

1920-2020: 100 ans d'engagements communistes en Finistère: 33/ Pierre Guéguin (1896-1941)

1920-2020: 100 ans d'engagements communistes en Finistère: 32/ Jean-Louis Primas (1911-1943)

1920-2020: 100 ans d'engagements communistes en Finistère: 31/ François Paugam (1910-2009)

1920-2020: 100 ans d'engagements communistes en Finistère: 30/ Angèle Le Nedellec (1910-2006)

1920-2020: 100 ans d'engagements communistes en Finistère: 29/ Jules Lesven (1904-1943)

1920-2020: 100 ans d'engagements communistes en Finistère: 28: Raymonde Vadaine, née Riquin

1920-2020: 100 ans d'engagements communistes en Finistère: 27/ Jeanne Goasguen née Cariou (1901-1973)

1920-2020: 100 ans d'engagements communistes en Finistère: 26/ Gabriel Paul (1918-2015)

1920-2020: 100 ans d'engagements communistes en Finistère: 25/ François Bourven (1925-2010)

1920-2020: 100 ans d'engagements communistes en Finistère: 24/ Yves Autret (1923-2017)

1920-2020: 100 ans d'engagements communistes en Finistère: 23/Pierre Jaouen (1924-2016)

1920-2020: 100 ans d'engagements communistes en Finistère: 22/ André Berger (1922-1943)

1920-2020: 100 ans d'engagements communistes en Finistère: 21/ Joseph Ropars (1912-1943)

1920-2020: 100 ans d'engagements communistes en Finistère: 20/ Paul Monot (1921-1943)

1920-2020: 100 ans d'engagements communistes en Finistère: 19/ Jean-Désiré Larnicol (1909-2006)

1920-2020: 100 ans d'engagements communistes en Finistère: 18/ Jean Le Coz (1903-1990)

1920-2020: 100 ans d'engagements communistes en Finistère: 17/ Alain Cariou (1915-1998)

1920-2020: 100 ans d'engagements communistes en Finistère: 16/ Jean Nédelec (1920-2017)

1920-2020: 100 ans d'engagements communistes en Finistère: 15/ Alain Le Lay (1909-1942)

1920-2020: 100 ans d'engagements communistes en Finistère: 14/ Pierre Berthelot (1924-1986)

1920-2020: 100 ans d'engagements communistes en Finistère: 13/ Albert Abalain (1915-1943)

1920-2020: 100 ans d'engagements communistes en Finistère: 12/ Andrée Moat (1920-1996)

1920-2020: cent ans d'engagements communistes en Finistère: 11/ Jean Le Brun (1905-1983)

1920-2020: 100 ans d'engagements communistes en Finistère - 10/ Denise Larzul, née Goyat (1922-2009)

1920-2020: 100 ans d'engagements communistes en Finistère: 9/ Pierre Le Rose

1920-2020: 100 ans d'engagements communistes en Finistère: 8/ Marie Salou née Cam (1914-2011)

1920-2020: 100 ans d'engagements communistes en Finistère: 7/ René Vautier (1928-2015)

1920-2020: 100 ans d'engagements communistes en Finistère: 6/ Denise Firmin née Larnicol (1922-2019)

1920-2020 - 100 ans d'engagements communistes en Finistère: 5/ Fernand Jacq (1908-1941)

1920-2020: 100 ans d'engagements communistes en Finistère: 4/ Corentine Tanniou (1896-1988)

1920-2020 - 100 ans d'engagements communistes en Finistère: 3/ Albert Rannou (1914-1943)

1920-2020 - 100 ans d'engagements communistes en Finistère - 2/ Marie Lambert (1913-1981)

Yvonne Ropars, Arthur Baron et Marie Salou, résistants FTPF, ne veulent pas que la face obscure de l'histoire du Château de Brest soit oubliée.

Yvonne Ropars, Arthur Baron et Marie Salou, résistants FTPF, ne veulent pas que la face obscure de l'histoire du Château de Brest soit oubliée.

Article Le Télégramme, 13 février 2001

Le Château fut aussi la geôle des résistants

« L'histoire du Château de Brest pendant la guerre a été oubliée. Nous voudrions que quelque chose rappelle aux visiteurs le sort de la quarantaine de résistants brestois qui y ont été emprisonnés », disent Yvonne Ropars et Marie Salou. L'une a perdu son frère, l'autre a échappé de peu au peloton d'exécution.

Marie Salou avait 28 ans lorsqu'elle a connu les geôles du Château de Brest avec 19 autres résistants brestois, qui furent tous fusillés au Mont Valérien le 17 septembre 1943.

Tentative d'évasion

Marie et Yvonne témoignent encore d'un passé qui tend à sombrer dans l'oubli, même si une plaque installée dans le jardin de la rue Georges-Melou vient rappeler aux passants le nom de ceux qui sont morts. Mais c'est toujours la même émotion qui submerge Yvonne Ropars lorsqu'elle évoque la mémoire de son frère Joseph, arrêté avec les autres membres de ce groupe de FTPF, les communistes résistants. Joseph avait fait sauter une maison occupée par des Allemands, d'autres avaient saboté des installations à l'arsenal, beaucoup rédigeaient et distribuaient des tracts. «Lorsque Joseph était emprisonné au château, j'allais à l'heure de midi devant l'entrée, au niveau des tourelles pour l'apercevoir furtivement. Parfois certains agents de police étaient chics et me prévenaient de la présence d'un commissaire. Alors je m'éloignais un moment». Un jour, elle aperçoit son frère les mains liées, il lui apprend que ses pieds aussi sont entravés. Elle apprendra bien plus tard, après la guerre, en découvrant parmi des archives une lettre du commissaire central de Brest au chef de la sûreté allemande, que son frère avait ainsi été puni d'une tentative d'évasion. «Le 8 janvier 1943, Joseph avait tenté, avec Louis Departout, de profiter d'une corvée pour prendre la fuite dans la cour de la caserne, mais ils ont été rattrapés tout de suite par les gardiens de la paix». Arrêtés par des policiers brestois, les résistants avaient probablement été victimes d'une dénonciation. «On pense que l'information est venue de Nantes. Personnellement, j'ai été enfermée dans les commissariats de Recouvrance, de Kleber et de Saint-Martin, là des hommes de notre groupe de résistants ont d'ailleurs été battus par les policiers. Puis nous avons été regroupés au château, où il n'y avait pas de prisonniers de droit commun».

Condamnée à Rennes puis à Fresnes

Marie Salou partage sa cellule avec quatre autres femmes. Pour Marie et ses amies, un premier procès est organisé à Rennes, le 11 décembre 1942, elles sont reconnues «coupables d'appartenir à la III e Internationale», puis, Marie est transférée sur Fresnes en juillet 1943 pour y être jugée avec les 19 Brestois. «Ce n'est qu'à Fresnes que nous avons vu des policiers allemands, auparavant c'était toujours la police française». Les 20 Brestois sont condamnés à mort, mais Marie est miraculeusement graciée, sa peine étant commuée en prison à perpétuité. Yvonne Ropars se rend avec sa mère au fort d'Ivry pour tenter d'obtenir un laisser passer. Mais l'avocat allemand leur laisse peu d'espoir, l'irréparable est survenu. «Mon frère a été fusillé 29 ans jour pour jour après la mort de son père à la bataille de Verdun. J'ai fait inscrire sur sa tombe : livré par de faux français et tué par les nazis».

Ravensbrück puis Mathausen

Pour Marie, qui laisse une petite fille à Brest, une longue route commence, un parcours incroyable qui va la mener dans les forteresses de Walheim à la frontière tchèque, où on lui rase la tête, puis de Lübeck et de Cottus. Les conditions de vie étaient difficiles, les asticots surnageaient souvent dans la soupe, mais le pire était à venir. Début novembre 1944, un policier allemand l'escorte seule vers le camp de Ravensbrück où elle se retrouve dans le block des NN pour «Nacht ou Nebel»... Nuit et brouillard. «Début mars 1945, tous les NN ont été transférés en wagons à bestiaux vers le camp de Mathausen, c'est là finalement que j'ai été libérée grâce à la Croix Rouge enfin». Résister était une évidence pour Marie, comme pour Yvonne, ce n'était que la suite logique de leur engagement quelques années plus tôt en faveur des réfugiés espagnols qui arrivaient en Bretagne. Aujourd'hui, avec d'autres anciens résistants comme Arthur Baron, elles ne veulent pas que la face obscure de l'histoire du château de Brest soit oubliée.
 
1920-2020: 100 ans d'engagements communistes en Finistère: 110/ Yvonne Ropars, dite Suzanne
1920-2020: 100 ans d'engagements communistes en Finistère: 110/ Yvonne Ropars, dite Suzanne
1920-2020: 100 ans d'engagements communistes en Finistère: 110/ Yvonne Ropars, dite Suzanne
Henri Martin, héros de la paix -
article d'Yvonne Ropars, militante communiste brestoise, ancienne résistante, employée de la SNCF, dans le journal de la fédération cheminots CGT-FSM, à l'occasion du procès du militant anticolonialiste et marin communiste Henri Martin, ancien résistant FTP dans le Cher, ayant refusé de s'engager dans la guerre d'Indochine.
 
Yvonne Ropars assiste à la 8e séance du procès d'Henri Martin a Brest en 1951 et rend compte de ses impressions:
 
"Henri Martin voulant accomplir son devoir jusqu'au bout, s'engage dans la marine pour libérer le sol vietnamien de l'envahisseur japonais. Il est embarqué sur le "Chevreuil" qui fait route vers l'Indochine. Il demande à faire partie d'une compagnie de débarquement. Un témoin, embarqué avec H. Martin, a expliqué qu'en descendant à terre, ils n'ont pas rencontré de Japonais, mais des corps de Vietnamiens, mutilés; des femmes, des enfants massacrés. Ils ont vu les bateaux tirer sur les jonques sans avertissement et a rappelé que Henri Martin avait fait trois demandes de résiliation d'engagement. Toutes sont restées sans réponses. L'officier de marine, Louis Héron de Villefosse, a déclaré au Tribunal qu'il a préféré demandé sa retraite que de partir pour l'Indochine faire une pareille guerre. Sa demande a été acceptée, parce que, a t-il précisé, il était officier supérieur, puis il a ajouté: "Pourquoi avoir refusé les demandes de résiliations de Henri Martin?". Il a également déclaré que si la demande de mise à la retraite avait été refusée, il aurait été contraint d'aller en Indochine, sans doute, eût-il été jugé, comme est jugé Henri Martin.
Henri Martin sait que le sang français coule à flot pour les milliardaires américains et les milliardaires français. Dans l'un des tracts, il le dénonce en disant:
"Nous voyons plus que jamais pour quels infâmes trafics on nous envoie mourir au Viet-Nam. Et vous avez le culot de nous parler de patrimoine national? C'est pour vos millions que vous sacrifiez nos vingt ans".
La libération de Ramke a la même signification que la condamnation de Henri Martin.
A Toulon, il s'était trouvé deux officiers pour demander l'acquittement de Henri Martin. A Brest, pas un seul n'a eu ce courage. Parce que Henri Martin face à ses juges est resté fidèle à la mémoire de ceux qui sont tombés sous les balles nazies ou dans les camps de concentration, ils l'ont condamné à la peine la plus atroce, à la réclusion.
En entendant le verdict, lui signifiant sa condamnation, il a tout simplement dit: "Mais alors, ils veulent la guerre".
Si nous ne redoublons pas d'efforts pour arracher H. Martin à sa cellule, nous aussi nous condamnons la paix. Il ne faut pas les laisser accomplir leur crime. Rendons Henri Martin à sa famille, çà sa fiancée.
En luttant pour sa libération, nous luttons pour sauvegarder la Paix.
Yvonne Ropars
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22 juillet 2021 4 22 /07 /juillet /2021 06:30
Résistance communiste finistérienne - la dernière lettre de Joseph Ropars, fusillé au Mont Valérien le 17 septembre 1943 avec 18 autres camarades finistériens
Joseph Ropars, au centre en haut, était le bon compagnon de détention d'Albert Rannou, en bas à gauche (photos du livre d'Eugène Kerbaul sur la section du PCF de Brest pendant l'Occupation)

Joseph Ropars, au centre en haut, était le bon compagnon de détention d'Albert Rannou, en bas à gauche (photos du livre d'Eugène Kerbaul sur la section du PCF de Brest pendant l'Occupation)

Avis d'exécution des 19 résistants communistes ou FTP finistériens le 17 septembre 1943, fusillés au Mont Valérien

Avis d'exécution des 19 résistants communistes ou FTP finistériens le 17 septembre 1943, fusillés au Mont Valérien

Résistance communiste finistérienne - la dernière lettre de Joseph Ropars, fusillé au Mont Valérien le 17 septembre 1943 avec 18 autres camarades finistériens
Résistance communiste finistérienne - la dernière lettre de Joseph Ropars, fusillé au Mont Valérien le 17 septembre 1943 avec 18 autres camarades finistériens
Résistance communiste finistérienne - la dernière lettre de Joseph Ropars, fusillé au Mont Valérien le 17 septembre 1943 avec 18 autres camarades finistériens
Résistance communiste finistérienne - la dernière lettre de Joseph Ropars, fusillé au Mont Valérien le 17 septembre 1943 avec 18 autres camarades finistériens
Résistance communiste finistérienne.
Voici une photocopie du manuscrit de la dernière lettre de Joseph Ropars, fusillé avec 18 résistants communistes et FTP finistériens au mont Valérien (Albert Rannou, André Berger, Henri Moreau, Albert Abalain, Paul Monot, Eugène Lafleur) après avoir été arrêté par des policiers français, interrogé et brutalisé par eux, puis remis aux occupants allemands avec un dossier qui ne leur laissait aucune chance.
 
Sur la broche en forme de papillon, on voit des médaillons avec Joseph à droite et son père à gauche, mort au combat lors de la première guerre mondiale. La photo de la célébration dans le cérémonie sur la tombe de Joseph Ropars à Brest nous a été remise comme l'ensemble des documents, et la note de police sur une tentative d'évasion de Joseph Ropars à la prison du château a Brest, par Claudie Quillec, une des deux filles d'Angeline Dollet, résistante communiste, une des grandes amies de Yvonne Ropars, la sœur de Joseph qui fut également une grande résistante communiste brestoise sous le pseudonyme de "Suzanne".
Après guerre, elle refusera d'en vouloir en bloc au peuple allemand et défendra l'amitié et la réconciliation entre les peuples allemand et français en continuant son engagement au parti communiste tout en travaillant à l'économat de Brest, le magasin des cheminots notamment.
Avec Angeline, elle sera de toutes les célébrations a Châteaubriant et partagera nombre de souvenirs et de commémorations sur la résistance. Merci a Claudie Quillec avec laquelle nous avons passe un très bon moment hier a Henvic de nous avoir partage ces documents exceptionnels qui alimentent la mémoire de la résistance finistérienne. Joseph Ropars est né en 1912 à Guisseny. Il était électricien à l'arsenal de Brest. Son père a été tué pendant la guerre 14-18 alors qu'il n'avait pas deux ans, comme trois de ses oncles maternels qui trouvèrent aussi la mort dans la grande guerre. A 14 ans, il est devenu pupille de la marine et, engagé à 16 ans, est resté dans la marine nationale jusqu'à 24 ans. C'est dans le sous-marin "Pascal" qu'il fait pour la première fois connaissance avec un communiste qui lui fait partager ses idées, comme Joseph fera lui aussi partager ses idées communistes à sa sœur Yvonne et à sa mère, toutes deux résistantes. A l'Arsenal de Brest pendant le Front populaire, Joseph, libéré de ses obligations militaires, diffuse "Paix et Liberté", journal de rassemblement créé sous l'impulsion du PCF. Il donne son adhésion au PCF dans la clandestinité et s'engage dans la résistance en 1942. Il participe au sabotage de sous-stations électriques à l'arsenal, distribue des tracts du Front national (organisation communiste de résistance), et participe à des sabotages avec le groupe FTP de Pierre Corre. Il est arrêté par les policiers français fin 1942 au cours d'une traque sans pitié menée par la SPAC. Après sa tentative d'évasion à la prison du château à Brest, il a les fers au pied nuit et jour du 13 novembre 1942 au 29 janvier 1943. Il est alors traduit devant un tribunal français, puis un tribunal militaire allemand pour faits de résistance. Sa sœur Yvonne et sa mère ont tenté en vain d'intercéder en sa faveur, sont montées le voir à Paris, où il était enfermé au fort d'Ivry, et ont tenté de contacter un avocat allemand (un anti-fasciste qui a cherché à les aider sincèrement).
 
La dernière lettre de Joseph Ropars avant son exécution à 31 ans le 17 septembre 1943:
 
Bien chères maman et sœur,
 
C'est avec peine que je vous annonce que notre recours en grâce a été rejeté; on vient de nous l'annoncer; il est maintenant 12h et à 4h nous serons exécutés. Je serai courageux jusqu'à la dernière minute comme je l'ai été jusqu'à présent. J'avais appris que maman devait venir me voir mais le malheur a voulu que je ne puisse pas te voir. Je vous demande dans ma dernière volonté d'être courageuses comme je le serai jusqu'au dernier moment. Notre sacrifice ne sera pas inutile et notre noble pays sera libéré malgré les fusillades. Je n'ai rien à me reprocher et je pars confiant en un avenir plus heureux pour ceux qui survivront. J'ai toujours suivi le droit chemin sans m'écarter. Je quitte cette vie sachant que les traîtres qui nous ont fait assassiner paieront chèrement tous leurs crimes (censuré). J'avais encore espoir au recours en grâce mais hélas le destin a décidé autrement. Il faut savoir être fort même devant les pires évènements. Je vous demande aussi de bien embrasser toute la famille pour moi, j'ai beaucoup pensé à toute la famille. Je termine cette lettre en vous embrassant mille fois.
 
