La poésie onirique et la fantaisie des tableaux de Chagall, la profonde tendresse amoureuse et nostalgique qui s'en dégage, en font un des peintres les plus aimés du grand public en France et en Europe. Peu de gens pourtant connaissent ces engagements pour la révolution communiste russe jusqu'en 1922. C'est cet épisode que nous allons explorer ici en revenant d'abord sur ses années de formation en Russie, à Vitebsk et Pétersbourg, et à Paris (1910-1914).
Marc Chagall est né sous le nom de Moyshe Segal le 7 juillet 1887 à Vitebsk, une petite ville située sur la Dvina, près de la frontière de la Lituanie, en Biélorussie. La communauté juive de Vitebsk, composée principalement de marchands, de fabricants, de petits commerçants, comptait 48 000 personnes sur une population d'environ 65 000 habitants. Elle avait survécu aux pogroms, au racisme, à la ségrégation et à la discrimination. Vitebsk était une des places fortes du judaïsme hassidique fondé en Europe centrale par Israël ben Eliezer, s'inspirant de la Kabbale. Ce mouvement devait sa grande popularité au fait qu'il s'opposait à l'intellectualisme élitiste du judaïsme talmudique. Il encourageait la communion intuitive entre les hommes et Dieu dans l'amour universel. Les Hassidim, les "pieux", aimaient chanter et danser, le cœur en extase. Cet amour et cette joie, Chagall a sans doute chercher à les communiquer à travers ses peintures. Moyshe est l'aîné de neuf ans. Le père, très pieux, est employé chez un marchand de harengs, la famille n'est pas riche et son père travaille beaucoup. Sa mère tient une petite épicerie et loue des maisons en rondins pour compléter les revenus de la famille. Moyshe Segal - Marc Chagall est adoré par sa mère et ses sœurs. Il dira plus tard: "Si je peins, c'est parce que je me souviens de ma mère, de ses seins qui m'ont nourri avec chaleur, m'ont exalté, et je suis prêt à décrocher la lune". Le jeune Chagall était aussi très attaché à son oncle Neuch, qui jouait du violon assis en tailleur sur le toit pour se détendre après des journées passées à acheter du bétail aux paysans de la région. Comme la plupart des autres garçons juifs, Chagall fut d'abord scolarisé à la Héder (école primaire traditionnelle juive) où il étudia l'hébreu et la bible. Les juifs n'avaient pas le droit de fréquenter les écoles publiques russes. Toutefois, lorsqu'il atteignit l'âge de treize ans, sa mère parvint à le faire inscrire à l'école communale en donnant au directeur un généreux pot-de-vin de cinquante roubles, somme non négligeable à l'époque. Là, son fils étudia le russe et endossa un uniforme semi-militaire, comme tous les autres écoliers russes. Il y passa six ans et s'intéressa vivement à la géométrie.
Au sortir de l'école, intéressé par l'art, Chagall va prendre des cours dans une école d'art pendant deux mois avec un artiste académique local de Vitebsk, Jehuda Pen. Parallèlement, il travaille comme apprenti retoucheur pour un photographe. Durant cette période, il noue aussi une profonde amitié avec un camarade, Victor Mekler, fils d'une riche famille juive. Tous deux décident de quitter Vitebsk pour suivre les cours d'écoles d'art à Saint-Pétersbourg. A cette époque, une telle démarche n'était pas une mince affaire car les juifs ne pouvaient résider en ville sans une autorisation spéciale. On ne délivrait de permis qu'aux artisans et aux universitaires pouvant attester d'un emploi stable, ainsi qu'aux commis des marchands de la région. Finalement, un commerçant que son père connaissait procura au jeune homme un permis l'autorisant à aller chercher des marchandises dans la capitale. Chagall et Mekler partirent pour Saint-Pétersbourg durant l'hiver 1906/1907.
