Le Bureau national de l'Association France Palestine Solidarité
10 novembre 2020
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Vendredi 13 novembre, une fois de plus, plus de 100 migrants sont morts noyés au large de la Libye. Et encore, ce ne sont que les drames connus.
Un drame de plus donc à mettre au crédit d'une politique d'immigration européenne déshumanisée, contraires aux Droits de l'Homme.
De nombreuses embarcations de fortune partent actuellement d'Afrique du Nord vers l'Europe, et un seul bateau de sauvetage circule entre l'Italie, la Tunisie et la Libye, 6 autres étant bloqués à quai comme ici a Porto Empedocle près d'Agrigente au sud de la Sicile (photos du mois d'août du Sea Watch et de l'Océan Viking bloqués administrativement au port) en Sicile par le gouvernement italien, sur une orientation d'anti-immigration qui est confortée par l'attitude de ses voisins européens.
Continuer à interdire l'accès à la mer de ces bateaux de sauveteurs d'ONG c'est encore condamner des centaines de réfugiés à la noyade. C'est un crime, de la non assistance à personnes en danger.
Une pétition internationale est actuellement disponible sur Change.org pour dénoncer ce scandale humanitaire et humain.
https://www.change.org/p/lib%C3%A9rez-l-ocean-viking-2
Lourd du symbole colonial, le franc CFA – le franc de la Communauté financière africaine – sera remplacé par l’eco. Mais ce changement de monnaie mettra-il réellement fin à la domination monétaire et coloniale de la France sur une partie importante du continent africain ?
*Ndongo Samba Sylla est économiste du développement sénégalais. Auteur avec Fanny Pigeaud de l’Arme invisible de la Françafrique. Une histoire du franc CFA.
DU DÉNI À LA RECONNAISSANCE ?
« Créé officiellement le 26 décembre 1945 par la France du général de Gaulle, le franc CFA était la dernière monnaie coloniale ayant cours », a souligné le journal le Monde à la suite de l’adoption, le 20 mai 2020, par le gouvernement français, du projet de loi relatif à la révision de l’accord de coopération monétaire entre la France et les huit pays de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA).
Après des décennies de déni systématique, il est instructif de voir ce journal centriste reconnaître, enfin, que le franc CFA est une « monnaie coloniale » partagée par des pays formellement indépendants, depuis 1960 pour la plupart. Jusque-là, ce type de propos était tenu pour « extrémiste » par les médias français, et par le gouvernement français, qui a régulièrement affirmé que le franc CFA est une « monnaie africaine » et donc un « non-sujet » pour la France, comme le soutenait Emmanuel Macron en novembre 2017, à Ouagadougou. L’usage de l’imparfait dans la phrase précitée laisse penser, à tort, que la page du franc CFA a été définitivement tournée. En réalité, le déni du colonialisme monétaire et, plus généralement, des différentes facettes de l’impérialisme français en Afrique a été l’un des sports favoris de l’opinion publique hexagonale, à quelques exceptions près. Le franc CFA n’est pas encore mort. Et, il vaut la peine de le noter : ce n’est pas la « dernière monnaie coloniale ayant cours ». Le franc des colonies françaises du Pacifique (CFP), créé en même temps que le franc CFA et avec les mêmes principes de fonctionnement, est l’unité monétaire de trois ensembles territoriaux sous administration française. Sa dénomination originelle est demeurée inchangée.
LES NON-DITS D’UNE RÉFORME
Le projet de loi relatif au nouvel accord de coopération entre la France et les pays de l’UEMOA est la suite logique de la réforme du franc CFA annoncée à Abidjan, le 21 décembre 2019, par Emmanuel Macron, en compagnie de son homologue ivoirien, Alassane Ouattara. Pour le moment, celle-ci concerne uniquement le franc CFA utilisé en Afrique de l’Ouest, à l’exclusion du franc CFA utilisé par les six pays de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC). Trois changements principaux sont à l’ordre du jour. Le premier est la fermeture du compte d’opérations, c’est-à-dire du compte courant ouvert au nom de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) dans les livres du Trésor français. En contrepartie de la « garantie de convertibilité » du gouvernement français – sa promesse virtuelle de prêter des euros à la BCEAO en cas d’épuisement de ses réserves de change –, la BCEAO était jusque-là tenue de déposer au moins 50 % de ses réserves de change sur ce compte. Cela ne devrait plus être le cas : la BCEAO aura, en théorie, la possibilité de placer ses avoirs extérieurs où bon lui semble. Cette concession de la part du gouvernement français est une manière de couper court aux nombreuses spéculations et critiques, parfois infondées, autour du compte d’opérations. Elle s’explique également par des raisons financières : depuis quelques années, le taux d’intérêt nominal que le Trésor français offre à la BCEAO est supérieur aux taux quasi nuls auxquels il peut s’endetter sur les marchés internationaux. Il est à préciser que cela n’est pas ni n’a jamais été une faveur faite aux pays africains ; tout au contraire, les taux d’intérêt réels – les taux nominaux ajustés de l’inflation – ont souvent été négatifs. En d’autres termes, c’est comme si les pays africains, jusque-là, payaient la France pour qu’elle leur garde leurs réserves de change !
Le deuxième changement concerne le retrait des représentants français des instances techniques de la BCEAO. Là, également, l’objectif du gouvernement français est de faire taire les critiques récurrentes sur ce point. Mais il est peu probable qu’il y parvienne. Car, en lieu et place des représentants français, le nouvel accord propose la « présence au Comité de politique monétaire de la BCEAO d’une personnalité indépendante et qualifiée nommée intuitu personae par le Conseil des ministres [de l’UEMOA], en concertation avec la France ».
Le dernier changement envisagé consiste à renommer le franc CFA : il devient « eco ». Le souci du gouvernement français et de ses alliés africains de faire oublier au plus vite un sigle honni a justifié cette décision controversée. Au départ, eco est le nom qui a été collectivement retenu par les quinze pays de la CEDEAO (Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest), dont les huit de l’UEMOA, pour leur projet de monnaie unique régionale qui remonte à 1983. Eco est d’ailleurs l’apocope d’ECOWAS (soit la traduction anglaise du sigle CEDEAO). Après de nombreux reports, l’eco de la CEDEAO était censé voir le jour en 2020. La feuille de route de la CEDEAO tablait sur un schéma, fort peu réaliste, d’intégration graduelle. Les pays qui rempliraient les critères de convergence – c’est-à-dire les critères d’entrée dans la future zone eco – devaient lancer l’eco en 2020. Apparemment, seul le Togo était dans ce cas. La question qui se pose maintenant est de savoir si les pays de la CEDEAO non membres de l’UEMOA, dont les anglophones, accepteront que ceux de l’UEMOA reprennent le nom eco sans autre forme de procès. En attendant, la rhétorique de la « fin » du franc CFA n’a aucune portée opérationnelle puisque l’eco fiduciaire – la circulation des billets de banque et pièces eco – devra attendre quelques années.
S’il est encore moins justifié de parler de « fin » du franc CFA en Afrique de l’Ouest, c’est parce que les mécanismes qui fondent ce dispositif monétaire colonial sont toujours en place. Une abolition du franc CFA aurait nécessité au moins, symboliquement, la fin de l’accord de coopération monétaire entre la France et les pays de l’UEMOA, c’est-à-dire l’abolition de tout lien formel de subordination monétaire de ces derniers vis-à-vis du Trésor français. Or cet accord a été renouvelé dans l’optique de rendre moins visible la domination monétaire française. La parité fixe avec l’euro, objet majeur de la critique des économistes, a ainsi été maintenue. De même, le Trésor français garde toujours un rôle de « garant », qu’il n’a jamais vraiment exercé, ainsi que le reconnaît, entre les lignes, le projet de loi.
L’esprit de la réforme du franc CFA est « tout changer pour que rien ne change ». C’est le principal enseignement que l’on peut tirer de l’audition de deux techniciens du Trésor français et de la Banque de France par la commission des finances de l’Assemblée nationale française, le 12 février 2020. De leur propre aveu, la réforme a pour objectif de sortir des « irritants politiques » sans affecter les « éléments essentiels »du système CFA, à savoir la parité fixe avec l’euro et la « garantie de convertibilité », une périphrase pour désigner un mécanisme de contrôle destiné à garantir les intérêts économiques français.
L'impérialisme monétaire s'étend sur plus de dix pays africains
L’AFROLIBÉRALISME COMME ALTERNATIVE ?
Avant l’annonce de décembre 2019, on pouvait identifier quatre positions sur la question de la réforme du franc CFA. La première est la perspective du « réformisme symbolique » : on se débarrasse des symboles gênants, mais on garde le cœur du système C’est la position du gouvernement français, c’est celle qui est reflétée dans le projet de loi.
La deuxième est la perspective de ce que l’on pourrait baptiser « réformisme adaptatif ». Elle consiste à sauvegarder le pré carré monétaire en l’adaptant à un contexte marqué par un déclin économique et géopolitique de la France. Les propositions comme celles visant à remplacer les représentants français par des Européens et à ancrer le franc CFA à un panier de monnaies (au lieu du seul euro) s’inscrivent dans cette optique. Mais elles tiennent plus du wishful thinking, d’une pensée magique. Le gouvernement français n’est pas prêt à céder volontairement son influence sur son pré carré et ne peut « octroyer » de garantie dans une monnaie tierce.
Tandis que ces deux premières positions émanent de l’intelligentsia françafricaine, la perspective dominante chez les panafricanistes est ce qu’on pourrait appeler celle de l’« abolitionnisme néolibéral ». De quoi s’agitil ? C’est un projet tout à fait paradoxal mais illustratif de la déshérence intellectuelle d’un panafricanisme contemporain noyé dans les eaux glacées de l’afrolibéralisme. Il consiste à dépasser le franc CFA, à mettre hors jeu la France viaune intégration monétaire d’essence néolibérale dans un cadre régional plus large. En effet, beaucoup d’intellectuels et de mouvements panafricanistes croient, à tort, que la monnaie unique CEDEAO, telle qu’elle a été envisagée jusque-là, est une alternative au franc CFA. Ils éludent le fait que la monnaie unique CEDEAO partage la même philosophie monétaire que le franc CFA, devenu euro CFA à partir de 1994, avec la transposition des critères de Maastricht aux pays de l’UEMOA et de la CEMAC. Or c’est un point que le gouvernement français et son allié ivoirien ont parfaitement compris : au jeu des critères de convergence, les pays de l’UEMOA pris collectivement pourront difficilement se faire battre par le reste des pays de la CEDEAO. La dernière position, qui est la nôtre, est celle de l’« abolitionnisme souverain ». Perspective minoritaire, elle met en avant le fait que les conditions politiques et économiques pour un partage mutuellement bénéfique d’une même monnaie ne sont pas remplies au sein de l’UEMOA, un ensemble qui n’a de justification que celle liée à l’histoire coloniale. Par conséquent, ces conditions seraient encore plus problématiques dans un cadre plus large, comme celui de la CEDEAO, où le commerce intracommunautaire est faible (environ 10 % du commerce total) et dont le PIB est dominé à près de deux tiers par le Nigeria, un des rares pays pétroliers de la zone.
