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10 octobre 2021 7 10 /10 /octobre /2021 13:18
L'Himalaya breton, de Nicolas Legendre (2020): un journal de voyage érudit et réjouissant entreprend l'ascension des sommets bretons
On vous parle d'un temps, il y a 245 à 540 millions d'années, ou les roches qui constituent aujourd'hui la Bretagne étaient au niveau de l’Équateur. Un temps "où les forces telluriques ont donné naissance à une gigantesque cordillère allant des futures Appalaches à l'actuelle Silésie. Elle culminait vers huit mille mètres et atteignait quatre mille à six mille mètres en Armorique. Bien avant que les Pyrénées et les Alpes ne prissent la forme qu'on leur connaît, un véritable "Himalaya" occupait l'actuelle Bretagne. Des millions d'années de mouvements tectoniques, de réchauffements et de glaciations, de tempêtes et de ravinements, ont entraîné l'érosion de ces fiers massifs".
Mais nos "géants en fin de vie" ont encore fière allure! Aux sommets de la Bretagne, dans les Monts d'arrée: le Roc'h Ruz (la montagne rouge) - 385 mètres- le Tuchenn Kador (384,9 mètres), le Roc'h Trévézel (384,9 mètres) selon des géologues du centre des Finances de Morlaix.
 
Voici un livre qui se recommande très chaleureusement, tant sa lecture allie la grâce et la profondeur, le plaisir et l'instruction.
 
Le road-trip du journaliste (Le Monde, Géo, XXI) et écrivain talentueux Nicolas Legendre, en février 2020, juste avant le premier confinement causé par la crise du Covid-19, de sommet breton en sommet breton, donne naissance à un récit mêlant les notations géographiques, géologiques, historiques, sociales, culturelles, politiques sur les "montagnes oubliées" de la Bretagne intérieure qui a quelque chose de profondément réjouissant et revigorant. Du Mont-Dol aux massifs de Paimpont, des Landes de Lanvaux au Ménez Bré, des Montagnes noires aux Monts d'Arrée, de Rennes au Ménez Hom, laissons nous entraînés à la redécouverte de la Bretagne des cimes et de l'Argoat. Un récit de voyage au plus près de chez nous mêlant l'humour, la poésie et une grande culture.
 
Aux éditions Le coin de la rue, 17 euros.
 
Morceaux choisis:
 
"Les humains qui peuplent les montagnes ont aussi leurs particularités. On n'habite pas les hauts plateaux des Andes comme on habite la pampa. On ne vit pas à Botmeur, au cœur des Monts d'Arrée, comme on vit à Penmarc'h, les pieds dans l'Atlantique. Les faibles distances entre ces "Bretagne" ne sont pas synonymes de proximité sociale, économique ou politique. Au XVIIIe siècle, il fallait entre vingt et trente heures pour rejoindre la mer à partir de Carhaix. Trente-cinq à quarante heures depuis Paimpont. Beaucoup de montagnards du Centre-Bretagne mourraient sans jamais avoir aperçu, ne fût-ce que de loin, les mille nuances de bleu de la Manche ou de l'Iroise.
Tout cela a forgé des caractères. L'éloignement des axes de communication et des grands centres urbains, la pauvreté des sols et l'escarpement des reliefs ont modelé les âmes.
Entre Trégor et Haute-Cornouaille, il existe un pays "rouge", historiquement procommuniste, anticlérical et laïc. Un pays où l'on vote plus à gauche qu'ailleurs en Bretagne, et qui correspond aux communes les plus élevées de la péninsule".
(...)
"Vue depuis mon promontoire, sous ce ciel chargé, la vaste étendue de lande du Yeun Elez paraissait inamicale, indomptable, éloignée de tout. Et pourtant: la route Quimper-Morlaix déroule son long ruban d'asphalte près de la ligne de crête. La gare de Brest n'est qu'à 45 minutes en voiture. Le relatif "enclavement" de l'Arrée n'est rien comparé à ce qu'il fut durant des siècles.
En témoigne le passé de La Feuillée, commune de 650 habitants située au nord-est du Yeun Elez. Au XIe siècle, dans ces parages alors quasiment inhabités, des religieux de l'ordre des Hospitaliers installèrent un hospice destiné à venir en aide aux pèlerins et voyageurs qui transitaient le long de la voie romaine reliant Carhaix à Landerneau, avant ou après le franchissement des sommets. Franchissement qui ne devait pas être une mince affaire... Il faut s'imaginer des landes peuplées de loups, parcourues par des brigands, exemptes bien sûr de tout panneau de signalisation. Précisions que 800 ans plus tard, au XIXe siècle, il fallait toujours cinq à huit heures, à cheval, pour effectuer les cinquante kilomètres séparant Carhaix de Morlaix...
Pour tenter de valoriser les landes qui les entouraient, les hospitaliers ont fait appel à des défricheurs. Ces "colons" étaient des paysans pauvres, des fils de métayers voire des renégats, en provenance d'autres territoires bretons, contraints d'émigrer pour survivre. Ils exploitaient les maigres terres de l'Arrée dans le cadre d'une institution très particulière: la quévaise. Ce mode de concession foncière et système social, minoritaire en Bretagne, impliquait une organisation très collective et relativement égalitaire. Elle était spécifique aux terres les plus pauvres de la péninsule, donc aux montagnes. Elle expliquerait en partie la persistance, jusqu'à nos jours, de particularismes locaux. A commencer par l'orientation politique, clairement à gauche depuis des décennies, de beaucoup de ces territoires.
Selon l'historien Ronan Le Coadic, professeur à l'université de Rennes 2 et responsable du Diplôme d'études celtiques dans ce même établissement, "il y a une corrélation très nette entre l'altitude et le vote communiste" en Bretagne. Et de préciser: "Sur 140 communes bretonnes ayant une altitude supérieure ou égale à 180 mètres (c'est ce qu'on appelle "les montagnes"), la moitié font partie du bastion. Vingt-trois autres accordent une proportion non négligeable de leurs suffrages au Parti communiste (...) Toutes les paroisses totalement couvertes de quévaises (sauf une) appartiennent au bastion".
(...)
Misère et richesse intérieure, dureté des éléments et beauté des lieux, enclavement et ouverture vers l'extérieur sont autant de composantes du cocktail "Arrée". Tout cela a façonné, l'âme de ce pays... qui ne manque pas de personnalités fortes. Cela permet-il d'expliquer pourquoi les Monts d'Arrée ont abrité le tout premier "village résistant" français durant la Seconde Guerre mondiale? Impossible à dire. Force est de constater, cependant, que l'Arrée a largement pris sa part dans la Résistance.
Dès les premiers jours de l'occupation allemande, en juin 1940, les habitants du hameau de Trédudon-le-Moine, à Berrien, choisirent de ne pas accepter l'ordre établi. Leur lieu de vie est devenu "un dépôt d'armes, un refuge pour résistants traqués, un lieu de réunion et un centre de décision pour dirigeants nationaux et régionaux" de la Résistance. C'est ce qu'on peut lire sur un panneau installé par l'état-major national en 1947, dans ce petit lieu-dit. Un intitulé occupe le haut de l'écriteau: TREDUDON - PREMIER VILLAGE RESISTANT DE FRANCE.
En Bretagne, les plus importantes places fortes de la Résistance se trouvaient à Saint-Marcel, dans les landes de Lanvaux, à Duault, dans le massif éponyme. Parmi la centaine d'autres maquis bretons, certains furent créés en plaine ou à proximité du littoral, mais la densité la plus importante était en Centre-Bretagne, dans les monts d'Arrée, au sud de Carhaix, dans les Montagnes Noires, dans le Trégor "rouge", dans le Mené et dans le Kerchouan."
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3 octobre 2021 7 03 /10 /octobre /2021 07:28
Les débats de la Fête de l’Humanité. Communisme.s : quels horizons nouveaux ?
Vendredi 1 Octobre 2021 - L'Humanité

À l’Agora, la rencontre entre Bernard Friot, sociologue et économiste, Frédéric Lordon, philosophe et économiste, et Guillaume Roubaud-Quashie, historien et directeur de la revue « Cause commune », a fait événement. Face aux crises sociales, économiques, politiques, climatiques et sanitaires, ils ont débattu de l’urgence de construire un monde sur de nouvelles bases communistes devient une nécessité vitale pour l’humanité.

À la fin des années 2000, Alain Badiou et Slavoj Zizek entendaient réhabiliter le communisme. Pourquoi faut-il, aujourd’hui, dans un terrain si hostile, relever ce défi de l’émancipation humaine ?

Bernard Friot Je ne dirais pas que le terrain soit hostile. Dans les rencontres auxquelles je participe régulièrement, je ne trouve aucune hostilité. Dans ma génération, un contentieux fait que beaucoup trop font de l’autocensure et hésitent à mettre en avant le mot « communisme ». C’est une erreur manifeste : il y a une aspiration au communisme dans la jeunesse !

Frédéric Lordon Je suis content que cette question soit posée sous l’évocation du travail d’Alain Badiou. Il faut rendre à chacun ce qui lui revient. Pour ma part, je suis venu à l’appellation du communisme, à la nécessité de travailler à cette question assez tardivement. Je n’ai pas une longue expérience d’appartenance à un parti communiste comme Bernard Friot.

Dans ma vie intellectuelle, je me souviens que Badiou avait tenu très haut la bannière du communisme en traversant cet interminable désert commencé au milieu des années 1980 et jusqu’au tournant des années 2010. La sortie du livre "L'Hypothèse communiste" , en 2009, puis la tenue d’un colloque à Londres avaient réuni beaucoup de monde et, déjà, énormément de jeunes. Je m’inscris dans ce sillage, dont je ne suis pas à l’origine.

Badiou s’est exprimé sur le mouvement "Nuit debout", les courants insurrectionalistes, les gilets jaunes, etc. Il n’a pas complètement tort, mais il n’a pas entièrement raison non plus. Nuit debout, avec tous ses caractères de naïveté, n’en avait pas moins fixé une idée directrice : il fallait cesser de dire ce que nous ne voulons pas et commencer à dire ce que nous voulons. Encore fallait-il savoir ce que nous voulons affirmer ! Le communisme est le nom de cette affirmation.

