PAR LES VILLAGES (2)
Dans les monts d’Arrée, l’école gagne du terrain
Menacée par la fermeture d’une classe, la commune bretonne de Berrien a trouvé la parade : brader des terrains, pour attirer de nouvelles familles.
C’est un paysage de bocage, de landes, de collines pelées et de chemins creux. Un pays parsemé de petits bourgs qui résistent tant bien que mal à la désertification, à la fermeture des commerces, à la fuite des jeunes générations. Bienvenue dans les monts d’Arrée, pays de légendes et de randonnées au cœur d’une nature à la fois somptueuse et austère, accueillante et secrète. Ici et là, des hameaux aux petites maisons de pierres serrées les unes contre les autres pour se protéger des frimas et de fins clochers de granit ciselé au-dessus des toits…
Parmi eux, des villages un peu plus grands comme Berrien, commune de 987 habitants perdue entre Carhaix et Morlaix. A ceci près qu’ici, on s’est battu bec et ongles pour défendre l’école communale, menacée en 2015 par la suppression d’un poste d’instituteur. Un combat qui a fini par payer lorsque la municipalité a trouvé une parade au dépeuplement : brader le prix du terrain des lotissements qu’elle destinait à de nouveaux habitants à 1 euro le mètre carré. Avec l’espoir d’attirer rapidement de jeunes couples avec enfants susceptibles de regonfler les effectifs scolaires.
«Tout un tintamarre»
Dans les bureaux exigus de la mairie, Paul Quéméner, maire de Berrien à la fière moustache, et Marie-Pierre Coat, première adjointe, se souviennent de cette opération sauvetage avec émotion. «L’école, c’est le poumon d’une commune rurale comme Berrien, c’est la vie. Sans elle, le commerce meurt», souligne l’élue, ancienne institutrice en retraite. Berrien compte encore une épicerie-boulangerie, deux cafés, un coiffeur, un garage-station service, une médiathèque… «Quand on nous a annoncé la suppression d’une classe sur les quatre que compte l’école parce que l’effectif était descendu à 72 élèves, on a tout de suite vu ce qu’il se profilait derrière. Avec, à terme, des regroupements pédagogiques dans d’autres communes [lire ci-contre] et la disparition de l’école. Mais il n’était pas question qu’on mette nos enfants dans le car tous les matins pour les envoyer à Huelgoat ou ailleurs», renchérit l’adjointe au maire.
La fronde a d’abord pris pour cible l’inspection d’académie à Quimper, avec concerts de casseroles à répétition et distribution de tracts. «On nous recevait, mais on ne nous écoutait pas, se souvient Paul Quéméner, nous laissant entendre qu’on n’était qu’une bande d’ignares qui n’y comprenaient rien. Ils pensaient qu’on ne bougerait pas, comme c’est le cas dans beaucoup de communes. Mais, de mars à août 2015, on a fait tout un tintamarre !»
Appels farfelus
De fait, parents d’élèves et élus, avec une grande majorité de la population, n’ont pas ménagé leur peine, filtrant tout un week-end l’axe Carhaix-Morlaix ou s’immisçant dans les manifestations sportives. Couvrant la façade de l’école communale de slogans «Touchez pas à mon école !» ou s’invitant aux abords de la propriété que Stéphane Le Foll, ministre de l’Agriculture, possède à Berrien pour y accrocher des dessins d’enfants. «Nous n’avons pu compter que sur nos forces, relève Marie-Pierre Coat. Notre député [PS, ndlr] Richard Ferrand ne voyait pas la raison de notre action, estimant qu’une école n’était pas si indispensable à la vitalité d’un bourg comme le nôtre. Quant à l’Education nationale, elle n’a commencé à s’inquiéter que lorsqu’on a menacé d’organiser une classe sauvage.»
Mais après des semaines de manifestations, rien ne bouge pour autant. La commune dispose cependant de terrains à bâtir entièrement viabilisés, avec dix lots d’environ 800 m2 mis à prix pour 9,50 euros le mètre carré. Le temps presse et seule une remontée rapide des effectifs de l’école est susceptible de changer la donne. Un conseiller municipal suggère alors de faire descendre le prix des lotissements à un euro le mètre carré, pour attirer au plus vite de nouveaux habitants. L’initiative rencontre un écho inespéré.
«En deux mois et demi, nous avons reçu entre 2 500 et 3 000 appels téléphoniques ou mails, précise Paul Quéméner. Des Etats-Unis, des Philippines, du Maghreb, du monde entier. Une télévision sud-coréenne et Al-Jezira sont venus réaliser des reportages à Berrien ! On n’était pas préparés à ça.»