Votre fils et frère qui vous aime.
 
Adieu chère maman et chère soeur.
 
Votre fils et frère
 
Joseph Ropars
Angéline Dollet et Yvonne Ropars, la soeur de Joseph Ropars, devant le panneau commémoratif du village de Tredudon-les-Moines en Berrien, premier village résistant de France, où elles servirent d'agentes de liaison pour le bataillon FTP Yves Giloux

Angéline Dollet et Yvonne Ropars, la soeur de Joseph Ropars, devant le panneau commémoratif du village de Tredudon-les-Moines en Berrien, premier village résistant de France, où elles servirent d'agentes de liaison pour le bataillon FTP Yves Giloux

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22 juillet 2021 4 22 /07 /juillet /2021 06:15
 à gauche, Angéline Dollet - au premier plan, Yves Boutillier, qui a été quelques temps sous les ordres de Callac ( bataillon Giloux), André Long, un cousin, et à droite, Maurice Dollet (photo Claudie Quillec)

à gauche, Angéline Dollet - au premier plan, Yves Boutillier, qui a été quelques temps sous les ordres de Callac ( bataillon Giloux), André Long, un cousin, et à droite, Maurice Dollet (photo Claudie Quillec)

Angéline et Maurice Dollet, résistants communistes finistériens, en colonie de vacances avec leurs enfants à Carhaix

Angéline et Maurice Dollet, résistants communistes finistériens, en colonie de vacances avec leurs enfants à Carhaix

Angéline Dollet et Suzanne (Yvonne) Ropars, résistante elle aussi, à droite à Trédudon-les-Moines en Berrien, 1er village résistant de France

Angéline Dollet et Suzanne (Yvonne) Ropars, résistante elle aussi, à droite à Trédudon-les-Moines en Berrien, 1er village résistant de France

1920-2020: 100 ans d'engagements communistes en Finistère:

92/Angéline Dollet dit "Yvette", née Yvinec

Lire aussi:

Résistance et répression des communistes brestois de 1939 à 1943 (à partir des souvenirs et des enquêtes d'Eugène Kerbaul, résistant communiste)

Angéline Yvinec, dit Yvette dans la résistance, est née à Plounéour-Menez le 20 mars 1918.

Elle dira à des collégiens de Plounéour-Menez travaillant sur le concours de la résistance et de la déportation en 2003: "Je suis d'abord une enfant de la guerre puisque née en 1918. J'ai été marquée par la guerre. Mon père nous parlait souvent des tranchées. Au bourg de Plounéour-Menez, on chantait La Marseillaise. On allait régulièrement au Monument aux Morts. Je suis fière de l'école laïque: pour moi, c'était sacré. C'est en moi. Mon patriotisme vient de là. Aujourd'hui encore, dès que j'entends la Marseillaise, je pleure. Mon drapeau bleu blanc rouge, je l'ai toujours chez moi".

Angéline Dollet était une adolescente studieuse, première de sa classe, mais aussi au catéchisme. Les parents d'Angéline, originaires de Commana, ont eu six filles et trois garçons, tous nés à Plounéour Menez. Le plus jeune fils, Albert, deviendra un résistant important du Finistère. Après son certificat d'étude, Angéline travaille comme ouvrière agricole avant de quitter les Montagnes d'Arrée pour rejoindre Paris en 1935 pour trouver du travail. Elle devient employée dans un restaurant. En 1936, elle est consacrée "Reine des Bretons émancipés de Paris". La même année elle rencontre Maurice Dollet, magasinier, né le 4 septembre 1916 à Beuvry, dans le Pas-de-Calais. Il adhère au PCF avec Angéline en 1937 et sera secrétaire de cellule dans le 20e arrondissement jusqu'en 1939.

Elle adhère au PCF dans le 18e arrondissement de Paris en 1937. Son frère, Albert Yvinec, ouvrier à l'arsenal, syndicaliste CGT, avait adhéré en 1936 à Brest.

Angéline et Maurice se marient à Plounéour-Menez le 4 novembre 1939 lors d'une permission de trois jours de Maurice qui avait réservé la surprise de son arrivée à Angéline. C'était la première fois qu'il mettait les pieds à Plounéour-Menez, lui, le militant parisien originaire du Pas-de-Calais. Angéline était rentrée chez ses parents où elle était en convalescence suite à une occlusion intestinale. 

Prisonnier de guerre, Maurice s'évade au cours du trajet vers l'Allemagne et prend contact avec le PCF clandestin. Propagandiste résistant, il diffuse la propagande du Parti, du Front National de Libération de la France. Arrêté dans une rafle en 1943, il est condamné à deux mois de prison pour une fausse carte d'identité. Il a été violemment battu par les policiers français qui l'ont interrogé et en gardera toute sa vie des séquelles à travers des maux de tête récurrents.  

Libéré, il gagne la Bretagne, d'abord à Callac où il est versé dans les F.T.P, puis au maquis F.T.P de Plouigneau. Muté au PCF Brest, il devient membre du triangle de direction de l'organisation communiste clandestine brestoise en 1944.

Angéline, elle, est donc revenue en Bretagne au début de l'occupation allemande. Elle rentre dans la Résistance par l'intermédiaire de  Jean-Baptiste Sissou, dit Albert, de Plounéour-Menez, à la fin 1941. "Notre première véritable action fut d'accueillir un évadé de la prison de Voves (Eure-et-Loire), un dénommé Marcel, originaire du Nord. On l'a hébergé un moment".

Elle prend contact à Brest avec le PCF clandestin dans la préparation d'une évasion de résistants détenus à la prison allemande de Pontaniou. Elle organise avec Yves Le Faou (ouvrier à l'arsenal de Brest, délégué à la CGT, ancien socialiste devenu communiste sous l'occupation, responsable du secours populaire clandestin à Brest en même temps que d'un groupe résistant communiste à l'arsenal, il deviendra responsable de l'appareil technique des FTP pour les huit départements de l'ouest sous le pseudonyme de Gérard Le Hir), la solidarité avec les résistante et résistants incarcérés à Rennes à qui ils parviennent à faire passer des colis du Secours Populaire clandestin. Ils organisent la collecte des denrées expédiées auprès des commerçants brestois patriotes et solidaires. L'argent du Secours Populaire pour les familles de résistants vient aussi des payes des résistants eux-mêmes.

Parfois, les plis des vêtements envoyés contiennent des messages.

Angéline Dollet, "Yvette", effectue aussi des collectes de solidarité pour le Secours Populaire clandestin, sillonnant à pied avec une autre résistante, Virginie Bénard, dite "Jeanne", plusieurs communes: Bourg-Blanc, Portsall, le Conquet. 

Angéline effectue des transports de matériels et de propagande en vélo ou à pied, des liaisons avec les F.T.P et dans les maquis à leur création, elle héberge des résistants en mission. Elle sert notamment de convoyeuse entre Brest et les Monts d'Arrée, Trédudon, centre du maquis FTP où se préparaient de nombreuses actions de la résistance communiste. Elle y rencontre Charles Tillon. 

Claudie Quillec, la fille de Maurice et d'Angéline, témoigne:

"Maurice et Angéline habitaient à un moment rue Anatole France près du cimetière de Recouvrance. Angéline a failli se faire arrêter en allant porter des colis à la prison de Pontaniou: elle mettait des scies dans des miches de pain. Un 14 juillet, elle s'est présentée habillée de vêtements bleu blanc rouge à la prison". 

Elle participe dans les F.T.P à diverses actions comme, en 1943, la préparation des cordons de Bickfort pour l'allumage de la bombe à l'Hôtel Moderne, siège de la Kommandatur, à l'angle des rues Louis Pasteur et Algésiras.  Angéline participe à cet attentat avec Virginie Bénard, dite "Jeanne" dans la Résistance.

Plus tard, Angéline guidera au maquis les hommes du Bataillon "Yves Giloux" du côté de Plouigneau. Elle était responsable départementale du Secours populaire clandestin en 1944.

Voici la Citation à l'Ordre du Régiment par le général Allard, commandant la XI e Région Militaire, pour Yvette Dollet (Angéline Yvinec dans la Citation):

"Agent de liaison du Bataillon qui a toujours rempli les missions les plus périlleuses avec le plus grand courage. A assuré la liaison entre son maquis et le PC du Finistère, transportant sur elle des plis secrets et compromettant qui l'obligèrent une fois à franchir l'Aulne à la nage. A permis le succès de nos parachutages". 

Son frère Albert Yvinec, après avoir diffusé des tracts clandestins du PCF, des F.T.P, du Front National de Libération de la France, se distinguera lui dans les maquis de Guerlesquin et de la région de Morlaix. Il sera capitaine du bataillon "Yves Giloux" de Morlaix sous le nom de "capitaine Callac" et, à la Libération, il sera commandant de la place à Morlaix,  puis adjoint au maire à Brest. En 1950 il était secrétaire de la section syndicale de la Pyrotechnie St Nicolas du Relecq-Kerhuon (Finistère). Le 2 février 1952, il fut licencié de cet établissement pour avoir fait voter une résolution demandant aux ouvriers de l’arsenal de s’opposer au travail pour la guerre d’Indochine, ainsi qu’au chargement de wagons de balles pour le Vietnam. Albert Yvinec fut secrétaire fédéral de la fédération du PCF du Finistère en février 1952, en janvier 1953, membre du bureau fédéral PCF Finistère en mars 1953, secrétaire fédéral en 1954. Membre du comité fédéral en mai 1956, en mai 1957, en juin 1959.

Il meurt en juillet 1980, à 68 ans.

Maurice Dollet, qui devient docker à la libération, en même temps qu'il s'occupe d'un élevage de poulets près de leur baraque de la route de Guilers à Brest, meurt le 25 novembre 1955. Angéline élève seule ses deux filles: Nicole, née en 1949, et Claudie, née en 1951.

Angéline a travaillé quelque temps à la cantine de Kerargaouyat, sur le quartier Saint-Pierre à Brest, puis, après un incendie où elle a été intoxiquée, elle devenue femme de service (ATSEM) dans l'école maternelle de la rue de Lyon à Brest, puis à l'école maternelle Vauban. 

Elle était militante communiste brestoise à la Libération mais a déchiré sa carte peu d'années après suite à un conflit de section. Elle restera néanmoins sympathisante, électrice communiste et participera aux fêtes de l'Humanité, aux cérémonies de Châteaubriant tous les ans. 

Angéline décède le 20 août 2008.

L'ANACR participe à ses obsèques.

Sources: Eugène Kerbaul, Jean-Paul Cam, Claudie Quillec, Mémoire de collégiens du Collège de Plounéour-Menez en 2003 dans le cadre du concours de la résistance avec le témoignage d'Angéline Dolley

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1920-2020: 100 ans d'engagements communistes en Finistère: 77/ Emile Le Page (1922-1942) et Pierre Jolivet (1921-1942)

1920-2020: Cent ans d'engagements communistes en Finistère: 76/ Louise Tymen (1925-2015)

1920-2020: Cent ans d'engagements communistes en Finistère: 75/ Yves Giloux (1921-1943)

1920-2020: Cent ans d'engagements communistes en Finistère: 74/ André Garrec (1922-1944)

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1920-2020: 100 ans d'engagements communistes en Finistère - 55/ Albert Jaouen (1909-1976)

1920-2020: 100 ans d'engagements communistes en Finistère - 54/ Pierre Hervé (1913-1993)

1920-2020: 100 ans d'engagements communistes en Finistère: 53/ Julien Gracq, de son vrai nom Louis Poirier (1910-2007)

1920-2020: 100 ans d'engagements communistes en Finistère: 52/ Yves Le Meur (1924-1981)

1920-2020: 100 ans d'engagements communistes en Finistère: 51/ Jean Burel (1921-1944)

1920-2020: 100 ans d'engagements communistes en Finistère: 50/ Jacob Mendrès (1916-2012)

1920-2020: 100 ans d'engagements communistes en Finistère: 49/ Henri Tanguy dit Rol-Tanguy (1908-2002)

1920-2020: 100 ans d'engagements communistes en Finistère: 48/ Carlo de Bortoli (1909-1942)

1920-2020: 100 ans d'engagements communistes en Finistère: 47/ Robert Jan (1908-1987)

1920-2020: 100 ans d'engagements communistes en Finistère: 46/ Denise Roudot (1933-2002)

1920-2020: 100 ans d'engagements communistes en Finistère: 45/ Paul Le Gall (né en 1925)

1920-2020: 100 ans d'engagements communistes en Finistère: 44/ René Le Bars (1933-2016)

1920-2020: 100 ans d'engagements communistes en Finistère: 43/ Louis Le Roux (1929-1997)

1920-2020: 100 ans d'engagements communistes en Finistère: 42/ Pierre Corre (1915-1943)

1920-2020: 100 ans d'engagements communistes en Finistère: 41/ Daniel Le Flanchec (1881-1944)

1920-2020: 100 ans d'engagements communistes en Finistère: 40/ Joséphine Pencalet (1886-1972)

1920-2020: 100 ans d'engagements communistes en Finistère: 39/ Sébastien Velly (1878-1924)

1920-2020: 100 ans d'engagements communistes en Finistère: 38/ Edouard Mazé (1924-1950)

1920-2020: 100 ans d'engagements communistes en Finistère: 37/ Guy Liziar (1937-2010)

1920-2020: 100 ans d'engagements communistes en Finistère: 36/ Henri Moreau (1908-1943)

1920-2020: 100 ans d'engagements communistes en Finistère: 35/ Alphonse Penven (1913-1994)

1920-2020: 100 ans d'engagements communistes en Finistère: 34/ Michel Mazéas (1928-2013)

1920-2020: 100 ans d'engagements communistes en Finistère: 33/ Pierre Guéguin (1896-1941)

1920-2020: 100 ans d'engagements communistes en Finistère: 32/ Jean-Louis Primas (1911-1943)

1920-2020: 100 ans d'engagements communistes en Finistère: 31/ François Paugam (1910-2009)

1920-2020: 100 ans d'engagements communistes en Finistère: 30/ Angèle Le Nedellec (1910-2006)

1920-2020: 100 ans d'engagements communistes en Finistère: 29/ Jules Lesven (1904-1943)

1920-2020: 100 ans d'engagements communistes en Finistère: 28: Raymonde Vadaine, née Riquin

1920-2020: 100 ans d'engagements communistes en Finistère: 27/ Jeanne Goasguen née Cariou (1901-1973)

1920-2020: 100 ans d'engagements communistes en Finistère: 26/ Gabriel Paul (1918-2015)

1920-2020: 100 ans d'engagements communistes en Finistère: 25/ François Bourven (1925-2010)

1920-2020: 100 ans d'engagements communistes en Finistère: 24/ Yves Autret (1923-2017)

1920-2020: 100 ans d'engagements communistes en Finistère: 23/Pierre Jaouen (1924-2016)

1920-2020: 100 ans d'engagements communistes en Finistère: 22/ André Berger (1922-1943)

1920-2020: 100 ans d'engagements communistes en Finistère: 21/ Joseph Ropars (1912-1943)

1920-2020: 100 ans d'engagements communistes en Finistère: 20/ Paul Monot (1921-1943)

1920-2020: 100 ans d'engagements communistes en Finistère: 19/ Jean-Désiré Larnicol (1909-2006)

1920-2020: 100 ans d'engagements communistes en Finistère: 18/ Jean Le Coz (1903-1990)

1920-2020: 100 ans d'engagements communistes en Finistère: 17/ Alain Cariou (1915-1998)

1920-2020: 100 ans d'engagements communistes en Finistère: 16/ Jean Nédelec (1920-2017)

1920-2020: 100 ans d'engagements communistes en Finistère: 15/ Alain Le Lay (1909-1942)

1920-2020: 100 ans d'engagements communistes en Finistère: 14/ Pierre Berthelot (1924-1986)

1920-2020: 100 ans d'engagements communistes en Finistère: 13/ Albert Abalain (1915-1943)

1920-2020: 100 ans d'engagements communistes en Finistère: 12/ Andrée Moat (1920-1996)

1920-2020: cent ans d'engagements communistes en Finistère: 11/ Jean Le Brun (1905-1983)

1920-2020: 100 ans d'engagements communistes en Finistère - 10/ Denise Larzul, née Goyat (1922-2009)

1920-2020: 100 ans d'engagements communistes en Finistère: 9/ Pierre Le Rose

1920-2020: 100 ans d'engagements communistes en Finistère: 8/ Marie Salou née Cam (1914-2011)

1920-2020: 100 ans d'engagements communistes en Finistère: 7/ René Vautier (1928-2015)

1920-2020: 100 ans d'engagements communistes en Finistère: 6/ Denise Firmin née Larnicol (1922-2019)

1920-2020 - 100 ans d'engagements communistes en Finistère: 5/ Fernand Jacq (1908-1941)

1920-2020: 100 ans d'engagements communistes en Finistère: 4/ Corentine Tanniou (1896-1988)

1920-2020 - 100 ans d'engagements communistes en Finistère: 3/ Albert Rannou (1914-1943)

1920-2020 - 100 ans d'engagements communistes en Finistère - 2/ Marie Lambert (1913-1981)

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9 juillet 2021 5 09 /07 /juillet /2021 07:17
Disparition. Axel Kahn, le courage, l’humanité et le combat jusqu’au bout - Hommage du journal l'Humanité
Disparition. Axel Kahn, le courage, l’humanité et le combat jusqu’au bout
Mercredi 7 Juillet 2021

Le généticien, médecin humaniste et brillant essayiste est mort à l’âge de 76 ans, des suites d’un cancer incurable, qui s’était récemment aggravé. Retour sur son chemin de vie exemplaire, jusqu’à la fin.

