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L’agression décidée par le gouvernement russe le 24 février dernier est odieuse et viole le droit international. Un cessez-le-feu immédiat ainsi que le retrait des troupes russes sur leurs positions antérieures doit être obtenu.
L’état de guerre ne justifie pas de s’en prendre aux droits fondamentaux, tant du côté russe, que du côté ukrainien.
En Ukraine, force est de constater que depuis l’invasion russe la répression des services ukrainiens s’accroît sur les journalistes, les blogueurs et les militants de gauche et communistes. Fin juin, un total de 28 500 affaires criminelles avaient été ouvertes pour différents motifs politiques, parmi lesquelles presque 1 200 pour « trahison », pour lesquelles sont encourues entre quinze ans de prison et la perpétuité.
Il y aujourd’hui environ 25 000 détenus politiques en Ukraine.
La répression touche l’ensemble des partis de gauche. Onze partis ont été purement et simplement interdits par décret présidentiel puis par le tribunal administratif d’appel de Lviv. Le militant de gauche Alexandre Matyouchenko, de Dniepro, a été condamné à trois ans de prison, après avoir sous contrainte physique dû plaider « coupable ».
Les communistes sont particulièrement visés. Nos camarades du Parti communiste d’Ukraine étaient en prise avec une procédure d’interdiction depuis 2015. Le tribunal administratif d’appel de Kiev a définitivement interdit le parti le 16 mai dernier. Ses locaux ont été occupés par le SBU dès le 24 février. Nous avons à plusieurs reprises réaffirmé notre solidarité auprès de nos camarades avec lesquels nous restons en contact constant. Rappelons que leur position a toujours été ferme sur le respect de l’intégrité territoriale ukrainienne, y compris comprenant la Crimée, dans un cadre décentralisé tel qu’auraient dû le mettre en œuvre les accords de Minsk, jamais respectés par le pouvoir en place à Kiev sur cet aspect.
Une campagne de solidarité, à laquelle nous nous associons, s’est enclenchée en faveur des frères Alexandre et Mikhail Kononovitch, membres des jeunesses communistes, arrêtés par le SBU le 3 mars et dont le procès a commencé à Kiev, sans qu’ils soient présents, et sans qu’aucune explication ne soit donnée à leur absence. Le SBU mène une opération d’intoxication en envoyant de faux messages de leurs comptes sur les réseaux sociaux. Il se livre également à des pressions physiques sur eux afin de les contraindre à plaider coupable. Alexandre et Mikhail Kononovitch ont appelé à une intervention des députés européens.
Les pouvoirs discrétionnaires du SBU font que l’Ukraine n’est pas un état de droit. L’état de guerre ne justifie pas l’arbitraire, ni les tortures physiques, ni les humiliations publiques, dont ont par exemple été victimes les Roms qui, fuyant la guerre, ont été ligotés et recouverts de peinture dans les rues de Lviv. La répression qui s’abat sur la gauche et sur les minorités, que connaît le pays depuis Maidan et le massacre impuni de 43 militants à Odessa le 2 mai 2014, s’amplifie.
Nous condamnons fermement toute arrestation et toute décision arbitraires. Nous exprimons notre solidarité la plus fraternelle avec les militants et les organisations et les journalistes de gauche en Ukraine, avec les communistes et les militants de gauche en prise avec la répression au seul tort de leur engagement progressiste. Nous exigeons leur libération immédiate et la légalisation des organisations interdites, dont celle du Parti communiste d’Ukraine.
Nous appelons le gouvernement français à conditionner les négociations d’adhésion de l’Ukraine à l’UE à la libération immédiate des prisonniers politiques, au respect de l’état de droit et du pluralisme démocratique en Ukraine ; et le Parlement européen à envoyer une mission d’enquête en Ukraine chargée de rencontrer les militants emprisonnés.
Vincent Boulet
Responsable des Affaires européennes
Membre de la commission des relations internationales du PCF
Le sommet de l’OTAN qui vient de se tenir à Madrid suscite une immense indignation après les concessions indignes octroyées à la Turquie lors de sordides chantages dont Ankara est coutumière. Chacun garde en mémoire les surenchères sur les migrants et le blocage des négociations sur l’acheminement du blé ukrainien en mer Noire.
Cette fois-ci, afin d’obtenir la levée du veto turc à l’entrée de la Suède et de la Finlande dans l’OTAN, R.T. Erdogan a obtenu l’engagement de Stockholm et d’Helsinki d’extrader des démocrates, notamment Kurdes, qualifiés de « terroristes ». Le tyran d’Ankara a pris l’habitude de qualifier de « terroristes » tous ceux qui rejettent sa violence despotique et ils demeurent des dirigeants européens pour entretenir cette fiction.
R.T. Erdogan s’est empressé de fournir des listes nominatives reflétant l’intense activité de surveillance des services secrets turcs en Europe qui n’hésitent pas à abattre sur notre continent des militants kurdes comme cela a été le cas en 2013 à Paris.
Cela témoigne du mépris de l’OTAN pour le droit des peuples et plus particulièrement pour les Kurdes qui ont été nos alliés dans la lutte contre l’État Islamique. L’arrogance des dirigeants turcs leur a permis par ailleurs d’obtenir de la part de la Suède et de la Finlande l’arrêt du soutien au PYD et à ses unités combattantes (YPG) que tous encensaient il y a peu pour leur courage et leur sacrifice contre les organisations djihadistes syriennes soutenues par la Turquie.
Mais à côté de ces renoncements officiels, il y a des redditions plus officieuses. A la suite de l’invasion par Ankara du nord de la Syrie, la Finlande et la Suède avaient décrété un embargo sur les ventes d’armes. Celui-ci a été levé. De plus, R.T. Erdogan fulmine face au refus américain de lui livrer des avions de combat (F16) afin de moderniser sa flotte vieillissante. Un entretien a eu lieu avec J. Biden dans lequel cette question a été évoquée.
