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31 décembre 2019 2 31 /12 /décembre /2019 06:57
Cette semaine, l’écrivain Joseph Andras brosse pour L’Humanité les portraits de poètes en lutte. Ce lundi, le Salvadorien Roque Dalton, né en 1935, poète traqué, dramaturge et romancier communiste, farouche opposant aux régimes militaires de son temps.

Cette semaine, l’écrivain Joseph Andras brosse pour L’Humanité les portraits de poètes en lutte. Ce lundi, le Salvadorien Roque Dalton, né en 1935, poète traqué, dramaturge et romancier communiste, farouche opposant aux régimes militaires de son temps.

Roque Dalton « Au nom de ceux »
Lundi, 30 Décembre, 2019

​​​​​​​L’écrivain Joseph Andras brosse pour l’Humanité les portraits de poètes en lutte. Aujourd’hui, le Salvadorien Roque Dalton, né en 1935, poète traqué, romancier et dramaturge communiste, farouche opposant aux régimes militaires de son temps.

 

Qu’est-ce que la poésie ? Question par trop usée, à laquelle il est bon de répondre qu’on ne peut y répondre puisqu’elle est précisément ce que l’on ne saurait dire. Posons-la autrement : qu’est-ce que la poésie pour la bourgeoisie ? Puis convoquons la réponse qu’un poète proposa un jour : «  (L)e poète, pour la bourgeoisie, ne peut qu’être :/serviteur,/bouffon,/ou ennemi. » On se figure sans peine les deux premiers ; on lit plus avant pour embrasser la proposition dans son entier : le poète en butte aux détenteurs des moyens de la production sociale n’est salué qu’en «  persécutions, prisons, balles ». Pareil sort peut brider la rime. Il est donc des ministres de la Culture pour promouvoir la poésie.

Ce poète refusait que l’on prononçât son nom sa mort venue. Respectons sa volonté puisqu’il n’en manquait pas : se lancer, gueule refaite, dans une guérilla en Amérique centrale pour instaurer le socialisme autorise quelques fantaisies.

On ne naît pas révolutionnaire, on le devient pour ne pas mourir en vain. Ainsi notre homme, fils unique d’une infirmière et d’un bagarreur dont l’histoire conte qu’il aurait traficoté avec Pancho Villa dans quelque interlope affaire d’armes à feu, découvrit-il au Chili que le monde a mauvaise mine car l’humanité n’y existe pas : on n’y connaît que puissants et sans-le-sou. L’étudiant en droit se fit chrétien social à la faveur de ce séjour – de quoi provoquer l’ire de Rivera qui l’eût voulu marxiste. Départ pour l’Union soviétique (l’occasion de rencontrer Nâzım Hikmet en exil), retour au Salvador natal au mitan des années 1950 : il prit alors sa carte au Parti communiste tandis que Cuba rampait en dedans sa forêt. Marxiste, le jeune poète l’était désormais – mais l’être seul, songea-t-il, n’est d’aucun secours : il faut une organisation. « (L)es exclus, les mendiants, les drogués,/les Guanacos fils de la grande pute,/ceux qui purent revenir de justesse/ceux qui furent plus chanceux,/les éternels non identifiés,/les bons à tout faire, à tout vendre,/à manger n’importe quoi/[…] mes compatriotes,/mes frères. »

En ce temps, un militaire libéral avait pris la place d’un collègue tortionnaire ; trois ans plus tard, une junte renverserait le premier avec le concours du second. Le Salvadorien fut arrêté, à plusieurs reprises, et expulsé, pareillement ; il fit grève de la faim et frôla la peine capitale. Ses contemporains s’accordent à brosser un maigrichon rieur, séducteur et bouillonnant, bon footballeur et bon danseur. Se moquant de tout, lui compris. Sérieux sans contredit sous ses dehors cabots. La poésie, pensait-il, « est comme le pain, pour tous ». L’exilé se rendit au Mexique, à Cuba (pour prendre toute la mesure des responsabilités échues au métier d’écrivain : ne pas se voir comme « un Baudelaire marxiste » mais comme « fils d’un peuple d’analphabètes et de pieds-nus »), puis en Tchécoslovaquie (pour apprendre l’assassinat du Che, ange noir crevé d’avoir cru que le courage suffisait). « Au nom de ceux qui lavent les vêtements des autres/(et expulsent de la blancheur la crasse des autres)/[…] J’accuse la propriété privée/de nous priver de tout. »

Au Chili, Allende jurait qu’un socialisme démocratique était possible. Empanadas, vin rouge et costumes d’alpaga. Humanisme, dépassement sélectif du système. Au même endroit par d’autres chemins, avait naguère résumé le barbudo défunt. À l’invitation du gouvernement, le poète s’y rendit l’année qui verrait Pinochet prendre place au palais, bottes souillées du sang de Santiago. Ainsi s’éteignit, un temps, l’espoir d’une transformation radicale sans recours au feu. L’année précédant le coup d’État, un colonel avait supplanté un général à la tête du Salvador ; le poète n’avait pas attendu la défaite d’Allende pour reconnaître le bien-fondé du renversement du pouvoir oligarchique par la lutte armée – peut-être celle-ci renforça-t-elle à ses yeux celui-là. Il fit grief au Parti communiste salvadorien de son manque d’ambition révolutionnaire et souffrit de l’arrestation d’Heberto Padilla, poète tout aussi, soumis à l’autocritique publique par le régime castriste (« La “lune de miel de la Révolution” qui nous avait tant séduits est bien finie », se souviendrait Simone de Beauvoir dans Tout compte fait). Fin 1973, en âge de 38 ans, il rejoignit son pays sous nom d’emprunt – dentition, mâchoire et nez bricolés presqu’à neuf – pour intégrer l’ERP, l’Armée révolutionnaire populaire, fondée un an plus tôt.

On ne sait parfois qui, des capitalistes ou des révolutionnaires, est le plus grand ennemi de la révolution ; c’est que les seconds déploient force entêtement à négliger l’unité des premiers. Deux tendances s’affrontèrent au sein de l’armée : le poète redoutait, lui, l’échec de la guérilla sans l’appui des masses. Accusé d’être un révisionniste, un nuisible indocile, un intellectuel petit-bourgeois et un agent de la CIA comme de Cuba (rien moins), il fut exécuté par ses frères le 10 mai 1975. L’homme à la manœuvre basculerait à droite, allant, deux décennies plus tard, jusqu’à prodiguer ses conseils pour mater le Chiapas zapatiste – si le monde manque de vertu, au moins n’est-il pas dénué de logique.

À lire l’ONU, le corps du poète aurait été dévoré par des bêtes errantes aux abords d’un volcan.

« Ne prononce pas mon nom quand tu apprendras que je suis mort./Des profondeurs de la terre je viendrai chercher ta voix. »

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31 décembre 2019 2 31 /12 /décembre /2019 05:37
Inde. Lettre de solidarité
Lundi, 30 Décembre, 2019
 

Appel contre la nouvelle loi imposée par le chef d'état indien Modi et pour le rassemblement de protestation le 4 janvier à 12h sur le Parvis des Droits de l'homme, la Place du Trocadéro. 

Pour les redacteurs de ce texte relayé notamment par par l'écrivaine Shumona Sinha,  cette loi est  anticonstitutionnelle car pour la première fois depuis l'indépendance de l'Inde, elle recourt à la classification des citoyens indiens sur la base de la religion. Les musulmans y sont particulièrement visés, faisant suite au nettoyage ethnique à leur encontre (1200 musulmans sont assassinés lors de l'attentat de 2002 à Gujarat tandis que Modi était chef du gouvernement local de l'état de Gujarat à l'époque, qui a ouvertement félicité les assassins militants du RSS/BJP).  La romancière précise que "les Indiens protestent massivement à travers le pays contre cette loi, contre la politique suprémaciste de Modi qui est membre à vie du RSS, milice fasciste vénérant Hitler, parti-mère du BJP qui est au pouvoir. Les opposants, militants, citoyens subissent de violentes représailles par la police du gouvernement Modi, ils sont gravement blessés, éborgnés, tués sur la voie publique, les campus universitaires sont attaqués par la police, les étudiants surtout de la confession musulmane ainsi que les campus connus pour le mouvement de gauche/communiste sont directement visés et subissent de la violence policière inédite".

 
Nous sommes des étudiants, chercheurs, universitaires et affiliés résidant en France. Nous condamnons fermement la série de mesures initiées par l’État indien permettant la formation d’une citoyenneté de seconde classe en Inde. Nous condamnons également les actions d’une violence disproportionnée entreprises en utilisant la machine étatique - à la fois légale et extra-légale - pour étouffer les voix dissidentes. La loi sur la citoyenneté (Citizenship Amendement Act ou CAA) de 2019, adoptée par le Parlement indien le 11 décembre 2019, est fondamentalement discriminatoire. Pour la première fois dans l’histoire de l’Inde indépendante, elle recourt à la classification des citoyens sur la base de la religion. Cette loi viole l’article 14 de la Constitution indienne qui appelle explicitement à une protection égale de toutes les personnes en vertu de la loi, et elle est également contraire à l’esprit de laïcité de l’Inde tel que consacré dans le Préambule de la Constitution indienne.
 
Nous sommes également conscients qu’en conjonction avec le Registre national des citoyens (National Register of Citizens ou NRC), et la création en cours du Registre national de la population (National Population Register ou NPR), le CAA établira le cadre juridique permettant de refuser l’accès ou de prolonger le processus d’obtention de la citoyenneté indienne aux personnes n’appartenant pas à six communautés religieuses spécifiques, qui serait notamment discriminatoire envers des musulmans. Cette privation potentielle du droit de vote des musulmans indiens et des citoyens indiens n’appartenant pas aux six communautés religieuses est déplorable, et nous sommes fermement opposés à l’idée de qualifier certains citoyens de citoyens de seconde classe, quel que soit le critère retenu pour ce faire.
 
La ratification de la CAA et l’introduction du NRC surviennent dans un contexte d’escalade de violence contre les minorités, de montée alarmante de la propagande islamophobe et de suppression de toute forme de dissidence. Le fait que le gouvernement actuel ait formulé ces mesures comme une mesure de protection des minorités n’est qu’un écran de fumée, et nous appelons les concitoyens de l’Inde à le reconnaître comme tel.
 
Le gouvernement indien utilise son mandat démocratique, au nom de ses citoyens, pour étouffer la dissidence, réprimer avec force les protestations pacifiques et restreindre les services de base dans différentes régions de l’Inde en faisant appel à la police, aux forces paramilitaires et aux forces armées. Actuellement, la région de la vallée du Cachemire, dans l’ancien État de Jammu-et-Cachemire, certaines parties de l’Uttar Pradesh, de l’Assam, de Meghalaya, du Bengale occidental, de New Delhi etdu Tripura - dont certaines sont à majorité musulmane - se voient imposer un blocus de l’Internet et un couvre-feu, avec des restrictions supplémentaires à la liberté de mouvement, à la liberté d’expression, aux télécommunications et au droit de manifester pacifiquement.
Ces mesures extrêmement répréhensibles, adoptées par le Gouvernement indien, soulèvent de graves questions quant à son intention de sauvegarder les droits fondamentaux de tous les citoyens indiens et, plus généralement, de faire respecter les principes de la démocratie tels que définis dans la Constitution indienne. Nous nous joignons à nos concitoyens pour protester contre les politiques et les mesures adoptées par le gouvernement indien qui violent les principes de liberté, d’égalité, de fraternité et de justice.
 