 

Ce matin, le loup a desserré ses mâchoires. Axel Kahn, « Axel le loup », comme il signait ses derniers messages sur les réseaux sociaux, en référence au bouleversant poème d’Alfred de Vigny, s’en est allé à l’âge de 76 ans. Se sachant atteint d’un cancer incurable qui s’était récemment aggravé, le scientifique de renom, humaniste et engagé, avait choisi la compagnie de cet animal totem pour arpenter «  cette dernière phase de (son) itinéraire ». «  Tant que mes mâchoires pourront mordre le cancer, lui faire mal, protéger les personnes, elles ne se desserreront pas. Après ma mort, d’autres mordront avec plus de rage encore », postait-il le 11 mai, au moment où il annonçait le retrait prochain de ses fonctions de président de la Ligue contre le cancer.

Icon Quote Touché par ses mots, son humilité, sa sincérité, je veux saluer l’humanisme d’Axel Kahn. Merci infiniment.  Fabien Roussel, secrétaire national du PCF

Un homme exemplaire jusqu’au bout

Quinze jours plus tard, il publiait une bouleversante lettre d’adieu qui forçait l’admiration : « Je vais mourir, bientôt. Tout traitement à visée curative est désormais sans objet. Reste à raisonnablement atténuer les douleurs. Or, je suis comme j’espérais être : d’une totale sérénité. (…) Il a fallu pour cela que je réussisse à “faire mon devoir”, à assurer le coup, à dédramatiser ma disparition. (…) Alors, souriant et apaisé, je vous dis au revoir, amis. » Exemplaire jusqu’au bout, médiatisant son combat contre le cancer, le médecin aura même fait de sa fin de vie une lutte au service des autres malades.

 

Dès l’annonce de sa mort, une pluie d’hommages lui a été rendue, tant par les centaines de témoignages chaleureux des Français sur les réseaux sociaux que par de grands scientifiques et des responsables politiques. « Axel Kahn nous a accompagnés, challengés, critiqués, fait bouger et il était toujours disponible pour travailler avec les équipes de la Ligue contre le cancer pour préserver la prise en charge et le dépistage des cancers tout au long de la crise », a salué par exemple le directeur de l’agence régionale de santé d’Île-de-France, Aurélien Rousseau. De son côté, Ian Brossat, porte-parole du PCF et maire adjoint de Paris en charge du logement, a rappelé : « Il y a six semaines, dans une lettre pleine de dignité, Axel Kahn expliquait son combat et nous disait au revoir. Il nous quitte pour de bon aujourd’hui, et c’est à notre tour de lui rendre hommage, à lui et à son intelligence lumineuse. »

Vulgarisateur lumineux, homme d’éthique et de devoir

Randonneur infatigable, travailleur acharné, l’homme de devoir et de transmission a rempli toutes ses missions, guidé par une profonde bienveillance et par l’amour d’autrui. Sans relâche, il a œuvré jusqu’au bout, en tant que président de la Ligue contre le cancer, une responsabilité qu’il assume de façon bénévole depuis sa nomination en juin 2019. Il a lutté inlassablement contre la pandémie du Covid, appelant à la solidarité internationale et à la coordination de la production de vaccins menée sous l’égide de l’OMS, pour les rendre accessibles à tous. Le médecin n’a pas économisé son énergie pour peser de tout son poids sur les choix politiques, dont ceux d’Emmanuel Macron de ne pas reconfiner le pays en début d’année. Il avait d’ailleurs accordé à un grand entretien, le 4 décembre dernier, dans lequel il critiquait certaines décisions gouvernementales et appelait à des mesures constructives de prévention et de vaccination pour tous.

Icon Quote “J’ai besoin de l’autre pour être moi-même, et il a besoin de moi pour être lui”, Axel Kahn. Un grand médecin, un grand chercheur, un grand humaniste vient de nous quitter. Courageux et engagé, jusqu’à la fin. Olivier Véran, ministre de la Santé

« Arrivé au bout du chemin », le généticien, l’essayiste, le vulgarisateur lumineux, l’amoureux de la nature, l’homme d’éthique et de devoir n’a jamais courbé l’échine. Jusqu’au bout, il a mené ses combats. Même « rattrapé par la patrouille » comme il l’écrivait avec humour… les Français l’ont suivi avec émotion, quand il bataillait sans relâche dans les médias, pour que les malades du cancer ne soient pas les grands oubliés de la pandémie . Qu’il soit hospitalisé ou lors de son ultime retour au foyer familial, il a continué à œuvrer pour la Ligue et pour les milliers d’inconnu·es confronté·es à une mort programmée par une maladie incurable.

Généticien et hématologue de renommée internationale

Benjamin d’une fratrie composée de Jean-François, l’aîné devenu journaliste, et d’Olivier le cadet chimiste, décédé en 1999, Axel Kahn est né le 5 septembre 1944 dans un petit village du sud de la Touraine, Le Petit-Pressigny. Il est élevé durant cinq ans par une nourrice avant de rejoindre ses parents à Paris. Entouré de brillants esprits, un père philosophe, un frère étudiant en histoire et un autre en chimie, Axel, le petit dernier, décide ne pas se mettre en concurrence avec ses aînés et choisit par élimination la médecine, « une science semi-molle ». Il démarre sa carrière de médecin comme interne des hôpitaux de Paris, avant d’obtenir, en 1974, un doctorat en médecine, avec une spécialité en hématologie, puis un doctorat ès sciences en 1976. Très vite, il délaisse la pratique de la médecine pour s’intéresser à la recherche scientifique.

Icon Quote Je voudrais exprimer comme beaucoup ma profonde tristesse et ma reconnaissance pour l’exemple de compétence et d’humanité qu’il nous a donné. Sa fin de vie a été comme sa vie, digne, lucide et responsable. Merci.  Jean Leonetti, maire LR et médecin

Généticien et hématologue de renommée internationale, ses recherches portent notamment sur le cancer (hémopathies, hépatocarcinomes, cancers coliques), le contrôle des gènes, les maladies génétiques, la thérapie génique et la nutrition. Il publie près de 500 articles originaux dans des revues scientifiques internationales, ainsi qu’une trentaine d’ouvrages de vulgarisation scientifique et de réflexions éthiques et philosophiques, parmi lesquels Être humain, pleinement (Stock, 2016), Jean, un homme hors du temps (Stock, 2017), Chemins (Stock, 2018), l’Éthique dans tous ses états, en collaboration avec Denis Lafay (l’Aube, 2019), ou Et le bien dans tout ça ? (Stock, 2021) .

De prestigieuses responsabilités dans le monde scientifique et académique

Et ce n’est pas tout. Axel Kahn a exercé de nombreuses et prestigieuses responsabilités dans le monde scientifique et académique : directeur de recherche à l’Inserm, directeur de l’Institut Cochin, membre du Comité consultatif national d’éthique, président de l’université Paris-Descartes, président de la Ligue contre le cancer. Excellent vulgarisateur et pédagogue, il est connu du grand public pour ses engagements et ses prises de position sur des questions éthiques et philosophiques ayant trait à la médecine et aux biotechnologies, notamment contre le clonage thérapeutique et les OGM.

Un homme engagé à gauche

Homme de gauche, ancien intellectuel communiste, vice-président d’honneur de la Société des amis de l’Humanité depuis 2003. Il alerte à plusieurs reprises, en 2013, sur les difficultés financières de l’Humanité et publie dans nos colonnes son soutien : l’Humanité

En effet, c’est à l’âge de 16 ans, en 1962, en pleine guerre d’Algérie, que le lycéen parisien rejoint le Parti communiste. Alors qu’il était très croyant, il perd la foi. Un tournant dans sa vie. Pour un monde plus juste, il se tourne alors vers la politique et milite pendant six ou sept ans chez les étudiants, jusqu’à être élu au bureau national de l’Union des étudiants communistes. Jusqu’en 1977, il sera actif dans les rangs du Parti communiste français, avant de se rapprocher du Parti socialiste et de s’impliquer dans l’élection présidentielle aux côtés de Martine Aubry en 2012.

À partir de 2013, Axel Kahn se met à parcourir seul la France à pied. Des milliers de kilomètres, de montées et de descentes, des genoux douloureux, une épaule déboîtée. Un voyage vers les autres et soi-même. Marcher n’était pas une activité pour Axel Kahn, c’était une manière d’être. Il se définissait d’ailleurs comme un homme qui marche, un chemineau de la vie.

Dans son dernier ouvrage, Et le bien dans tout ça ?, Axel Kahn prend à nouveau position sur les grands sujets d’actualité et évoque ses derniers instants avec son père Jean qui, avant de se donner la mort, lui avait laissé ces quelques mots : « Sois raisonnable et humain ! » C’était en 1970. Dans son dernier essai, Axel le loup se demandait s’il avait bien suivi cette injonction. Exemplaire jusqu’au bout, il l’a suivie à la lettre. grand chercheur, un grand humaniste vient de nous quitter. Courageux et engagé, jusqu’à la fin. »

Hommage. Disparition d'Axel Kahn, l'homme serein
Mardi 6 Juillet 2021

Le généticien et écrivain Axel Kahn est mort à l'âge de 76 ans le 6 juillet 2021. L'homme de sciences et de lettres emporté par un cancer foudroyant était également connu pour sa formidable capacité de vulgarisation scientifique.  Il avait lui-même annoncé l’issue fatale de sa maladie, le 11 mai dernier. Serein face à la mort il écrivait  « La joie de tout instant de beauté est décuplée par l’hypothèse que l’on pourrait n’en plus connaître de pareille. Sensation inouïe, bonheur immense ».

Nous publions l'entretien qu'il nous avait accordé en décembre 2020 sur la pandémie de Covid19.

 

Grand entretien avec Axel Kahn : « Contre le Covid-19, une couverture vaccinale de 60 % ferait la différence »

Le médecin généticien, président de la Ligue contre le cancer, livre une analyse critique de la gestion de la crise sanitaire en France et propose des mesures constructives pour en sortir. Cela dit, alerte-t-il, la pandémie de coronavirus n’est que la première du XXIe siècle et ne sera pas la dernière. Entretien.

Comment analysez-vous la gestion de la crise sanitaire depuis le début de l’année et notamment les deux confinements ?

Axel Kahn Le Covid-19 ne se transmet que par proximité avec une personne infectée. En l’absence de traitement, la seule arme disponible est la distanciation physique. Elle peut être sélective ou non sélective.

La première solution est accessible lorsque la circulation virale n’est pas trop importante et que l’on dispose de grandes capacités de tests et d’organisation du repérage des cas contacts. Elle consiste en le diagnostic, initialement grâce à la détection du génome viral dans le nasopharynx des sujets infectés, des tests systématiques aux frontières et dans les foyers naissants (clusters), une enquête épidémiologique pour remonter aux cas contacts et un isolement (quatorzaine au début de l’épidémie, septaine aujourd’hui) des personnes contaminées. Cette stratégie a été très opérante en Corée du Sud, Japon, Taïwan. En France, elle a permis de circonscrire les foyers de Haute-Savoie, du Morbihan et de Montpellier au début de l’épidémie.

La seconde approche est celle du confinement non sélectif de toute la population. Elle est la seule possible lorsque la circulation du virus est intense, ou bien quand on ne dispose pas d’une capacité suffisante de tests et de traçage : en Chine, à Wuhan et autres villes, Inde, Europe de l’Ouest, pays d’Amérique du Sud, etc. En fait, la moitié de l’humanité a été confinée.

 

En France, l’explosion de l’épidémie après le rassemblement religieux de Mulhouse du 17 au 24 février a dépassé toutes les capacités de limitation des foyers et a conduit au confinement inéluctable de mars. La seconde vague épidémique de l’automne a frappé toute l’Europe, y compris l’Europe de l’Est, relativement préservée au printemps. Elle a été facilitée en France par une certaine insouciance à la suite du confinement du 17 mars au 11 mai. Et aussi par l’action de scientifiques très invités dans les médias pour diffuser leur message rassurant selon lequel rien ne se passait et qu’il n’était pas nécessaire de prendre des précautions. De ce fait, la circulation virale très basse le 11 mai a progressivement augmenté, d’abord chez les jeunes, puis, lentement, chez les sujets âgés et fragiles, plus sensibles à développer des formes graves. La rentrée universitaire a contribué à la remontée des infections. Fin octobre, le virus circulait dans toute la France, globalement plus qu’en mars. La seule possibilité pour éviter un confinement total au mois de décembre avec ses conséquences économiques et psychologiques redoutables était de faire baisser la circulation virale suffisamment en amont. Par conséquent de décider le second confinement, plus modéré que le premier mais d’une indiscutable efficacité quand même.

Icon QuoteLa démocratie en santé a été maltraitée dans l’urgence de la situation épidémique.

Quels ont été les manquements au niveau des pouvoirs publics ?

Axel Kahn Le devoir de réserve du président de la Ligue contre le cancer que je suis lui interdit de prendre des positions de nature politique, idéologique, religieuse. Et aussi de se mêler au chœur des critiques des autorités aussi bien que d’en défendre l’action. Mes remarques seront par conséquent limitées à quelques items. En mars, en dehors de la Chine et des pays d’Asie qui ont la culture du port du masque, personne au monde n’en disposait en quantité nécessaire et suffisante. Pour autant, il était inutile de prétendre qu’ils ne servaient à rien. Les Chinois avaient averti les autres pays du monde de l’extrême vulnérabilité des personnes âgées au Covid. Les autorités françaises ont très tôt recommandé d’interdire les visites de la famille aux pensionnaires des Ehpad. Cependant, les personnels y travaillant n’ont pas été pourvus de protections supplémentaires, masques, surblouses, charlottes, etc. La mortalité a été considérable dans ces établissements.

Retrouvez tous nos articles sur la situation dans les Ehpad.

Après la première vague, j’espérais que des dispositifs seraient mis en place qui permettraient lors de la seconde vague mieux qu’au printemps de certes soigner les formes graves de Covid mais aussi d’assurer la continuité des soins pour des personnes souffrant d’affections plus graves et plus fréquentes que le Covid, tels les cancers. Ces personnes malades ont été à nouveau des victimes collatérales du Covid. La démocratie en santé a été maltraitée dans l’urgence de la situation épidémique. Aux côtés du conseil scientifique chargé d’éclairer les décisions de l’exécutif, il est peu compréhensible qu’on n’ait pas installé un conseil de citoyens puisque les décisions prises avaient un impact fort sur la vie des gens.

Icon QuoteSouvent, le politique a la tentation de se défausser de ses responsabilités sur les experts.

Les scientifiques ont-ils été écoutés par les pouvoirs publics ? L’Académie des sciences, dont c’est la mission, a-t-elle été suffisamment sollicitée ?

Axel Kahn En démocratie, il revient aux experts d’éclairer le processus décisionnel et non de dicter les décisions de l’État. Sinon, on risque de tomber dans une sorte de « dictature sanitaire », d’ailleurs dénoncée par des opposants. Souvent, le politique a la tentation de se défausser de ses responsabilités sur les experts. L’illustration absurde de cette dérive est l’affirmation par l’État que le maintien du premier tour des élections municipales en mars était la conséquence d’un avis du conseil scientifique. C’était une décision politique sous la pression des circonstances. À l’inverse, lorsque le président du conseil scientifique a annoncé que 18 millions de personnes fragiles ne seraient pas déconfinées le 11 mai, il empiétait sur une décision de l’État. Oui, en tout cas, l’exécutif a été correctement éclairé sur le plan scientifique durant cette période, le conseil scientifique est un comité d’experts reconnus de grande valeur. Je ne sais si l’Académie des sciences aurait constitué une meilleure solution. Son fonctionnement est plus lourd et beaucoup de ses membres ont quitté la vie professionnelle active.

 

Icon QuoteL’engouement pour une parole déviante porteuse d’espoir s’est vite confondu avec une large communauté adepte des théories complotistes.

Les scientifiques ont-ils bien fait d’être très présents sur les plateaux de télévision et d’y étaler souvent leurs divergences alors que « la science » était en train de se faire ?

Axel Kahn Durant des mois, les Français ne se sont pas intéressés à autre chose qu’au Covid. Il fallait pour les satisfaire que les stations de radio et les chaînes de télévision, surtout celles d’information continue, répondent à cette demande. Qui pouvait mieux le faire que des scientifiques du domaine et des médecins ? Ils se sont succédé, la maladie était émergente, le virus nouveau, un large spectre de sensibilités, hypothèses et analyses s’est manifesté : cela a dérouté les citoyens mais était en fait inéluctable et est habituel. De même, le poids d’une voix divergente, celle du professeur Didier Raoult, est un grand classique dans l’histoire des sciences et de la médecine, elle renoue avec la grande et riche tradition des « savants maudits » opposés à la science officielle. Le domaine du cancer est riche d’épisodes de ce type. Ce qui est plus original est que l’engouement pour cette parole déviante porteuse d’espoir s’est vite confondu avec une large communauté française et internationale au centre de gravité très à droite et à l’extrême droite, adepte des vérités alternatives et des théories complotistes, foncièrement rétive à toute « parole officielle ». Les présidents Trump aux États-Unis et Bolsonaro au Brésil s’y sont ralliés. Des publications YouTube de Didier Raoult ont été vues par des millions de personnes. Ce phénomène a profondément marqué et perturbé tout le processus des essais cliniques à travers le monde.

Comment continuer d’assurer les soins pour tous les malades, notamment les malades atteints d’un cancer ?

