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15 mai 2020 5 15 /05 /mai /2020 05:23

 

La politique étrangère de Trump produit le paradoxe de voir la puissance qui a pour l’essentiel façonné et conditionné le cadre et les règles des relations internationales depuis 1945 les contester aujourd’hui fondamentalement pour assouvir son rêve de « suprématie globale permanente ».

Première puissance mondiale économique et militaire, chantre du capitalisme, les États-Unis sous l’admi­ni­stration Trump entendent restaurer leur hégémonie sans partage sur les peuples et pays du monde. La domination US est toutefois contestée. Le « na­tio­n­alisme antimondialiste » du business milliardaire devenu président en 2016, Donald Trump, qui « mêle la revendication d’une Amérique forte (strong again ) et prioritaire (America first ) » distingue la puissance américaine mais l’isole également.
À l’occasion de son discours d’investiture de janvier 2017, Donald Trump exposait sa vision du monde qui se réduirait à deux catégories, « ceux qui auraient des comptes à rendre aux États-Unis, et ceux qui au contraire méritent leur soutien ». Le quarante-cinquième président des États-Unis rappela à qui voulait encore l’ignorer que « le fondement de [sa] politique sera une totale allégeance aux États-Unis d’Amérique et grâce à notre loyauté au pays, nous redécouvrirons la loyauté envers les uns les autres » mais pour préciser : « Nous conforterons certaines de nos alliances, et nous en nouerons de nouvelles. »

« Il ne s'est jamais agi pour les États-Unis d'en finir avec l'OTAN, il s'agit de passer à un stade supérieur de sous-traitance – matérielle et budgétaire – aux pays membres, des choix stratégiques, militaires et diplomatiques états-uniens sauvegardant les intérêts propres des États-Unis. »

Cela n’a pas manqué de jeter le trouble parmi nombre de dirigeants d’États pro-atlantistes en particulier en Europe, trouble confirmé par les difficultés créées par les choix américains de ces trois dernières années et la « méthode Trump », la menace et le chantage, le deal négocié en catimini et imposé à tous au mépris du droit international. Mais les dirigeants pro-atlantistes occidentaux n’ont guère contesté le fond de ces décisions – hormis celle de la rupture unilatérale des accords de Paris (COP21) et de l’accord sur le nucléaire iranien obtenus par l’action multilatérale. À l’exercice du pouvoir la nouvelle administration américaine est confrontée à ses contradictions internes dans la poursuite de son objectif de domination absolue.

 

Un gouvernement de guerre

Le prétendu « hérault de l’antisystème » élu à la Maison-Blanche en 2016 a mis en place à la tête de son pays un véritable « club de milliardaires » (dixit Le Figaro !), un « cabinet Goldman Sachs », bref, un « gouvernement de guerre », ainsi qu’il l’a lui-même qualifié, composé de grands financiers, lobbyistes et dirigeants de grands groupes (notamment pétroliers ou du BTP) multipliant les cas de conflits d’intérêts, ainsi que de militaires tantôt obsédés par la Chine, tantôt par l’Iran, tantôt par la Russie, qui se sont confirmés tous plus bellicistes les uns que les autres et qui ont commencé par obtenir la plus forte augmentation du budget américain de la Défense de son histoire récente. Appuyé par l’extrême droite et les églises évangéliques, Trump installe leurs idées (pourtant minoritaires) au plus haut du débat politique national et sera aussi le premier président de l’histoire de son pays à participer à une manifestation contre l’IVG (janvier 2020). Le choix des dirigeants des agences gouvernementales américaines comme la CIA ou des juges à la Cour suprême a complété ce dispositif « de guerre » et chaque initiative – unilatérale – prise a confirmé des prétentions hégémoniques qui se révèlent en inadéquation complète avec le contexte international.

« Il n’y a donc pas d’un côté, un « fou », Trump, et de l’autre une administration qui rattraperait les impairs mais bien une orientation générale, une ligne politique et idéologique, impérialiste, ce qui n’exclut pas des dissensions internes. »

Les déclarations de Trump sur l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN) n’ont pas trompé grand monde, pas plus que la formule fracassante d’Emmanuel Macron la déclarant en « mort cérébrale ». Il ne s’est jamais agi pour les États-Unis d’en finir avec l’OTAN, il s’agit de passer à un stade supérieur de sous-traitance – matérielle et budgétaire – aux pays membres, des choix stratégiques, militaires et diplomatiques états-uniens sauvegardant les intérêts propres des États-Unis. Il n’en a jamais été réellement autrement mais cela redevient, sous l’impulsion de Donald Trump, l’alpha et l’oméga assumé de la politique américaine avec brutalité et cynisme qui se manifestent tant au Venezuela, en Bolivie, que contre Cuba mais aussi à l’égard de son voisin, le Mexique et ses ressortissants migrants, contre l’Iran ou la Chine ou encore, sans maquillage, contre ses propres alliés. L’Union européenne a beau avoir arrimé sa politique de sécurité et de défense à l’OTAN, conditionné ses nouvelles entrées à l’adhésion à l’OTAN, ses États-membres ont beau atteindre l’objectif de 2 % du PIB consacrés aux dépenses militaires, les États-Unis considèrent l’UE somme toute comme une rivale, et Trump la traite en concurrente sournoise.

L’administration Trump a conscience de la contestation de l’hégémonie américaine et de la crise qu’elle traverse. Avec un budget annuel de 686 milliards de dollars (onze fois plus que celui de l’éducation), les forces armées US comptent 1,5 million de personnels répartis sur tous les continents du monde, dont au moins 20 % d’entre eux dans près de 800 bases, selon certaines sources, dans 164 pays d’après le département d’État lui-même… les États-Unis n’ont pourtant aucune victoire militaire à leur actif depuis le lancement de la « guerre internationale contre le terrorisme ».

Qui plus est, l’hégémonie US qui s’appuie sur sa force de frappe économique, politique et militaire, et qui a formaté pour l’essentiel les relations internationales et dominé ses institutions multilatérales ne survit plus aujourd’hui qu’en les piétinant. L’administration Trump impose ses choix, ses actions et… ses revirements. Cette posture participe elle aussi à la reconfiguration de l’espace mondial et des relations internationales.

« La politique protectionniste de Trump n’apporte aucune réelle réponse à l’état de crise profonde de la société américaine elle-même et aux mobilisations nouvelles de millions d’Américains sur des enjeux tant sociaux que de société. »

Les États-Unis continuent de jouer un rôle déterminant dans la mondialisation telle qu’elle existe. Si pour une part Trump déploie une diplomatie alternant « coups de poing » et « flatteries » à visée électoraliste (puis­que son électorat considère que l’interventionnisme coûte cher et qu’il est en échec), il s’est néanmoins fixé comme objectif de rasseoir la domination absolue états-­unien­ne directe ou indirecte sur l’ensemble du monde via l’OTAN et, à nouveau, par l’ingérence directe, plus ou moins affichée. Trump a certes adopté en politique étrangère ses méthodes de businessman vorace mais l’état-major ou le département d’État adaptent leurs stratégies et leurs objectifs politiques avec leur maturité légendaire, comme l’exemple bolivien vient de le démontrer. Et ce, malgré les coups portés par Trump lui-même à la parole états-unienne, par exemple lors de l’invasion turque de la Syrie. Il n’y a donc pas d’un côté, un « fou », Trump, et de l’autre une administration qui rattraperait les impairs, mais bien une orientation générale, une ligne politique et idéologique, impérialiste, ce qui n’exclut pas des dissensions internes.

Habiles, malgré là aussi les apparences, Donald Trump et le pouvoir qu’il incarne allient la peur de la « mondialisation », d’un monde qui « vous échappe », et l’aspiration mégalomane de le dominer et de le diriger. Portée par des conceptions ultraconservatrices et ethnocentristes, adepte du « choc des civilisations » de Samuel Huntington, l’administration Trump veut en finir définitivement avec le multilatéralisme issu de l’après Deuxième Guerre mondiale et multiplie les actions en ce sens contre les accords de Paris, contre l’accord sur le nucléaire iranien, contre les accords d’Oslo ou les résolutions internationales sur la Palestine, avec les accords sur les missiles de portée intermédiaire, avec la Corée du Nord où il ne vise pas la chute du régime mais qui entre dans la stratégie d’isolement de la Chine, avec la Chine qu’il provoque en duel commercial entraînant les dégâts collatéraux que l’on sait pour les pays de l’UE et l’économie américaine elle-même ; on peut encore citer son incursion dans la crise UE-Grande-Bretagne à l’heure du Brexit, ou les nouvelles relations établies avec la Russie de Vladimir Poutine.

Là où l’administration Trump veut un ordre régi par les États-Unis et ses sous-traitants, Emmanuel Macron milite pour un « minilatéralisme », un multilatéralisme de clubs (du G7 au G20 tel que la présidence française a conçu et dirigé la formule 2019) où les puissances se mettent d’accord, transigent éventuellement sur leurs désaccords et donnent le la au reste du monde. Ensemble cependant ils participent d’une surmilitarisation des relations internationales et d’une nouvelle course aux armements : la France était en 2018 le cinquième budget militaire (à hauteur de 63, 8 milliards de dollars) sur le plan mondial après les États-Unis la Chine, l’Arabie saoudite, l’Inde et juste avant la Russie, le Royaume-Uni, l’Allemagne et le Japon. Qu’il s’agisse d’opérations extérieures sous l’égide de l’OTAN, de l’UE ou de l’ONU, la France est présente dans trois régions hautement conflictuelles : le Sahel, le Proche-Orient et les États baltes. Les plus forts contingents se trouvent en Afrique avec bientôt 8 000 soldats dont plus de 5 000 dans la zone sahélo-saharienne. Emmanuel Macron a dans ce mouvement engagé la France dans le peloton de tête des pays membres de l’OTAN portant à 2 % du PIB leur budget de défense, et 40 milliards d’euros supplémentaires seront consacrés aux dépenses militaires jusqu’en 2022.

 

Des expériences politiques inédites pour des générations entières d’Américains

Les résultats à court terme de ses choix économiques sur l’emploi et la croissance états-uniens ont conforté Donald Trump dans son intention de briguer un nouveau mandat mais sa politique a dès le premier jour mobilisé largement contre lui, aux États-Unis mêmes.

La violence de la politique de classe, raciste, sexiste et xénophobe de Donald Trump a poussé des dizaines de millions de citoyens à se mobiliser ; qu’il s’agisse des mouvements pour l’égalité entre femmes et hommes, contre le sexisme, les violences sexuelles ou le harcèlement, pour le droit à l’IVG, ou qu’il s’agisse des votes référendaires dans une série d’États pour la création ou l’augmentation d’un salaire minimum, ou encore des manifestations massives contre le port des armes ou les violences policières, les résistances populaires sont nombreuses, larges, et constituent des expériences politiques inédites pour des générations entières d’Américains que leur modèle de société ne séduit plus et qui entrent en politique.

Elles trouvent pour une part leur traduction dans l’élection de représentantes et de représentants de l’aile gauche du Parti démocrate au Congrès ou à la tête de municipalités importantes comme, tout dernièrement, à Chicago. La course à l’investiture du Parti démocrate place Bernie Sanders en position favorable, et pourrait en constituer la bonne surprise ; hypothèse combattue ardemment par les candidatures de Joe Biden et de « l’autre milliardaire », Michael Bloomberg, mis en selle pour contrecarrer la percée des courants de gauche du Parti démocrate, incarnée par Sanders. D’autant que Bloomberg pourrait s’avérer une alternative bien plus satisfaisante, sur le plan du marketing, aux intérêts des classes dirigeantes US. Enfin, la politique protectionniste de Trump n’apporte aucune réelle réponse à l’état de crise profonde de la société américaine elle-même et aux mobilisations nouvelles de millions d’Américains sur des enjeux tant sociaux que de société – et cela demeurera, pour les Américains appelés aux urnes, le facteur déterminant de leur choix.

 

Le « déploiement mondial » de l’OTAN

Pour mener à bien son projet de restauration hégémonique, l’administration états-unienne vise notamment à concrétiser l’idée d’un « déploiement mondial » de l’OTAN – déjà fort avancé. De désaccords internes entre membres « historiques » de l’alliance (Allemagne, France) et nouveaux entrants (Pologne), à ceux qui ont opposé États-Unis et affidés sur leur part d’engagement dans les interventions et coalitions américaines (en Irak en 2003 ou en septembre 2013 s’agissant de la Syrie…), ainsi que sur leurs parts d’investissements dans l’industrie militaire américaine, est apparue au grand jour une crise interne d’un nouvel ordre. À l’occasion de l’invasion turque de la Syrie, il est devenu patent que ce n’est ni le secrétaire général de l’OTAN, ni ses États membres qui prennent les décisions, c’est l’administration US en fonction des intérêts qu’elle défend.

« À l’occasion de l’invasion turque de la Syrie, il est devenu patent que ce n’est ni le secrétaire général de l’OTAN, ni ses États membres qui prennent les décisions, c’est l’administration US en fonction des intérêts qu’elle défend. »

La crise au sein de l’OTAN n’a d’ailleurs pas opposé l’OTAN et Ankara sur l’invasion militaire turque du Rojava et de la Syrie, ni sa guerre contre les Kurdes. L’OTAN n’a jamais condamné l’opération turque de novembre et Jens Stoltenberg, son secrétaire général, a même insisté : « Les préoccupations sécuritaires de la Turquie sont fondées. […] Je suis convaincu que la Turquie agira avec modération et de manière proportionnée. » Le vrai différend entre l’OTAN et la Turquie est l’affirmation de celle-ci comme puissance impérialiste régionale autonome de l’alliance, avec le développement de son propre complexe militaro-industriel et l’achat de missiles antiaériens russes S400 qui permettraient une défense indépendante de l’OTAN de l’espace aérien turc et qui a entraîné un embargo de la vente de l’avion américain F35 à Ankara. D’autant que Donald Trump a ranimé le schéma d’une OTAN du Moyen-Orient fondée principalement sur un arc Israël-Arabie saoudite-États-Unis au sein de laquelle la Turquie, première armée de l’OTAN après les États-Unis, doit jouer sa partition.
2020 verra une campagne d’exercices militaires au cœur de l’Europe. Cette démonstration de force vise la Russie – alors que le conflit que l’UE et l’OTAN ont nourri en Ukraine pourrait enfin trouver une résolution politique – mais elle envoie aussi un message de mise en garde aux peuples du monde entier.
L’impératif d’une dissolution de l’OTAN est plus actuel que jamais et nous devons continuer de porter l’idée d’une suspension immédiate de la participation française au commandement intégré, et d’une perspective de sortie de l’alliance à l’appui d’une initiative multilatérale sous égide de l’ONU qui pose, en Europe pour ce qui nous concerne, les bases d’un cadre commun de coopération, de sécurité collective et de paix, inclusif, c’est-à-dire avec la Russie et les pays de l’Est européen.