La discrimination envers des groupes minoritaires, la menace qui pèse sur le respect des principes de la Constitution indienne, les graves empiétements sur l’autonomie des États dans la structure fédérale de l’exécutif indien et les actions violentes du gouvernement contre ses citoyens ont affligé notre conscience collective. À cet égard, nous condamnons, dans les termes les plus fermes, l’action extrême entreprise par la police en pénétrant de force sur les campus universitaires et en attaquant brutalement les étudiants qui protestent contre la Loi sur l’amendement de la citoyenneté à l’Université Jamia Millia Islamia, à Aligarh Muslim University, à Cotton University, au B. Borooah College et Handique Girls College (Guwahati), et ailleurs en Inde.
 
Une telle brutalité a pour motif de réprimer toute forme de dissidence, pacifique ou autre. En tant qu’étudiants et universitaires nous-mêmes, nous pensons qu’il est essentiel que les espaces universitaires ne soient pas convertis en arènes violentes de conflit par l’état indien, et de favoriser la pratique démocratique qui consiste à tolérer la dissidence contre les politiques de l’état.
 
Nous sommes solidaires avec citoyens de l’Inde qui continuent à combattre courageusement l’adoption de cet acte discriminatoire par la dissidence et une forte opposition, et qui luttent contre les pratiques discriminatoires de l’exécutif et du législatif indiens pour faire en sorte que l’idée de l’Inde, telle qu’elle nous est donnée par la Constitution, ne soit ni diluée ni déformée. En conclusion, nous demandons l’abrogation de la CAA, une enquête sur la mauvaise conduite de la police à l’égard des manifestants, la levée du couvre-feu et la reprise des services Internet et de communication dans tout le pays.
Inde: lettre de solidariré contre la politique liberticide et xénophobe du chef d'état nationaliste BJP Modi
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29 décembre 2019 7 29 /12 /décembre /2019 06:24

 

Résumé latino-américain *, 26 décembre 2019.

Afin de contrer les partisans de Morales, le nouveau ministre bolivien de l'Intérieur a engagé des agents de contre-insurrection israéliens, arguant que ces derniers sont compétents pour "contrôler les groupes terroristes".

L'influence d '"Israël" en Amérique latine ne date pas aujourd'hui. Si le Venezuela et l'Argentine y ont échappé, c'est parce que la présence de dirigeants de gauche et la vague du chavisme ont entravé les actions des agents de sécurité israéliens.

En ce sens, le journaliste américain Wayne Madsen a écrit dans un article publié le 17 décembre sur le site Alt World qu'avec le renversement des gouvernements progressistes à travers l'Amérique latine et leur remplacement par des régimes néo-fascistes à droite, des conseillers israéliens la contre-insurrection, mieux connue sous le nom de «trafiquants de la mort», est revenue en Amérique latine. Les gouvernements de droite au Brésil, en Bolivie, en Colombie, au Pérou, en Équateur, au Honduras, au Paraguay, au Guatemala et au Chili, désireux de mettre fin à la vague de protestations, ont invité les Israéliens à retourner dans leur pays pour donner des conseils. Certains de ces pays cherchent à dépeupler les régions indigènes d'une manière aussi systématique que le régime israélien l'a fait avec les Palestiniens de Cisjordanie et de Jérusalem-Est.

Pendant la vague socialiste en Amérique latine, les gouvernements progressistes ont soutenu les Palestiniens et évité les relations étroites avec "Israël". Certains dirigeants progressistes, comme Hugo Chavez au Venezuela et Evo Morales en Bolivie, ont rompu les liens avec "Israël" en raison de leurs crimes contre le peuple palestinien à Gaza. Dans le contexte du récent renversement de Morales par un coup d'État militaire de droite et des sanctions américaines à l'encontre du successeur de Chavez, Nicolás Maduro, les commerçants israéliens de contre-insurrection sont fréquemment vus dans les capitales d'Amérique latine, où la droite, et même l'extrême À droite, est arrivé au pouvoir. En utilisant une logique presque talmudique, le gouvernement israélien estime que pour combattre les gouvernements pro-palestiniens qui ont des relations amicales avec l'Iran,

L'héritage de la sécurité israélienne en Amérique latine est un record tristement célèbre qui se traduit par un soutien aux dictateurs génocidaires tels que la dictature argentine ou guatémaltèque. Avec l'avènement du «printemps socialiste» en Amérique latine, les marchands de la mort israéliens y ont fortement réduit leurs activités ou ont cherché de nouvelles perspectives en Afrique, dans les Balkans et en Asie du Sud. Après le renversement de Morales comme le dernier des premiers dirigeants du «printemps socialiste» à tomber en Amérique du Sud, les commerçants de contre-insurrection israéliens ont vu un nouveau marché ouvert lorsque le nouveau ministre bolivien de l'Intérieur, Arturo Murillo, a salué l'aide israélienne de développer les capacités de son escadron de la mort nouvellement formé, le "Groupe antiterroriste", qui, selon lui, vise à combattre les «terroristes». Dans leur langue, les «terroristes» dans ce cas sont des Boliviens fidèles au président déchu Morales, ainsi que des autochtones: les Aymara (l'ethnie Morales) et les Quechua, Chiquitan, Guaraní et Moxenos, explique Wayne Madsen.

La raison pour laquelle le ministre de l'Intérieur Murillo a choisi des Israéliens comme conseillers à la sécurité a été révélée dans une interview à Reuters. Il a déclaré: «Ils sont habitués à traiter avec les terroristes. Ils savent comment les gérer. » Murillo, bien sûr, a évoqué la répression brutale du peuple palestinien par "Israël", un record de traitements inhumains que les sociétés militaires et de renseignement israéliennes ont réussi à emballer, avec du matériel et des conseillers, comme un produit d'exportation. L'engagement de Murillo d'établir un État de surveillance de style israélien en Bolivie a été clairement exprimé dans son avertissement à un groupe de militants argentins des droits de l'homme qui sont arrivés en Bolivie pour voir des violations des droits de l'homme de première main contre des membres du «Mouvement vers Socialisme »(MAS), dirigé par Morales,

Murillo a mis en garde les Argentins et les autres militants étrangers, déclarant: «Nous recommandons que ces étrangers nouvellement arrivés fassent attention. Nous vous observons Nous vous suivons. Il n'y a aucune tolérance pour le terrorisme, la sédition ou les mouvements armés. Tolérance zéro ». L'avertissement est presque une copie conforme de l'avertissement émis par Israël aux travailleurs humanitaires internationaux qui ont tenté d'aider les habitants de Gaza, a déclaré Madsen.

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* Source: Al Manar

 

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23 décembre 2019 1 23 /12 /décembre /2019 07:00

 

En exil en Argentine et ciblé par un mandat d’arrêt émis par le nouveau pouvoir, Evo Morales a été nommé par le Mouvement pour le socialisme (MAS) directeur de la campagne pour la prochaine élection présidentielle. Avec Janette Habe Maître de conférences à l’Institut des hautes études de l’Amérique latine, Sarah Pick Membre du comité directeur de France Amérique latine et  Maité Pinero journaliste et romancière

 

Le départ forcé d’Evo Morales de la présidence de la Bolivie est-il le résultat d’un coup d’État ou l’engagement d’un processus de « transition démocratique », comme le présentent les détenteurs du pouvoir civil et militaire actuel en Bolivie ainsi que certains médias ?

 

Janette Habe

Le fait qu’il y ait eu un coup d’État en Bolivie est indéniable et les affirmations des secteurs qui ont mis en cause sa réalité sèment la confusion. Il y a une polémique à ce propos en France mais également en Amérique latine, parmi les secteurs écologistes les plus mobilisés contre l’extractivisme. Ils mettent en cause le fait qu’il s’agisse d’un coup d’État parce que Evo Morales n’avait pas respecté le résultat du référendum de 2016, qu’il avait perdu, alors qu’il sollicitait un quatrième mandat présidentiel. Mais ni l’armée ni la police n’étaient alors intervenues. En Amérique latine, il y a plusieurs manières de nommer un coup d’État. L’une d’entre elles, c’est de parler de « pronunciamento » lorsque l’armée se « prononce » – intervient – contre le gouvernement en place. C’est exactement ce qui s’est passé. Evo Morales a démissionné le pistolet sur la tempe, lorsque l’armée le lui a « suggéré ». Les erreurs politiques d’Evo Morales ne doivent pas empêcher d’appeler un chat un chat, un coup d’État un coup d’État.

 

 

Sarah Pick

Le départ du président Morales est, en effet, un coup d’État maquillé en démission dans un contexte de crise électorale. Profitant des mobilisations liées à la contestation des résultats du scrutin du 20 octobre, du mécontentement croissant d’une partie de la population, ainsi que de l’audit de l’OEA (Organisation des États américains) invalidant les élections, la droite, derrière Carlos Mesa, et l’extrême droite, sous la bannière fascisante de Fernando Camacho, ont organisé des actions de plus en plus violentes et racistes, dont le but était de prendre le pouvoir par la force, loin d’un prétendu souci de démocratie. Quelques heures après le rapport de l’OEA, Evo Morales, sous pression, avait proposé d’organiser de nouvelles élections sous le contrôle de personnalités indépendantes. Pourtant, la droite et l’extrême droite ont rejeté cette proposition de sortie de crise qui aurait pu pacifier le pays. En effet, elles ne souhaitaient pas être de nouveau confrontées à des élections générales contre Morales, élections qu’elles n’ont jamais réussi à gagner depuis 2005. N’ayant pas non plus accepté les politiques de nationalisation et de redistribution du MAS, nourrissant un sentiment de revanche à l’encontre des peuples indigènes et des classes populaires, ces secteurs étaient prêts à entraîner le pays dans une guerre civile et à le jeter dans les bras de l’extrême droite pour démettre Morales. C’est pourquoi, tandis que des commandos fascistes descendaient dans les rues, l’armée et la police ont appelé au départ du président en dépit de sa proposition d’organiser un nouveau scrutin. Evo Morales décida de démissionner afin d’éviter un bain de sang au peuple bolivien. Malgré son départ, le pays n’a pas retrouvé la paix. Depuis le coup d’État, la CIDH (Commission inter­américaine des droits de l’homme) dénonce de graves violations des droits humains.

 

 

Maïté Pinero

Quand les chefs de la police et de l’armée ordonnent au président de démissionner, que des milices brûlent les bureaux de vote, les domiciles des ministres et menacent leurs familles, que les militaires – dispensés de responsabilité pénale – répriment à grand renfort de blindés et d’hélicoptères, que cette répression cause 33 morts, des centaines de blessés, plus d’un millier d’arrestations, que des journalistes sont expulsés, attachés à un arbre et fouettés, il s’agit d’un coup d’État. La vraie question est plutôt : pourquoi cela fait-il encore débat ? Un rideau de fer médiatique a couvert la violence, l’agression de la maire Patricia Arce, tondue, aspergée de peinture rouge, réduite à un exemple isolé. Rien sur les autres témoignages comme celui de Viktor Borda, ex-président de l’Assemblée législative, qui a démissionné pour éviter que son frère, aspergé d’essence, soit brûlé vif.