Le franc CFA est une sorte de fossile vivant de la colonisation française
Pas plus que la monnaie coloniale aujourd’hui contestée, une monnaie sans souverain – l’euro tropicalisé que la CEDEAO entrevoit – ne peut être une réponse satisfaisante aux défis économiques de la région. Si les pays de la CEDEAO veulent une monnaie unique fonctionnelle et bénéfique pour tous, ils devraient d’abord travailler au plus vite à une union politique fédérale. Le mimétisme ne doit pas les pousser à mettre la charrue avant les bœufs comme les pays de la zone euro l’ont fait. Toutefois, au regard de la faible probabilité à court et moyen terme de l’avènement d’une union fédérale en Afrique de l’Ouest, un abolitionnisme souverain recommanderait plutôt la mise en place de monnaies nationales solidaires : chaque pays de la région doit avoir sa propre monnaie et les différentes monnaies nationales pourraient être rendues solidaires via un système de paiements régional, une unité de compte commune, la mise en place d’un fonds monétaire, la mise en commun d’une partie des réserves de change et l’adoption de politiques communes d’autosuffisance énergétique et alimentaire. Un tel système permet d’avoir tous les avantages attendus d’une monnaie unique sans les inconvénients notoires que la crise de la zone euro depuis 2008 et celle de long terme des pays CFA ont fait ressortir avec acuité.
L’impasse monétaire de l’Afrique de l’Ouest est, d’une certaine manière, l’expression de la contradiction à laquelle les pays francophones font face. D’un côté, leurs élites écartent toute idée d’une monnaie nationale : nombre de panafricanistes, prompts à critiquer leurs maîtres coloniaux, pensent paradoxalement comme eux que les pays de l’Afrique francophone ne sont pas capables, pour une raison ou une autre, de gérer avec succès une monnaie nationale; ce qui ne laisse que l’option d’une monnaie unique. Mais, d’un autre côté, ces pays peuvent difficilement sortir du statu quo monétaire colonial étant donné qu’ils n’ont montré aucune volonté de s’unir dans un cadre fédéral ni entre eux ni avec leurs voisins, un préalable à une intégration monétaire réussie. De ce point de vue, on pourra reconnaître une certaine cohérence politique à la position du gouvernement français. Pendant ce temps, la grande majorité des contempteurs africains de l’impérialisme occidental voient, hélas, dans les projets afro libéraux – monnaies uniques sans souverain, zone de libre-échange continentale, etc. – la réalisation des idéaux du panafricanisme originel. Espérons que la ratification du nouvel accord de coopération monétaire dans chacun des huit pays de l’UEMOA suscitera un débat clarificateur.
L’annonce par les laboratoires américains, le "géant" Pfizer, et leur partenaire allemand BioNTech de la mise au point d’un vaccin performant contre la covid-19 à « 90 % d'efficacité » a fait la une de l'actualité en ce début de semaine faisant renaître l’espoir fou d’une sortie proche de la crise pandémique et sanitaire.
Depuis le début de la pandémie, une course de vitesse internationale est engagée pour la recherche d'un traitement et d'un vaccin. La communauté scientifique est sur tous les continents mobilisée à plein pour élaborer et tester en un temps record le vaccin que tous les peuples attendent impatiemment.
Nombre de chercheurs ont souligné l'importance de renforcer la coopération internationale pour atteindre cet objectif tant qualitatif que de délai. C'est d'ailleurs ainsi qu'en temps ordinaire, par la mise en commun et la communication de leurs recherches et résultats, que la médecine et la science franchissent des pas de géant mais cette exigence de coopération s'en trouve redoublée en période de pandémie de Covid19 étant données les l'étendue de la crise sanitaire dans les pays développés et les répercussions sociales de la crise dans un contexte économique déjà sinistré. Malgré l'ostracisme dont elles ont fait l'objet de la part de chefs d’État de grandes puissances, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) et l'Organisation des Nations unies (ONU) n'ont eu de cesse d'appeler les États et gouvernements à inscrire résolument leur action médicale, sanitaire, scientifique dans un cadre commun et coopératif.
Pourtant, c'est bien, à cette heure, partout, la loi du marché et les logiques de compétition qui sont à l'œuvre – l'OMS recense 47 « candidats vaccins » en cours d'essais cliniques en cours –, quitte à laisser sur le banc de touche des centaines de millions d'êtres humains.
A la suite de l'annonce tonitruante de Pfizer, d'autres communiqués ont déferlé mettant en lumière les intérêts en jeu : les industries pharmaceutiques veulent toutes découvrir en premier ce « graal » qui leur apportera un maximum de profits, et aux États, un prestige au plan national et une assise au plan internationale.
Ce dont il s’agit, toutefois, c’est bien de santé publique. En un an, plus de 1,3 millions de femmes et d’hommes sont décédés de ce virus, plus de 34 millions ont survécu mais n'en sont pas sortis indemnes et il faudra encore attendre longtemps avant de bien connaître toutes les séquelles du coronavirus.
L’accès aux soins pour toutes et tous est un combat quotidien face à des systèmes de santé mal en point voire inexistants par endroit. La rentabilité et les intérêts économiques ont pris le dessus. Les soins et les médicaments atteignent, dans certains pays et selon les maladies, des prix exorbitants, excluant de fait des populations entières. Ce constat quotidien appelle des changements profonds, des ruptures de logique.
Nous ne sommes pas, les peuples ne sont pas, égaux face à la covid-19, ni même les individus. La pandémie et la crise sanitaire ont considérablement aggravé les inégalités déjà insupportables dans chaque pays et entre chaque région du monde.
Pour protéger les populations de chaque pays de la Covid19, il n'y a pas d'autres issues viables que de les protéger toutes, partout. L’enjeu est que nous soyons, que les peuples soient, égaux dans l’accès aux vaccins et aux traitements qui seront produits.
C'est là le cœur de la bataille politique du moment.
Il se trouve que la production du fameux vaccin Pfizer-BioNTech est coûteuse et que ses « conditions de conservation sont très contraignantes ». Autrement dit, une sélection par l'argent décidera de qui, où, sera vacciné-e. Or pour être efficace en cas de pandémie, une stratégie de vaccination mise en œuvre et coordonnée au niveau international est indispensable pour protéger les quelque 8 milliards d’êtres humains que nous sommes.
Tout bénéfice du vaccin doit d'abord être médical et humain.
C’est dans ce sens que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) participe au mécanisme Covax qui doit « favoriser un accès et une distribution équitables des vaccins, […] pour protéger les populations de tous les pays ».
Et c'est pourquoi, le Parti communiste français s'est engagé dans la campagne européenne pour un vaccin gratuit donc accessible à tous (#Right2Cure).
Il y a l'urgence à laquelle il est indispensable de répondre : protéger les populations, protéger les emplois, protéger les écosystèmes ; et il y a le tournant à prendre : sortir la santé, la médecine et le médicament, la protection sociale du domaine marchand. Rien ne sera plus déterminant que les mobilisations sociales, populaires, pour, là aussi, franchir, ensemble, des pas de géant.
Méline Le Gourriérec,
membre de la commission International du PCF
L’origine des infrastructures des transports africaines est marquée par le besoin de satisfaire les intérêts des puissances coloniales. Aujourd’hui, des progrès dans ce domaine ont été accomplis mais la question d’une nouvelle conception et du développement de ces structures reste posée.
*Don-Mello Ahoua est docteur-ingénieur de l’École des ponts et chaussées de Paris, ancien directeur général du Bureau national d’études techniques et de développement (BNETD) et ancien ministre de l’Équipement et de l’Assainissement de la Côte d’Ivoire.
Le partage de l’Afrique entre les grandes puissances coloniales à la conférence de Berlin, du 15 novembre 1884 au 26 février 1885, a cloisonné et rattaché chaque colonie à sa tutelle. Puisque l’exploitation de ces colonies était impossible sans construire des infrastructures les reliant à leur tutelle, la pénétration des territoires colonisés s’est d’abord faite par les voies navigables, puis par les chemins de fer orientés des ports vers l’intérieur des différents territoires. L’économie coloniale s’est donc développée en s’appuyant sur les transports maritime, fluvial et ferroviaire, établissant un lien direct entre les métropoles et les colonies. Ces liens directs ont favorisé les échanges des idées, des hommes et des biens de consommation entre chaque métropole et ses colonies tout en divisant d’anciens royaumes ou communautés tribales de plus en plus isolés par le déficit d’infrastructures modernes reliant les colonies entre elles.
Les grands couloirs d'intégration des infrastructures et de développement de l'Agenda 2063.
Source : Agenda 2063, rapport final
Cette situation a perduré après les indépendances politiques, prolongeant ainsi la dépendance économique financière et monétaire. La conséquence directe de ce paradoxe est qu’il est plus aisé de commercer avec l’ancienne puissance coloniale qu’avec un pays voisin et de consommer ce qui est produit hors du continent que ce que le voisin produit. Dans ces conditions, sans ignorer les autres obstacles, relever le défi de l’intégration industrielle africaine revient à relever le défi de l’intégration des infrastructures de transport.
LES INFRASTRUCTURES DE TRANSPORT
Les capitales économiques les plus prospères en Afrique se trouvent, à quelques rares exceptions près, sur les côtes maritimes. Dans ces villes portuaires se sont développés des ports et aéroports avant et après les indépendances. La compagnie panafricaine Air Afrique, qui a symbolisé l’intégration africaine, s’est évaporée sous les coups de boutoir des compagnies nationales et de la concurrence occidentale. Sur ses cendres se développent des compagnies nationales à vocation internationale qui ne réussissent pas encore à couvrir en temps et en heure les besoins de mobilité interétatiques.
