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Patrick Baudouin : « sur Gaza, la parole est muselée en France »
Patrick Baudouin, président de la Ligue des droits de l’homme, dénonce le climat démocratique qui règne en France depuis le 7 octobre 2023, aussi bien sur le plan politique que médiatique.
L'Humanité- 2 mai 2024
Margot Bonnéry
Florent LE DU
Considérez-vous que le débat démocratique est muselé au sujet de la guerre à Gaza ?
Depuis les actes terroristes commis par le Hamas le 7 octobre, le débat sur la question de Gaza est largement biaisé. Les massacres et les actes de barbarie commis ont été légitimement condamnés. Mais depuis, chaque jour, la population civile palestinienne gazaouie subit des violations massives des droits de l’homme. Ce sont des crimes contre l’humanité. En France, face à cette situation, dénoncer la politique du gouvernement d’extrême droite israélien, les bombardements et les violations commises par les politiques et militaires devient difficile.
La parole est muselée. Une vie est pourtant une vie. Mais il semble désormais difficile de dire qu’une vie humaine palestinienne a autant d’importance qu’une vie israélienne. Il en va de même pour le manque d’écoute concernant les personnes d’origine juive qui expliquent que leurs familles vivant en Israël ont l’impression d’être menacées. Elles restent traumatisées du 7 octobre.
Assiste-t-on à un affaiblissement de l’État de droit ?
D’un côté, le gouvernement français a presque négligé la situation à Gaza en condamnant vaguement Israël. Et de l’autre, des poursuites judiciaires se multiplient contre la gauche au titre d’une soi-disant « apologie du terrorisme ». Il s’agit là d’une utilisation dévoyée des lois à des fins de positionnement purement politique.
C’est notamment le cas à Lille avec l’interdiction d’une intervention de Jean-Luc Mélenchon à l’université ou de ce syndicaliste CGT qui a pris de la prison avec sursis pour des propos maladroits, ou encore de Mathilde Panot qui se retrouve convoquée par la police. Une récente manifestation en faveur des droits palestiniens a aussi été interdite avant d’être, finalement, autorisée. Ces pressions conduisent à une remise en cause de la liberté d’expression et de celle de manifester. Un véritable tournant s’opère dans le débat public et dans l’instrumentalisation de la parole politique.
Valérie Pécresse a annoncé suspendre les dotations de la région Île-de-France à Sciences-Po au motif de la mobilisation des étudiants pour Gaza…
Le traitement fait à Sciences-Po est inacceptable. Le premier ministre est même allé sur place donner des leçons en essayant d’instaurer sa propre vision de police de pensée sur le sujet. Et la décision de Mme Pécresse bâillonne les possibilités d’expression contestataire en coupant les vivres nécessaires au fonctionnement des universités, des écoles et des associations.
« Le RN profite au final de cette situation pour redorer son image. »
Cette menace inquiétante est une tendance qui se développe. Certains étudiants de Sciences-Po, sûrement minoritaires, ont voulu exprimer leur regard sur l’actuel gouvernement israélien vis-à-vis des crimes de guerre. Ils manifestent en faveur des droits des Palestiniens, mais ils sont directement catégorisés comme antisémites. Cet amalgame est extrêmement dangereux.
Comment observez-vous le traitement médiatique concernant ces blocages dans les universités, et plus généralement des mobilisations de soutien à Gaza ?
Dans l’ensemble, hormis certains journaux comme l’Humanité, le traitement médiatique est extrêmement déséquilibré. Depuis le 7 octobre, certaines chaînes d’information en continu amènent difficilement à soutenir la population civile palestinienne ou à condamner les crimes de guerre commis quotidiennement à Gaza par des militaires israéliens. Concernant le traitement médiatique sur Sciences-Po, Pascal Praud (CNews) avait qualifié les étudiants d’une « poignée de Che Guevara en barboteuse ». C’est dire le niveau du débat.
Est-ce que des partis politiques profitent de ce climat de répression et de tensions politiques ?
Si on prend l’exemple de l’extrême droite, elle se donne bonne conscience en défendant les Israéliens et les juifs alors que c’est un parti qui n’a rien renié de son passé antisémite. Le RN profite au final de cette situation pour redorer son image. Mais aucun parti politique n’est exempt de critique. À gauche, le débat est hélas conflictuel, guidé par la recherche du buzz. Certaines formules employées ne font qu’aggraver les affrontements.
C’est le cas de Jean-Luc Mélenchon, qui a tracé un parallèle entre l’attitude du président de l’université de Lille et le processus de banalisation du mal à l’œuvre dans l’Allemagne nazie. Ce sont des propos clivants, proches de l’outrance, qui ne sont pas de nature à faciliter la défense de la liberté d’expression.
Published by Section du Parti communiste du Pays de Morlaix
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dans
POLITIQUE NATIONALE
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