"Aujourd'hui reconnue comme une photographe capitale de l'art d'avant-guerre, Tina Modotti passa sa vie à la pointe des mouvements les plus avancés en art et en politique dans la première moitié du XXe siècle. Femme profondément moderne, fumant la pipe et parmi l'une des premières à porter des salopettes en jean, Modotti se moquait des conventions, dans ses relations personnelles ou professionnelles", ainsi s'ouvre la monographie consacrée à Tina Modotti, photographe, par Margaret Hooks (édition Könemann).
Tina Modotti, fut une femme libre, une sacrée beauté, une artiste et une militante au destin extraordinaire.
Elle est née à Udine, dans le Nord de l'Italie, en 1896.
Margaret Hooks rapporte que "son père, Giuseppe Modotti, la promenait sur ses épaules le 1er mai, pour aller entendre les chants et discours politiques de ses camarades ouvriers. Quelques années plus tard, cherchant à améliorer ses conditions de vie et celles de sa famille, il émigra en Amérique. Son départ plongea la famille dans une pauvreté que Tina ne devait jamais oublier. A 14 ans à peine, elle devint la seule pourvoyeuse de revenus de la famille, travaillant de longues et pénibles heures dans une usine de soie locale.
Quelques temps après, comme sa situation s'améliorait, Giuseppe fit venir sa femme et ses enfants à San Francisco".
Tina débarque à San Francisco en 1913. Elle trouve rapidement un emploi comme couturière dans le prestigieux magasin I. Magnin. Mais ses employeurs remarquent vite sa beauté romanesque et elle est bientôt employée comme mannequin présentant les dernières collections du magasin.
Elle se fait remarquer par le peintre Roubaix de Abrie Richey qui décide de l'épouser. Un an plus tard, elle abandonne sa carrière de mannequin pour jouer dans le théâtre italien local, participant à des opérettes de qualité médiocre. Malgré tout, son talent d'actrice la fait remarquer par un chasseur de talents de l'industrie hollywoodienne du film muet en pleine évolution.
Tina Modotti arrive ainsi à Los Angeles fin 1918 et obtint les rôles principaux de deux longs métrages mélodramatiques: "The Tiger's Coat" et "I Can Explain".
A Los Angeles, Modotti fréquente le milieu des artistes, des anarchistes, des jeunes hommes qui ont échappé à leurs obligations militaires pendant la première guerre mondiale, tous fascinés par l'art moderne et l'amour libre, le mysticisme oriental et la révolution mexicaine.
C'est grâce à ce nouveau groupe d'amis que Modotti rencontre le célèbre photographe américain Edward Weston, alors marié et père de quatre garçons. La liaison entretenue par Modotti et Weston conduit Robo, le mari de Modotti, à se retirer temporairement au Mexique où il mourut subitement et tragiquement de la variole, deux jours après que Modotti l'ait rejoint. Elle resta à Mexico pour superviser une exposition des travaux de Robo, de Weston, et d'autres photographes américains, mais son séjour fut brutalement interrompu par la nouvelle de la maladie, puis de la mort de son père.
"Cette double perte, commente Margaret Hooks, et la relation qui s'intensifiait entre elle et Waston suscitèrent une nouvelle prise de conscience chez Modotti. Elle ne pouvait plus se satisfaire des rôles stéréotypés que lui offrait Hollywood, ni de son rôle de modèle devant les objectifs de Weston". Elle commença à travailler à la photographie avec Weston et son ami Hagemayer. Son oncle Pietro Modotti était déjà photographe à Udine.
En juillet 1923, Modotti retourna au Mexique, cette fois avec Weston, son fils Chandler et un accord aux termes duquel Weston lui apprendrait la photographie en échange de son aide au studio. Le Mexique post-révolutionnaire était en pleine effervescence sociale et culturelle et leurs maisons de Mexico devinrent des lieux de réunions célèbres où se retrouvaient écrivains, artistes radicaux tels que Diego Rivero, Anita Brenner ou Jean Charlot. Le samedi soir, des fêtes tumultueuses étaient l'occasion de se travestir, de fomenter des révolutions et d'échanger des idées sur l'art.