Cela devient impérieux car nous vivons une phase assez typique de ce que Gramsci appelle une « crise organique », durant laquelle se décomposent les autorités institutionnelles (la politique, l’État, la science, etc.) et, corrélativement, tout un ordre symbolique et d’organisation signifiante. Qu’un ordre symbolique se défasse, ce n’est pas une mauvaise nouvelle en soi. Au contraire, même, il y a des ordres symboliques dont on souhaite très fort qu’ils disparaissent. Mais pour que la décomposition soit vraiment une bonne nouvelle, elle doit s’accompagner de la recomposition d’un autre ordre plus conforme à ce que nous voulons.

Pour l’instant, nous sommes un peu dans un entre-deux. Nous sommes devant une espèce de creux terriblement anxiogène, comme toujours quand les formations signifiantes menacent de se défaire et quand rien ne les remplace encore. La nature ayant horreur du vide, des propositions de substitutions apparaissent. Une proposition mortifère, fasciste, pointe son nez. On ne fera face à cette proposition fasciste qu’en avançant une proposition globale de recomposition d’ordre social. Communisme est le nom de cette proposition.

Bien sûr, communisme est un mot détérioré par l’histoire et de nombreux secteurs, de la société restent sensibles à cela. Je me suis moi-même longtemps interrogé : fallait-il mettre un autre nom à la place pour des raisons pratiques et tactiques ? À la fin des fins, j’ai choisi de l’utiliser, à défaut d’autre chose. Qu’y a-t-il d’autre ? Anticapitalisme ? Non, nous ne sommes pas anti, nous sommes pro quelque chose. D’autres comme écologie, social ou solidaire sont des mots qui font partie de la grammaire interne au capitalisme. Ce ne sont pas de bonnes propositions pour dépasser le capitalisme. Alors, disons communisme !

Guillaume Roubaud-Quashie © Albert Facelly

Guillaume Roubaud-Quashie Je saluerai le courage de personnalités du monde intellectuel et médiatique comme Alain Badiou de continuer à se réclamer du communisme. Dans le monde intellectuel moins médiatique, je veux citer Lucien Sève, malheureusement décédé en 2020 lors de la première vague du Covid, qui s’est battu tout autant pour ce mot. Le communisme n’est pas qu’une question intellectuelle ou académique. Elle concerne le Parti communiste. La question du nom s’est d’ailleurs aussi posée pour le Parti. Certains partis, tel le PCI, ont fait d’autres choix. Mais il y avait un problème de fond. Si nous étions dans une démarche communiste en visant à être dans un mouvement conscient et large et évitant la manipulation, nous ne pouvions pas nous-mêmes être dans la manipulation en usant d’un autre mot.

Je réagis maintenant au propos de Frédéric Lordon pour relever l’événement que nous sommes en train de vivre. Nous sommes sortis d’un moment de « timidité », comme le disait Bernard Friot. Aujourd’hui, des figures intellectuelles importantes avancent sur le terrain de l’affirmation en utilisant le mot « communisme » en positif. Je veux souligner ce travail sur des projections d’avenir et non plus sur un simple refus du monde tel qu’il est. Concernant cette perspective communiste, je soulignerai l’actualité de l’impossible. Dans le Capital, Marx a une formule : « Après moi, le déluge, telle est la devise de tout capitaliste. »

Quand on lit les rapports du GIEC, nous sommes vraiment confrontés à cette fuite en avant mortifère. Si on continue à laisser le pouvoir à quelques actionnaires guidés par la seule soif de profits, l’humanité va vers l’abîme. L’urgence de l’impossible appelle autre chose. Et quand on voit ce dont est capable l’humanité, on entrevoit l’urgence d’un possible autre. Sans être étranglés par les logiques d’une course au profit de quelques-uns qui ne cherchent qu’à accumuler, nous pouvons répondre à des défis considérables. Nous sommes dans ce moment précis où il est urgent d’en finir avec le capitalisme et où il est urgent et possible d’entrer dans un nouveau temps de l’histoire humaine. Le communisme est cette urgence.

Les crises que nous traversons sont structurelles. Dans celles qui assombrissent les horizons à court terme, il y a la crise climatique. Dans cette urgence, comment peut-on construire un rapport de forces politique permettant un déploiement du communisme ?

Bernard Friot Le rapport de forces ne peut se tenir que dans la souveraineté du travail. Je suis maintenant convaincu que c’est le seul lieu de notre puissance. Tant que nous accepterons de faire des boulots avec lesquels nous sommes en désaccord, rien ne changera. La conquête de la souveraineté sur le travail est le lieu décisif de la lutte des classes.

Regardez ce qui s’est passé à l’hôpital. Les soignants et soignantes ont été dépossédés de leur travail par les gestionnaires des hôpitaux depuis quarante ans. Et durant la pandémie, alors que ces gestionnaires étaient dans les choux, les soignants et les soignantes ont, eux, retrouvé la maîtrise en tant que professionnels.

Frédéric Lordon Là où la démolition de la classe ouvrière n’a pas suscité un seul battement de cils de la part de la bourgeoisie, la destruction de la planète, qui forcément la concerne un peu plus, commence à l’émouvoir. Avec la question climatique, nous retrouvons un levier politique, et même psychologique, affectif, puissant. Pour une fois, la politique de la peur pourra être maniée par d’autres instances que les pouvoirs capitalistes et impérialistes. Il ne va pas falloir s’en priver ! À condition de faire déboucher cette peur sur des figurations d’un avenir autre. Pour construire un nouveau rapport de forces, il faut d’abord ne plus être dans le déni. Je vise là les intellectuels. On ne peut pas penser la destruction de la nature sans mettre en cause le capitalisme. Pour sauver ce qu’il reste de la nature, cela revient à renverser le capitalisme !

Guillaume Roubaud-Quashie Notre débat est très instructif. Non seulement la perspective positive du communisme revient, mais une autre grande question, souvent dissimulée par ceux qui étaient effrayés par les échecs réels du XXe siècle, celle de l’organisation, peut être posée. Car, comment construire un rapport de forces sans organisation ? On me rétorquera que je fais un plaidoyer pour le Parti communiste. Pourtant, cette question se pose vraiment. Maïakovski disait :  « Malheur aux hommes seuls. » Il avait raison. Si l’on veut que les choses bougent, il y a besoin de mettre en commun les expériences, les réflexions, mais aussi les actions.

Bien sûr, les formes « parti » doivent s’améliorer pour être plus efficaces, pour être encore plus et mieux parti. Pour autant, nous ne parviendrons pas à faire grandir un rapport de forces si chacun bougonne devant son smartphone ou sa télévision. La seule manière d’y arriver, c’est de se coordonner et d’avancer ensemble. Ce n’est pas la réponse exclusive, mais elle est assez structurante : il faut renforcer les organisations de la classe de ceux qui ont tout intérêt au communisme. Cela passe aussi par la confrontation d’idées. À ce propos, le rôle que tient l’Humanité, avec sa Fête, est important.

Sur le travail, Bernard Friot, vous proposez un « salaire à vie ». Frédéric Lordon, vous parlez d’une « garantie économique générale ». Le PCF définit un système de sécurité d’emploi et de formation. Qu’est-ce qui distingue ces propositions ?

Frédéric Lordon Je me reconnais intégralement dans la proposition de « salaire à vie ». Je fais juste une variation nominale mais pas une distinction de principe. C’est l’une des questions dont nous avons beaucoup parlé, avec Bernard Friot, dans les conversations qui ont abouti à notre livre d’entretiens En travail (1).

Je lui explique le sens de l’évitement du terme « salaire ». J’ai bien compris ce qu’il avait en tête, mais j’ai eu l’impression qu’il cherchait les difficultés : le mot salaire étant intimement lié à l’ordre social capitaliste. Cet ordre s’établit sur une série de rapports sociaux du salariat, du travail, de la mise en activité humaine propres au capitalisme. Dessiner alors une perspective communiste en l’asseyant sur la catégorie du salaire me semblait un paratonnerre à objections et à malentendus ! C’est la raison pour laquelle j’ai contourné le mot salaire. Nous nous en sommes expliqués. En réalité, la re-convergence était très simple à opérer.

À l’issue de la discussion, une démarche de requalification conceptuelle paraissait logique. Bernard Friot l’avait déjà accomplie, notamment à propos de la valeur. Il n’y a pas le salaire tout court. Il existe le salaire capitaliste et le salaire communiste. La forme communiste du salaire n’a rien à voir avec sa forme capitaliste. Il suffit de qualifier le salaire et alors le malentendu disparaît.

Bernard Friot Merci, Frédéric, d’adopter le salaire communiste comme projet ! Le salaire capitaliste, c’est la rémunération d’une activité validée comme productive. Sa forme la plus centrale, c’est le travailleur indépendant. La rémunération capitaliste est ce qui reste de la valeur produite, une fois que le fournisseur, le prêteur et l’acheteur ont prélevé l’essentiel. Si le travailleur ne produit rien, il n’a rien.

Pendant le confinement, les travailleurs indépendants se sont ainsi retrouvés à la rue. Les fonctionnaires ont, eux, conservé 100 % de leur salaire. Les travailleurs qui avaient un CDI ont gardé 84 %. Les intermittents, les gens en CDD, les précaires : zéro ! Le confinement a constitué une formidable démonstration. Des fonctionnaires qui ont plus travaillé, comme les soignants, ont conservé leur salaire. Mais d’autres, qui ont moins travaillé, l’ont aussi conservé parce que c’est un attribut de la personne. C’est une immense conquête de la CGT à travers le statut de la fonction publique. Le salaire communiste dissocie le droit à ressource de la validation sociale de l’activité. C’est cela qu’il faut généraliser à tous ! Car, je suis d’accord : cela ne sert à rien d’être anticapitaliste. Il faut être pour, et donc être communiste.