Ce serait trouver à la crise de l’hégémonie américaine une réponse nouvelle et propice à l’émergence d’un nouvel ordre mondial fondé sur la solidarité des peuples et la satisfaction des besoins humains et sociaux. 

Lydia Samarbakhsh est membre du comité exécutif national du PCF, elle est chargée du secteur International.

Cause commune n° 16 • mars/avril 2020

 

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13 mai 2020 3 13 /05 /mai /2020 12:03
L'URSS, la Russie et les peuples soviétiques oubliés des hommages aux combattants contre l'Allemagne Nazie - entre révisionnisme à la botte de Washington et ignorance crasse de l'histoire!
L'URSS, la Russie et les peuples soviétiques oubliés des hommages aux combattants contre l'Allemagne Nazie - entre révisionnisme à la botte de Washington et ignorance crasse de l'histoire!
L'URSS, la Russie et les peuples soviétiques oubliés des hommages aux combattants contre l'Allemagne Nazie - entre révisionnisme à la botte de Washington et ignorance crasse de l'histoire!

"Quelle est la nation qui a le plus contribue à la défaite de l'Allemagne ?": la question posée par l'IFOP aux français de 1945 à 2015, et l'évolution spectaculaire des réponses. https://www.ifop.com/…/la-nation-qui-a-le-plus-contribue-a…/
👉 En 1945, pour 57%, c'est l'URSS, ce qui est conforme à la réalité historique.
👉 En 2015, pour 54%, ce sont les USA.
🔴 A méditer : sur la "fabrication de l'opinion" par un matraquage idéologique peu soucieux d'une connaissance et d'un travail historique sérieux.

 

C'est une sinistre farce qui ne fait que s'aggraver d'année en année.

Modelés par leur conformisme atlantiste, des années de propagande de guerre froide, le cinéma hollywoodien, et une vision de nos intérêts comme étroitement liés à ceux de l'hégémonie du capitalisme américain, politiques et journalistes français accréditent la fable selon laquelle se seraient essentiellement l'effort de guerre américain (qu'il ne s'agit pas de nier ni de minimiser) et les sacrifices des soldats d'outre-Atlantique, qui auraient libéré la France et l'Europe de la domination nazie.

Rappelons simplement quelques évidences: pour un soldat américain tué en Europe face aux Nazis, 60 soldats soviétiques le furent!

C'est parce que l'Union Soviétique a résisté aux Nazis dès 1941 après que ses populations aient été saignées par l'offensive allemande et son cortège de barbarie, notamment l'extermination systématique des populations juives (la Shoah par balle auprès des gigantesques fosses communes) et déclenché sa contre-offensive, au prix de 22 millions de morts au moins, que des débarquements ont été possibles en Italie, en Provence, puis en Normandie.

De Gaulle, Churchill, et Roosevelt  le savaient bien. Comme les collaborateurs qui dirigeaient la France asservie et mobilisaient les pro-Nazis dans la LVF. 

Tous les Français de 1945 aussi, même ceux qui étaient peu suspects de sympathies pour les communistes, mais depuis, l'idéologie pro-atlantiste a imprégné les médias, les manuels, les discours des communicants politiques et des ministères, au départ comme un mensonge conscient aux grosses ficelles, ensuite comme un révisionnisme souvent involontaire lié à l'efficacité de cette "propaganda war".   

L'an passe Macron n'avait pas invité les autorités russes au 75e anniversaire du débarquement.

La focalisation sur le débarquement allié de Normandie comme cause première et quasi unique de la libération de la France et de la défaite de l'Allemagne nazie est une erreur historique.

Il n'aurait pas été possible, les contemporains les moins suspects de sympathies avec les soviétiques le disent, sans la résistance et la contre offensive de l'URSS. La résistance populaire intérieure est elle-même dans le même temps souvent mise au second plan dans les discours officiels par rapport à la France libre et à la résistance du général de Gaulle qui s'est pourtant largement appuyé dessus.

Pas un résistant communiste au panthéon alors que c'était largement la moitié des effectifs de la Résistance armée intérieure. D'où la nécessité d'un travail de mémoire permanent pour restituer la réalité des faits, empêcher l'oubli et les maquillages de l'histoire.

Je pense aussi à tout le discours qui vise à mettre au premier plan des bavures ou des exécutions expéditives de la Résistance dans les mois sanglants de la Libération, ou encore des exactions de l'armée d'occupation soviétique en Allemagne. Sans nier systématiquement les faits, certains sont avérés et indignes, ils sont souvent invoqués avec des arrière-pensées de relativisation de l'effort des uns et des autres, et des crimes des alliés des nazis, collaborateurs, qui ont été nombreux d'ailleurs à se refaire une virginité après la guerre.

Lors de l'hommage à Rol-Tanguy à Morlaix pour les 111 ans de sa naissance le 12 juin 2019 à Morlaix et les 75 ans de la Libération, je rappelais:

"Nous saluons bien sûr tous les Résistants dans la diversité de leurs sensibilités et de leurs actions, des circonstances de leur entrée dans l'action clandestine et patriotique. C'est à eux qui nous devons d'avoir gardé intact une flamme d'espoir et de dignité dans les années sombres de la libération et d'avoir rendu possible le retour de la liberté et de la démocratie en France, mais aussi le retour de la Paix qui était leur horizon.

Nous saluons aussi aujourd'hui particulièrement la résistance intérieure et populaire, et la résistance communiste, pas toujours mise au premier plan dans les discours mémoriels et l'approche de l’État. C'est un euphémisme...

Pas un seul résistant communiste au panthéon !...

Et Hollande et Macron sont loin de corriger l'oubli et l'injustice. Est-ce normal quand on connaît leur poids dans les effectifs de la résistance, dans la lutte armée intérieure, et le lourd tribut qu'ils ont payé, entre les dizaines de milliers de fusillés, de torturés et de déportés de l'OS et des FTP, des FTP-MOI que commanda Rol-Tanguy en région parisienne en 1942?

Martha Desrumaux, Marie-Claude Vaillant Couturier, Danielle Casanova, Charlotte Delbo, Missak Manouchian, Guy Moquêt, Rol-Tanguy, il n'y avait que l'embarras du choix... Et pourtant, on a préféré honoré la résistance gaulliste, socialiste, bourgeoise... Comme si les communistes ne devaient pas entrer dans la grande histoire de la nation française, comme s'il fallait minimiser leur apport à la libération... De la même manière, on ne parle que de l'appel du 18 juin à la Résistance alors que d'autres appels ont eu lieu au printemps et à l'été 40, notamment celui de Charles Tillon.

Et toujours ce discours lancinant, mensonger et révisionniste pour minimiser le sens et le caractère patriotique et national de la Résistance communiste en prétendant qu'elle n'a débuté qu'à l'été 41 après l'invasion de l'URSS, voir, comme dernièrement Riolo face à Ian Brossat dans une émission de RMC, en prétendant que les communistes étaient des collaborateurs au début de la guerre!

Ce qui est faux bien sûr. Le simple fait de dénoncer la politique collaborationniste, réactionnaire et anti-démocratique de Vichy et de garder une activité communiste était un acte de résistance en 40-41 à l'heure où le PCF était interdit et très fortement réprimé, sous le dernier gouvernement de la 3e République déjà dirigé par Daladier… De nombreux militants, syndicalistes, l'ont payé de leur vie, dont les fusillés de Châteaubriant, le jeune Guy Moquêt.

Même minimisation d'ailleurs, en bonne logique (anti-communiste), de l'apport des soviétiques à la libération de l'Europe, malgré leurs 22 millions de morts et les victoires décisives obtenus à un prix exorbitant pour stopper les Nazis. Est-il normal de n'attribuer qu'aux alliés américains et anglais de l'OTAN la libération de la France ? Un débarquement réussi en Europe de l'ouest et une progression pour libérer le territoire français étaient-ils envisageables sans la progression des soviétiques et leur contre-offensive en Europe de l'est ? Pourquoi ne pas avoir invité le chef d’État russe, quoiqu'on en pense par ailleurs, aux cérémonies du débarquement ?"

Ismaël Dupont

Hommage à Rol-Tanguy, compagnon de la Libération, en gare de Morlaix, place Rol-Tanguy, 12 juin 2019: photos de Pierre-Yvon Boisnard et discours d'Ismaël Dupont, articles du Télégramme et du Ouest-France

Littérature soviétique - Carnets de guerre de Vassili Grossman (Calmann-Lévy, présenté par Antony Beevor et Luba Vinogradova) - Suivi de Treblinka

Lundi, 11 Mai, 2020 - L'Humanité
Geneviève Darrieussecq ne connaît pas l'Histoire

La secrétaire d’État auprès de la ministre des Armées oublie l’Union soviétique dans l’hommage aux pays qui ont vaincu les nazis. Et le sacrifice de millions de personnes.

 

Le 8 mai, date anniversaire de la victoire sur les nazis, la secrétaire d’État auprès de la ministre des Armées, Geneviève Darrieussecq, s’est fendue d’un tweet dans lequel elle tient « particulièrement à saluer nos alliés. Leur contribution à la victoire sur l’Allemagne nazie et à la fin de la #2GM en Europe a été à la hauteur de leurs sacrifices. Immense. » Elle poursuit : « La France n’oubliera jamais ce qu’elle leur doit. La paix et la liberté. » Elle accompagne son tweet de drapeaux. Celui des États-Unis, de la Grande-Bretagne, du Canada, de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande.

Dramatique ! Membre du gouvernement de la France, elle occulte le sacrifice de l’Union soviétique, qui a perdu 20 millions de personnes dans sa lutte contre le IIIe Reich, dont l’Armée rouge a planté son drapeau sur le toit du Reichstag, à Berlin. Elle oublie également la lutte essentielle de la Résistance française, alors qu’Henri Rol-Tanguy, chef communiste des FFI de Paris, avait reçu, en compagnie du général Leclerc, la reddition allemande. La secrétaire d’État nie aussi, en l’omettant, l’apport de tous ces combattants venus de ce qui était encore les colonies françaises.

De deux choses l’une. Soit Geneviève Darrieussecq ne connaît pas l’Histoire, ce qui serait profondément dramatique de la part d’une personne détenant un poste ministériel. Soit elle a sciemment biffé l’apport déterminant de l’Armée rouge dans la victoire contre l’horreur nazie, ce qui serait proprement scandaleux. Dans tous les cas, il y a quelque chose d’inquiétant à cette (re)lecture, voulue ou non, de l’Histoire qui fait des Américains les grands libérateurs de l’Europe. On ne s’étonnera pas de savoir que, sur sa page Facebook, la Maison-Blanche ne mentionne que les États-Unis et la Grande-Bretagne comme vainqueur des nazis, ce qui lui vaut une protestation de la Russie. Geneviève Darrieussecq a, depuis et sans explication, retiré son tweet mensonger.

Pierre Barbancey
Le Télégramme - 11 mai 2020 - Sans avoir la moindre sympathie pour Vladimir Poutine et son régime, comment ne pas être indigné par le révisionnisme de l'administration Trump qui nie la contribution décisive de l'URSS et des citoyens soviétiques, avec leurs 22 a 27 millions de morts, dans la victoire contre l'Allemagne nazie? Une telle négation de l'histoire est juste scandaleuse, une guerre a la vérité!

Le Télégramme - 11 mai 2020 - Sans avoir la moindre sympathie pour Vladimir Poutine et son régime, comment ne pas être indigné par le révisionnisme de l'administration Trump qui nie la contribution décisive de l'URSS et des citoyens soviétiques, avec leurs 22 a 27 millions de morts, dans la victoire contre l'Allemagne nazie? Une telle négation de l'histoire est juste scandaleuse, une guerre a la vérité!

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13 mai 2020 3 13 /05 /mai /2020 09:11

 

La domination monétaire des États-Unis, basée sur la centralité du dollar, s’est imposée après 1944 face aux projets alternatifs de structuration du système monétaire international, notamment face au plan Keynes de 1943, pourtant toujours d’actualité.

L’unilatéralisme du système monétaire « international » octroie à la puissance émettrice de la monnaie dominant les échanges internationaux, les États-Unis, un avantage lui permettant d’influencer les politiques économiques des pays faisant usage du dollar. En l’absence d’une monnaie proprement internationale, les participants aux échanges utilisent des monnaies nationales (en fait, seulement un petit nombre de monnaies nationales) pour procéder aux paiements internationaux. Ils sont aujourd’hui largement incités à faire usage de la monnaie américaine.

 

Le poids de l’acquisition de liquidité internationale

En raison de cette situation, les participants aux échanges s’exposent à un certain nombre de problèmes, particulièrement dans les pays sous-développés : problèmes liés à l’accès à la liquidité, avec des pénuries qui se manifestent durant les périodes de crise ; problèmes d’accès aux infrastructures de paiement en cas de sanctions dont la puissance émettrice de la monnaie peut faire usage. L’un comme l’autre sont utilisés par les États-Unis pour aligner les pays dépendants du dollar sur sa politique économique ou sur sa politique étrangère.
Le problème de l’acquisition de liquidité internationale n’est pas nouveau. Un effort s’impose de fait à l’ensemble des pays contraints d’utiliser une monnaie étrangère pour accéder aux échanges internationaux. Cette contrainte peut être expliquée selon la logique suivante : imaginons une entreprise située en Malaisie et ayant besoin de dollars américains nécessaires à ses importations de biens d’équipement et à sa trésorerie. L’entreprise va emprunter un montant P de dollars. Elle devra rembourser, à échéance, le principal plus les intérêts du prêt. Grâce aux dépenses d’investissement de biens d’équipement et à la mise en route de la production, l’entreprise va exporter et générer des revenus, avec lesquels elle pourra rembourser le prêt. Il faut donc que ces revenus soient supérieurs aux dépenses liées au remboursement du prêt (intérêts et principal). Cette contrainte de survie induit une pression compétitive qui pèse sur les marges de manœuvre du pays. Elle est d’autant plus pesante que les pays sont en concurrence sur les marchés d’exportations.
Le problème de l’accès à la liquidité apparaît clairement dans les épisodes de crise économique, qui donnent lieu à des rapatriements brutaux de capitaux et à un gel des crédits interbancaires. La crise de 2008 en a donné un fameux exemple. Elle était avant tout une crise dont l’épicentre était l’économie américaine, mais la crise de confiance du système bancaire américain a généré de graves dysfonctionnements dans le financement du commerce international. Certains pays, comme la Corée du Sud, qui n’auraient pas dû subir les effets – ou très peu – de la crise des subprimes ont été victimes d’une pénurie de dollars.