A n’en pas douter, R.T. Erdogan se servira de cet armement pour accroître son influence régionale déstabilisatrice en Méditerranée orientale, à Chypre, en Grèce, en Libye, en Syrie, en Irak et dans le Haut-Karabagh.
Par ailleurs, depuis plusieurs semaines, R.T. Erdogan piétine d’impatience pour envahir les territoires kurdes du nord de la Syrie afin de mettre un terme à l’expérience de l’autonomie démocratique et d’annexer de nouveaux territoires. Après l’approbation de Moscou, R.T. Erdogan est venu négocier l’assentiment de l’OTAN pour une nouvelle intervention armée permettant à Ankara et à ses supplétifs djihadistes de prendre leur revanche sur les Kurdes. Alors que l’Europe a les yeux tournés vers l’Ukraine, R.T. Erdogan entend saisir cette opportunité pour commettre de nouveaux crimes dans le silence médiatique.
La Turquie tire à nouveau profit de la crise internationale et de l’invasion criminelle russe de l’Ukraine. Cependant, les dirigeants de l’OTAN, trop heureux de la voir conforter sa présence au sein du commandement militaire, qu’elle n’a d’ailleurs jamais quitté, sont prêts à tous les reniements.
Cette nouvelle ignominie de l’OTAN est un calcul à courte vue et aura de profondes répercussions source de souffrances pour les peuples. Le nord de la Syrie sera déstabilisé favorisant le retour de Daesh, des millions de personnes prendront la voie de l’exil alors qu’un régime de terreur turco-djihadiste s’imposera dans ces territoires. La Turquie saura en tirer tous les avantages en recyclant les combattants djihadistes actuellement détenus par les Forces Démocratiques Syriennes (FDS) dans de nouvelles opérations militaires provocatrices comme elle l’a fait en Libye ou dans le Haut Karabagh où elle entend finir sa sale besogne guerrière.
La France d’E. Macron reste dramatiquement silencieuse comme les autres capitales européennes. L’Union Européenne doit faire entendre sa voix pour s’opposer à toute velléité de nouvelles invasions turques.
Le Parti communiste français (PCF) condamne ces capitulations et exprime sa solidarité avec les forces démocratiques turques et du Nord de la Syrie. Il appelle à la mobilisation pour que cesse la loi des armes dans la région et pour le respect du droit des Kurdes à choisir et bâtir librement leur destin.
Pour cela, la France doit s’émanciper de ces marchandages de l’OTAN, qui prolonge partout les logiques de guerre éculées et condamner les réunions de clubs oligarchiques qui scellent l’existence d’un peuple admirable par son courage sur l’autel d’abjects intérêts.
Parti communiste français,
Paris, le 7 juillet 2022
Près de 1 200 Bédouins de Masafer Yatta vivent dans la hantise de leur expulsion. Harcelés quotidiennement par les soldats et les colons israéliens, ils disent leur volonté de résister et de rester sur ces terres où ils sont nés. Reportage
Masafer Yatta (sud de Hébron, Cisjordanie occupée), envoyé spécial.
Assis à l’ombre d’un arbre, Mohammad Ayoub enlace ses deux petites filles. Le sourire jusqu’aux oreilles, elles sont toutes deux vêtues d’une même robe orange à fleurs blanches. Comme des bourgeons de vie dans cet environnement austère. Le désert vallonné qui s’étend au sud de Hébron, grande ville méridionale de la Cisjordanie, est balayé par un vent bienvenu. D’étouffante, la chaleur en deviendrait presque caresse.
À 46 ans, Mohammad Ayoub a encore la possibilité de balayer du regard ce paysage de Masafer Yatta qu’il a toujours connu. Depuis qu’il a ouvert les yeux et où il espère les fermer – un jour lointain – pour toujours. Il sait en décrypter chaque signe, chaque mouvement, chaque changement. Ce qui, pour l’étranger, apparaît comme dénué de sens et de beauté n’a pas de secret pour lui. Il appartient à cette terre. Il incarne ce lieu rocailleux et rude, où l’on serre les dents plutôt que de pleurer. Son père, son grand-père et ses aïeux avant lui étaient ainsi. Ses enfants le seront… s’ils peuvent rester dans ce hameau que tout le monde nomme Al Fakhit.
Mohammad possède encore cette liberté, celle de la vision et du rêve. Pour combien de temps encore ? Le cauchemar pointe son nez de façon quotidienne. La triste et terrible réalité de l’occupation israélienne, qui a commencé il y a bien longtemps. « Quand j’étais jeune, il fallait qu’on cache la farine sinon les soldats y versaient de la terre. Nous étions contraints de rester dans les grottes pour faire comme s’il n’y avait personne. » Dans les années 1980, l’armée a décrété que cette zone était militaire, soit 3 000 hectares. Officiellement pour la transformer en terrain d’entraînement.
Dès 1985, les destructions d’habitations, de dépendances et même d’étables ont commencé. Les populations présentes sont essentiellement bédouines. Elles vivent de l’élevage, des produits laitiers et de l’agriculture. En 1999, les populations de 12 villages du secteur ont été contraintes de monter dans des camions et transportées de force dans une autre zone. À la suite d’un appel déposé par les Palestiniens, le tribunal israélien a émis une injonction leur permettant de revenir, mais seulement de manière provisoire. Depuis plus de vingt ans, les habitants vivaient avec une épée de Damoclès au-dessus de leur tête, celle d’une éviction totale. « Cette peur est en permanence présente en nous », certifie Mohammad Ayoub.
Pour l’ONU, ces expulsions pourraient « s’apparenter » à un crime de guerre.
Le 12 janvier dernier, les bulldozers israéliens, escortés par l’armée, sont ainsi arrivés pour détruire un abri qu’il avait construit pour ses animaux. « J’ai immédiatement reconstruit, mais en mai ils sont revenus. J’ai de nouveau rebâti l’abri et le 1er juin ils ont de nouveau tout saccagé. Ils ont fait pareil avec mon voisin », s’emporte-t-il. Un peu plus loin, on distingue une école, surmontée du drapeau palestinien, construite par l’Union européenne (UE). Elle aussi doit disparaître. Le temps des grandes manœuvres a commencé. « Ce n’est pas un exercice : au cours du week-end, l’armée israélienne a commencé ce qui semble avoir été des préparatifs pour l’expulsion de quelque 1 000 résidents palestiniens de Masafer Yatta », alertait le 17 juin, dans un tweet, l’organisation israélienne de défense des droits de l’homme B’Tselem.