Reste à faire le tri entre les appels farfelus (y a-t-il un arrêt TGV à Berrien ?), de simple curiosité ou d’un véritable intérêt pour la commune. Celle-ci souhaite bien sûr des couples avec enfants mais aussi susceptibles de s’intégrer professionnellement et de venir s’installer dans les monts d’Arrée dans un délai rapide. Des visites sont organisées. «Il fallait que les gens viennent à Berrien pour se rendre compte comment c’était isolé, note le maire. Plusieurs familles sont venues le jour de la Fête de la musique alors qu’il faisait 30°C. On leur a dit que ce n’était pas toujours la fête et qu’il ne faisait pas toujours aussi beau !» Au bout du compte, huit lots sont vendus et cinq familles, logées provisoirement dans le village, rejoignent la petite commune dès le mois d’août. Soit neuf élèves supplémentaires pour l’école communale. Pari gagné ! Fait assez rare, l’Education nationale annule purement et simplement la suppression du poste d’instituteur prévue.
Défi professionnel
Un an et demi plus tard, élus et parents d’élèves ne cachent pas leur satisfaction. Certes, entre motifs personnels et difficultés pour trouver un travail, deux des cinq familles ayant répondu à l’appel ont quitté Berrien. Mais il est resté suffisamment d’élèves pour maintenir les quatre classes de l’école primaire et, de l’autre côté d’une haie de chênes la séparant du lotissement, une première maison sort enfin de terre, avec sa dalle de béton. Mieux, les familles, bien que venues de milieux urbains, ne regrettent pas leur choix. «Cela faisait déjà un moment que nous cherchions à quitter la région parisienne, avec son stress et ses bouchons, pour nous installer dans un endroit tranquille», raconte Ricardo Muniz, 32 ans, père de Gérard et Rachel, 10 et 6 ans et demi. «Nous voulions élever les enfants en dehors de la grande ville. Ici, nous avons trouvé la nature, le calme, la sécurité. Et des prix imbattables pour l’immobilier !»
Dans le salon douillet d’un bâtiment de ferme rénové et loué en attendant la construction de leur maison, Ricardo, d’origine brésilienne, et son épouse Karoll, née en Colombie, savourent leur nouvelle vie. Ayant déjà eu un aperçu des monts d’Arrée pour avoir séjourné auparavant à Huelgoat, le couple a rejoint Berrien en connaissance de cause. Restait à relever le défi professionnel, dans une bourgade où, hormis quelques emplois d’artisans et agricoles, il faut souvent faire le trajet pour Morlaix ou Carhaix, voire Brest ou Quimper, pour travailler. «Quand nous avons dit à nos proches qu’on allait s’installer en Bretagne, tout le monde nous a traités de fous, se souvient Ricardo. La Bretagne c’est sympa mais il n’y a rien à faire, nous disait-on. Il n’y a pas d’industrie et il pleut tout le temps !»
Qu’à cela ne tienne, le néo-Breton, peintre en bâtiment, a décroché une embauche dans une entreprise de Huelgoat (à 5 km). Quant à Karoll, après avoir travaillé à la chaîne dans une usine agroalimentaire, elle attend désormais la validation d’un diplôme de kiné pour rejoindre un cabinet à Pleyber-Christ (à 17 km), où un poste lui est réservé.
«Allumer le poêle»
Dans l’antre chaleureux de l’Autre Rive, un café-librairie niché à quelques kilomètres du bourg où voisinent des titres de Carson McCullers et des BD de Larcenet, Sophia Mourid, 39 ans, partage le même enthousiasme. L’installation à Berrien avec son mari, maçon, et leurs trois enfants avait pour cette femme pétillante, venue de Cavaillon (Vaucluse) mais ayant grandi à Morlaix, un goût appuyé de retour aux sources. «Pour moi, revenir ici, c’était à la fois devenir propriétaire, retrouver ma famille et retrouver ma terre natale. Le sauvetage de l’école donnait aussi un sens supplémentaire à notre déménagement.»
Quant aux plaisirs de la vie citadine, ils ne lui manquent pas. «Ça bouge beaucoup ici, avec des Fest Noz sans arrêt ! Et je n’ai jamais eu autant de choses à faire. Le simple fait de rentrer du bois, d’allumer le poêle est un plaisir que partage toute la famille. Sans parler de tous ces chemins de balade magnifiques !»
Pour la municipalité, pas question cependant de baisser la garde. Les enfants grandissent. Ses efforts pour maintenir l’attractivité de la commune et renouveler sa population ne toléreront aucun relâchement.
Résistance contre les regroupements d'école
Depuis le souhait, en 2015, du comité interministériel aux ruralités de favoriser les regroupements d’écoles rurales, la résistance s’organise dans plusieurs régions, notamment en Bretagne. L’idée des pouvoirs publics est de fermer des petites écoles de village pour en faire une seule, qui accueille tous les élèves d’un secteur géographique rural, dont la plupart prendront le bus pour aller en classe. A Langonnet (Morbihan), un collectif de défense des écoles rurales regroupe 350 maires. Avec des relais dans le Lot, les Landes ou les Pyrénées-Atlantiques. «Dire que nos petites écoles sont moins bonnes que les autres est un mensonge d’Etat ! s’insurge Christian Derrien, maire de la commune et président du collectif. Avec ces regroupements, on ne raisonne qu’en termes de gestion de postes, au détriment des enfants et de la survie des bourgs ruraux.»
Pierre-Henri Allain envoyé spécial à Berrien