Ghouta sous les bombes: le carnage continue, discussions à l'Onu
Depuis le dimanche 18 février, au moins 450 civils ont été tués et quelque 2 000 autres blessés par les bombardements intensifs des forces gouvernementales syriennes dans la Ghouta orientale, en Syrie. Désuni, le Conseil de sécurité de l’Onu discute pour mettre fin au massacre.
Même le très prudent Staffan de Mistura, l’émissaire de l'Onu pour la Syrie, qui habituellement tourne cent fois sa langue dans sa bouche avant de lâcher quelques banalités, a fini par qualifier d’« atroces » les bombardements sur la Ghouta orientale.
Vendredi 23 février, alors que l’Onu discutait d’un projet de trêve humanitaire de 30 jours dans l’ensemble du pays, ils se sont encore intensifiés. De l’avis des ONG présentes dans l’enclave rebelle, ce sont les pires depuis le début de la nouvelle offensive du régime qui a commencé il y a six jours.
Depuis le dimanche 18 février, au moins 450 civils ont été tués et quelque 2 000 autres blessés, selon le décompte de l’Observatoire syrien des droits de l’homme, basé à Londres. Au moins 95 enfants sont morts depuis cette date, ce qui a aussi conduit l'Unicef, le Fonds des Nations unies pour l'enfance, à exprimer son indignation dans un communiqué vide. Même sentiment à Bruxelles chez les Vingt-Huit, qui ont appelé vendredi à un cessez-le-feu immédiat : « L'Union européenne est à court de mots pour décrire l'horreur vécue par les habitants dans la Ghouta orientale. »
« Que ce soit sous Hafez al-Assad ou son fils Bachar, le régime syrien use toujours de la même tactique, résume le politologue franco-syrien Salam Kawakibi, directeur adjoint du think tank ARI (Initiative arabe de réforme). Il tue d’abord tout le monde et, ensuite, il fait avancer ses forces. C’était déjà le cas en 1982, lors du siège de Hama [une partie de la ville s’était soulevée à l’instigation des Frères musulmans – ndlr]. Puis ce fut le cas à Hama, en 2012, et, dernièrement à Alep. »
Les bombardements sont le fait à la fois de l’aviation syrienne et russe, des hélicoptères du régime qui larguent des barils de poudre et tirent des roquettes et de l’artillerie lourde. « Il est tombé en trois jours autant de bombes qu’en quatre ans de guerre », indiquait dernièrement, sur Skype, un habitant de la petite enclave rebelle encerclée.
La localité de Hammouriyeh a été particulièrement frappée par les assauts aériens. La Défense civile de la Ghouta orientale a fait savoir que ses équipes de secours avaient dégagé des centaines de personnes, dans cette ville et dans d’autres, coincées sous les gravats.
Depuis plusieurs jours, ce sont les hôpitaux qui sont ciblés en priorité. Dans la seule journée du 22 février, 13 hôpitaux et établissements humanitaires ont été attaqués et, depuis le début de l’offensive aérienne, ce sont 22 hôpitaux qui ont été mis hors service, selon un décompte de l’Union des organisations de secours et soins médicaux(UOSSM), une ONG française et internationale qui est en contact permanent avec les médecins syriens sur place.
« L’état de dévastation dans lequel se trouve la Ghouta est indescriptible. En plus du nombre inimaginable de civils tués et blessés, il n’y a pratiquement plus d'installations médicales en fonctionnement. La crise humanitaire atteint des sommets », indique son président, le docteur Ziad Alissa.
« Dans les conflits militaires, morts et blessés méritent normalement respect, protection et soins, les droits de l’Onu les garantissent. Or les habitants de la Ghouta meurent dans l’indignité. Leurs écoles, leurs marchés sont détruits, ils meurent dans la souffrance et l’indifférence. Les femmes, les enfants et les hommes de la Ghouta meurent au milieu des décombres. Il faut que l’aide humanitaire ait un accès immédiat ! C’est une catastrophe ! », ajoute-t-il.