Le 4 mai, la Haute Cour d’Israël a pris une décision autorisant l’expulsion de 1 200 Palestiniens de la zone, dont 500 enfants, décision dont l’ONU a dit qu’elle « peut s’apparenter » à un crime de guerre. Parmi les juges, David Mintz, qui vit dans une colonie de Cisjordanie… Nidal Younes, chef du conseil de village de Masafer Yatta, estime que « la décision de la Cour est une décision raciste prise par un juge colonial. Nous nous sommes battus devant les tribunaux avec Israël au cours des vingt-deux dernières années et ce juge n’a eu besoin que de cinq minutes pour détruire la vie de 12 villages et de leur population qui dépend de la terre ».
L’Union européenne et les Nations unies ont condamné le verdict de la Cour israélienne. « L’établissement d’une zone de tir ne peut pas être considéré comme une « raison militaire impérative » pour transférer la population sous occupation », a déclaré le porte-parole de l’UE dans un communiqué. Des déclarations qui ont laissé de marbre les autorités israéliennes. « Elles voudraient qu’on soit dégoûté et qu’on parte de nous-mêmes, remarque Mohammad Ayoub. Mais on est chez nous, c’est notre terre. Nous sommes des fermiers et des bergers, nous n’avons pas d’autre choix. » Face à cette détermination, l’armée israélienne multiplie donc les destructions et les saisies de tracteurs. « Et les colons nous empêchent d’emmener nos troupeaux sur les collines », rappelle-t-il.
Mohammad Makhamreh, 19 ans, en sait quelque chose. La maison de ce jeune berger se trouve à quelques centaines de mètres de la ligne verte (ligne d’armistice de 1949) et l’armée y a installé, assez récemment, un camp, dans le cadre de ses exercices à munitions réelles (balles, obus, roquettes…). On ne peut même plus y accéder en voiture. D’énormes rochers barrent le sentier. Un soir où il tentait de regrouper ses moutons, il a entendu une grosse explosion. « Je me suis réveillé six jours après. J’avais perdu ma main droite, et j’avais le genou cassé. » Le jeune homme, pas plus que son père, Moussa, n’est pas dupe. « Ils font tout pour qu’on parte. Ils nous attaquent même la nuit et menacent de saisir nos moutons si on les laisse paître près de leur base. » L’arbitraire de l’occupation. Muhammad et sa mère tentaient de passer pour aller vendre leurs produits à la ville de Yatta lorsqu’ils ont été arrêtés par les soldats au motif qu’ils n’avaient pas le droit d’être là. « Ils nous ont emmenés jusqu’à la colonie de Gush Etzion (distante de plusieurs dizaines de kilomètres – NDLR) et ne nous ont relâchés qu’au milieu de la nuit, sans moyen de transport. »
Sur les sommets, interdits aux bergers palestiniens, les avant-postes – des mobile homes qui servent à occuper les lieux avant l’autorisation formelle de création d’une colonie (toute aussi illégale) – se déploient comme des chenilles processionnaires. Ils font partie du dispositif global mis en place. L’armée pour chasser par la force, les juges pour faire croire à la justice et les colons, petits gangsters religieux qui incendient les champs, tabassent voire tuent les paysans palestiniens. Le triptyque de la mort, en quelque sorte. Si le village d’Um Al Kheir, porte nord-ouest de Masafer Yatta, n’est, pour l’instant, pas concerné par la décision d’expulsion, le harcèlement est quotidien.
Le village est la cible de la colonie – illégale – de Karmel, qui ne supporte pas ces Bédouins à ses portes. « Selon les Israéliens, notre village n’existe pas, dénonce Tarek Al Hathalin, 27 ans. Et comme, selon les accords d’Oslo, nous sommes en zone C, donc dépendants d’Israël pour l’administration et la sécurité, ils font ce qu’ils veulent et multiplient les démolitions. » Depuis les années 1980, comme les autres villages, Um Al Kheir subit les attaques répétées dans les moindres domaines de la vie. Le frère de Tarek a été tellement tabassé par les colons qu’il en a perdu la raison. Son oncle, Suleiman, connu pour sa capacité de résistance et de participation à toutes les manifestations, a été écrasé en janvier dernier par un colon. « Les colons sont des tueurs. » Il rajoute pourtant : « S’ils n’avaient pas eu cette mentalité, on aurait pu vivre ensemble. »
Tous les vendredis, des manifestations ont lieu. Les résidents palestiniens se rassemblent, soutenus par quelques activistes israéliens. Comme Omri, la vingtaine à peine passée. « Tout le sud de Hébron est soumis à un nettoyage ethnique », dénonce-t-il. Zoha, israélienne elle aussi ; regrette qu’ « en Israël, les gens sont persuadés que les Palestiniens veulent les détruire ». Ironie de l’histoire, ces mêmes Palestiniens portent dans une main les titres de propriétés ancestraux qu’ils possèdent et, dans l’autre, les ordres d’expulsion qu’ils ont reçus. Tous le proclament : « Nous ne partirons pas. » Assis à l’ombre d’un arbre, Mohammad Ayoub enlace ses deux filles plus fort que de coutume, les yeux rivés vers ce désert qu’il voudrait sans fin.
Les condamnations pleuvent en Palestine après l’enquête balistique du département d’État américain sur la mort de la journaliste Shireen Abu Akleh. Les conclusions avancent l’idée qu’elle aurait été « vraisemblablement » victime d’un tir israélien, sans se prononcer de façon définitive sur l’origine du projectile. Pire, les experts n’ont « aucune raison » de croire qu’il s’agissait d’un tir intentionnel, précise le département d’État.