Chagall a vingt ans quand il arrive à Pétersbourg. C'est un beau jeune homme énergique et ambitieux. On est peu après la révolution de 1905 qui avait entraîné plusieurs pogromes. Dans ce contexte de discrimination vis-à-vis des juifs, interdits d'école et d'université, limités dans leur droit à la circulation, Chagall n'a pas beaucoup d'atout pour se faire une place comme artiste, d'autant qu'il n'a que 27 roubles en poche que lui a donné son père. Il va survivre en travaillant à nouveau comme retoucheur chez un photographe, en échange du couvert. Il dira plus tard: "Mes moyens ne me permettaient pas de louer une chambre. Je n'avais même pas un lit pour moi tout seul. Il fallait le partager avec un ouvrier". Plus tard encore, il loua une chambre, séparée au milieu par un drap derrière lequel son colocataire, un ivrogne, menaça une nuit sa femme au couteau. Toutefois, il n'eut pas à subir cette indigence trop longtemps: il s'adressa au sculpteur I.S. Guinsbourg, ancien élève du célèbre sculpteur académique Antokolsky et ami de Léon Tolstoï et de Maxime Gorki. Issu d'une célèbre famille de banquiers, Guinsbourg le présenta à son frère, le baron David Guinsbourg. Celui-ci lui accorda une rente mensuelle de dix roubles, un arrangement qui dura près de six mois. Chagall devient en même temps peintre d'enseignes pour avoir un permis de travail qui lui permette de rester à Saint-Pétersbourg et de faire de temps en temps l'aller retour pour Vitebsk afin de voir sa famille. Il est présenté à plusieurs mécènes dans de riches familles juives mais il ne se sent pas à l'aise dans ses salons. Un des mécènes, Goldberg, l'héberge avec un statut officiel de domestique, lui permettant de loger chez lui. Chagall est recalé au concours de l’École des arts et métiers mais il réussit à intégrer l'école de la Société impériale pour la protection des Beaux-Arts dirigé par le peintre Nicolas Roerich.
Le séjour de Chagall à Saint-Pétersbourg est ponctué par de nombreux voyages à Vitebsk. C'est au cours de l'un de ces voyages que son ami Victok Mekler lui présenta Théa Brachmann, qui étudiait à Saint-Pétersbourg et qui, plus tard, devait poser régulièrement pour lui. En octobre 1909, il rencontra chez elle Bella Rosenfeld, sa future femme. Dans "Ma vie", Chagall décrit cette première rencontre avec la femme de sa vie:
"Son silence est le mien. Ses yeux, les miens. C'est comme si elle me connaissait depuis longtemps, comme si elle savait tout de mon enfance, de mon présent, de mon avenir; comme si elle veillait sur moi, me devinait du plus près, bien que je la voie pour la première fois. Je sentis que c'était elle ma femme. Son teint pâle, ses yeux. Comme ils sont grands, ronds et noirs. Ce sont mes yeux, mon âme."
Comme les parents de Chagall, ceux de Bella sont très religieux. Ils font partie des familles les plus riches de Vitebsk, possèdent plusieurs bijouteries. Bella, qui aimait passionnément le théâtre, était une étudiante brillante qui fréquentait l'école supérieure de jeunes filles à Moscou. A Saint-Pétersbourg, Chagall va suivre les cours de l'école Zvanseva, influencée par l'Art Nouveau, avec le peintre Léon Bakst, connu pour ses décors de théâtre et ses costumes réalisés pour le Ballet russe, fondateur avec Alexandre Benois et Serge Diaghilev du groupe avant-gardiste "Mir Iskousstva" (Le Monde de l'Art). A cette époque, Chagall peint une cinquantaine d’œuvres inspirées souvent par le folklore juif et ses souvenirs de Vitebsk. Il en vend peu, rêve de ce rendre à Paris, la capitale de l'art et de la culture à l'époque.
Max Vinaver, collectionneur de tableaux et mécène, va l'aider dans ce projet, et Chagall va passer quatre ans à Paris de 1910 à 1914, où il retrouve son ancien camarade et ami Victor Mekler. Dans un premier temps, il aménage dans un atelier au n)18 impasse du Maine (aujourd'hui impasse Bourdelle) qu'il loue au peintre Ehrenbourg, un parent du célèbre écrivain russe Ilia Ehrenbourg, futur cadre bolchevique. C'est à Paris que Chagall peint ses plus belles toiles "russes", sous l'influence de la nostalgie, mais surtout des grandes œuvres qu'il peut voir au Louvre, dans les salons et les galeries. Les cubistes et les fauves exercent une influence sur sa peinture. Au cours de l'hiver 1910/1911, Chagall emménage à La Ruche, au 2, passage Dantzig, à proximité des abattoirs de la rue Vaugirard, un ensemble de 150 ateliers d'accès bon marché accueillant des peintres, des poètes et écrivains du monde: Chagall y côtoie Fernand Léger, Modigliani, Chaïm Soutine, Cendrars, André Salmon, etc. A cette époque, La Ruche compta même parmi ses locataires un certain Vladimir Ilitch Oulianov, Lénine.