L’hégémonie monétaire des États-Unis contre le plan Keynes de 1943 (Revue PCF « Cause Commune » -  Adrien Faudot)

Ayant eu très tôt conscience du problème de la rareté de la monnaie internationale, dès Bretton Woods, les gouvernements ont créé des institutions pour essayer de réallouer la liquidité. La tentative de l’économie mondiale de se doter d’institutions telles que le Fonds monétaire international, créé en 1944 par les accords de Bretton Woods ou d’instruments tels que les droits de tirages spéciaux (DTS), créés en 1969, pour redistribuer la liquidité internationale, se heurte à l’impossibilité de connaître à l’avance les besoins en liquidité générés par les échanges internationaux. Ce problème avait déjà été démontré par Keynes, lorsque celui-ci cherchait à défendre son plan.

Dans le cadre du système hérité de Bretton Woods, ces manquements résultent des préférences américaines en la matière. Alors que le plan Keynes prévoyait un système de découverts automatiques autant que de besoin pour les échanges internationaux, les États-Unis souhaitaient conserver à des fins de domination la main sur les leviers d’allocation de la monnaie « internationale ».

Pour se prémunir des épisodes de pénurie de liquidités, les autres pays doivent développer des stratégies complexes. Beaucoup tentent d’éviter toute pénurie en développant des stratégies d’accumulation de réserves de change, à travers des politiques mercantilistes. Cette stratégie est pénible à mettre en œuvre car elle demande des efforts considérables aux populations, et la concurrence internationale rend ses résultats incertains.

« Alors que le plan Keynes prévoyait un système de découverts automatiques autant que de besoin pour les échanges internationaux, les États-Unis souhaitaient conserver à des fins de domination la main sur les leviers d’allocation de la monnaie “internationale”. »

Une autre solution, réservée à un nombre réduit de pays, est de signer des accords de swaps (technique financière consistant en un échange de crédits) avec la Réserve fédérale, afin de se prémunir de tout risque de pénurie. Ces accords se sont développés à la suite de la crise des subprimes. Ils sont représentés dans le schéma de la page précédente. Les États-Unis se trouvent ainsi au centre d’un réseau de coopération entre banques centrales ayant pour but de maintenir constant l’approvisionnement en dollars. L’octroi des lignes de crédit par la banque centrale américaine dépend de critères politiques (exemple de l’Inde ou du Chili non retenus, contrairement au Mexique, ou au Brésil), la Réserve fédérale ne jouant le rôle de prêteur en dernier ressort international que pour une liste restreinte de pays alliés.

 

Les difficultés d’accès aux infrastructures de paiement

Venons-en au second problème, l’accès aux infrastructures de paiement. Les systèmes monétaires actuels reposent sur un système de paiement hiérarchisé. Les établissements bancaires créent la monnaie à l’occasion des opérations de crédit, et passent par leur compte à la banque centrale pour les règlements interbancaires. Les banques centrales fournissent les moyens de paiement interbancaires et assurent le bon déroulement des opérations. Points de passage obligés pour l’accès au système de paiement, elles imposent également des normes et des conventions, conditionnant l’accès au système. Les banques commerciales sont tenues de les respecter, faute de quoi elles pourraient se voir privées des opérations interbancaires, ce qui reviendrait à les exclure du système et conduirait à leur liquidation immédiate.

« La crise de 2008 était avant tout une crise dont l’épicentre était l’économie américaine, mais la crise de confiance du système bancaire américain a généré de graves dysfonctionnements dans le financement du commerce international. »

Or les institutions du dollar américain, qui centralisent les comptes et exécutent les paiements, appliquent les lois américaines. Dans ce cadre, lorsque l’OFAC (Office of Foreign Assets Control) place sur liste noire une série d’établissements, voire les entités d’un pays entier, il devient impossible pour tout acteur relié aux systèmes de paiement américains de maintenir des relations commerciales avec ces entités. La banque BNP-Paribas en a fait les frais en 2014 en payant une amende record de 8,9 milliards d’euros, après avoir été traduite en justice pour avoir réalisé des transactions avec des entités figurant sur la liste noire de l’OFAC (Iran, Soudan, Cuba).

Cette arme est punitive, mais aussi dissuasive. Si la France décidait de reprendre son commerce avec l’Iran, les entités françaises se verraient rapidement interdire l’accès non seulement au marché américain mais aussi aux systèmes de paiement en dollars, c’est-à-dire au marché mondial. La France a donc choisi de suivre la diplomatie américaine et de se retirer de fait de l’accord de Vienne. Bien sûr, au-delà de la dimension monétaire et du système de paiement, la puissance militaire et économique américaine a certainement joué un rôle important. Ainsi, en dépit du lancement du mécanisme de compensation INSTEX, qui devrait permettre de poursuivre des transactions avec des firmes iraniennes en contournant le dollar, les entreprises françaises se sont tout de même retirées d’Iran, ce qui montre que l’impérialisme états-unien a d’autres cordes à son arc.

 

Refonder le système monétaire sur des bases réellement internationales

Dans le contexte actuel, le plan Keynes avance des propositions intéressantes pour refonder le système monétaire sur des bases réellement internationales et émancipées de la domination unilatérale du dollar, au-delà même des objectifs politiques poursuivis par Keynes (défenseur des intérêts britanniques).
Le plan prévoit la création d’une chambre de compensation en monnaie internationale (bancors) pour les paiements interbancaires internationaux, avec des découverts automatiques pour les pays débiteurs. Les problèmes de liquidité seraient résolus puisque la création de bancors ne serait pas conditionnée à des dépôts préalables de la part des pays membres. La chambre de compensation agirait comme une agence centrale assurant le financement du commerce international, le temps que s’opèrent les rééquilibrages entre débiteurs (importateurs nets) et créditeurs (exportateurs nets).

« Si la France décidait de reprendre son commerce avec l’Iran, les entités françaises se verraient rapidement interdire l’accès non seulement au marché américain mais aussi aux systèmes de paiement en dollars, c’est-à-dire au marché mondial. »

Concernant le pouvoir de contrôle de l’infrastructure de paiement, l’instauration du plan Keynes pourrait être aussi l’opportunité de séparer le système des paiements internationaux de la portée directe des appareils gouvernementaux nationaux. Il s’agirait de créer un organe dont la direction serait élue par ses nations membres et partagée par celles-ci. De cette manière il serait impossible, pour un membre, de décider de manière unilatérale qu’un autre membre soit exclu des paiements internationaux.
Puisque l’International Clearing Bank serait en quelque sorte « la banque centrale des banques centrales », il s’agirait ici d’appliquer le principe de distanciation qui caractérise déjà les systèmes bancaires domestiques, en vertu duquel les banques commerciales se plient, par une sorte de soumission volontaire, à la banque centrale au-dessus d’elles.

Il est tout à fait concevable d’imaginer un système de prise de décision interne à la chambre de compensation suivant les principes du multilatéralisme, à l’image des organismes onusiens aujourd’hui. L’établissement de la chambre de compensation et son succès devraient reposer sur des règles internationales s’imposant à tous.
Au demeurant, la mise en œuvre du plan Keynes devrait très largement freiner les aspects les plus négatifs de la dynamique de la globalisation financière. Le plan Keynes devra s’accompagner de contrôles pour assurer que les flux internationaux soient comptabilisés et intégrés dans la matrice de la chambre de compensation, ce qui faciliterait la lutte contre l’évasion fiscale ou le blanchiment.

On voit ainsi que, dans l’optique de proposer un système monétaire véritablement international et multilatéral, le plan Keynes est toujours d’actualité, et peut même aider à résoudre des problèmes pour lesquels il n’a pas été conçu. 

 

Adrien Faudot est économiste. Il est maître de conférences à l’université Grenoble Alpes.

Accords bilatéraux de swaps entre banques centrales, en octobre 2015. Les États-Unis ont contracté des accords importants permettant d’assurer avec les banques centrales des pays signataires l’approvisionnement en dollar américain. D’autres pays, à l’image de la Chine, ont signé des accords similaires pour favoriser l’accès à leur monnaie respective.

Source : S. Bahaj et R. Reis, « Central bank swap lines », Credit, Banking and Monetary Policy, BCE, Francfort, 23 octobre 2017.

Cause commune n° 16 • mars/avril 2020

 

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13 mai 2020 3 13 /05 /mai /2020 06:07
Pourquoi Trump a besoin de faire de la Chine son bouc émissaire - Par Bruno Odent, L'Humanité - 12 mai 2020
Mardi, 12 Mai, 2020
Pourquoi Trump a besoin de faire de la Chine son bouc émissaire

Critiqué pour sa gestion des crises sanitaire et économique qui ravagent son pays, le président en campagne pour sa réélection multiplie les invectives et les accusations contre la Chine pour détourner l’attention, au risque de l’escalade.

 

Donald Trump ne cesse de hausser le ton à l’égard de la Chine, au risque d’alimenter de dangereuses tensions internationales. Il est allé jusqu’à accuser Pékin d’avoir sciemment laissé échapper le Covid-19 d’un laboratoire de Wuhan pour affaiblir les États-Unis et le monde occidental. De multiples études scientifiques invalident désormais formellement cette thèse. Mais qu’importe, le locataire de la Maison-Blanche et son secrétaire d’État, Mike Pompeo, insistent. Quoi qu’il en soit de l’origine du virus, « l’épidémie, martèle désormais Trump, aurait dû être arrêtée à la source qui était la Chine, mais ça n’a pas été le cas ». Le recours à l’agitation du « complot contre l’Amérique », un standard de l’extrême droite populiste états-unienne qui inspira le fameux écrivain Philip Roth, est actionné pour trouver un bouc émissaire aux menaces que fait peser la gestion de la crise par l’administration Trump sur la vie et l’emploi des citoyens des États-Unis.

Trump revoit sa ligne de campagne pour sa réélection en novembre

Pékin est montré du doigt dans un pays qui déplore dans la pandémie aujourd’hui au moins 80 000 victimes, quelque 1,3 million d’infections avérées et qui compte plus de 30 millions de chômeurs, soit un niveau qui renvoie à celui atteint lors de la Grande Dépression dans les années 1930. L’accusation doit détourner l’attention des responsabilités écrasantes du président dans la gestion de la crise sanitaire et dissuader d’interroger l’incurie d’un système de santé odieusement inégalitaire comme celle d’un contre-modèle social qui fait le plus souvent des salariés une simple variable jetable pour le patronat et les stratèges de Wall Street, obnubilés par leur priorité absolue au principe de retour de rentabilité pour l’actionnaire (shareholder value).

Donald Trump avait fait des performances de l’économie son principal argument pour sa réélection à la présidence en novembre prochain. Les crises sanitaire et économique ont totalement réduit à néant cette ligne de campagne. D’où le forcing auquel il se livre avec la complicité des gouverneurs républicains pour une réouverture rapide de l’économie, au mépris du risque d’une nouvelle flambée de la pandémie et de dizaines de milliers de victimes supplémentaires.

Fébrile, Trump tente de jouer de toute la panoplie de son répertoire, fort étendu au demeurant, de démagogue pour garder la main. Avant la Chine, il s’en est pris ainsi récemment à l’Organisation mondiale de la santé (OMS), à qui il a annoncé, en pleine pandémie, qu’il couperait les vivres en l’accusant d’avoir trop tardé à sonner l’alerte parce qu’inféodée à des intérêts chinois… déjà.

La Maison-Blanche a misé sur le Pentagone pour négocier

Les migrants venus du Mexique sont abonnés de longue date à cette fonction de boucs émissaires, indispensables à la narration politique (story telling) du magnat de l’immobilier. Il use de ce registre au parfum xénophobe à chaque occasion. Mais, surtout, quand il affronte un passage délicat, comme à la veille des élections de mi-mandat en 2018 où le Parti républicain était donné en perte de vitesse. Cette fois, au nom de l’état d’urgence sanitaire, il n’a plus seulement décidé d’étendre et de fortifier son mur de la honte à la frontière sud du pays, mais de carrément interdire toute immigration « pour, dit-il, préserver l’emploi des Américains ».

Loin de se réduire aux dérapages peu contrôlés d’un personnage versatile, ces attaques sont en parfaite cohérence avec une ligne stratégique nationale-libérale aussi précise qu’élaborée. Ce qui rehausse encore les dangers des dissensions croissantes avec la Chine. Donald Trump a beaucoup misé sur le Pentagone pour négocier, dans le cadre de la « diplomatie du deal » qu’il appelle de ses vœux, un retour ou une consolidation de l’hégémonie contestée de l’hyperpuissance. Il a augmenté coup sur coup, depuis son accession au pouvoir, les budgets militaires de 10 %. Ce qui fait des États-Unis le pays dont les dépenses d’armements équivalent à celles des dix puissances qui les suivent, Russie, France, Grande-Bretagne et Chine comprises. Il a consolidé sa force de frappe nucléaire qu’il prétend maintenant banaliser pour un éventuel usage hors dissuasion. Et il a pu achever le « pivot », entamé par Barack Obama, du déplacement du centre de gravité des forces armées états-uniennes sur la planète, du Moyen-Orient vers les pourtours de la Chine.