Axel Kahn Durant la première vague, toutes les structures de soins ont été prises par surprise. Les dépistages systématiques ont été arrêtés, les consultations se sont effondrées. Dans les hôpitaux généraux, les examens endoscopiques ont chuté de 90 %, presque 100 % des opérations chirurgicales ont été annulées. En effet, anesthésistes et salles de réveil étaient réquisitionnés pour faire face au tsunami des personnes atteintes des formes graves de Covid. Ce schéma s’est reproduit lors de la seconde vague dans les régions les plus touchées : Auvergne-Rhône-Alpes, Paca, Hauts-de-France… La situation a été moins tendue dans les centres de lutte contre le cancer et dans les établissements privés, indiquant la solution : prévoir des sites hospitaliers ne recevant pas de personnes infectées et dédiés à la poursuite des soins indispensables pour les maladies graves autres que le Covid.

Les annonces récentes de vaccins contre le Covid-19 vont-elles vraiment permettre de sortir de cette crise et si oui, à quel horizon ?

Axel Kahn L’expérience de la pandémie depuis neuf mois a permis de faire deux observations : d’abord, nulle part ne s’est établie une immunité collective suffisante. Ensuite, le Covid est un peu le sparadrap du capitaine Haddock, on ne s’en débarrasse pas vraiment. Seul le confinement absolu et prolongé tel qu’un pays dictatorial comme la Chine peut imposer y parvient, mais les retours menacent en permanence. Seule la vaccination permettra d’obtenir, pour un temps, une immunité collective freinant vraiment la circulation virale sans distanciation physique trop stricte. Cela pourrait commencer d’être le cas vers la fin de l’année 2021 si les vaccinations débutent au premier trimestre.

 

Justement, comment devrait-on organiser la campagne de vaccination et convaincre les Français de se faire vacciner ?

Axel Kahn Les premières personnes vaccinées seront celles au contact du public et à risque : personnel soignant, enseignants, agents des services d’accueil et de contrôle, personnes âgées et fragiles, etc. Cela représente déjà vingt millions de personnes qui pourraient au départ être vaccinées dans des centres dédiés de vaccination. Le reste de la population qui le désire serait vacciné « en ville » par les médecins, d’autres soignants, les pharmaciens. La réticence au progrès est devenue forte en France, je l’ai analysé ailleurs. Notre pays est celui au monde le plus rétif aux vaccinations et autres mesures sanitaires. C’est ainsi, on ne changera pas cela d’un coup de baguette magique. L’explication et la persuasion sont les seules armes disponibles. Cela dit, une couverture vaccinale de 60 % devrait être atteinte, elle ferait la différence.

Comment devrait être conduit le second « déconfinement » et quelles mesures faut-il prendre pour éviter une troisième vague au début de l’année 2021 ?

Axel Kahn Pour éviter le yoyo confinement, allègement, reconfinement, re-allègement, etc., la solution est triple : maintenir un haut niveau de distanciation physique et de gestes barrières. Tester-tracer-isoler-protéger. L’isolement ne doit pas être un enfermement administratif « en cellule », il doit être accompagné, dédommagé MAIS EFFECTIF, au moins sept jours, jusqu’à négativation des tests antigéniques. Et enfin vacciner.

Une fois que nous serons sortis de cette pandémie, quelles mesures de long terme faudrait-il envisager pour éviter de subir une nouvelle crise sanitaire de ce type, voire pire ?

Axel Kahn Aucune mesure au monde n’est susceptible d’éviter le retour de pandémies, notamment virales, le cas échéant sévères. Il y en a toujours eu depuis l’établissement de l’humanité, quatre au XX e siècle : grippe espagnole, 20 à 40 millions de morts (1917-1920) ; grippe asiatique, 2 millions de morts (1957) ; grippe de Hong Kong, 1,5 million de morts (1968-1970) ; sida, depuis 1980, 40 millions de morts.

 

La pandémie de Covid-19 n’est que la première du XXI e siècle, ce ne sera pas la dernière. La question est de disposer des services de santé publique et des dispositifs de soins susceptibles d’être rapidement mobilisés pour y faire face dans les moins mauvaises conditions.

Entretien réalisé par Anna Musso

TEMOIGNAGES

" Axel, tu ne mourras pas. Il n’y a que ce qui est insignifiant qui meurt. Tu lègues à nos contemporains et aux générations futures l’amour de se mobiliser au service des autres, de se battre pour les valeurs essentielles à l’émancipation humaine.

J’ai eu ces toutes dernières semaines l’honneur d’échanger avec mon ami Axel KAHN. J’étais bouleversé et impressionné. Cette élégance et ce courage apaisé face à sa mort imminente témoigne de la hauteur de ce grand homme, obsédé par le bonheur et l’avenir des autres. Un homme de gauche.

Nous avions décidé avec notre association l’EDEC d’organiser une conférence débat autour de son dernier livre « Et le bien dans tout ça ? » en octobre dans l’Hérault. Cette conférence nous la tiendrons avec un de ses amis François AZOUVI qu’il m’a proposé pour le représenter. A tous les siens nos plus sincères condoléances. A toi Axel tout mon amour fraternel."

Jean-Claude GAYSSOT

Lycée Buffon, 1961,

En mémoire d’Axel Kahn

Au lycée Buffon, lycée de garçons du XVe arrondissement de Paris, élèves, enseignants et administration avaient été fortement engagés dans la Résistance.

En 1961, année agitée par les derniers et douloureux soubresauts de la guerre d’Algèrie, la trace en était, seize ans après la Libération, encore vivace. Plusieurs enseignants encore en activité, le concierge, Monsieur Talhouarn, par ailleurs secrétaire général des personnels de l’Éducation nationale étaient d’anciens résistants.

Le débat politique était vif. La cellule communiste, emmené par un talentueux et respecté professeur d’Histoire, Jacques Chambaz, dirigeant national, souvent en affrontement avec un pion, Philippe Robrieux, secrétaire national de l’UEC, voisinaient avec un fort cercle de la JC animé par Axel Kahn et Luc Mazloum et un comité antifasciste  dynamique, face aux menaces quotidiennes de l’OAS.

Le brillant chercheur et humaniste qu’est devenu Axel s’annonçait: Les féliciations du conseil de discipline obtenus chaque trimestre récompensaient un élève d’exception, dont les qualités intellectuelles accompagnaient un vrai courage physique. Il en fallait car presque chaque distribution de tracts donnait lieu à de sévères bagares avec les fascistes, parfois plastiqueurs déclarés de l’OAS, souvent fils d’officiers de L’École militaire proche.

Nombre de mes camarades de la JC de l’époque, toujours militants ou non, en gardent le souvenir. C’est dans ce climat qu’après le massacre des Algériens de Paris le 17 octobre 1961, je lui ai remis mon adhésion à la porte du lycée, avant de lui succéder lorsqu’il se mit en retrait pour préparer le Bac.

Je lui conserve depuis une admiration qui touche autant au parcours du scientifique qu’à l’homme engagé sous diverses formes, toujours avec passion,  parmi ses frères humains.

Nicolas Devers-Dreyfus

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9 juillet 2021 5 09 /07 /juillet /2021 07:08
Le Parti du Cinéma - le documentaire de Pauline Gallinari et Maxime Grember sur le rapport du PCF au Cinéma dans son histoire en replay sur LCP jusqu'au 30 juillet 2021
LE PARTI DU CINÉMA
L'épopée cinématographique du PCF

Un documentaire de Pauline Gallinari & Maxime Grember.
Une coproduction La Générale de Production - Ciné-Archives.
En replay jusqu'au 30 juillet sur 
LCP

De sa création en 1920 jusqu’au début des années 1980, le PCF a développé une intense activité cinématographique, sans équivalent dans les autres formations politiques, en impulsant la production, la réalisation et la distribution de centaines de films pour diffuser et défendre ses idées. Pour la première fois dans un documentaire, et à partir d’archives inédites, Le Parti du cinéma raconte cette épopée politique et cinématographique.


Pour celles et ceux qui souhaiteraient le (re)découvrir, le programmer ou encore le chroniquer, voici le lien de visionnage sur le site de LCP.
 
********************************

Avant l'avènement de la télévision, le 7e art a longtemps été un levier politique majeur. Les communistes ont su l'utiliser, nourrissant l'imaginaire collectif. L'Humanité
*
Entre utopies, lavage de cerveau, innovations formelles, un voyage passionnant, et contrasté au cœur de l'image militante. Télérama
*
Les communistes français et le 7e art, une riche histoire. Des images d'archives inédites montrent comment le PCF a utilisé le film pour faire passer ses idées. Le Monde
 
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13 juin 2021 7 13 /06 /juin /2021 05:37

 

L’Exposition coloniale internationale s’est tenue à Paris, du 6 mai au 15 novembre 1931, pour « présenter les produits et réalisations » des colonies. Seuls les communistes, l’Humanité et certains artistes dénoncèrent l’événement.

Il a fière allure, le maréchal Lyautey, ce mercredi 6 mai 1931, lorsqu’il inaugure la grande Exposition coloniale internationale (c’est son titre complet). À ses côtés, le président de la République Gaston Doumergue, dont ce sera la dernière apparition officielle. Plus une pléiade d’officiels venus de tous les pays colonisateurs (sauf le Royaume-Uni) et quelques représentants (muets et résignés) des « indigènes ».

Au terme d’un vaste chantier, l’Exposition regroupa, sur un espace de 110 hectares, entre la porte de Reuilly et le bois de Vincennes, plusieurs dizaines de pavillons (dont une reproduction grandeur nature du cœur du temple d’Angkor-Vat), plus le Palais permanent, orné d’une gigantesque fresque, œuvre réalisée sous la direction du sculpteur Alfred-Auguste Janniot. Une très haute statue dorée, représentant la France apportant la civilisation à ses colonies, trônait en haut des marches.

C’est que la France officielle, alors, est en plein dans l’ère des certitudes : nous avons « pacifié » des régions entières, nous y avons apporté la « civilisation », les populations noires, jaunes, brunes, nous sont reconnaissantes… Pour donner de la véracité à l’ensemble, les autorités mobilisèrent des « indigènes » chargés de reproduire des scènes de la vie professionnelle – forgerons, pêcheurs, cordonniers, brodeurs... – et artistique – danseurs, musiciens, bijoutiers... Il y eut également de nombreux soldats réquisitionnés. En tout, de l’ordre de 2 500 figurants dans des jeux de rôle. Enfin, sans se douter du caractère vexatoire de cette initiative, le zoo de Vincennes fut inauguré en même temps que l’Exposition. Même si l’exhibition des Kanak au Jardin d’acclimatation, exactement contemporaine, ne peut être reprochée aux organisateurs de la grande Exposition, il reste que bien des spectateurs visitèrent les deux… et que souvent ils ne firent guère la différence.

Rien ne fut épargné pour faire de l’Exposition un grand moment festif. Chaque soir avait lieu un spectacle, style son et lumière, avec défilés d’« indigènes » en « costumes exotiques ». Les scènes parisiennes programmèrent toutes des spectacles. Comble de la confusion, Joséphine Baker, native du Missouri, fut même proclamée « reine des Colonies ».

Condescendance, paternalisme, ces autres expressions du racisme

Toutes les instances de l’appareil d’État, dont l’éducation nationale, se mobilisèrent pour assurer un grand succès à l’Exposition. La quasi-totalité de la presse – l’Humanité faisant figure de seule exception – appela les Français à venir mesurer l’ampleur de « l’œuvre civilisatrice sur 11 millions de kilomètres carrés, vingt-deux fois le territoire de la métropole ». Comble de félicité, ces colonies étaient également un apport considérable à notre économie.

Le résultat fut à la mesure de cet immense travail de propagande. Les travaux d’historiens ont depuis longtemps établi que de l’ordre de 8 millions de visiteurs s’y rendirent, soit un Français sur cinq, ce qui la place, aujourd’hui encore, comme le second succès populaire de l’histoire des expositions en France (après celle de Paris en 1900). Durant six mois, les « Français moyens » ont pris le chemin, parfois à plusieurs reprises, du bois de Vincennes. Certains venaient de loin, comme ce petit garçon venu de Sète avec ses parents, un certain Georges Brassens. Certains avec étonnement, d’autres avec amusement, mais quasiment tous avec condescendance, paternalisme, ces autres expressions du racisme. Qu’importait, pour le « parti colonial », alors à l’offensive. Le ministre des Colonies, Paul Reynaud, trouva les mots justes : « Aujourd’hui, l’idée coloniale s’est emparée des colonnes des grands journaux ; l’opinion publique s’est enfin éveillée. Elle ne sera pas l’opinion publique d’avant » (7 juin 1931).

Les « élites » de la nation participèrent à cette autoglorification. Un temps, Paris, fut la capitale économique, intellectuelle et culturelle du monde colonial. Il s’y tint près de deux cents congrès et rencontres, de la Confédération des travailleurs intellectuels aux chambres de commerce et d’agriculture, en passant par l’Alliance française.

Qui brisa ce consensus ? On sait, par quelques rapports de police, qu’il y eut des manifestations, vite réprimées, de colonisés, en particulier de Vietnamiens. D’autre part, quelques intellectuels anticonformistes (André Breton, Paul Éluard et les autres surréalistes) imprimèrent un tract incendiaire : « Ne visitez pas l’Exposition coloniale ! »  Ils se joignirent également aux communistes pour organiser une contre-exposition anti-impérialiste, place du Combat, aujourd’hui du Colonel-Fabien.

 

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12 juin 2021 6 12 /06 /juin /2021 05:46
Plédran (22): Ciné-débat sur la Commune organisé par les Belles Rouges le 17 juin
Plédran (22): Ciné-débat sur la Commune organisé par les Belles Rouges le 17 juin
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29 mai 2021 6 29 /05 /mai /2021 17:42
Eisenstein rencontre Josef von Sternberg et Marlene Dietrich sur le plateau de Morocco

Eisenstein rencontre Josef von Sternberg et Marlene Dietrich sur le plateau de Morocco

S.J. Eisenstein : Perspective Nevski

Les années 1930. Le long voyage, les films manqués et le chef-d’œuvre antinazi.

 

Lire aussi, le premier volet de la chronique d'Andréa Lauro sur Eisenstein: S.M. Eisenstein : de Sergueï Mikhaïlovitch à Sa Majesté: Les années 1920 - Un nouveau langage cinématographique (la chronique cinéma d'Andréa Lauro)

Dans les années 1920, plus de 800 films ont été réalisés en Union soviétique. Tous n’étaient évidemment pas signés par Kulešov, Eisenstein, Pudovkin ou Dovženko, la production comprenait également de nombreux films de divertissement, sans aucune déviation idéologique dommageable, des films à succès.

Le plus connu, Medvezhya svadba (Le Mariage de l’ours, 1925) réalisé par Vladimir Gardin et Konstantin Eggert, eut plus du double du public de Bronenosec Potëmkin (Le Cuirassé Potemkine).

De cette riche production il reste peu, probablement la meilleure partie comme les films de Protazanov ou le comique Poceluj Meri Pikford (Le baiser de Mary Pickford, 1926) avec la "fiancée de l’Amérique" (en voyage en URSS avec son mari Douglas Fairbanks) protagoniste avec l’acteur russe le plus célèbre de l’époque, Igor Vladimirovitch Iliinsky, dirigés par Sergei Komarov.

Entre les films d'"agitation", de propagande, de divertissement, le "septième art" en Union Soviétique était en grande expansion.

Une preuve? 

À la fin de 1928 en URSS, le nombre de cinémas en URSS était de 7331 (2389 en campagne) avec 200 millions de spectateurs par an, alors qu’avant la Révolution d’Octobre, il n’y en avait que 1412 dont 133 en campagne (donnée de 1914).

Un élément si important qu’il a été inclus dans le Premier Plan quinquennal voulu par Staline.

En effet, le cinéma aussi devait cesser toute dépendance vis-à-vis des pays capitalistes, jusqu’alors le film était produit par la firme allemande Agfa, les caméras par la firme française Debrie, et surtout le son devait être développé.

En 1928, le "Manifeste sur l’asynchronisme", signé par Eisenstein, Aleksandrov et Pudovkin, avait déjà mis au centre le nouveau progrès technique en soulignant le fait qu’il n’était pas correctement exploité, en introduisant des concepts de contrepoint et de montage sonore. Selon la théorie des trois cinéastes soviétiques "Le son devra être utilisé dans le sens du contrepoint, c’est-à-dire non en synchronisation avec les images, car le synchronisme produit une dangereuse illusion de vérité, réduisant ainsi le cinéma à un cinéma-attraction, à une simple reproduction naturaliste du réel". Eisenstein, Aleksandrov et Tissė sont allés à l’étranger pour cela: l’objectif déclaré était d’étudier la technique du cinéma sonore.

Ils séjournent d’abord à Berlin où ils travaillent à la version allemande de "L’Ancien et le Nouveau", puis s’installent avec les réalisateurs d’avant-garde Hans Richter (Rhythmus 21, Rhythmus 23) et Walter Ruttmann (Berlin, symphonie d’une grande ville), en Suisse au château de La Sarraz, près de Lausanne, où se déroule du 2 au 6 septembre 1929 le Congress International du Cinéma Indépendant.

À l’événement, accueilli par la propriétaire Hélène de Mandrot, ont participé des artistes du monde entier : les Italiens Enrico Prampolini, Alberto Sartoris, le Japonais Hiroshi Hijo, les Anglais Ivor Montagu, Jack Icaacs, les Français Alberto Cavalcanti, Jean-Georges Auriol, Léon Moussinac.