Chagall devient très ami avec l'écrivain Blaise Cendrars, qui parle russe. Cendrars lui trouve des titres pour certaines de ses œuvres, lui dédie des poèmes comme "Portrait" et "L'Atelier":
Portrait
Il dort
Il est éveillé
Tout à coup, il peint
Il prend une église et peint avec une église
Il prend une vache et peint avec une vache
Avec une sardine
Avec des têtes, des mains, des couteaux
Il peint avec un nerf de bœuf
Il peint avec toutes les sales passions d’une petite ville juive
Avec toute la sexualité exacerbée de la province russe
Pour la France
Sans sensualité
Il peint avec ses cuisses
Il a les yeux au cul
Et c’est tout à coup votre portrait
C’est toi lecteur
C’est moi
C’est lui
C’est sa fiancée
C’est l’épicier du coin
La vachère
La sage-femme
Il y a des baquets de sang
On y lave les nouveaux-nés
Des ciels de folie
Bouches de modernité
La Tour en tire-bouchon
Des mains
Le Christ
Le Christ c’est lui
Il a passé son enfance sur la croix
Il se suicide tous les jours
Tout à coup, il ne peint plus
Il était éveillé
Il dort maintenant
Il s’étrangle avec sa cravate
Chagall est étonné de vivre encore
In Dix-neuf poèmes élastiques, Blaise Cendrars
Atelier, Blaise Cendrars, octobre 1913
La Ruche
Escaliers, portes, escaliers
Et sa porte s'ouvre comme un journal
Couverte de cartes de visite
Puis elle se ferme.
Désordre, on est en plein désordre
Des photographies de
Léger, des photographies de
Tobeen, qu'on ne voit pas
Et au dos
Au dos
Des œuvres frénétiques
Esquisses, dessins, des oeuvres frénétiques
Et des tableaux...
Bouteilles vides
Nous garantissons la pureté absolue de notre sauce
tomate-Dit une étiquette
La fenêtre est un almanach
Quand les grues gigantesques des éclairs vident les
péniches du ciel à grand fracas et déversent des bannes
de tonnerre
Il en tombe
Pêle-mêle
Des cosaques le
Christ un soleil en décomposition
Des toits
Des somnambules des chèvres
Un lycanthrope
Pétrus
Borel
La folie l'hiver
Un génie fendu comme une pêche
Lautréamont
Chagall
Pauvre gosse auprès de ma femme
Délectation morose
Les souliers sont éculés
Une vieille marmite pleine de-chocolat.
Une lampe qui se dédouble
Et mon ivresse quand je lui rends visite
Des bouteilles, vides "
Des bouteilles
Zina
(Nous avons parlé d'elle)
Chagall
Chagall
Dans les échelles de la lumière
Chagall dédie aussi des tableaux à Apollinaire, fait des portraits de lui, illustre ses poèmes. Apollinaire, de son vrai nom Wilhelm Apollinaris de Kostrwitsky, fils illégitime d'une noble polonaise et d'un officier italien, qui en retour lui dédiera aussi un très beau poème au printemps 1914, "Rotsoge":
A M. Ch.
