Khalida Jarrar, députée palestinienne et dirigeante du Front Populaire de Libération de la Palestine (FPLP) a été kidnappée à son domicile à Ramallah dans la nuit du jeudi 30 octobre par l'armée israélienne. Un important dispositif militaire a envahi les rues de Ramallah pour l'enlèvement de Khalida et d'Ali Jaradat, écrivain et ancien prisonnier politique.
Khalida avait été libérée en février après 20 mois de détention administrative.
Préalablement, elle avait été arrêtée en 2015 et également maintenue en détention administrative.
La détention administrative permet aux autorités israéliennes de détenir des personnes pour une durée indéterminée, sans inculpation ni jugement, sur la base de «preuves secrètes» dont les députés et les détenus n’ont pas connaissance. La détention administrative a été condamné par des groupes de défense des droits de l'homme comme une pratique {«qui laisse les détenus sans défense face à des allégations inconnues sans aucun moyen de les réfuter, sans savoir quand ils seront libérés et sans être accusés, jugés ou condamnés.»}
Plus de 5000 prisonniers politiques palestiniens – dont 190 mineurs - croupissent dans les prisons israéliennes en violation du droit international.
Une fois de plus l’armée israélienne agit en toute impunité en zone A, zone placée par les accords d’Oslo sous autorité palestinienne.
Saeb Erekat, secrétaire général du comité exécutif de l’OLP a demandé à la communauté internationale d’intervenir en faveur de Khalida et de faire pression sur Israël pour obtenir sa libération.
L’Association France Palestine Solidarité exige la libération immédiate de Khalida Jarrar. Elle interpelle les parlementaires et les autorités françaises : il faut en finir avec l’impunité d’Israël qui considère que tout lui est permis, de l’arrestation d’un enfant de 9 ans à celle d’une députée palestinienne ou de journalistes et photographes, ainsi que la torture des prisonniers politiques palestiniens.
Nous attendons du gouvernement français qu'il réagisse fermement à ce nouveau déni du Droit, et des députés français qu'ils manifestent leur solidarité avec leur collègue emprisonnée.
Le Bureau National de l'AFPS
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Les forces israéliennes ont arrêté une éminente personnalité politique palestinienne à son domicile, à Ramallah, en Cisjordanie occupée, dans la nuit de mercredi à jeudi.
Khalida Jarrar, qui fut membre de l’ex-Conseil législatif palestinien, a été arrêtée à 3h du matin ce 31 octobre 2019 et conduite vers un lieu inconnu, rapporte les médias locaux.
Selon sa fille Yara Jarrar, la maison a été encerclée par plus de 70 soldats israéliens arrivés dans 12 véhicules militaires.
« Maman et sa sœur dormaient quand ils se sont approchés » écrit Yara dans un message sur Twitter.
« Ma maman, Khalida Jarrar, vient d’être arrêtée, chez nous, à Ramallah, il y a quelques instants. Les forces de l’occupation israélienne ont fait une descente dans notre maison avec plus de 70 soldats, et environ 12 véhicules de l’armée. Maman et sa sœur dormaient quand ils sont arrivés ».#freekhalidajarrar#IsraeliCrimes#Israel#BDSpic.twitter.com/njPyi6ze3a
— Yafa Jarrar (@YafaJarrar) 31 octobre 2019
Jarrar, 56 ans, qui fut associée au Front populaire pour la libération de la Palestine (FPLP), un parti de gauche considéré comme un groupe « terroriste » par Israël, a déjà été arrêtée en 2015 et 2017.
Sa dernière libération des prisons israéliennes remonte à février, après qu’elle ait passé 20 mois en « détention administrative » – une forme d’internement où une personne est détenue sans procès ni accusation.
Selon Samidoun, réseau palestinien de solidarité avec les prisonniers, cela fait de longues années que Jarrar années la liberté des prisonniers palestiniens et elle-même est une ancienne vice-présidente et directrice exécutive d’Addameer, groupe de défense des prisonniers palestiniens.
« À l’intérieur des prisons de l’occupation israélienne, elle a joué un rôle de premier plan en soutenant l’éducation des jeunes filles mineures qui s’y trouvaient détenues, organisant des cours sur les droits humains et des révisions des examens obligatoires du niveau secondaire lorsque les autorités pénitentiaires leur ont refusé un professeur », écrit Samidoun sur son site web.
Actuellement, sept personnalités politiques palestiniennes sont enfermées dans les prisons israéliennes – donc cinq en détention administrative.
Leïla Shahid, ancienne ambassadrice de la Palestine auprès de l’Union européenne. (Photo David Cormier)
Leïla Shahid, déléguée générale de l’Autorité palestinienne en France, de 1994 à 2005, puis ambassadrice de la Palestine auprès de l’Union européenne, de 2005 à 2015, était à Brest, ce jeudi soir. À 70 ans, elle se passionne pour l’évolution du monde, au-delà de la cause palestinienne.
Où en est la cause palestinienne ? Elle semble ne jamais vraiment avancer…
« Avec les accords d’Oslo en 1993, nous avons eu l’illusion, la candeur pathétique de croire que tous les dirigeants israéliens étaient comme Yitzhak Rabin. Après sa mort, en 1995, tous ont tout fait pour détruire ces accords. Nous aurions dû avoir un État en 1999, il y a vingt ans déjà ! La situation a empiré… On continue à nous mettre à la porte. Le Hamas (mouvement islamiste palestinien, ndlr) a gagné les élections palestiniennes mais cela n’a pas été reconnu. C’était une erreur : cela en a fait des héros »
Vous êtes née et vous vivez au Liban, dont le Premier ministre a démissionné, il y a quelques jours…
« C’est une première victoire pour les manifestants. Si, demain, le Hezbollah tue des gens comme à Bagdad, peut-être que ce sera fini… Mais quelque chose se passe. Avec les réseaux sociaux, on a vu des gens comme sortir de terre. Un million le premier week-end, puis deux le week-end dernier, dans un pays de quatre millions d’habitants ! A Khartoum (Soudan), les gens ont gagné, mais aussi à Hong Kong, face à la grande puissance chinoise ! Il y a le Chili et d’autres… Il y a dix ans, on nous disait que les jeunes ne s’intéressaient plus à la politique et on s’est trompés. Cela fait tache d’huile avec internet. Ces jeunes, je les adore. Ils ne sont pas nationalistes comme leurs parents. Moi-même, je suis aujourd’hui citoyenne du monde ».
Cela vous fait-il penser au printemps arabe ?
« Oui mais c’était uniquement les pays arabes. C’était le premier chapitre du livre. Là, c’est le deuxième, un mouvement tectonique, plus universel ».
Comme en 1989, en Chine, en Europe de l’Est, puis à Berlin où le mur est tombé ?
« Il y a des moments clés où l’Histoire ne nous demande pas la permission. On est suspendu : je ne rate rien, je ne lis plus de roman… Le nombre fait la force, c’est le seul moyen, par exemple, face à la Chine ! Durant la Guerre froide, qui osait se lever ? Il y avait deux super puissances. Les pays non alignés n’avaient pas de moyens militaires importants. La chute du Mur de Berlin et l’arrivée de Bush fils, et surtout Trump, ont chamboulé le monde. On nous promettait un nouvel ordre mondial mais c’est le désordre. Le monde a perdu la boussole : le meilleur allié de Trump semble être la Russie. Saoudiens et Israéliens semblent s’allier contre l’Iran, le Qatar contre l’Arabie Saoudite… »
Et la Palestine, dans tout cela ? Elle qui s’estimait victime dans l’équilibre précédent doit-elle espérer dans ce déséquilibre ?
« C’est un moment très intéressant et c’est porteur d’espoir. Elle doit revendiquer ses droits, rappeler aux États et aux opinions que nous n’avons jamais eu ce qu’on nous a promis. Dire : coucou, on est là ! »
Protéger les populations du Haut-Karabagh pour bâtir la paix dans le Caucase du Sud
Depuis 2016, les accrochages et les violations du cessez-le-feu de la part de l'Azerbaïdjan se multiplient contre le Haut-Karabagh, territoire qu'il convoite depuis longtemps et dont la population est très majoritairement arménienne. A tout moment, un quart de siècle de négociations risque d'être réduit à néant par des combats de haute intensité pouvant déboucher sur un conflit majeur. Le président turc Recep Erdogan enchaîne les déplacements à Bakou, fait monter les tensions et a encore jeté de l'huile sur le feu en déclarant tout récemment qu'il «soutiendra l'Azerbaïdjan jusqu'au bout» contre l'Arménie.