Un soutien inconditionnel de Washington à Taïwan

Trump met également de l’huile sur le feu d’une relance de la guerre commerciale en menaçant d’instaurer de nouvelles « taxes punitives » sur les importations chinoises. Les stratèges du national-libéralisme au sein de l’administration, comme l’économiste Peter Navarro, ont théorisé depuis des années un rééquilibrage, coûte que coûte, des échanges commerciaux entre les deux pays au profit des États-Unis. Trump a interdit ou fait interdire, par certains des plus dociles de ses alliés occidentaux, toute livraison de matériel par le géant chinois des télécommunications Huawei. Et il a manifesté une intransigeance encore plus autoritaire le 1er Mai dernier en bannissant, au nom de la sécurité nationale des États-Unis, tout achat d’équipements « conçus, développés, fabriqués ou fournis » par des entités agissant sous le contrôle « d’adversaires étrangers ». Ambiance.

Cette exacerbation des frictions fait craindre que l’escalade ne finisse par déboucher sur une véritable conflagration militaire. « La Chine ne sera pas l’Irak », a prévenu, durant le week-end dernier, le porte-parole du ministère des Affaires étrangères à Pékin, en allusion directe aux capacités de ripostes martiales de l’empire du Milieu.

La virulence des attaques du président des États-Unis est d’autant plus préoccupante qu’elle bénéficie d’une approche quasi consensuelle des élus de l’opposition démocrate sur la question chinoise. Le Congrès a ainsi adopté à l’unanimité au Sénat comme à la Chambre des représentants, où les membres du parti de Joe Biden sont majoritaires, une loi approuvée par le président qui réaffirme un soutien inconditionnel de Washington à Taïwan. Soit une véritable provocation à l’égard de Pékin, qui ne cesse de réaffirmer que l’île est partie intégrante de la Chine.

Bruno Odent
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13 mai 2020 3 13 /05 /mai /2020 06:02
Inde : pour les travailleurs, le monde d’après est un brutal recul (Lina Sankari, mercredi 13 mai 2020)
Mercredi, 13 Mai, 2020
Inde : pour les travailleurs, le monde d’après est un brutal recul

Dans une volonté d’attirer les investisseurs européens et américains, plusieurs États sabordent le droit du travail. A coups de «mesures barbares» dénoncées par la Centrale des syndicats, la course au moins-disant social est lancée.

 

Laboratoire de la haine confessionnelle, l’Uttar Pradesh est désormais la petite officine de la casse sociale en Inde. L’État septentrional, dirigé par le moine extrémiste hindou Yogi Adityanath, a décidé de suspendre, le 6 mai dernier et pour trois ans, trente-cinq lois de protection des travailleurs au prétexte de relancer l’économie et de ne pas laisser au bord de la route les migrants qui ont quitté New Delhi à l’annonce du confinement. Selon le ministre du Travail de l’État, Swami Prasad Maurya, seules quatre dispositions législatives devraient survivre au capitalisme autoritaire qui se dessine dans un pays où les ouvriers des petites usines n’ont déjà pas de contrat de travail et où les inspections sont rares : l’une sur le BTP, deux autres sur les accidents du travail et le paiement régulier des salaires et la dernière sur le travail forcé. Les lois relatives au paiement des primes et au versement des prévoyances deviennent toutefois caduques. Il en va de même pour les lois relatives aux syndicats et au règlement des conflits dans l’entreprise, les contrats de travail, la santé et la sécurité.

Des «conditions esclavagistes»

L’opposition n’a pas tardé à réagir : « Détruire la main-d’œuvre revient à détruire la croissance économique. L’agenda diabolique du BJP (Parti du peuple indien au pouvoir - NDLR) doit être combattu et vaincu pour sauver l’Inde », s’est indigné le secrétaire général du Parti communiste d’Inde-marxiste (CPI-M), Sitaram Yechury. Dans un même mouvement, la Centrale des syndicats indiens (Citu) a dénoncé « des mesures barbares qui visent à imposer des conditions esclavagistes aux travailleurs qui créent réellement la richesse du pays brutalement pillée par les capitalistes et les grandes entreprises ».

4 heures de travail en plus par jour sans augmentation

Le Madhya Pradesh et le Gujarat, également dirigés par le BJP, et le Rajasthan, où le Congrès a la majorité, ont pris des dispositions similaires, dont certaines devront passer par le niveau fédéral avant validation. Les syndicats s’inquiètent déjà de voir une majorité d’États s’engager dans cette course au moins-disant social afin de ne pas faire fuir les investisseurs. Le Madhya Pradesh a ainsi fait passer le temps travail journalier de huit à douze heures sans augmentation de salaire. Grâce à un assouplissement de la loi sur le travail contractuel, les entreprises locales auront la possibilité d’embaucher et de licencier « à leur convenance » mille jours durant. Enfin, les entreprises ne sont plus tenues de respecter les normes de sécurité industrielle et les nouveaux ateliers seront exemptés des règles basiques d’accès aux toilettes ou de congés payés. Mieux, ils n’auront plus besoin d’informer le ministère du Travail en cas d’accident.

Profiter de la défiance à l’égard de la Chine

Cette vague antisociale précède les desiderata du patronat. Vendredi dernier, lors d’une réunion au ministère du Travail, la Confédération de l’industrie indienne a demandé que les salariés qui ne regagneraient pas leur poste faute de mesure de sécurité ou de la poursuite du confinement soient sanctionnés. Le ministre de tutelle a simplement indiqué travailler à de nouvelles dispositions législatives. Derrière cette attaque contre le droit du travail, une bataille du capital indien contre les capitaux européens et américains qui ont suspendu leurs commandes du jour au lendemain du fait de la crise du Covid-19. Le patronat indien se veut à l’initiative afin de faire revenir les investisseurs, voire d’en attirer de nouveaux à la faveur de la défiance qui touche désormais la Chine.

Lina Sankari
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13 mai 2020 3 13 /05 /mai /2020 05:56
Risque d’extinction de communautés indigènes en Amérique latine - Rosa Moussaoui - L'Humanité, 7 mai 2020

Jeudi, 7 Mai, 2020

 « Risque d’extinction » de communautés indigènes en Amérique latine

Rosa Moussaoui - L'Humanité

Les peuples autochtones, déjà affectés par une grande vulnérabilité sociale, économique et sanitaire, sont les plus exposés à la pandémie. Elle se conjugue, pour le pire, à des crimes environnementaux en plein essor.

Il est apparu plusieurs fois en larmes à la télévision, décrivant des « scènes de film d’horreur ». Ce mercredi, Arthur Virgilio, maire de Manaus, la capitale de l’Amazonie brésilienne, submergée par la pandémie de Covid-19, a encore lancé un déchirant appel au monde : « Pendant des décennies, nous avons joué un rôle important pour la santé de la planète, en conservant 96 % de notre forêt d’origine. Maintenant, en retour, nous avons besoin de personnel médical, de ventilateurs, d’équipements de protection, de tout ce qui peut sauver les vies de ceux qui protègent la grande forêt. » Jusqu’ici, l’État d’Amazonas, le plus touché du Brésil, a enregistré, selon les chiffres officiels, 649 décès dus au coronavirus. Le système de santé public est au bord de l’effondrement : plus de 95 % des lits en réanimation sont occupés et la région présente le taux de létalité le plus haut du pays.

Comme redouté, les populations indigènes, déjà affectées par une grande vulnérabilité sociale, économique et sanitaire, sont les plus exposées à la pandémie et à ses conséquences. Certaines communautés en danger interdisent désormais l’entrée de leur territoire aux étrangers, mais le sort des indigènes vivant en zone urbaine, dans la pauvreté, est tout aussi préoccupant. C’est en fait une véritable crise humanitaire qui s’installe.
Pauvre et isolée, l’Amazonie colombienne, touchée à son tour

Depuis l’épicentre brésilien, le coronavirus s’est frayé un chemin dans la forêt, propagé par les intrus : orpailleurs clandestins, pilleurs de bois et grileiros qui profitent de la suspension des patrouilles pour défricher des terres qu’ils accaparent. Pauvre et isolée, l’Amazonie colombienne, touchée à son tour, détient déjà, aux confins sud du pays, le funeste record du taux de Covid-19 le plus élevé, avec 30 cas pour 10 000 habitants. Un bilan probablement sous-évalué, faute de moyens de dépistage. « Ici, il n’y a pas d’eau potable, le système de santé est très précaire. Si le virus se propage, les morts seront inimaginables », se désespère Arley Canas, un Inga vivant dans la réserve d’Uitiboc. L’Organisation nationale indigène de Colombie va jusqu’à redouter un « risque d’extinction » des populations autochtones. L’inquiétude est particulièrement vive pour les communautés isolées. « L es indigènes qui vivent en isolement volontaire sont spécialement vulnérables aux maladies infectieuses, du fait qu’ils n’ont aucune immunité face à la majorité de ces maux », résume Claudette Labonte, une porte-parole de la Coordination des organisations indigènes du bassin amazonien.

    Voir aussi : Brésil. À Manaus, "on se croirait dans un film d'horreur"

La crise sanitaire présente ravive, de ce point de vue, une mémoire douloureuse : celle de la colonisation bien sûr, avec des peuples décimés par les maladies apportées par les conquérants, mais aussi celle des années 1960 et 1970, quand la varicelle, la rougeole et la ­coqueluche, propagées par l’expansion des plantations d’hévéa, semaient la mort, tuant, dans certains villages, jusqu’à la moitié de la population.
Une gigantesque fuite de pétrole brut prive d’eau et de pêche 27 000 indigènes

Pour ces communautés fragilisées, la crise sanitaire se conjugue aujourd’hui pour le pire avec la destruction de leur habitat et des crimes environnementaux en plein essor. Encouragée par Bolsonaro avec son projet de loi qui « propose la libération des territoires autochtones pour l’exploitation des minéraux et des ressources en eau », la déforestation, au Brésil, bat son plein. D’après les données relevées par satellite, elle est en hausse de 71,2 % par rapport à la même période en 2019. Dans un autre registre, en Équateur, plusieurs dizaines de communautés indigènes viennent de saisir la justice contre les entreprises pétrolières et l’État, après une gigantesque fuite de pétrole brut qui a pollué la rivière Napo, un affluent de l’Amazone, privant d’eau et de pêche 27 000 indigènes des ethnies kichwa et shuar, en pleine crise sanitaire.

Avant la pandémie, déjà, les peuples autoch­tones étaient engagés dans une lutte historique pour leur survie . « Il y a longtemps, notre maison a été envahie par des gens qui ne pensaient qu’à la richesse. Ils sont entrés et nous ont tués avec des maladies que nous ne connaissions pas, écrit Francineia Fontes, du peuple Baniwa, dans un texte publié par Amazonia Real. Nous sommes originaires de cette terre et nous sommes fiers d’appartenir à des peuples qui luttent pour délimiter leurs territoires, ­résistent et continuent d’exister. Avec ou sans pandémie, nous continuerons. »

 

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12 mai 2020 2 12 /05 /mai /2020 09:08

 

 

En 2007, cinq grandes banques de marché incarnaient la puissance de Wall Street : Merrill Lynch, Goldman Sachs, Morgan Stanley, JP Morgan Chase et Lehman Brothers. Aucune n’est sortie indemne de la crise financière de 2007-2008. Et pourtant, treize ans plus tard, Wall Street règne à nouveau, plus que jamais, sur le système financier occidental.

Lehman Brothers a disparu du jour au lendemain, le 15 septembre 2008. Merrill Lynch a été absorbée par une grande banque de dépôt, Bank of America. JP Morgan Chase résulte aujourd’hui d’une série de fusions et de prises de contrôle, dont celles, en 2008, de Bear Stearns et Washington Mutual, deux protagonistes de la crise des subprimes en faillite. Morgan Stanley n’a survécu qu’en recevant la plus grosse part des fonds publics avancés d’urgence, au plus fort de la crise, par l’État américain. Et pourtant, treize ans plus tard, Wall Street règne à nouveau, plus que jamais, sur le système financier occidental.

 

L’institution la plus emblématique de cette domination : BlackRock

Aujourd’hui, l’institution la plus emblématique de cette domination aux yeux du public n’est pas exactement une banque. C’est un organisme spécialisé dans les placements en Bourse, qui a son siège à Manhattan (et des implantations dans une dizaine de paradis fiscaux) : BlackRock, le premier gestionnaire d’actifs du monde, à la tête de 6 000 milliards de dollars (trois fois le total des placements de toutes les compagnies d’assurances en France). La mobilisation pour les retraites a mis en évidence son influence sur le gouvernement Macron. On a pu noter qu’en France il possède des participations dans dix-huit sociétés du CAC40 ; par exemple, plus de 5 % dans ATOS dont le P.-D.G., Thierry Breton, vient d’être nommé commissaire européen. On ne sera pas étonné d’apprendre que le président du conseil de surveillance de BlackRock Allemagne, Friedrich Merz, est l’une des personnalités susceptibles de succéder à Angela Merkel comme chancelier fédéral…

BlackRock fait partie de ce qu’on appelle le shadow banking, cet ensemble d’institutions qui participent à la circulation de l’argent sans avoir le statut de banque et sans être soumises aux réglementations et à la surveillance qui encadrent l’action de la profession bancaire.

Ce poids des marchés financiers – concrètement, aujourd’hui, ces réseaux de salles de marchés où s’échangent des titres tels que les actions, les obligations, les titres du marché monétaire et tous les « produits dérivés » conçus pour faciliter toutes les formes de spéculation – est un trait caractéristique des économies nord-américaines. Aux États-Unis, les banques ne gèrent que 23 % des actifs circulant dans le système financier (58 % en France, 52 % en Allemagne, 48 % au Japon). En revanche, la part des fonds de pension et des autres intermédiaires financiers tels que les gestionnaires d’actifs comme BlackRock et les fonds de placement spéculatifs (hedge funds) atteint 53 % aux États-Unis contre 16 % en France, 22 % en Allemagne, 17 % au Japon. En d’autres termes, le financement de l’économie qui, en Europe, est pour l’essentiel une affaire négociée entre des banques et leurs clients, passe aux États-Unis par l’émission de titres qui s’échangent ensuite entre des organismes dont le métier est de spéculer sur la hausse ou la baisse de leurs cours. C’est cette titrisation, appliquée au financement par les ménages américains de leurs acquisitions de logements, qui a transformé en 2007 le krach dit « des subprimes » et la plus grave crise économique depuis la Deuxième Guerre mondiale.