Erdogan s’est dit convaincu d’obtenir le renvoi en Turquie des « terroristes » réfugiés en Suède et en Finlande. Il répète à l’envi, sans être démenti par les dirigeants concernés : « Ils les renverront, ils l’ont promis. Cela figure dans des documents écrits. Ils tiendront leur promesse. » Sans extradition, en particulier, des Kurdes désignés, bénéficiant actuellement du droit d’asile dans leur pays d’adoption, le président turc menace de bloquer à nouveau l’adhésion des deux pays scandinaves à l’Otan. Les deux premières ministres (sociales-démocrates !) concernées vont-elles perdre tout honneur en troquant effectivement des réfugiés politiques contre un strapontin dans l’organisation militaire occidentale ? Pour tenter de justifier l’injustifiable, la dirigeante suédoise n’a pas hésité à reprendre à son compte le qualificatif dont le président turc affuble les militants et combattants kurdes de Syrie (du PYD, de l’YPG et de l’YPJ) en déclarant : « Si on ne se consacre pas à une activité terroriste, il n’y a aucune raison d’être inquiet », et en s’engageant, de concert avec son homologue finlandaise, à « ne pas fournir de soutien » à ces organisations.
Terroristes, les membres ou sympathisants de ces organisations ? Rappelons qu’il ne s’agit, ni plus ni moins, que des alliés auxquels avaient fait appel les États-Unis et l’Union européenne dans la lutte contre les (vrais) terroristes de Daech en Syrie ! Les héros et les héroïnes de Kobané infligeant sa première défaite au groupe « État islamique », ce sont eux ! Ceux et celles qui, au prix de la vie de nombre d’entre elles et d’entre eux, ont permis de sauver 200 000 personnes de la minorité yézidie menacée de génocide par la milice islamiste dans les monts Sinjar, en Irak, ce sont encore eux ! Les cibles de l’offensive militaire de l’armée turque et de ses supplétifs du groupe djihadiste Tahrir al-Cham (émanation d’al-Qaida) dans le nord de la Syrie, ce sont toujours eux ! Le premier chef d’État occidental à les avoir trahis fut Donald Trump – retirant ses troupes de la région kurde de Syrie pour laisser la voie libre à l’armée turque – dans le cadre d’un de ses tristement fameux deals, en l’occurrence avec Erdogan, déjà à propos d’un différend au sein de l’Otan. Désormais, c’est au tour de dirigeants européens de piétiner leurs « valeurs » pour renforcer à tout prix l’Alliance militaire transatlantique.
Loin d’avoir été offusqués par cet abaissement des autorités de Stockholm et d’Helsinki, tant Joe Biden qu’Emmanuel Macron ont tenu à remercier le président turc d’avoir accepté – à ses conditions – le nouvel élargissement de l’Otan. Le premier l’a fait sur le mode emphatique : « Je veux vous remercier pour ce que vous avez fait pour arranger la situation en ce qui concerne la Suède et la Finlande », ajoutant, en connaisseur : « Vous faites du bon boulot ! » Le second a préféré une formulation plus évasive (ou plus hypocrite) en saluant, lors de son entretien avec Erdogan, le « consensus » trouvé en marge du Sommet de l’Otan Ainsi va le monde libre…
De Chaim Herzog en 1975 à Gilad Erdan l’an dernier, les responsables israéliens se donnent en spectacle pour éviter de rendre des comptes sur les crimes commis par l’État.
Photo : Gilad Erdan, ambassadeur d’Israël auprès des Nations unies, déchire un rapport du Conseil des droits de l’homme de l’ONU, le 29 octobre 2021 (Twitter/@giladerdan1)
Le 10 novembre 1975, l’ambassadeur d’Israël aux Nations unies Chaim Herzog, père du président actuel Isaac Herzog, est monté sur l’estrade de l’Assemblée générale des Nations unies et a déchiré avec fracas le texte de la résolution 3379, adoptée le même jour.
La résolution 3379 décrivait le sionisme comme « une forme de racisme et de discrimination raciale. » Israël était sous le choc. Un grand boulevard de Haïfa nommé en l’honneur de l’ONU a rapidement été rebaptisé « boulevard du sionisme » par le conseil municipal de la ville. Quelle farce du destin : la rue nommée en signe de reconnaissance envers l’ONU pour avoir déclaré en 1947 son soutien à la création de l’État d’Israël a été renommée trois décennies plus tard en raison d’une décision différente de cette même organisation.
C’est l’histoire d’un pays établi grâce au pouvoir de l’ONU et de la communauté internationale qui s’emploie à les ébranler dès qu’elles critiquent son comportement
Chaim Herzog est immédiatement devenu un super-héros en Israël. Ce fut le sommet de sa carrière. Les Israéliens ont estimé que son geste théâtral était une réponse appropriée à ce que le pays percevait comme un acte antisémite d’envergure mondiale. Presque tous les Israéliens, y compris moi-même plus jeune, étaient de cet avis à l’époque. Comparer sionisme et racisme ? Cela ne pouvait être que de l’antisémitisme.
Les années ont passé. L’ONU a révoqué cette décision en décembre 1991, mais quelques décennies plus tard, tout semble à nouveau différent. Le sionisme, qui consiste aujourd’hui pour l’essentiel à préserver la suprématie juive dans un pays habité par deux peuples, ne semble plus trop éloigné de la façon dont il était présenté dans la décision initiale de l’ONU.
De la même manière, le geste de Chaim Herzog sur l’estrade de l’ONU – déchirer les pages d’une décision que la majorité des nations du monde avaient jugée légale – semble beaucoup moins approprié aujourd’hui qu’à l’époque.
Des violations des droits de l’Homme
Ce qui n’a pas bougé d’un pouce depuis l’adoption de la résolution 3379 en 1975, c’est l’attitude d’Israël vis-à-vis des organisations internationales et du droit international. Près d’un demi-siècle plus tard, nous avons vu l’actuel ambassadeur israélien auprès des Nations unies, Gilad Erdan, faire un geste similaire. Le 29 octobre 2021, il est monté sur la même estrade et a déchiré le dernier rapport annuel du Conseil des droits de l’Homme de l’ONU.