Léon Moussinac - De la longue période française, le réalisateur rappela avec une affection et une admiration infinies le "camarade Léon", Léon Moussinac (Migennes, 19 janvier 1890 - Paris, 10 mars 1964) critique de cinéma, membre très actif du Parti communiste français depuis 1924. En 1927, il avait séjourné en URSS et, après avoir rencontré l’auteur du "Cuirassé Potëmkin", il importa en France le cinéma révolutionnaire et publia les volumes "Le cinéma soviétique" et l’essai "Sergueï Mikhaïlovitch Eisenstein". Son militantisme communiste le conduit, en avril 1940, à l’arrestation. Il fut interné dans le camp de Gurs, puis transféré dans la prison militaire de Nontron, mais, comme le rappela son ami réalisateur, "les souffrances indicibles n’ont pas affaibli sa fibre de révolutionnaire"...

Léon Moussinac - De la longue période française, le réalisateur rappela avec une affection et une admiration infinies le "camarade Léon", Léon Moussinac (Migennes, 19 janvier 1890 - Paris, 10 mars 1964) critique de cinéma, membre très actif du Parti communiste français depuis 1924. En 1927, il avait séjourné en URSS et, après avoir rencontré l’auteur du "Cuirassé Potëmkin", il importa en France le cinéma révolutionnaire et publia les volumes "Le cinéma soviétique" et l’essai "Sergueï Mikhaïlovitch Eisenstein". Son militantisme communiste le conduit, en avril 1940, à l’arrestation. Il fut interné dans le camp de Gurs, puis transféré dans la prison militaire de Nontron, mais, comme le rappela son ami réalisateur, "les souffrances indicibles n’ont pas affaibli sa fibre de révolutionnaire"...

Staroye i novoye du même Eisenstein, Un chien andalou de Luis Buñuel, La passion de Jeanne d’Arc de Carl Theodor Dreyer, les films abstraits de Cavalcanti et Man Ray, les expérimentations de Richter, Ruttmann, ainsi que Branding le dernier film de Joris Ivens. Mais les objectifs du premier congrès du cinéma indépendant n’étaient pas clairs. Les réalisateurs soviétiques expliquent que "dans un système d’états capitalistes, le cinéma indépendant est une fiction comme la presse indépendante", ce qui n’a pas plu à la délégation italienne conduite par le peintre et scénographe Enrico Prampolini (Modène, 20 avril 1894 - Rome, 17 juin 1956) futuriste lié au fascisme (auteur en 1917 de la scénographie de Thaïs, réalisé par Anton Giulio Bragaglia), homme dont Eisenstein se souvint comme "figure rectiligne minuscule et désagréable". Lors de la rédaction de la résolution finale du "Congrès", les esprits se sont échauffés. Un document, introuvable même dans les revues de l’époque, affirmait : "l’art apolitique n’existe pas".

Durant ces journées, Eisenstein, Montagu et Moussinac tournent également un court-métrage intitulé The Storming of La Sarraz (L’Assaut de La Sarraz) qui avait pour sujet la libération du cinéma de ses chaînes commerciales, grâce à l’action des cinéastes indépendants. Le film, malheureusement perdu dans une archive non précisée de Berlin, a été écrit par Richter. Le réalisateur soviétique, en plus de diriger l’action, joue Don Quichotte.

Après le "Congrès" de Lausanne, les cinéastes soviétiques repartent pour Zurich, où un producteur nommé Wecler propose à Eisenstein un film sur le contrôle des naissances. La réponse de l’auteur de Le Cuirassé Potemkine fut ironiquement lapidaire : "Écoutez, si vous me laissez faire avorter tout Zurich, cela peut commencer à m’intéresser. Mais l’histoire d’une femme, non". Le film est finalement réalisé par Tissė et sort sous le titre Gore i radost' zhenshchiny (Misères de femmes, joies de femmes).

Puis c'est le retour à Berlin, où Eisenstein eut l’occasion de se confronter à la politique, au cinéma, au théâtre avec Ernst Toller, Erwin Piscator, George Wilhelm Pabst, Albert Einstein, Emil Jannings (qui lui proposa de réaliser un second Potëmkin avec lui comme protagoniste) Bertold Brecht et Luigi Pirandello.

Le dramaturge et le réalisateur se rencontrèrent dans un petit restaurant italien dans le quartier de Charlottenburg, en goûtant l’excellent "sabaglione", comme rappelé dans ses "Mémoires". L’écrivain sicilien admirait Eisenstein et en 1929 il avait confié à son amie Marta Abba qu’il aimerait l’inviter en Italie pour réaliser un film tiré de son "Gioca Pietro!". Mais sous Mussolini, un communiste soviétique ne pouvait pas mettre les pieds dans le pays et cet écrit, né pour le cinéma, devint des années plus tard "Acciaio", le seul film à sujet du réalisateur allemand Walter Ruttmann. Le poète rêvait de voir aussi sur le grand écran "Six personnages en quête d’acteur". C’est pourquoi il a écrit à Carl Laemmle de Universal et en a parlé avec Eisenstein. Les deux discutèrent de musique, de cinéma, de théâtre, d’art, mais finalement ils ne réalisèrent pas le film. La major, initialement intéressée par le projet, abandonna l’idée.

Le voyage de Eisenstein, Aleksandrov et Tissė se poursuit à Paris avec des entretiens avec Filippo Marinetti, Jean Cocteau, Blaise Cendrars, Man Ray, Abel Gance, Robert Desnos (poète interné comme Kurt Gerron dans le camp de Theresienstadt), Fernand Léger et James Joyce pour qui le réalisateur nourrissait une admiration démesurée au point de vouloir porter sur le grand écran son "Ulysse" ("Ulysse"). Film qui ne restera qu’une idée puisque Joyce, comme Freud, était tabou en Union Soviétique...

Les trois cinéastes se rendent ensuite à Londres, où Eisenstein joue pour son ami Hans Richter le rôle d’un policier dans le film Everyday (1929) et donne une conférence à la London Film Society. Puis en Belgique où il rencontra le peintre James Ensor et les mineurs de Liège. Il gagne les Pays-Bas pour étudier les tableaux de Van Gogh (à la Haye, son taxi risqua d’écraser la Reine Wilhelmine qui se promenait tranquillement) et de rencontrer le jeune documentaire Joris Ivens. Puis de nouveau en France, conduit par Jean Mitry et Léon Moussinac, puis de nouveau à Berlin et Londres.

Les trois Soviétiques sont partis en août 1929 avec seulement 25 dollars chacun, mais grâce à leur renommée ils n’ont pas de difficultés à pourvoir à leurs besoins. Alors qu’Eisenstein se trouvait encore à Londres, par exemple, un joaillier parisien engagea Aleksandrov et Tissė pour réaliser un film dédié à sa femme Mara Griy, une chanteuse lettone émigrée. Seule condition : le film devait être signé par "Sa Majesté". Eisenstein se contente d’un léger conseil, mais il est co-réalisateur pour le film "Romance Sentimentale". Dans le court-métrage expérimental (environ 20 minutes), le montage alterne d’abord des images "violentes", puis plus calmes, mais le protagoniste est la musique composée par Alexis Arkhangelsky et chantée par Griy elle-même.

À Paris, le 17 février 1930, la première française du dernier long-métrage du réalisateur, "L’Ancien et le Nouveau", est programmée à la Sorbonne. Tout était prêt. Eisenstein devait seulement faire un bref discours de présentation. Mais le climat à l’égard de l’Union soviétique était très lourd, au point que même un documentaire sur une performance de gymnastique a été qualifié de "propagande soviétique" et interdit parce qu’il montrait des athlètes souriants. En somme, on ne pouvait pas montrer qu’en URSS il y avait aussi le bonheur. Dans ce climat, Staroye i novoye n’avait pas encore obtenu de visa de censure, mais l’Université, cette Université, jouissait d’une sorte d’extraterritorialité et la projection, si privée, ne nécessitait aucune autorisation. Cependant, des milliers d’invitations furent préparées et envahirent la ville. Un de ces billets, imprimés sur papier bleu, finit sur le bureau de Jean Chiappe, tristement préfet de police de Paris depuis 1927 qui, comme première mesure, avait supprimé toute manifestation communiste. La projection devint ainsi publique.

Jean Chiappe, préfet (anticommuniste) de Paris

Jean Chiappe, préfet (anticommuniste) de Paris

La soirée, attendue avec impatience, était prévue dans la salle Richelieu de la Sorbonne. Une élégante pièce, avec une statue du cardinal, capable d’accueillir un millier de personnes. Il s'en présenta plus de trois mille.  Arriva l’interdiction des autorités. Chiappe s’assit près du projecteur placé aux pieds de la statue. Autour de lui, quelques policiers.

D’autres s’installèrent dans la cour et autour de la salle. Craignant des troubles et des affrontements, il y avait beaucoup de communistes que la police avait hâte d’arrêter, les organisateurs - l'habituel Léon Moussinac et le psychanalyste et professeur de la Sorbonne René Allendy - annulèrent la projection. Et ils ont invité le réalisateur à prolonger son discours, qui est devenu une véritable conférence. Eisenstein n’était pas un grand orateur, mais il parla pendant trois heures. Il illustra ses théories sur le montage et le "cinéma intellectuel" et irrita Chiappe, qui dut subir la gifle sans pouvoir intervenir. Ironie d'Eisenstein qui frappa la presse. Le lendemain, le quotidien bourgeois "Le Matin" écrivit : "Ne craignez pas les bolcheviks qui ont le couteau entre les dents, mais ceux qui ont le sourire sur les lèvres!".

Mais l’événement à la Sorbonne était important pour une autre raison. Durant la conférence, Eisenstein affirme pour la première fois en public de vouloir réaliser un film tiré d’un livre particulièrement important pour les communistes : "Le Capital" de Karl Marx.

Karl Marx

Karl Marx

L’idée est venue à Eisenstein après le tournage d’Octobre.

Dans un petit cahier daté du 12 octobre 1927 (retrouvé en 1976), le réalisateur note : "Décidé de filmer "Le Capital" sur un scénario de Karl Marx". Personne n’était au courant de son projet le plus ambitieux, ni ses collaborateurs, ni Staline ou les bureaucrates qui l’avaient souvent entravé et censuré. Le projet devient plus concret après la rencontre parisienne avec James Joyce. Le raisonnement du réalisateur était fascinant : "Si à partir d’un bol de soupe Joyce arrive à toute la flotte britannique, pourquoi un cinéma vraiment marxiste ne pourrait-il pas, en s’appuyant sur le détail d’un bas de soie, englober tout un tissu social?". Du concret à l’abstrait, de l’objet commun à la généralisation conceptuelle. Un exploit presque impossible, mais Eisenstein avait le cinéma pour y parvenir, il suffit de penser au montage du "Cuirassé Potëmkin" ou à celui du même "Octobre". Eisenstein en parla à la Sorbonne, mais le projet, aussi fascinant fût-il, resta dans le tiroir.

Eisenstein avait également entamé des négociations avec Hollywood, mais l’appel américain tardait à arriver. Pendant ce temps, au risque d’être expulsé de Paris pour propagande communiste, il continuait à étudier des sujets possibles pour les producteurs occidentaux en général et pour ceux des États-Unis en particulier. Avec Ivor Montagu, il travailla à la transposition cinématographique de Le chemin de Buenos-Aires un reportage d’Albert Londres sur le colonialisme et l’esclavage (Les aventures de Londres inspirèrent le dessinateur belge Hergé pour la réalisation du célèbre Tintin), mais le projet se termina après une première manifestation d'intérêt sans suite d’une maison de production française.

Le réalisateur s’intéressa donc à une biographie de Sir Basil Zaharoff, marchand d’armes, parmi les hommes les plus riches de son temps, en proposant l’idée à la fois aux producteurs français et anglais, et aux producteurs américains, mais là encore, il n’en fit rien. Toujours pour les Américains, Eisenstein envisagea de tirer parti au cinéma d’une comédie de George Bernard Shaw, proposée par le même auteur, intitulée Arms and the man, mais ne réussit pas à susciter l’intérêt.

Au début des années 1930, arriva par télégramme à l’invitation attendue pour Hollywood, suivi de la visite à Paris de Jesse Louis Lasky (San Francisco, 13 septembre 1880 - Beverly Hills, 13 janvier 1958), parmi les pionniers du cinéma américain, fondateur avec Adolph Zukor de Paramount Pictures. Eisenstein signe un contrat de six mois à 900 dollars par semaine, ainsi que l’engagement des camarades Aleksandrov et Tissė.

De la longue période française, le réalisateur rappela avec une affection et une admiration infinies le "camarade Léon", Léon Moussinac (Migennes, 19 janvier 1890 - Paris, 10 mars 1964) critique de cinéma, membre très actif du Parti communiste français depuis 1924. En 1927, il avait séjourné en URSS et, après avoir rencontré l’auteur du "Cuirassé Potëmkin", il importa en France le cinéma révolutionnaire et publia les volumes "Le cinéma soviétique" et l’essai "Sergueï Mikhaïlovitch Eisenstein". Son militantisme communiste le conduit, en avril 1940, à l’arrestation. Il fut interné dans le camp de Gurs, puis transféré dans la prison militaire de Nontron, mais, comme le rappela son ami réalisateur, "les souffrances indicibles n’ont pas affaibli sa fibre de révolutionnaire, de communiste, de patriote...". Il survécut Ses écrits sont conservés au département des arts du spectacle de la Bibliothèque nationale de France.

Revenant à l’engagement américain, les trois Soviétiques traversèrent l’Océan à bord du transatlantique "Europe" et arrivèrent aux États-Unis le 12 mai 1930. Le voyage des cinéastes fut critiqué aussi bien en URSS que dans les milieux conservateurs d’Hollywood qui ne comprennent pas un tel emballement pour des communistes.

Comme en Europe, l’agenda fut chargé entre voyages, rencontres, conférences. Eisenstein a parlé à l’Université Columbia à New York, à Harvard à Boston, à Yale à New Haven, ainsi qu’aux universités de Chicago et de Californie (les trois sont les premiers Soviétiques à accéder à cet État), devant les Afro-Américains de la Nouvelle-Orléans, à une convention des distributeurs de Paramount à Atlantic City et à Hollywood.

Mary Pickford

Mary Pickford

Jesse Louis Lasky

Jesse Louis Lasky

La série de rencontres est aussi très dense. Eisenstein dîne dans un restaurant de New York avec Douglas Fairbanks et Mary Pickford ; dans les studios Paramount il travaille avec Jackie Coogan désormais adolescent ; il rencontre Josef von Sternberg et Marlene Dietrich sur le plateau de Morocco. Avec Luis Buñuel, il parle du préfet Chiappe qui, sollicité par la droite et par des associations patriotiques et religieuses, avait également bloqué la distribution de L’âge d’or. Et encore King Vidor, Berthold et Salka Viertel. À Boston, on lui présenta même Rin Tin Tin.

Mais le réalisateur se lie en particulier avec deux autres cinéastes de génie : Walt Disney et Charlie Chaplin. Pour le premier, il nourrissait une grande admiration, notamment parce qu’il reconnaissait au premier "Mickey Mouse" une critique ironique de la société standardisée. Il en devint un grand ami. Avec le second, entre deux défis au tennis, il parla à plusieurs reprises du cinéma, mais surtout du communisme et de l’Union soviétique. Le réalisateur anglais se souvint dans son autobiographie : " Un jour, en discutant avec lui du communisme, je lui demandai s’il pensait que le prolétariat instruit était égal, mentalement, à l’aristocratique fort de la tradition culturelle des générations qui l’avaient précédé. Il me parut surpris de mon ignorance. Eisenstein, issu d’une famille de la bourgeoisie russe, dit : « Donnez-leur la possibilité de s’instruire et la fertilité célébral des masses sera comme un nouvel humus très riche". Aux deux amis, le cinéaste soviétique dédia deux livres intitulés simplement "Walt Disney" et "Charlie Chaplin".

Parallèlement, des idées pour de nouveaux sujets se développaient. À Paris, Eisenstein et Lasky avaient déjà discuté, sans succès, de certaines œuvres de Zola et de Menschen im Hotel (Grand Hotel) de l’autrichienne Vicki Baum (puis porté sur grand écran en 1932 avec Greta Garbo comme protagoniste). Aux États-Unis, le premier projet proposé au réalisateur fut la transposition du roman The War of the Words (La guerre des mondes) de H. C. Welles, mais l’idée, qui fit des années après la fortune d’Orson Welles, fut bientôt abandonnée faute de fonds.

Par contrat, Eisenstein pouvait également présenter des idées pour de nouveaux films. Il conçut ainsi le film Glass House inspiré du roman despotique My d’Evgenij Ivanovitch Zamjatin, mais l’absence d’une histoire capable d’exprimer cette idée fit capoter le projet. Il retient donc avec Aleksandrov et Montagu un sujet tiré de L’or de Blaise Cendrars intitulé Sutter’s Gold : une grande démystification du capitalisme américain. Mais les producteurs se demandaient : "Pouvons-nous permettre que des bolcheviks abordent le thème de l’or ?" et la réponse fut négative. Le Museum of Modern Art de New York conserve jalousement le plan de travail détaillé de cette œuvre manquée.

Un autre livre retint cependant l’attention du réalisateur, c’était An American tragedy de Theodore Dreiser. Publié en 1925, il représente une fresque de la société américaine du début du XXème siècle. Plusieurs versions du scénario, approuvées par le même auteur, sont présentées à la Paramount, mais la critique de la société américaine est rejetée par la major qui confie le même film, réécrit et sans le partage de Dreiser, à Josef von Sternberg.

Le 23 octobre 1930, Paramount annonce la résiliation du contrat avec Eisenstein. Le réalisateur a souligné : "L’opposition (à son travail) était constituée par les banquiers qui représentaient les intérêts des banques [...] et ne visaient que la sécurité, sans excès ni complications, et préféraient presque toujours produire les types de films qui avaient déjà réussi". À cela s’ajoute l’impréparation d’Eisenstein, d’Aleksandrov et de Tissė par rapport aux nouvelles techniques, qui s’étaient rendus à l’étranger pour les étudier, et la campagne anticommuniste naissante menée par le major Frank Pease et des organisations fascistes.