Alors même que l’activité était en difficulté, les salaires ont été maintenus. L’activité a été heureusement dissociée du salaire et cela a été bénéfique. C’est le salaire communiste ! Il repose sur un attribut accordé à la personne afin de lui octroyer une « capacité à » et une « responsabilité de ». Chaque travailleur est titulaire d’une qualification. La personne n’est pas reconnue comme travailleur à travers un contrat de travail, mais au travers d’une qualification dont elle est porteuse. Un fonctionnaire de l’État est ainsi porteur d’un grade, qui ne s’éteindra qu’à sa mort. Lorsqu’il prend sa retraite, il continue à être titulaire de sa qualification, donc son salaire. Le communisme engage une mutation anthropologique du statut du travailleur. Il s’agit d’un statut communiste de la personne adulte. Être souverain sur le travail doit s’établir sur un droit à la personne. C’est bien différent d’une continuité de ressource qui serait obtenue par une continuité du contrat de travail.

Guillaume Roubaud-Quashie Je dois me positionner par rapport à la proposition théorique du salaire à vie avancée par Bernard Friot. Sur ce type de question politique, il y a besoin d’un investissement populaire large. Nous pourrions évoquer d’autres grands penseurs comme Paul Boccara, qui a développé la sécurité d’emploi et de formation. C’est aussi un projet important qui essaie de répondre à la question du chômage et en même temps à celle de l’efficacité sociale.

Plusieurs théories ont été élaborées par des intellectuels communistes. Durant leur congrès, les militants réfléchissent ensemble, confrontent et prennent des décisions. La position actuelle est en faveur du système actualisé de sécurité d’emploi et de formation. Le communisme est une question de classe : savoir qui décide ce qu’on produit et comment on le produit. C’est une question démocratique.

Pour y parvenir, quelle conceptualisation théorique faut-il adopter ? Nous avons intérêt à ouvrir le débat et continuer de travailler, et peut-être parfois tracer des chemins nouveaux. Entre théorie et politique, il existe des dangers. Le risque serait que le parti entre sur la scène théorique pour fixer une ligne politique, l’assène et close le bal. En tant que parti politique, nous ne devons pas entrer dans une démarche visant à estampiller telle ou telle théorie, mais au contraire stimuler l’effort théorique. En même temps, il y a besoin d’une validation pratique au fur et à mesure que l’action est menée.

(1) En Travail. Conversations sur le communisme, de Frédéric Lordon et Bernard Friot, La Dispute.
 
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25 septembre 2021 6 25 /09 /septembre /2021 08:09
Otage judicaire, 17 ans de prison pour rien - Le 30 septembre, causerie avec MIchel Thierry Atangana autour de son livre témoignage à la Librairie Livres in Room (18h30)

Jeudi 30 septembre à 18h30, causerie avec Michel Atangana à la librairie Livres In Room de Saint Pol de Léon.... autour de son livre "Otage Judiciaire " venez nombreux...

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21 septembre 2021 2 21 /09 /septembre /2021 07:12
Le chilien Hector Herrera nous raconte le Chili d'Allende et de Pinochet, la mort de Victor Jara: Une conférence des « mardis de l’éducation populaire » se tiendra le mardi 21 septembre (18 h – salle du Cheval Blanc à Plourin les Morlaix).
Le chilien Hector Herrera nous raconte le Chili d'Allende et de Pinochet, la mort de Victor Jara: Une conférence des « mardis de l’éducation populaire » se tiendra le mardi 21 septembre (18 h – salle du Cheval Blanc à Plourin les Morlaix).
Le chilien Hector Herrera nous raconte le Chili d'Allende et de Pinochet, la mort de Victor Jara: Une conférence des « mardis de l’éducation populaire » se tiendra le mardi 21 septembre (18 h – salle du Cheval Blanc à Plourin les Morlaix).

Une conférence, dans le cadre des « mardis de l’éducation populaire » se tiendra le mardi 21 septembre (18 h – salle du Cheval Blanc à Plourin les Morlaix).

Le 11 septembre 1973, le gouvernement chilien (gouvernement de l’Unité Populaire) de Salvador Allende est la cible d’un coup d’état militaire dirigé par le général Augusto Pinochet.

Réquisitionné trois jours à la morgue de Santiago du Chili, quelques jours après le coup d’état, le jeune fonctionnaire de l’état civil, Hector Herrera est témoin de la disparition de centaines de cadavres. Un matin parmi les victimes, il découvre le corps du célèbre auteur compositeur Victor Jara, ambassadeur culturel du gouvernement Allende.

Pour qu’il ne disparaisse pas comme les autres, Hector, au péril de sa vie, trompe la vigilance de la junte et parvient à rendre son corps à son épouse et à l’enterrer… légalement

Après 40 ans d’exil en France, alors que le procès de l’assassinat de Victor Jara est toujours en cours, Hector sort de son silence et revient sur cet acte de désobéissance.

Hector sera notre invité ce mardi 21 septembre. Il viendra y témoigner de son histoire, de son vécu au Chili d'Allende et de Pinochet voir du Chili d'aujourd'hui.

Cette conférence, après une présentation, débutera par un film durant 1 h ("Victor JARA n° 2547"), film qui sera suivi par un débat.

Attention : compte-tenu de la réglementation, nous serons tenus de vérifier le "passe sanitaire" des personnes voulant assister à la Conférence.

Un pot de l’amitié offert sera par la section du PCF Pays de Morlaix

Le chilien Hector Herrera nous raconte le Chili d'Allende et de Pinochet, la mort de Victor Jara: Une conférence des « mardis de l’éducation populaire » se tiendra le mardi 21 septembre (18 h – salle du Cheval Blanc à Plourin les Morlaix).
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19 septembre 2021 7 19 /09 /septembre /2021 10:23
S.J. Eisenstein (3): Ivan Le Terrible - par Andréa Lauro

A lire aussi les deux premières études chronologiques consacrées par Andréa Lauro à Eisentein dans le "Chiffon Rouge" dans cette étude est la suite:

S.M. Eisenstein : de Sergueï Mikhaïlovitch à Sa Majesté: Les années 1920 - Un nouveau langage cinématographique (la chronique cinéma d'Andréa Lauro)

S.J. Eisenstein (2): Perspective Nevski - Les années 1930. Le long voyage, les films manqués et le chef-d’œuvre antinazi - la chronique cinéma d'Andréa Lauro

S.J. Eisenstein : Ivan le Terrible

Les années 1940. Le dernier chef-d’œuvre et l’affrontement avec le dictateur

Staline était à la recherche constante de supports historico-culturels fonctionnels servant au culte de sa personnalité. Même le cinéma devait s’adapter en exaltant la figure de héros individuels. Alexandre Nevski rentrait dans ce "nouveau cours" du cinéma soviétique. Grâce au succès du film, Eisenstein est contacté par Andreï Alexandrovitch Ždanov, l’homme qui dicte la ligne culturelle en URSS et qui l’a défendu après Le Pré de Béjine, et par Ivan Grigorievitch Bolshakov, Directeur du Conseil des commissaires du peuple de l’URSS et président de la commission des affaires cinématographiques, pour la réalisation d’un nouvel ouvrage centré sur une figure historique. La proposition, partagée par Staline, était de réaliser un film sur Ivan IV, le "Tsar de toutes les Russies", passé à l’histoire comme Ivan le Terrible. Sur cet adjectif, une précision est, cependant, nécessaire. Le terme "terrible" a dans notre langue une acception négative, mais pas autant en russe. L’original "Groznyj" porte en effet une signification positive.

Eisenstein commença à écrire le scénario, mais fut bientôt contraint de suspendre le travail.

La Seconde Guerre mondiale était entrée au cœur de l’URSS. Après l’opération dite "Barbarossa", l’invasion nazie de l’Union soviétique commencée le 22 juin 1941, les troupes allemandes étaient de plus en plus proches de la capitale. Le réalisateur se mobilisa lui aussi en participant, entre autres, au "Comité antifasciste juif". Le 3 juillet, il publia à la radio un message en anglais intitulé "Aux frères juifs du monde entier" dans lequel il exhortait à l’unité dans la lutte contre le nazisme. Le 25 août, il écrivit pour la "Pravda" un appel analogue "Frères juifs du monde entier!". Il intégra également une coordination pour la réalisation de films de propagande antinazie et commença à travailler, avec l’envoyé de guerre américain Quentin Reynolds, à un documentaire intitulé Moskva soprotivlyayetsya (Moscou résiste).

Le film, également appelé "La Guerre contre les nazis ou Le Vrai Visage du fascisme", fut interrompu à la fin de 1941 lorsque le journaliste américain fut transféré, avec d’autres correspondants étrangers, de Moscou à la ville de Kujbyšev.

L’offensive nazie entraîna d’énormes pertes et le cinéma subit de lourdes conséquences. Le tournage de beaucoup d’autres films, en plus du déjà cité Moscou résiste, furent interrompus et toute la production cinématographique et les archives (sauf "curieusement" Le Pré de Béjine) furent déplacées à Alma Ata (aujourd’hui Almaty) la ville la plus peuplée du Kazakhstan (puis siège d’importants accords et protocoles, notamment ceux de 1991 qui donnèrent naissance à la Communauté des États Indépendants, après la dissolution de l’URSS).

En Asie soviétique, la production était évidemment limitée. Des courts-métrages, des dessins animés, "agitka" (film d’agitation, entendu comme propagande) et des documentaires furent réalisés, comme La bataille pour notre Ukraine soviétique ou La bataille pour l’Ukraine soviétique (1943) dirigé par Julija Solnceva. A retenir également le plus important film à sujet de l’époque : Pir v Žirmunke (Banquet à Žirmunk, 1941) réalisé par Pudovkin et inséré dans la collection Boyevoy kinosbornik (Collection de films pour les forces armées).

Dans le film, en partie inspiré par une histoire vraie, une paysanne restée seule pendant une attaque nazie, prépare à un groupe d’Allemands un somptueux, mais empoisonné banquet et, pour écarter tout soupçon, la femme mange et meurt avec ses ennemis.

Eisenstein ne reprit le projet du film sur Ivan le Terrible qu'après la Bataille de Stalingrad, qui dura du 17 juillet 1942 au 2 février 1943, et qui vit les Soviétiques l'emporter sur les forces fascistes et nazies allemandes, italiennes, roumaines et hongroises.
 