Cette fois, le spectacle a été perçu comme répugnant et violent, et a suscité beaucoup moins de respect. Mais Erdan a également suggéré de reléguer le rapport à la place qui lui revient selon lui, « dans la poubelle de l’antisémitisme ».
Le fait qu’Israël ne soit pas le seul à commettre des violations des droits de l’Homme – d’autres pays se comportent de la même manière mais font l’objet d’une réprobation internationale bien moindre – est considéré comme suffisant pour justifier l’absence totale de réponse d’Israël aux accusations qui le visent.
C’est comme si un conducteur pris en flagrant délit d’excès de vitesse tentait d’éviter les conséquences juridiques en disant que tout le monde conduit de cette manière. Ce stratagème inutile avec des agents de police devrait l’être tout autant avec les institutions de la communauté internationale.
Voici donc l’histoire en quelques mots : c’est l’histoire d’un pays établi grâce au pouvoir de l’ONU et de la communauté internationale qui s’emploie à ébranler ces mêmes organisations internationales dès qu’elles critiquent son comportement. Il suffit de constater le traitement réservé par les médias israéliens complaisants aux membres des diverses commissions d’enquête internationales qui s’intéressent aux agissements d’Israël.
Jetez simplement un œil aux plus récentes descriptions de Navi Pillay, qui a passé six ans au poste de Haute‑Commissaire des Nations unies aux droits de l’Homme et qui préside aujourd’hui la commission d’enquête de l’ONU sur le bombardement par Israël de tours à Gaza en mai 2021 : Navi Pillay « se trompe », « déteste Israël » ou « est antisémite ».
Tuer le messager
Tout n’a pas été rendu public au sujet des efforts déployés par Israël pour détruire la réputation de Richard Goldstein, qui a dirigé l’équipe d’enquête de l’ONU sur la guerre de Gaza de 2008-2009. On en sait encore moins sur ses manigances contre Fatou Bensouda, l’ancienne procureure en chef de la Cour pénale internationale, qui avait fini par trouver le courage d’ouvrir une enquête sur les crimes de guerre présumés commis par Israël.
Israël ne cesse de recourir à une stratégie ancienne mais efficace : faute de pouvoir contrôler le message, on tue le messager. Après avoir pris cette décision, Fatou Bensouda a démissionné et rien n’a été fait depuis. Les membres de la commission de l’ONU chargée d’enquêter sur la dernière guerre à Gaza se sont vu refuser l’entrée en Israël et le gouvernement refuse de coopérer à leurs travaux.
Israël a beaucoup de choses à cacher. Et pourtant, ce simple fait ne constitue même pas un motif suffisant pour intensifier les enquêtes.
Cette stratégie porte ses fruits pour Israël. Erdan vient d’être élu vice-président de l’Assemblée générale de l’ONU. Les enquêtes sur Israël progressent à un rythme étrangement lent. Ne mentionnons même pas le mot « sanctions », un terme approprié pour faire face à la Russie quelques semaines seulement après son invasion de l’Ukraine, mais qui n’a jamais été à l’ordre du jour en ce qui concerne une occupation étonnamment similaire pratiquée par Israël depuis plus d’un demi-siècle.
Résultat : personne n’est accusé, il n’y a pas de comptes à rendre, aucun prix n’est exigé et aucune sanction n’est infligée.
Toute cette progression engendre une situation inconcevable. On se retrouve avec une puissance occupante, dont l’occupation continue est internationalement reconnue comme illégale, dont l’occupation « temporaire » est depuis longtemps devenue permanente et dont les forces de sécurité commettent régulièrement des crimes de guerre dans les territoires occupés, car c’est le seul moyen de vaincre la résistance légitime à l’occupation. Personne ne fait l’objet d’une enquête, d’une inculpation, d’un procès ou d’une sanction – ni le pays lui-même, ni ses citoyens qui commettent ces actes.
Une impunité automatique
Puisque par ailleurs, le système judiciaire israélien absout systématiquement les auteurs de ces crimes, nous avons une situation dans laquelle Israël, son gouvernement, son armée et d’autres organisations opèrent avec une impunité automatique, aveugle, continue et quasi totale.
Les soldats qui servent dans les territoires occupés savent très bien que presque tout ce qu’ils font est considéré comme acceptable, qu’il s’agisse de tirer, de tuer, de commettre des violations ou des humiliations. Ils ne seront jamais punis, ni par Israël ni par personne d’autre. Chaque jour apporte son lot de meurtres, d’arrestations politiques sans procès, de punitions collectives, de démolitions d’habitations, de confiscations de terres, d’actes de torture et d’humiliations, d’expansion de colonies et d’exploitation de ressources naturelles.
Les soldats qui servent dans les territoires occupés savent très bien que presque tout ce qu’ils font est considéré comme acceptable, qu’il s’agisse de tirer, de tuer, de commettre des violations ou des humiliations
Personne n’est jamais tenu pour responsable, hormis ceux qui tentent de changer cette situation faussée. Si un rapport est rédigé, Israël ne le lit même pas et son ambassadeur déchire le texte sur la scène internationale la plus respectée du monde. Si quelqu’un ose lancer une enquête, Israël la fera rapidement disparaître.
Le reste du monde peut durcir le ton sur le plan rhétorique à l’égard d’Israël, mais il prend instantanément sa défense face à toute action potentiellement préjudiciable. Aucun autre pays ne dispose d’un spectre d’impunité comparable à celui d’Israël. Aucune autre armée n’est traitée avec autant de laxisme, bien que celle-ci perpétue une occupation et commette tous les crimes évitables et inévitables qui font partie intégrante de cette situation illégale.
Israël a-t-il jamais reconnu une seule action indéfendable devant la communauté internationale ? La communauté internationale a-t-elle jamais osé faire un véritable pas en vue de traduire les coupables en justice ?