Il n’y a pas que les bombardements qui accablent la population. La famine s’y est aussi déclarée dans la petite enclave de 30 km2 et plusieurs nourrissons en sont morts. De nombreux et graves cas de malnutrition sont aussi signalés. Pas d’électricité et plus d’eau, alors que l’hiver y est terrible. Des photos montrent des habitants qui, faute de bois de chauffage, ont installé des tentes dans des caves. Selon un rapport de l’Onu, dans certaines communes, 80 % de la population vit sous terre.
Après les bombardements, les habitants de la Ghouta s’attendent à une offensive terrestre de l’armée syrienne et de ses alliés. L’armée a commencé d’accumuler du matériel à proximité de l’enclave. Celle-ci est l’une des dernières zones contrôlées par les insurgés. Mais, différence essentielle avec la dernière autre grande enclave rebelle, la province d’Idlib, c’est une région encore plus stratégique.
Plaine bocagère, qui commence à la lisière de Damas, elle fut longtemps son verger avant de faire partie de sa banlieue. Densément peuplée – elle compte quelque 360 000 habitants –, elle a donc servi de bastion idéal pour les rebelles quand ils attaquaient la capitale syrienne. Depuis, ils ont perdu beaucoup de leur capacité offensive mais sont encore à même de frapper le centre de la ville, ce qu’ils font encore de temps à autre avec des mortiers.
D’où la priorité du régime et de ses alliés russes et iraniens de les chasser de cette région qu’ils contrôlent depuis 2012.
Reste que la nature bocagère du territoire rend difficile une offensive terrestre, d’autant que l’armée syrienne a, selon divers experts, perdu environ les deux tiers de ses effectifs pendant les six années de guerre et qu’elle doit rester mobilisée sur un front encore plus résilient, celui d’Idlib. Dès lors, la cible prioritaire des forces loyalistes devient la population de l’enclave, à laquelle le régime entend faire payer son soutien à la rébellion.
D’où des bombardements massifs contre les centres urbains, les villages, les hôpitaux et les dépôts de nourriture. Le 21 août 2013, les forces loyalistes avaient même employé le gaz sarin, une attaque qui avait fait plus d’un millier de victimes, en majorité des femmes et des enfants.
En principe, la Ghouta est censée bénéficier depuis dix mois d’un accord de désescalade, validé par la Russie, l’Iran et la Turquie, pour favoriser des trêves localisées en Syrie. En réalité, les combats n'y ont jamais cessé, Moscou et Damas faisant valoir que l’enclave est contrôlée par le Front Al-Nosra, la branche syrienne d’Al-Qaïda, organisation avec laquelle ils affirment refuser de discuter, et qu’ils accusent de bombarder la capitale syrienne.
C’est le même argument que le ministre russe des affaires étrangères, Sergueï Lavrov, a repris vendredi pour retarder le vote sur le projet de trêve de 30 jours en Syrie afin de permettre l'acheminement de l'aide humanitaire et l'évacuation des blessés et des malades de la Ghouta orientale. « Il n'y a aucune garantie que [les rebelles] ne vont pas continuer à bombarder les zones résidentielles de Damas », a insisté le ministre russe.
Cette désunion entre les membres du Conseil de sécurité témoigne bien de l'internationalisation de la guerre civile syrienne. Les États-Unis, via le porte-parole du département d'État, ont dénoncé la « responsabilité particulière » de Moscou dans les bombardements sur la zone rebelle : « Sans le soutien apporté par la Russie à la Syrie, cette dévastation et ces morts n'auraient pas eu lieu. » « Le massacre doit cesser », a enfin lancé Federica Mogherini, la haute-représentante de l’Union européenne pour les affaires étrangères.
L'ambassadeur français François Delattre a renchéri en dénonçant « les attaques contre les hôpitaux » et une « situation insoutenable » pour les civils. Emmanuel Macron et Angela Merkel ont, de leur côté, écrit à Vladimir Poutine pour lui demander de contribuer à l'adoption de cette résolution.
Finalement, Moscou a accepté de rediscuter la résolution, qu’il avait d’abord qualifié d’« irréaliste ». Mais il y a mis un certain nombre de conditions, ce qu’il appelle des « garanties », qui ont été longuement débattues. Ainsi, les groupes Al-Nosra et l’État islamique devront s’abstenir de bombarder Damas.