 

 

Le MAS s’est entendu avec les forces politiques au pouvoir actuellement pour l’organisation d’une nouvelle élection présidentielle. Quelle est la situation du rapport de forces localement et quelles sont ses lignes de tension ?

Sarah Pick Le premier objectif du gouvernement putschiste a été de s’assurer qu’Evo Morales ne soit pas en mesure de se représenter. À cette fin, un mandat d’arrêt a été émis contre lui juste avant sa démission, l’accusant de sédition et terrorisme. Le gouvernement de facto a également cherché à rendre illégal son parti. Cependant, suite aux importantes mobilisations populaires, une partie du MAS (très largement majoritaire au Parlement) a pu négocier avec le gouvernement et obtenir la garantie de pouvoir se présenter aux prochaines élections à condition qu’Evo Morales ne soit pas candidat. Privé de son leader, le MAS doit désormais se trouver très rapidement un nouveau candidat. Si l’issue des élections, repoussées à février 2020, reste incertaine, leur tenue et les conditions dans lesquelles elles vont se dérouler le sont aussi. Il est à craindre qu’aucune élection ne soit organisée si la droite n’est pas sûre de gagner, par tous les moyens (report du scrutin, arrestations, militarisation, fraude…).

Maïté Pinero L’extrême droite raciste et fondamentaliste a supplanté la droite traditionnelle et présente son candidat, Camacho, leader de l’oligarchie et des Comités de Santa Cruz. En attendant les élections du 20 mars, le gouvernement « de transition démocratique » détruit l’œuvre du précédent. L’oligarchie a déjà récupéré les directions de 68 entreprises publiques et, selon le ministre de l’Économie, la spoliation va s’accélérer. Même renversement en politique étrangère : relations diplomatiques rompues avec le Venezuela, rétablies avec les États-Unis et Israël, renvoi des médecins cubains, retrait du pays de l’Alba, le traité de coopération. Le Movimiento al socialismo est décapité, le président exilé, six ministres privés de laissez-passer, toujours réfugiés à l’ambassade du Mexique à La Paz. Résultat d’une alliance entre syndicats ouvriers et paysans, organisations communautaires, le MAS a perdu des maillons, puisque même un dirigeant de la COB, la centrale ouvrière, avait aussi demandé la démission d’Evo Morales. Tout un symbole, le MAS a regagné ses bases chez les paysans de Cochabamba et y a tenu un mini-congrès qui a élu Evo Morales chef de campagne. Menacé d’arrestation, pourra-t-il revenir pour la diriger ? Le mouvement doit renouer ses alliances dans un contexte de persécution : le gouvernement menace de supprimer le droit de vote à Cochabamba si les organisations paysannes n’acceptent pas sa militarisation.

 

Janette Habel La démission d’Evo Morales et son départ au Mexique tout d’abord, puis en Argentine, font que le MAS est désarmé. De plus, il est profondément divisé. Le fait qu’il participe aux élections alors que le gouvernement de facto est issu du coup d’État a créé beaucoup de confusion. Une partie du MAS voulait imposer le retour d’Evo Morales. D’autres, plus pragmatiques, ne souhaitaient pas son retour. Ce sont ces derniers qui ont négocié avec le gouvernement intérimaire. Finalement, cette décision a été adoptée parce qu’il n’y avait pas tellement de choix. Le fait qu’Evo Morales n’ait pas respecté le résultat du référendum de 2016 a été, à mon avis, une grave erreur qui a non seulement facilité l’offensive de la droite mais a exacerbé les tensions sociales très fortes au sein des organisations indigènes et paysannes, la base sociale d’Evo Morales. De fait, la droite conservatrice espère gagner les prochaines élections. Luis Fernando Camacho, surnommé le Bolsonaro bolivien, est candidat à la présidentielle, c’est un homme d’affaires, militant d’extrême droite, pentecôtiste dont on dit qu’il est lié à une église évangélique très réactionnaire. « Nous étions dans un moment de faiblesse », a reconnu le vice-président, Garcia Linera. Le MAS est dans une situation difficile. Il a désigné Evo Morales comme directeur de la campagne électorale du MAS, bien qu’il soit réfugié en Argentine. Ce pouvoir intérimaire qui émane de secteurs d’extrême droite, racistes, n’incite pas à beaucoup d’optimisme pour la suite. L’armée et la police ont le pouvoir.

 

 

Quelle a été l’implication de la communauté internationale et de la France dans la garantie de l’État de droit et de la démocratie en Bolivie ?

Sarah Pick La communauté internationale n’a pas été garante de l’État de droit et de la démocratie en Bolivie. Au contraire. Si elle avait été prompte à dénoncer le refus du président Morales de reconnaître les résultats du référendum de 2016, elle a refusé de reconnaître le coup d’État à son encontre : un deux poids, deux mesures qui joue la carte de la déstabilisation pour défendre ses intérêts économiques. Au lieu de qualifier les événements de coup d’État, la France et l’Europe se sont prononcées en faveur du gouvernement intérimaire. Quant à l’OEA, sous influence des États-Unis, depuis plusieurs mois, elle cachait mal son impatience de voir partir Evo Morales. Déjà en mai 2019, son secrétaire regrettait de ne pas posséder les outils institutionnels pour empêcher Evo Morales de se présenter aux élections. L’audit de l’OEA, rouage important dans le coup d’État, a été depuis remis en cause par différents organismes, comme le CEPR (Center for Economic and Policy Research), qui en réfutent les conclusions et les accusations de fraudes à l’encontre de l’ancien président indigène.

Janette Habel Le New York Times a caractérisé ce qui s’est passé en Bolivie comme un coup d’État. L’ancien président du gouvernement espagnol José Luis Zapatero a dénoncé « le scandaleux coup porté au président bolivien. Demander à un président élu constitutionnellement de quitter le pouvoir ne peut être un acte de démocratie ». Certains gouvernements latino-américains ont fait de même. Le gouvernement français n’a pas condamné le coup d’État. L’ambassadeur de l’Union européenne (UE) Leon de la Torre s’est réuni avec la présidente autoproclamée Jeanine Añez en proposant la médiation de l’UE afin que « la Bolivie puisse organiser le plus tôt possible des élections crédibles ». Quant à la stratégie américaine, elle vise à déstabiliser les gouvernements progressistes en Amérique latine. On l’a vue à l’œuvre au Brésil avec Lula et Dilma Rousseff. Elle est plus habile que celle utilisée par le passé. On se souvient des agissements de la CIA lors du coup d’État militaire au Chili. Il s’agit aujourd’hui pour Washington d’instrumentaliser des procédures qui peuvent être institutionnelles ou juridiques pour atteindre ses objectifs. C’est une stratégie qui est, pour ainsi dire, plus « intelligente » qu’auparavant.

Maïté Pinero L’Union européenne – et avec elle la France –, qui avait reconnu Juan Guaido, président autoproclamé du Venezuela en janvier 2019, a franchi un palier dans le reniement de la démocratie. Reconnaître un gouvernement « de facto » entérine un rapport de forces imposé par les armes et sanctifié par la Bible. Signe des temps, alors que nos ambassadeurs se posaient en médiateurs, pas un ministre pourchassé n’a cru trouver la sécurité dans une ambassade européenne, comme au Chili en 1973. Deux mensonges masquent le coup d’État. Le premier, c’est celui de « la fraude » électorale, prétexte de l’OEA, fraude démentie par trois instituts de recherche et une centaine d’experts. Silence de l’UE et de la France. Le second, c’est la dissimulation de la violence. La Commission des droits de l’homme de l’ONU, la CIDH, les juges et avocats argentins, horrifiés par les témoignages recueillis, réclament une enquête internationale. Silence de l’UE et de la France. La fraude à la démocratie a eu lieu, une autre se prépare. Pourquoi l’UE reviendrait-elle sur son attitude puisque le coup d’État a réussi ? La seule solution est de l’y contraindre, de lever le voile sur la nature du gouvernement « de facto » et les reniements de l’UE et de la France. Notre propre avenir est en jeu, car le scénario bolivien peut se reproduire partout. En plus du fait que la réputation de l’Europe des Lumières, jusqu’ici ancrée en Amérique latine, est en cendres. La reconnaissance du coup d’État est un coup d’État contre cette mémoire commune. 

Entretiens croisés réalisés par Jérôme Skalski

 

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21 décembre 2019 6 21 /12 /décembre /2019 19:25

Sortir de la nasse du repli national

 

Chaque pays européen vit sous le joug d’un marché aux voleurs qui demande à chaque peuple un sacrifice en fonction de données inégalitaires fondées sur le moins disant. Pour exemple, les Grecs sont les éternels punis et ceux qui, en Allemagne notamment, on la chance d’arriver jusqu’à la retraite se retrouvent souvent dépouillés.

 

Le mouvement social français a le mérite d’exister et c’est bien, mais il serait bon qu’il ne s’arrête pas aux frontières. Les « expert » de la Macronie cherchent dans les pays du nord de l’Europe les exemples qui pourraient rassurer Margot, mais cela ne convainc et c’est heureux. Il y a certes ici et là des mouvements sociaux mais c’est chacun à son rythmes, dans un contexte que ne connaissent pas les autres. Est-ce à dire qu’il faudrait que tout le monde suive le rythme français ? 

 

Certainement pas, mais il existe une Confédération européenne des syndicats dans laquelle la CGT essaie de bousculer les choses. Il serait bon qu’elle ne reste pas la grande muette pour l’ensemble des citoyens européens hormis les spécialistes de la convivialité intersyndicale européenne qui confrontent leurs analyses et leurs points de vue.

 

Il ne s’agit pas de critiquer une direction syndicale ou une autre, mais de considérer qu’une lutte nationale dans un pays d’Europe doit déjà être connue et appréciée à sa juste valeur par les autres peuples et servir non pas de modèle mais de point d’appui pour des luttes convergentes.

 

La question des retraites est un exemple d’école pour ce genre d’exercice parce que notre pays qui avait une certaine avance sur bien d’autres sur le sujet est mis en demeure de se plier au moins disant européen. Donc si nous perdons, c’est toute l’Europe qui se trouve mise en demeure de rester au bas niveau et de mettre les vieux dans les mouroirs, de Malaga à Helsinki.

 

Les Français qui vivent à l’étranger se rendent compte du décalage entre les rythmes des mouvements sociaux et le vivent souvent eux-mêmes. Cela met de l’eau au moulin d’une préoccupation essentielle pour que les choses bougent dans un monde ficelé par les besoins de la finance et qu’il faut libérer. Ce qui s’est passé notamment en Grèce, lorsque le monde du travail de ce pays a été abandonné par les autres, chaque pays peut le vivre à un moment donné de son histoire. Certes il y a parfois des syndicats qui, comme les dockers, ont des liens privilégiés avec d’autres syndicats et qui peuvent comprendre les enjeux, mais cela reste limité à une corporation dépendante du commerce international à un niveau direct, donc limité.

 

Lorsque Marine Le Pen essaie de se placer en défenseur de la veuve et de l’orphelin, voire du retraité par les temps qui courent, il va sans dire, comme l’a bien fait sentir Philippe Martinez, que le mouvement social ne doit pas s’embarrasser des champions du repli, même s’ils ont le vent en poupe. Pour les initiés de la vie politique et sociale, cela s’entend, mais pour le citoyen dit « ordinaire » qui se pose des questions en n’ayant à sa portée que l’information officielle des médias en boucle, c’est un piège redoutable. Il faut donc faire le lien entre le bien être des citoyens français et les autres sous peine de se retrouver en forteresse assiégée avec de minces chances de gagner les combats essentiels.