 

En permanence les banques font crédit aux spéculateurs

Cela ne veut pas dire que les banques joueraient un rôle secondaire dans le système financier américain. Au contraire, les marchés de titres ne fonctionnent que parce qu’en permanence les banques font crédit aux spéculateurs. La monnaie créée par le crédit est le fluide vital qui alimente le cancer financier, alors que le métier des banques devrait être d’alimenter la création de richesses par le travail des femmes et des hommes.

« BlackRock fait partie de ce qu’on appelle le shadow banking, cet ensemble d’institutions qui participent à la circulation de l’argent sans avoir le statut de banque et sans être soumises aux réglementations et à la surveillance qui encadrent l’action de la profession bancaire. »

Le système bancaire américain est assez fragmenté. Il comprend près de six mille banques dont la plupart n’exercent leur activité qu’au niveau local. Il a cependant connu un processus de concentration, d’abord avec la libéralisation financière des années 1980, qui a permis à des holdings bancaires de posséder des filiales dans plusieurs États, et qui a abouti à l’abolition, en 1999, du Glass-Steagall Act qui, depuis 1933, interdisait aux banques commerciales d’émettre, de placer ou de négocier des titres sur le marché financier. Ensuite, les restructurations qui ont suivi la crise de 2007-2008 ont renforcé la taille et la puissance des quelques grandes banques qui ont pignon sur rue à Wall Street, en particulier les plus grandes : JP Morgan Chase, Bank of America, Goldman Sachs, Wells Fargo dominent le marché monétaire du dollar, l’émission des titres de la dette publique américaine, les fusions, acquisitions, restructurations du capital des multinationales, la circulation des capitaux et l’optimisation fiscale, la fourniture de liquidités aux fonds de placement, hedge funds et autres acteurs du shadow banking

 

Le cœur financier du monde

Au total, Wall Street, à la pointe de Manhattan où se situent les sièges des grandes banques et celui de la Réserve fédérale de New York, est bien le cœur financier de l’Amérique ; c’est du même coup le cœur financier du monde.

Le dollar est la première monnaie mondiale de facturation du commerce international. Quiconque veut commercer en dollars doit donc avoir accès au système bancaire des États-Unis qui, seul, peut bénéficier d’un refinancement par la Réserve fédérale américaine, l’équivalent, outre-Atlantique, de la Banque centrale européenne. De fait, toute l’économie mondiale dé­pend des autorités américaines. Un épisode très significatif l’a montré. Au début de la crise de 2007-2008, la Réserve fédérale des États-Unis a passé des accords de swaps avec la BCE et d’autres banques centrales du monde, pour pouvoir leur fournir en urgence des dollars. Sans cette action, les banques européennes en manque de liquidités auraient risqué de connaître le sort de Lehman Brothers.

L’hégémonie du dollar va en effet bien au-delà de son seul rôle dans la facturation des transactions commerciales. La monnaie des États-Unis est la première monnaie de réserve internationale, et 50 % des crédits bancaires internationaux sont libellés en dollars.

« La monnaie créée par le crédit est le fluide vital qui alimente le cancer financier, alors que le métier des banques devrait être d’alimenter la création de richesses par le travail des femmes et des hommes. »

Ainsi, un seul État, celui des États-Unis, a le privilège d’émettre librement et à un coût nul cette véritable monnaie mondiale. Comme les entreprises et les États du monde entier souhaitent que leurs réserves internationales soient libellées en dollars, cette émission peut prendre d’énormes proportions sans mettre en péril la crédibilité de la monnaie américaine, ni affecter de façon incontrôlable son cours sur le marché des changes. Cela fait de la monnaie américaine le vecteur majeur d’une mondialisation financière structurée par les multinationales et polarisée autour de Wall Street.


Périls financiers et écologiques

« La fragmentation des chaînes de valeur mondiale des multinationales, l’ouverture générale à la globalisation financière, sa domination sur le crédit bancaire pour des surendettements et les opérations spéculatives, sans parler de la prolifération des services bancaires parallèles (shadow banking) appuyant la fraude, la corruption et le banditisme, ont fait exploser l’usage et le besoin du dollar.< « Drogué au dollar comme jamais, le monde devient fou à l’idée d’en manquer. » (Yves Dimicoli, rencontres internationales « Que faire face à la mondialisation capitaliste ? » organisées par le PCF et la revue Économie et politique, les 7 et 8 février derniers.)

Mais c’est aussi pourquoi l’hégémonie du dollar et de Wall Street n’a jamais été aussi fragile. Elle est mise en cause par la montée des périls qui accompagnent la crise actuelle de la mondialisation capitaliste. Périls financiers : l’inflation des prix des actifs financiers, en particulier ceux de la dette publique américaine prépare un krach plus retentissant encore que celui de 2007. Périls écologiques : l’ère du dollar s’identifie à celle du pétrole. Périls politiques avec la guerre économique de Trump contre la Chine, qui est en même temps l’un des principaux créanciers du Trésor américain, et qui a pris différentes initiatives, avec les autres pays émergents, pour mettre en place des institutions financières internationales émancipées de la tutelle des États-Unis, jusqu’à proposer le remplacement du dollar par un nouvel instrument de réserve international développé à partir des droits de tirage spéciaux du FMI, une idée déjà exprimée par Paul Boccara en 1983.
L’avenir de la civilisation dépendra ainsi des possibilités de convergence entre les multiples contestations de l’hégémonie financière et monétaire du néo-impérialisme américain : celle des pays émergents, celle qui s’exprime aux États-Unis même avec la montée d’une gauche hostile à Wall Street, celle des luttes pour un modèle social européen émancipé de la dictature des marchés financiers. 

Denis Durand est économiste. Il est directeur de la revue Economie & Politique.

Cause commune n° 16 • mars/avril 2020

 

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8 mai 2020 5 08 /05 /mai /2020 05:44

 

La construction capitaliste de l’Union européenne peut se disloquer. Les conseils européens des chefs d’État et de gouvernement sont plus catastrophiques les uns que les autres. Ce qui est actuellement sur la table, à savoir les conclusions de cette instance dite «informelle» qu’est l’Eurogroupe du 9 avril, conduit à l’augmentation de la dette des États et à leur exposition aux dramatiques «ajustements» néolibéraux qui sont justement à l’origine de la crise des systèmes de santé publics. Les critiques des gouvernements espagnol, portugais et italien sont tout à fait justifiées.

 

 

L’ampleur de la crise du capitalisme et de ses conséquences sociales appelle à d’autres solidarités entre peuples et nations d’Europe. Elles sont possibles et nécessaires. Je me contenterai de l’illustrer par quatre propositions.

Une proposition immédiate, que le PCF porte depuis longtemps et que le PGE a reprise: la redirection des moyens et efforts financiers de la BCE vers l’investissement pour les services publics et l’emploi. La pétition initiée par Frédéric Boccara et Paolo Ferrero, vice-président du PGE, «L’argent de la BCE pour la santé, pas pour le capital», interpellant la commission européenne doit être popularisée. Cette mesure n’est pas seulement une action urgente, mais elle ouvre une brèche sérieuse dans l’économie politique monétariste de l’euro.

D’autre part, la crise de la mondialisation capitaliste et la nécessité de défendre l’emploi soulignent la nécessité de porter l’exigence des relocalisations des industries stratégiques sur le sol européen. Elles ne seront durables que si elles sont complétées de mesures efficaces de lutte contre le dumping social, fiscal et écologique, et contre l’évasion fiscale.

De plus, la question de la dette est plus que jamais centrale, alors que les États de l’UE vont s’endetter en moyenne pour dix points supplémentaires de PIB. La nécessité d’un moratoire sur les dettes publiques et de l’annulation de leur part illégitime, à travers d’une conférence européenne de la dette. Ce qui a été possible de faire en 1953 pour la dette publique de la RFA à la conférence de Londres pour les intérêts de la bourgeoisie ouest-allemande doit l’être aujourd’hui pour ceux des peuples.

Enfin, la «suspension» du Pacte de stabilité et de croissance ne serait sans doute que l’arbre qui cache la forêt si elle n’appelle pas son annulation totale, ainsi que celle de l’ensemble du corset austéritaire européen, à savoir le semestre européen, le pacte budgétaire et les autres mécanismes de contrôle de la commission européenne sur les budgets des États.

Si des brèches sont ouvertes, les élargir pour remettre en cause la logique même de l’européisme libéral en faisant émerger d’autres solidarités, mutuellement bénéfiques, entre les peuples et les nations d’Europe implique un niveau de rapport de force de haut niveau et une bataille de classe de haute intensité. Nous avons des points d’appui, en France et en Europe. À nous, avec nos alliés en Europe, de les renforcer et de les élargir.

 

Vincent BOULET

Responsable Europe du PCF

 

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6 mai 2020 3 06 /05 /mai /2020 06:33
Assassinat d’Henri Curiel : vérités évidentes, justice empêchée
Il y a quarante ans, le 4 mai 1978, Henri Curiel était assassiné à Paris. Je suis la fille de son cousin germain, Guy Braibant. Nous connaissons la vérité sur ses assassins mais, au nom du secret défense, la justice reste empêchée par un fil rouge menant du général Aussaresses au président Giscard d’Estaing.

Il faisait chaud ce week-end de juin 1976. La sécheresse grignotait petit à petit toute la France. Paris était gagné par la torpeur. Dans la voiture de mon père, je m'étais à moitié endormie. Jusqu'à ce que je l'entende dire de sa voix douce "mais qu'est ce que c'est que ça ?". Au feu rouge du croisement des boulevards Saint Michel et Saint Germain, il restait en arrêt devant un kiosque à journaux dont l'immense affiche apposée à son dos, proclamait fièrement le dernier scoop du Point : "Henri Curiel, le patron des réseaux d'aide aux terroristes". Et de son ton toujours aussi calme, mais angoissé cette fois, il me dit : "Henri va être assassiné."

Deux ans et une nouvelle campagne de presse plus tard, toujours dans Le Point, puis le Spiegel allemand, Henri était assassiné, une journée chaude encore, le 4 mai 1978, jeudi de l'ascension. Nous étions encore ensemble, dans la même voiture, la radio allumée, un flash nous annonça la nouvelle, et je me souviendrai toujours du visage soudain gris de mon père, lui qui manifestait si peu d'émotion.

C’était en 1976, 1977, 1978, assassinats en Afrique du Sud – mise au ban des Nations Unies pour son régime d’apartheid -, assassinats en France, présidée par un homme moderne, ancien partisan de l’Algérie française. Des meurtres nombreux – des Algériens, des Palestiniens, des Basques -, parfois précédés d'articles de journaux comme ceux du Point, non signés, de faux scoops apportés sur un plateau d''argent à Georges Suffert qui ne voyait rien de mal à l'apartheid ou aux dictatures d'Amérique latine, mais vomissait tout ceux qui se rapprochaient de près ou de loin du communisme. Comme Henri Curiel. Plus tard, Georges Suffert reconnaîtra avoir été "un peu léger" sur ce coup là.

Henri était le cousin germain de mon père Guy Braibant, et il était l'ancien chef de file des porteurs de valise durant la guerre d’Algérie, un groupe qui s’était reconverti dans l’aide aux mouvements de libération nationale de par le monde. Au premier rang desquels l’ANC. Il fournissait des faux papiers aux militants sud-africains, il aidait les militants anti-apartheid blancs – relisant en eux le courage des porteurs de valise de France durant la guerre d’Algérie. Il fut soupçonné d’avoir permis la révélation du mirifique contrat nucléaire entre Paris et Pretoria. Et assassiné le 4 mai 1978.

Entre le 3 mai et 5 mai 1978, circulait en France un certain Jean Paul Guerrier, « pigiste » au service action du SDECE (services de contre espionnage de l’époque), membre du groupe mercenaire de Bob Denard, ami du général Aussaresses, envoyé par lui, et avec lui, comme instructeur en Afrique du Sud sous Nicolaas Johannes Diederichs, grand admirateur du 3ème Reich, en Argentine sous Videla, au Chili sous Pinochet pour apprendre à ces sages élèves la répression pratiquée contre le FLN algérien. Jean-Paul Guerrier donc, impliqué dix ans plus tard en 1988 dans l’assassinat à Paris de Dulcie September, représentante de l’ANC auprès de l’Unesco.

Lors de la sortie de ses mémoires en 2001, le bon vieux général Aussaresses, qui avait admis avoir usé et abusé de torture au temps de la guerre d'Algérie, regrettait tout de même de ne pas avoir fait tuer des porteurs de valise., comme il en avait le projet. Il confessera haïr ces Français.es par dessus tout, ces traitres qui appuyaient le FLN. Plus tard il admettra ne pas être étranger à l'assassinat d’Henri, cet Homme à part (titre du beau livre de Gilles Perrault) qui avait participé aux luttes anti-coloniales, avait pris le relai de Francis Jeanson (après son retrait) à la tête du réseau des porteurs de valises, avant de vouloir empêcher de torturer en paix les dirigeants sud-africains ou sud-américains...

Au sommet de l’Etat giscardien régnaient d’anciens militants de l’Algérie française qui n’avaient pas fait leur deuil de cette guerre-là. Et ils voulaient mettre un terme aux actions d’Henri Curiel , celle d’offrir une aide logistique aux militants anti-apartheid ou à ceux qui résistaient aux dictatures. Les tentatives par voie de presse n'y suffirent pas. Alors le meurtre. Raison d'Etat. Des juges d'instruction successifs, des archives disparues, des non lieux en perspective toujours repoussés par la ténacité de l'avocate Linda Weil-Curiel, une autre cousine.

Et puis le témoin repris par William Bourdon, et l'enquête réouverte, 40 ans plus tard, en janvier 2018.

La vérité, nous la connaissons, nous attendons maintenant la justice.