Au lendemain de l’accession des pays africains à l’indépendance, le développement de l’autorité de l’État à l’échelle nationale a constitué la priorité. Le besoin de mobilité des véhicules administratifs et sécuritaires, plus confortables et plus rapides, a donné la priorité au développement du réseau routier. La route a ainsi détrôné le chemin de fer et les voies navigables. Seuls les pondéreux, dans la logique de l’économie coloniale, continuent d’emprunter les chemins de fer et les voies navigables légués par la colonisation. La saturation des postes d’emploi dans l’administration et les exigences d’emplois modernes pour le lot de jeunes sortant des écoles et des universités remettent au goût du jour le besoin de création de valeur ajoutée aux produits primaires. Le développement industriel n’est donc plus une option mais un besoin vital pour mettre la jeunesse au travail et limiter le fléau migratoire en augmentant les opportunités d’emploi sur le continent.
L’étroitesse des marchés nationaux et la dispersion continentale des gisements de matières premières ne permettent d’envisager le développement industriel qu’à l’échelle du continent. L’adoption par les chefs d’État et de gouvernement de l’Union africaine de la zone de libre-échange continental en janvier 2020 ouvre la voie à un développement industriel bénéficiant de l’économie d’échelle. L’industrie a besoin de matières premières et de marchés accessibles par des infrastructures compétitives. Dès lors, en termes d’infrastructures de transport, les chemins de fer et les ports restent les options viables pour l’accès aux matières premières et au marché continental. Tandis que les ports ont continué à se développer après les indépendances, le chemin de fer a sombré au profit de la route. L’accroissement de l’insécurité et des tracasseries routières en Afrique, le développement des trains à grande vitesse dans le monde et la volonté d’émergence des différents pays africains définissent un nouveau contexte qui peut donner une dynamique nouvelle au chemin de fer, qui a été détrôné par la route. Nous concentrerons donc notre analyse sur le chemin de fer.
LE CHEMIN DE FER : HISTORIQUE ET ÉTAT DES LIEUX
Dans le dessein de relier ses possessions africaines, l’Empire britannique décida d’un projet ambitieux : relier le nord et le sud du continent par un chemin de fer du Caire, en Égypte, au Cap, en Afrique du Sud((George Tabor, The Cape and Cairo Railwayand River Routes, Genta Publications, 2013.)). Côté nord, ce projet à écartement standard de 1435 mm n’a connu un début de réalisation qu’en 1851. La première section, d’Alexandrie à Kafr el-Zaiyat, a été inaugurée en 1854, et complétée jusqu’au Caire en 1856. Il s’est poursuivi à Assouan avec le même écartement. Après une traversée du Nil en ferry, le chemin de fer a continué jusqu’à Khartoum, au Soudan, avec un écartement de 1067 mm.
Des réseaux ferroviaires fragmentés
Le côté sud du projet démarra en 1860. Une première ligne longue de 3 km, entre Durban et Point, est inaugurée au Natal en juin 1860; elle est prolongée jusqu’à Umgeni en 1867. C’est aussi en 1860 que la Cape Town Railway and Dock Company ouvre sa ligne Le Cap-Wellington (96 km) ainsi qu’un embranchement de 10 km entre Cape Town et Wynberg. Les premières lignes de l’Afrique australe sont construites à l’écartement standard de 1435 mm. La ruée vers les mines de diamants de Kimberley, à la fin des années 1860, a eu d’importantes conséquences, car il s’agissait désormais de prolonger les chemins de fer sur des distances supérieures à 1000 km. Afin de limiter les coûts, les ingénieurs s’orientèrent vers le choix d’un écartement plus étroit. En 1869, la Cape Copper Company avait ouvert une ligne à l’écartement de 760 mm entre Okiep et Port Nolloh. Cet écartement était jugé trop faible pour les ingénieurs du Cap, qui optèrent pour un compromis en faisant un choix intermédiaire entre la voie standard de 1435 mm et la voie étroite de 760 mm. C’est ainsi que l’écartement de 1067 mm, également connu comme « voie métrique anglaise » ou « écartement du Cap », est retenu vers 1874. Il va rapidement devenir l’écartement standard dans une grande partie de l’Afrique. La fin du colonialisme consacra la fin du projet Cap-Caire.
En concurrence au projet britannique, en 1881, la France décide de relier Dakar, en Afrique de l’Ouest, à Djibouti, en Afrique de l’Est. Seuls les tronçons Dakar-Bamako (1898-1924)((Benjamin Neuman, « La ligne de chemin de fer Dakar-Bamako », in l’Express, 1er janv. 2017)) et Djibouti - Addis-Abeba (1896- 1917)((Dubois Colette, Djibouti, 1886-1967. Héritage ou frustration, L’Harmattan, 1997.)) furent réalisés. En effet, la crise de Fachoda, en 1898, qui met le Soudan sous la coupe de l’Empire britannique, oblige la France à revoir ses ambitions. Le projet Dakar-Djibouti laisse la place au projet Dakar- Niger. Démarré en 1898((Hélène Gully, « La bataille du rail africain », in Libération, 28 janv. 2016.)), le projet s’arrête à Bamako en 1924 sans atteindre le Niger. Un projet similaire est lancé entre Abidjan (1904)5 et le Niger mais termine sa course au Burkina Faso en 1954 sans atteindre le Niger. En Afrique du Nord, un décret du 11 juillet 1860((Georges Pilot, Ouvrages du génie civil français dans le monde. Lignes de chemin de fer, Ingénieurs et scientifiques de France, nov. 2012 (en ligne : www.iesf.fr).)) accorde à la Compagnie des chemins de fer algériens la concession des lignes d’Alger à Blida, d’Oran à Saint-Denis-du-Sig et de Constantine à la mer. La section d’Alger à Blida, inaugurée le 8 septembre 1862, est la première ligne de chemin de fer de la France d’outre-mer. Le chemin de fer marocain est l’un des plus modernes de l’Afrique francophone. Commencé par des objectifs militaires pendant la guerre espagnole contre le royaume, le réseau n’a commencé véritablement à se développer que sous le protectorat français, avec la première ligne de desserte du chantier du port en 19075 et la ligne de chemin de fer Decauville de 500 mm d’écartement de la Chaouia en 1908. Aujourd’hui, le Maroc possède un réseau d’une longueur de 2210 km, dont 1284 électrifiés à écartement standard. Le réseau constitue une véritable ceinture qui relie les principales villes économiques situées sur le front maritime (Tanger, Casablanca, Rabat, etc.). En 1984, le pays réalise le doublement de voie entre Casablanca et Rabat, ce qui a permis de lancer le Train Navette Rapide entre les deux villes. Puis, en 2018, il s’est doté d’une ligne à grande vitesse (TGV) reliant Tanger à Kenitra (4e ville industrielle du Maroc), dans un premier temps, pour continuer vers Casablanca, Marrakech et Agadir par la suite. Si ce réseau remarquable a permis le développement de l’industrie et du commerce interne, l’absence du prolongement du réseau vers les capitales économiques des autres pays africains limite les échanges à travers le continent.
Le chemin de fer transgabonais((Louis Augustin Aleka, le Rôle d’une infrastructure de base de chemin de fer Transgabonais, Diss, 1978.)) est une des rares infrastructures ferroviaires récentes : achevé en 1987, il relie Libreville à Franceville, traversant en diagonale le territoire gabonais, dont il constitue un axe structurant majeur. Il s’agit d’un chemin de fer à vocation minéralière avec l’écartement des voies au standard de 1435 mm. En 1972, la Banque mondiale refusa de financer une infrastructure au motif que la concurrence sur le marché international du fer, notamment celle du Brésil, ne justifiait pas sa construction. Priver le Gabon d’un chemin de fer, alors que le Cameroun terminait le prolongement du Transcamerounais de Yaoundé à N’Gaoundéré, fut ressenti comme une atteinte au prestige national. Le projet fut sauvé par le pétrole et les recettes inattendues consécutives au « choc pétrolier » de 1973-1974 : le quadruplement des cours du brut se traduisit par un triplement des recettes de l’État, qui se trouva en mesure de se passer de la Banque mondiale. Le tracé du Transgabonais fut réorienté, sous l’impulsion du président de la République gabonaise Omar Bongo, en direction du Haut-Ogooué : en 1987, la liaison Libreville- Franceville était achevée. Il est aussi l’oeuvre du Prince : le président Bongo, natif de Franceville, dota la terre de ses ancêtres du prestigieux chemin de fer.
Le chemin de fer en Afrique date pour l’essentiel, de l’époque coloniale et est relativement peu développé, avec une longueur de lignes en exploitation d’environ 70000 km, soit 7 % du total mondial alors que le continent représente environ 14% de la population mondiale et 22 % de la superficie. Le réseau, souvent à voie unique, construit avec des écartements différents, est en outre très peu interconnecté, constituant souvent des lignes isolées ou des impasses, à l’exception de l’Afrique australe qui représente à elle seule 36 % des lignes exploitées, et de l’Afrique du Nord, relativement bien équipée. Les différentes initiatives en Afrique ont contribué à divers écartements du réseau de chemin de fer allant de 500 mm à 1435 mm, avec des variantes de 1000 mm et de 1067 mm. En Afrique orientale, le transport ferroviaire représente un quart du fret marchandises. Il est utilisé pour le transport de pondéreux et de produits non périssables. Les corridors sont aussi des outils d’intégration régionale et de désenclavement. Par exemple, l’accès aux pays des Grands Lacs s’effectue par deux corridors : dans le corridor nord, via le Kenya, route et rail suivent le même tracé, de Mombasa à Kampala ; dans le corridor sud, qui traverse la Tanzanie, les itinéraires ferroviaires et routiers, moins proches les uns des autres, relient Dar es-Salaam au lac Tanganyika, donnant accès au Burundi et au Sud-Kivu.
Les chemins de fer de la République démocratique du Congo (RDC) ont pratiquement cessé de rouler. Seul le chemin de fer Matadi-Kinshasa participe encore, tant bien que mal, aux activités de transport entre la capitale congolaise et son débouché maritime. Si une reprise de l’activité extractive est en cours, l’exportation ne s’effectue pas par le territoire congolais mais par le réseau de transport routier et ferroviaire de l’Afrique australe (le cobalt prend le chemin de Durban). Quelques rares trains circulent encore, de Lubumbashi vers Kananga ou vers Kindu et Kalémié, prouesses de cheminots qui maintiennent le rail en survie parce que le réseau routier très dégradé ne vaut guère mieux. Le programme de reconstruction décidé par l’État, amorcé par la normalisation politique de 2006, au terme d’une transition douloureuse, impose la reconstruction des infrastructures de liaison, condition de l’effectivité du contrôle territorial et de la relance de l’économie d’échanges. Dans ce vaste chantier, comme dans tous les pays africains, la priorité va à la route plus qu’aux chemins de fer, même si le Programme multisectoriel de reconstruction lancé en 2003 avec l’appui de la Banque mondiale fait mention de projets de modernisation et d’extension du réseau ferré. On mesure là le poids des priorités.