Compte-tenu de ses relations avec l'Azerbaïdjan et l'Arménie mais aussi en raison de son implication dans la coprésidence du groupe de Minsk, la France ne peut que s'inquiéter de ces évolutions périlleuses qui tournent le dos à une résolution pacifique du conflit.
Au terme d’un long processus qui a débuté avec le délitement de l’Union soviétique, et conformément au droit en vigueur à cette époque, l’Assemblée nationale de la République du Haut-Karabagh a proclamé son indépendance le 2 septembre 1991. Deux mois plus tard, un référendum libre et démocratique entérinait à une très large majorité cette décision.
L'Arménie a reconnu «de facto» la République du Haut-Karabagh mais l’Azerbaïdjan a récusé l’expression de cette volonté populaire et s’est engagé dans une guerre terrible qui a abouti à une immense catastrophe humanitaire en 1992. Parallèlement, l'Azerbaïdjan a organisé le blocus et l’invasion de la République du Haut-Karabagh et conduit une politique génocidaire contre les populations arméniennes avec les pogroms de Kirovabad, de Bakou, de Maraga et de Soumgaït. Un cessez-le-feu a été ratifié en 1994, gelant le conflit, tandis que les négociations dans le groupe de Minsk s'enlisent nourrissant de nouvelles attaques azerbaïdjanaises en 2016.
Il est urgent de sortir de ce conflit afin d’assurer la protection des populations du Haut-Karabagh, de prévenir un nouveau génocide arménien et de bâtir une paix durable respectueuse du droit des peuples dans leurs diversités, dans une région meurtrie par la récurrence des affrontements et dans laquelle surgissent de nouvelles menaces. La République d’Artsakh (Haut-Karabagh) a une existence indiscutable et une vie démocratique exemplaire dans le Caucase du Sud. Les 150 000 citoyens qui la composent ne peuvent rester au ban des nations et sans aucun droit reconnu par la communauté internationale.
Le peuple arménien a fait la démonstration de son attachement à la liberté et à la démocratie au prix de sacrifices immenses. Le peuple français et le peuple arménien ont une longue tradition d'amitié et de solidarité.
Pour ces raisons, et parce que cela constituerait une première étape dans un indispensable processus d'apaisement et dans la résolution politique du conflit, le Parti communiste français (PCF) demande instamment au Président de la République de prendre acte du processus démocratique par lequel la population du Haut Karabagh a proclamé la République. Le PCF engage également le gouvernement de la France à agir dans les plus brefs délais pour que la Haute-représentante de l'Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Federica Mogherini, porte avec notre pays cette reconnaissance devant les instances internationales multilatérales. Ces dernières doivent placer les populations du Haut Karabagh, menacées de génocide, sous protection internationale.
Pleinement solidaire du combat des populations de la République d'Artsakh, le PCF appelle Stepanakert, Erevan et Bakou ainsi que les coprésidents du groupe de Minsk, à engager sans délais, sous l'égide de l'ONU, des négociations pour trouver une solution pacifique à ce conflit.
Parti communiste français,
Paris, le 31 octobre 2019
Allemagne: Premiers enseignements des élections régionales de Thuringe
Les résultats électoraux de Thuringe envoient des signes contradictoires: d’une part, Die Linke remporte un succès considérable, d’autre part, on assiste à une poussée des populistes de l’AfD.
Les résultats électoraux de Thuringe envoient des signes contradictoires: d’une part, Die Linke remporte un succès considérable en devenant pour la première fois dans un Land allemand la première force politique et en franchissant la barre des 30%. Le chef du gouvernement, Bodo Ramelow (Die Linke) sort renforcé du scrutin après cinq années d’une politique clairement de gauche, au service de la population. D’autre part, on assiste à une poussée des populistes de l’AfD (Alternative für Deutschland) menés en Thuringe par Björn Höcke, le leader de l’aile la plus radicale de l’AfD. Comme dans les autres Länder d’Allemagne de l’est, l’AfD apparaît comme le parti des exclus, des déclassés sociaux et des perdants de la réunification.
Malgré la victoire de Die Linke, la coalition sortante Linke-SPD-Verts n’a plus la majorité au Landtag et aucune autre coalition majoritaire ne semble être possible, dans la mesure où tous les autres partis excluent de s’allier avec l’AfD et où CDU et FDP (Libéraux) rejettent toute alliance avec Die Linke. Dans ces conditions, Bodo Ramelow a proposé à tous les partis - AfD exceptée - de discuter de la situation politique nouvelle et on pourrait s’orienter vers la constitution d’un gouvernement minoritaire. Quelle que soit la formule retenue in fine, le gouvernement Ramelow peut rester en place, aucun délai n’étant fixé par la constitution du Land pour la période de transition. Et ensuite, Die Linke continuera de diriger le gouvernement du Land.
"Die Linke a montré qu’on peut résister à l’extrême droite et aussi remporter les élections."
La première leçon que l’on peut tirer du scrutin, c’est qu’en ne reniant rien ni de sa politique de justice sociale, ni de ses principes, en ne faisant aucune concession sur les questions de migration agitées par l’extrême droite, Die Linke a montré qu’on peut non seulement résister à l’extrême droite, mais aussi remporter les élections. Au pouvoir depuis cinq ans, Die Linke a fait la preuve de son utilité et a pu augmenter son influence. Alors que la participation électorale est passée de 52 à 64%, les médias masquent délibérément les contenus politiques qui ont amené nombre d’abstentionnistes à se déplacer pour soutenir le gouvernement de Bodo Ramelow; ils préfèrent expliquer le succès de Die Linke par la popularité du chef du gouvernement, censé être plus consensuel que son parti. Ce qui n’empêche pas ces mêmes médias de mettre sur le même plan Die Linke et l’AfD en dénonçant une polarisation du scrutin en faveur des extrêmes…
La seconde leçon à tirer concerne les deux partis au pouvoir à Berlin, la CDU et le SPD, qui n’en finissent pas, de scrutin en scrutin, de battre des records historiques de scores en baisse. En poursuivant inébranlablement une politique néo-libérale qui se traduit par davantage de pauvreté, de précarité et d’insécurité sociale, la «grande coalition» provoque son propre effondrement électoral et nourrit le vote populiste. La CDU et surtout le SPD sont en proie à des crises internes profondes dont ils ne peuvent espérer sortir qu’en remettant en cause leurs choix politiques. Pour le SPD, cela devient même une question existentielle.
La montée de l’extrême droite est une source de grande inquiétude mais elle n’a rien de fatal. Les résultats de Thuringe montrent l’urgence mais aussi la possibilité d’apporter des réponses en construisant des politiques alternatives et en luttant pour les mettre en œuvre. Cette leçon ne vaut pas seulement pour les forces de gauche d’Allemagne, mais pour celles de toute l’Europe. De ce point de vue, nous pouvons dire merci à la Thuringe.
Alain ROUY
membre du collectif Europe
et de la commission des Relations internationales du PCF
article publié dans CommunisteS du 30 octobre 2019
Solidarité avec les peuples de Turquie et du Rojava
Tous les jours, les habitantes et habitants des municipalités de Turquie, dont les maires issu-e-s du Parti démocratique des peuples (HDP) viennent d'être destitués et pour la plupart emprisonnés par le régime d'Ankara, marchent nombreux dans les rues de leur ville contre cette dictature qui ne dit pas son nom. Nombreuses et nombreux aussi sont celles et ceux qui chaque jour, malgré la police et les forces armées qui quadrillent le pays, manifestent pour la paix et contre l'invasion militaire turque du Rojava.
A l'occasion de son passage en Turquie pour la 21e conférence internationale des partis communistes et ouvriers à Çeşme (métropole d'Izmir), mi-octobre moins de 10 jours après la guerre déclenchée par le président turc Recep Tayyip Erdogan contre le Rojava, la délégation du PCF1 se devait d'exprimer de vive voix aux forces de la résistance démocratique en Turquie le plein soutien et la totale solidarité des communistes et des citoyen-ne-s de notre pays.
C'est dans cet objectif que le 19 octobre, nous avons rencontré longuement le député HDP d'Izmir, Murat Çepni, et la direction locale du parti, ainsi que Tunç Soyer, maire CHP de cette ville de 6 millions d'habitant-es, élu en mars dernier avec le soutien des forces démocratiques et de gauche comme le HDP.