Le réalisateur et ses collaborateurs n’avaient plus d'autre choix que le retour en URSS. Cependant, Eisenstein a eu le temps d’obtenir de Sam H. Harris les droits de la comédie théâtrale Once in a Lifetime de Moss Hart et George S. Kaufman, avec l’idée de la mettre en scène à Moscou. Tout était prêt. Le voyage de retour ferait étape au Japon pour la réalisation d’un film sur le Pays du Soleil Levant.

Ichikawa Sadanji II

Ichikawa Sadanji II

Partie de tennis entre Eisenstein et Charlie Chaplin

Partie de tennis entre Eisenstein et Charlie Chaplin

La culture orientale avait toujours eu une grande influence sur le cinéaste. Tous les croquis, dessins, travaux graphiques, essais, scénarios montraient un trait capable de faire écho aux idéogrammes. Certaines de ses théories sur le montage, comme on le sait, sont issues de l’écriture chinoise et japonaise. Et après, il y avait aussi la passion pour le Kabuki, la forme théâtrale née à Kyoto en 1603, dont le nom est composé de trois idéogrammes “ka” (chant), “bu” (danse) e “ki” (habilité) et dérive du verbe “kabuku” c'est-à-direêtre dehors de l'ordinaire”. Eisenstein, qui l’était vraiment, admirait la "forme d’ensemble" de ces représentations qu’il vit en direct en 1928 lors d’un voyage à Moscou et à Leningrad du célèbre acteur kabuki Ichikawa Sadanji II.

Mais Eisenstein ne réalisa aucun film sur le Japon, changea d’itinéraire et s’installa au Mexique. En effet, le 24 novembre 1930, Eisenstein signe avec Mary Craig Sinclair, épouse de l’écrivain progressiste Upton Sinclair, un contrat qui lui assure 25 000 dollars "pour la réalisation d’un film appelé pour l’instant génériquement film mexicain".

La première nuit mexicaine, Eisenstein, Aleksandrov et Tissė la passent cependant en prison. L’anticommunisme "made in USA" les avait pratiquement présentés comme des "terroristes" et ce n’était pas une bonne carte de visite, même pour le social-démocrate Mexique. Albert Einstein et Charlie Chaplin, suivis par d’autres, se mobilisèrent par télégrammes et appels à la libération. Le réalisateur soviétique put ainsi commencer, même en Amérique centrale, son activité entre mondanité, politique et cinéma.

Il rencontre Diego Rivera, Frida Kahlo, Tina Modotti, David Alfaro Siqueiros, José Clemente Orozco. Il s’est rapproché de la culture mexicaine en lisant "The Golden Bough : A Study in Comparative Religion" de l’anthropologue James Frazer et "Idols behind altaros" de la journaliste Anita Brenner, volume enrichi par les photos de Tina Modotti. Il se passionne pour les dessins érotiques du lieu qu’il commence à reproduire.

Tina Modotti

Tina Modotti

S.J. Eisenstein (2): Perspective Nevski - Les années 1930. Le long voyage, les films manqués et le chef-d’œuvre antinazi - la chronique cinéma d'Andréa Lauro

Dans ses voyages mexicains, Eisenstein a été dirigé d’abord par Austin Aragon-Leiva, un ethnologue et spécialiste de l’art mexicain, puis par Jorge Palomino Cañedo, un jeune historien heureusement marié, que le réalisateur avait rencontré à Mexico quand il lui a été présenté par Diego Rivera et Frida Kahlo. Palomino a été un guide pour le réalisateur dans son séjour à Guanajuato, pendant que le Soviétique était à la recherche des lieux où tourner le "film mexicain". Une intense amitié naît entre les deux hommes, comme en témoigne une lettre que le soviétique envoie à son amie et confidente Pera Attacheva, et un échange épistolaire entre les deux hommes, y compris des dessins homoérotiques. Cet élément alimente les rumeurs sur l’homosexualité d’Eisenstein, jamais admise publiquement et peut-être jamais consommée.

Cependant, sur le sujet, une vaste littérature se développa et se développe encore : des voix qui le voyaient lié à son ami Grigori Vassili Alexandre aux nombreuses images sensuelles de ses films (des marins du Potëmkin, à l'écrémage de "L’Ancien et le Nouveau"), jusqu’à l’essai "Eisenstein" de Dominique Fernandez. Le cinéma a également abordé le sujet. Selon le réalisateur gallois Peter Greenaway, Eisenstein a découvert qu’il était gay au Mexique et, partant de cette conviction, avec son style provocateur et sensuel, Greenaway a réalisé en 2015 le film Eisenstein au Guanajuato (Que viva Eisenstein!), première partie d’une trilogie, avec Elmer Bäck dans le rôle du réalisateur et Luis Alberti dans celui de Palomino Cañedo. Le court-métrage Sergei/sir Gay (2017) réalisé par Mark Rappaport est également intéressant.

Ce qui est certain, c’est que l’homosexualité, présumée ou réelle, n’était pas appréciée en URSS et Eisenstein, peut-être pour faire taire les rumeurs, rentré chez lui en 1934, épousa Pera Attacheva (1900 - Moscou, 24 septembre 1965). Des voix et quelques certitudes, au point que selon Marie Seton, la biographe officielle d’Eisenstein, l’homme mourut vierge comme un célèbre poète, Giacomo Leopardi.

De retour au cinéma, Eisenstein est tombé amoureux, peut-être pas par hasard, du pays d’Amérique centrale et, dans ce climat culturel, a pensé à une "Synthèse retentissante de l’histoire du Mexique le long de l’axe d’un thème progressiste et libertaire, traversé violemment par une dominante érotique et religieuse".

Le film, d’une durée prévue de deux heures, devait comprendre un prologue, quatre épisodes titrés Sandunga, Maguey, Fiesta, Soldatera et un épilogue. Tous joués par des acteurs non professionnels.

Dans le prologue, situé dans le Yucatan, les images d’anciennes cérémonies mortuaires contrastent avec celles de l’érotisme vital d’un couple d’amants qui se balancent sensuellement sur le hamac. En Sandunga, la région de Tehuantepec est fortement contaminée par le colonialisme espagnol et la reprise de l’ancienne tradition folklorique devient une expression de la lutte des classes. Dans Maguey est raconté le thème du travail, l’extraction du jus de la plante maguey, comme centre de la révolte des peones contre les haciendados (les propriétaires terriens). Les rebelles sont vaincus et enterrés vivants. Seule la tête reste dehors avant d’être piétinée par un troupeau de chevaux. Un homme est tué sous les yeux impuissants de sa bien-aimée, victime de violence charnelle de la part d’un riche propriétaire terrien. A Fiesta, une procession de moines pénitents entre de grands crânes et la crucifixion du Christ parmi les voleurs sur le Calvaire, évoquent le sacrifice du peuple mexicain opprimé par un pouvoir tyrannique. Dans l’épilogue, qui marque la fin de la classe dominante, les gens retirent leurs masques mortuaires et montrent leurs visages souriants.

Avec Tissė, Eisenstein a tourné 160 bobines, plus de 70 000 mètres de film, pour un total de 40 heures de projection. Un parcours fascinant de luttes et de résistances dans l’histoire du Mexique, de la domination espagnole à la Révolution de Pancho Villa et Emiliano Zapata, mais ce film n’a jamais vu le jour. Le réalisateur ne réussit pas à tourner l’épisode Soldatera, qui raconterait les exploits d’un personnage féminin pendant la guerre civile mexicaine, et surtout il ne put monter Que viva México!.

Raison ? Plus d’une. D’abord les désaccords avec les Sinclair et avec H. Kimbrough, beau-frère de l’écrivain et directeur de production, qui n’aimait pas sa prétendue homosexualité. Le couple "progressiste" ne savait rien des coûts du cinéma (en peu de temps les dépenses avaient augmenté à 53 000 dollars, plus du double par rapport à l’accord initial) et Eisenstein, avec une équipe réduite, avait surestimé l’organisation mexicaine (à Mexico, il n’y avait pas de laboratoire de développement pour vérifier les mètres de film filmés quotidiennement) et tout le tournage était expédié à Los Angeles.

Mais une fois de plus, c’est la politique qui a tourmenté Eisenstein et l’a empêché de terminer Que viva México. Trois attaques subies par le cinéaste soviétique. La première venue de Upton Sinclair qui, bien qu’il soit considéré comme un progressiste aux États-Unis, demande expressément un film "apolitique", ne partageant pas la lutte radicale que le projet du film exprimait. La deuxième attaque provient de la censure mexicaine qui, se référant à l’épisode Maguey, prononça "il n’y a pas lieu d’insister sur l’antagonisme entre deux couches de la même collectivité nationale". La troisième attaque, la plus violente, venait de l’URSS. Les libertés de l’artiste n’étant plus tolérées, un financement capable de terminer le film fut refusé. Mais il y eut plus. Staline lui-même envoya le 21 novembre 1931 un télégramme à Sinclair pour discréditer le réalisateur : " Eisenstein perdit la confiance de ses camarades dans l’Union soviétique. STOP. Il est considéré comme un déserteur qui a rompu avec son pays. STOP. Je crains que les gens ici perdront bientôt intérêt pour lui. STOP. Je suis vraiment désolé, mais toutes ces affirmations sont des réalités. STOP. Je vous souhaite bien-être et la réalisation de votre plan pour nous rendre visite. STOP. Salutations".

Entre l’automne et l’hiver 1931, les relations entre Eisenstein et Sinclair deviennent impossibles et, à la mi-janvier 1932, peu avant le tournage de Soldatera, le travail est interrompu.

Le réalisateur, malgré tout, espérait pouvoir monter le tournage en URSS, mais Sinclair, qui avait initialement promis au cinéaste de lui envoyer les bobines, en vertu du contrat qui privait le réalisateur de tout droit sur l’œuvre, ne tint pas sa promesse. Comme si cela ne suffisait pas, pour financer sa campagne aux primaires du Parti démocrate pour le poste de gouverneur de la Californie, il vendit une grande partie du film à Sol Lesser, modeste réalisateur spécialisé dans les films d’aventure et dans la série de Tarzan. De ce matériau sont sortis Thunder Over Mexico (1933) avec des images principalement tirées de l’épisode Maguey, du prologue et de l’épilogue, et deux courts-métrages intitulés Eisentein au Mexique. En 1939, Marie Seton, déjà citée, réussit à trouver 5000 mètres de négatif et, réunissant des pièces des films déjà en circulation, réalise un nouveau film d’environ une heure intitulé Time in the Sun, fait avec une certaine affection pour le réalisateur, mais avec un montage purement narratif. La déchirure a continué. La société Bell & Howell acheta du matériel à Sinclair pour en tirer cinq documentaires didactiques, parfois regroupés sous le titre Mexican Sumphony. Eisenstein commenta : "Ce qu’ils ont fait, comme montage, est déchirant". Mais l’odyssée de Que viva México! continua. En 1955, Jay Leyda, critique américain passionné de cinéma soviétique, découvrit d’autres négatifs déposés à la cinémathèque du Museum of Modern Art de New York et, à juste titre, choisit de ne pas faire d’interventions personnelles, Mais il se limite à relier huit mille mètres de film sous le titre Eisenstein Mexican Film, Episodes for Study mettant en lumière la méthode de travail du réalisateur. Pour défendre Eisenstein et son film mexicain, un comité international est également né, mais le matériel tourné n’est arrivé en URSS qu’en 1970, après avoir été pendant des années "gardé" au Museum of Modern Art de New York. De ce film, l’ami Aleksandrov, qui avait participé au projet initial, réalisa Que Viva Mexico! - Da Zdravstvuyet Meksika! (1976) dans lequel il explique lui-même les vicissitudes du film. La version la plus connue et peut-être plus fidèle de l’œuvre, mais le Que viva México! pensé et tourné par Eisenstein.

Eisenstein, qui ne put jamais mettre la main sur son Que viva México! , pour beaucoup son meilleur film, fut contraint de rentrer en URSS. Après un arrêt forcé de six semaines dans la ville frontalière mexicaine de Nuevo Laredo (ville où Ed Wood a fait son premier film) le 14 mars 1932, il rentre aux États-Unis. Un mois plus tard, il embarque seul sur le paquebot transatlantique Europe pour Brême, puis rejoint l’Union soviétique par voie terrestre. Le séjour à l’étranger, riche d’espoirs et de déceptions, dura deux ans et neuf mois.

Viktor Kartashov (Le Pré de Béjine, Eisenstein)

Viktor Kartashov (Le Pré de Béjine, Eisenstein)

Durant le voyage de retour, Eisenstein, jamais satisfait, s’est concentré sur d’autres sujets. Il songea à un film sur la Russie qu’il voulait tourner pendant son retour à Moscou ; il essaya de développer un sujet étudié en Allemagne, A Modern "Götterdämmerung" (Un crépuscule moderne des dieux) centré sur l’histoire de deux milliardaires, l’industriel Ivar Kreuger et le financier Alfred Loewenstein ; il a écrit le scénario d’une comédie intitulée MMM pour laquelle il a contacté les acteurs Maksim Štrauch et son épouse Yudif Glizer, déjà actif avec le metteur en scène soit théâtre soit dans le premier long métrage La Grève. Il réfléchit encore sur L’Ulysse de Joyce et suggère une version cinématographique du roman La condition humaine d’André Malraux.

De plus, la fascination d’Eisenstein pour la culture orientale l’a amené à développer l’idée d’un cycle de films sur les cinq forces du Yang et du Ying : la terre, l’eau, le métal, le feu et le bois. La terre avait déjà été illustrée dans L’Ancien et le Nouveau; pour l’eau, il pensa à un film sur le condottiere ouzbek Tamerlan qui retira l’eau de son royaume et mourut dans une inondation; pour le métal il chercha à reprendre le projet de L’or de Sutter; il n’a pas développé de projets spécifiques sur le bois et le feu, mais ce qui est certain, c’est que les cinq forces, harmonisées avec l’utilisation du son et de la couleur, auraient dû être intégrées dans la fresque grandiose Moskva (Moscou) qui, dans les intentions du cinéaste, il devait raconter les événements de la ville à différentes époques. La réalisation de ce film aurait coïncidé avec le retour au théâtre d’Eisenstein pour le spectacle "Moskva II" ("Moscou II") édité avec le scénariste Nathan Zarchi, ancien collaborateur de Pudovkin, dont la mort prématurée fit échouer le projet.

Eisenstein considère enfin, à plusieurs reprises, dès le long séjour parisien, un film sur la révolution haïtienne intitulé Black Majesty (Sa Majesté noire) inspiré du roman homonyme écrit par John Vandercook, ainsi que des textes The Black Napoleon (Le Napoléon noir) de Percy Waxman, Čërnyj Konsul ("Le consul noir") d’Anatoli Vinogradov et à la comédie Der schawarze Napoleon ("Le Napoléon noir") de Karl Otten, tous centrés sur la figure de Toussaint Louverture. Eisenstein pense confier le rôle principal à Paul Robeson (Princeton, 9 avril 1898 - Philadelphie, 23 janvier 1976), acteur et chanteur afro-américain (Ol' Man River) à la vive sympathie communiste. Mais malgré deux voyages à Moscou de Robeson et de sa femme, qui lui coûtèrent cher aux États-Unis puisqu’il refusa d’aider les Américains emprisonnés en URSS et nia l’existence des goulags, le projet ne put aboutir.

Lorsque Eisenstein revint dans sa patrie, beaucoup de choses avaient changé en URSS. Staline, dont le portrait tyrannique s'affichait sur toute une page de la "Pravda" en 1929, était désormais le maître incontesté de l’Union soviétique. La culture aussi en subit les conséquences. Ce fut la saison du "Réalisme soviétique" ou "Réalisme socialiste", inaugurée par la résolution du Comité central du PCUS le 23 avril 1932 appelée "Sur la reconstruction des organisations artistiques et littéraires". Tout devait être plié à la "doctrine". Il n’y avait plus de place pour la liberté et l’expérimentation. La première à en faire les frais fut la littérature. Le Parti se lança contre les "bourgeois" qui avaient rendu grande la saison des avant-gardes. Le 14 avril 1930, Maïakovski se suicide d’une balle dans le cœur.

La même évolution a eu lieu au cinéma. En 1930, pour diriger les nouvelles installations cinématographiques soviétiques, Soyuzkino, Ankino et enfin GUKF (la direction d’État de l’industrie cinématographique), est nommé Boris Choumiatski (Ulan-Udė, 16 novembre 1886 - Moscou, 29 juillet 1938). L’homme n’avait aucun mérite ni compétence cinématographique, mais il avait été compagnon d’exil de Staline en Sibérie. C’est avec cette nomination que commença l’action visant à discréditer Eisenstein. Dans un essai de Sergueï I. Anisimov, daté de 1931, le réalisateur était accusé de ne pas pouvoir montrer authentiquement son temps. L’année suivante, l’Encyclopédie Soviétique l’a appelé "un représentant de l’idéologie de la couche révolutionnaire de l’intelligence petite-bourgeoise, qui est prêt à suivre les traces du prolétariat". Pour Staline, Eisenstein, il était "un trotskiste sinon pire".