Le transport routier prend le pas sur le ferroviaire.
Le transport ferroviaire de voyageurs est éclipsé chaque année un peu plus. En réalité, ce dernier ne joue encore un rôle notable que dans la desserte d’agglomérations urbaines. Les liaisons interurbaines lui échappent au rythme de l’aménagement des réseaux routiers. Dans tous les pays disposant d’un réseau routier performant, l’évolution va dans le même sens. En Afrique australe, malgré la relative densité du réseau ferroviaire, les déplacements de personnes s’effectuent essentiellement par la route. Partout les services d’autocars relayent le train. La fréquentation des gares routières tranche avec la fermeture des gares ferroviaires.
L’achèvement en cours du bitumage sur l’axe Dakar-Bamako, réduit à la portion congrue le transport voyageurs par chemin de fer et contraint à réévaluer son utilité. Sur la liaison Yaoundé-Douala, une société de transport routier propose des départs toutes les heures de 5 à 19 heures, en cars climatisés munis de ceintures de sécurité pour les passagers. Avec ses deux liaisons quotidiennes aux horaires incertains, le train ne fait plus recette. Il a pu résister à la concurrence aussi longtemps que la route était non bitumée. Le Transcamerounais conserve en revanche tout son intérêt comme voie de désenclavement du Tchad et de la RCA : à partir de Ngaoundéré, la route prend le relais vers N’Djamena et Bangui, la conteneurisation facilitant le transport multimodal le long de la chaîne port-rail-route. En Côte d’Ivoire, comme au Cameroun, les véhicules et cars climatisés rapides remplacent les wagons lents et insalubres. Les difficultés de l’ancienne Régie des chemins de fer Abidjan-Niger (RAN) ont conduit en 1989 à son éclatement en deux sociétés, l’une appartenant à la Côte d’Ivoire, l’autre au Burkina Faso, puis à une privatisation de l’ensemble du réseau, entrée en vigueur en 1995 après la création de la Société internationale de transport africain par rail (Sitarail). Chacun des deux États détient 15 % des parts, la majorité appartenant à des intérêts privés européens. Au Cameroun, la privatisation, qui s’est traduite par la substitution en 1999 de la Cameroon Railways Company (Camrail) à la Regiefercam mise en place en 1960, s’est accompagnée de la fermeture des petites gares jugées « non utiles » pour concentrer les efforts d’assainissement sur le Transcamerounais. En conclusion de ce bref tour d’horizon, il apparaît clairement que la fonction de desserte des territoires qui fut une des raisons d’être de la création de lignes de chemin de fer est aujourd’hui battue en brèche par le transport routier, du moins dans le contexte technologique du passé. Le train ne conserve quelque avantage que pour le transport de marchandises, comme on peut le constater dans les corridors de développement. En réalité, seule l’Afrique du Sud possède un véritable réseau sous-régional dense et opérationnel, qui se prolonge par des appendices pénétrant l’ensemble de l’Afrique australe (Zimbabwe, Zambie, Katanga, Mozambique, Namibie). C’est aussi le pays le plus industrialisé d’Afrique.
L’intérêt du chemin de fer réside essentiellement dans son rôle irremplaçable pour le transport de produits miniers, y compris en Afrique du Sud, où les minerais et le charbon représentent plus de 90 % du fret marchandises. Les grands projets actuels sont tous liés à la croissance de l’économie minière : extension du Transgabonais; construction d’un Transguinéen destiné à l’exploitation du fer des monts Nimba et de Simandou en Guinée ; réhabilitation du chemin de fer de Beira au Mozambique, préalable à l’extraction du charbon des mines de Moatize; réhabilitation du chemin de fer de Benguela pour relancer l’économie katangaise ; projet de mise en valeur du fer de la Falémé au Sénégal nécessitant la construction d’un chemin de fer vers un port atlantique, etc. Tous ces projets confirment la place dévolue à l’Afrique dans la mondialisation : fournir des matières premières aux pays du Nord et aux pays émergents. Ils renforcent l’extraversion macro - économique du continent qui exporte la plus-value hors du continent, par conséquent leur impact sur la création d’emplois modernes pour les jeunes diplômés reste limité et pousse à l’émigration. Le transport des passagers dépend désormais de la route, le chemin de fer pouvant au mieux constituer un appoint là où il n’y a pas de bonne route, par exemple dans la traversée du Mayombe, où le Congo-Océan permet aux paysans d’expédier leurs bananes vers Pointe-Noire et Brazzaville. Au train colonial, qui joua dans le passé un rôle considérable dans la structuration des territoires, s’est substitué le train de l’économie mondialisée, élargissement de la dissymétrie fondamentale qui régit les relations entre l’Afrique et un Nord désormais grossi des pays émergents. Les voies ferrées minéralières ont assurément de l’avenir. Mais si elles s’intègrent à l’économie-monde, elles ne participent guère à l’industrialisation et à l’intégration africaine et n’ont pas vocation à constituer des réseaux. Dans les grandes agglomérations de plus en plus asphyxiées par le transport routier, le chemin de fer continue pourtant à faire rêver tout comme au début du XXème siècle, à l’exemple des lignes Dakar-Rufisque ou Lagos-Ifaw. L’avenir des autres voies ferrées semble en revanche bien incertain. Les liaisons interurbaines résistent mal à la forte concurrence de la route. L’utopie reste d’actualité ainsi qu’en témoignent le nouveau chemin de fer électrique et aux normes modernes entre Djibouti et Addis-Abeba rénové par la Chine de 2013 à 2016 et l’exemple sud-africain, première puissance industrielle d’Afrique ainsi que les couloirs d’intégration des infrastructures contenus dans l’Agenda 2063 de l’Union africaine (annexe II). Avec cet agenda, le long terme donnera peut-être raison aux utopistes ; dans l’immédiat, toutefois, l’horizon du rail africain reste bouché.
PASSAGE DE L’UTOPIE À LA RÉALITÉ
Ce parcours à l’échelle du continent met en évidence une réalité. Au niveau technologique actuel du chemin de fer en Afrique, le transport de pondéreux reste dominant, mais ce transport sert les pays industriels. L’émergence des pays africains devra passer par l’industrialisation et l’échange entre les pays africains. Le réseau routier est inapproprié pour ces échanges. Le chemin de fer est le plus adapté. Doit-on attendre l’industrialisation de l’Afrique avant de lancer un programme de chemin de fer intégré ou l’inverse ?
De même qu’à l’époque coloniale le chemin de fer a précédé le développement de l’économie coloniale, de même l’industrialisation de l’Afrique, dont la conséquence est l’échange de pondéreux entre les capitales économiques africaines, n’est possible que si le chemin de fer précède le développement industriel. Les villes ayant des ports maritimes sont devenues des zones de groupement des produits marchands du pays ou de quelques pays enclavés. Dans ces villes portuaires se développe donc l’import-export avec l’Occident. On y constate un manque flagrant d’industrie de transformation des produits primaires en produits finis, hormis des zones de développement d’embryons d’industries dont les produits sont destinés au marché intérieur avec une faible possibilité d’expansion sous-régionale, voire continentale. Les villes portuaires restent donc essentiellement des villes d’import-export avec les pays hors du continent.
Le développement industriel intégré et coordonné de l’Afrique passe par le développement d’une ceinture de chemin de fer reliant les différentes villes portuaires. Le développement industriel de ces villes avec ces infrastructures intégrées donnera une impulsion à l’expansion sous-régionale, voire continentale, pour chacune des économies nationales. Au-delà des villes portuaires, un maillage du continent qui prendrait aussi en compte les grandes villes économiques enclavées, basé sur les voies ferrées existantes mais modernisées et intégrées, devra compléter les échanges par transport ferroviaire. Le réseau intégré de chemin de fer est en même temps un couloir de développement de zones industrielles qui s’ouvre sur le marché continental. Le développement des pôles industriels, du réseau de télécommunication et du réseau électrique le long du chemin de fer permettra de disposer de l’expertise, des innovations, des services et de l’énergie nécessaires à l’intégration des économies. Des universités, des écoles et des hôpitaux d’excellence avec des spécificités sectorielles peuvent se développer le long des couloirs de chemin de fer. Tels peuvent être les objectifs stratégiques du chemin de fer au service du développement industriel du continent. En l’absence de ces infrastructures, l’Agenda 2063 et la zone de libre-échange continental, comme le plan d’action de Lagos resteront dans le domaine de l’utopie.
CONCLUSION
L’exemple de l’Afrique australe démontre que l’accélération de l’industrialisation et du libre-échange entre les pays africains passe par l’accélération du développement du chemin de fer. Si les conditions sont réunies au niveau des infrastructures portuaires et aéroportuaires, la distance à parcourir dans le secteur du chemin de fer est énorme. Les pays africains qui ont entamé leur industrialisation, comme l’Afrique du Sud, le Nigeria, le Maroc ou l’Égypte, peuvent assurer un leadership dans la mise en place d’un réseau ferroviaire intégré entre les capitales économiques et administratives. À grande vitesse, le chemin de fer constitue le moyen sécurisé par excellence pour le transport de marchandises et de voyageurs à moindre coût. La mondialisation de la concurrence impose donc un réseau ferré pour avoir une industrie autocentrée compétitive. Le développement des trains rapides élimine le désavantage de la lenteur qui a contribué à marginaliser ce mode de transport. Si le développement industriel de l’Afrique est pour le moment une utopie, elle le sera moins si l’Afrique transforme cette utopie en réalité en construisant son chemin de fer intégré. Le chemin de l’industrialisation au service du développement du continent passe nécessairement par le chemin de fer intégré.
Selon une idée répandue en France et en Europe, la situation économique et sociale africaine s’expliquerait uniquement par la croissance démographique du continent, dans laquelle d’aucuns croient voir une menace migratoire. Or cette croissance a des causes qu’il faut aborder afin de la mettre en perspective, chiffres à l’appui…
*Félix Atchadé est médecin
La démographie africaine, notamment la croissance de sa population, est devenue un sujet éminemment politique en France, et en Europe. En juillet 2017, Emmanuel Macron répondant à une question sur un éventuel plan Marshall pour l’Afrique embrayait, après avoir parlé de « crise civilisationnelle », sur la démographie africaine en affirmant qu’« il ne sert à rien de dépenser des milliards d’euros [dans] des pays qui ont encore 7 à 8 enfants par femme»[1]http://www.liberation.fr/planete/2017/11/28/macron-a-ouagadougou-il-n-y-a-plusde-politique-africaine-de-lafrance_161311 . Quelques mois plus tard, il réitérait son propos à Ouagadougou : « Le nombre d’enfants par femme, ça ne se décrète pas, c’est un choix intime. […] Mais quand une femme a 7, 8, 9 enfants, êtes-vous bien sûr que c’est véritablement son choix? [2]CEA, Profil démographique de l’Afrique, Addis-Abeba, Éthiopie, 2016. » !
