Une nouvelle ère s'ouvre au Mexique quand la révolution contre la dictature du président Porfirio Diaz, élu pour la septième fois, éclate, avec l'insurrection menée par Madero, Emiliano Zapata, Pancho Villa. Vont suivre dix années de guerre civile terrible qui vont faire un million de morts au bout desquels une stabilité relative va finir par s'installer.
La septième élection que brigue Diaz met le feu aux poudres. Le 20 novembre 1910, « l’apôtre de la révolution », Francisco Ignacio Madero, déclencha une insurrection. Commençait alors dix ans d’une guerre civile qui fait un million de mort.
C’est finalement Alvaro Obregons qui, ayant assassiné Zapata le 10 avril 1919, met fin à ces dix années de lutte.
"A partir de 1920, avec la création d'un ministère des affaires culturelles au Mexique sous la direction de José Vasconcelos, l'alphabétisation fut non seulement poussée, mais un vaste mouvement de renouveau culturel fut en même temps mis en branle. Son but était l'assimilation sociale et l'intégration culturelle de la population indienne ainsi que le recouvrement d'une culture mexicaine autonome. Alors que les éléments culturels indiens avaient été refoulés depuis la conquête espagnole et que l'art académique influencé par l'Europe avait été encouragé depuis le XIXe siècle jusqu'à la Révolution, la réorientation ne tarda plus. Beaucoup d'artistes, qui avaient trouvé dégradante l'imitation des modèles étrangers jusque-là courante, réclamèrent désormais un art mexicain indépendant détaché de l'académisme. Ils exigèrent que l'on se souvienne de ses origines mexicaines et que l'on revalorise l'art populaire" (Andrea Kettenmann, Frida Kahlo 1907-1954: Souffrance et passion, Taschen).
L'exposition du Grand Palais consacrée aux artistes mexicains apporte une grande bouffée d'air frais aux musées de peinture parisiens, des couleurs chatoyantes et une beauté brute, violente, renvoyant à la vie, à l'histoire vibrante et au peuple. On y découvre ou y redécouvre des artistes extraordinaires, profondément originaux, qui avaient un engagement social et révolutionnaire très fort.
Auparavant, au début du siècle, plusieurs artistes mexicains vont trouver aussi leur inspiration à Paris, ville des avant-gardes au début du XXe siècle, comme le très grand Diego Rivera qui s'installe à Montparnasse en 1911 et restera dix ans, partageant un temps le même immeuble que Mondrian. A Montparnasse, il fréquente Pablo Picasso et Fernand Léger, deux artistes qui deviendront communistes comme lui. André Salmon décrit Rivera alors comme "un géant bafouilleur, modérément chevelu mais échevelé, barbu suffisamment, montrant les dents, costaud jusqu'à faire impression mais mal bâti; quelque chose comme un gorille abonné aux séances de croquis d'une Académie..."
Un "gorille" épicurien beau parleur et jouisseur et un homme à femme. Comme en témoigne la beauté de ses conquêtes, Lupe sa seconde femme, Guadalupe, "au port de reine, un rien hautaine, la démarche d'un félin" qui fait l'admiration de Edmund Winston, le grand photographe américain amant de Tina Modotti vivant avec elle à Mexico de 1923 à 1926, Frida Kahlo, bien sûr, sa seconde femme, et ses conquêtes passagères comme la belle artiste italienne Tina Modotti. Diego Rivera rencontra Frida Kahlo en 1929 grâce au cercle communiste de Tina Modotti et du réfugié cubain Julio Antonio Mella.
Edmund Winston dans son journal raconte ses soirées avec Diego Riviera et Lupe:
"19 novembre, le soir. Diego et Lupe Rivera étaient chez nous, roucoulant, cette fois, comme des tourtereaux. Ce sont des "nino" par ci, "nina" par là. Elle arborait un nouveau collier de corail. Elle plaisante: "A Guadalajara, tout le monde prenait Diego pour mon père. Quand je disais que c'était mon mari, on me demandait: comment peut-on épouser un tel éléphant?"
" 7 décembre. Chez Monna et Rafael pour le chocolat, lequel est servi à six heures l'après-midi, au lieu de cinq heures, pour le thé. Présence d'un sénateur mexicain et de sa guitare, charro (cow-boy) élancé et chic. Il s'est battu deux ans aux côtés de Villa, pendant la Révolution. Chacun, ici, semble avoir participé aux combats. "Villa était sans doute l'homme le plus aimé des Mexicains, nous confie le sénateur. C'était une personnalité exceptionnelle, qui a mené un juste combat pour les opprimés". Et nous qui, aux Etats-Unis, grâce à la presse censurée, prenions Villa pour un gangster! Lupe et le sénateur fredonnent tout au long de la soirée des chansons populaires mexicaines, quelques-unes à la mémoire et à la gloire de Pancho Villa. Diego est présent. Je l'examine avec attention. Son six-coup et sa cartouchière, prêts à servir, contrastent étrangement avec son sourire avenant. On l'a surnommé le Lénine de Mexico. Ici les artistes sont proches du Parti Communiste.. Rivera possède de petites mains délicates, celles d'un artisan. Ses cheveux se dégarnissent autour du front, laissant un vide de près de la moitié de son visage, sorte de dôme majestueux, large, étiré. Chandler, sidéré par Diego, ses formes imposantes, son rire contagieux, son énorme pistolet, me demande: "S'en sert-il lorsqu'on critique ses oeuvres?"