Nos camarades ont tenu à remercier, à travers nous, les militant-e-s et parlementaires du PCF, les Françaises et Français qui se mobilisent à leurs côtés pour la démocratie et pour la paix. C'est d'autant plus vital que la gravité de la situation en Turquie et dans la région n'est pas sans rappeler les pires catastrophes de l'histoire du XXe siècle (le génocide arménien, les deux guerres mondiales, les massacres et expulsions des populations grecque et arménienne de Smyrne (Izmir) en 1922) et qu'il s'agit par notre action et la solidarité internationale d'empêcher de nouveaux crimes contre l'humanité.
Face à la politique d'extermination des kurdes, arméniens, chaldéens ou arabes du Rojava syrien, face à l'élimination quasi systématique de tout opposant à son pouvoir, face à la brutalité d'Erdogan, les déclarations qui donnent bonne conscience seront toujours insuffisantes. RT Erdogan exerce un chantage sur les dirigeants européens sur les enjeux migratoires et de sécurité régionale ou globale mais, pour les responsables du HDP, et le PCF partage ce point de vue: devant un tel autocrate ce n'est pas en lui cédant qu'on le fait reculer, c'est en développant contre ses ambitions hégémoniques une action politique et diplomatique ferme qui ait pour objectif central la protection de peuples et le retour à une paix durable.
La guerre avec pour objectif le nettoyage ethnique et la destruction de l'expérience politique du Rojava en Syrie par les armées turques, le laisser-faire ou la complicité des puissances internationales, c'est, nous dit l'un de nos camarades, «l'équivalent de l'écrasement de la Commune de Paris. Il en va de notre intérêt à tous, tous les démocrates, de défendre le Rojava où toutes les composantes du peuple syrien vivaient ensemble en paix. Les paroles, les critiques ne suffiront pas, il faut des actes. Mais ce qui est certain, c'est d'abord que les puissances occidentales, russe ou régionales ne peuvent fixer leurs orientations politiques, diplomatiques et de défense nationale à partir de l'unique question des menaces que Daesh fait peser sur leurs pays, et ensuite, que ce n'est pas à elles quoi qu'il en soit de déterminer le présent et l'avenir du peuple kurde, du Rojava et des démocrates turcs. Etats-Unis, Russie, France… tous ! doivent maintenant partir, ils doivent quitter la région.»
Tunç Soyer qui dirige, depuis quelques mois seulement, la municipalité d'Izmir nous a reçues à l'Hôtel-de-Ville. Le maire et sa majorité sont bien décidés à faire de leur ville une actrice majeure de la solidarité locale et internationale, elle qui compte 6 millions d'habitant-e-s et accueille près de 150 000 réfugiés syriens et afghans principalement. «La démocratie, comme la paix, nous dit-il, est un art de vivre précieux et je suis convaincu du potentiel de changement politique dont recèle le renforcement de la démocratie locale pour résister et contrecarrer la montée des populismes et totalitarismes au plan mondial». Une première rencontre permettant de lui donner des éléments sur la situation à la veille des élections municipales en France et des projets réalisés dans les villes à majorité de gauche dirigées ou avec la participation d'élu-e-s communistes; et une rencontre qui aura des prolongements dans les mois qui viennent.
Lydia SAMARBAKHSH
responsables des Relations internationales du PCF
1. Lydia Samarbakhsh et Méline Le Gourriérec, secteur International du PCF.
Le Brésil de Lula a été l’objet des rêves d’une gauche européenne. Celui de Bolsonaro s’apparente à un cauchemar mené par d’anciens « Chicago Boys ». Saisir à la fois les échecs endogènes des gauches latinos et la soif de revanche d’une petite élite ultra-libérale peut clarifier un regard brouillé et clivé sur le géant lusophone.
« Je hais les voyages et les explorateurs. » Le fameux incipit de Tristes Tropiques, que l’anthropologue Claude Lévi-Strauss écrit après ses séjours au Brésil, demeure pertinent pour la situation actuelle. Le Brésil est en effet l’objet des fantasmes d’une gauche européenne qui aime y faire du tourisme idéologique, mais aussi le laboratoire d’une certaine droite qui fait rimer exploration et exploitation.
L’Amérique latine en général, et le Brésil en particulier, est ainsi le lieu d’une double projection, les rêves de la gauche d’un côté, le cauchemar néolibéral de l’autre. Une situation qui brouille, depuis déjà longtemps, le regard que l’on porte ici sur ce qui se passe là-bas, et divise celles et ceux qui commentent ce qui s’y déroule. La victoire à l’élection présidentielle, il y a tout juste un an, de Jair Bolsonaro, catalysée par l’enfermement de l’ex-président Lula, a encore fait rejouer les failles et crispé les positions.
Les uns s’indignent ainsi du fait que toute une partie de la gauche européenne défende mordicus Lula et le Parti des travailleurs (PT), en dépit de faits de corruption avérés, et ne veulent voir dans l’ancien président qu’un « prisonnier politique ». Les autres ne décolèrent pas contre l’aveuglement politique de ceux qui ne s’interrogent pas sur les conditions de la reprise en main idéologique et économique du pays par une élite menée par d’anciens « Chicago Boys » décidés à prendre leur revanche sur le PT en appliquant au Brésil d’aujourd’hui les recettes mises en place dans le Chili de Pinochet.
Les Chicago Boys désignent ce groupe d’économistes sud-américains formés à l’université américaine sous la houlette de Milton Friedman, ayant mis en œuvre les réformes ultra-libérales de la dictature d’Augusto Pinochet entre 1973 et 1982. Le prix Nobel d’économie de 1976 avait en effet convaincu le général putschiste, plutôt acquis initialement à une vision planifiée de l’économie, de leur laisser les rênes pour expérimenter, à taille réelle, ses préceptes économiques : privatisations massives, restriction du rôle de l’État, ouverture des marchés, retraites par capitalisation, réduction des impôts…
Parmi les diplômés brillants qui rejoignent alors Santiago, un jeune Brésilien, Paulo Guedes, qui s’est notamment lié d’amitié, sur les bancs de l’université de Chicago, avec Jorge Selume Zaror, futur ministre du budget de Pinochet.
Or, Paulo Guedes est aujourd’hui le ministre le plus puissant du gouvernement Bolsonaro, à la tête d’un portefeuille qui fusionne ceux de l’économie, des finances, de l’industrie, de la planification, de l’emploi et du commerce extérieur. Cet ancien banquier est aussi l’homme qui, pendant la campagne électorale brésilienne, a activé ses réseaux pour faire d’un ancien militaire reconnaissant lui-même son absence de compétences en économie, un candidat adoubé par les milieux d’affaires.
En prenant ses fonctions, le super-ministre de l’économie a nommé plusieurs ex-Chicago Boys à des postes stratégiques. Roberto Castello Branco, diplômé de l’université où enseignait Milton Friedman au même moment que Paulo Guedes, a pris la tête de Petrobras, l’entreprise nationale pétrolière au cœur de la corruption de la classe politique brésilienne et des accusations contre Lula. Quant à l’économiste Rubem Novaes, également passé par cette université de Chicago, il a obtenu les rênes de la Banco do Brasil.
Comme l’expliquait alors aux Échos un autre économiste brésilien, Carlos Langoni : « Je plaisantais l'autre jour avec Paulo Guedes en lui disant : “Nous ne sommes plus des Chicago Boys, nous sommes des Chicago Grandfathers.” Mais il m'a immédiatement corrigé : “Il vaut mieux parler de Chicago Oldies.” »
Qu’ils préfèrent se faire passer pour des « grands-pères » ou des « anciens », ces ex-Chicago Boys prennent le contrôle économique du Brésil dans un contexte particulier, et avec une revanche à prendre. L’Amérique latine est en effet le continent où les mesures « d’ajustements structurels » du consensus de Washington, dont l’université de Chicago a été une des matrices intellectuelles, ont été appliquées avec le plus de vigueur et d’aveuglement.