En 2006, l'ex commissaire Lucien Aimé Blanc (en délicatesse avec ses supérieurs, il avait été suspendu), compagnon de ces mercenaires post-coloniaux en Afrique, publiait L'indic et le commissaire. Il y parlait de l'assassinat d'Henri. Il donnait un nom, peut-être une vantardise de plus chez un fanfaron qui aimait se faire mousser…. Je l’ai rencontré alors, et j'avais lancé devant lui les noms de Jean-Paul Guerrier, du général Aussaresses. L'ancien flic avait sursauté, puis commenté : "Vous êtes bien renseignée." Silence. "Mais tant que certains seront en vie, il n' y aura jamais de procès". 

Et voilà que Aussaresses meurt en décembre 2013. Et ce hasard aussitôt, la mort simultanée de deux hommes que tout sépare. Celle d’Aussaresses annoncée mercredi 4 décembre 2013 par une association d’anciens parachutistes, ses amis en torture. Celle de Nelson Mandela le lendemain 5 décembre par le gouvernement sud-africain de la nation arc-en-ciel de l’après apartheid, de la commission Vérité et réconciliation. Un télescopage inaperçu pour tous, sauf pour quelques uns, ces mercenaires nostalgiques des colonies et d'un ordre ancien qu'ils appelaient nouveau. Qu’ont-ils pensé lorsque Madiba (Mandela), un homme qu’ils ne pouvaient que haïr, est sorti de prison en 1990 puis lorsqu’il est devenu président en 1993 ? Que pensent-ils à l’heure de la fin de celui qui est devenu un héros planétaire ? 

Entre Nelson Mandela et le général Aussaresses, le fil rouge sang de l’apartheid. Ils avaient tous deux 95 ans au jour de leur décès. Le général Aussaresses, grand tortureur devant l’éternel durant la guerre d’Algérie, employé par le marchand d'armes Thomsom, s'était mis, à titre privé, en tant que conseiller spécial, au service des dictatures d’Amérique latine et de l’Afrique du Sud de l’apartheid. Avec la bénédiction de Valery Giscard d’Estaing qui régnait à l’Elysée (1974 – 1981), avec son ami Michel Poniatowski, membre actif de l’association des amitiés France/Afrique du Sud. Comme Georges Suffert. 

Aux yeux du pouvoir français de la fin des années 1970, le plus ancien bagnard sud africain était un ennemi absolu. Les gouvernements français de Jacques Chirac et Raymond Barre avaient choisi, comme en Allemagne, de rompre secrètement l’embargo international décrété contre le régime raciste de Pretoria. De colossaux contrats industriels, comme la fourniture de l’industrie nucléaire, furent conclus avec le gouvernement sud africain. Et pour empêcher toute fuite, toute opposition, des mercenaires français cornaqués par le général Aussaresses et le commandant Georges, anciens membres dirigeants des commandos fascistes et meurtriers Delta durant la guerre d’Algérie, furent dépêchés pour épauler le sinistre Boss sud africain dans sa guerre aux terroristes de l’ANC, l’African national congress de Mandela, proche des communistes. Avec la bénédiction du président français Giscard d’Estaing.

Mais le secret de l'embargo rompu fut éventé, les gouvernements français et allemand condamnés par la communauté internationale. Ils croyaient Henri Curiel responsable de la fuite. C'était l'ANC.

Mais au fond pour les services français, quels qu'ils soient, c'était pareil. Ils auront certainement fêté le meurtre "d'Henri Curiel, traitre à la France qui l'avait accueilli", selon les termes du commando Delta, qui revendiqua le crime.

–––––––––––––––– 

Celles et ceux qui luttent pour la justice autour des crimes impunis :

> L’association « Mémoire, Vérité, Justice », fondée en 1999 par des proches des victimes, avait vocation à regrouper toutes les informations sur les assassinats politiques en France, depuis celui de Mehdi Ben Barka en octobre 1965, en passant par les liquidations de huit représentants palestiniens tels Mahmoud Al Hamchari (8 décembre 1972 à Paris) ou Ezzedine Kalak (3 août 1978).

De 1978 à 1985, c’est au tour des indépendantistes Basques d’être visés en France, dix militants sont tués durant cette période. Puis en mars 1988, 10 ans tout juste après Henri Curiel, la Sud-Africaine Dulcie September représentante de l’ANC auprès de l’Unesco est assassinée, à Paris aussi. Une liste partielle de ces crimes qui, selon l’association "comporte exclusivement les affaires posant la question de la double implication des États. Implication ou interrogation sur l’implication directe et active d’un État étranger dans un assassinat politique commis sur le territoire français, et implication ou risque d’implication de l’État français, qu’elle soit directe ou indirecte, active ou passive, avant, pendant ou après le crime."

> Le collectif « Secret défense, un enjeu démocratique » s’est formé à la suite d’une table-ronde sur le secret-défense, quelques semaines avant que le président Emmanuel Macron ne promette, le 28 novembre 2017 à Ouagadougou, de communiquer aux juges burkinabés tous les documents français dans le dossier de l’assassinat de l’ancien président Thomas Sankara. Il regroupe des familles et proches de victimes d’affaires criminelles, engagés aujourd’hui dans une dizaine de procédures judiciaires dans lesquelles le secret-défense compromet la manifestation de la vérité, ainsi que des historiens et des journalistes confrontés au refus de l’État et de l’administration de communiquer des documents. Il s’agit de l’assassinat de Thomas Sankara, président du Burkina Faso, le 15 octobre 1987 ; des massacres de Sétif (Algérie) en mai 1945 et de Paris le 17 octobre 1961 ; de la « disparition » de l’universitaire Maurice Audin en Algérie en 1957 ; du massacre des tirailleurs « sénégalais » au camp de Thiaroye le 1° décembre 1944 ; de l’enlèvement et la disparition de Medhi Ben Barka à Paris le 29 octobre 1965 ; de l’assassinat du magistrat Bernard Borrel à Djibouti le 18 octobre 1995 ; de l’enlèvement et l’assassinat au Mali des journalistes à RFI Ghislaine Dupont et Claude Verlon le 2 novembre 2013.

Le militant Henri Curiel a été assassiné à 63 ans, le 4 mai 1978.

Le militant Henri Curiel a été assassiné à 63 ans, le 4 mai 1978.

Hommage. Paris honore Henri Curiel, et la lutte anticoloniale
Vendredi, 26 Avril, 2019

La Ville de Paris a inauguré jeudi une plaque à la mémoire de cet insatiable militant internationaliste, assassiné au pied de son immeuble, il y a 41 ans. Cette commémoration est un appel à poursuivre l’enquête, qui bute sur le secret défense.

«Si je ne brûle pas, si tu ne brûles pas, si nous ne brûlons pas, comment les ténèbres deviendront-elles clarté ? » C’est par ces vers, du poète turc Nazim Hikmet, qu’Alain Gresh, directeur d’Orient XXI, a rendu hommage à l’engagement total d’Henri Curiel. Cette grande figure de la lutte anticoloniale, qui est aussi son père, va désormais avoir une plaque à son nom, à Paris, apposée sur l’escalier reliant la rue Rollin à la rue Monge. C’est ici qu’Henri Curiel vivait, c’est ici qu’il a été assassiné de trois balles de colt 45, le 4 mai 1978.

Les sicaires, que des révélations récentes relient au Sdece, le contre-espionnage français, n’ont jamais été arrêtés. Récemment rouverte par le parquet, l’enquête bute aujourd’hui sur le secret défense. « Nous savons, grâce au travail des journalistes, qu’il y a des implications du général Aussaresses (tortionnaire pendant la guerre d’Algérie – Ndlr)et des plus hautes autorités de l’État. Ces décisions n’ont pas pu être prises sans en informer le président de la République, Valéry Giscard d’Estaing. Ça rend les choses compliquées. Mais nous ne perdons pas espoir », a déclaré Alain Gresh. Les proches d’Henri Curiel espèrent que la pose de cette plaque, par la Ville de Paris, constitue un « appel à poursuivre l’enquête ».

Un passeur entre le Nord et le Sud

Un appel, aussi, à « briser cette tradition française du secret défense qui fait qu’une partie de l’État pense être au-dessus des règles, au nom de la raison d’État ». Car il y a « des dizaines d’affaires qui relèvent du secret défense, comme l’affaire Ben Barka ou le massacre des tirailleurs à Thiaroye, en 1944, au Sénégal ».

Cette plaque rend aussi hommage à un « engagement communiste, humaniste, anticolonialiste », selon Catherine Vieu-Charier, adjointe à la maire de Paris (PCF). « Il a vite compris, abonde Alain Gresh, que le combat anticolonialiste était la question essentielle pour les pays du tiers-monde à une époque où le mouvement communiste pensait que la révolution sociale était plus importante, qu’elle aurait lieu dans les pays européens. » Cette intuition a structuré tous ses combats. Après avoir soutenu la France libre, Henri Curiel, provenant d’une riche famille juive du Caire, crée le Mouvement égyptien de libération nationale, premier parti communiste du pays, qui va jouer un grand rôle dans les grèves déclenchées sous domination britannique. Expulsé par le roi Farouk, il s’engage aux côtés du Front de libération national algérien. Il prendra même le relais de Francis Jeanson à la tête du réseau de porteurs de valises, avant d’être emprisonné à Fresnes. Après 1962, il crée le réseau Solidarité, qui va soutenir, former, des dizaines de militants anticolonialistes du tiers-monde. Mandela, Ben Barka, militants anti-impérialistes d’Amérique du Sud, il les a tous aidés…

« Beaucoup de personnes en France se sont levées contre l’entreprise coloniale, ont pris des risques – Henri Curiel l’a même payé de sa vie –, tout ceci doit être gratifié aujourd’hui », a réagi hier Bertrand Badie, professeur des universités. « L’histoire de France doit réintégrer tous ces militants et les considérer comme un pan de sa Résistance, comme une partie intégrante des valeurs humanistes de notre pays. » Aujourd’hui plus qu’hier, « parce que nous sommes confrontés à un délire populiste et nationaliste cultivant une forme de méfiance et de peur à l’encontre du Sud. (…) Un homme comme Henri Curiel était un passeur entre le Nord et le Sud, entre la France et ces pays d’Afrique qui deviennent un peu le centre du monde, démographiquement, sociologiquement, politiquement. Il faut que l’on apprenne, à travers lui, que nous ne sommes plus seuls au monde. »

Pierre Duquesne

Quand l’internationalisme soutenait les mouvements de libération nationale

Le Monde Diplomatique, avril 1998

Henri Curiel, citoyen du tiers-monde

Il y a vingt ans, le 4 mai 1978, deux hommes abattaient Henri Curiel à son domicile parisien. Aujourd’hui, les assassins courent toujours et le dossier est officiellement classé. Né en Egypte en 1914, fondateur du mouvement communiste dans ce pays, Henri Curiel fut exilé par le roi Farouk en 1950. Il s’installa alors en France où il consacra ses efforts à l’aide aux mouvements de libération du tiers-monde ainsi qu’à la paix entre Israël, les pays arabes et les Palestiniens. Dénoncé comme « le patron des réseaux d’aide aux terroristes », il avait, en réalité, inventé une forme d’internationalisme qui correspondait aux formidables luttes anticoloniales qui ont marqué la seconde moitié du siècle.

 

Il naît et mourra égyptien. C’est le choix de son cœur : le hasard de son lieu de naissance n’en faisait pas une nécessité. Car si Henri Curiel voit le jour au Caire le 13 septembre 1914, c’est-à-dire au dix-neuvième siècle, sa famille juive possède la nationalité italienne, quoique aucun de ses membres ne parle un mot d’italien. Grandissant dans un pays occupé par les Britanniques et dont il ne comprend pas la langue, il fait ses études dans un collège de jésuites français. Cette vie ne sera pas simple.

Chassés d’Espagne par l’Inquisition, passés probablement par le Portugal et l’Italie, les Curiel auraient débarqué en Egypte dans le sillage de Bonaparte. Le grand-père d’Henri était usurier. Son père, élargissant les opérations sans guère en modifier la nature, accède à la dignité de banquier. La famille habite dans l’île très chic de Zamalek une immense maison meublée moitié Louis XVI, moitié modern style. Sans être austère, le train de vie se veut à l’écart de l’ostentatoire : dix domestiques seulement. Chaque jour, table ouverte pour les amis qui passent et s’assoient sans façon. Ils sont toujours une dizaine et, sauf exception rarissime, appartiennent à la communauté juive.

Le passeport italien (ou grec, français, anglais, etc.) est de pure commodité : il permet de bénéficier du régime capitulaire et de jouir du privilège de juridiction. Ces « étrangers » dont des générations d’ancêtres reposent dans les cimetières du Caire ont des intérêts en Egypte et aucun intérêt pour elle. Leur patrie d’élection, c’est la France. Les parents d’Henri Curiel et leurs amis la voient à la façon du jeune Charles de Gaulle, leur contemporain, « telle la princesse des contes ou la madone aux fresques des murs, comme vouée à une destinée éminente et exceptionnelle ». Chaque soir, le banquier Daniel Curiel, aveugle depuis l’âge de trois ans, se fait lire Le Temps par son épouse. Henri et son frère aîné Raoul ânonneront au collège « Nos ancêtres les Gaulois » et n’apprendront de l’histoire égyptienne que la période pharaonique, inscrite au programme de 6e.

Chaque été, un voyage en France. Mais cette passion, dont on a peine aujourd’hui à concevoir l’intensité, entraîne éventuellement, après des engagements volontaires, à des séjours plus âpres et parfois définitifs dans la boue sanglante de Verdun. Un an avant son assassinat, évoquant sa jeunesse, Henri Curiel dira : « La seule patrie à laquelle je me sentais rattaché était la France. »

Irrépressible aspiration à l’indépendance

Tandis que son frère Raoul reçoit la permission de poursuivre des études supérieures à Paris (il deviendra un très éminent archéologue), Henri se voit désigné pour travailler avec son père et lui succéder un jour. Le coup du sort l’accable. On le prive de la France, où filent l’un après l’autre ses parents et amis, pour le river au banc de la galère bancaire. Défilé quotidien et crasseux de paysans aux abois venus hypothéquer la future moisson. Mais comment se rebeller contre un père aveugle ? Henri se console avec les livres et les filles. Il se partage équitablement entre jeunes bourgeoises et putains. Aux premières, il fait lire Proust ; aux secondes, Dostoïevski.