Ces discours participent à une campagne idéologique visant à accréditer l’idée que la situation socio-économique qui prévaut en Afrique n’a d’explication qu’en rapport avec sa démographie. Et, plus grave, qu’elle est un danger pour le reste du monde ou, à tout le moins, pour la France et l’Europe. Il s’agit ici de s’interroger sur l’état des lieux et les perspectives qui en découlent. Quelle est la situation démographique en Afrique ? Dans quel contexte socio-économique se fait la croissance démographique? Quelles sont les conséquences de cette croissance démographique ? Qu’en est-il des migrations en Afrique? La France et l’Europe doivent-elles craindre un afflux massif d’immigrés en provenance d’Afrique ? Quelles solutions pour cette croissance démographique rapide ?
CONTEXTE GÉNÉRAL ET HISTORIQUE
Bien que les taux de croissance démographique aient ralenti, la population mondiale continue de s’accroître de 81 millions de personnes chaque année. L’Afrique contribue fortement à ce phénomène. Depuis 2015, l’Afrique subsaharienne compte plus d’un milliard d’habitants, et représente aujourd’hui 12 % de la population mondiale[3]Ibid. . Elle a la croissance démographique la plus rapide du monde (2,5 % sur la période 2010- 2019), une fécondité élevée (5,1 enfants par femme) et une population jeune (43 % de la population est âgée de 0 à 14 ans). Le taux de croissance démographique annuel du continent, qui était de 2,7 % sur la période 1990- 2015, devrait se maintenir à 2,4 % les dix prochaines années.
La population devrait atteindre, selon les divers scénarios de la Division de la population des Nations unies, 1,418 milliard de personnes d’ici à 2030 ; 2,467 milliards de personnes d’ici à 2050 ; 4 milliards en 2100. Les sept pays qui contribuent le plus à cette croissance sont le Nigeria, l’Éthiopie, la République démocratique du Congo, la Tanzanie, le Kenya, l’Ouganda et l’Afrique du Sud. Ces sept pays représentent 61 % de la croissance démographique totale de l’Afrique sur la période 1980-2015. Les historiens s’accordent sur le rôle important des facteurs climatiques et de leurs conséquences (sécheresses, disettes, famines, épidémies) dans le passé et sur les effets tragiques des traites négrières sur les dynamiques démographiques et sociales africaines. De 1700 à 1900, contrairement aux autres régions du monde qui voient doubler ou tripler leur population, celle de l’Afrique noire stagnera ou augmentera légèrement. Son poids dans la population mondiale, croissant depuis l’Antiquité, ne fera que reculer du XVIe siècle à la fin du XIXe. Globalement, la croissance démographique du continent restera lente jusqu’au XXe siècle (de 0,13 % à 0,21 % par an selon les périodes). La période de colonisation intense (1880-1920) fut même encore une phase de ralentissement ou, parfois, de régression démographique brutale dans certaines régions (en raison du travail forcé, des déplacements de populations, de l’importation de maladies, etc.)[4]Ibid. .
Après 1950, l’Afrique subsaharienne se peuple très rapidement et à des rythmes qui vont même croissant de 1950 à 1990 (2 % à 2,8 %), et se stabilise depuis à 2,7 %. Cette croissance est liée au maintien de la fécondité et au recul de la mortalité. D’ici à 2050, cette croissance devrait baisser et se chiffrer à 1,9 %. Selon de nombreux chercheurs, dans son ensemble, l’Afrique subsaharienne est entrée dans le processus global de la transition démographique, avec une baisse préalable de la mortalité dès les années 1950 et 1960, suivie plus récemment d’un début de recul de la natalité, mais seule une minorité de pays suit le modèle classique.
LA FÉCONDITÉ : DES DÉCLINS À DES RYTHMES INÉGAUX
Le taux de fécondité moyen total des régions de l’Afrique a baissé de moitié ces trente dernières années, et cette tendance devrait se poursuivre à l’avenir. Ce taux est actuellement estimé à 4,7 enfants par femme. La vitesse et l’ampleur de cette baisse varient considérablement d’un pays à l’autre. Si certains pays, tels que Maurice, les Seychelles et l’Afrique du Sud affichent des taux bas, d’autres, tels que le Niger, le Mali, la Somalie, le Tchad, l’Angola, la République démocratique du Congo, le Burundi, l’Ouganda, la Gambie et le Nigeria continuent d’enregistrer des taux relativement élevés. La fécondité des femmes africaines est passée, selon les pays, de 6 à 8 enfants dans les années 1960 à 2,6 à 8 aujourd’hui. Dans la grande majorité des pays et des sociétés, le désir d’enfants est toujours puissant et l’image de la famille nombreuse valorisée, même si dans l’ensemble la demande d’enfants recule((Ibid.)). La preuve du changement en cours est que mondes urbains et ruraux sont aujourd’hui bien distincts, et dans l’ensemble on est loin des fécondités voisines entre villes et campagnes que l’on observait dans les années 1970. Dans tous les pays, les fécondités sont sensiblement plus faibles en ville : elles se situent souvent entre 3 et 4 enfants, contre 5 à 6 enfants en milieu rural. Dans les capitales et les grandes villes notamment, la fécondité est nettement plus basse qu’ailleurs, la demande d’enfants moins élevée, le mariage plus tardif, la polygamie moins répandue((Ibid.)).
Le rôle de l’instruction s’affirme partout, comme dans les autres régions du monde. En dehors de quelques rares pays (Niger, Tchad ou Mali), le simple fait d’avoir suivi un enseignement primaire modifie déjà sensiblement les normes et les comportements, mais c’est surtout l’accès au niveau secondaire (ou plus) qui, pour le moment, conduit à une chute brutale de la fécondité (autour de 3 enfants dans de nombreux pays). De même, on note que les différences régionales de fécondité s’accroissent dans les pays, conséquence des inégalités de développement, économique, éducatif ou sanitaire. La fécondité va d’une région à l’autre de 5 à 6,9 enfants par femme au Bénin, de 4,4 à 6,6 au Cameroun et de 3,7 à 5,7 au Kenya. L’Afrique n’est plus dans la situation des années 1970 ou 1980 où, en dehors de quelques rares pays (Maurice, Cap-Vert, Afrique du Sud, Zimbabwe), le recours à la contraception était négligeable, avec des prévalences comprises entre 1 % et 5 % chez les femmes mariées. Depuis, il y a eu des progrès réels, mais dans l’ensemble lents et souvent limités aux grandes villes et aux groupes sociaux les plus instruits ou favorisés.
UNE POPULATION JEUNE ET DE PLUS EN PLUS URBAINE
L’Afrique affiche une structure jeune des âges, avec environ deux cinquièmes d’habitants âgés de 0 à 14 ans, et près d’un cinquième d’habitants (19 %) âgés de 15 à 24 ans. Les enfants âgés de 0 à 14 ans représentaient près de 45 % de la population africaine en 1980. Bien que ce chiffre ait baissé à 41 % en 2015, il a augmenté en valeur absolue pour passer de 213,5 millions en 1980 à 473,7 millions en 2015((Ibid.)). La population en âge de travailler et active (âgée de 25 à 64 ans) a augmenté plus rapidement que tout autre groupe d’âge, passant de 123,7 millions de personnes (33,3 %) en 1980 à 425,7 millions de personnes (36,2 %) en 2015((Ibid.)). La population âgée (de 65 ans et plus) s’est également accrue, passant de près de 15 millions en 1980 à plus de 40 millions en 2015. Si ce groupe d’âge est le moins nombreux de la population totale (3,1 % en 1980 et 3,5 % en 2015), il devrait atteindre toutefois 6 % d’ici à 2050((Ibid.)). La population urbaine est actuellement estimée à 40 %, contre seulement 27 % en 1980. Malgré la rapidité de cette urbanisation, qui est la plus forte parmi toutes les régions du monde, l’Afrique reste le continent le moins urbanisé de la planète. La population urbaine africaine devrait augmenter de 867 millions d’habitants dans les trente-cinq prochaines années. L’Afrique sera majoritairement urbaine d’ici à 2050, avec près de 56 % de personnes vivant en zone urbaine.
L’AFRIQUE ET LES MIGRATIONS INTERNATIONALES
L’Afrique subsaharienne occupe aujourd’hui une place dominante dans les discours politiques et médiatiques portant sur l’immigration en Europe. Les images de migrants tentant de traverser les barrières qui séparent le Maroc des enclaves espagnoles de Ceuta et de Melilla, les arrivées d’embarcations vétustes dans l’île italienne de Lampedusa ont frappé les esprits. Et depuis les mesures politiques, policières et diplomatiques se sont succédé en France et en Europe pour cibler les priorités d’action sur l’Afrique et la Méditerranée. L’Afrique subsaharienne est vue comme un réservoir massif et problématique de migrants, à l’égard duquel les Européens devraient avoir des politiques de contrôle de frontière. En 2017 vivaient en dehors de leur pays d’origine 258 millions d’individus, soit une nette hausse par rapport à 1990, où ils étaient 153 millions((ONU, « Population Division (2015). Trends in International Migrant Stock: The 2017 Revision », déc. 2017 (https://esa.un.org/unmigration/. Consulté le 9 mai 2018).)). En proportion de la population mondiale, selon les statistiques de l’OCDE, en un siècle la part des migrants est passée de 5 % à 3 %. L’Afrique compte pour 10 % dans les migrations internationales (35 % pour l’Europe et 25 % pour l’Asie). En Afrique, les migrations s’effectuent avant tout dans l’espace régional. En 2015, par exemple, 52 % des migrants africains se trouvaient en Afrique, l’Europe n’en recevant que 27 %. L’Afrique n’accueille que 8,5 % des migrants du monde, loin derrière l’Europe (31,15 %), l’Asie (30,75 %) et l’Amérique du Nord (22,1 %). Au total, 34 millions d’Africains sont en situation de migration internationale, contre 104 millions d’Asiatiques, 62 millions d’Européens et 37 millions de Latino-Américains((Vincent Adoumié et Jean-Michel Escarras, les Mobilités dans le monde, Hachette Supérieur, 2017, chap. 3, p. 52))
Les deux principales destinations des migrations africaines sont la Côte d’Ivoire en Afrique de l’Ouest, et l’Afrique du Sud en Afrique australe. Les gros flux de migrants partent du Mali, de la Guinée et du Burkina en Afrique de l’Ouest ; du Mozambique, de l’Angola, du Zimbabwe et du Lesotho en Afrique australe. D’autres pays sont autant des pays d’émigration que d’immigration (Sénégal, Nigeria, Ghana). Les principaux corridors migratoires sont ceux qui relient le Burkina à la Côte d’Ivoire ; le Zimbabwe et le Lesotho à l’Afrique du Sud; le Kenya, l’Ouganda, l’Érythrée et le Soudan à l’Afrique du Sud((Alain Antil et al., « Migrations : logiques africaines », in Politique étrangère, 2016/1 (printemps), p. 11-23.)). Le discours sur l’immigration escamote l’économie politique des migrations internationales de ces dernières décennies. Les personnes qui tentent d’émigrer ne sont pas des migrants appauvris et privés de tout, issus de la pression démographique. Ce sont des gens qui peuvent profiter des perspectives d’emploi offertes par les pays riches. L’explication des poussées migratoires accrues de ces dernières années doit plus à la mondialisation capitaliste qu’à la simple croissance démographique((Amartya Sen et Jean-Christophe Valtat, « Il n’y a pas de bombe démographique », in Esprit, no 216, 1995, p. 118-147.)).