Mais l’Amérique latine est aussi le lieu où ce même consensus a été le plus frontalement contesté par les leaders de gauche qui accèdent au pouvoir au tournant des années 2000 : Hugo Chávez au Venezuela en 1999, Luiz Inácio Lula au Brésil en 2002, Nestor Kirchner en Argentine en 2003, Evo Morales en Bolivie en 2005, Michelle Bachelet au Chili en 2006, Rafael Correa en Équateur en 2007…
Ces gouvernants n’ont en réalité pas grand-chose à voir les uns avec les autres, mais ils constituent néanmoins tous un moment de forte rupture politique et économique, d’autant plus dans les pays qui élisent alors, pour la première fois de leur histoire, des dirigeants qui ressemblent à leur peuple : un syndicaliste issu d’une famille nombreuse et très pauvre émigrée du Nordeste vers São Paulo au Brésil ou un Indien représentant des petits cultivateurs pour la Bolivie.
Pour la gauche européenne qui a encore du mal à se relever de la chute du mur de Berlin, l’Amérique latine devient alors un espace où elle peut projeter un autre récit que le Tina (There is no alternative) cher à Margaret Thatcher. Du Forum social mondial dont la première édition se tient à Porto Alegre en 2001 pour structurer la dynamique altermondialiste enclenchée dans les contestations contre l’OMC, jusqu’à l’intérêt de nombreux mouvements écologistes et climatiques envers les thématiques des droits de la Terre Mère ou du « buen vivir » promues en Équateur ou en Bolivie, l’Amérique latine devient alors un territoire d’espoir pour les gauches européennes.
« Le Brésil, laboratoire mondial »
Observées depuis la fin des années 2010, ces expériences progressistes laissent un goût amer et le sentiment d’une fin de cycle, puisqu’elles s’avèrent au mieux inabouties, au pire perverties. La « révolution bolivarienne » au Venezuela a conduit à un effondrement économique, politique et anthropologique du pays, marqué par un exode dont l’ampleur n’est guère comparable qu’à la Syrie.
Rafael Correa, présenté comme un héros et héraut progressiste, n’a jamais hésité à piétiner et intimider la presse et fait le choix d’une économie extractiviste en opposition avec les principes affichés dans la Constitution inédite qu’il avait fait adopter. Les angles morts d’Evo Morales sont également nombreux, en premier lieu sa promotion d’une agro-industrie incompatible avec les « droits de la nature » et le respect de la Terre Mère.
Quant au Parti des travailleurs, si la politique volontariste de Lula a effectivement permis, notamment grâce à la Bolsa Familia, la sortie de millions de Brésiliens de la pauvreté, le leader historique du PT ne s’est pas attaqué au système de corruption endémique, laissant ainsi prospérer les intérêts des grandes industries du pays, même quand ils étaient en contradiction avec ceux des travailleurs qu’il était censé défendre.
Nombre de ces expériences latino-américaines, qui allaient parfois jusqu’à prétendre inventer des formes nouvelles de socialisme ou d’éco-socialisme, ont ainsi laissé intacts plusieurs fondamentaux du capitalisme mondialisé, en dépit de discours frontalement, mais souvent formellement, en rupture avec le consensus de Washington : surexploitation des ressources naturelles, champ libre laissé aux spéculations financières, subordination des politiques sociales aux intérêts des poids lourds des industries nationales…
Accuser la seule action souterraine de l’Empire américain, ou de forces néolibérales abstraites, comme le font en particulier les derniers défenseurs du régime vénézuélien, pour expliquer les échecs, demi-mesures ou trahisons des gauches latinos, serait aussi paresseux que de raisonner uniquement en termes de flux et de reflux : une vague de droite succédant à une déferlante de gauche.
De façon similaire, refuser de voir les impasses et les manques des expériences progressistes du continent latino-américain serait aussi inconséquent que de fermer les yeux sur la volonté qui s’est manifestée de clore définitivement l’expérience du PT au pouvoir en la réduisant à une parenthèse néfaste et en enfermant et délégitimant son leader historique.
Le Brésil représente en effet davantage que le Brésil, au sens où la victoire de Lula a été un des premiers emblèmes, à l’échelle d'un pays-continent, d’une contestation effective du consensus de Washington. Une rupture dont l'effet a été d'autant plus sensible dans un pays marqué par des décennies de mesures outrageusement inégalitaires à l’avantage d’une petite élite rarement exempte de liens endogamiques entre les secteurs politiques, économiques, voire judiciaires et journalistiques.
À cet égard, la nomination du juge fédéral Sérgio Moro, au cœur de la lutte contre la corruption et de l’enfermement de Lula, au poste de ministre de la justice de Bolsonaro, qu’il a osé décrire, contre toute évidence, comme un homme « pondéré », « sensé » et « modéré »a légitimement soulevé des soupçons d'instrumentalisation de la justice à des fins politiques, surtout depuis les révélations du média en ligne The Intercept mettant en cause l’impartialité du juge dans ses investigations.
Le Brésil de 2019 n’est pas comparable, terme à terme, au Chili de 1979. Mais l’arrivée aux commandes à Brasília de Chicago Boys devenus grands-pères à de quoi inquiéter, si on saisit bien le moment de durcissement dans lequel le néolibéralisme est engagé pour continuer à imposer des mesures insoutenables socialement et écologiquement.
Ainsi que l’écrivait récemment le philosophe brésilien Vladimir Safatle : « Il est possible que le Brésil soit aujourd’hui un laboratoire mondial dans lequel sont testées les nouvelles configurations du néolibéralisme autoritaire, où la démocratie libérale est réduite à une simple apparence. L’une des conséquences les plus visibles de ce système, c’est la soumission de toute politique environnementale aux intérêts immédiats de l’industrie agroalimentaire. »
Or, c’est dans les dictatures sud-américaines, et au Chili en particulier, que ce néolibéralisme autoritaire a été expérimenté, ainsi que le philosophe Grégoire Chamayou l’a analysé, en rappelant notamment les visites de Friedrich Hayek à Pinochet ou encore son séjour dans l’Argentine de la dictature militaire, sans compter, de ce côté-ci de l’Atlantique, le projet de Constitution que l’économiste envoya au dictateur portugais Salazar après sa prise de pouvoir.
Le chercheur citait notamment un entretien donné par le théoricien britannique de l’ultra-libéralisme à un journal chilien, en 1981, dans lequel il explicitait sa position : « Personnellement, je préfère un dictateur libéral à un gouvernement démocratique sans libéralisme. »
Après le Chili, le Brésil est-il donc en train de devenir le nouveau terrain de jeu des apprentis sorciers prêts à passer par-dessus bord la démocratie au nom de l’application à marche forcée de leurs logiques économiques ? Dirigé par un nostalgique de la dictature, le Brésil a en tout cas installé à la tête de son économie, un homme, Paulo Guedes, dont la réforme phare est une réforme radicale des retraites, passant d’un système de répartition à un système par capitalisation.
Une réforme modelée sur celle mise en place au Chili à la fin des années 1970, lorsque Paulo Guedes y vivait et travaillait, par José Piñera, ancien ministre du travail de Pinochet. Un homme qui se trouve être aussi le frère de l’actuel président chilien, premier chef de l’État chilien depuis Pinochet à avoir envoyé l’armée dans les rues de Santiago pour mater et tuer les manifestants contestant les politiques néolibérales et inégalitaires qu’il a mises en œuvre…
Le chef de Daech, Al Baghdadi, a été tué par un commando états-unien. Il était près d’une base militaire turque en Syrie. Le président Trump veut redorer son blason après avoir lâché les Kurdes et prendre la main sur l’or noir du Nord-Est.
Le chef de l’organisation dite de l’« État islamique » (EI ou Daech selon son acronyme arabe) Abou Bakr Al Baghdadi a été tué dans la nuit du 26 au 27 octobre, lors d’une opération militaire américaine dans le nord-ouest de la Syrie. La nouvelle, qui avait d’abord été révélée par certains médias américains, a été officialisée, dimanche, par Donald Trump. « Il n’est pas mort comme un héros, il est mort comme un lâche », a-t-il martelé, précisant qu’il s’était fait exploser avec sa « veste » chargée d’explosifs, alors qu’il s’était réfugié dans un tunnel creusé pour sa protection. Trois de ses enfants sont morts avec lui. « C’était comme regarder un film », a-t-il raconté, relatant comment il avait visionné en temps réel le raid américain grâce à des caméras embarquées par les forces spéciales. « Capturer ou tuer Baghdadi était la priorité absolue de mon administration », a-t-il ajouté.