Son exquise sensibilité lui vaut le surnom de « Lilas foudroyé ». Une dégaine d’épouvantail à moineaux : 50 kg pour 1,82 m. Il sombre dans un état prétuberculeux. Les piqûres prescrites lui sont administrées par une jeune infirmière de son milieu qui a des préoccupations sociales. Elle le convainc d’aller soigner avec elle les paysans qui travaillent sur la propriété des Curiel (100 hectares dans le delta du Nil ; la plupart des familles de fellahs vivent sur 2 ou 3 ares). Aux côtés de Rosette Aladjem, qui deviendra sa femme, Henri Curiel découvre l’insondable misère du peuple égyptien.

Tous ceux d’Egypte qui l’accompagneront dans la militance jusqu’à sa mort ont éprouvé ce choc initiatique, la révélation bouleversante d’un insoutenable malheur. Un âne se loue plus cher qu’un homme. Dans les usines de coton possédées par leurs familles, les ouvriers sont des enfants de sept à treize ans travaillant sous les coups de fouet des contremaîtres européens ; seuls les contremaîtres portent des masques pour se protéger de la poussière suffocante ; en moyenne, un tiers des enfants meurent de phtisie dans l’année. La malaria emporte des villages entiers ; 95 % des paysans sont atteints de bilharzioze. Le trachome donne à l’Egypte le record mondial des aveugles. La longévité moyenne est de vingt-sept ans — encore ne compte-t-on pas les enfants morts dans leur première année.

Comme les jeunes gens d’Europe, ils lisent Malraux, Nizan, le Gide des allers-retours, et rôdent autour du marxisme. A leur différence, ils n’entrent pas en politique au terme d’une démarche intellectuelle : ils y sont précipités par une révulsion-pulsion de tout l’être. Ce qui distingue et distinguera toujours leur petite cohorte de l’armée militante européenne, c’est d’être né au sein de ce qu’on ne nomme pas encore le tiers-monde, dans un système de production réalisant avec un cynisme indépassable les conditions optimales de l’exploitation de l’homme par l’homme. Cette révélation n’est point abstraite, tirée de quelque ouvrage doctrinal, déduite d’un calcul de plus-value, mais physique, viscérale, inscrite à jamais dans leur sensibilité.

D’Henri Curiel, son camarade Joseph Hazan dira : « Il n’a jamais oublié que c’est la misère du peuple égyptien qui l’a conduit à la politique. » Comment ne deviendraient-ils pas communistes quand la grille d’interprétation marxiste s’applique si exactement à la situation qu’ils découvrent ? Problème : il n’existe pas de parti communiste égyptien.

Voué à consacrer sa vie à la solidarité internationale, Henri Curiel commença par rencontrer son apparent contraire : la puissance égoïste du sentiment national.

Comme tous les siens, il est évidemment antifasciste. En septembre 1939, il tente vainement, avec son frère Raoul, de s’engager dans l’armée française. Il milite à l’Union démocratique, qu’il a créée avec ses amis pour promouvoir la cause alliée, et participe à la fondation des Amitiés françaises, qui soutiennent l’aventure gaulliste.

En 1942, quand Le Caire semble sur le point de tomber aux mains de l’Afrikakorps de Rommel, la communauté juive aisée s’entasse dans des trains à destination de Jérusalem. Henri Curiel décide de rester. Il veut organiser la résistance à une éventuelle occupation nazie. La police égyptienne l’arrête à l’insu des autorités anglaises. Elle s’emploie à rafler les juifs demeurés sur place pour les offrir en cadeau de bienvenue au vainqueur. La prison est peuplée d’agents égyptiens au service du Reich arrêtés par le contre-espionnage britannique. De sa cellule, Curiel entend des milliers de manifestants scander le nom de Rommel. Découverte bouleversante : l’Egypte, dans sa masse, joue Hitler contre Churchill. Ceux qu’on appellera plus tard les « officiers libres », Anouar El Sadate en tête, fricotent avec l’espionnage allemand et s’engagent à poignarder les Britanniques dans le dos. Connivence idéologique avec le nazisme ? Evidemment, les patriotes égyptiens sont prêts à s’allier avec le diable. Henri Curiel retiendra la leçon : l’aspiration d’un peuple à l’indépendance est irrépressible.

Aussi fonde-t-il dès 1943 le Mouvement égyptien de libération nationale (MELN), que suivra la création du Parti communiste soudanais. « Qu’est-ce qu’être communiste aujourd’hui en Egypte ? C’est être anti-impérialiste. » Servie par un militantisme d’une générosité sans bornes, l’organisation est rapidement en mesure de présenter un bilan substantiel : traduction et diffusion des textes communistes fondamentaux, création d’une école de cadres, participation active aux conflits sociaux qui secouent le pays et, naturellement, au mouvement de libération nationale, avec les grandes manifestations de février 1946 qui aboutissent à l’évacuation des villes par les Britanniques.

De lourds handicaps obèrent néanmoins l’avenir. La pénurie de cadres entrave le développement. Les ouvriers, plus accessibles que les paysans à un travail de masse, ne représentent en 1945 que 3 % de la population. Rude concurrence aussi avec la floraison d’organisations qui aspirent à devenir « le » Parti communiste égyptien. Trois émergeaient du lot : le MELN d’Henri Curiel, Iskra d’Hillel Schwartz et Libération du peuple de Marcel Israël. Les trois dirigeants sortaient du ghetto doré de la bourgeoisie juive. Cette origine commune avivait encore les querelles inhérentes à l’action politique. Surtout, elle ne facilitait pas le contact avec les larges masses, comme on disait à l’époque, malgré la volonté unanime d’« égyptianiser » le mouvement. Henri Curiel avait pris la nationalité égyptienne lors de l’abrogation du régime des capitulations et s’était mis à l’étude de l’arabe sans parvenir à le maîtriser. Imagine-t-on Lénine baragouinant le russe ? Trente ans plus tard, un vieux militant, Saïd Soliman Rifaï, constatera avec tristesse : « Si Henri était né égyptien, la carte du Moyen-Orient aurait été changée. »

Politiquement mort

Une fusion des principaux mouvements intervient en mai 1947. Durable, elle aurait pu accoucher de ce parti communiste dont chacun rêvait. Les zizanies intestines eurent tôt fait de fracasser l’unité. Un an plus tard, le regroupement était opéré dans un camp d’internement.

Henri Curiel et ses amis avaient approuvé la création d’Israël. Les Frères musulmans mis à part, le peuple égyptien ne se passionnait pas pour l’affaire. Mais la défaite essuyée au terme de la première guerre israélo-arabe fut ressentie comme une intolérable humiliation. Des centaines de militants communistes avaient été arrêtés dès la proclamation de l’état de siège. Parmi eux, les juifs virent leur destin scellé. Raymond Stambouli, compagnon de Curiel : « La guerre signifiait la fin de ce que nous avions rêvé et commencé à réaliser. Nous nous considérions comme des Egyptiens, même si nous admettions que les Egyptiens nous considèrent comme des étrangers. C’était fini. Nous n’étions plus seulement des étrangers, mais des juifs, donc des ennemis, une possible cinquième colonne. Lequel d’entre nous aurait pu prévoir cela ? »

Avec toutes les maladresses et les insuffisances qu’on voudra, ils avaient mis au service du peuple égyptien un dévouement militant qui eût ahuri par son intensité leurs homologues européens. La répression ne les avait pas épargnés et beaucoup, Curiel en tête, étaient passés par la prison à la suite de grèves ou de manifestations qui avaient ébranlé le pouvoir. Une guerre imprévue jetait tout à bas. Ils se retrouvaient incarcérés dans leur judéité.

Henri Curiel fut détenu dix-huit mois au camp d’Huckstep. Le pouvoir libérait ses amis moyennant leur départ définitif d’Egypte. Comme il s’obstinait à vouloir rester, une mascarade judiciaire le priva de la nationalité égyptienne, ouvrant la voie à l’expulsion. Mis de force sur un bateau, il quitta le 26 août 1950 une Egypte qu’il ne devait jamais revoir et jamais oublier.

C’est assurément un communiste qui débarque en Europe mais un communiste atypique. Né dix ou quinze ans plus tôt, il aurait probablement rallié le Komintern et ses « commis voyageurs de la révolution ». Les temps avaient changé. Après le stalinisme, la guerre froide avait définitivement gelé le flux révolutionnaire. Est et Ouest s’affrontaient en Europe dans une guerre de tranchées où aucune percée n’était concevable. Contraste inouï avec une Egypte où tout demeurait possible ! L’Union soviétique ? Sans remettre en cause son rôle dirigeant, voire même son exemplarité, Curiel la considérait moins comme le paradis socialiste advenu que comme une nation du tiers-monde ayant joliment réussi un décollage prometteur.

Débarqué à Gênes, il prit langue avec la direction du Parti communiste italien. L’accueil fut glacial. Il passa clandestinement en France, où André Marty lui fit meilleure figure. Ils se connaissaient depuis 1943. Marty, parti de Moscou pour rejoindre Alger, avait fait une escale de quatre jours au Caire. Obsédé par l’Intelligence Service, il avait accepté avec soulagement d’être hébergé par Henri et Rosette Curiel. Le rayonnement de la France en Egypte était tel que le PCF, à travers son bureau colonial, s’était vu confier la tutelle idéologique et politique du pays. Mais les permanents du bureau, staliniens granitiques, considéraient d’un œil plus que réservé ces jeunes bourgeois juifs qui prétendaient conduire un peuple arabe sur le chemin du socialisme. Exaspérés par les querelles et scissions qui ne cessaient de déchirer le mouvement communiste égyptien, ils s’étaient toujours refusés à choisir entre les organisations.

Henri Curiel perdit toutes chances d’être adoubé après le putsch des « officiers libres » qui, le 23 juillet 1952, déposa le roi Farouk. Le monde communiste dénonça sans tarder le « coup militaro-fasciste » d’officiers dont il devait bientôt glorifier l’impeccable progressisme. En Egypte même, les organisations communistes surenchérirent dans l’anathème. Seul le mouvement créé par Henri Curiel, qu’il continuait d’influencer de Paris, applaudit à l’opération. Curiel rencontrait depuis plus de dix ans les militaires progressistes. Plusieurs des « officiers libres », et non des moindres, appartenaient à son organisation. Il savait aussi l’enthousiasme suscité dans tout le pays par l’avènement du nouveau pouvoir, dont le programme annonçait des réformes (redistribution des terres, démocratisation de l’enseignement, justice sociale) rarement proposées par des putschistes fascistes. Mais puisque les augures communistes avaient parlé, le débat était clos, et l’organisation d’Henri Curiel se voyait dénoncée comme « suppôt de la dictature fasciste ».

Quant à son dirigeant en exil, l’affaire Marty allait le mettre au ban du mouvement communiste. Faisant flèche de tout bois pour accabler le vieil homme paranoïaque, le PCF lui reprocha d’avoir été hébergé en 1943 par « un couple d’Egyptiens douteux ». L’Humanité ajoutait : « Ces Egyptiens sont liés avec un de leurs parents (sic) qui n’est autre qu’un trotskiste accusé d’avoir été un »donneur« pendant la clandestinité. »

C’était condenser en quelques lignes la lâcheté, l’erreur et la diffamation. La lâcheté consistait à ne pas nommer les Curiel tout en les rendant parfaitement identifiables. Leur cousin André Weil-Curiel n’avait jamais été trotskiste, et encore moins un « donneur » pendant la Résistance.

Devenu un paria, Henri Curiel était politiquement mort.

Son intuition majeure est d’avoir pressenti dès les années 40 la puissance de la volonté de libération nationale. C’était prévoir le fait politique marquant de la seconde moitié du XXe siècle. Cette clairvoyance restait peu partagée. Le bureau colonial conseillait la patience à ses ouailles colonisées et leur répétait que l’émancipation ne pouvait résulter que de la victoire à venir du prolétariat « grand frère ». Pour avoir compris que la lame de fond de la revendication nationale allait déferler, mêlant le pur et l’impur, mais gigantesque, irrésistible, et qu’il fallait la chevaucher ou se condamner à rester sur le sable, Henri Curiel, juif apatride mis au ban du mouvement communiste, allait devenir l’un des grands citoyens du tiers-monde.

En 1957, quand il rencontre Robert Barrat, journaliste engagé contre la guerre d’Algérie, vieille de trois ans, Henri Curiel ne s’intéresse toujours qu’à l’Egypte. Elle s’éloigne. Ses proches s’inquiètent d’un état dépressif chronique qui n’est pas son genre. Robert Barrat le ressuscite en lui ouvrant un nouveau champ d’action. En novembre 1957, il le présente à Francis Jeanson, responsable d’un réseau d’aide au FLN qui existe depuis un an mais ne s’est véritablement structuré qu’un mois plus tôt. Pendant trois ans, Henri Curiel met au service de ce réseau son sens de l’organisation et son exceptionnelle capacité militante. Sa femme Rosette travaille avec lui, et aussi Joyce Blau et Didar Fawzi Rossano, toutes deux venues d’Egypte. Après un coup de filet de la DST, les Algériens demandent à Francis Jeanson, grillé, de passer la direction des opérations à Henri Curiel.

Aide aux réseaux antifascistes

Il voulut élargir le réseau et le pérenniser au-delà de la guerre d’Algérie en créant le Mouvement anticolonialiste français (MAF). Ce fut un rude échec. Son pragmatisme heurte les illusions lyriques de maints porteurs de valises qui croient que, par une réaction en chaîne, la « révolution algérienne » peut embraser l’Europe (plus tard, ce seront Cuba, la Chine, le Vietnam...). Fort de son expérience égyptienne, Henri Curiel ne voit dans le FLN qu’un mouvement de libération nationale. Ahmed Ben Bella représente une étape inéluctable dans le destin de la nation algérienne, mais il ne sera pas Lénine. Quant à exporter d’Algérie en France la flamme révolutionnaire, c’est à ses yeux pure billevesée.

Le 20 octobre 1960, Henri Curiel est arrêté. Dix-huit mois à Fresnes. La paix signée, l’arrêté d’expulsion pris au moment de son arrestation devrait être logiquement mis à exécution. Il y échappe grâce à des relations anciennes et puissantes. Au Caire, en 1943, ses Amitiés françaises avaient rendu de grands services à des Français libres dont certains siégeaient au conseil des ministres de De Gaulle.