Il n’y a pas eu de comptes à rendre pour la longue liste de crimes commis dans les territoires sous occupation israélienne. Il n’y a qu’à demander à Erdan comment cela fonctionne : pour perpétuer ce système, il suffit de prendre place sur l’estrade la plus respectée de la planète et de déchirer les preuves de ses propres transgressions.
Gideon Levy est un chroniqueur et membre du comité de rédaction du journal Haaretz. Il a rejoint Haaretz en 1982 et a passé quatre ans comme vice-rédacteur en chef du journal. Il a obtenu le prix Euro-Med Journalist en 2008, le prix Leipzig Freedom en 2001, le prix Israeli Journalists’ Union en 1997 et le prix de l’Association of Human Rights in Israel en 1996. Son dernier livre, The Punishment of Gaza, a été publié par Verso en 2010.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
Une délégation du PCF conduite par Mathilde Caroly1 (responsable Palestine) a séjourné à Jérusalem-Est et en Cisjordanie dans le cadre des initiatives de coopérations décentralisées impulsées par l’Association pour les jumelages entre les camps de réfugiés palestiniens et les villes françaises (AJPF).
La visite de différents camps de réfugiés, Balata et d’El Far’ah près de Naplouse, celui de Jalazone à Ramallah et celui d’Aïda près de Bethléem, a permis de réaffirmer l’engagement du PCF sur la question du droit au retour des réfugiés palestiniens, qui est un droit inaliénable et dont le règlement est essentiel.
La situation dans les camps s’est dégradée à la suite de la crise du Covid, de la guerre en Ukraine mais, comme l’a rappelé la représentante de l’UNRWA, à la suite de la suppression de la contribution des États-Unis après l’élection de Donald Trump. Même si l’administration Biden l’a relevée, elle n’est pas à la hauteur.
La colonisation, et le morcellement de la Cisjordanie que cela entraîne, a été accélérée, rendant les déplacements pour les Palestiniens de plus en plus contraignants. La présence de l’armée israélienne, en zone A2, est de plus en plus fréquente, tous les jours, des assassinats sont commis, des incursions ont lieu dans les camps où l’armée détruit des maisons, arrête de manière arbitraire. Des ordres d’expulsion sont prononcés contre les habitants de Sheir Jarrah, quartier de Jérusalem-Est que nous avons visité, comme dans la banlieue d’Hébron contre les Druzes. Tout ceci se pratique en violation du droit international.
La délégation a réaffirmé le soutien du PCF aux 6 ONGs qui ont été interdites par Israël, notamment Addameer, une ONG de défense des prisonniers politiques palestiniens dans laquelle Salah Hamouri exerçait en tant qu’avocat, avant sa dernière incarcération.
À travers les rencontres avec les différents partenaires du PCF, le Parti populaire palestinien (PPP) à Ramallah et le Parti communiste israélien (PCI) à Jérusalem, la délégation a mesuré l’impasse politique dans laquelle ils se trouvent.
En Palestine, les élections prévues l’été dernier n’ont pas eu lieu et ont renforcé dans la population le sentiment de perte de légitimité des autorités. Malgré tout, la demande d’unité entre l’Autorité palestinienne et le Hamas demeure très forte. Si les Palestiniens condamnent l’invasion de l’Ukraine, ils constatent avec une très grande déception que les sanctions légitimes qu’ils réclament depuis des années à l’égard d’Israël n’aboutissent pas quand, dans le même temps, des sanctions à l’égard de la Russie sont mises en place très rapidement.
Du côté israélien, le gouvernement vient d’être dissout et le pays va vivre ses septièmes élections en 6 ans, un retour de Benjamin Netanyahou au pouvoir n’est pas exclu. Aïda Touma, députée de la Joint List à la Knesset, nous a précisé que la coalition Bennett-Lapid qui vient d’être dissoute avait poursuivi à appliquer la même politique néolibérale et de colonisation des Territoires occupés que les précédents gouvernements d’extrême droite.
La loi État-Nation votée en juillet 2018 consacre une vision ethniciste d’Israël, remettant en cause les principes ayant présidé à la fondation d’Israël et affirme la volonté d’apartheid en Israël.
Tous ces échanges ont permis de réaffirmer l'engagement du PCF pour la reconnaissance par la France de l’État de Palestine, pour la suspension de l’accord d’association entre l’Union européenne et Israël en vertu de son article 2 qui demande à chaque partie le respect des droits de l’homme, dans la campagne pour l’Initiative citoyenne européenne qui est lancée depuis février pour demander l’interdiction des produits des colonies.
Mathilde Caroly
responsable du collectif Palestine du PCF
États-Unis L’instance judiciaire, aux mains de juges ultraconservateurs nommés à vie, met en œuvre un programme de régression pourtant rejeté dans les urnes par les électeurs.
En quelques semaines, six Américains – cinq hommes et une femme – ont produit plus de « normes » politiques effectives que les 435 élus du Congrès depuis l’entrée à la Maison-Blanche de Joe Biden. Avortement, armes à feu, environnement, séparation de l’Église et de l’État : leurs décisions auront un impact pour des millions d’habitants des États-Unis, voire pour le pays tout entier. Ce sont évidemment les six juges conservateurs de la Cour suprême, qui en comptent neuf au total. Le bilan de la « saison » des « opinions » de la plus haute instance judiciaire du pays s’affiche comme le plus réactionnaire depuis près d’un siècle avec, en premier lieu, l’annulation de l’arrêt Roe vs Wade de 1973, qui plaçait le droit à l’avortement sous la protection de la Constitution.