CONCLUSION
La croissance démographique est devenue un sujet de prédilection de l’analyse des problèmes de l’Afrique. Elle ne doit pas pour autant apparaître comme le facteur privilégié ni, à plus forte raison, l’unique explication. Cette croissance démographique dans les pays où elle est la plus rapide, comme certains pays du Sahel, est en rapport avec une forte fécondité. Les niveaux élevés de fécondité qui y sont observés sont en rapport avec la situation socio-économique de ces pays. La Conférence internationale du Caire sur la population et le développement, en 1994, avait montré que l’accès à l’éducation, à la santé, au développement, singulièrement pour les femmes, amenait à une baisse du taux de fécondité. Le progrès social et plus particulièrement l’amélioration de la santé génésique et le respect des droits des femmes sont le meilleur moyen pour réduire la fécondité, et partant pour amorcer le ralentissement de la croissance démographique. Que l’on permette aux pays africains de mettre en oeuvre des choix endogènes de développement, créateurs d’emploi, valorisant les richesses du sol et du sous-sol au profit des populations, avec de larges programmes sociaux et un retour des services publics, et l’on verra automatiquement baisser le taux de fécondité. Voilà la réalité qu’il faut opposer au retour des discours dominants.
Salah Hammouri et Elsa Lefort à Lifta, un village palestinien près de Jérusalem qui a été dépeuplé par les forces sionistes en 1948. (Photo fournie par Salah Hammouri)
Je risque actuellement d’être expulsé par Israël de ma ville natale, Jérusalem, où je suis né d’un père palestinien de Jérusalem et d’une mère française et où j’ai vécu toute ma vie.
Mon épouse, Elsa Lefort, est citoyenne française. Elle a été expulsée par Israël en 2016 alors que nous attendions notre premier enfant. Depuis quatre ans, je suis séparé de ma femme et de mon fils.
Nos vies ont été complètement bouleversées par la politique d’Israël et par les fausses accusations et la diffamation continue visant à discréditer ma réputation et mon travail de défenseur des droits de l’homme.
Les autorités israéliennes ont récemment intensifié leurs attaques contre moi. Le 3 septembre, j’ai été informé que le ministre de l’Intérieur israélien avait l’intention de révoquer mon statut de résident permanent de Jérusalem, en affirmant que j’aurais « manqué de loyauté » envers l’État d’Israël.
Israël jette le poids de l’occupation sur moi, comme il l’a fait avec d’innombrables autres Palestiniens. Et ce n’est pas la première fois.
Lorsque j’avais 16 ans, j’ai été arrêté et détenu pendant cinq mois en raison de ma participation à des activités étudiantes pendant la deuxième intifada. En 2004, j’ai été arrêté à nouveau et j’ai passé cinq mois de plus en détention sans accusation ni procès.
En 2005, j’ai été emprisonné pour avoir prétendument planifié une attaque contre Ovadia Yosef, le défunt parrain spirituel et fondateur du parti ultra-orthodoxe Shas.
J’ai nié les accusations portées contre moi et j’ai purgé la plus grande partie d’une peine de sept ans. J’ai été libéré en 2011 dans le cadre d’un accord d’échange de prisonniers.
Le ministre israélien de l’intérieur, Aryeh Deri, est l’actuel chef du parti Shas.
Transfert de population
Après avoir fait l’expérience de l’oppression et de la brutalité de l’occupation israélienne à un jeune âge, j’ai décidé de devenir un défenseur des droits de l’homme passionné.
Pour tenter de reprendre le contrôle de ma vie après plusieurs années de prison, je me suis inscrit à l’université, j’ai obtenu mon diplôme de droit et je me suis immédiatement inscrit à un programme de droits de l’homme pour ma maîtrise. C’est à cette époque que j’ai rencontré Elsa.
En 2015, Elsa et moi avons décidé de nous rendre en France pour rendre visite à sa famille avant la naissance de notre fils. Au retour d’Elsa, le 5 janvier 2016, elle a été détenue à l’aéroport Ben Gourion pendant deux jours et s’est vue finalement refuser l’entrée.
Elsa avait un visa d’un an qu’elle avait reçu dans le cadre de son travail au consulat français de Jérusalem, et était alors enceinte de sept mois. Malgré cela, elle a été détenue seule à l’aéroport, s’est vu refuser tout contact avec quiconque, n’a reçu aucune assistance médicale et a ensuite été renvoyée en France.
L’objectif d’Israël était de refuser à notre fils le droit de naître à Jérusalem et d’obtenir le statut de résident de Jérusalem.
L’expérience de ma famille n’est pas unique et mon cas n’est qu’un exemple de la pratique systématique d’Israël en matière de transfert de population et de manipulation démographique en Palestine, en particulier à Jérusalem.
Depuis 2018, suite aux amendements apportés à la loi sur l’entrée en Israël, le ministre de l’Intérieur israélien est habilité à révoquer la résidence des Palestiniens à Jérusalem pour « manquement à la loyauté envers Israël ».
Le concept même est ridicule. Comment peut-on attendre d’une population brutalement soumise et colonisée qu’elle prête serment de loyauté à son occupant ?
L’amendement et une série d’autres politiques israéliennes sont contraires au droit humanitaire international et visent à accélérer le retrait des Palestiniens de Jérusalem.
Israël a employé diverses stratégies pour imposer un ratio de 30:70 de Palestiniens par rapport aux Juifs israéliens dans la ville. Depuis 1967, il a révoqué la résidence de plus de 14 500 Palestiniens de Jérusalem, et des milliers d’autres font face à des défis quotidiens pour maintenir leur résidence et leur existence dans la ville.
Inaction
Il y a eu quelques dénonciations internationales de la politique israélienne de révocation de la résidence sur la base d’une « violation de la loyauté », y compris mon cas.
La France a répondu à l’annonce d’Israël qu’il allait révoquer ma résidence en déclarant que je « devrais pouvoir mener une vie normale à Jérusalem » avec ma femme et mon fils.
Israël a déjà révoqué de manière punitive le droit de résidence de plus de 13 Palestiniens de Jérusalem. Parmi eux, trois membres élus du Conseil législatif palestinien et l’ancien ministre de l’Autorité palestinienne chargé des affaires de Jérusalem.
La liste continuera de s’allonger à moins que la condamnation internationale ne s’accompagne d’une action face aux violations permanentes des droits des Palestiniens par Israël.
Un accord signé entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie met un terme au conflit qui avait repris depuis le 27 septembre. Négocié sous la médiation de la Russie, ce compromis acte la victoire militaire de Bakou, qui reprend le contrôle sur une partie du Karabakh. Moscou déploie 2 000 soldats de maintien de la paix.
À l’issue de six semaines de rudes combats entre les forces arméniennes et azerbaïdjanaises au Haut-Karabakh, un accord de cessez-le-feu a été conclu, lundi soir, sous la médiation de la Russie. Ces négociations sont intervenues devant l’avancée décisive de l’Azerbaïdjan sur le terrain. Ces dernières semaines, Bakou a infligé plusieurs défaites aux Arméniens de la république autoproclamée de l’Artsakh (nom d’une ancienne province du royaume d’Arménie) dans le sud autour d’Hadrout et plus au nord avec la prise, ces dernières heures, de Chouchi. La ville forteresse, érigée sur les hauteurs des massifs caucasiens s’avère un point stratégique. Elle est située à une dizaine de kilomètres en amont de la capitale Stepanakert et domine le corridor de Latchin. Chouchi apparaît comme un véritable verrou avec le passage de la seule route d’accès qui relie l’Arménie au Karabakh, en partant notamment de Goris.
Le président de l’Artsakh, Arayik Harutyunyan a expliqué avoir été obligé de « capituler » pour aboutir à ce cessez-le-feu. Après la perte de Chouchi, le 9 novembre, « les combats se rapprochaient de Stepanakert. Au rythme de l’avancée militaire (des Azéris - NDLR), nous aurions perdu l’ensemble de l’Artsakh en quelques jours et subi de lourdes pertes ». Mais il a tenu à saluer « nos forces armées qui ont pu résister pendant 43 jours » malgré les nombreuses maladies (coronavirus, dysenterie) et blessés, et critiqué la responsabilité de ces prédécesseurs dans cette défaite.
Plusieurs témoignages évoquent un bilan qui s’approchait des 4 000 morts au total. Ce compromis met donc un terme à un conflit extrêmement meurtrier qui avait repris après l’offensive lancée par Bakou, le 27 septembre. Les neuf points de l’accord et sa signature entre le président azéri Ilham Aliev et le premier ministre arménien Nikol Pachinian ont été révélés par le président russe, Vladimir Poutine qui réaffirme son rôle de médiateur, évinçant les autres acteurs : l’Europe et les États-Unis.
Ce quatrième cessez-le-feu, entré en vigueur ce 10 novembre, est-il le bon ? Pour de nombreux de diplomates, deux aspects marquent une très nette différence vis-à-vis des précédents. Ce texte acte la victoire militaire de l’Azerbaïdjan et la présence des forces de maintien de la paix russes. Pour Dmitri Trenin, membre du Conseil russe des affaires internationales (Riac), « ce compromis permet d’arrêter la guerre et les tueries. Mais il ne s’agit pas encore d’un véritable accord de paix. La route pour y aboutir sera encore longue et difficile. L’Arménie aura du mal à accepter la défaite. Un nouvel équilibre se dessine dans la région. La Russie s’est révélée indispensable, mais a dû accepter la place prise par la Turquie alors que l’importance de l’Occident a considérablement chuté ».