S.J. Eisenstein (3): Ivan Le Terrible - par Andréa Lauro

Le long scénario d’Ivan Groznyj, approuvé par Staline lui-même, prévoyait la réalisation de deux films. Le casting mettait en valeur Nikolaï Tcherkasov, presque méconnaissable dans le rôle principal, avec d’autres acteurs importants de l’époque, plusieurs fois célébrés comme "artistes de l’année", de Serafima Birman à Pavel Kadochnikov, de Mikhaïl Jabrov à Amvrosy Boug en passant par Ljudmila Tselikovsky, dans le rôle du tsar.

Parmi les acteurs aussi l’éternel "rival", théorique et cinématographique, d’Eisenstein, Vsevolod Pudovkin, dans le rôle d’un vieux fanatique du nom de Nikolaï. Un travail qui a marqué la "pacification" entre deux grands réalisateurs soviétiques.

La photographie a été confiée à l’habituel Tissė pour les extérieurs, tandis que l’intérieur a été soigné par Andrei Moskvin (Carskoe Selo, 14 février 1901 - Leningrad, 28 février 1961) connu pour son travail avec Grigori Kozintsev et Leonid Trauberg. La musique, après le succès d’Alexandre Nevski qui avait conduit à une version chantée de la bande-son, est de nouveau composée par Sergeï Prokofiev.

Le tournage débute le 23 avril 1943 à Alma Ata, puis se poursuit à Moscou. Le tournage dura environ un an, mais alors qu’Eisenstein montait la première partie du film, le même réalisateur décida de diviser la seconde en deux afin de composer une trilogie : la première partie sur l’ascension au pouvoir d’Ivan IV, la seconde sur la lutte contre les ennemis internes, la troisième sur la victoire finale. Le vieil ami Alexandre, devenu homme de régime, le lui déconseilla parce qu’il estimait que dans la troisième partie, "le linge sale d’une famille" se montrerait. En 1943, Tissė abandonne la production après une âpre dispute avec le réalisateur. Malgré les affrontements, la première partie d’Ivan Groznyj (Ivan le Terrible) sort dans les salles le 30 décembre 1944.

L'histoire:

En 1547, le grand-duc de Moscou Ivan IV (Adolphe Geri) est couronné tsar. Frappé par les conditions de misère de son peuple, avec l’appui du peuple, il centralise tous les pouvoirs et abolit les privilèges des classes aisées et les autonomies féodales que les aristocrates boyards veulent maintenir.

Parmi ceux-ci se détache la figure du boyards Evfrosinija Starickaïa (Serafima Birman), tante du tsar, qui voudrait sur le trône son fils Vladimir Andreïevitch (Pavel Kadochnikov), semi-fou, mais facile à manœuvrer et qui donnerait par conséquent aux boyards toute liberté.

Ivan épouse entre-temps la jeune Césarine Anastasia (Lyudmila Tselikovskaya), dont il est également amoureux le prince André Koubsky (Mikhaïl Nazvanov) que les boyards espèrent faire devenir une arme contre le souverain.

Aux ennemis internes, s’ajoutent les ennemis extérieurs : les Tatars envoient des menaces de guerre. Le tsar repousse les ambassadeurs, rassemble l’armée, marche sur Kazan, occupée par l’ennemi et, après avoir fait sauter les murs ("Mine et poussière, fantaisie du tsar!"), libère la ville.

Rentré à Moscou, Ivan tombe gravement malade, mais lorsque les boyards sont désormais convaincus qu’ils se sont libérés du souverain, le tsar guérit miraculeusement. La perfide Evfrosinija ne renonce pas et empoisonne la tsarine Anastasia qui a entre-temps donné naissance à un enfant. Resté seul, avec très peu d’amis sincères et dignes de confiance, Ivan, sur les conseils du prince Kurbuski, quitte la capitale et se retire dans un couvent, tandis que ses émissaires partent pour l’Angleterre pour y apporter des propositions d’alliance. Mais la population de Moscou l’acclame en se déplaçant dans un long cortège vers la retraite du tsar pour lui manifester affection et confiance. Souverain et peuple sont désormais unis pour affronter le destin de la Russie.

Le film fut un succès. Eisenstein, qui termine la deuxième partie d’Ivan le Terrible, remporte le Prix Staline en 1943 et 1944. Le soir de la cérémonie de remise du prix en février 1946 (la guerre l'avait inévitablement retardée), le réalisateur a eu une crise cardiaque, a été hospitalisé d’urgence et a été contraint à une longue hospitalisation.

Il écrivit : "Je suis déjà mort. Les médecins disent que, selon toutes les règles de la science, je ne devrais pas être plus vivant [...] Je veux m’amuser".

Il ne s’est pas trop amusé. Lavrentij Pavlovitch Berija, o ce Berija, découvrit, à travers ses fameuses et redoutables écoutes, que le réalisateur avait fini de monter son nouveau film. Il le regarda et trouva plus d’une ressemblance entre les massacres du Tsar évoqués dans le film et les "purges staliniennes", avec une référence particulière à ce qu’on appelle la "Terreur d’Iejov". Le Comité Central du PCUS commença ainsi à s’intéresser à Ivan Grozny II : Bojarsky zagovor (La Conjuration des Boyards).

La conjuration des boyards - Eisenstein

La conjuration des boyards - Eisenstein

La conjuration des boyards - Eisenstein

La conjuration des boyards - Eisenstein

Voici l'histoire de la "Conjuration des boyards", deuxième partie "d'Ivan le Terrible":

En 1565, Ivan (Nikolaï Tcherkasov) revient à Moscou, mais est trahi d’abord par le prince Kourbski, qui avait comploté avec les Lituaniens, puis par le métropolite de Moscou (Andreï Abrikosov), son vieil ami de jeunesse qui s’est retiré après le couronnement du tsar et est devenu "Pope", lui refusant la bénédiction. Ce dernier devient complice des boyards dans leur tentative de discréditer et assassiner Ivan. Le tsar, aidé par sa garde impériale (les Oprichniki), entre les souvenirs de l’enfance et de l’assassinat de sa mère par les boyards, comprend que sa tante Evfrosinija avait été responsable de la mort de la tsarine et découvre la conspiration. Ainsi, lors d’un banquet délirant, tourné dans une magnifique séquence de couleurs, Ivan met en scène un "jeu de pièces" fatal qui amène le tueur à gages d’Evfrosinija à tuer son fils Vladimir, désigné par les boyards comme successeur au trône. Avec le soutien du peuple Ivan continue ainsi la lutte contre les ennemis.

Les deux parties d’Ivan le Terrible furent une sublime reconstitution d’une histoire, le meilleur film historique selon Chaplin, ainsi que la synthèse parfaite du cinéma d’Eisenstein: en effet, il est considéré par beaucoup comme son meilleur film, entre la centralité du montage et l’utilisation symbolique de l’espace. Citons les intérieurs, les lignes, les lumières et les ombres qui découlent d’une relecture de l’art figuratif byzantin et qui renvoient à l’expressionnisme allemand.

On doit au même mouvement cinématographique, entre autres, la même figure d’Ivan, inspirée de l’interprétation de Conrad Veidt (inoubliable "somnambule" dans Le Cabinet du docteur Caligari) dans le film Das Wachsfigurenkabinett (Le Cabinet des figures de cire, 1924) réalisé par Paul Leni. Mais beaucoup voient dans l’Ivan d’Eisenstein la figure de Mejerchol’d, le père spirituel du réalisateur.

Mais Ivan le Terrible était aussi, sinon surtout, la représentation de l’URSS de ces années. D’un côté, il faisait écho à l'élan patriotique contre la menace nazie, de l’autre, en se référant explicitement à la figure de Staline, il attaquait le pouvoir et ses dégénérescences. Dans la magnifique scène finale du premier film, est présentée la procession du peuple vers le retrait inaccessible d’Ivan, une autre référence cinématographique claire cette fois au film Herr Arnes pengar (Le trésor d’Arne, 1919) de Mauritz Stiller, petits points noirs avançant avec des insignes, des croix, tandis qu’au premier plan se profile le tsar. Éloquente, précise et grandiose métaphore du pouvoir. Thème qui revint avec plus de vigueur idéologique dans la deuxième partie, "La Conjuration des Boyards", dans la célèbre séquence en couleurs, tournée par Moskvin, où sont montrés les aspects obscurs et délinquants du pouvoir et les doutes d’Ivan.

En août 1946, quelques mois après la crise cardiaque d’Eisenstein, Staline, après avoir lu les rapports de Berija, voit le film. Il était furieux, même pour le prétendu manque de "fierté russe", pour la longue barbe du protagoniste et pour les baisers d’Ivan. La revue "Sovietskoje Iskusstvo" a anticipé le jugement selon lequel Ivan Grozny II : Bojarsky zagovor fournissait "une preuve évidente des résultats négatifs auxquels peuvent conduire le manque de responsabilité, le mépris envers l’étude et la narration superficielle et arbitraire des arguments historiques". Le 4 septembre de la même année arriva la résolution officielle du Comité Central :

"Le réalisateur S. Eisenstein dans la deuxième partie du film "Ivan le Terrible" a montré son ignorance dans la représentation des faits historiques, présentant l’armée progressiste des gardes du tsar comme une bande de dégénérés semblable au "Ku Klux Klan américain", et Ivan le Terrible non pas comme un homme de forte volonté, mais comme un personnage faible et inerte, semblable à Hamlet". La diffusion du film est donc interdite.

Eisenstein fut contraint à une seconde autocritique douloureuse. Il écrivit à Staline pour lui demander de pouvoir terminer la trilogie, promettant de corriger la seconde partie.

Les deux se rencontrèrent à onze heures du soir le 25 février 1947 dans le "Petit coin", le studio du chef de l’URSS. D’un côté de la table, le réalisateur accompagné de l’acteur Tcherkasov, qui, en tant que député du Soviet suprême, espérait pouvoir influencer le jugement sur le film, de l’autre, Staline, Molotov et Jdanov. Le procès commença.