Rotsoge
Ton visage écarlate ton biplan transformable en
hydroplan
Ta maison ronde où il nage un hareng saur
Il me faut la clef des paupières
Heureusement que nous avons vu M Panado
Et nous somme tranquille de ce côté-là
Qu’est-ce que tu vois mon vieux M.D…
90 ou 324 un homme en l’air un veau qui regarde à
travers le ventre de sa mère
J’ai cherché longtemps sur les routes
Tant d’yeux sont clos au bord des routes
Le vent fait pleurer les saussaies
Ouvre ouvre ouvre ouvre ouvre
Regarde mais regarde donc
Le vieux se lave les pieds dans la cuvette
Una volta ho inteso dire chè vuoi
je me mis à pleurer en me souvenant de vos enfances
Et toi tu me montres un violet
épouvantable
Ce petit tableau où il y a une voiture
m’a rappelé le jour
Un jour fait de morceaux mauves
jaunes bleus verts et rouges
Où je m’en allais à la campagne
avec une charmante cheminée
tenant sa chienne en laisse
Il n’y en a plus tu n’as plus ton petit
mirliton
La cheminée fume loin de moi des
cigarettes russes
La chienne aboie contre les lilas
La veilleuse est consumée
Sur la robe on chu des pétales
Deux anneaux près des sandales
Au soleil se sont allumés
Mais tes cheveux sont le trolley
À travers l’Europe vêtue de petits
feux multicolores
Guillaume Apollinaire, Ondes, Calligrammes 1918
Le travail de Chagall, même influencé par les Fauves, le cubisme, l'orphisme de Robert Delaunay, était d'abord poétique et imprégné dans profond sens de l'humour, il n'est pas étonnant que son talent ait d'abord été reconnu par des peintres et des écrivains. Pendant la dernière année qu'il passa à Paris, tout en continuant à peindre des scènes de la vie de Vitebsk marquées par la poésie de l'enfance, le folklore juif et russe et une forme de surréalisme avant l'heure, Chagall se met aussi à représenter des vues parisiennes, notamment le chef d’œuvre "Paris à travers ma fenêtre" de 1913 qui nous montre la Tour Eiffel, un parachutiste, un métro renversé, un chat à tête d'homme et deux promeneurs à l'horizontale devant la silhouette de la vie. Au premier plan, une tête de Janus, un visage jette un regard nostalgique sur Vitebsk, l'autre dirige son regard sur Paris. Pendant tout son séjour à Paris, Chagall ne cesse de penser à Bella, qui lui manque cruellement. Pour pouvoir se rapprocher d'elle, il accepte une invitation de Herwarth Walden à Berlin pour y exposer ses œuvres. Il y arrive en mai 1914, et expose quarante toiles et cent gouaches dans les bureaux de la rédaction de "Der Sturm", organe de l'avant-garde le plus important d'Allemagne avec lequel travaille notamment Vassili Kandinsky. Quelques semaines plus tard, la Première guerre mondiale éclate et la frontière russe s'est refermé hermétiquement sur Chagall qui était revenu à Vitebsk à la mi juin 1914.
Après quatre années éblouissantes à Paris, où son art s'était révélé, Chagall était de retour dans sa ville natale. Bella venait de rentrer de Moscou où elle avait étudié l'art dramatique avec le metteur en scène Kostantin Stanislavsky. Les lettres qu'ils avaient échangé tout au long de leur séparation s'étaient peu à peu limitées à de simples compte rendus factuels. Mais Bella retrouva avec plaisir Marc Chagall et le rejoignit très souvent dans son petit atelier où il peint une soixantaine de tableaux entre 1914 et 1915, sur du carton et du papier parfois, par manque de toiles. Les Rosenfeld n'étaient pas très enthousiastes à l'idée de voir leur fille épouser un peintre issu d'une famille pauvre. Malgré leur forte opposition, le couple se maria en juillet 1915. Tandis que la guerre se rapprochait sans cesse de Vitebsk, Chagall entreprit vainement des démarches pour retourner à Paris. Il fut mobilisé mais son beau-frère Jacov Rosenfeld lui permit de trouver un poste relativement protégé au Bureau d'écononomie de guerre qu'il dirigeait à Saint-Péterbourg. Là-bas, Chagall se lia d'amitié avec Vladimir Maïakovsky, Alexandre Blok, Sergeï Essénine, Boris Pasternak. Sa production pendant la guerre est d'une grande qualité.
Au printemps 1916, Bella mit au monde leur premier enfant, Ida.
Février, puis octobre 1917.
Chagall accueille avec joie la révolution qui apporte la fin de la ségrégation. Les contraintes concernant les déplacements en ville pour les juifs sont supprimés, ils sont autorisés à fréquenter des établissements supérieurs. Comme lui, de nombreux artistes, écrivains, intellectuels juifs, sympathisent avec les bolcheviques.