Aleksandrov, très opportuniste, commença à réduire les contacts avec le réalisateur et fut récompensé par Choumiatski lui-même. On lui proposa, en effet, la réalisation d’une comédie intitulée Vesëlye rebjata (Joyeux Garçons, 1934) supervisée par Staline lui-même. Le film fut un succès et lança en URSS un nouveau genre, la comédie satirique musicale, qui se développa rapidement grâce à la diffusion du son. Aleksandrov devint le maître de ce type de films et réalisa, entre autres, Cirk (Le cirque, 1936) une condamnation du racisme face à l’amour et au bonheur et Volga Volga (1938) sur l’affrontement, à travers deux orchestres, entre la vieille mentalité bureaucratique et la nouvelle initiative populaire. Les deux films sont interprétés par son épouse Ljubov' Orlova. Aleksandrov réalise également quelques longs-métrages sur la figure et l’œuvre politique de Staline, mais ne travaille plus avec Eisenstein.

Pas encore satisfait, Choumiatski, qui avait refusé les financements pour mettre fin à Que viva México!, commença à rejeter toutes les idées d’Eisenstein, y compris celles qui étaient en préparation, comme les MMM et Sa Majesté noire. Les critiques et les attaques se multiplient aussi dans les quotidiens et au réalisateur, rentré en URSS en 1932, il ne reste plus qu’à accepter le "déclassement" et à retourner enseigner la mise en scène à l’Institut d'État de Cinématographie (VGIK). Durant cette période, "Sa Majesté" écrivit d’importants textes théoriques, y compris un traité, jamais achevé, sur la mise en scène et la récitation de l’acteur.

La nouvelle doctrine du "Réalisme socialiste", née au Comité central du PCUS et adoptée par la littérature en 1934, fut formalisée dans le cinéma pendant le XV Anniversaire du cinéma soviétique, événement qui se tint à Moscou le 8 janvier 1935. Staline y envoya un message. Parlant pour le Parti, c’est Dinamov qui critiqua ouvertement Eisenstein pour son formalisme et pour ses expérimentations. Le cinéaste répondit en parlant de l’évolution et de l’état du cinéma soviétique, mais les autres réalisateurs prirent leurs distances. Le grand Dovjenko, toujours épris de Staline, pontifia : "Tes films [...] sont mille fois plus chers que tes théories. Ton film vaut plus que tes idées irréalisées et tes discours sur les femmes polynésiennes". Ce ne fut pas moins Pudovkine : "C’était une exposition assez nébuleuse : loin d’être claire". Le seul Koulesov eut le courage d’admettre : "Cher Sergueï Mikhaïlovitch! On ne brûle pas pour trop de culture, quand on brûle pour trop de jalousie".

Trois jours plus tard, au Théâtre Bolchoï, Staline décerna l’ordre de Lénine, la plus haute distinction, aux réalisateurs soviétiques. Pour Eisenstein, il n’y eut que des prix de quatrième ordre. Le metteur en scène ne se désagrégeait pas, démontrant une supériorité évidente, et déclara vouloir plus que tout le seul retour derrière la caméra.

L’occasion se concrétisa lorsque Aleksandr Rzheshevsky, réalisateur et scénariste qui avait déjà travaillé avec Pudovkin, proposa à Eisenstein un scénario qu’il venait de refuser de Boris Barnet. Le manuscrit était inspiré du recueil Zapiski ohotnika (Mémoires d'un chasseur) de Ivan Tourgueniev, spécifiquement au récit Bežin lug (Le Pré de Béjine), l’histoire vraie de Pavlik Morozov, le garçon-héros, qui s’est révolté et a dénoncé le père "koulak".

Le thème de la collectivisation des terres avait été abordé dans L’Ancien et le Nouveau d’Eisenstein, dans La Terre de Dovjenko et il était de retour sur le grand écran en 1934 avec Schast'e (Le bonheur), film qui rendit célèbre le réalisateur Alexandre Ivanovitch Medvedkine, mais qui a irrité les dirigeants du PCUS... c’était une comédie. Le Pré de Béjine vint considérée, en revanche, comme un soutien à la collectivisation des fermes et utile à la construction d’un jeune héros. Le projet a donc été approuvé par le Komsomol (Union de la jeunesse communiste léniniste de toute l’Union).

Le réalisateur, qui fit recours une fois de plus à des acteurs non professionnels, pour le rôle du jeune protagoniste, rebaptisé Stepok, auditionna deux mille enfants. Il choisit finalement Viktor Kartashov, âgé de 11 ans, frappé par la croissance asymétrique des cheveux et la pigmentation de la peau. Le tournage débuta le 5 mai 1935 et alterna entre les études de la Mosfilm de Moscou, de l’Ukraine et du Caucase. En septembre de la même année, le tournage subit un arrêt. Le réalisateur tomba malade de la variole. Pas encore complètement guéri, il retourna au travail en décembre et revint en février. Mais Choumiatski, en août 1936, lui ordonna de réécrire le scénario en l’accusant de formalisme, d’intellectualisme et même de mysticisme. Avec la collaboration de l’écrivain Isaak Babel, malvenu dans les milieux culturels "officiels", Eisenstein réécrit le scénario et recommence le tournage. En janvier 1937, le réalisateur tombe de nouveau malade à seulement deux semaines de travail de la fin du tournage.

L’histoire racontée était celle du jeune Stepok (Viktor Kartashov), pionnier d’une commune agricole, qui dénonce le père violent Samokhin (Boris Zakhava), partisan des koulak, comme auteur d’un incendie provoqué pour saboter la récolte de blé de la communauté. Le jeune homme se bat pour ses idées, mais finalement il est tué par son parent dans un fusillade.

Mais Eisenstein, comme cela avait déjà été le cas pour Que viva México !, ne réussit pas à terminer Le Pré de Béjine. Le 17 mars 1937, Choumiatski ordonne l’arrêt définitif du tournage du film. L’accusation était de ne pas affronter la lutte de classe, mais de développer une lutte élémentaire et presque biblique entre le bien et le mal. Deux jours plus tard, le réalisateur convoqua une conférence de cinéastes qui, dans l’intention de l’intéressé, aurait dû contrecarrer la décision de Choumiatski, mais aucun des participants ne prit la défense d’Eisenstein qui, le 5 avril, fut contraint, comme d’habitude à l’époque stalinienne, à faire "autocritique" devant la direction de la Mosfilm.

Le matériel tourné de Le Pré de Béjine, coûtant plus de deux millions de roubles, dépassait les cinq heures et, compte tenu des nombreuses modifications, il existait plusieurs versions du film. On ne les verra jamais. Il semble, en effet, qu’un incendie en 1942 à Mosfilm, au début de la Seconde Guerre mondiale, brûla la seule copie existante de Bežin lug, même si on ne comprend pas pourquoi la copie n’a pas été mise en sécurité, avec d’autres, au début de la guerre. En 1962, le réalisateur russe Sergei Ioutkevitch aidé par Naum Kleiman, monta des parties du film gardées jalousement par la femme d’Eisenstein, Pera Attacheva, et plusieurs photos de scène. Le résultat fut un "film photo" d’environ une demi-heure (apparemment il y a aussi une version de 70 minutes) dans laquelle on peut voir, une fois de plus, les dons du réalisateur : des émouvantes images de l’enterrement de la mère du protagoniste, tuée par son père, à la triste fin qu’elle voit le jeune Stepok aller à la rencontre de son père, lui arracher son fusil et mourir parmi ses compagnons.

L’homme qui a coûté au réalisateur le film et de nombreux autres projets, Boris Choumiatski, a aussi eu une mauvaise fin. Entre le 8 et le 9 janvier 1938, il est destitué de ses fonctions et arrêté pour avoir saboté le cinéma soviétique. Victime d’une purge stalinienne, il est condamné à mort et fusillé le 29 juillet.

Au contraire, une réhabilitation partielle d’Eisenstein commença. Si Lazare Moïsseïevitch Kaganovitch prononçait : "On ne peut pas faire confiance à Eisenstein. Il a encore balancé des millions de roubles sans rien nous donner [...] parce qu’il est contre le socialisme", le réalisateur fut défendu par Molotov et Ždanov. Le dramaturge Vsevolod Višnevski a admis qu’au Mexique et en URSS "de vrais crimes avaient été commis" et a imaginé avec le cinéaste deux films, malheureusement jamais réalisés : l’un sur la guerre civile espagnole, l’autre sur l’organisation de l’Armée rouge en 1917, d’après un ouvrage du même auteur intitulé "My - ruskij narod" ("Nous, peuple russe").

Mais c’est surtout Staline, bien conscient du talent d’Eisenstein, qui le défendit et lui donna une autre chance. Alors que les tensions grandissent avec l’Allemagne nazie et avec la volonté de promouvoir le culte de sa personnalité, en effet, le chef de l’URSS en janvier 1938 commanda à Eisenstein la réalisation d’un film biographique sur un condottiere russe capable au XIIIème siècle de vaincre les envahisseurs teutoniques, Alexandre Nevski.

Eisenstein commença à travailler sur le nouveau projet avec une nouvelle équipe, le seul Tissė, qui avait entre-temps assuré la photographie d’Aerograd (1935) dirigé par Dovženko, était resté à ses côtés. Pour la première fois, il dirige des acteurs professionnels. Staline prétend que le rôle du protagoniste est joué par Nikolaï Konstantinovitch Tcherkassov (Saint-Pétersbourg, 27 juillet 1903 - Moscou, 14 septembre 1966). La raison ? Simple : l’acteur était député du Soviet Suprême et pouvait donc "contrôler" le réalisateur. Mais Tcherkassov était aussi un grand interprète, élève de Stanislavsky, il avait été danseur, acteur sur scène et sur grand écran. À signaler Deputat Baltiki (Le député de la Baltique, 1937) de Iossif Kheifitz et Alexandre Zarkhi et Pëtr Perviy (Pierre le Grand, la première partie sortie en 1937, la deuxième en 1938), film monumental de Vladimir Petrov. Sans doute l’acteur le plus talentueux de son époque en Union soviétique.

Pour Alexandre Nevski, le réalisateur avec la méticulosité habituelle étudia et reconstruit une époque à travers des esquisses, préparées par lui-même, qui concernaient les costumes, les armures, les ornements. Il recréa, dans le torride juillet 1938, la bataille qui eut lieu le 4 avril 1242 sur le gelé lac Peïpous en utilisant des radeaux pneumatiques et de la glace artificielle.Cette scène, comme le rappelait Tissė, a été filmée "à la vitesse de huit à douze images par seconde, au lieu de vingt-quatre, pour souligner le rythme particulier dramatique de la bataille".

Avec le nouvel opéra Eisenstein, le film sonore (le premier film sonore en URSS est Putyovka v zhizn (Le Chemin de la vie), réalisé par Nicolaï Ekk en 1931. Mais les dialogues approuvés par le Parti étaient faux et propagandistes, donc Eisenstein décida d’enrichir le film avec de la musique, parfaite comme contrepoint aux images. Ces notes ont été spécialement et magnifiquement écrites par Sergueï Prokofiev (Sontsivka, 23 avril 1891 - Moscou, 5 mars 1953) compositeur extraordinaire, accusé comme le réalisateur, de formalisme. Les deux génies devinrent inévitablement amis.

Eisenstein a déclaré à propos du tournage du film : "J’étais profondément conscient de faire un film, qui était d’abord, et surtout, contemporain : la ressemblance était frappante entre les événements décrits dans les chroniques et les récits épiques et les événements de nos jours. En substance, si ce n’est pas dans la forme, les événements du treizième sont émotionnellement proches des nôtres. Et, dans ce cas particulier, aussi dans la forme. Je n’oublierai jamais le jour où, ayant lu dans un journal la féroce destruction de Guernica par les fascistes, je consultai des documents historiques et trouvai une description de la conquête de Guernica par les croisés".

Conclu cinq mois avant le délai fixé, Alexandre Nevski est présenté pour la première fois en public à Moscou le 23 novembre 1938, près de dix ans après le dernier film du réalisateur (L'Ancien et le Nouveau sortit en 1929).

En 1242, les chevaliers de l’ordre teutonique envahissent de l’ouest la Russie bouleversée par les incursions et les dévastations mongoles. Le prince Alexandre Nevski (Nikolaï Tcherkassov) est appelé par le peuple à organiser l’armée qui devra vaincre les Germains. Et tandis que deux soldats russes Vassili Buslaj (Nikolaï Okhlopkov) et Gavrilo Oleksich (Andreï Abrikossov) se disputent le cœur de la belle Olga Danilovna (Vera Ivachova), le condottière parvient à unir le peuple de Nogodorov et d’autres villes aux paysans pauvres de la campagne, pour vaincre dans une bataille épique l’ennemi étranger sur le lac Peïpous, le lac gelé qui s’effondre sous le poids des armures teutoniques.

Bien qu’ Eisenstein le considérait comme son film le plus superficiel et le moins personnel, ou peut-être pour cette raison, Alexandre Nevski fut le plus grand succès du public du réalisateur qui réussit à dessiner non seulement le profil du héros, mais aussi celui d’un peuple entier où le prince n’est pas simplement le souverain, mais une partie homogène... Peu importe si l’histoire ne s’est pas passée comme ça. Impressionnant la scène de la bataille sur la glace, bien 37 minutes de film, dans lequel la comparaison entre les deux armées (blanches et ordonnées les teutoniques, les noirs et les russes désordonnés, inversant les attributs classiques du bien et du mal) devient une comparaison abstraite des masses, des volumes et des lignes.

Aleksandr Nevski est le film qui réhabilite Eisenstein aux yeux de Staline, en évitant son isolement définitif, et, pour cette raison, le réalisateur remporte en février 1939 l’Ordre de Lénine et le Prix Staline.

Eisenstein conçut alors de nouveaux sujets. Il écrivit avec Alexandre Fadeïev Perekop qu’il reconstruirait la poursuite menée par Fruenze en 1920 pour attaquer les "gardes blancs" du baron Wrangel ; il reprend le film déjà projeté sur le condottiere ouzbek Tamerlan qu’il perfectionne avec l’écrivain Pyotr Pavlenko pour en faire une fresque sur l’histoire de l’Asie centrale appelée Bolchoï fergansky kanal (Le Grand Canal de Fergana). La musique fut de nouveau confiée à Prokofiev. Des inspections et des tournages furent effectués, mais le projet fut définitivement abandonné. Les images tournées ont été insérées dans un documentaire projeté le jour de l’ouverture du canal en septembre 1939.

Quelques semaines auparavant avait été signé le tristement célèbre Pacte Molotov-Ribbentrop, le traité de non-agression entre le Reich et l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques. Le cinéma en subit les conséquences : Alexandre Nevski est retiré et sa projection interdite.

Par la suite, Eisenstein travailla sur un film sur le poète Alexandre Pouchkine, pour lequel il pensait, comme le montrent certaines annotations de mars 1940, à une utilisation expérimentale de la couleur qui éviterait tout le spectre pour se limiter à quelques couleurs, choisis en fonction des besoins expressifs. Puis il esquissa le scénario Delo Bejlisa (L’affaire Bejlis), tiré du texte théâtral homonyme de Šejnin, centré sur le procès de Menahem Mendel Beilis, accusé de meurtre, qui déclencha une violente vague d’antisémitisme en Russie impériale.

Le 21 novembre 1940, Eisenstein retourne au théâtre, portant sur la scène Die Walküre (La Valkyrie), la deuxième partie de Der Ring des Nibelungen (L’anneau du Nibelungen) de Richard Wagner. Mais un autre Allemand allait engager l’URSS. Hitler, en effet, ne maintint pas le "Pacte" et, à l’été 1941, attaqua l’Union soviétique. Aleksandr Nevski, après dix-huit mois d’oubli, revint dans les salles avec plus de vigueur qu’auparavant, devenant un authentique manifeste antinazi.

Isaac Babel (1930)

Isaac Babel (1930)

L’histoire racontée était celle du jeune Stepok (Viktor Kartashov), pionnier d’une commune agricole, qui dénonce son père violent Samokhin (Boris Zakhava), partisan des koulak, comme auteur d’un incendie provoqué pour saboter la récolte de blé de la communauté. Le jeune homme se bat pour ses idées, mais finalement il est tué par son parent dans une fusillade.

Mais Eisenstein, comme cela avait déjà été le cas pour Que viva México !, ne réussit pas à terminer Le Pré de Béjine. Le 17 mars 1937, Choumiatski ordonne l’arrêt définitif du tournage du film. L’accusation était de ne pas affronter la lutte de classe, mais de développer une lutte élémentaire et presque biblique entre le bien et le mal. Deux jours plus tard, le réalisateur convoqua une conférence de cinéastes qui, dans l’intention de l’intéressé, aurait dû contrecarrer la décision de Choumiatski, mais aucun des participants ne prit la défense d’Eisenstein qui, le 5 avril, fut contraint, comme d’habitude à l’époque stalinienne, de faire son "autocritique" devant la direction de la Mosfilm.

Le matériel tourné de Le Pré de Béjine, coûtant plus de deux millions de roubles, dépassait les cinq heures et, compte tenu des nombreuses modifications, il existait plusieurs versions du film. On ne les verra jamais. Il semble, en effet, qu’un incendie en 1942 à Mosfilm, au début de la Seconde Guerre mondiale, brûla la seule copie existante de Bežin lug, même si on ne comprend pas pourquoi la copie n’a pas été mise en sécurité, avec d’autres, au début de la guerre. En 1962, le réalisateur russe Sergei Ioutkevitch aidé par Naum Kleiman, monta des parties du film gardées jalousement par la femme d’Eisenstein, Pera Attacheva, et plusieurs photos de scène. Le résultat fut un "film photo" d’environ une demi-heure (apparemment il y a aussi une version de 70 minutes) dans laquelle on peut voir, une fois de plus, les dons du réalisateur : des émouvantes images de l’enterrement de la mère du protagoniste, tuée par son père, et la triste fin  où elle voit le jeune Stepok aller à la rencontre de son père, lui arracher son fusil et mourir parmi ses compagnons.