Staline : "Vous avez écrit une lettre et la réponse est un peu tardive. Je voulais immédiatement vous répondre par écrit, puis j’ai décidé qu’il était préférable de nous parler. Mais je suis très occupé, le temps me manque et c’est pourquoi nous sommes en retard. J’ai reçu votre lettre en novembre...".

Jdanov : "Oui, vous l’avez reçu à Soci".

Staline : "Avez-vous étudié l’histoire?"

Eisenstein : "Plus ou moins".

Staline : "Plus ou moins? Moi aussi, je connais un peu l’histoire. Vous avez montré l’Opritchina de manière incorrecte. L’Opritchina est l’armée du roi, une armée régulière, progressiste. Dans votre film, elle apparaît plutôt comme une sorte de Ku Klux Klan".

Eisenstein : "Ceux-ci sont couverts par des cagoules blanches, tandis que dans notre film les cagoules sont noires".

Jdanov : "Cette différence n’est pas fondamentale".

Staline : "Votre tsar est indécis, il ressemble à Hamlet. Tout le monde lui suggère ce qu’il doit faire et il ne prend aucune décision. Le tsar Ivan était un grand souverain plein de sagesse, et si on le compare à Louis XI, il le dépasse de dix têtes. La sagesse d’Ivan consistait dans le fait qu’il savait maintenir un point de vue national et ne laissait pas entrer les étrangers dans son pays, le protégeant contre la pénétration d’influences étrangères. Dans votre présentation d’Ivan le Terrible, des erreurs et des déviations ont été commises dans ce sens. Pierre Ier est un autre grand souverain, mais son attitude envers les étrangers est trop libérale, il a trop ouvert la porte et a permis la germanisation de la Russie. Catherine l’a permise encore plus. Et après, peut-être que la cour d’Alexandre Ier était une cour russe? Et celle de Nicolas Ier? Non. C'étaient des cours allemandes. Et puis voici une autre mesure remarquable d’Ivan le Terrible : il a été le premier à introduire le monopole du commerce extérieur. Lui le premier et Lénine le deuxième".

Jdanov : "Ivan le Terrible peint par Eisenstein est hystérique".

Molotov : "En général, l’accent est mis sur la psychologie, sur une présentation excessive des contradictions psychologiques intérieures et des émotions personnelles".

Staline : "Il faut montrer les figures historiques correctement en ce qui concerne le style. Ainsi par exemple dans le premier épisode il n’est pas correct qu’Ivan le Terrible se serre si longtemps avec sa femme. À cette époque, on ne faisait pas".

Jdanov : "Ce film présente une déviation byzantine. Mais même là, à Byzance, cette pratique n’était pas aussi courante".

Molotov : "Le deuxième épisode est trop renfermé dans les caves, dans les souterrains. On n’entend aucun bruit de Moscou, et le peuple ne se voit pas. On peut certes montrer des complots et des répressions, mais pas seulement celles-ci".

Staline : "Ivan le Terrible était extrêmement cruel. On peut montrer qu’il était cruel. Mais il faut montrer pourquoi il devait être cruel. Une des erreurs d’Ivan le Terrible est qu’il n’a pas exterminé jusqu’à la fin cinq grandes familles féodales. S’il l’avait fait, il n’y aurait pas eu l’Époque des Troubles. Mais il tuait quelqu’un et puis priait et se repentait longtemps. Dieu était pour lui un obstacle dans cette œuvre. Il fallait être encore plus résolu".

Tcherkasov : "Puis-je fumer?"

Staline : Il me semble que personne n’a interdit de fumer. Mais peut-être faut-il voter?"

Molotov : "Les événements historiques doivent être montrés sous une lumière correcte. Par exemple, prenons le cas de la pièce "Les braves" : l’auteur se moque du baptême de la Russie, qui avait été un phénomène progressiste à l’époque".

Staline : "Naturellement, nous ne sommes pas de très bons chrétiens. Mais il ne faut pas renier le rôle progressiste du christianisme à un certain stade. Cet événement eut une grande portée, car ce fut le tournant de l’État russe vers une union avec l’Occident [...]".

Jdanov : "On abuse trop de rites religieux dans votre film".

Molotov : "Cela donne une teinte mystique qu’il ne faut pas trop souligner". Tcherkasov : "Nous sommes convaincus que nous ferons un bon film. Je travaille sur le personnage d’Ivan le Terrible non seulement au cinéma, mais aussi au théâtre depuis longtemps. J’aime ce personnage et je pense que notre réécriture du scénario peut s’avérer correcte et véridique".

Staline : "Eh bien, essayons".

Tcherkasov : "Je suis convaincu que la reconstruction réussira".

Staline : "Que Dieu fasse que chaque jour soit une nouvelle année...".

Eisenstein : "Y aura-t-il des instructions particulières concernant le film?" Staline : "Je ne vous donne pas d’instructions, je présente les observations du spectateur. Par exemple, ces Oprichniki qui dansent ressemblent à des cannibales et rappellent les phéniciens ou les babyloniens... Eh bien, la question est clarifiée. Il faut donner aux camarades Tcherkasov et Eisenstein la possibilité de perfectionner l’idée et le film. Quant à l’interprétation d’Ivan le Terrible, son aspect physique est correct, il n’y a rien à changer. L’aspect extérieur d’Ivan est bon.

Tcherkasov : "Peut-on laisser dans le film la scène de l’assassinat?"

Staline : "On peut la laisser : il y a bien eu des assassinats".

Tcherkasov : "Dans notre scénario, il y a une scène où Maluta Skuratov étrangle le métropolite Filippo : faut-il conserver cette scène ?"

Staline : "Il faut la conserver. Ce sera historiquement correct".

Molotov : "En général, on peut et on doit montrer les répressions, mais il faut aussi montrer au nom de qui elles ont été faites, parce qu’elles étaient nécessaires. C’est pourquoi il faut montrer l’activité de l’État, sans se limiter à des scènes dans les caves, mais en montrant la sage conduite des affaires d’État [...]".

Tcherkasov : "Faudra-t-il présenter le projet du nouveau scénario pour approbation au Politbjuro?

Staline : "C’est inutile, débrouillez-vous. En général, il est difficile de juger d’un scénario, il est plus facile de s’exprimer sur une œuvre finie".

- Vous souhaitez lire ce scénario?".

Molotov : "Non, en fait je fais un autre métier".

Eisenstein : "Il serait bon que personne ne pousse pour accélérer la mise en scène du film".

Staline : "Ne vous pressez en aucun cas. Nous interdisons généralement la sortie de films faits à la hâte. Si la réalisation du film prend un an et demi, ou deux ans, ou même trois, il faut prendre le temps nécessaire pour qu’il soit bon et sculptural. Encore une chose. Le Tselikovskaya est mieux pour d’autres rôles. Elle joue bien, mais c'est une danseuse".

Eisenstein : "Mais il est impossible de convoquer une autre actrice de Moscou à Alma Ata".

Staline : "Un réalisateur doit être inflexible et exiger tout ce dont il a besoin. Nos cinéastes cèdent trop facilement".

Eisenstein : "J’ai dû travailler deux ans pour trouver une interprète pour le rôle d’Anastasia".

Staline : "L’acteur Jabrov n’a pas correctement joué son rôle dans Ivan. Il n’est pas un chef militaire sérieux".

Jdanov : "Ce n’est pas Maluta Skuratov, mais un clown".

Et vous, Eisenstein, vous êtes trop passionné par les ombres pour distraire le public de l’action du film avec la barbe du tsar. Ivan le Terrible soulève trop de fois la tête pour que l’on puisse mieux voir sa barbe.

Eisenstein : "Je raccourcirai la barbe au tsar".

Staline : "Que Dieu vous aide".

 

Le réalisateur continua à lire, à écrire et à concevoir la troisième et dernière partie d’Ivan Groznyj, prévue entièrement en couleur, qui raconterait la guerre aux frontières, la consolidation de l’État et la victoire finale d’Ivan, devenu le Terrible. Des séquences ont également été tournées. Mais dans la nuit du 10 au 11 février 1948, Sergueï Eisenstein mourut à la suite d’une seconde crise cardiaque violente.

Aleksandrov, Strauch et Tissė, collaborateurs et compagnons de toujours, accoururent tout de suite, mais ils ne purent que recomposer le corps et le couvrir d’une tapisserie mexicaine, souvenir du célèbre voyage, représentant le Dieu de la mort aztèque.

Après les funérailles solennelles à charge de l’État, le corps d’Eisenstein est incinéré le 13 février 1948. Son dernier film Ivan Groznyj II : Bojarsky zagovor (La Conjuration des Boyards) ne voit le jour qu’en août 1958, après la mort de Staline et de Prokofiev, le 5 mars 1953, et surtout après le fameux vingtième Congrès du PCUS où Nikita Khrouchtchev (Khrouchtchev) critiqua le culte de la personnalité de Staline.

Eisenstein a été l’un des représentants les plus brillants et créatifs de toute l’histoire du cinéma et un grand théoricien. Il est aussi, parmi les cinéastes, une figure dominante de la culture du vingtième siècle. Il vécut passionnément la Révolution d’Octobre, la saison culturelle des avant-gardes qui suivit et souffrit les régressions de l’URSS stalinienne. Mais même s’il ne s’est jamais inscrit au PCUS, il reste fidèle à l’idéologie communiste jusqu’à sa mort prématurée.

C’était un communiste libertaire, hétérodoxe, peut-être homosexuel. Libre. Et pour cela il a toujours de l'opposition à l'image du cinéaste en Russie, notamment de Poutine qui a entravé de projets autour de la mémoire du réalisateur.

Dans ses "Mémoires", écrites principalement pendant la longue convalescence qui suivit le premier infarctus, il affirma : "Biologiquement nous sommes mortels. Mais nous devenons immortels par nos actes sociaux, par la petite contribution individuelle que nous apportons au progrès de la société dans l’idéal relais de l’histoire".

La contribution d’Eisenstein fut énorme, entre films et écrits théoriques, publiés pour la première fois en six volumes entre 1963 et 1977, qui continuent à faire l’objet d’études et de citations. Il a inspiré le cinéma, entre autres, par Andreï Tarkovski, Stanley Kubrick, Alexandre Sokurov, Woody Allen, Ettore Scola, Bernardo Bertolucci et l’artiste Zbigniew Rybczyński qui, dans le travail Steps (1987), fait entrer dans la célèbre séquence de l’escalier d’Odessa des touristes américains, générant des effets étranges.