A trente ans, Chagall était déjà un peintre connu. La révolution voulait promouvoir de nouvelles formes d'art, d'avant-garde, dans la peinture, la musique, la poésie. Les suprématistes et les constructivistes, menés respectivement par Casimir Malévitch et Vladimir Tatline, entamèrent un long duel pour imposer leurs concepts. Parmi les artistes qui participèrent activement à la révolution se trouvait également El Lissitzky, qui était encore à cette époque un peintre figuratif et illustrait des livres yiddish ainsi que la "Pessah-Haggadah". Anatole Lounatcharsky, de retour de son exil à Paris, fut nommé par les bolchéviques Commissaire du peuple à l'éducation et à la culture. Chagall étant considéré comme un artiste d'avant-garde, Lounatcharsky songea à lui confier la direction des beaux-arts. Maïakovsky s'occuperait de la poésie et Meyerhold du théâtre. Mais Bella dissuada son mari de s'engager à ce point dans la Révolution et le couple rentra à Vitebsk où il s'installa confortablement dans la grande demeure des Rosenfeld au cours du premier hiver de la révolution.
Mais Chagall avait envie de s'engager socialement et artistiquement pour le renouveau culturel engagé par la révolution bolchevique. En 1918, il envoie à Lounatcharsky un projet pour monter une école des beaux-arts à Vitebsk. Enthousiasmé, celui-ci l'invite à venir en discuter avec lui dans son bureau du Kremlin. Le 12 septembre 1918, Chagall est nommé officiellement commissaire aux Beaux-Arts à Vitebsk, responsable des musées, expositions, écoles d'art, conférences et toute autre manifestation artistique. Entre septembre 1918 et mai 1920, il s'impliqua corps et âme dans son nouveau travail, harcelant les autorités pour avoir des fonds pour financer ses ambitieux projets: son école d'art invite les plus grands maîtres de l'avant-garde à enseigner à Vitebsk, comme Malevitch et El Lissitzky, mes aussi des artistes désormais plus académiques comme l'ancien professeur de Chagall, Jehouda Pen et son ami Victor Mekler. C'est Chagall qui organisa les festivités artistiques pour le premier anniversaire de la révolution bolchevique à Vitebsk, voulant faire descendre l'art dans la rue.
En 1919, l'Académie de Vitebsk connaît une révolution de Palais comme Malévitch s'oppose vivement aux conceptions de l'art véhiculées par Chagall, suivi par Lissitsky, qui commençait lui aussi à tourner le dos à la figuration. Bientôt tout le corps enseignant de l'Académie Libre de Vitebsk se déchira à grand renfort de débats houleux sur les questions esthétiques.
En 1919 toujours, Chagall participe à la "Première exposition officielle d'art révolutionnaire" organisée au Palais d'hiver de Pétrograd. Elle rassemble 3000 œuvres de 359 artistes et Chagall y occupe une place d'honneur, les deux premières salles du Palais lui étant entièrement consacrées. Le gouvernement lui achète douze tableaux pour les collections d’État. Chagall va à Moscou pour réclamer d'autres fonds pour la culture à Vitebsk à Anatoly Lounatcharsky. Sur le chemin, il constate les désastres de la guerre civile. En rentrant à Vitebsk, il découvre avec horreur que l'enseigne de l'"Académie libre de Vitebsk" a été remplacée par une autre, annonçant l'"Académie suprématiste". Durant son absence, Malevitch et ses partisans avaient pris le pouvoir et limogé des professeurs qui ne revendiquaient pas le parti pris de l'art géométrique et abstrait. Chagall se sentit poignardé dans le dos et démissionna, repartant à Moscou dans un train à bestiaux, et ne revenant à Vitebsk que fin 1919. Son père meurt à ce moment là. En mai 1920, Chagall, Bella et leur fille Ida s'installent à Moscou tandis que Malevitch devient le nouveau directeur de l'Académie de Vitebsk, qui devient l'"École de l'art nouveau".