L’homme qui a coûté au réalisateur le film et de nombreux autres projets, Boris Choumiatski, a aussi eu une mauvaise fin. Entre le 8 et le 9 janvier 1938, il est destitué de ses fonctions et arrêté pour avoir saboté le cinéma soviétique. Victime d’une purge stalinienne, il est condamné à mort et fusillé le 29 juillet.

Au contraire, une réhabilitation partielle d’Eisenstein commença. Si Lazare Moïsseïevitch Kaganovitch prononçait : "On ne peut pas faire confiance à Eisenstein. Il a encore balancé des millions de roubles sans rien nous donner [...] parce qu’il est contre le socialisme", le réalisateur fut défendu par Molotov et Ždanov. Le dramaturge Vsevolod Višnevski a admis qu’au Mexique et en URSS "de vrais crimes avaient été commis" et a imaginé avec le cinéaste deux films, malheureusement jamais réalisés : l’un sur la guerre civile espagnole, l’autre sur l’organisation de l’Armée rouge en 1917, d’après un ouvrage du même auteur intitulé "My - ruskij narod" ("Nous, peuple russe").

Mais c’est surtout Staline, bien conscient du talent d’Eisenstein, qui le défendit et lui donna une autre chance. Alors que les tensions grandissent avec l’Allemagne nazie et avec la volonté de promouvoir le culte de sa personnalité, en effet, le chef de l’URSS en janvier 1938 commanda à Eisenstein la réalisation d’un film biographique sur un chevalier russe capable au XIIIème siècle de vaincre les envahisseurs teutoniques, Alexandre Nevski.

Eisenstein commença à travailler sur le nouveau projet avec une nouvelle équipe. Seul Tissė, qui avait entre-temps assuré la photographie d’Aerograd (1935) dirigé par Dovženko, était resté à ses côtés. Pour la première fois, il dirige des acteurs professionnels. Staline souhaite que le rôle de l'acteur principal soit joué par Nikolaï Konstantinovitch Tcherkassov (Saint-Pétersbourg, 27 juillet 1903 - Moscou, 14 septembre 1966). La raison ? Simple : l’acteur était député du Soviet Suprême et pouvait donc "contrôler" le réalisateur. Mais Tcherkassov était aussi un grand interprète, élève de Stanislavsky, il avait été danseur, acteur sur scène et sur grand écran. À signaler Deputat Baltiki (Le député de la Baltique, 1937) de Iossif Kheifitz et Alexandre Zarkhi et Pëtr Perviy (Pierre le Grand, la première partie sortie en 1937, la deuxième en 1938), film monumental de Vladimir Petrov. Sans doute l’acteur le plus talentueux de son époque en Union soviétique...

Pour Alexandre Nevski, le réalisateur, avec sa méticulosité habituelle, étudia et reconstruisit toute une époque à travers des esquisses, préparées par lui-même, qui concernaient les costumes, les armures, les ornements. Il recréa, dans le torride juillet 1938, la bataille qui eut lieu le 4 avril 1242 sur le lac gelé lac Peïpous en utilisant des radeaux pneumatiques et de la glace artificielle. Cette scène, comme le rappelait Tissė, a été filmée "à la vitesse de huit à douze images par seconde, au lieu de vingt-quatre, pour souligner le rythme particulier dramatique de la bataille".

Avec le nouvel opéra Eisenstein, le film sonore (le premier film sonore en URSS est Putyovka v zhizn (Le Chemin de la vie), réalisé par Nicolaï Ekk en 1931. Mais les dialogues approuvés par le Parti étaient faux et propagandistes, donc Eisenstein décida d’enrichir le film avec de la musique, parfaite comme contrepoint aux images. Ces notes ont été spécialement et magnifiquement écrites par Sergueï Prokofiev (Sontsivka, 23 avril 1891 - Moscou, 5 mars 1953) compositeur extraordinaire, accusé comme le réalisateur, de formalisme. Les deux génies devinrent inévitablement amis.

Eisenstein a déclaré à propos du tournage du film : "J’étais profondément conscient de faire un film, qui était d’abord, et surtout, contemporain : la ressemblance était frappante entre les événements décrits dans les chroniques et les récits épiques et les événements de nos jours. En substance, si ce n’est pas dans la forme, les événements du treizième siècle sont émotionnellement proches des nôtres. Et, dans ce cas particulier, aussi dans la forme. Je n’oublierai jamais le jour où, ayant lu dans un journal la féroce destruction de Guernica par les fascistes, je consultai des documents historiques et trouvai une description de la conquête de Guernica par les croisés".

Conclu cinq mois avant le délai fixé, Alexandre Nevski est présenté pour la première fois en public à Moscou le 23 novembre 1938, près de dix ans après le dernier film du réalisateur ("L'Ancien et le Nouveau" sortit en 1929).

En 1242, les chevaliers de l’ordre teutonique envahissent l’ouest de la Russie bouleversée par les incursions et les dévastations mongoles. Le prince Alexandre Nevski (Nikolaï Tcherkassov) est appelé par le peuple à organiser l’armée qui devra vaincre les Germains. Et tandis que deux soldats russes Vassili Buslaj (Nikolaï Okhlopkov) et Gavrilo Oleksich (Andreï Abrikossov) se disputent le cœur de la belle Olga Danilovna (Vera Ivachova), le chevalier parvient à unir le peuple de Nogodorov et d’autres villes aux paysans pauvres de la campagne, pour vaincre dans une bataille épique l’ennemi étranger sur le lac Peïpous, le lac gelé qui s’effondre sous le poids des armures teutoniques.

Bien qu’Eisenstein le considérait comme son film le plus superficiel et le moins personnel, ou peut-être pour cette raison, Alexandre Nevski fut le plus grand succès du public du réalisateur qui réussit à dessiner non seulement le profil du héros, mais aussi celui d’un peuple entier où le prince n’est pas simplement le souverain, mais une émanation du peuple... Peu importe si l’histoire ne s’est pas passée comme ça. Impressionnante, la scène de la bataille sur la glace, 37 minutes de film, dans lequel la comparaison entre les deux armées (blanches et ordonnées les teutoniques, les noirs et les russes désordonnés, inversant les attributs classiques du bien et du mal) devient une comparaison abstraite des masses, des volumes et des lignes.

Aleksandr Nevski est le film qui réhabilite Eisenstein aux yeux de Staline, en évitant son isolement définitif, et, pour cette raison, le réalisateur remporte en février 1939 l’Ordre de Lénine et le Prix Staline.

Eisenstein conçut alors de nouveaux sujets. Il écrivit avec Alexandre Fadeïev Perekop qu’il reconstruirait la poursuite menée par Fruenze en 1920 pour attaquer les "gardes blancs" du baron Wrangel ; il reprend le film déjà projeté sur le condottiere ouzbek Tamerlan qu’il perfectionne avec l’écrivain Pyotr Pavlenko pour en faire une fresque sur l’histoire de l’Asie centrale appelée Bolchoï fergansky kanal (Le Grand Canal de Fergana). La musique fut de nouveau confiée à Prokofiev. Des inspections et des tournages furent effectués, mais le projet fut définitivement abandonné. Les images tournées ont été insérées dans un documentaire projeté le jour de l’ouverture du canal en septembre 1939.

Quelques semaines auparavant avait été signé le tristement célèbre Pacte Molotov-Ribbentrop, le traité de non-agression entre le Reich et l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques. Le cinéma en subit les conséquences : Alexandre Nevski est retiré et sa projection interdite.

Par la suite, Eisenstein travailla sur un film sur le poète Alexandre Pouchkine, pour lequel il pensait, comme le montrent certaines annotations de mars 1940, à une utilisation expérimentale de la couleur qui éviterait tout le spectre pour se limiter à quelques couleurs, choisis en fonction des besoins expressifs. Puis il esquissa le scénario Delo Bejlisa (L’affaire Bejlis), tiré du texte théâtral homonyme de Šejnin, centré sur le procès de Menahem Mendel Beilis, accusé de meurtre, qui déclencha une violente vague d’antisémitisme en Russie impériale.

Le 21 novembre 1940, Eisenstein retourne au théâtre, portant sur la scène Die Walküre (La Valkyrie), la deuxième partie de Der Ring des Nibelungen (L’anneau du Nibelungen) de Richard Wagner. Mais un autre Allemand allait engager l’URSS. Hitler, en effet, ne maintint pas le "Pacte" et, à l’été 1941, attaqua l’Union soviétique. Aleksandr Nevski, après dix-huit mois d’oubli, revint dans les salles avec plus de vigueur qu’auparavant, devenant un authentique manifeste antinazi.

Andréa Lauro, 25 mai 2021

 

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17 mai 2021 1 17 /05 /mai /2021 09:04

 

Il s’est dit beaucoup de choses, il s’est tenu beaucoup d’émissions autour du 10 mai dernier à l’occasion du 40ème anniversaire de la victoire de la gauche en 1981, sans jamais dire que celle-ci n’a été possible que par une conjonction de forces, d’aspirations populaires et l’apport considérable du Parti communiste. Je ne peux revenir ici sur l’ensemble de cette période de l’histoire, mais je me sens obligé d’en dire quelques mots.

Cette victoire est d’abord le résultat d’un long processus de luttes sociales et sociétales (parmi lesquelles le grand mouvement de mai 1968), de confrontations politiques dans la société et au sein de la gauche elle-même, de la reconstruction d’un Parti socialiste abandonnant les oripeaux de la vieille SFIO et d’un travail patient des communistes pour l’union populaire et l’union de la gauche.

En 1965 puis en 1974, le PCF choisit l’union et le rassemblement autour d’un candidat commun de la gauche, issu du Parti socialiste. La candidature de Jacques Duclos en 1969 vise également cet objectif et elle est comprise comme telle par un électorat issu de toute la gauche. Celle de Georges Marchais en 1981, porteuse du Programme commun, est nettement une candidature anti-droite (anti-Giscard) tout en ayant l’ambition de créer à gauche un rapport de force favorable à la prise en compte des espoirs des travailleurs. Devancé par François Mitterrand, il réalise cependant un score important, lors de l’élection présidentielle la plus difficile pour les communistes. D’autant plus qu’au niveau international, après les avancées des « révolutions » sur plusieurs points de la planète, on assiste au début de la contre-offensive conservatrice et réactionnaire, fortement teintée d’anticommunisme, avec le reaganisme – le thatchérisme plus près de nous – le tout étant cornaqué par une instance mondiale du capitalisme et de l’impérialisme : la Commission trilatérale.

Cette pression n’était déjà pas sans effet sur F. Mitterrand et le Parti socialiste. Dès la signature du Programme commun, F. Mitterrand dira à l’Internationale socialiste à Vienne qu’il avait signé un programme de gouvernement pour « prendre trois millions de voix au Parti communiste ». Les élections qui suivirent montrèrent que le recul constaté lors du scrutin présidentiel, qui avait pu être attribué à son caractère spécifique et sa dimension de pouvoir personnel, s’inscrivait en réalité de façon durable dans la vie politique française.

La bataille pour l’union du Parti communiste a profité électoralement à toute la gauche, jusqu’en 1978. A partir de 1981, l’union réalisée, c’est au Parti socialiste qu’en est attribué le mérite. Et quand les communistes s’efforcent, tant bien que mal, dans un même mouvement, de préserver, d’amplifier le contenu transformateur des politiques menées et l’union indispensable pour y parvenir, il n’est pas compris par de nombreux progressistes. La période difficile de l’actualisation du Programme commun en 1977 en a témoigné. Rien n’est venu depuis contredire les reculs électoraux du Parti communiste, en dépit de toutes les tentatives qui ont suivi. Sans doute convient-il d’approfondir la réflexion pour en déterminer les causes les plus profondes et radicales, nationales, européennes, internationales et internes au parti lui-même et à la gauche.

Du reste, c’est partout dans le monde que ce phénomène se constate. Cela ne doit cependant pas conduire à minimiser ce qu’a apporté la victoire de l’union de la gauche en 1981. Aujourd’hui encore, les salariés se mobilisent pour en préserver les acquis, mis à mal par les gouvernements qui se sont succédés, par le patronat et l’Union européenne.

Dès les premiers mois, des réformes de progrès ont été votées et mises en œuvre. Le 1er juillet 1981, une hausse de 20% de l’allocation handicapés, de 25% des allocations familiales et de logement. Le 4 août, la suppression de la Cour de sureté de l’Etat. Le 2 octobre, l’autorisation des radios locales. Le 8 octobre, le blocage des prix, le 9 octobre, l’abolition de la peine de mort, le 15 décembre, l’abrogation de la loi anticasseurs, le 30 décembre création de l’impôt sur la fortune. Le 14 janvier 1982, l’instauration des 39 heures de travail hebdomadaire et de la 5ème semaine de congés payés. Le 13 février, le vote des nationalisations de grandes entreprises et banques. Le 3 mars, la loi de décentralisation. Le 25 mars, l’abaissement de l’âge de la retraite qui passe de 65 à 60 ans puis le vote des lois Auroux pour de nouveaux droits des salariés dans les entreprises.

Les quatre ministres communistes, Charles Fiterman, Anicet le Pors, Jack Ralite et Marcel Rigout, ont pris leur part dans ce bilan impressionnant de tout le gouvernement et de la majorité parlementaire. Avec certains apports particuliers, comme celui de Charles Fiterman qui, à l’opposé de ce qui se fait aujourd’hui, fait transformer les dettes des entreprises concessionnaires d’autoroutes en participations au capital de l’Etat, ce qui les nationalise. L’argent ainsi économisé est réinvesti dans de nouvelles infrastructures. Le chantier de l’A380 est lancé et le ministre d’Etat pousse ainsi à la diversification d’Airbus. Il fait voter la loi des transports intérieurs, premier acte d’un projet écologique pour les transports. Il fait voter une loi ancrant la maîtrise publique des entreprises de transport en contrôlant la concurrence et en obligeant les entreprises du secteur à endosser la responsabilité des coûts sociaux et environnementaux.

Le statut de la SNCF en fait un nouvel établissement public industriel et commercial tout en y renforçant l’emploi. Il met en place le remboursement à 50% de la Carte orange, supprime les deux classes dans le métro et participe au lancement du TGV.


Marcel Rigout, ministre de la formation professionnelle, fait voter la loi du 24 février 1984 portant réforme de la formation professionnelle continue et modifies en ce sens le Code du travail. Elle est complémentaire des lois Auroux que Macron a rendues caduques avec les « lois travail ». Il lance 600 000 contrats nouveaux de formation professionnelle pour des jeunes. 300 000 d’entre eux débouchent sur des contrats à durée indéterminée.


Jack Ralite, ministre de la Santé puis de l’Emploi, supprime le secteur privé à l’hôpital public, lance les centres de santé publics, équipe plusieurs hôpitaux de scanners, abroge la loi de 1938 qui mettait les malades mentaux à l’écart de la société, fait adopter une loi de réorganisation de l’hôpital. C’est lui qui fat supprimer la pénalisation de l’homosexualité. Comme ministre de l’Emploi, il lance les contrats « emploi-formation-production » et permet ainsi de sauver plusieurs petites et moyennes entreprises et leurs emplois.

 

Anicet Le Pors conduit une réforme fondamentale de la fonction publique et du statut en introduisant notamment le droit de grève, la liberté d’opinion, le droit de négociation. Il ouvre la troisième voie d’accès à l’ENA pour des élus, responsables associatifs, des agents des collectivités, des hôpitaux et de la recherche. La fonction publique est étendue aux collectivités locales, aux établissements hospitaliers et de recherche. Le statut général des fonctionnaires se décline avec lui en quatre lois nouvelles.


Ces éléments de bilan, trop souvent sous-estimés, ne peuvent s’inscrire dans le simplisme binaire des mots « échec » ou « succès ». La présence de ministres communistes concrétisait l’état de rapports de force politiques, sociaux, culturels. Trop souvent les concrétisations sont restées comme en suspens car la victoire de la gauche n’a pas été accompagnée d’une mobilisation sociale suffisante pour contrebalancer les pressions d’un contexte international nouveau et la tendance d’importantes fractions du Parti socialiste à revenir aux démons de l’adaptation au capitalisme. Dès le 26 novembre 1981, le ministre des Finances, Jacques Delors, réclame une « pause ». Jusqu’au tournant économique de l’année 1983 qui est sans doute le début de l’affaiblissement des idées de la gauche de transformation économique, sociale, démocratique dans le cadre de l’affaiblissement de l’Etat national au profit des carcans de l’Union européenne et de la mondialisation capitaliste.

 

Cela ne veut évidemment pas dire qu’il faut s’en satisfaire au moment où, aujourd’hui, l’enjeu du post-capitalisme est à l’ordre du jour. Il se pose avec une force accrue car le « tout-capitalisme mondialisé » ne fait qu’aggraver toutes les tares que sécrète ce système inhumain, du développement des inégalités à celui de la pauvreté, de l’épuisement de la planète à celui de la biodiversité, des guerres aux atteintes aux libertés… Les dénoncer, les combattre, pied à pied, est indispensable. Mais reste posée dans son entier l’immense question de l’alternative, de l’engagement dans un processus populaire démocratique mondial d’émancipation humaine. En ouvrir la voie, pour la gauche et l’écologie toutes entières et singulièrement pour le Parti communiste et le Parti socialiste, suppose, me semble-t-il, de prendre la mesure des deux déflagrations qui au XXe siècle les ont atteints l’un et l’autre, l’effondrement du l’URSS et l’échec de la social-démocratie. La tâche est d’autant plus ardue que l’activité politique a, elle-même, été durement atteinte, la désindustrialisation a produit des ravages, les cadenas de l’Union européenne aussi au point de voir tant de nos concitoyens s’en détourner.

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