Rentré au Mexique en 1922, Diego Rivera va devenir un des très grandes peintres muralistes mexicains, avec le français émigré au Mexique Jean Charlot, Orozco, Siqueiros, peintre communiste comme Rivera.
Paysage zapatiste (1913, Paysage zapatiste) - à cette époque les paysages et portraits cubistes de Diego Rivera rivalisent avec ceux de Picasso que Rivera n'hésitera pas d''ailleurs à accuser de plaggiat
Diego Rivera: "L'homme à la croisée des chemins" (1924) - fresque au Rockefeller Center de New York ( Rivera y introduit le portrait de Lénine)
Autoportrait de Frida Kahlo (vers 1938) - "The Frame" - pour l'exposition Mexique organisée par André Breton à Paris en 1939, petit format avec des ornements floraux
"Les deux Frida" (1939): ce tableau fascinant et atroce peint peu après le divorce de Frida Kahlo avec Diego Rivera exprime toute la souffrance de l'artiste, divisée entre elle-même, dont le coeur est mis à nu
Frida Kahlo, après sa rupture en 1939, se remarie avec Diego Rivera en 1940 à San Francisco. Cette photo bouleversante prise à l'hôpital ABC de Mexico où Frida séjourna 9 mois suite à la dégradation de son état de santé date de 1950: Frida est opérée 7 fois de la colonne vertébrale et passe neuf mois à l'hôpital. Elle mourra dans sa maison bleue en 1954 tandis que Rivera mourra la même année que Malcom Lowry, l'auteur de "Au-dessous du volcan", en 1957. Frida Kahlo avait adhéré au Parti Communiste Mexicain en 1948. Elle était déjà un compagnon de route, s'engageant dans la solidarité avec les républicains espagnols, même si elle avait hébergé Léon Trotski et sa femme Natalia Sedova en 1937. Diego Rivera était allé à Moscou en 1927, Siqueiros en 1928.
"Sueno de la Malinche" - le rêve de Malinche (la femme aztèque de Cortès) de Antonio Ruiz (1939): huile sur bois 30 x 40 cm
Francisco Goita, Tata Jesuchristo (1925-1927) - Francisco Goita donne une image non idéalisée, emprunte d'un dégoût profond de la violence et des horreurs de la guerre, de la révolution mexicaine
"La Révolution, le peuple en armes: Les Soldats de Zapata" - David Alfaro Siqueiros, fresque du musée national d'histoire à Mexico
Siqueiros 1945: Nouvelle Démocratie - la Démocratie inquiète et douloureuse se libère du fascisme après la victoire contre les nazis
David Alfaro Siqueiros naît à Chihuahua (nord du Mexique) en 1896. Il a 13 ans quand ses parents partent s'installer à México. Comme Orozco, il est étudiant à l'école des Beaux-arts de Mexico, anciennement Académie "Sans carlos" ainsi qu'à l'école de Peinture Santa Anita. Comme beaucoup d'autres jeunes, c'est un idéaliste qui ne supporte plus la dictature étouffante de Porfirio Díaz. En 1914, il décide de s'engager aux côtés des révolutionnaires. A 20 ans, il est sous-lieutenant de l'Armée Constitutionnaliste. Il reste quatre ans et devient gradé. Cette expérience guerrière le marquera profondément et influencera son œuvre. Comme il le dira lui-même : « Sans cette participation à la Révolution, il n'aurait pas été possible plus tard de concevoir et de réaliser le mouvement pictural moderne mexicain ». Oui, de cette révolution politique naîtra une révolution artistique qui se concrétisera dans les fresques de Siqueiros mais aussi dans celles de Rivera, d'Orozco, d'O'Gorman... En 1919, il part en Europe. Il visite Paris où il peut y rencontrer Diego Rivera qui s'y trouve déjà depuis quelques années. Cette amitié lui permet de rencontrer les cercles artistiques alors en pleine ébullition à Paris. Il aiguise aussi sa conscience politique et sociale au contact des théoriciens et des activistes de tous bords. En septembre 1922, on le retrouve à Barcelone, où il publie un « Manifeste pour un Art Révolutionnaire Mexicain ». Le ton est donné...
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