Chagall va réaliser des décors de théâtre à Moscou, notamment pour le "Théâtre juif Kamerny", un théâtre de 90 places. A Moscou, en 1920, avec la guerre civile, la famine, la vie devenait de plus en plus difficile, et la possibilité de développer un art créatif et libre de plus en plus compromise avec les difficultés de la guerre et le durcissement du régime en période de guerre. Le directeur du théâtre juif n'avait plus d'argent pour payer ses cachets. Chagall emménagea avec sa famille à Malakhovka, une petite ville dans les environs de Moscou, moins chère que Moscou. Il enseigna le dessin aux orphelins de guerre de Malakhovka. Les enfants adoraient le camarade Chagall et celui-ci le leur rendait bien, s'inspirant de leurs dessins naïfs. Chagall passa 1921 et le début de l'année 1922 dans des conditions précaires matériellement. Plusieurs artistes, y compris partisans du communisme, commençaient à émigrer, devant les difficultés de la vie en Russie en cette époque, comme Lissitsky, à Berlin. Chagall écrivait son auto-biographie "Ma vie" tout en préparant un départ en Europe. A Berlin, on lui écrivait que ses tableaux se vendaient très bien. Finalement, Chagall parvint à obtenir un visa et un passeport grâce à l'aide de son ami le commissaire du peuple Lounatcharsky et à quitter son pays, "non pour des raisons politiques", comme il tint à le préciser, "mais pour des motifs purement personnels". Il quitta seul la Russie, d'abord pour Berlin. Bella et Ida devaient le rejoindre plus tard. Puis à l'été 1923, ils se retrouvèrent tous à Paris où Chagall et Bella vécurent jusqu'en 1941, devenant une des influences et un modèle du mouvement surréaliste, mais, même si Breton l'invita officiellement à rejoindre le mouvement surréaliste, Chagall se méfiait du sectarisme de l'avant-garde depuis l'épisode Malevitch et Lissitsky à Vitebsk, et déclina l'invitation.
Sources:
Chagall 1887-1985, Jacob Baal Teshuva, Taschen, 2003
Marc Chagall les Années russes, 1907-1922 - Musée d'art moderne de la ville de Paris
Lire aussi:
Littérature soviétique - Carnets de guerre de Vassili Grossman (Calmann-Lévy, présenté par Antony Beevor et Luba Vinogradova) - Suivi de Treblinka
Littérature soviétique - Mikhaïl Boulgakov, l'auteur du Maître et Marguerite, un génie baroque à l'époque du Stalinisme (1891-1940)
Communist'Art : Vladimir Maïakovski
COMMUNIST'ART: Tina Modotti (1896-1942): photographe et agent communiste cosmopolite au destin extraordinaire
Communist'Art: Charlotte Delbo
COMMUNIST'ART: Mahmoud Darwich, le poète national palestinien, voix universelle de l'amour et de la nostalgie (1941-2008)
Un grand poète victime de la barbarie nazie - le 8 juin 1945, mort de Robert Desnos au camp de Terezin
COMMUNIST'ART: Paul Eluard - par Hector Calchas
COMMUNIST'ART: Frida Kahlo - par Hector Calchas
COMMUNIST'ART: Louis Aragon par Hector Calchas
COMMUNIST’ART - Erik Satie
COMMUNIST'Art: Fernand Léger
COMMUNIST'ART - Jacques Prévert, par Hector Calchas
COMMUNIST'ART: Elio Petri, le cinéaste renégat - par Andréa Lauro
COMMUNIST'ART: Mario Monicelli, cinéaste italien, auteur de Les camarades (1963)
Communist'Art: Soy Cuba - Un film de Michail Kalatozov, une émotion visuelle incroyable qui laisse enchantés et déconcertés - la chronique cinéma d'Andréa Lauro
Tina Modotti (1896-1954): photographe et agent communiste cosmopolite au destin extraordinaire
La leçon de Frida...
Frida Kahlo, une vie amoureuse et tragique, une vie en rouge
Mexique enchanté, Mexique maudit, Mexique de l'art et de la culture révolutionnaires: une exposition magnifique au Grand Palais à Paris sur les artistes du Mexique entre 1900 et 1950
La chronique cinéma d'Andrea Lauro - Patricio Guzmán: Transformer la mémoire personnelle en mémoire collective n’est pas impossible
Luchino Visconti: celui qui ouvrit les portes du Néoréalisme entre beauté et Résistance, partie 1 - la chronique cinéma d'Andrea Lauro
Luchino Visconti: celui qui ouvrit les portes du Néoréalisme entre beauté et Résistance - partie 2 La guerre et le Néoréalisme : Ossessione
La chronique cinéma d'Andréa Lauro - Luchino Visconti: celui qui ouvrit les portes du Néoréalisme entre beauté et Résistance, Partie 3
Heimat, l’œuvre monumentale du réalisateur allemand Edgar Reitz - la critique cinéma d'Andréa Lauro pour le Chiffon Rouge