« Les cellules dormantes vont vouloir le venger»
Si cette mission a été accomplie uniquement par des militaires américains, elle a bénéficié, selon l’aveu même du locataire de la Maison-Blanche, de l’aide d’un certain nombre de pays. « Merci à la Russie, à la Turquie, à la Syrie, à l’Irak et aux Kurdes syriens », a-t-il précisé. Les uns, les Kurdes et les Irakiens dans le domaine du renseignement, les autres pour avoir laissé les huit hélicoptères emmenant les commandos survoler les zones qu’ils contrôlent. Et puis, au détour d’une phrase, cette information très révélatrice : « La Turquie savait où on allait. » Le village où se trouvait Al Baghdadi depuis moins de 48 heures, Baricha, ne se trouve pas dans la zone frontalière irako-syrienne, à l’est, mais au contraire à 5 kilomètres à peine de la frontière turque, à quelques encablures de la ville d’Idleb toujours sous domination islamiste et djihadiste. Un village chrétien dont la signification est « saint Jésus ». Et puis, étrangement, près de Baricha, a été établie une base militaire turque…
Ce qui est sans doute plus important est de constater d’abord qu’Al Baghdadi a été purement et simplement livré. Il n’était plus d’aucune utilité, notamment pour la Turquie. Il devenait même gênant, y compris pour d’autres groupes djihadistes comme Hayat Tahrir al-Cham dirigé par Abou Mohammed Al Joulani, qui, auparavant avait fondé le Front al-Nosra (al-Qaida en Syrie). Un groupe qui n’a rien à envier à Daech quant aux exactions et à la violence à l’encontre de tous ceux et tout ce qui n’est pas eux. On peut penser qu’un deal a été passé entre la Turquie et les États-Unis. Notamment lors du déplacement du secrétaire d’État américain Mike Pompeo à Ankara, alors que se déroulait l’offensive Source de paix, déclenchée par le président Recep Tayyip Erdogan avec le feu vert implicite de Washington, qui venait d’annoncer le retrait de ses troupes. Cet été, déjà, des pourparlers américano-turcs avaient abouti à des accords secrets.
Sans aucun doute, l’annonce de la disparition d’Abou Bakr Al Baghdadi permet au président américain de redorer son blason, bien écorné avec notamment ce lâchage en rase campagne des Forces démocratiques syriennes (FDS), obligées de se désengager des principales positions qu’elles tenaient depuis 2012. Des FDS qui ne sont pas au bout de leurs peines et s’attendent à des représailles de la part de Daech. « Les cellules dormantes vont venger Baghdadi. Donc, on s’attend à tout, y compris à des attaques contre les prisons » gérées par les forces kurdes où sont détenus des milliers de djihadistes, a indiqué à l’AFP Mazloum Abdi, commandant des FDS. Dans un communiqué, ces dernières alertent d’ailleurs sur le fait que des combattants de Daech et certains hauts dignitaires de cette organisation ont déjà trouvé refuge dans ces zones occidentales de la Syrie contrôlées par l’armée turque.
Maintien des soldats américains sur le sol syrien
Évidemment, la concomitance de cette opération contre Al Baghdadi avec l’annonce du maintien – contrairement à ce qui a été dit – de soldats américains sur le sol syrien ne peut que susciter de nombreuses questions. Vendredi, le chef du Pentagone, Mark Esper, déclarait : « Nous prenons maintenant des mesures pour renforcer notre position à Deir ez-Zor, et cela inclura des forces mécanisées pour nous assurer que le groupe “État islamique” n’aura pas accès à une source de revenus qui lui permettrait de frapper dans la région, en Europe, aux États-Unis. » Les champs pétroliers de la province de Deir ez-Zor (est de la Syrie), non loin de la frontière irakienne, sont les plus grands du pays. Quelque 200 soldats américains y sont stationnés. « Nous examinons comment nous pourrions repositionner nos forces dans la région afin d’assurer la sécurité des champs pétroliers », a ajouté Esper, tout en réaffirmant que « la mission en Syrie reste ce qu’elle était au départ : vaincre l’“État islamique” » De son côté, le ministère russe de la Défense a dénoncé « ce que Washington fait actuellement – saisir et placer sous contrôle armé les champs de pétrole de l’est de la Syrie – (qui) relève tout simplement du banditisme international ».
En réalité, Donald Trump, probablement emporté par son élan lors de la conférence de presse donnée hier matin, a vendu la mèche. « Le pétrole, ça vaut beaucoup pour de nombreuses raisons », a-t-il dit. Notamment : « Ça peut nous aider parce qu’on devrait pouvoir (en) récupérer une partie. J’ai l’intention peut-être de faire appel à Aramco (la compagnie nationale saoudienne d’hydrocarbures – NDLR) ou à une autre de ces sociétés pour qu’elles investissent là-bas. Il y a beaucoup de réserves, mais ce n’est pas suffisamment exploité. »
Quelques minutes auparavant, il avait déjà affirmé, à propos de cet or noir situé dans les sous-sols du territoire syrien, que « peut-être il faudra se battre pour sécuriser le pétrole. Peut-être que quelqu’un d’autre voudra le pétrole, il faudra qu’il se batte avec nous (…) Nous sommes prêts à négocier de manière équitable ou bien on l’arrêtera avec nos soldats ». Et de relever que « les Turcs se sont bien battus » et qu’ensuite « cela a été plus facile de discuter avec les Kurdes, de leur dire de se pousser de quelques kilomètres (…) Les Turcs voulaient une zone de sécurité, on est contents de les avoir aidés ».
L’élimination d’Al Baghdadi, pour importante qu’elle soit, ne règle pas grand-chose. D’autant que le jeu trouble de la Turquie, comme relevé plus haut, pourrait avoir des conséquences dramatiques pour les populations du Nord-Est syrien. Avec l’armée turque, y sont entrés des supplétifs, dont beaucoup d’anciens membres d’al-Qaida et de Daech. Depuis la suspension de l’offensive, le 17 octobre –, dans le cadre d’un accord entre Moscou et Ankara –, émaillée de bombardements et de combats sporadiques, 46 civils ont été tués et 40 membres des FDS ont péri, contre 26 combattants pro-Turcs. Loin de respecter le cessez-le-feu, les supplétifs de l’armée turque tentent de conquérir de nouveaux villages à l’est de Ras al-Aïn et aux alentours de la ville de Manbij.
Al Baghdadi est mort, mais depuis de longs mois maintenant, son poids dans l’Organisation n’était plus le même. Et, comme l’Hydre de Lerne, pour vaincre Daech il ne suffit pas de couper les têtes qui repoussent, mais en finir avec la bête en arrêtant de la nourrir.
La formation de gauche remporte près de 30 % des suffrages à l’élection du parlement du Land. L’AfD arrive en seconde position. La constitution du nouvel exécutif s’annonce difficile.
Le résultat de l’élection de Thuringe souffle le chaud et le froid sur un spectre politique toujours plus ébranlé outre-Rhin. Le bon résultat de Die Linke constitue la partie la plus rassurante de ce scrutin pour le renouvellement du parlement du Land. Le parti qui avait pu, à l’issue du rendez-vous électoral précédent en 2014, constituer une coalition de gauche avec le SPD et les Verts, et faire accéder son dirigeant, Bodo Ramelow, au siège de ministre-président du Land (voir son entretien dans notre édition du jeudi 24 octobre), arrive largement devant toutes les autres formations, améliorant même son résultat d’il y a cinq ans. Il réalise, selon les premières projections communiquées hier à la fermeture des bureaux de vote, quelque 29,5 % (+1,3 %). Par contre, la nouvelle poussée de l’Alternative pour l’Allemagne (AfD) qui rassemble 24 % des suffrages (13,5 %), une extrême droite emmenée dans le Land par l’un de ses leaders nationalistes les plus radicaux, proche du mouvement Thügida (La Thuringe contre l’islamisation de l’occident) et s’emploie à banaliser le IIIe Reich, résonne comme un nouveau coup de tonnerre dans un climat politique délétère.
Nouvel effondrement des partis de la grande coalition
Le scrutin enregistre un nouvel effondrement des partis de la grande coalition. Donnée à 22,5 %, la CDU, qui avait géré le Land sans interruption depuis 1990, avant d’être battue par la coalition de gauche emmenée par Ramelow, perd encore 11 points. Le SPD, lui, passe nettement sous la barre des 10 % (8,5 %, soit - 3,9 points), ce qui devrait exacerber encore le débat interne avant un congrès en décembre, où le parti doit choisir entre la poursuite de l’alliance avec la CDU à Berlin et une rupture, qui signifierait la convocation d’une élection anticipée du Bundestag.