Instruite par Weston, Tina Modotti explora les possibilités d'un art photographique avant-gardiste et volontiers formaliste.
Mais plus son séjour à Mexico se prolongeait, plus elle éprouvait la nécessité de s'engager socialement dans son art, pour représenter le peuple en prise avec la réforme agraire et les injustices sociales.
Au coeur de la révolution culturelle mexicaine se trouvaient les fresquistes monumentaux toujours en concurrence pour trouver un espace mural apte à recevoir leurs somptueuses et immenses peintures. Son amitié avec ces peintres, en particulier avec Diego Rivera pour qui elle posa à de nombreuses reprises, fit de Modotti la photographe la plus recherchée pour ce type de travaux. Elle fut influencée par les idées communistes de ces peintres muralistes.
La rupture avec Weston eut lieu en novembre 1926. Après le départ de Weston, Modotti entra dans sa période la plus productive en tant que photographe. La demeure de Modotti était devenue un foyer d'activité pour les exilés d'Amérique Latine dont elle soutenait activement les luttes de libérations nationales. C'était aussi un lieu de rendez-vous pour des artistes mexicains comme Rufino Tamayo, le photographe Manuel Alvarez Bravo et la jeune Frida Kahlo. En 1928, elle partagea pendant plusieurs mois la vie d'un jeune révolutionnaire cubain en exil, Julio Antonio Mella, qui fut abattu devant elle par des opposants politiques dans une sombre rue de Mexico.
En dépit du caractère clairement politique de cet assassinat, le gouvernement mexicain se servit du procès contre les communistes, essayant de démontrer leur supposée immoralité en impliquant Modotti dans un "crime passionnel". "L'enquête qui s'ensuivit, raconte Margaret Hooks, prit la tournure d'une véritable inquisition sur la vie sexuelle de Tina Modotti. Sa maison fut retournée par la police et les études de nus que Weston avait fait d'elle saisies comme preuve de son immoralité, ce qui causa un tort irréparable à sa réputation et à sa carrière".
Modotti finit par être acquittée, mais l'assassinat de Mella et l'épreuve du procès provoquèrent chez elle une violente réaction qui trouva à s'exprimer dans l'engagement social. Elle s'engagea à fond dans le photojournalisme dans le journal communiste mexicain de Mella, El Machete?
Au début 1930, un attentat dirigé contre le président du Mexique et une vague de répression consécutive sur les membres du PCM eurent pour conséquence l'arrestation de Modotti. Elle retrouva Vittorio Vidali, agent soviétique, italien comme elle, qu'elle avait rencontré à Mexico en 1927 et tous deux gagnèrent l'Europe. Vidali tenta de convaincre Modotti de la suivre à Moscou mais elle souhaitait s'installer à Berlin. Là, elle fut en contact avec le Bauhaus. Déçue par l'Allemagne, elle rejoignit Vidali à Moscou six mois plus tard. Et de là, décida de se consacrer entièrement à la lutte pour le communisme et contre le fascisme en travaillant pour le Secours Rouge International. Utilisant plusieurs identités différentes, elle pénétra dans des pays sous régimes fascistes pour y assister les familles des prisonniers politiques. En 1936, Modotti et Vidali étaient en Espagne dès le début de la guerre civile, participant à la défense de Madrid sous les noms de "Commandante Carlos" et de "Maria". Tina Modotti joua alors un rôle important dans l'organisation de l'aide internationale à la cause républicaine.
Après la défaite des républicains en 1939, elle rentra à contrecoeur au Mexique sous une identité d'emprunt - Dr. Carmen Sanchez - elle évita les amis des amis des années 20, préférant la compagnie des réfugiés politiques en provenance de pays sous contrôle fasciste.
Vers la fin de 1941, elle reprit peu à peu contact avec certains de ses anciens amis, comme le fresquiste Clemente Orozco. Le 6 janvier 1942, rentrant d'un dîner chez un ami, l'architecte du Bauhaus Hannes Meyer, elle mourut de ce qu'on présuma être une crise cardiaque sur le siège arrière d'un taxi de Mexico.
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