Les divers termes de l’accord offrent à la Russie de se maintenir en position de force dans son « pré carré » que demeure le Caucase du sud. Globalement, Poutine, obtient de revenir militairement dans cette zone et ce pour une longue période. L’accord établit en effet que « des troupes de maintien de la paix de la Fédération de Russie seront déployées le long de la ligne de contact dans le Haut-Karabakh et le long du couloir de Latchin », et que ces soldats russes « y resteront pendant une période de 5 ans, et une prolongation automatique de 5 années supplémentaires, si aucune des Parties ne déclare son intention de mettre fin à l’application de cette disposition 6 mois avant l’expiration de la première période ».
Poutine finalement apparaît comme le maître des horloges dans ce conflit. « La Russie n’a jamais souhaité mener une guerre au Haut-Karabakh pour compenser les propres faux pas d’Erevan (aux yeux de Moscou). La Russie avait aussi ses propres raisons de maintenir de bons liens avec l’Azerbaïdjan. Elle ne souhaitait pas non plus ruiner sa relation très compliquée avec la Turquie qui compte énormément dans son jeu diplomatique au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. Néanmoins, Ankara n’obtient pas de rôle formel », analyse Alexander Gabuev, du centre Carnegie.
Pour Bakou, cet accord qui marque sa victoire militaire (avec le soutien de la Turquie et des armements israéliens) constitue une revanche après les concessions territoriales subies par les Azéris, au terme de la première guerre 1991-1994. Le président Aliev, s’est d’ailleurs félicité d’une « capitulation » de l’Arménie. « Nous avons forcé [le premier ministre arménien] à signer le document, cela revient à une capitulation », a-t-il déclaré à la télévision. De son côté, la Turquie a salué les « gains importants » de l’Azerbaïdjan au Haut-Karabakh. Le président français, Emmanuel Macron a demandé de travailler à un « règlement politique durable » qui « préserve les intérêts de l’Arménie » et réclamé « fermement à la Turquie de mettre fin à ses provocations » dans ce conflit.
Avant l’annonce de l’accord dans la nuit de lundi à mardi, la journée avait été marquée aussi par un hélicoptère Mi-24 de l’armée russe abattu par erreur par l’Azerbaïdjan au-dessus de l’Arménie. La partie azerbaïdjanaise s’est excusée pour « cet incident tragique ». Arnaud Dubien, directeur de l’Observatoire franco-russe, souligne que « n’ayant pu préserver le statu quo en vigueur depuis 1994, la Russie se sort très bien de la crise du Karabakh — à court terme en tout cas » mais que « l’instabilité à Erevan et la montée en puissance de Bakou seront des dossiers à gérer ». À ses yeux, cette crise va conduire au « renforcement probable du dialogue avec Téhéran », pays frontalier.
Une crise politique s’ouvre en Arménie depuis la signature de cet accord. Dans la capitale, la situation est particulièrement tendue. Des milliers de personnes ont manifesté leur colère, encerclant les abords du siège du gouvernement à Erevan et qualifiant de « traître » le premier ministre. 17 partis, dont celui de l’ancien premier ministre Serge Sarkissian, chassé du pouvoir en 2018 par Nikol Pachinian avec l’aide de la rue, ont exigé sa démission. Des centaines de protestataires ont pénétré dans les locaux et ont pris d’assaut également le siège du Parlement. Mardi matin, la police avait repris les deux bâtiments.
Concédant la défaite, le premier ministre arménien, Nikol Pachinian, a justifié sa position. « J’ai signé une déclaration avec les présidents de Russie et d’Azerbaïdjan sur la fin de la guerre au Karabakh », a-t-il déclaré, qualifiant cette initiative d’« incroyablement douloureuse pour moi et pour notre peuple ». Face à cette instabilité, le président Armen Sarkissian a proposé d’entamer des « consultations politiques pour trouver dès que possible une solution protégeant les intérêts nationaux » et « former en urgence » un gouvernement d’union nationale. Selon Arnaud Dubien, « le chef de l’état-major arménien Onik Gasparian, qui a rencontré ce matin des partis d’opposition, est vu à Moscou comme un successeur potentiel de Pachinian ». Pour éviter de se mettre à dos l’Arménie et sa population, Moscou devrait remettre rapidement à niveau l’armée arménienne et renforcer ses partenariats avec son allié.
L’une des principales difficultés du continent pour financer son développement est le manque des ressources fiscales. Des faibles ressources des populations à la situation privilégiée des multinationales, en passant par le rôle de l’économie informelle, l’auteur explique cette situation et aborde des propositions pour la surmonter.
*Justin Katinan Koné est administrateur des services financiers, haut cadre de la DGI et ancien ministre du Budget de la Côte d’Ivoire.
Avec une moyenne de 15 % du PIB, contre 23 % pour les pays de l’OCDE, l’Afrique subsaharienne est la partie du monde qui mobilise le moins les ressources fiscales pour construire son développement. Ce phénomène constitue l’un des plus gros obstacles qui se dressent sur le chemin du développement du continent noir. En effet, ses conséquences sur les masses populaires sont énormes et il urge que des réponses sérieuses, voire radicales, y soient apportées.
Lorsque l’on aborde la question de la faiblesse des ressources internes des pays africains, tous les index se tournent vers l’Afrique elle-même. Ce faisant, les accusateurs ignorent ou feignent d’ignorer qu’ils sont tout aussi responsables de cette situation. D’apparence simple, la faiblesse de l’impôt en Afrique recouvre une réalité bien plus complexe qui regroupe héritage colonial mal soldé, mise en œuvre standardisée de modèles totalement inadaptés, politiques et normes fiscales imposées, désarticulation des économies et manque de leadership concerté au niveau continental. C’est donc en reprenant en compte toutes ces causes, endogènes et exogènes, que l’on peut comprendre la faible reconversion de la richesse nationale des pays d’Afrique subsaharienne en recettes fiscales.
FAIBLE VALEUR AJOUTÉE
L’économie africaine, à l’instar de toutes les économies reposant sur l’exportation de matières premières, génère une très faible valeur ajoutée. Or celle-ci constitue directement ou indirectement l’assiette de plusieurs prélèvements dans tous les systèmes fiscaux modernes. En effet, la valeur ajoutée constitue l’assiette de la TVA. C’est d’elle que découle le bénéfice taxable en fin d’exercice fiscal. C’est également elle qui permet la distribution de salaires, lesquels constituent également l’assiette de plusieurs prélèvements fiscaux et parafiscaux. Plus la valeur ajoutée est élevée, plus substantiels sont les prélèvements fiscaux. Or, dans ce qui semble être la division du travail à l’échelle mondiale entre les pays fournisseurs de matières premières et les pays industrialisés, l’essentiel de la valeur ajoutée de l’économie mondiale se concentre entre les mains de ces derniers. À titre d’exemple, l’on estime à plus de 6000 les industries qui dérivent du pétrole et à plus de 1000 celles qui dérivent du cacao, or très peu de ces industries sont installées en Afrique. La faiblesse des salaires est révélatrice de l’étroitesse de l’assiette fiscale dans les pays sous-industrialisés. Non seulement le salaire en lui-même ne peut supporter un impôt important, mais en outre le salarié est exclu de la consommation. Cette dernière, très faible, est, à son tour, incapable de porter l’économie et de générer des recettes importantes.
IMPORTANCE DE L’ÉCONOMIE INFORMELLE
Autre raison explicative de la faible mobilisation des ressources fiscales en Afrique, qui entretient un lien de cause à effet avec la première, est la présence dominante d’une économie de subsistance, dénommée « économie informelle ». Cette notion recouvre plusieurs réalités économiques qui embrassent le petit commerce, l’artisanat et l’agriculture de subsistance. En 2008, l’Institut national de la statistique ivoirien a montré que ce secteur concentrait plus de 76 % des emplois dans la capitale économique, Abidjan, et que plus de 96 % des employés de ce secteur percevaient moins du SMIG, évalué à cette période à 60000 FCFA, soit à peu près 100 €. Pour beaucoup d’administrations fiscales, la fiscalisation effective de ce secteur apparaît comme un défi insurmontable. C’est sa domination dans l’économie qui amenuise les recettes fiscales et augmente la pression fiscale sur les autres secteurs économiques organisés. En effet, le secteur dit « informel » est parfois vu plutôt comme le refuge de personnes qui y font des affaires prospères dans des conditions opaques qui les rendent invisibles au fisc. Cela peut expliquer pourquoi la plus grande économie de la sous-région, le Nigeria, se situe dans le groupe des économies dominées à plus de 60 % par le secteur informel. Comme son nom l’indique, la nature de l’économie informelle reste inconciliable avec les techniques fiscales classiques.
Les États africains ont hérité de l’essentiel des lois et des techniques fiscales des anciennes puissances coloniales. On observe donc une sorte de standardisation des techniques fiscales renforcée, comme dans l’espace UEMOA (Union économique et monétaire ouest-africaine), par une certaine intégration budgétaire copiée sur le modèle européen. Très vite, la loi et les techniques fiscales se sont avérées en décalage sévère avec les réalités économique et sociologique postcoloniales. De nombreuses initiatives ont été prises à partir des années 1990 par certaines administrations fiscales pour pénétrer le secteur informel. Mais aujourd’hui encore toutes les administrations fiscales essaient de trouver une parade plus efficace à la non-fiscalisation de ce secteur. Elles sont même organisées matériellement suivant l’architecture des économies entre les grandes entreprises, les moyennes entreprises et les petites entreprises. Mais toutes ces tentatives ne portent pas de résultats patents parce qu’elles sont mal orientées. Il faut donner une réponse plus profonde au secteur informel avant de songer à sa fiscalisation. La complexité des techniques fiscales ne favorise pas seulement le secteur informel ; elle participe aussi, avec d’autres facteurs, notamment exogènes, à l’affaiblissement de l’action fiscale.
LE RÔLE DES MULTINATIONALES
Les économies de l’Afrique subsaharienne ne se sont pas remises des thérapies de choc prescrites par leurs partenaires au développement après les crises économiques des années 1980. Le système est resté sans pitié pour l’Afrique.
Deux acteurs principaux sont indexés ici : le système de Bretton Woods et les multinationales.