Les scores des partenaires de gauche de Die Linke – celui du SPD, mais aussi, à la surprise générale, des Verts qui n’obtiennent que 5,5 % des voix (- 0,2 %) – hypothèquent la reconduction de la coalition de gauche sortante, qui compterait seulement un total de 43,5 % des voix.
Il paraît toutefois exclu qu’AfD et CDU gouvernent ensemble, le chef de file des chrétiens-démocrates, Mike Mohring, ayant affirmé une opposition déterminée à une telle alliance. Devant cette situation où aucune combinaison d’alliance entre partis démocratiques n’obtiendrait de majorité, l’hypothèse d’un gouvernement minoritaire que continuerait de piloter Bodo Ramelow ou d’une nouvelle élection était le plus souvent évoquée hier soir, avant que ne soit connue la répartition définitive des sièges au sein du Parlement.
Dans ce climat très lourd, la performance de Die Linke tient, au-delà de l’indiscutable charisme de son chef de file, à la résistance tous azimuts engagée par le parti contre la xénophobie et la démagogie des nationaux-libéraux. Preuve lugubre de cette montée en première ligne du parti : une de ses députées sortantes, Katharina König-Preuss, qui préside une commission antifasciste au parlement de Thuringe, a été menacée de mort à quelques heures de la fin de la campagne. Chargée initialement d’enquêter sur un gang terroriste néonazi originaire du Land qui défraya la chronique jusque dans les années 2000 en s’illustrant par une chevauchée sanglante (10 morts) contre des propriétaires ou des clients de kebabs, Katharina a reçu chez elle une sentence au contenu plus qu’explicite : « Ta mort sera cruelle. C’est pas la question (…) Tu vas passer du parlement du Land à la civière. » Interpellée par la presse, la courageuse élue a fait savoir : « Je ne crois pas qu’un néonazi puisse décider du moment de ma mort. » Ambiance. La Thuringe, l’Allemagne ont plus que jamais besoin de Die Linke.
Chili. La réalisatrice Carmen Castillo décrit un mouvement horizontal, cristallisant le rejet d’un modèle inégalitaire et le refus, parmi les jeunes des classes populaires, d’endurer encore des conditions de vie indignes. Entretien.
L’écrivaine et cinéaste franco-chilienne Carmen Castillo a travaillé auprès du président Allende. Après le coup d’État de 1973, les militaires ont abattu son compagnon Miguel Enriquez, chef du Mouvement de la gauche Révolutionnaire (MIR) ; elle-même, gravement blessé, a trouvé refuge en France. Au cœur du soulèvement populaire elle porte aujourd’hui une « mémoire vivante ».
Quelle est l’atmosphère des marches populaires qui se succèdent au Chili ?
Carmen Castillo. C’est une ambiance extraordinaire, par la multitude des collectifs et des organisations impliqués, par l’originalité des pancartes brandies, pleines d’humour dans l’expression des demandes sociales, par le souffle que donnent à ce mouvement la jeunesse des quartiers populaires et les étudiants. Toutes les générations sont emportées par cet élan. Ce qui s’affirme, c’est le refus de céder à la peur, la détermination à tenir la rue. Personne ne se laisse prendre au festival de démagogie mis en scène par le discours, mardi soir, du président Sebastián Piñera, qui affiche un grand mépris devant les exigences exprimées par les Chiliens.
Les images du déploiement militaire face au mouvement populaire ont soulevé partout dans le monde une vague d’émotion, d’indignation. Quelles formes, quelle ampleur revêt la répression ?
Carmen Castillo. L’Institut des droits de l’homme, un organisme d’État, a recensé cette semaine 18 morts et plus de 1000 arrestations. Des cas de torture ont été mis en lumière. Mercredi matin, lors de la manifestation autour du métro Plaza Baquedano, au centre de Santiago, on a découvert les traces d’un centre clandestin de torture. Des investigations sont en cours. Des protestataires ont, semble-t-il, été torturés dans une aile de la station de métro. La maltraitance est manifeste, les arrestations d’étudiants se multiplient, le déploiement de l’armée est pesant. La population est en alerte, des témoins filment les scènes de violences. À ce jour, le ministère de l’Intérieur se montre incapable d’établir un bilan précis, et même de publier les noms des personnes tuées. Mais ce qui est frappant, pour nous qui vivons ces évènements, c’est que cette répression n’arrête rien. Ils ne parviennent pas à susciter le repli. Le déploiement d’une armée prête à tirer ne produit pas l’effet recherché, celui de nous faire rentrer à la maison. Cette réponse répressive, la posture martiale du gouvernement, qui se dit « en guerre », a provoqué, au contraire, un regain de mobilisation. Mercredi, les protestataires ont franchi le périmètre interdit, la marche a continué son chemin. Un groupe, en ce moment-même, danse la cueca sous les fenêtres du palais de la Moneda, malgré l’impitoyable répression en cours dans le centre-ville. Les Chiliens occupent la rue. J’ai subi le coup d’État, la dictature. Mon indignation de voir l’armée ainsi déployée ne produit en moi aucune paralysie, bien au contraire. Nous-mêmes, les plus vieux, sommes portés par cette disparition de la peur.
Comment expliquez-vous l’ampleur prise par ce mouvement qui, parti d’une révolte contre la hausse des prix des transports, semble mettre en cause le modèle néolibéral ?
Carmen Castillo. La hausse du prix du ticket de métro a allumé une révolte d’abord propagée par les étudiants. Le gouvernement leur a dit : « Vous ne payez pas les transports ». Ils ont répondu : « Nos parents, nos grands parents, eux, paient. Nous nous mobilisons pour eux ». Ces jeunes ont attiré dans la contestation des familles entières. Le 18 octobre, à 18 heures, le gouvernement a décidé d’arrêter le métro, bloquant au centre ville 100 000 personnes qui ne pouvaient plus rentrer chez elles. Voilà comment le mouvement a pris corps : il est né d’une prise de conscience, du refus de subir encore des conditions de vie indignes. C’est une explosion sociale, nationale, populaire, contre un système qui a cru pouvoir régler les affaires de la société par le marché, les abus, l’exploitation des plus pauvres. Le clivage social au Chili reflète une situation de lutte des classes, avec, d’un côté, les riches appuyés par un petit secteur des classes moyennes, et puis, de l’autre côté, les pauvres et la plus grande partie des classes moyennes, qui subissent de plein fouet le système. Cette société est coupée en deux.
Qui sont les manifestants sortis spontanément dans la rue ?
Carmen Castillo. Le moteur de ce mouvement, c’est une jeunesse transversale. Pas seulement les étudiants : tous les quartiers populaires sont dans la rue, avec cette jeunesse précarisée, sans emploi. Tout a commencé par un grand « ça suffit ! », avec le refus de payer si cher des transports en commun drainant chaque jour 2,5 millions de passagers. Le métro a été attaqué, incendié parce qu’il est le symbole même de ce système, d’une modernité bien réglée. On marche, on prend le métro, on subit des trajets de deux heures, on va travailler, on obéit. Et il faut payer, en prime, des prix exorbitants pour ceux qui perçoivent le salaire minimum. Le métro cristallise, comme les supermarchés, comme les pharmacies qui vendent à prix d’or les médicaments, le refus de la réponse de marché, de la corruption. Il y a une raison sociale à ces violences. Les grands médias fustigent en boucle le vandalisme, dans le but de faire refluer le mouvement. Sans succès : dans les quartiers populaires, les habitants se sont auto-organisés pour défendre les petits magasins, pour faire face à la délinquance, aux bandes domestiquées qui s’attaquent aux pauvres. Mais ce qui est complètement nouveau, c’est que les manifestations s’étirent jusqu’au cœur des quartiers riches.