Eisenstein, comme beaucoup de grands (il suffit de penser au Napoléon manqué par Kubrick), nous laisse le regret de ses chefs-d’œuvre jamais réalisés, de ses films non terminés, Que viva México! ou des films perdus, Le Pré de Béjine, mais surtout cette oeuvre nous laisse des images inoubliables: la scène maintes fois citée de l’escalier du Cuirassé Potemkine, est au cinéma ce que le sourire de la Joconde est à la peinture ou le monologue d’Hamlet "To be, or not to be" de William Shakespeare est au théâtre. Œuvre immortelle d’un cinéaste immortel.

Andrea Lauro, 18 septembre 2021

S.J. Eisenstein (3): Ivan Le Terrible - par Andréa Lauro

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Littérature soviétique - Carnets de guerre de Vassili Grossman (Calmann-Lévy, présenté par Antony Beevor et Luba Vinogradova) - Suivi de Treblinka

Littérature soviétique - Mikhaïl Boulgakov, l'auteur du Maître et Marguerite, un génie baroque à l'époque du Stalinisme (1891-1940)

Communist'Art: Marc Chagall, compagnon de route de la révolution bolchevique

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19 septembre 2021 7 19 /09 /septembre /2021 07:40
Journées du Patrimoine à la maison du peuple de Morlaix: 18 et 19 septembre 2021
Journées du Patrimoine à la maison du peuple de Morlaix: 18 et 19 septembre 2021
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Très beau spectacle à la Maison du Peuple sur le poète, chansonnier, soldat Olivier Souëstre (Du Séminaire aux barricades), l'auteur de "La Marianne", un des grands chants révolutionnaires qui était adopté par le mouvement ouvrier socialiste avant l'Internationale, communard originaire de Plourin-les-Morlaix. Bravo à Claude Bonnard et aux comédiens de la Corniche pour ce beau spectacle sur une figure oubliée du mouvement révolutionnaire, y compris à Morlaix, à l'occasion des journées du Patrimoine.

Visible encore demain à 15h et 16h30, entrée libre.

Avec à l'étage dans la salle de conférence une magnifique exposition sur la rénovation de la maison du Peuple et 70 ans de lutte de la CGT à Morlaix, avec un focus sur les manifs contre le CPE et pour l'emploi Tilly Sapco en 2005-2006, où l'on retrouve beaucoup de nos camarades... 

Journées du Patrimoine à la maison du peuple de Morlaix: 18 et 19 septembre 2021
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18 septembre 2021 6 18 /09 /septembre /2021 05:47
Journées du Patrimoine, 18 et 19 septembre: le théâtre de la Corniche met à l'honneur le poète et parolier communard plourinois Olivier Souëstre à la Maison du peuple

Le Théâtre de la Corniche sera présent à la Maison du Peuple pour les journées du patrimoine. Il sortira de l'ombre un plourinois qui a participé à la défense de Paris au moment de la Commune et à qui l'on doit une chanson adoptée par tout les mouvements ouvriers, "la Marianne de 1883" que "l'Internationale" détrônera quand le poème de Pottier sera mis en musique.

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9 septembre 2021 4 09 /09 /septembre /2021 19:11
Aube dorée, l'affaire de tous - le film-choc d'Angélique Kourounis sur l'extrême-droite grecque et Aube Dorée en tournée bretonne
Aube dorée, l'affaire de tous - le film-choc d'Angélique Kourounis sur l'extrême-droite grecque et Aube Dorée en tournée bretonne

Le flyer de la tournée bretonne du film "Aube dorée, l'affaire de tous"

Maxime Bitter, Angélique Kourounis et Thomas Iacobi, photo prise par Hervé Ricou la semaine dernière au festival du film de Douarnenez.

Maxime Bitter, Angélique Kourounis et Thomas Iacobi, photo prise par Hervé Ricou la semaine dernière au festival du film de Douarnenez.

Article du Télégramme, 27 août 2021, sur Aube Dorée, une affaire de Tous

Aube Dorée l'affaire de tous

Angélique Kourounis est la réalisatrice de deux documentaires sur le parti néo-nazi grec: l'Aube dorée.

En 2017 l'Association Bretagne Grèce Solidarité Santé a parrainé avec de nombreux partenaires locaux des projections-débats autour du film-Aube dorée-une affaire personnelle-  dans une quinzaine de salles de la région. Ce film décrivait l'installation du parti néo-nazi dans le pays et au parlement comme 3ème force politique.

Cette année Angélique Kourounis avec un nouveau film -Aube dorée-l'affaire de tous- décortique 6 années de procès qui ont abouti à la condamnation d'Aube dorée comme organisation criminelle. Bretagne Grèce Solidarité Santé parraine une nouvelle tournée de projections-débats dans 14 salles en Bretagne dont 5 dans le Finistère en présence et avec la participation d'Angélique Kourounis.

3 projections du premier film "Aube Dorée, une affaire personnelle" et 3 projections du film de 2021 "Aube Dorée l'affaire de tous" ont eu lieu au festival du film de Douarnenez du 21 au 28/08 qui avait comme thème Peuples et luttes en Grèce.

Standing ovation incroyable à la fin du dernier film!

la bande-annonce: https://vimeo.com/560771007

PJ: article du Télégramme du 27/08/2021 (édition de Douarnenez)

Les dates bretonnes pour voir le film en présence des réalisateurs, Maxime Bitter, Angélique Kourounis et Thomas Iacobi:

> Le 3 septembre au cinéma Iris, Questembert, 56230, 20h30

> Le 5 septembre, à Brasparts, lieu-dit Tromac'h 29190, 17h

> Le 6 septembre, au cinéma Les Baladins, Lannion, 22300, 20h

> Le 7 septembre, au cinéma Le Vulcain, Inzinzac-Lochrist, 56650, 20h30

> Le 8 septembre, au cinéma Club 6, St Brieuc, 22000, 20h

> Le 9 septembre, au cinéma Rex, Pontivy, 56300, 20h

> Le 10 septembre, au Patronage Laïque Guérin, 1 rue Alexandre Ribot Brest, 29200, 20h

> Le 11 septembre, à Ti An Oll, Plourin-les-Morlaix, 29600, 16h

> Le 14 septembre, MJC Kerfeuteun, Quimper, 29000, 20h

> Le 16 septembre, au cinéma Ty Hanok, Auray, 56400

> Le 17 septembre, Local Fête de l'Ével, Baud, 56150, 19h30

> Le 21 septembre, au cinéma Arvor, Rennes, 35000, 20h15

> Le 23 septembre, au cinéma Le Vauban, St Malo, 35400, 20h

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9 septembre 2021 4 09 /09 /septembre /2021 19:04
Angélique Kourounis échangera avec le public, samedi. | OUEST-FRANCE

Angélique Kourounis échangera avec le public, samedi. | OUEST-FRANCE

https://www.ouest-france.fr/bretagne/plourin-les-morlaix-29600/ti-an-oll-fait-sa-rentree-avec-un-documentaire-7fe85bbf-0e52-4cab-922d-eab61dc90e96

 
Ouest-France, 8 septembre 2021

Ce sera la deuxième venue, samedi, de la réalisatrice et journaliste Angélique Kourounis à Ti an Oll - centre social. En mars 2017, lors d’une tournée dans toute la Bretagne, elle avait présenté Aube Dorée, une affaire personnelle. Un documentaire qui mettait en lumière le fonctionnement de ce parti grec néonazi. Le film avait reçu un large écho international. Il a reçu, entre autres, le Prix spécial du jury au festival de Los Angeles ou encore, en 2016, le Prix Averroès junior au Primed de Marseille (Bouches-du-Rhône). Il a également été projeté au Parlement européen.

Ce samedi, Angélique Kourounis revient avec Aube Dorée, affaire de tous : Quelle résistance ? Un documentaire tourné au moment du procès historique de l’Aube Dorée. Ce parti était la troisième force politique du pays et a siégé pendant sept ans au parlement grec.

Après six ans de procès avec 68 accusés, après l’assassinat du chanteur de rap Pavlos Fyssas par un partisan de l’Aube Dorée, le verdict est tombé, le 7 octobre 2020, qualifiant « Aube Dorée, organisation criminelle ».

Un débat après la projection

 

Le deuxième film d’Angélique Kourounis est sorti après la déclaration du verdict. Ce jour-là, plus de 15 000 manifestants étaient rassemblés devant le tribunal, applaudissant la décision. Le documentaire nourrit le débat autour des réponses à apporter « à la montée de l’idéologie nazie qui gagne du terrain partout en Europe ».

Le film fait l’objet d’une tournée dans treize villes de Bretagne, après sa présentation au Festival du film de Douarnenez en août. La projection sera suivie d’un échange avec la réalisatrice et le journaliste en Grèce, Thomas Iacobi.

Samedi 11 septembre, à 16 h, à Ti an Oll. Entrée au chapeau. Site internet, goldendawnapublicaffair.com/fr/accueil

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4 septembre 2021 6 04 /09 /septembre /2021 04:44
Hommages au compositeur communiste et anti-fasciste grec Mikis Theodorakis, décédé le 2 septembre 2021
Disparition. Mikis Theodorakis, une vie comme une odyssée
Vendredi 3 Septembre 2021

L’immense compositeur grec est mort à 96 ans. Résistant face au nazisme puis face aux colonels, engagé politiquement, il fut un compositeur prolifique qui a écrit des centaines d’opéras, d’oratorios, de musiques de chambre ou de variété.

 

Sa vie est une odyssée peuplée de tempêtes, de fantômes, de pièges et de lumières. Devant l’immensité de son œuvre, protéiforme, impressionnante, devant son engagement politique, on ne peut que s’incliner devant un homme, un artiste qui, contre vents et marées, a redonné à son pays, la Grèce, la place qui lui revient dans le concert des nations.