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21 décembre 2019 6 21 /12 /décembre /2019 07:56

Retrouvez sur notre chaîne YouTube Rouge Finistère PCF29 notre nouvelle vidéo d’éducation populaire

A l’occasion des 30 ans de la chute du Mur de Berlin et de la fin de la RDA, conférence-débat avec Saskia HELLMUND, qui nous parla de la RDA « ex Allemagne de l’Est » où elle est née et a vécu sa jeunesse et étudié, sur la base des deux livres qu’elle a déjà publiés:

– La fille qui venait d’un pays disparu

– Pays perdu, pays choisi. Journal d’une jeune Allemande de l’est (chez Skol Vreizh)

Saskia est née en 1974 en RDA et a fait des études d’histoire à Leipzig, Berlin et Paris. Après un doctorat sur la médiation culturelle transfrontalière, elle a enseigné à la Sorbonne. Depuis 2012, elle est installée en Bretagne, dans la Baie de Morlaix. L’été, y travaille comme guide touristique et guide de randonnée, l’hiver, elle enseigne sa langue maternelle à l’UCO de Guingamp. En ce moment, elle prépare la création d’une pièce de théâtre sur la chute du Mur vue de l’Est.

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A l’occasion des 30 ans de la chute du Mur de Berlin et de la fin de la RDA, conférence-débat avec Saskia HELLMUND, qui nous parla de la RDA « ex Allemagne de l’Est » où elle est née et a vécu sa jeunesse et étudié, sur la base des deux livres qu’elle a déjà publiés: – La fille qui venait d’un pays disparu – Pays perdu, pays choisi. Journal d’une jeune Allemande de l’est (chez Skol Vreizh) Saskia est née en 1974 en RDA et a fait des études d’histoire à Leipzig, Berlin et Paris. Après un doctorat sur la médiation culturelle transfrontalière, elle a enseigné à la Sorbonne. Depuis 2012, elle est installée en Bretagne, dans la Baie de Morlaix. L’été, y travaille comme guide touristique et guide de randonnée, l’hiver, elle enseigne sa langue maternelle à l’UCO de Guingamp. En ce moment, elle prépare la création d’une pièce de théâtre sur la chute du Mur vue de l’Est.

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20 décembre 2019 5 20 /12 /décembre /2019 08:09

 

Les réformes des retraites instaurées voilà plus de 15 ans ont grevé le système par répartition, faisant fondre le montant des pensions. Au point que l’indigence des retraités est devenue outre-Rhin l’un des sujets les plus sensibles du débat public.

« J e me fais un sang d’encre. Je ne dors plus la nuit. » La Berlinoise Inge Vogel, qui travaille encore pour quelques mois dans une société spécialisée dans le matériel paramédical, s’apprête à prendre sa retraite. « J’ai plein de projets et je sais que je ne manquerai pas d’activités diverses dans le domaine politique ou culturel », précise-t-elle pour bien indiquer que ce n’est pas du blues classique du nouveau retraité dont elle souffre. Non l’angoisse d’Inge Vogel tient au brutal décrochage annoncé de son niveau de vie dès lors qu’elle sera pensionnée. À l’aube de sa cessation d’activité, Inge (66 ans) touche un salaire correct, environ 2 500 euros net par mois. Ce revenu va être réduit de plus de la moitié, compte tenu de l’évolution outre-Rhin du taux de remplacement (la différence entre le dernier salaire net et le montant de la première pension). Ce qui va ramener ses revenus à environ 1 200 euros, soit tout juste au-dessus du niveau du salaire minimum. « Et je ne suis pas la plus à plaindre », lâche la bientôt ex-salariée. Quelqu’un payé aujourd’hui 1 500 euros net – « ce n’est malheureusement pas une rémunération exceptionnellement basse ici », précise Inge – ne va plus percevoir qu’un peu plus de 700 euros par mois pour ses vieux jours. « Une misère. » Et l’ex-assistante médicale ne mentionne même pas le cas de ses compatriotes innombrables qui ne toucheront pas le taux plein car ils n’auront pas accompli les exigibles 45 à 47 annuités.

Des mesures ressemblant à celles déployées par Emmanuel Macron

L’extension de la pauvreté chez les seniors et la perspective généralisée de retraites peau de chagrin provoquent un tel traumatisme dans la société allemande que ces thèmes figurent parmi les sujets les plus sensibles, régulièrement en première ligne du débat public. Les réformes lancées en 2002 et 2005 par l’ex-chancelier Gerhard Schröder furent présentées comme « le seul moyen de sauvegarder » le système et singulièrement la retraite de base par répartition dont l’écrasante majorité des Allemands demeure tributaire aujourd’hui. Encouragement fiscal aux plus riches à souscrire des assurances privées, amélioration de la compétitivité d’entreprises qui crouleraient sous les « charges sociales », instauration d’un indice dit de « durabilité » (Nachhaltigkeit) permettant de faire évoluer la valeur du point sur lequel est calculé le montant des retraites versées par les caisses légales (Gesetzliche Kassen) par répartition, allongement de la durée du travail et report à 67 ans de l’âge de départ à taux plein : la panoplie des mesures adoptées par le gouvernement SPD-Verts de l’époque ressemble à s’y méprendre à celle déployée aujourd’hui par Emmanuel Macron pour justifier sa réforme. Jusqu’aux éléments de langage sur « la nécessité absolue de moderniser le système ».

Pour se faire une idée des effets pratiques à moyen terme de la réforme des retraites d’Emmanuel Macron, il suffit ainsi de jeter un œil de l’autre côté de la frontière. Le bilan social des transformations allemandes, plus de quinze ans après leur entrée en vigueur, est dévastateur. La part des retraités allemands, précipités sous le seuil de pauvreté, a explosé. 16,8 % des seniors sont touchés aujourd’hui. Un retraité allemand sur deux – soit quelque 8,6 millions de personnes – doit survivre avec une pension inférieure à 800 euros par mois. Une enquête prospective publiée en septembre dernier par l’institut de recherche économique de Berlin (DIW) montre que plus d’un retraité sur 5 (21,6 %) sera misérable à l’horizon 2039. Et cette estimation est sans doute très optimiste puisque les auteurs de l’étude ont choisi de se baser sur la poursuite bon an mal an de la conjoncture économique favorable de ces dernières années (avec taux de chômage réduit).

L’introduction de la retraite Riester par capitalisation, présentée comme le troisième pilier du « modèle » germanique, a profondément ébranlé le système de base par répartition. Les placements réalisés par les citoyens généralement les plus aisés, attirés par d’alléchantes incitations fiscales, ont mécaniquement asséché les ressources des caisses légales qui organisent le financement solidaire des retraites par les cotisations des salariés actifs. Le manque à gagner sera d’autant plus conséquent qu’une partie des fonds est déjà drainée vers les retraites « maison » des entreprises, particularité ancienne du « modèle » et deuxième pilier du système reposant sur la capitalisation. Sachant qu’à ce titre seule une minorité de salariés appartenant le plus souvent aux plus grands groupes bénéficie aujourd’hui d’une rente complémentaire digne de ce nom.

La peur que le passage au troisième âge rime avec un rapide déclassement social, hante toute une société. Si bien que la question s’impose outre-Rhin depuis plusieurs années tout en haut du débat public. La grande coalition a dû bricoler des pare-feu en catastrophe pour éviter un emballement de la mécanique enclenchée par les réformes. On a suspendu d’ici à 2025 l’effet de l’indexation de la valeur du point de la retraite par répartition sur le montant des pensions en bloquant jusqu’à cette date à 48 % un taux de remplacement. Celui-ci avait dégringolé de plus de 10 % sur les dix dernières années.

Les travailleur pauvres grossissent le flot des retraités miséreux

CDU et SPD se sont mis aussi laborieusement d’accord sur l’introduction d’une retraite plancher (Grundrente), une revalorisation des pensions soutenue par l’État pour qu’elles atteignent le niveau des… minima sociaux (de 600 à 900 euros par mois). La mesure est censée éviter à nombre de retraités pauvres de prendre le chemin humiliant du bureau d’aide sociale pour toucher un complément de revenu pour accéder au minimum vital. Beaucoup préfèrent en effet effectuer n’importe quel petit boulot plutôt que d’avoir à mendier une aide. Là encore les chiffres des études les plus récentes sont aussi éloquents qu’effarants : plus d’un million de seniors, souvent âgés de plus de 70 ans, sont contraints aujourd’hui d’exercer des « mini-jobs » pour survivre. Soit une hausse d’environ 40 % sur dix ans. On les voit de plus en plus fréquemment dans les rues allemandes, ombres furtives qui distribuent des prospectus publicitaires, portent des journaux à domicile ou ramassent à la sauvette des canettes de verre ou de plastiques à la terrasse des cafés dans l’espoir de récupérer des consignes pratiquées sur ces produits outre-Rhin un maximum de centimes.

Cette pauvreté qui se répand si massivement chez les seniors allemands n’est pas sans lien avec l’extrême précarité imposée à de nombreux salariés par les lois Hartz de dérégulation du marché du travail. Lancées au même moment que les réformes des retraites, elles ont été présentées de la même façon qu’elles comme une étape majeure pour propulser « la compétitivité » (financière) des firmes allemandes. Les travailleurs pauvres, ou ceux dont la carrière a été entrecoupée de longues périodes de travaux sous-rémunérés et le plus souvent exonérés de cotisations sociales, contribuent évidemment à faire grossir le flot des retraités miséreux. Là encore, le parallèle avec la logique macronienne est frappant. L’aménagement au forceps du Code du travail décidé au début du quinquennat accroît la précarité, ce qui va accentuer l’appauvrissement programmé de la majorité des salariés par la réforme française des retraites.

Les effets contre-productifs des réformes antisociales engagées outre-Rhin au début de la décennie 2000 deviennent de plus en plus manifestes. L’apparition d’une société cloisonnée, devenue très inégalitaire, où « l’ascenseur social ne fonctionne plus », est dénoncée de plus en plus régulièrement dans les travaux de plusieurs économistes. Un handicap profond qui n’est pas sans lien avec l’entrée en stagnation, depuis quelques mois, de la première économie de la zone euro.

Bruno Odent

 

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18 décembre 2019 3 18 /12 /décembre /2019 12:12
Le même, le boucher de Hama, qui avait collé un procès en diffamation à Ian Brossat.
Habillé pour l'hiver le frère d'Hafez et l'oncle de Bachar!!! Dans une démocratie, la justice peut rattraper les chefs de guerre corrompus...
C'est heureux.
Justice De la prison requise contre Rifaat Al Assad pour "biens mal acquis"
Mercredi, 18 Décembre, 2019

Quatre ans d’emprisonnement et 10 millions d’euros d’amende. C’est la peine requise, le 16 décembre à Paris, par le Parquet national financier (PNF) contre Rifaat Al Assad, oncle du dictateur syrien Bachar Al Assad.