Depuis le 24 juin, une quinzaine d’États républicains se sont engouffrés dans la brèche, interdisant l’avortement ou restreignant fortement son accès. Plusieurs d’entre eux l’ont fait, sans aucune exception, ni en cas de viol ou d’inceste. Signe du grand bond en arrière : le Texas a réactivé une loi de 1925, d’abord bloquée par un tribunal, puis autorisée par la Cour suprême locale. À Washington, sa « grande sœur » ne s’est pas contentée de cette remise en cause d’un droit fondamental pour les femmes. Quelques semaines après une nouvelle tuerie de masse dans une école, elle a dénié à l’État de New York le droit de renforcer le contrôle de la détention d’armes à feu au nom d’une interprétation absolutiste du second amendement. Elle a également porté un coup majeur à la capacité du gouvernement fédéral de s’attaquer aux effets du changement climatique, en estimant que l’EPA, l’agence fédérale spécialisée, ne s’était pas vu confier ses pouvoirs par le Congrès. Enfin, en matière de séparation de l’Église et de l’État – un élément « fondateur » du pays, il est parfois besoin de le rappeler –, elle a fissuré à deux reprises le « mur de séparation » dont parlait Thomas Jefferson (l’un des pères fondateurs). Elle a donné tort à l’État du Maine qui refusait de financer des écoles privées, puis raison à un entraîneur, licencié car il priait sur les terrains de football de son école publique, alors que les prières sont interdites dans les établissements publics, depuis une décision… de la Cour suprême en 1962.
Le cauchemar n’est manifestement pas terminé. L’argument central du juge Samuel Alito dans la décision Dobbs vs Jackson Women’s Health Organization – pour être reconnu, un droit doit être profondément ancré dans l’histoire et la tradition américaine – a ouvert une boîte de Pandore dont entendent profiter ceux qui veulent renverser d’autres jurisprudences qui protègent actuellement les relations sexuelles entre personnes du même sexe et le mariage gay. Pire encore : l’instance judiciaire a annoncé qu’elle auditionnerait un cas dont la portée pourrait s’avérer encore plus cataclysmique que toutes ces décisions prises jusqu’ici. Elle rendra son opinion en juin 2024, à quelques mois de l’élection présidentielle, et cela porte justement sur les élections fédérales. La majorité conservatrice donnera alors sans doute plus de pouvoirs aux législatures d’État en la matière, une revendication du Parti républicain depuis la défaite de Donald Trump. En résumé, la Cour suprême pourrait donner les moyens au Grand Old Party (GOP, le surnom du Parti républicain) de « voler » l’élection de novembre 2024. Selon une étude du New York Times, cette cour est la plus « conservatrice » depuis celle qui, au milieu des années 1930, retoquait les mesures du New Deal de Franklin Delano Roosevelt. Le président démocrate avait alors lancé une réforme de l’instance avec augmentation du nombre de juges (ce qui aurait ajouté des juges progressistes et fait pencher la balance) : s’il a subi un revers politique au Congrès, les juges conservateurs avaient saisi le message en cessant leur guérilla anti-New Deal. Joe Biden peut-il s’inspirer de son prédécesseur ? Les démocrates sont divisés sur le sujet, y compris l’aile gauche. Alexandria Ocasio-Cortez l’y invite, mais pas Bernie Sanders. Ce dernier insiste sur le précédent ainsi créé et sur lequel pourrait s’appuyer à leur tour les républicains s’ils remportaient les prochaines élections de mi-mandat.
Mais de quelle autre arme dispose la coalition démocrate pour contrer ce rouleau compresseur ultraréactionnaire ? Théoriquement, de la loi. De 1970 à la fin des années 1990, le Congrès a d’ailleurs contré un nombre important de décisions de la Cour suprême dans des législations. Les démocrates disposent actuellement d’une majorité à la Chambre des représentants et même au Sénat, où l’égalité parfaite (50 sénateurs pour chaque parti) peut-être départagée par la voix prépondérante de la vice-présidente, Kamala Harris. Mais l’on retrouve ici le filibuster, cette pratique d’obstruction parlementaire, jadis outil privilégié des ségrégationnistes et aujourd’hui des républicains de Mitch McConnell. Faute de « supermajorité » de 60 élus au Sénat (une chambre elle-même très peu représentative puisque chaque État, quelle que soit sa population, y est représenté par deux sénateurs), le blocage est total sur la colline du Capitole, symbolisant une division de plus en plus insurmontable entre une Amérique « bleue » (couleur du Parti démocrate) et une Amérique « rouge » (celle du Parti républicain).
Dans ce contexte, la Cour suprême apparaît comme le seul organe sans contrôle ni entrave. Notons que les filtres antidémocratiques du système institutionnel et politique cumulent leurs effets. Quatre des six juges conservateurs ont été nommés par des présidents minoritaires en voix mais élus grâce au système du collège électoral : John Roberts par George W. Bush ; Neil Gorsuch, Brett Kavanaugh et Amy Coney Barrett par Donald Trump. Dans un pays où l’opinion publique est majoritairement favorable au droit à l’avortement, au contrôle des armes, à l’action publique face au changement climatique, la minorité républicaine (le GOP a perdu le vote populaire lors de cinq des sept élections présidentielles qui se sont déroulées depuis la fin de la guerre froide) fait appliquer son programme par un organe judiciaire composé de membres nommés à vie. Comme un « hold-up » légal.
JUSTICE La Turquie mène des attaques meurtrières contre le Kurdistan irakien et syrien. Avec ces véritables crimes de guerre se conjugue une ambition coloniale et antidémocratique. La communauté internationale reste silencieuse.
Les Kurdes, peuple sans patrie qui vit entre la Turquie, l’Iran, l’Irak et la Syrie, sont plus que jamais persécutés. Depuis le 17 avril, et sous prétexte d’assurer la sécurité à leurs frontières, les autorités turques tentent d’annexer le Kurdistan irakien. La région, contrôlée par le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), est le théâtre de crimes de guerre. « Nous avons reçu des images terrifiantes, filmées par des soldats turcs. On les voit décapiter les guerriers kurdes à coups de hache, avec fierté », relate Agit Polat, porte-parole du Conseil démocratique kurde en France (CDK-F), la voix teintée d’émotion.
Ces images effroyables ont été publiées sur les réseaux sociaux, mais restent méconnues du grand public. Il faut dire que les autorités turques mettent tout en œuvre pour désinformer et que la diplomatie occidentale ferme les yeux face à la barbarie. Dans la région kurde du Rojava, au nord et à l’est de la Syrie, la crainte d’une occupation turque plane également. À nouveau, le gouvernement d’Erdogan revendique une opération de sécurité après de multiples incursions. « Au Rojava, les Kurdes sont à l’origine d’un mouvement révolutionnaire qui est féministe, progressiste et, je le crois, anticapitaliste », souligne Jean-Paul Lecoq, député communiste et membre de la commission des Affaires étrangères à l’Assemblée nationale.