Une vie orchestrée avec fougue

Mikis Theodorakis a été de tous les combats, orchestrant sa vie avec cette fougue, cette joie que l’on retrouve dans ses musiques. Jamais dans la demi-mesure, toujours dans l’éclat d’un opéra, d’un oratorio, d’une symphonie où les percussions rythment des mélodies d’une richesse musicale infinie. Il est Zorba, cet homme qui au bout du désespoir danse le sirtaki sur une plage en ruines parce que « l’homme doit avoir un grain de folie, ou alors il n’ose jamais couper les cordes et être libre ». C’est Zorba qui lance cette phrase à son jeune ami anglais dans le film de Michael Cacoyannis. Peu de monde se souvient de l’histoire mais la mémoire populaire a retenu cette scène finale où Zorba, Anthony Quinn, apprend à son compagnon d’infortune à danser le sirtaki, une danse qui n’existait pas et spécialement créée pour le film. Les deux hommes se tiennent par les épaules et entament une danse de tous les diables pour conjurer leur échec et défier la fatalité. Zorba est Mikis. Mikis est Zorba. Une espèce de folie, une soif d’écrire et de composer, de diriger les plus grandes formations symphoniques du monde, des chœurs majestueux, comme d’écrire, avec la même passion, des chansons populaires inspirées du folklore de son pays.

Écoutez la musique de Serpico, le film de Sidney Lumet réalisé en 1973. Écoutez Alone in the Apartment… Un vieil air de jazz new-yorkais joué par un orchestre de bal fatigué, un peu comme Serpico (Al Pacino). Écoutez, regardez, observez sa direction du Canto General, cet immense poème épique de quinze mille vers écrit par Pablo Neruda qui raconte l’histoire de l’Amérique latine joué à Santiago du Chili en 1993. Mikis, la chevelure grise en bataille, dirige avec un plaisir contagieux cet oratorio. Celui-là même qu’il avait dirigé sur la grande scène de la Fête de l’Humanité en 1974, soit un an après le coup d’État militaire de Pinochet au Chili. Peut-être existe-t-il des images de ce moment, qui sait… Ceux qui y étaient s’en souviennent.

On ne peut dissocier l’artiste de l’homme politique. Alors qu’il donne son premier concert à l’âge de 17 ans, il s’engage, dans un même mouvement, dans la résistance contre le nazisme. Nous sommes en 1941. Un an après, Theodorakis est arrêté une première fois, torturé mais parvient à s’échapper. À la Libération, il est de tous les combats contre les royalistes grecs. Sauvagement battu lors d’une manifestation populaire en 1946, il sera déporté deux fois à l’île d’Ikaria puis transféré dans un « centre de rééducation » sur l’île de Makronissos. Il survivra aux pires châtiments et parviendra à sortir vivant de cet enfer à ciel ouvert.

À Paris, il suit les cours de Messiaen au conservatoire

En 1950, il obtient ce que les occupations allemande et italienne l’avaient empêché d’obtenir, son diplôme en harmonie, contrepoint et fugue. Il a déjà composé une dizaine de musiques de chambre, fondé son premier orchestre et créé, à Rome, son ballet Carnaval grec en 1953. Un an après, il s’installe à Paris, suit les cours d’Eugène Bigot pour la direction et Messiaen pour la composition au conservatoire. Ses musiques de ballets, les Amants de Teruel, le Feu aux poudres et Antigone, sont auréolées de récompenses.

Au total, il signera les bandes originales de plus d’une trentaine de films et autant pour le théâtre, des centaines de mélodies sur des textes de poètes tels que Georges Séféris, Iakovos Kambanéllis, Yannis Ritsos, Federico Garcia Lorca et, plus tard, Pablo Neruda…

Des « chansons populaires savantes »

Il retourne en Grèce en 1960 avec le projet de composer des « chansons populaires savantes » pour s’adresser au plus grand nombre. Compositeur prolifique et flamboyant, reconnu, admiré par ses pairs, croulant sous les récompenses, Mikis fut longtemps communiste ou compagnon de cœur et de route, on ne sait plus, ardent patriote, au sens noble du terme, pour défendre la Grèce face aux royalistes puis aux colonels qui voulaient faire main basse sur le pays. Toujours debout face à une Europe méprisante à l’égard de son pays, de son histoire.

Ces dernières années, il s’était éloigné des communistes, puis de la gauche, s’était retrouvé ministre dans un gouvernement de coalition avec la droite. Il fut accusé d’antisémitisme pour ses prises de position en faveur du peuple palestinien, accusations instrumentalisées quelques années après en France par une droite revancharde. Le 27 juin 2012, l’Humanité publia un texte où il récusait avec fermeté ces accusations.

Ces derniers temps, malade, il vivait retiré de la vie publique, souvent hospitalisé. Il nous reste ses musiques, des milliers de partitions écrites par un homme révolté, un génie musical qui aura consacré toute sa vie à la musique, à la liberté.

Le 20ème siècle perd aujourd’hui l’une de ses plus belles figures. En près d’un siècle d’existence, Mikis Theodorakis en aura été l’une des balises, un combattant de tous les instants, un créateur inépuisable et largement estimé à travers le monde.

Jeune combattant antifasciste dans les rangs des partisans communistes de la résistance grecque à l’occupant nazi et fasciste, il fut arrêté et torturé pendant la seconde guerre mondiale, puis une nouvelle fois atrocement mutilé pendant la guerre civile par les forces monarchistes armées par la Grande-Bretagne.  Parallèlement, et non sans courage et abnégation, il entame des études de musique qui le porteront plus tard au firmament des compositeurs européens.

La fin de la guerre civile lui offre l’occasion de parfaire son apprentissage de la musique, à Paris où il observe et apprend des avant-gardes artistiques. S’ouvre alors une riche période artistique faite de rencontres, des compositions originales, symphoniques, concertantes, de scène et chambristes, et d’inoubliables musiques de films. Theodorakis le Grec se replonge dans le folklore national et en tire une nouvelle manière de composer, offrant au monde tout un héritage musical et mettant en musique les vers de Yannis Ritsos et Odysséas Elýtis, poètes majeurs de la littérature mondiale.

Il fait une nouvelle fois l’expérience de la clandestinité lorsque les colonels grecs instaurent une dictature fascisante en 1967. Il deviendra une nouvelle fois le porte-parole de la résistance grecque à travers le monde, sillonnant scènes et pays pour partager ses créations artistiques inspirées par la tragédie que vivait son peuple et organiser la solidarité internationaliste. Nous avons eu, à cette époque, l’honneur de le compter à plusieurs reprises à la Fête de l’Humanité où il proposait à un public populaire des œuvres exigeantes. Il recevait en échange, et avec lui l’ensemble de ses camarades grecs, la solidarité indéfectible de tout un peuple militant.

Jusqu’à récemment, l’homme, entier et parfois provoquant, ne lésinait sur aucun engagement pour un monde plus juste et fraternel, luttant fermement contre l’asphyxie du peuple grec organisée par l’Union européenne et les institutions financières.

A l’image de nombre de ses contemporains, Mikis Theodorakis aura conjugué culture et engagement dans le sillon du mouvement communiste international. Il aura mis ses dons et sont talent au service des causes antifascistes, contre les dictatures d’extrême-droite couvées par les Etats-Unis dans le monde entier. C’est une conscience du siècle passé que nous pleurons aujourd’hui. Puissent son œuvre et son action lui survivre longtemps. 

Patrick Le Hyaric, directeur du journal L'Humanité, ancien député européen communiste

Piero Rainero, ancien adjoint PCF à Quimper et ancien secrétaire départemental du PCF Finistère, dans le Ouest-France du 3 septembre:

Piero Rainero livre un souvenir personnel d’un concert donné à Lavrio, cité grecque proche d’Athènes, à l’occasion de la construction du jumelage entre Quimper et Lavrio.

Une chorale finistérienne dirigée par Jean Golgevit interpréta Le Canto General, « magnifique ode à la liberté de Pablo Neruda mis en musique par Míkis Theodorákis. […] Au cours du concert, un vieux monsieur prit le micro et avec émotion nous relata son séjour avec Míkis Theodorákis dans le camp de concentration de l’île de Makronissos située juste en face du lieu où nous nous trouvions. C’était un des lieux où les colonels au pouvoir emprisonnaient leurs opposants, 80 000 communistes grecs y furent internés. […] Nous n’imaginions pas, nous dit en substance ce vieux monsieur, lorsque, enfermés dans ce sinistre camp, nous regardions les lumières du port de Lavrio, qu’un jour serait donné ici un tel concert, car la musique de Theodorakis était interdite en Grèce par la dictature des colonels. Un tonnerre d’applaudissements ponctua son propos. »

« Un lieu à Quimper au nom de Míkis Theodorákis »

« Ce vieux monsieur, ami de Míkis Theodorákis, nous fit l’honneur de dîner à notre table après le concert et remercia avec chaleur le chœur breton pour son interprétation du Canto General, et la municipalité de Quimper de l’époque, initiatrice de cette belle entreprise qui a perduré à travers le jumelage et la chorale.

Il serait légitime que Quimper garde la mémoire de ce grand artiste en donnant son nom à un lieu significatif de notre ville. »

Ouest-France, 3 septembre 2021

 

Mort du compositeur Míkis Theodorákis, l’adieu grec

 

 

Le musicien grec, figure de la gauche, infatigable défenseur de la démocratie et inventeur du sirtaki, est mort jeudi à 96 ans. Un deuil national de trois jours a été décrété par Athènes.

 

par Fabien Perrier - Libération

publié le 2 septembre 2021 à 17h46

 

S’il est un Grec dont la vie semble s’être confondue jusque dans sa chair avec l’histoire de son pays, c’est bien Míkis Theodorákis. Il n’est pas une manifestation de la gauche grecque qui se déroule sans que les haut- parleurs diffusent les compositions de ce musicien à la renommée internationale. Pas un meeting sans que soit reprise en chœur l’une de ses 1 000 mélodies. La moindre de ses sorties en public était guettée comme celle d’un dieu attendu de tous. Jeudi matin, le compositeur grec est mort à l’âge de 96 ans. Ses musiques, dont le sirtaki, ont conquis le monde entier. Par son parcours politique et ses faits de Résistance, cet homme de gauche, membre du Parti de la gauche européenne, s’est battu pour la démocratie en Grèce, tout en dénonçant sur la scène internationale les horreurs commises de façon répétée dans ce petit bout d’Europe. Son parcours mêlant intimement musique et engagement politique a été et reste une source d’admiration et d’inspiration pour une grande partie des Grecs. Míkis Theodorákis était, peut-être, le dernier héros grec.