Sortant de Fresnes à quarante-huit ans, il sait que la marginalité sera désormais sa loi. Faute de s’insérer quelque part, il peut être un homme charnière. De par sa formation intellectuelle et grâce à ses immenses lectures, il est dépositaire de l’expérience révolutionnaire accumulée en Europe. Il côtoie depuis des années des militants qui ont appris la clandestinité sous l’occupation nazie ou dans l’aide au FLN. Pourquoi ne pas mettre ces acquis au service des mouvements de libération nationale d’un tiers-monde dont il connaît depuis l’Egypte les difficultés à organiser la lutte ?

Ce sera Solidarité. Une centrale de prestation de services. Quelques dizaines de militants, pour la plupart français, venus de tous les milieux et de toutes les sensibilités (pasteurs protestants, syndicalistes, prêtres catholiques, membres du Parti communiste agissant à titre individuel, etc.), se mettent avec modestie au service d’autres militants venus du monde entier. Il ne s’agit point de jouer les guides politiques, mais plus simplement d’enseigner les techniques salvatrices. Repérage et rupture d’une filature ; impression de tracts et de brochures grâce à un matériel léger ; fabrication de faux papiers ; chiffrement et écriture invisible ; soins médicaux et premiers secours ; éventuellement, maniement d’armes et utilisation des explosifs ; cartographie et topographie... Beaucoup de moniteurs improvisés doutaient de l’utilité d’un enseignement forcément sommaire. La tragique inexpérience des stagiaires eut tôt fait de les convaincre du contraire. Des militants exposés à la répression la plus cruelle et la plus sophistiquée, tels ceux de l’ANC sud-africain, ignoraient les règles élémentaires de la clandestinité.

Axée sur le tiers-monde, l’aide fut naturellement étendue aux réseaux antifascistes existant dans l’Espagne de Franco, le Portugal de Salazar et de Caetano, la Grèce des colonels, le Chili de Pinochet.

Les militants arrivaient en France par petits groupes pour des stages de durée variable. Ils choisissaient les thèmes les plus appropriés aux problèmes rencontrés sur le terrain. Quant au financement, il fut d’abord assuré par l’Algérie de Ben Bella, qui remboursait ainsi une sorte de dette. Après l’avènement de Houari Boumediene, en 1965, les mouvements eux-mêmes réglèrent les frais de stage, au demeurant minimes grâce au bénévolat.

Cette initiative sans précédent ne pouvait être conçue et réalisée que par Henri Curiel. Elle représentait la somme de ses échecs et de ses réussites. Un parcours difficile, ponctué de sévères déconvenues, lui avait permis d’inventer la solidarité internationale la mieux adaptée à ces années 60 et 70 qui virent tant de nations du tiers-monde s’engager sur le chemin de la souveraineté.

Organisation clandestine, Solidarité tenait cependant congrès annuel, élisait un comité directeur et un secrétariat. La diversité des origines et des opinions entretenait des tensions permanentes. Si l’autorité du père fondateur en agaçait certains, la plupart des membres lui vouaient une affection profonde. Il s’attacha toujours à ne pas réduire ceux qui le rejoignaient à leur efficacité militante. Leur épanouissement humain était sa préoccupation constante. La rencontre avec lui modifia beaucoup de vies pour le meilleur.

Cela dura quinze ans. Bien sûr, l’usure finissait par avoir raison des volontés les mieux trempées. Les frères de Wangen, piliers de Solidarité, prirent d’autres engagements. Henri Curiel lui-même revint à la fin à un problème qui le hantait depuis 1948 : le conflit israélo-palestinien. Convaincu que le dialogue ouvrirait la seule issue possible, il avait organisé, avec ses amis d’origine égyptienne exilés en France, des contacts clandestins entre « colombes » israéliennes et palestiniennes. Sans cesse, une guerre ou un attentat meurtrier déchirait la trame patiemment tissée. Inaccessible au découragement, il renouait les fils rompus. Il avait réussi à faire se rencontrer à Paris Matti Peled, général de réserve israélien, et Issam Sartaoui, ancien terroriste rallié à la paix et proche de Yasser Arafat, quand l’hebdomadaire Le Point, dans son numéro du 21 juin 1976 et sous la plume de Georges Suffert, l’accusa d’être « le patron des réseaux d’aide aux terroristes ».

Un dossier officiellement classé

L’accusation était à la fois frivole et meurtrière. Henri Curiel haïssait le terrorisme, qu’il considérait comme une sottise politique et une monstruosité humaine. Mais dans un temps où l’Europe était confrontée aux violences de la Fraction armée rouge allemande (dite « bande à Baader ») et à celles des Brigades rouges italiennes (qu’Henri Curiel réprouvait totalement), l’accusation portée par Georges Suffert équivalait à une condamnation capitale. L’offensive de presse fit néanmoins long feu. Elle fut relayée par des mesures administratives (une assignation à résidence à Digne) qu’on dut lever quand le dossier se révéla vide. Il ne restait plus aux ennemis d’Henri Curiel que le recours au terrorisme. Deux tueurs l’abattirent dans l’ascenseur de son immeuble, le 4 mai 1978.

Son action pour la paix au Proche-Orient dérangeait les « faucons » des deux camps, qui ne répugnent pas aux procédés expéditifs. Les services sud-africains le tenaient pour l’un de leurs pires adversaires car Solidarité, jusqu’au bout, apporta une aide très active aux militants de l’ANC. On a appris depuis que les services secrets de ce pays n’hésitaient pas à envoyer leurs tueurs en Europe. L’enquête policière a échoué à identifier les instigateurs et les exécutants du crime, le dossier Curiel est aujourd’hui officiellement classé.

Ni idéologue ni théoricien, il était un exceptionnel analyste des situations. Européen de culture, citoyen du tiers-monde par la naissance et l’expérience, il est sans doute, de tous ceux qui se sont voulus internationalistes dans la seconde moitié du siècle, celui qui a inventé, non pas les conduites les plus spectaculaires, mais les interventions les plus efficaces en raison même de leur intelligente modestie.

Les temps ont changé. La mondialisation économique s’accomplit au même rythme que s’exténue la solidarité politique entre les peuples. Il serait vain de chercher chez Henri Curiel des recettes adaptées au troisième millénaire. Mais cet homme qui vécut pour ses idées, et en mourut, laisse en héritage l’ardente exigence d’inventer un nouvel internationalisme.

Gilles Perrault

Auteur de Go !, Fayard, Paris, 2002. A noter la réédition, en poche, du Garçon aux yeux gris, LGF, Paris, 2003.
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3 mai 2020 7 03 /05 /mai /2020 12:02
Décès du chanteur kabyle algérien Idir: l'hommage de l'Humanité (Rosa Moussaoui) et du PCF (Pierre Dharréville)
Dimanche, 3 Mai, 2020
Disparition. Idir, l’amour des siens et le goût des autres

Le musicien kabyle, pionnier de la world music, s’est éteint samedi soir à Paris, à l’âge de 70 ans. Il laisse des combats et des mélodies berbères aux accents universels.

 

C’est un fils de berger qui a bercé et fait danser le monde entier. Le chanteur Idir s’est éteint samedi à Paris, à l’âge de 70 ans, loin de ses collines et des montagnes du Djurdjura qui n’ont jamais cessé de l’inspirer. Cet homme humble, discret, généreux, d’une gentillesse exquise, incarnait mieux que quiconque l’ancrage revendiqué dans une culture en même temps que le goût des autres, du grand large.

Rien, au départ, ne destinait ce Kabyle à une carrière musicale : c’est tout à fait par hasard que l’étudiant en géologie qu’il était alors fut appelé à remplacer au pied levé la célèbre chanteuse Nouara dans une émission de Radio Alger, en 1973. Ses ballades conquirent immédiatement les cœurs et l’une d’elle, A vava inouva, fit le tour du monde, annonçant la grande vague de la world music. Cloîtré dans une caserne, il ne découvrit ce succès fulgurant qu’au sortir de son service militaire. Cette berceuse, traduite dans sept langues, tient du conte et recrée comme au coin du feu l’atmosphère des veillées d’antan. Elle donna, à l’époque, un écho planétaire à sa langue piétinée par un régime autoritaire qui tenait la diversité culturelle pour une hérésie.

« On était fiers, on recevait Fidel Castro, Che Guevara, on était portés par le vent de l’histoire, mais, d’un autre côté, notre culture maternelle n’avait aucune existence légale »

Dans un rare entretien au quotidien algérien El Watan, Idir s’en expliquait par ces mots, en 2013 : « On était fiers, on recevait Fidel Castro, Che Guevara, on était portés par le vent de l’histoire, mais, d’un autre côté, notre culture maternelle n’avait aucune existence légale, alors qu’elle devait venir en premier. Dans les années 1950, il y a eu une tentative de faire de la musique ouverte. Les gens faisaient du jazz, c’était l’époque des rythmes exotiques, de la rumba. Nous, on a été élevés au biberon de la folk song des années 1970. C’était l’époque de Cat Stevens, Joan Baez, Simon and Garfunkel, Moustaki. »

Porte-voix d’un refus sans concession de l’obscurantisme 

 L’homme n’avait cure des contrats, de l’argent ; sa ballade ne lui rapporta pas un sou : il fut escroqué par des producteurs. Vint ensuite l’exil puis une longue éclipse artistique, avant son retour et la sortie d’une compilation, en 1991. L’Algérie allait plonger dans le cauchemar d’une décennie de sang ; lui, le cœur toujours de l’autre côté de la Méditerranée, marchait au coude à coude avec les siens, porte-voix malgré lui d’un refus radical de l’obscurantisme. En marge du monde du show-business, Idir était homme à prendre son temps. En 1999, puis en 2007, ses albums « Identités » et « La France des couleurs » rencontrèrent un large public. Il s’y faisait le chantre du métissage, de l’hybridité, du partage, donnant corps à une communauté d’artistes invités à tramer avec lui des duos tirés au cordeau. Manu Chao, Zebda, Maxime Le Forestier, Gnawa Diffusion, Paco El Lobo, Tiken Jah Fakoly, Gilles Servat, Karen Matheson et bien d’autres se prêtèrent au jeu. Dix ans plus tard, il mêlait encore sa voix à celles d’Aznavour, Cabrel, Chedid ou Lavilliers pour célébrer la chanson française

Pour la génération qui a grandi avec ses chansons, il était devenu une légende. Mustapha Amokrane, du groupe Zebda, se souvient avoir failli chavirer d’émotion en partageant pour la première fois avec lui la scène de la Cigale, à Paris, à la fin des années 1990. « Quelques années auparavant, nous avions repris avec le collectif 100 % collègues certaines de ses chansons devant des publics de punks déchaînés, torses nus. On leur chantait des berceuses kabyles, et ça les transportait, c’était fou », raconte-t-il. Le Toulousain décrit un artiste « plein d’humour, d’une grande érudition, musicale, politique, historique », ravi de voir réinterprété son patrimoine musical.

Il rêvait son pays au pluriel

Discret, doux, attachant, le musicien était un homme de conviction et d’engagement. Il déclinait rarement une invitation à offrir ses mots, ses mélodies à une juste cause. Depuis le printemps 1980 et la répression du premier printemps berbère, jamais son soutien ne fit défaut aux prisonniers politiques, à ceux qui luttent pour la démocratie, la liberté, la justice sociale, la reconnaissance de leur singularité culturelle. Il n’était pas dans l’incandescente insurrection d’un Matoub Lounès ; ces deux-là partageaient pourtant les mêmes combats. « Je préfère élever la voix sans hausser le ton », disait-il simplement, lui qui aimait à peser ses mots. Idir aura attendu trente-huit ans pour se produire à nouveau en Algérie, en 2018, à l’occasion de Yennayer, le nouvel an berbère. Sans autre nationalité, il se sentait profondément algérien ; habité par l’amour de sa langue et de sa terre natale, il rêvait son pays pluriel, ouvert au monde et à lui-même.

« Cet homme de rencontre et de partage a su faire entrer des gens de tous les horizons dans son imaginaire »

« Tout en puisant dans la tradition kabyle, il a ouvert la musique algérienne à la modernité, à l’universel. Avec lui s’est opérée une césure. Sans connaître sa langue, un vaste public a littéralement ressenti ses chansons, empreintes d’émotion. Cet homme de rencontre et de partage a su faire entrer des gens de tous les horizons dans son imaginaire. Mais il n’avait rien de naïf : ses choix esthétiques tenaient à des choix politiques assumés », analyse aujourd’hui l’historienne Naïma Yahi, spécialiste des musiques d’Afrique du nord.

Alors qu’une fibrose pulmonaire lui coupait déjà le souffle, il disait, l’an dernier, avoir trouvé une « bouffée d’oxygène » et des « instants de grâce » dans le soulèvement de son peuple. « J’ai tout aimé dans ces manifestations : l’intelligence de cette jeunesse, son humour, sa détermination à rester pacifique », confiait-il. Fils et petit-fils de poétesses écoutées bien au-delà de leur contrée, cet aède kabyle a su embrasser l’universel. Ses mélodies se fredonnent aujourd’hui partout, comme un legs au monde.

Idir : "Il était une grande voix du monde" (Pierre Dharréville)

Élégante et raffinée la voix d’Idir s’est tue. Il était une grande voix du monde, une grande voix de l’Algérie, une grande voix de la Kabylie, une grande voix de la France.

La chanson perd un de ses beaux poètes. Idir a été un militant du bonheur et de la justice en Algérie et en France, ses deux terres d’attache. Il a éminemment participé de la connaissance des musique berbères si proches des sonorités celtes et a ainsi témoigné de l’universalité de la musique, qui rapproche les peuples et nourrit la compréhension mutuelle. Il aimait chanter avec d’autres, pour que les mots soient partagés. Idir était un artiste courageux et libre, humble et fédérateur. Dans la douceur de ses mélopées on prenait confiance en l’humanité. Nous adressons à sa famille et ses proches nos condoléances émues, celles des communistes français.

Pierre Dharréville
Député - 13ème circonscription des Bouches-du-Rhône
Délégué du PCF à la culture
 
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