Ce projet de démocratie provoque l’ire du président turc, Recep Tayyip Erdogan, qui répond par une guerre réactionnaire. Le Rojava est, de fait, le siège d’une démocratie active, où l’ensemble des questions sont débattues par la population . « Erdogan dit que la place de la femme est à la maison. Il a peur des mouvements démocratiques progressistes », dénonce Khaled Issa, représentant des territoires kurdes du nord et de l’est de la Syrie. En outre, il relève la complaisance dont a fait preuve le président turc à l’égard des terroristes de Daech, qui partageaient également une frontière avec la Turquie. À l’époque, le mot « insécurité » ne faisait pas partie du vocabulaire de Recep Tayyip Erdogan. « Notre peuple continuera de se battre pour son territoire et pour ses valeurs, malgré le sentiment d’avoir été lâché par la communauté internationale, affirme Khaled Issa. La Finlande et la Suède partagent-elles vraiment les valeurs de la Turquie ? Je ne le crois pas. »
Le représentant des Kurdes de Syrie fait référence à la signature d’un accord entre les deux pays nordiques et la Turquie, au début du sommet de l’Otan à Madrid, mardi (voir ci-contre). « Cet accord immonde bafoue les valeurs de l’humanité !» tance, quant à lui, le porte-parole du CDK-F. À l’aune de la guerre en Ukraine, Ankara réaffirme sa force diplomatique en négociant l’adhésion de la Finlande et de la Suède en échange d’une coopération contre les combattants kurdes du PKK. « Recep Tayyip Erdogan a prouvé que le chantage fonctionne. En menaçant d’activer ses réseaux terroristes et en utilisant les réfugiés comme monnaie d’échange. Il s’est doté, avec cet accord, d’une puissante arme juridique », déplore Khaled Issa.
Face aux exactions dont sont victimes les Kurdes, la communauté internationale fait preuve d’un silence assourdissant. Pour l’écrivain goncourisé Patrice Franceschi, à l’origine de nombreuses missions humanitaires, notamment au Kurdistan, un « blocage intellectuel » perdure au sein des démocraties occidentales. « On confond l’agresseur avec l’agressé. Il ne faut pas oublier que l’actuel gouvernement turc est un ennemi pour nos démocraties », soutient l’écrivain. Il va jusqu’à qualifier le président turc de « Hitler du Bosphore », rappelant que « les résistants français étaient les ennemis, du point de vue de l’Allemagne nazie », pendant la Seconde Guerre mondiale.
Pour le député communiste Jean-Paul Lecoq, la France est dans une impasse, à l’heure où sa démocratie apparaît comme « une démocratie du business ». L’État turc est effectivement un grand acheteur d’armes, en particulier auprès d’entreprises françaises. La sécurité des Français, que les marchands d’armes disent garantir, est intimement liée à la question kurde. Ce peuple était érigé en héros de la lutte antiterroriste, dans un contexte d’attaques récurrentes en Europe de l’Ouest. « Si les Kurdes tombent, l’Europe tombe aussi. Les attentats repartiront de plus belle », alerte Agit Polat. Mais, dans un futur proche, les premières victimes collatérales de la politique d’Ankara seront sans doute les membres de la diaspora. Après la signature de l’accord controversé, les Kurdes de Suède et de Finlande pourraient subir la répression.
Conflit Lors d’une cérémonie en présence du président élu, Gustavo Petro, la Commission pour la clarification de la vérité a dévoilé un document sur la guerre civile qui fit 450 000 morts de 1958 à 2016. À partir de la recension des crimes et de leurs auteurs, il formule des recommandations.
Même en noir et blanc, les mares de sang crèvent l’écran. Tous les soirs, la même marche funèbre. Des morts qui se bousculent aux heures de grande écoute. « Pourquoi regardions-nous, jour après jour, comme si c’était un feuilleton bon marché ? » interroge, toujours abasourdi, le prêtre colombien Francisco de Roux en sa qualité de président de la Commission pour la clarification de la vérité. À la fin des années 1990, les directeurs de l’information des chaînes de télévision décident de marquer leur refus de la violence en supprimant la couleur des informations liées au conflit armé qui fit 450 000 morts de 1958 à 2016.
Une guerre qui semble aujourd’hui prendre une nouvelle coloration à la lumière des documents déclassifiés et révélés dans le cadre d’un rapport de la Commission pour la clarification de la vérité. Dévoilées lors d’une cérémonie, le 28 juin, à laquelle ont assisté le futur président de gauche, Gustavo Petro, et sa vice-présidente, Francia Marquez, le dossier revient sur les violations des droits de l’homme mais aussi sur les implications des différents acteurs, dont les États-Unis. Fruit de quatre années de travail ouvert grâce à l’accord de paix de 2016 entre le gouvernement colombien et les Forces armées révolutionnaires de Colombie (Farc), le document collecte 14 000 entretiens individuels et collectifs.
La liste des morts « est sans fin et la douleur est insupportable », a insisté le jésuite. Massacres, disparitions forcées, exécutions extrajudiciaires, enlèvements, extorsion, torture, agressions sexuelles et recrutement d’enfants… des crimes commis tout aussi bien par les groupes paramilitaires que les forces légales et les Farc. À ce titre, la commission à caractère extrajudiciaire donne également à voir le rôle joué par le modèle économique néolibéral, l’exclusion et les inégalités, dans cette spirale de violence. Elle recommande que la police nationale ne soit plus placée sous l’autorité du ministère de la Défense, la traduction en justice des accusés et la fin des accords entre l’armée et les entreprises privées, comme ces sociétés pétrolières qui rémunèrent des paramilitaires pour leur protection et collectent des informations pour le compte de la Défense.