Comme celles des gilets jaunes en France…
Carmen Castillo. Oui ! Comme en France, les protestataires ont investi ces quartiers chics, c’est complètement inédit. Ce que nous vivons ici devrait d’ailleurs alerter le gouvernement français, et tous les gouvernements de la planète dévoués au néolibéralisme. Le Chili était, de ce point de vue, le système parfait. On ne pouvait pas s’attendre à ce qui est venu. Ici, dans ce laboratoire du néolibéralisme, ça fonctionnait très bien : le soi-disant ruissellement n’est jamais arrivé ; la population endurait l’oppression, elle était ligotée par la consommation, les cartes de crédit, l’endettement. Avec, bien sûr, une société pour les pauvres et une société pour les riches. Une éducation pour les pauvres, une éducation pour les riches. Idem pour le système de santé, les transports, etc. Au Chili, les gens subissent une immense cruauté. Les choses sont en train de bouger, même s’il est impossible de prédire l’issue de ce soulèvement. Ce qui est évident, c’est que l’évènement a eu lieu et que rien ne peut plus être comme hier. Je participe, avec mon collectif de l’école populaire de cinéma, à des actions, des micros ouverts, des projections d’images, des assemblées de quartier. Ces rendez-vous fédèrent tout le monde, autour de revendications sociales et du sentiment que la vie n’est plus vivable, qu’il n’y a plus rien à perdre. Il y a des syndicalistes, des écologistes, des féministes, des citoyens engagés dans des collectifs ou des groupes de quartiers, des gens seuls qui se retrouvent avec d’autres. C’est magnifique. Vous savez ce que l’on ressent quand on a le privilège de vivre un tel éveil…
Comment jugez-vous les premières réponses avancées par le président Piñera ?
Carmen Castillo. Elles sont stupides, burlesques. Au Chili, de toute façon, la classe politique ne fait plus de politique depuis longtemps. Ils pensaient pouvoir gérer cette situation en déployant l’armée, en décrétant le couvre feu en mobilisant la rhétorique de la guerre et de l’ennemi intérieur : ça ne marche pas. Une hausse du salaire minimum est envisagée, mais elle serait prise en charge par l’État ! Personne n’est dupe de ces petites mesures. L’aveuglement de ce pouvoir est celui de tous les pouvoirs néolibéraux au monde. Ils sont tous pareils. Ils ne savent pas comment vivent les gens, ce qu’ils pensent. Après un demi-siècle, bientôt, de néolibéralisme au Chili, les mots qu’emploient partout les gens dépourvus d’organisation, dans les lieux de rassemblement, tissent une parole authentique, d’une intelligence sidérante. On ne peut plus les berner. Ils n’ont pas réussi à occuper complètement les têtes avec leurs histoires de consommation, de marchandise et d’argent.
Ces dernières années, l’Amérique latine est devenue le théâtre d’une contre-révolution pour anéantir les politiques populaires expérimentées par la gauche. Les mouvements de protestation qui se développent aujourd’hui, au Chili et ailleurs, expriment-il le rejet de cette reprise en main par les tenants du néolibéralisme ?
Carmen Castillo. Je l’espère. Je ne peux parler que du Chili. Je suis cinéaste : j’ai besoin du tangible. Je suis en train de tourner des images avec des jeunes cinéastes, vidéastes, qui filment les évènements en cours. Ce qui surgit aujourd’hui, c’est l’inattendu, l’imprévisible de l’histoire. Je l’ai toujours répété, j’ai voulu le dire dans mon film « On est vivant » : il n’y a pas de fatalité, jamais, c’est nous qui faisons l’histoire. Il faut donc tenir, tenir contre l’impossible. D’innombrables mouvements sociaux ont précédé ce soulèvement. À chaque fois, nous perdions. Mais nous ne perdions pas tout : la preuve est là, ça ressurgit et ça prend. Les abus sont trop forts, la conscience de l’injustice est trop grande. Les luttes, depuis 2006, sont incessantes, elles se sont heurtées à ces gouvernements se prétendant de gauche, qui n’ont fait qu’administrer le modèle néolibéral de Pinochet. Bien sûr, on ne peut comparer les trente années écoulées à l’ère de la dictature mais les politiques conduites tout au long de cette période n’ont fait qu’aggraver l’injustice et le saccage. Au point que le Chili appartient totalement, désormais, aux multinationales. Elles possèdent tout : l’eau, les montagnes, la terre, l’océan, l’électricité, les transports. Tout ! La lutte pour l’eau, dans le Chili d’aujourd’hui, est une lutte profondément anticapitaliste. Le mot révolution n’a pas été levé ces jours-ci. Mais des lignes de perspectives apparaissent, avec la revendication d’une assemblée constituante, l’appel à une nouvelle constitution. Chaque jour, de nouvelles pistes sont défrichées. Le mot « égalité », ce mot formidablement dense, qui avait été évacué du vocabulaire politique au profit du mot équité, vide de sens, fait aujourd’hui son retour. Il est brandi dans les marches, avec le mot « liberté ». Au point où nous en sommes, ce que je ressens, c’est que ces archipels de luttes peuvent créer un continent populaire où la majorité des Chiliens pourra se retrouver.
Quelle place tiennent les organisations politiques, syndicales, dans ce mouvement horizontal ?
Carmen Castillo. Les syndicats y sont impliqués, ils ont lancé un appel à la grève, le pays est à moitié paralysé. D’autres organisations, actives depuis des années, sont engagées, comme le mouvement « no mas AFP », qui demande l’abolition du système de retraite par capitalisation hérité de la dictature. Ses porte-parole sont dans la rue, à l’antenne des radios, sans être à la tête du mouvement. Le peuple mapuche vient de publier une déclaration très forte, avec un appel à élargir la mobilisation et à s’organiser dans les territoires indigènes. La parole mapuche est très importante dans le Chili d’aujourd’hui… L’attitude de Daniel Jadue, le maire communiste de Recoleta, au nord de Santiago, est formidable, il se tient au côté des protestataires, comme Jorge Sharp Fajardo, le maire de Valparaiso, militant de Convergencia social. Les députés communistes et quelques figures du Frente amplio disent « non » et refusent toute négociation en catimini. Mais ce n’est pas par là que ça passe. Des collectifs, des individus se retrouvent et marchent ensemble. On ne voit pas de dirigeants politiques dans la rue. Ce mouvement horizontal, sans leaders, trouve ses articulations à la base, hors des cadres traditionnels.
Les révoltés chiliens regardent-ils vers les soulèvements populaires en cours ailleurs dans le monde ? Ont-ils le sentiment de participer à un mouvement global ?
Carmen Castillo. Jusqu’ici, les protestataires s’exprimaient en marchant, en chantant, au travers de cacerolazos, avec peu de prises de parole. Ils commencent à prendre le micro et lorsqu’ils le font, la parole qui jaillit est intarissable. Certains font la connexion avec une crise planétaire du système néolibéral. Comme si le néolibéralisme n’arrivait pas à mourir, et que nous étions dans le temps long de l’agonie d’un monde, avec des sursauts du mouvements social contre ce système fondé sur l’exploitation, l’injustice et la cruauté. Mais la conscience d’un mouvement global n’est pas répandue pour l’instant. Elle viendra. Pour l’instant, nous en sommes encore à nous reconnaître entre nous, à vivre au jour le jour, à surmonter les tensions et les peurs pour faire perdurer cet élan. Cette conscience viendra, car il y a de frappantes similitudes entre les explosions sociales contre cette logique économique et son modèle de société.
Vous avez pris part, au côté d’Allende, à l’expérience de l’Unité populaire. Vous avez subi dans votre chair l’innommable violence de la dictature de Pinochet. Comment ce mouvement résonne-t-il aujourd’hui en vous ?
Carmen Castillo. Vous savez, quand on survit à tout cela, on porte en soi une mémoire vivante. Je ne ressens pas de nostalgie. Je regrette simplement que ma génération n’ait pas su transmettre assez cette histoire, la façon dont nous faisions de la politique dans ces années-là. Nous aurions du raconter davantage et mieux, aux Chiliens et au monde entier, comment Salvador Allende a consacré toute sa vie à la construction de cette alliance politique qui a gagné les élections. Il était tout le contraire d’un démagogue : c’était un éducateur du peuple, un homme d’un grand courage, porté par une éthique, une intelligence politique, un attachement profond à l’unité. Nous aurions du faire vivre la pensée de Miguel Enriquez, celle du pouvoir populaire et de l’action directe. Aujourd’hui, je suis habitée par eux, je suis avec eux dans la rue. Cette mémoire des vaincus reste une énergie qui s’incarne aujourd’hui dans ce mouvement populaire. En y prenant part, je ne pense pas au coup d’État. Ce n’est pas ça que j’ai en tête quand je traverse le couvre-feu. J’affronte, avec cette jeunesse révoltée, les enjeux d’aujourd’hui, avec l’expérience du passé. Ce que je porte en moi de Salvador Allende, de Miguel Enriquez et de mes amis assassinés, torturés, disparus, ce n’est pas leur mort. C’est leur vie.