Quatre ans d’emprisonnement et 10 millions d’euros d’amende. C’est la peine requise, le 16 décembre à Paris, par le Parquet national financier (PNF) contre Rifaat Al Assad, oncle du dictateur syrien Bachar Al Assad. À la tête d’un empire immobilier en Europe, l’homme est un ancien ponte du régime syrien, persona non grata à Damas depuis 1984 et un coup d’État manqué contre son propre frère (le père de l’actuel dictateur). En France, le PNF l’accuse d’avoir frauduleusement bâti une fortune immobilière, à hauteur de 90 millions d’euros. Un joli trésor qui compte deux hôtels particuliers, une quarantaine d’appartements des beaux quartiers parisiens, un château et plusieurs haras dans le Val-d’Oise. Le PNF a réclamé la confiscation de l’intégralité de ces biens. Le magot proviendrait, selon les magistrats, de fonds syriens détournés et détenus par des sociétés luxembourgeoises gérées par les proches du prévenu. Cy. C.

Justice De la prison requise contre Rifaat Al Assad pour biens mal acquis  - Articles L'Humanité et Médiapart
Rifaat al-Assad, l’ex-protégé de Paris, comparaît, mais pas pour ses crimes de guerre
14 décembre 2019 Par Jean-pierre Perrin - MEDIAPART

Longtemps chouchouté par les services français et François Mitterrand, l’oncle de Bachar al-Assad comparaît devant le tribunal correctionnel de Paris pour des faits de blanchiment aggravé. Dans l’ombre du procès, les grands massacres qui lui sont imputés en Syrie et ses relations avec la classe politique qui lui ont permis de devenir l’un des plus grands propriétaires fonciers de Paris.

est un jeu de Monopoly à l’échelle de l’Europe, avec un terrain de jeu qui s’étend de Paris à Londres, via Marbella, Gibraltar et Luxembourg. Sauf que les titres de propriété sont bien réels et que le joueur figure parmi les pires criminels de guerre de la planète. Mais la partie semble bel et bien finie : depuis ce lundi 9 décembre, Rifaat al-Assad, frère de Hafez al-Assad, oncle de Bachar et ancien vice-président de la Syrie, comparaît devant le tribunal correctionnel de Paris pour blanchiment en bande organisée, dans le cadre du dossier des « biens mal acquis », mais aussi pour travail dissimulé. Un dossier qui demeure néanmoins symbolique puisque les crimes de guerre qui lui sont imputés ne figurent pas à l’ordre du jour.

Le procès de Rifaat al-Assad, qui s’est déclaré « résident britannique », doit durer deux semaines. Il se déroulera en l’absence du prévenu, âgé de 82 ans, qui a invoqué des « raisons de santé ».

La plainte initiale, avec constitution de partie civile, a été déposée le 31 janvier 2014 par deux associations anticorruption, Sherpa et Transparency International France. Elles ont amené le parquet de Paris à ouvrir une enquête préliminaire sur les conditions d’acquisition de ce patrimoine, puis, après une instruction conduite par le juge Renaud Van Ruymbeke, à une inculpation pour corruption passive, sollicitation ou acceptation d’avantages par un agent public d’un État étranger ou d’une organisation internationale publique et blanchiment du produit d’un crime ou d’un délit, fait commis en bande organisée.

En principe, tout l’empire immobilier de Rifaat al-Assad sur le territoire français a été saisi par la justice depuis un arrêt du 27 mars 2017 de la cour d’appel – les justices espagnole et britannique ont fait de même. Mais à Bessancourt, dans le Val-d’Oise, les écuries du haras Saint-Jacques, que le Syrien possède depuis 1984 et qui fut longtemps son quartier général, sont encore habitées par ses proches. « Vous pouvez y aller. On ne vous tirera pas dessus. Ce n’est plus comme avant ! Faites attention quand même aux pitbulls », avait conseillé le propriétaire d’un centre équestre voisin lors d’une précédente visite. 

Le domaine lui-même s’étend sur 45 hectares. Il comprend un grand château, caché derrière de hautes futaies, des dépendances, des pâturages, un héliport et une immense piscine couverte en marbre, construite en dépit de l’opposition de la municipalité, qui n’en voulait pas en raison du sol schisteux. Depuis cette propriété, on a une vue plongeante sur la base de Taverny, qui fut longtemps le centre de commandement des forces aériennes stratégiques françaises, ce qui indique que le puissant seigneur des lieux avait toute la confiance de l’état-major.

Aujourd’hui la piscine est vide, il n’y a plus de chevaux et les anciennes écuries, en piteux état, ont été transformées en maisonnettes pour le personnel syrien, soit une petite vingtaine de familles, que Rifaat nourrit, loge et paye en liquide dans la plus totale opacité, sans qu’aucune administration ni aucune banque ne s’en soit jamais étonnée.

Dans un coin du parc rouillent trois Cadillac. Mais le château demeure en parfait état, avec un ameublement somptueux – dans un mauvais goût très affirmé –, et la grille en fer forgé s’ouvre encore de temps à autre pour laisser passer une voiture. Mais ce ne sont plus les Ferrari et Porsche d’antan, quand le domaine était flamboyant et que les gardes armés terrorisaient les promeneurs sur le chemin communal longeant le château et lâchaient leurs chiens sur eux à l’occasion.

Fin novembre 1984, bien que banni de Syrie, Rifaat va profiter de la visite de François Mitterrand dans ce pays pour regagner brièvement Damas, sachant que ses relations avec les services français lui valent protection. Dans son pays, il compte toujours des partisans, notamment à Lattaquié et dans la montagne alaouite, où on lui sait gré d’avoir maté les islamistes. Fort de cet appui, il exploitera chaque occasion pour essayer de prendre le pouvoir, prétendant succéder à son frère lors du décès de ce dernier en 2000, au détriment de Bachar al-Assad, et en 2013, se présentant comme un recours dans le conflit syrien, il aura des entretiens sans lendemain à Genève avec des officiels russes.

En même temps, pendant toutes ses années d’exil, Rifaat al-Assad se comporte en France comme en terrain conquis. « Quoi qu’il fasse en voiture, il ne payait aucune amende. Les services se chargeaient de régler les problèmes. D’ailleurs, chez lui, il y avait toujours table ouverte pour eux, confie un journaliste libanais à Paris qui avait un bon copain dans son entourage. Un matin, alors qu’il rentrait d’une folle soirée, vers huit heures et demie du matin, dans son hôtel particulier, il est tombé sur un homme de ménage. Se croyant menacé, il a sorti son flingue et a failli le descendre. »

Au milieu des années 1990, l’un de ses fils, âgé de 16 ans, sort éméché du VIP Room, une boîte des Champs-Élysées et, au volant d’une des Ferrari de son père, percute un jeune en scooter. La victime demeurera handicapée. L’affaire sera soigneusement étouffée. Aucune plainte déposée. Une explication possible à tant de complaisance est que, grâce à ses relations étroites avec les dirigeants saoudiens, il a pu servi d’agent d’influence dans les ventes d’armes au royaume.

Et puis Rifaat ratisse large. Il n’a rien d’un idéologue et ne rêve pas, comme son frère Assad, de restaurer la grandeur arabe. Il a des amitiés avec la dynastie marocaine. Et il n’a pas exclu, s’il prenait le pouvoir, que la Syrie noue des relations diplomatiques avec Israël. Pendant un temps, son chef de la sécurité a été un juif hongrois et, pour la petite histoire, le mari d’une animatrice vedette de la télévision française.

À Bessancourt, il s’est longtemps comporté comme un seigneur, l’ancien maire, un socialiste, lui cédant sur tout, tant il était fasciné par « le bourreau de Hama ». Il faut dire que celui-ci « arrosait » beaucoup la commune. Tout va changer en 2001 avec l’élection d’un nouveau magistrat, Jean-Christophe Poulet, un écologiste qui a aussitôt mis fin en 2001 à des pratiques qui avaient notamment permis la construction du gymnase, « financé par une valise d’argent liquide en 1996 et validé par la préfecture », le financement du centre social – pour compenser le fait que les petits Syriens du domaine sont accueillis dans les écoles de la commune – et d’aider diverses associations locales.

Puis il a engagé la lutte avec l’hôte du haras Saint-Jacques, transformant la sente communale qui sépare les logements délabrés du personnel en voie départementale pour mieux interdire aux gardes d’y circuler armés et de tirer le sanglier à l’arme automatique. Des batailles certes picrocholines, que le maire a largement remportées, bien que le Syrien les ait livrées avec l’appui des « services » français. « À trois reprises, j’ai eu en mairie la visite d’un officier, pas commode, qui me demandait : “Comment se fait-il que cela se passe mal avec les Syriens ? Il y a un intérêt d’État, il faut donc que cela se passe bien” », a-t-il raconté, lors d’une précédente visite à Bessancourt (il n’a pas souhaité nous reparler), précisant que l’officier ne voulait pas que son nom apparaisse sur l’agenda municipal.

Reste le problème du personnel, la vingtaine de familles qui semblent livrées à elles-mêmes dans le haras, où elles habitent sans droit ni titre, travaillent sans fiches de paie, avec des rémunérations sans doute aléatoires, et vivent dans des conditions déplorables, « avec des problèmes de sécurité sanitaire pour les enfants asthmatiques ». Cette situation, qui ne date pas d’hier, n’empêchait pas, il y a encore deux ans, le propriétaire des lieux de demander une extension du château.

Mais le haras Saint-Jacques n’est qu’une infirme portion de l’empire immobilier de l’ancien vice-président syrien. À Paris, il possède un hôtel particulier de sept étages, au 38 avenue Foch, un autre au 13 avenue de Lamballe, un appartement dans cette même artère, une dizaine d’appartements, certains panoramiques, au 100 avenue Kennedy à Paris, une dizaine d’autres au 79 quai André-Citroën et un terrain de 788 m2 non bâti, rue Jasmin. Il faut y ajouter des maisons et appartements à Taverny et près de 7 500 m2 de bureaux à la cité internationale de Lyon.

La plupart de ces biens sont détenus au nom de sociétés anonymes étrangères domiciliées à Luxembourg, plus une société française (SCI du 25 rue Jasmin) pour « gérer » la friche du XVIe arrondissement, dont la valeur est estimée à près de 3,6 millions euros, ou au nom de certaines de ses femmes et de plusieurs de ses 16 enfants. Ce qui permet à Rifaat al-Assad, souligne une source proche du dossier, « de n’apparaître dans aucun fichier administratif, de ne jamais remplir de déclarations fiscales (il est cependant assujetti à l’ISF), de n’avoir pas de compte bancaire à son nom ». Même son domicile véritable reste hypothétique : est-ce à Paris, à Marbella ou à Londres – où il bénéficie d’un splendide appartement au 50 South Street Mayfair ? Quant à sa nationalité, elle est double : il est syrien et citoyen de la République de… Grenade.

Si l’on regarde les comptes certifiés de ses sociétés basées au Luxembourg, on est abasourdi. Pour la Manitouling Holding SA, l’exercice 2010 – il n’y en a pas de plus récent – s’est traduit par un bénéfice net de plus de 165 millions d’euros !