 

 
   
 

 

 

L’homme semblait immortel : il avait survécu à la mise au ban et à la torture dans son pays. Né le 29 juillet 1925 dans une famille aisée, il apprend dès l’âge de 7 ans à chanter des hymnes byzantins de tradition ancienne puis, à 12 ans, il se met au violon et compose ses premières chansons. A 14 ans, il compose la Chanson du capitaine Zacharias en s’inspirant d’un texte du poète grec Nanos Valaoritis. La chanson devient l’hymne de la Résistance grecque quand le pays est envahi par les nazis. Míkis Theodorákis, qui suit en cachette des cours au conservatoire d’Athènes, est parmi les premiers à s’y engager.

Par deux fois, il est jeté en prison et torturé. Au contact de ses codétenus, le jeune homme découvre les théories marxistes et décide d’adhérer au Parti communiste. A la Libération, le pays sombre dans la guerre civile de 1946 à 1949. Sa lutte contre la prise de pouvoir par les contre-révolutionnaires lui vaut à nouveau d’être torturé et emprisonné. Lors d’une manifestation à Athènes au cours de laquelle la foule avait entonné la Chanson du capitaine Zacharias, il est tabassé, envoyé à la morgue et, alors que les journaux annoncent sa mort, ses camarades parviennent à le faire transférer à l’hôpital. Il survit, mais le passage à tabac lui laisse des séquelles comme la perte partielle de la vue. Malgré tout, il poursuit son engagement. Quand, en 1947, le Parti communiste grec est interdit, Míkis Theodorákis est déporté sur des îles prisons, notamment Ikaria, il découvre le rébétiko, la musique traditionnelle grecque. Et quand, en 1949, il refuse de signer une déclaration de repentir pour être libéré, il est transféré sur une autre île prison, Makronissos, où il est de nouveau torturé. Sur cette île, il entend chanter un autre détenu, Grigóris Bithikótsis, qui deviendra l’un de ses interprètes les plus fameux. Malgré les conditions de détention, il continue de travailler la musique. «A tous les moments difficiles de mon existence, la musique a frappé à ma porte, elle est entrée et a ravi la moitié de moi-même.

L’autre moitié restait parmi les hommes et leurs immondices. Il fallait

soutenir le regard de la violence, ne pas fléchir devant tant de laideur», livre- t-il dans le premier tome de son autobiographie, les Chemins de l’archange (1989). Il fait d’ailleurs de la musique un véritable acte de Résistance en enseignant le solfège à ses camarades, organisant une chorale et composant une symphonie qui est interprétée devant les autres détenus. Après sa libération, il réussit le concours final du conservatoire d’Athènes en 1950.

 

 
   

 

 

 

Musique et politique imbriquées

En 1954, le miraculé obtient une bourse d’études pour étudier au conservatoire de Paris, où il suit les cours d’Eugène Bigot et d’Olivier Messiaen. Il revisite alors la musique sérielle en adjoignant de nombreux éléments de la musique traditionnelle grecque, notamment en prenant «le meilleur du rébétiko, de notre musique populaire, pour le transmuer dans un genre nouveau digne à tout point de vue du peuple grec», explique-t-il. Sa musique devient également un moyen de rendre accessible, à travers ses chants, la littérature grecque des XIXe et XXe siècles ou d’autres poètes grecs tels qu’Odysséas Elytis, Georges Séféris, ou encore Yánnis Rítsos.

En s’inspirant de la musique classique et en y mêlant les airs folkloriques comme les instruments traditionnels grecs, notamment le bouzouki, Míkis Theodorákis renouvelle progressivement la musique populaire. Mais ce sont, sans doute, ses compositions de bandes originales qui lui donneront une aura internationale. Et encore, musique et politique sont étroitement imbriquées, comme en témoigne le film de Costa-Gavras, tiré de Z, le livre de Vassílis Vassilikós. Le récit porte sur l’assassinat du député de la Gauche démocratique grecque unifiée (EDA), Grigóris Lambrákis. Theodorákis fut l’un de ceux qui ont veillé à son chevet en 1963. Il fonde ensuite la Jeunesse démocratique Lambrakis, qui deviendra alors la plus forte organisation politique du pays. Enfin, il composera, en 1969, la musique du film Z. Il est aussi l’auteur de la musique des Amants de Teruel interprétée par Edith Piaf, en 1962. En France, Míkis Theodorákis est aussi rendu célèbre grâce aux traductions et interprétations de ses chansons par un autre Grec, originaire d’Egypte : Georges Moustaki.

Parallèlement, le compositeur génial et frénétique poursuit ses activités politiques. En 1964, il est élu député sur le siège auparavant occupé par Lambrákis. La même année, il crée le sirtaki, perçu aujourd’hui comme un air traditionnel grec. Il s’agit pourtant d’une musique inventée en 1964 pour le film Zorba le Grec, réalisé par Michael Cacoyannis. Cette danse est inspirée par deux rythmes folkloriques : le hassapiko et le sirtos chaniaotikos. Elle diffuse un idéal de liberté et une joie de vivre qui font d’elle, au final, l’incarnation de la danse grecque. Elle révèle définitivement Míkis Theodorákis au grand public.

Retour triomphal

Mais pour ce progressiste, une nouvelle fois, l’horreur arrive : en 1967, les colonels s’emparent du pouvoir et font régner la dictature pendant sept ans. Sa musique est interdite par le gouvernement grec sous peine de poursuite pénale. Quant à l’artiste, entré dans la clandestinité, il est déporté au camp de concentration d’Oropos. Il doit son exil à une campagne de solidarité impulsée par les compositeurs Dmitri Chostakovitch et Leonard Bernstein, le dramaturge Arthur Miller ainsi que de nombreuses personnalités politiques, comme Jean-Jacques Servan-Schreiber qui le ramène en France. Depuis Paris, il combat la junte en créant le Conseil national de la Résistance (EAS). A la même époque, il rencontre Pablo Neruda dont il met en musique le Canto general, en 1971. Ainsi, il donne un nouvel écho à l’hymne à la liberté des peuples d’Amérique du Sud tout en traçant un parallèle avec la nécessité, pour le peuple grec, de se libérer d’un pouvoir dictatorial. Le Canto general est en tournée pendant trois ans, et produit dans 18 pays. Un orchestre populaire, mêlant bouzoukis, guitares, pianos, percussions, accompagne les vers en espagnol, dans une fusion culturelle qui porte également un message politique : la nécessité d’unir les forces opposées à la dictature. Ce message, Theodorákis le répète dans des conférences et lors de ses rencontres avec les leaders politiques.

Le 17 novembre 1973, l’histoire s’accélère en Grèce : les étudiants de l’école polytechnique sont dans la rue. Dimitris Papachristos, voix de la radio de polytechnique à l’époque et figure emblématique de la gauche grecque, se souvient : «Les chars étaient près de l’école polytechnique. Il y avait des morts dans les affrontements. Quelqu’un a éteint les lumières, par erreur. J’ai cru que l’armée était entrée dans l’établissement. Alors j’ai chanté l’hymne national et j’ai terminé l’émission en disant : “La lutte continue, chacun avec ses armes.” Puis j’ai mis une chanson de Míkis Theodorákis.» Le 24 juillet 1974, la dictature tombe en Grèce ; Míkis Theodorákis est accueilli triomphalement dans son pays. De retour, l’ex-exilé peut mesurer sa notoriété : «Nous voulions aller dans sa maison près de Corinthe, mais sur la route, les gens le reconnaissaient, l’arrêtaient, lui parlaient. Et nous, nous aidions à descendre les panneaux des colonels», raconte Laokratia Lakka, militante de la gauche grecque et amie de la famille Theodorákis. En octobre de la même année, il donnera des concerts devant plus de 80 000 personnes. Incontestablement, il est devenu un héros grec.

Chantre de la «grécité»

Dès lors, la figure tutélaire des résistances reprend son engagement sur la scène politique nationale tout en conservant une stature de figure internationale. En 1977, il compose même, pour le Parti socialiste français, la musique de l’hymne du Congrès de Nantes. En 1981, il est élu député du KKE, le Parti communiste grec ; il le reste jusqu’en 1986.

 

Régulièrement, ses positions lui valent de violentes critiques et Paris apparaît pour lui comme un refuge. Malgré tout, Míkis Theodorákis multiplie les prises de parole en public et poursuit la composition, ce qui fait de lui un chantre de la «grécité» sur le plan musical et politique.

 

 D’ailleurs, quand la crise grecque éclate, en 2010, il lance un nouveau mouvement politique, Spitha («l’Etincelle»). Il multiplie les meetings en Grèce, très suivis. En 2012, il est blessé par des gaz lacrymogènes lors d’une violente manifestation devant le Parlement d’Athènes. En 2018, quand le gouvernement d’Aléxis Tsípras trouve un accord avec la République de

Macédoine voisine, Míkis Theodorákis le dénonce… Lui qui avait pourtant soutenu le Premier ministre de la gauche grecque en 2015. «Míkis a apporté de la lumière à nos âmes. Il a marqué avec son œuvre la vie de ceux qui ont choisi la route de la démocratie et de la justice sociale», a partagé sur les réseaux sociaux Aléxis Tsípras.

 

Un deuil national de trois jours a été déclaré en Grèce par le Premier ministre, Kyriákos Mitsotákis (Nouvelle Démocratie, droite). Mais il n’y aura pas de funérailles nationales. Ultime engagement de Míkis Theodorákis : c’est le KKE qui l’enterrera à La Canée, en Crête, ville de naissance de son père. Pour la chanteuse grecque Haris Alexiou, c’est un «adieu à un dieu, à un siècle de Grèce».

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