Après une semaine de mobilisations, qui ont parfois dégénéré en émeutes, la colère sociale ne faiblit pas. Malgré l’arsenal répressif, les manifestants exigent la démission du président, Sebastian Piñera, et des changements structurels.
Le Chili s’est réveillé. La phrase revient en boucle, depuis l’explosion sociale du 17 octobre contre une nouvelle hausse du prix du ticket de métro de 30 pesos. Cette étincelle a mis le feu aux poudres, après plus de quatre décennies de frustrations sociales et de dépossession citoyenne. À l’image de ses homologues latino-américains conservateurs confrontés à des soulèvements populaires, le président, Sebastian Piñera, a déclaré la guerre à ses concitoyens : couvre-feu, état d’exception, militarisation des rues. Le pays n’avait pas connu un tel arsenal martial depuis la dictature du général Augusto Pinochet (1973-1990), artisan du modèle néolibéral que rejettent les manifestants. Méprisé par la rue qui exige sa démission, vilipendé par l’opposition de gauche et les organisations sociales, le multimilliardaire, qui occupe le palais de la Moneda depuis mars 2018 après un premier mandat (2010-2014), a été contraint de changer de ton. Le 22 octobre, il a procédé à une série d’annonces : l’augmentation immédiate de 20 % du salaire minimum, la création d’un impôt complémentaire sur les revenus supérieurs à 9 886 euros et la stabilisation des tarifs électriques… Un « saupoudrage » aux yeux des acteurs, et qui ne convainc guère, comme en témoigne l’impressionnante participation aux deux journées de grève et de manifestations des 23 et 24 octobre, à l’appel de la plateforme d’unité sociale. Après une longue dictature, et une démocratisation décevante, la peur a changé de camp, sous l’impulsion de la jeune génération, bien décidée à balayer l’héritage pinochétiste.
1. Le laboratoire du néolibéralisme
« Ce ne sont pas 30 pesos, ce sont ces trente dernières années », entend-on dans les rues de Santiago. Dès 1975, le dictateur Pinochet fait du Chili le terrain d’expérimentation du néolibéralisme conjointement avec les États-Unis et le Royaume-Uni de Margaret Thatcher. Il ne s’agit pas seulement d’en finir avec l’expérience socialiste de l’Unité populaire du président Salvador-Allende. Les généraux et les Chicago Boys de l’école de Washington élaborent un modèle économique qui consacre le marché libre et l’effacement de l’État. Le despote va jusqu’à graver cette règle dans la Constitution de 1980 qui, depuis, n’a été corrigée qu’à la marge. Le Chili devient le paradis rêvé des élites et des multinationales étrangères.
2. Les inégalités sociales en leur royaume
Pays stable, dynamique, prospère, le Chili, qui affiche une croissance économique de 2,5 %, est présenté comme un modèle de réussite. Tout dépend pour qui. Le pays est considéré comme l’un des pays les plus inégalitaires de la région. En 2017, 1 % des plus fortunés détenaient à eux seuls 26,5 % des richesses nationales tandis que 50 % des foyers n’en détenaient que 2,1 %, selon un rapport de la Commission économique pour l’Amérique latine et la Caraïbe. Le salaire minimum est de 380 euros ; 50 % des travailleurs chiliens perçoivent un salaire mensuel égal ou inférieur à 505 euros.
3. Vieux et pauvres à la fois
Le 24 juillet 2016, 750 000 Chiliens ont défilé contre leur système de retraites, les AFP (administratrices de fonds de pension). En 1981, les cotisants ont été contraints de choisir une des six AFP qui gèrent la bagatelle de plus de 150 milliards de dollars. Le mode de calcul a de quoi faire frémir ou, au contraire, inspirer les libéraux zélés. Le montant des pensions est déterminé par la valeur des cotisations versées et des intérêts perçus. Une fois l’âge de la retraite acquis, le salarié peut, au choix, opérer des retraits de son compte capital, selon son espérance de vie, ou s’acquitter d’une rente viagère auprès d’un organisme privé, bien sûr. Les précaires et travailleurs pauvres ont de fait été exclus de ce système par capitalisation. L’Institut national de statistiques (INE) estime que la moyenne des pensions est de 257 euros mensuels. La réforme des retraites, qui était une promesse phare de Sebastian Piñera lors de sa campagne électorale en 2017, est actuellement bloquée au Parlement. Pour rappel : le grand artisan de ce système conspué n’est autre que José Piñera, ministre du Travail de Pinochet et frère du chef de l’État.
4. Le « No Future » des jeunes Chiliens
« Non à la course au profit du modèle éducatif. » Le slogan a retenti comme un cri en 2011, lorsque les étudiants ont envahi les rues du pays pour dénoncer la marchandisation de l’éducation. Dans l’esprit des Chicago Boys, Pinochet et les siens ont autorisé en 1981 l’entrée massive des capitaux privés dans les centres d’éducation. « La liberté d’enseigner », selon la consigne dictatoriale, n’a pas de prix. En 2006, la révolution des Pingouins, surnom lié à l’uniforme noir et blanc des lycéens, était partie bille en tête contre la Loce (loi organique constitutionnelle de l’enseignement) qui a instauré de facto le désengagement de l’État et la privatisation du système éducatif public. Plus tôt, ils revendiquaient la gratuité des transports et de l’examen d’entrée à l’université (PSU). Pour s’asseoir sur les bancs de la fac, les étudiants doivent débourser en moyenne près de 100 euros de frais d’inscription et 5 000 euros par an, voire plus. En 2016, le gouvernement de la présidente socialiste, Michelle Bachelet, s’est engagé à financer l’université aux étudiants les plus pauvres du pays. Deux ans plus tard, en avril, un mois après l’investiture de Piñera, les étudiants se sont de nouveau mobilisés contre la décision du Tribunal constitutionnel de retoquer une mesure qui aurait empêché les universités de faire du profit. Ce même Piñera qui avait osé déclarer en 2011 que l’éducation était un bien de consommation comme un autre. 70 % des étudiants sont de fait endettés, parfois à vie, tout comme leurs familles. Selon une étude de la Banque centrale chilienne datant de ce mois-ci, 74 % des revenus des foyers sont destinés à rembourser des dettes. C’est « No Future » pour nombre de jeunes contraints d’abandonner leurs études sans pouvoir se délester de leurs prêts faramineux. L’entrée de plain-pied dans la vie active rime pour beaucoup avec précarité.
5. Eau, transports, électricité… le grand hold-up
Le prix du tarif dans le réseau public de métro de la capitale avait déjà connu une première augmentation en janvier. Selon une étude de l’université Diego-Portales, le Chili occupe le neuvième rang des transports les plus chers par rapport au revenu moyen de ses habitants sur un total de 56 pays. L’autre service de base très rentable, l’électricité. L’exécutif de Piñera, qui gèle désormais les tarifs, a acté une augmentation de 10,5 % en octobre. Quant à l’eau, pourtant considérée comme un bien national d’usage public, ses sources sont entre les mains d’entreprises privées depuis 1981, et gèrent l’or bleu selon les conditions qu’elles imposent aux usagers.
6. La santé, ce luxe qui n’a pas de prix
D’après une enquête de caractérisation socio-économique (Casen), 80 % des Chiliens souscrivent au Fonds national de santé (public), tandis que 20 % sont sous le régime des institutions de santé privé, dit Isapre. Absence de spécialistes, hôpitaux en nombre insuffisant, manque de prévention, les premiers doivent souvent patienter des mois, voire des années, sur des listes d’attente dans les établissements de santé. Les prix des médicaments figurent parmi les plus chers de la région et les pharmacies s’en frottent les mains. Les trois grandes corporations pharmaceutiques Fasa, Cruz Verde et Salcobrand se sont retrouvées au cœur d’un vaste scandale, lorsque le parquet a révélé que ces mastodontes s’étaient accordés pour augmenter les prix de 222 médicaments traitant dans leur majorité de pathologies chroniques, ramassant ainsi un pactole en milllions. Ces deux dernières décennies, la consommation d’antidépresseurs a explosé de plus de 470 %, les sociologues faisant un trait d’union entre cette béquille médicamenteuse et les inégalités sociales.
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Favoriser l'expression des idées de transformation sociale du parti communiste.
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Communiquer avec les habitants de la région de Morlaix.