Mais le patrimoine immobilier en France de Rifaat al-Assad n’est rien à côté de celui qu’il a acquis en Espagne à partir de 1988. Car la justice française a convaincu les juges espagnols d’enquêter aussi sur le Syrien et ses proches, dont l’origine des biens dans ce pays remonte là encore aux 300 millions de dollars fournis par Hafez al-Assad en 1984. Renaud Van Ruymbeke s’est donc rendu à Madrid pour fournir des informations à ses collègues espagnols, lesquels ont à leur tour lancé une vaste enquête et saisi, en avril 2017, 503 propriétés, dont l’une, la Marquina, s’étale sur plus de 3 300 hectares et est estimée à 60 millions d’euros. Toutes sont situées dans un périmètre relativement limité, entre Marbella et Puerto Banus, un port de luxe où la plupart des millionnaires espagnols ont leur yacht. Ils ont bloqué aussi de nombreux comptes.

De nouvelles enquêtes devraient suivre dans d’autres pays, ce qui place le Syrien en situation d’homme traqué. Reste le volet des innombrables crimes de guerre qu’il a commis dans son pays. Il y a bien depuis 2013 une procédure en ce sens en Suisse, en vertu du principe de compétence universelle, à l’initiative de Trial International, qui a fourni aux juges helvétiques un dossier volumineux. Mais la procédure est aujourd’hui enlisée. Aussi, les avocats de l’ONG et des plaignants dénoncent-ils « de graves manquements dans la procédure tels que l’annulation d’audiences, le refus d’interpeller et d’entendre le prévenu […], voire une volonté d’enterrer l’affaire »

 
C’est Abdallah ben Abdelaziz ben Saoud, l’un des 53 fils d’Ibn Séoud et lui-même futur roi d’Arabie saoudite, qui a cédé il y a bien longtemps le haras Saint-Jacques à Rifaat al-Assad. Des relations se sont nouées entre les deux familles : l’une des quatre femmes de l’ancien dirigeant syrien est la sœur d’une des épouses du souverain wahhabite.

À cette époque, la fortune de Rifaat est déjà phénoménale. Surtout si l’on songe qu’il est issu d’une famille alaouite pauvre et nombreuse de Qardaha, au cœur du pays alaouite. Au début de sa carrière, il n’était d’ailleurs, selon une autre source, que sous-lieutenant ou simple caporal des services de sécurité syriens au poste-frontière (avec la Turquie) de Bab al-Hawa. Car, à la différence de son frère Hafez, il n’a pas fait de véritables études militaires. Pour améliorer l’ordinaire, la solde étant médiocre, il profite de quelques prébendes, pratique fréquente chez les fonctionnaires syriens. Un haut responsable des douanes a raconté comment il empochait des petits billets de cinq livres pour faciliter le passage des véhicules.

Mais le coup de force perpétré le 22 février 1970 par Hafez al-Assad propulse le sous-lieutenant – ou le caporal – dans les plus hautes sphères. Le voilà promu colonel. À partir de 1971, il dirige les Saraya Al-Difaa an al-Thawara, les Brigades de défense de la révolution (l’Unité 569, de son vrai nom). Elles devaient être la garde prétorienne du régime. Elles deviennent vite une armée privée qui obéit au seul Rifaat. Elles sont surnommées les « panthères roses », à cause des treillis couleur pourpre que portent les miliciens. Selon Michel Kilo, un opposant « historique » au régime syrien, aujourd’hui réfugié à Paris, l’Arabie saoudite les finance et elles comptent 50 000 hommes, avec des blindés et de l’artillerie. Hafez al-Assad laisse faire. Il voit alors en son petit frère l’exécuteur de ses basses œuvres. Et il le sait prêt à tout.

En juin 1980, il préside les représailles contre les islamistes après que son frère a failli être tué par un membre de la garde présidentielle, probablement un islamiste. Le 26 juin 1980, une tuerie à la prison de Tadmor (Palmyre) fait entre 600 et 1 000 morts, selon les chiffres de l’ONG Human Rights Watch. Tous des Frères musulmans ou apparentés. Il y aura dix survivants, des détenus communistes qui ont été épargnés, dont huit sont aujourd’hui encore en vie – c’est grâce à leurs témoignages que l’on saura l’ampleur du carnage. Cette tuerie de masse va faire connaître le colonel Rifaat al-Assad à travers toute la Syrie. C’est par elle, il y a déjà plus de 30 ans, que la guerre civile, celle qui continue de disloquer la Syrie, a commencé.

Le 4 septembre 1981, en pleine guerre du Liban, survient l’assassinat de l’ambassadeur de France à Beyrouth Louis Delamare, à quelques centaines de mètres d’un barrage syrien. Dès le lendemain, l’ambassade sait que les tueurs venaient de Damas et un informateur a même donné leurs noms au premier secrétaire. « Impossible, eu égard à sa position au sein du régime, qu’il n’ait pas eu connaissance de l’assassinat », souligne un diplomate français ayant servi en Syrie. Cela n’empêche pas Rifaat al-Assad de se promener en France où, toujours sur la foi d’une dépêche diplomatique, en date du 17 août 1981, qui annonce l’octroi d’un nouveau visa diplomatique, il devait se trouver peu avant ou au moment même de l’attentat.

En février 1982, ce sont encore les Brigades de défense, avec d’autres forces d’élite, qui répriment un soulèvement islamiste dans la grande ville de Hama. Les affrontements qui s’ensuivront et la répression dureront plus d’un mois. Ce ne sont pas les islamistes qui en pâtiront – beaucoup ont pu s’enfuir – mais la population – environ 400 000 habitants –, tenue pour responsable de l’insurrection. Même s’il le nie aujourd’hui, Rifaat al-Assad dirige la répression. Le bilan sera terrifiant : entre 20 000 et 25 000 morts. Cette mise à mort d’une ville va littéralement imprimer la conscience de la Syrie jusqu’à aujourd’hui.  

300 millions de dollars pour développer son empire immobilier

Est-ce le bruit des grenades lancées à Tadmor ? Son audition est altérée et une note confidentielle du Quai d’Orsay en date du 25 juillet 1980, soit un mois après le massacre de Tadmor, nous apprend qu’il va se rendre à Bordeaux pour consulter un spécialiste de l’ouïe. « Il s’est fait accompagner par une trentaine de gardes armés », écrit le diplomate dans sa dépêche, à ce point stupéfait qu’il a souligné la phrase. Le document ajoute qu’un accord a été trouvé avec la douane française pour que son escorte puisse « entrer avec ses “matériels”, désignés sous l’étiquette “équipements sportifs” », mais que « la présence de ses gardes armés faisait l’objet d’une protestation de l’Union syndicale de la police nationale ».

La même note indique que Rifaat al-Assad possède déjà à Paris « un appartement avenue Foch et une villa en banlieue ». Si l’on ajoute les propriétés acquises à Damas et Lattaquié, l’ancien sous-fifre des services syriens sur la frontière syro-turque a déjà acquis un joli patrimoine immobilier depuis que son frère a pris le pouvoir. Dans d’autres notes confidentielles, on peut lire qu’il ne se déplace jamais en France sans être accompagné d’au moins 25 personnes, des membres de sa famille et leurs gardes du corps, toutes bénéficiant de passeports diplomatiques.

Mais, à partir de 1983, les relations entre les deux frères Assad se détériorent. Ayant rallié à sa cause une partie de l’establishment militaire alaouite, Rifaat cherche à se saisir du pouvoir en profitant de l’hospitalisation de son frère. La lutte fratricide menace de dégénérer en guerre ouverte. Les Saraya al-Difaa encerclent Damas, commencent à prendre des bâtiments publics et à désarmer l’armée régulière. Mais la plupart des hauts gradés alaouites qui sont à la tête des services de sécurité craignent l’arrivée au pouvoir du putschiste et s’y opposent. Hafez al-Assad ayant quitté l’hôpital, l’affrontement n’aura pas lieu. Rifaat capitule. Une explication aura lieu à Moscou, à l’invitation des dirigeants soviétiques. Rifaat est obligé de demeurer plusieurs mois dans la capitale russe, où son protecteur, Gaïdar Aliev, un des chefs du KGB, membre depuis 1982 du Politburo, ne pourra empêcher sa disgrâce à Damas. Il ne sera pas jugé mais ne peut plus y revenir.

Commence un long exil. Hafez al-Assad, pour sauver les apparences et calmer les partisans de son frère, le nomme… vice-président (il le sera du 11 mars 1984 au 8 février 1988) et lui donne une fortune. Selon l’ancien ministre syrien des affaires étrangères Abdel-Halim Khaddam, aujourd’hui en exil en France, le dictateur va puiser dans les caisses de l’État quelque 200 millions de dollars, à quoi s’ajoutent 100 autres millions provenant d’un emprunt à la Libye. Les 200 premiers millions proviennent des frais alloués par le budget national à la présidence de la République. Ce que confirmeront plus tard les enquêteurs français qui, en vérifiant les statistiques syriennes, ont constaté que les frais présidentiels, habituellement de l’ordre de 50 millions de dollars annuels, ont plus que quadruplé pour atteindre 214 millions en 1984, l’année où Rifaat a quitté le pays.

C’est avec ces 300 millions de dollars qu’il va développer son empire immobilier, d’abord en France, où il obtient de s’établir avec plusieurs dizaines de ses partisans après un séjour à Genève, Marbella, Londres… Il possède déjà de nombreux comptes dans divers paradis fiscaux car, en sa qualité de chef des Brigades de défense, il a racketté tant et plus, touché d’innombrables prébendes, organisé la contrebande en provenance du Liban, en particulier de voitures et de matériaux de construction, et le trafic des antiquités. En Syrie, il a mis la main sur le secteur des travaux publics. Khaddam estime qu’il a empoché ainsi 300 autres millions de dollars.

C’est en France qu’il installe sa famille de quatre femmes et seize enfants. Il établit son quartier général au 38 avenue Foch, à Paris, un immeuble de 4 000 m2, qui aura plus tard une discothèque sur le toit et une piscine en sous-sol, et depuis lequel il se livre à des activités politiques très anecdotiques visant, en théorie, à renverser son frère.

Bientôt, le président François Mitterrand va décerner à celui que l’on surnomme en Syrie « le boucher de Tadmor » ou « le bourreau de Hama » le titre de grand officier de la Légion d’honneur pour « services rendus à la Nation ». Nous sommes le 28 février 1986, soit moins de deux années après son départ en exil. Il bénéficie aussi de la protection permanente de la DST, avec, à ses côtés, une femme officier. Un diplomate, qui fut en poste en Syrie, raconte avoir croisé cette femme officier traitant à l’aéroport de Damas, peu avant Noël, où elle lui confiera être venue « remettre aux petits enfants de Rifaat des nounours et autres jouets de sa part ». Un simple factotum ? Sans doute pas puisqu’elle occupera ensuite des postes sensibles : la sécurité de l’ambassadeur d’Israël, celle de Jean-Pierre Raffarin quand il sera premier ministre… Rifaat n’est pas seulement protégé, il est chouchouté par Paris.

Un juge du Luxembourg, interrogé sur les agissements pour le moins troubles du Syrien dans le Grand-Duché, aura cette réponse d’une confondante franchise : « Comment nous serions-nous méfiés ? Il était en permanence accompagné d’un officier des services français. »

C’est François de Grossouvre, l’éminence grise de François Mitterrand, qui est venu voir Rifaat al-Assad dans sa résidence genevoise pour l’inviter à s’installer en France. Le même lui permettra d’y prospérer et d’y bâtir tout un réseau de connivences. Il a même décoré en personne Rifaat de la Légion d’honneur lors d’une cérémonie au château de Rambouillet. Il l’invitera aussi régulièrement aux chasses présidentielles. Il semble convaincu que Rifaat a un destin présidentiel et qu’il faut le garder bien au chaud en attendant qu’il remplace son frère. Erreur catastrophique qui correspond au goût de Mitterrand et de son « duc de Guise » pour les officines douteuses, les « cabinets noirs ».

Tous les services français ont eu Rifaat à la bonne. Au début des années 1980, la DGSE est dirigée par un polytechnicien, Pierre Marion, peu familier du monde du renseignement. Le terroriste d’alors s’appelle Abou Nidal, un Palestinien qui travaille pour le plus offrant. À cette époque, c’est Damas son employeur. Marion est convaincu que Rifaat peut sinon l’éliminer, du moins le « désactiver » du théâtre français, où son groupe, le Fatah-Conseil révolutionnaire, a perpétré l’attentat contre la synagogue de la rue Copernic (4 morts, 30 blessés), le 3 octobre 1980, puis celui de la rue des Rosiers (6 morts, 22 blessés), le 9 août 1982. Par l’entremise de Grossouvre, le chef de la DGSE va rencontrer peu après le Syrien.

L’entretien se déroule au haras Saint-Jacques. Plus tard, le patron de la DGSE racontera sa rencontre avec « le bourreau de Tadmor » dans une interview au Nouvel Observateur : « Rifaat el-Assad venait à cette époque souvent en France pour se faire soigner, à Bordeaux. Il m’a demandé de venir sans gardes du corps et sans armes. Je suis donc arrivé -bas seul avec mon chauffeur. Après avoir traversé une haie de gardes du corps armés de mitraillettes, je me suis retrouvé face à face avec celui qu’on croyait être un chef d’orchestre du terrorisme proche-oriental. Après cinq heures de conversation, nous avons sympathisé. Il voulait même m’offrir des chevaux arabes. Après une seconde rencontre, une semaine plus tard, il m’a donné sa parole qu’Abou Nidal n’agirait plus sur le territoire français. Il a tenu parole. »

Sauf qu’Abou Nidal va bientôt changer d’employeur, délaisser Damas pour Tripoli, puis Bagdad, servir Mouammar Kadhafi et Saddam Hussein. Et s’il épargne en France le dirigeant palestinien Issam Sartaoui, qui milite pour la paix avec Israël et qu’il a condamné à mort, c’est pour mieux le faire tuer moins de deux ans plus tard au Portugal.

« Les services se chargeaient de régler les problèmes »

Visiblement, Rifaat al-Assad n’a pas respecté ses engagements. À l’été 1983, c’est au tour de deux autres chefs de la DGSE, l’amiral Lacoste – qui a remplacé Pierre Marion – et Alain Chouet, le chef du bureau des opérations antiterroristes dans le monde arabe, de retourner voir Rifaat al-Assad avec une mission analogue, cette fois à Genève, dans sa résidence de vacances. « Nous lui avons fait savoir que, malgré des déclarations fantaisistes, nous savions qu’il était le donneur d’ordre des attentats frappant la France sur son sol et au Liban », écrit Chouet dans son livre Au cœur des services spéciaux (éditions La Découverte).

Il y raconte la rencontre avec celui qu’il appelle « le grand Mamamouchi des services spéciaux syriens » : « Nous nous sommes compris. On a installé une sorte de téléphone rouge entre les services qui a parfaitement fonctionné. […] En tout cas, les attentats syriens contre nos intérêts se sont immédiatement arrêtés en France, ainsi qu’au Liban et le dialogue a été rétabli. » À lire entre les lignes Marion et Chouet, on découvre que le titre de grand officier de la Légion d’honneur a été décerné à un patron du terrorisme. Mais il a rendu tellement de services ! Dans leurs perquisitions, les enquêteurs ont d’ailleurs trouvé des lettres de la DGSE, de Charles Pasqua, de Jacques Chirac…

Justice De la prison requise contre Rifaat Al Assad pour biens mal acquis  - Articles L'Humanité et Médiapart
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15 décembre 2019 7 15 /12 /décembre /2019 07:29
Commerce de la mort, une industrie florissante - La France au 4ème rang - L'Humanité, Gaël de Santis, 10 décembre 2019
Défense. Le commerce de mort, une industrie florissante
Mardi, 10 Décembre, 2019 - L'Humanité

Les 100 plus grosses entreprises d’armement ont vu leur chiffre d’affaires progresser de 4,6 % en 2018. La France s’accapare 5,5 % des parts de marché.

 

Cocorico ! C’est dans un bien triste classement que la France se hisse au quatrième rang des nations : celui des ventes d’armes. Le Sipri (Stockholm International Peace Research Institute) vient de rendre son rapport annuel sur les 100 premières entreprises productrices d’armement en 2018 (1). Il apparaît que la France détient 5,5 % des parts de marché (23,2 milliards de dollars, soit 21 milliards d’euros), un chiffre en hausse de 2,4 % par rapport à l’année précédente.

Sur les 100 principaux négociants d’armes dans le monde, on compte six firmes françaises : Thalès (pour 9,5 milliards de dollars) ; Safran (3,2 milliards) ; Naval Group (2,2 milliards) ; Dassault Aviation (2,9 milliards) ; CEA (2,3 milliards) et Nexter (1,1 milliard).

Sur ce terrain, la France se situe derrière le Royaume-Uni (8,4 %) et la Russie (8,6 %). Les États-Unis, eux, se placent en première position : ses entreprises voient leur chiffre d’affaires grimper de 7,2 % en 2018 grâce à la politique de l’administration Trump. Ils s’arrogent, eux, 59 % de ces parts de marché, soit 246 milliards d’euros. En 2015, l’ONU estimait que 267 milliards de dollars annuels suffiraient à éradiquer la faim dans le monde d’ici 2030.

Le rapport montre que le marché de l’armement est en pleine expansion : il a augmenté de 4,6 % en 2018, avec un chiffre d’affaires de 420 milliards de dollars pour les seules 100 plus grosses entreprises du secteur. Cela représente plus ou moins le PIB de l’Autriche en 2017, le 27e pays le plus riche au monde.

Les entreprises d’aviation tirent leur épingle du jeu. Lockheed Martin, qui produit les F-35 américains, voit son activité armement progresser de 5,2 % ; Boeing de 5,7 %. Bien qu’avionneur civil, 29 % des ressources de cette entreprise américaine proviennent de son activité militaire. Le groupe transeuropéen Airbus a un chiffre d’affaires en matière d’armes qui grimpe de 9 % et le français Dassault, fabriquant de Rafale, augmente ses ventes d’armes de 30 %.

Les entreprises russes profitent d’une hausse des dépenses militaires domestiques. Elles bénéficient également du succès des systèmes de défense antiaériens S-400, déployés ces dernières années en Syrie ou en Turquie.

On relève par ailleurs dans ce rapport que l’augmentation des dépenses militaires d’Ankara bénéficie à son complexe militaro-industriel. Deux entreprises turques qui intègrent le top 100 mondial ont vu leur chiffre d’affaires bondir de 22 % sur l’année dernière.

(1) L’étude exclut les entreprises chinoises.
Gaël De Santis
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15 décembre 2019 7 15 /12 /décembre /2019 07:21
Royaume-Uni: Boris Johnson l'emporte dans un royaume plus désuni que jamais (Thomas Lemahieu, L'Humanité, 13 décembre 2019)
Royaume-Uni. Boris Johnson l’emporte dans un royaume plus désuni que jamais
Vendredi, 13 Décembre, 2019

L’hypnose du Brexit a fonctionné à plein lors des législatives britanniques. En promettant exclusivement la sortie de l’Union européenne, les conservateurs sont parvenus à faire oublier les effets dévastateurs de leur austérité. En Angleterre, de nombreux bastions travaillistes, sur les terres où le « Leave » l’avait emporté en juin 2016, sont tombés jeudi soir, alors qu’en Écosse, les indépendantistes réussissent presque un carton plein.

 

Avec son mot d’ordre simpliste (« Get Brexit Done », « Réalisons le Brexit ») et son programme de gouvernement vide, Boris Johnson a réussi le hold-up parfait lors des élections législatives britanniques, jeudi. Les conservateurs, donnés à 45 % au niveau national - un niveau qui lui permettrait de dépasser les records de Margaret Thatcher lors de ses trois victoires entre 1979 et 1990 -, disposeront au parlement d’une majorité absolue confortable, avec 364 députés (+47, par rapport à 2017). Avec 33 % des suffrages exprimés, les travaillistes n’auront plus que 203 représentants à la chambre des Communes (- 59). Malgré neuf ans de ravages des politiques d’austérité conduites par les tories, Jeremy Corbyn, focalisé sur les urgences sociales et les services publics, n’a pas convaincu sur le Brexit, en promettant de négocier un nouvel accord avec Bruxelles pour « protéger les emplois, les droits sociaux et l’économie » avant de le soumettre, avec une option, à un nouveau référendum. « On l’a fait, on a brisé la paralysie et on a désormais la plus grosse majorité conservatrice depuis les années 1980, se félicite Boris Johnson. Le Brexit est désormais une décision irréfutable, irrévocable, non négociable du peuple britannique, c’est fini, et « monsieur Stop Brexit » (Steve Bray, un Gallois qui organise une protestation quotidienne devant Westminster, NDLR) va devoir ranger son mégaphone. » Dans sa première réaction, le leader du Labour, cible des boules puantes distribuées à jet continu par les tories et leurs relais dans les médias dominants, tabloïds et BBC confondus, tout au long de la campagne, s’est, lui, engagé à ne plus être à son poste lors des prochaines élections.

Le Labour perd bien au-delà des pires cauchemars

Alors que la gauche n’a pas réussi la percée espérée dans les circonscriptions autour de Londres - le pari de débarquer plusieurs figures emblématiques du parti conservateur, comme Iain Duncan-Smith, à Chingford, ou même Boris Johnson, à Uxbridge, n’a pas pu être tenu -, l’ampleur de la victoire des conservateurs, et de la déroute des travaillistes, est particulièrement visible sur l’une des façades de la « muraille rouge », dans le nord-est de l’Angleterre, où le vote en faveur du Brexit avait souvent dépassé les 60 % lors du référendum du 23 juin 2016. Dans la région autour de Newcastle upon Tyne, le Labour perd bien au-delà des pires cauchemars de ses militants et des rêves les plus fous des tories. Sur 26 circonscriptions (23 aux travaillistes et 3 aux conservateurs en 2017), Boris Johnson n’en avait ciblé qu’une ou deux comme objectifs prioritaires : Darlington et Bishop Auckland. Au matin du 13 décembre, alors que les derniers résultats tombent, le leader du Parti conservateur peut se targuer d’en avoir fait tomber huit ou neuf dans les ex bassins industriels, dont certains, très symboliques: Blyth Valley, Sedgefield - l’ex fief électoral de Tony Blair - et Durham Nord-Ouest, où Laura Pidcock, souvent présentée comme possible remplaçante de Jeremy Corbyn à la tête du Labour, a été battue et où le gala traditionnel des mineurs, la grande tribune des « socialistes » les plus conséquents, organisée chaque année en juillet, se déroulera désormais dans une circonscription tory.

basculement dans les milieux ouvriers

À Bishop Auckland (lire l’Humanité du 12 décembre), la candidate conservatrice, Dehenna Davison, une ex-assistante parlementaire de Jacob Rees-Mogg - un châtelain ultra-conservateur et libéral acharné qui demeure l’une des figures les plus caricaturales des tories et les plus éloignées de la classe ouvrière - a battu à plate couture, avec plus de 8000 voix d’écart, la sortante travailliste Helen Goodman. Un résultat dû largement à un basculement dans les milieux ouvriers, frappés par la fermeture des mines et la désindustrialisation en général, qui ne date pas d’hier, en vérité : le Labour est en déclin constant dans la région depuis près de deux décennies, sous les coups de boutoir des formations d’extrême droite, comme le BNP et l’Ukip, mais aussi des avanies de ses dirigeants blairistes. À Hartlepool, par exemple, un port terrassé depuis la destruction de l’exploitation du charbon et de la construction navale, et où Peter Mandelson, très proche de Tony Blair a un jour confondu avec du guacamole la purée de pois accompagnant l’iconique fish and chips britannique, les travaillistes ne gardent le siège que grâce à la concurrence entre le candidat conservateur et celui du Brexit Party de Nigel Farage.

Une dynamique centrifuge à l’œuvre

Mais ce raz-de-marée conservateur en Angleterre et au Pays de Galles ne doit pas masquer la dynamique centrifuge à l’œuvre en Irlande du Nord et en Écosse. À Belfast Nord, John Finucane, le candidat des républicains irlandais du Sinn Fein - qui, globalement, toutefois, sont en recul en pourcentage -, a pris le siège aux unionistes ultra-conservateurs du DUP : ces derniers passent de 10 députés à 8, et les partisans d’une réunification de l’Irlande (Sinn Fein et SDLP) les supplantent pour la première fois. Plus grave encore pour les tories : en Écosse, les nationalistes anti-austérité du SNP réalisent un carton plein, ou presque, avec 48 sièges sur 59 au total (contre 35 en 2017). Ils prennent la plupart des sièges des travaillistes (le Labour ne garde qu’un seul parlementaire, contre 7 jusque là), quelques-uns aux conservateurs qui passent de 13 élus à 6, et celui de Jo Swinson, la dirigeante des libéraux-démocrates. Ils interprètent ce résultat comme un mandat pour « échapper au Brexit » - largement minoritaire en Écosse en juin 2016 - et relancer un processus qui doit, selon eux, conduire à l’indépendance. « Il y a maintenant un mandat en vue d’offrir au peuple écossais le choix de son propre avenir, avance Nicola Sturgeon, la première ministre écossaise et cheffe du SNP. Boris Johnson a peut-être reçu un mandat pour faire sortir l’Angleterre de l’Union européenne. Il n’a absolument pas le mandat de faire sortir l’Écosse de l’Union européenne. »

La fin du Royaume-Uni ?

De l’autre côté de l’Atlantique, Donald Trump appelle son ami Boris Johnson à « festoyer » après cette « grande victoire » qui va permettre à la Grande-Bretagne et aux États-Unis de conclure le « l’accord de libre-échange massif de l’après-Brexit ». Si le bulldozer de Boris Johnson défonce la « muraille rouge » et tous les bastions du Labour, avant de partir démolir le système de santé public et les hôpitaux (le fameux National Health Service, NHS, sur lequel Corbyn avait concentré sa campagne) qui seront au cœur des négociations commerciales avec Trump, en l’occurrence, il est également en train de saper un royaume qui, avec ses quatre « nations » à fronts renversés, n’a jamais été aussi divisé. Le jour se lève sur un pays qui, en fait, n’existe peut-être déjà plus…

Thomas Lemahieu
Royaume-uni. « Johnson flatte une identité anglaise qui n’existe pas »
Mardi, 10 Décembre, 2019 - L'Humanité

Alors que le Brexit pourrait accélérer un processus de dislocation du Royaume-Uni, l’essayiste Alex Niven propose de défaire la domination capitaliste de Londres, qui a conduit à l’abandon et à la casse industrielle dans le nord et l’ouest de l’Angleterre.

 

Newcastle upon Tyne (Angleterre), envoyé spécial.

« A u mieux, l’Angleterre est un vague anachronisme ; au pire, c’est une fiction récente de l’ordre néolibéral qui agit sur la base de la finance, du capitalisme, de la domination, et sur le déni des espoirs et des rêves bien plus radicaux du peuple. » Dès les premières lignes de son livre, paru le mois dernier (1), Alex Niven attrape « l’identité anglaise » au collet et, accumulant les références issues de la littérature, de l’histoire, mais aussi de la pop culture ou de la vie courante, l’enseignant en lettres à l’université de Newcastle en détricote toutes les mailles, si bien qu’à la fin il n’en reste rien – ou presque, juste une fierté très évanescente quand l’équipe nationale de football remporte un match important… Un geste salutaire par ces temps où, à travers leur campagne pour « réaliser le Brexit » – leur mot d’ordre unique pour les législatives du 12 décembre –, les tories de Boris Johnson s’appuient exclusivement sur les ressorts les plus réactionnaires du nationalisme britannique et, en l’occurrence, strictement anglais.

« Personne ne sait ce que les conservateurs veulent, observe Alex Niven. Le programme de Johnson est on ne peut plus superficiel, et toute sa campagne est basée sur du négatif, sur le dénigrement de Corbyn. Mais, en mettant une frontière en mer d’Irlande dans leur projet d’accord sur le Brexit, ils confirment qu’ils n’ont plus grand-chose à faire de l’Irlande du Nord et acceptent la perspective d’une réunification de l’île avec le basculement démographique en cours en faveur des catholiques. Avec la perspective de l’indépendance de l’Écosse, à un horizon encore indéfini mais inéluctable, la dislocation du Royaume-Uni, prophétisée dès 1977 par le marxiste Tom Nairn, est programmée. Il est évident, pour moi, que, tout en prétendant les contrer, la stratégie du nouveau Parti conservateur, sur la ligne très droitière de Boris Jo hnson, tient compte de ces défections à venir et se rabat sur une identité nationaliste purement anglaise, avec un imaginaire bâti entièrement sur une ethnicisation anti-immigration, l’impérialisme, le capitalisme et le militarisme… »

Tony Blair dans les pas de Thatcher

Membre d’une génération d’intellectuels socialistes radicaux qui, émergeant au début des années 2010, nourrissent désormais les bases idéologiques du corbynisme, Alex Niven récuse « tout sens positif » à la notion d’ « anglitude ». Dans son essai, il décrypte la retraite du New Labour de Tony Blair sur la « petite Angleterre », qui n’a fait que perpétuer le programme de Thatcher, avec l’enrichissement de la capitale britannique et du Sud-Ouest, au détriment des régions du Nord et de l’Ouest, frappées par la désindustrialisation et l’absence d’investissements. « Cela a produit une forme d’a-société, avec des gens toujours plus séparés et plus atomisés, privés d’espoir et condamnés à la précarité sous toutes ses formes », accuse-t-il.

Plutôt convaincu par les arguments des indépendantistes écossais – « Leur nationalisme est tellement meilleur que l’anglais, c’est un petit pays, plus progressiste et ouvert », glisse-t-il –, l’essayiste n’en redoute pas moins une certaine forme d’ « étroitesse d’esprit ». Afin que le délitement prévisible du Royaume-Uni survienne « sur des bases anticapitalistes et non pas nationalistes », il propose de relancer un processus de dévolution des pouvoirs aux régions, et pas seulement le pays de Galles, l’Écosse ou l’Irlande du Nord. « En dehors de Londres, où la culture bourgeoise de l’establishment domine, avance Niven, de très nombreuses villes, comme Liverpool, Cardiff, Newcastle, Glasgow, Belfast et d’autres partagent un trait important en termes d’identité, elles sont toutes marquées par les cultures ouvrières et populaires. On peut tout à fait envisager des alliances entre ces villes et ces régions, plutôt que de rester sous la domination médiévale de Londres. » L’essayiste invite à repenser les îles comme l’archipel qu’elles sont en réalité. Et à en faire éclater les centres de gravité sur tout le territoire… Par une spéculation féconde, Alex Niven imagine que Carlisle, petite ville du Nord-Ouest – « la plus éloignée possible de Londres », provoque-t-il –, pourrait devenir un « carrefour », avec des services publics performants, facilement accessibles depuis toutes les métropoles britanniques.

Alors que, dans le nord-est de l’Angleterre, la rage est grande contre les gouvernements britanniques depuis les décennies de casse industrielle de la fin du siècle dernier et que Johnson, avec son nationalisme étriqué et le relais actif de médias dominants, à son service, paraît en mesure d’en capter une partie, Alex Niven paraphrase Tony Benn, grande figure de la gauche du Parti travailliste : « Le changement politique a besoin de deux flammes, la colère et l’espoir. » À 35 ans, l’intellectuel n’a pas de réponse définitive à la « question à un million ». « Tout a été laminé ici, et c’est une partie de la culture, voire de l’instinct tribal, je dirais même, qui a été saccagée avec les fermetures de mines ou d’usines, les attaques contre les syndicats. Les tabloïds ont pris la place et le fossé à combler est énorme… Cela ne peut passer que par des changements économiques importants qu’évidemment Johnson ne fera jamais, alors que Corbyn y met, précisément, les moyens. Des emplois, des services publics, de la démocratie, autre chose qu’une identité nationale fantasmatique : l’espoir peut venir de là… » 

(1) New Model Island. How to Build a Radical Culture Beyond the Idea of England, éditions Repeater Books, 2019.
Thomas Lemahieu
... Et en Irlande du Nord (le blog Perspective Communiste de Nicolas Maury)
 

Vendredi 13 Décembre 2019

Les grands partis opposés que sont le DUP (Parti unioniste démocrate) et le Sinn Féin ont remporté les élections générales en Irlande du Nord, malgré un soutien populaire en forte baisse - article et traduction Nico Maury

Le Parti unioniste démocrate (DUP) est arrivé en tête des élections avec 30,6% des suffrages (-5,4) et remporte 8 circonscriptions (-2). Le leader du DUP à Westminster, Nigel Dodds, a perdu son siège (Belfast North) au profit du Sinn Féin.

Pour le Sinn Féin les résultats restent décevant, malgré 22,8% des voix, le parti républicain irlandais perd 6,7 points par rapport à 2017. Il perd très largement la circonscription de Foyle au profit du Parti social-démocrate et travailliste (SDLP), mais remporte la circonscription de Belfast Nord sur le DUP avec 47,1% des suffrages (contre 43,1 au leader du DUP à Westminster). Le Sinn Féin conserve ainsi ses 7 sièges.

Le Parti social-démocrate et travailliste (SDLP) fait son retour à Westminster avec deux circonscriptions de gagnées : Foyle (57%) et Belfast Sud (57,2%). Au niveau national, le SDLP remporte 14,9% des voix (+3,1).

Les libéraux de l'Alliance (APNI) avec 16,8% (+8,8) sont les grands gagnants de ces élections. malgré cela ils ne parviennent pas à remporter de siège autre que celui de North Down (45,2%).

Les conservateurs de l'UUP remportent 11,7% des voix (+1,4) mais n'auront aucun siège.

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