Encore sous les effets ravageurs des programmes d’ajustement structurels (PAS), les économies africaines ont affronté difficilement la nouvelle donne politico-économique de l’après-soviétisme. Agitant comme une sorte de chiffon rouge une menace de détournement des investissements en direction des pays de l’ancienne URSS, le FMI et le monde capitaliste ont conduit les pays africains à adopter des régimes fiscaux très favorables aux multinationales. La politique économique imposée repose alors sur les quatre immuables piliers du système : – la diminution maximale les coûts de production; – l’assouplissement du droit du travail jusqu’à sa déréglementation totale; – la diminution des charges fiscales ; – le libre transfert des bénéfices. L’allégement de la charge fiscale a obligé les États africains à s’investir dans une logique concurrentielle en vue d’imposer le moins possible les entreprises. En Côte d’Ivoire, le taux d’imposition du bénéfice fiscal est passé de 50 % en 1990 à 25 % en 2000. Mais les multinationales ne se contentent pas des avantages fiscaux qui leur sont octroyés. Elles s’adonnent à certaines pratiques, qui du reste prospèrent grâce à la faiblesse technique des administrations fiscales, pour spolier davantage les États africains. L’une de ces pratiques reste le prix de transfert, notion que les experts de l’OCDE définissent comme « les prix auxquels une entreprise transfère des biens corporels, des actifs incorporels ou rend des services à des entreprises associées ». En effet, les multinationales utilisent les liens de connexion qui lient entre elles les entreprises d’un même groupe. Elles se livrent ainsi entre elles les bénéfices consolidés du groupe qui sont acheminés vers les territoires les moins imposés. Le prix de transfert reste une arme que redoutent même les administrations fiscales des pays les plus avancés. Les pays exportateurs de matières premières sont les plus vulnérables puisque les opérations économiques qui s’y réalisent se situent en amont de la chaîne de production des groupes multinationaux.
À côté des prix des transferts qui portent l’évasion fiscale en Afrique, les multinationales ont recours dans bien des cas au chantage sur les dirigeants africains ; c’est ce que l’on peut qualifier d’« avantages fiscaux fusil sur la tempe ». Il y a certaines coïncidences que le hasard ne suffit plus à expliquer. Il est assez curieux que les renversements de Mamadou Tandja au Niger et de François Bozizé en République centrafricaine, respectivement en février 2010 et en mars 2013, soient intervenus quelques jours seulement après qu’ils ont demandé une révision des prix d’achat de l’uranium. Tout aussi curieuse la campagne médiatique lancée en 2001 contre Laurent Gbagbo, fraîchement élu, l’accusant de promouvoir le travail d’enfants dans les champs de cacao (pratique socioculturelle pourtant très vieille qui ne pouvait en aucun cas être attribuée au régime, installé depuis moins de six mois), quelques jours seulement après qu’il a refusé d’annuler un redressement fiscal de 106 milliards de francs CFA (environ 162 millions d’euros) sur la filiale ivoirienne de la multinationale Barry Callebaut, l’un des leaders mondiaux de l’industrie cacaoyère. La fondation Mbeki situe le niveau des transferts illégaux qui partent de l’Afrique entre 60 et 100 milliards de dollars par an. L’ampleur de l’impact de la faiblesse des ressources fiscales sur les économies africaines est telle qu’il urge d’y apporter des solutions sérieuses.
LA QUESTION DE LA DETTE
Toutes les agences économiques internationales commencent à s’inquiéter du niveau actuel de la dette des pays africains, quelques années seulement après la remise substantielle de cette dette dans le cadre du programme PPTE (pays pauvres très endettés). La dette des pays pauvres se caractérise par son insoutenabilité et sa privatisation.
Cumulée, la dette des pays pauvres a augmenté de 5,3 % en 2018 par rapport à son niveau de 2017, elle s’élève à 7 810 milliards de dollars, et son volume a doublé entre 2009 et 2018. Ces réalités cachent mal les indicateurs macroéconomiques du genre croissance économique et rapport dette/PIB. Or la structure du PIB ne permet pas une mobilisation efficace des ressources fiscales capables de soutenir le remboursement de la dette. Contrairement aux pays développés, dont les dettes sont libellées dans leurs propres devises, la dette de la majorité des pays de l’Afrique subsaharienne est portée par les devises étrangères. La moindre fluctuation de celles-ci aura donc des conséquences incalculables sur le sort des populations africaines. Mais l’on ne peut jeter la pierre exclusivement aux pays pauvres.
Le recours à l’endettement est la logique des choix économiques des agences économiques internationales elles-mêmes. La spéculation financière est devenue l’axe majeur de l’économie, au détriment de la production. Tout est entrepris pour comprimer l’économie réelle. Les faibles taux d’intérêt de base incitent à l’endettement. L’accès facile au marché des capitaux étouffe l’économie productive en Afrique. La conséquence immédiate est l’insuffisance des recettes fiscales pour accompagner la lutte contre la pauvreté. La moindre panique du marché financier mondial risque de condamner les pays pauvres. La non-extensibilité de l’assiette fiscale oblige les administrations à surimposer certains secteurs d’activité. Bien que faible, la pression fiscale se trouve aussi mal répartie. Le recours à l’impôt indirect fragilise davantage la population pauvre. Les services téléphoniques et Internet sont plus chers en Afrique subsaharienne que dans la grande partie du reste du monde ; il en va de même pour l’électricité et les autres produits sources d’énergie. La multiplication des taxes sur ces produits, devenus indispensables dans la vie courante actuelle, en renchérit le coût. La structuration des recettes fiscales des pays de l’UEMOA est identique à celle de la France alors que les réalités économiques sont totalement différentes.
La multinationale Barry Callebaut, est l’un des leaders mondiaux de l’industrie cacaoyère.
SOLUTIONS STRUCTURELLES À UN PROBLÈME STRUCTUREL
Les solutions qui ont été jusqu’ici expérimentées pour renforcer les recettes fiscales des pays africains n’ont pas été à la hauteur des espérances des États parce qu’elles sont restées plus techniques que politiques, et plus financières qu’économiques. Or il faut de l’audace pour changer les choses et emprunter un chemin pluridisciplinaire pour résoudre la crise de l’impôt en Afrique.
Sur le plan politique, les politiques fiscales et budgétaires doivent s’inscrire dans une logique intégrationniste qui permette de faire front uni contre les puissantes multinationales. La compétition fiscale entre les États africains les affaiblit davantage devant les multinationales et les injonctions parfois irrationnelles du système financier mondial. En voulant paraître le plus attractifs aux investisseurs étrangers, les pays pauvres d’Afrique ont fini par perdre gros au change. La générosité fiscale n’a pas appelé plus d’investisseurs en Afrique qu’ailleurs. La révision des codes d’investissement doit être une priorité de l’Union africaine.
Au niveau économique, l’Afrique ne peut se permettre pour longtemps encore le luxe de se complaire dans l’activité à très faible valeur ajoutée que constitue l’exportation de matières premières. Il urge donc que les pays africains défendent en front uni un droit à l’industrialisation. Cela passe nécessairement, entre autres, par une nouvelle politique du crédit assise sur un système bancaire qui crée davantage la monnaie pour financer la politique d’industrialisation. C’est pourquoi l’entêtement de la France à contrôler la monnaie des pays africains n’est plus acceptable. Une telle politique ne peut reposer uniquement sur le marché. En effet, le marché n’est pas suffisant à lui seul pour corriger la faiblesse de la structure économique des États africains. Il faut une plus grande implication de l’État. Toujours au niveau économique, il y a nécessité urgente d’élaborer une législation sur le foncier qui rassure à la fois les propriétaires terriens et les exploitants agricoles tout en tenant les terres à l’abri des prétentions des multinationales. De nouveaux types de rapports, fondés sur un droit qui renforce la confiance entre ces deux acteurs économiques, peuvent bien aider à une meilleure fiscalisation du secteur agricole qui fait, il faut le rappeler, le tiers du PIB de certains pays. La vieille législation héritée de la colonisation étouffe la dynamique économique dans le milieu rural. Globalement, il est nécessaire et urgent de redéfinir les fondamentaux de l’économie des pays africains en ancrant celle-ci dans la société africaine.
Sur le plan budgétaire, la Côte d’Ivoire, durant la crise de 2002 à 2010, avait adopté une rigueur qui lui avait permis de gérer au mieux ses ressources internes. Privé d’appuis extérieurs, le pays s’était recentré sur lui-même. La notion de budget sécurisé avait redimensionné les dépenses de l’État proportionnellement aux ressources internes. Les administrations fiscales avaient fait d’énormes réformes, dont continue de bénéficier le gouvernement actuel. C’est bien cette rigueur budgétaire qui avait permis au pays de s’engager dans le programme contraignant du PPTE en 2009 et dont les résultats obtenus en 2012 ont été malheureusement dilapidés en moins de cinq ans. Il faut relever le courage et le patriotisme de Laurent Gbagbo qui, bien que devant aller à des élections difficiles en 2010, avait accepté d’engager le pays dans le programme PPTE (aujourd’hui, ses détracteurs feignent d’ignorer l’ampleur du sacrifice qu’il avait dû consentir). Il est nécessaire de revenir sur un budget en rapport avec la capacité réelle de mobilisation des ressources internes. Le recours à des emprunts pour résorber les déficits budgétaires, y compris au niveau des dépenses courantes de l’État, condamne les pays africains à l’endettement. Beaucoup d’administrations fiscales africaines ont besoin de renforcer leurs capacités. Dans cette optique, les fonds récupérés dans le cadre des procédures de «bien mal acquis » peuvent servir à ouvrir de vraies écoles des impôts dans les pays d’origine de ces fonds. Toujours au niveau de la formation des animateurs des administrations fiscales, la mutualisation des écoles de formation demeure la seule parade des États africains à la faiblesse de leurs moyens. Au niveau international, il convient de créer un tribunal pour connaître des questions financières qui impliquent les multinationales et les États, notamment les États faibles. Les contentieux fiscaux d’un certain niveau doivent pouvoir être déférés à ce tribunal qui doit surveiller le comportement des multinationales dans les pays pauvres. Il ne s’agit pas d’une simple cour d’arbitrage, mais d’une cour dont les délibérations sont exécutoires partout. Cette cour doit aussi trancher les questions liées au surendettement des pays pauvres. Dans la réalité, tous les crimes perpétrés contre les populations africaines sont nourris en amont par des crimes économiques violents, aussi l’Afrique doit-elle porter un tel projet au niveau continental. Un prêteur qui continue de prêter à un débiteur notoirement insolvable est responsable de ses propres turpitudes. Il est donc possible que lui soit opposé un droit de non remboursable au nom des peuples. Le tribunal international pour les crimes financiers doit pouvoir statuer sur ce type de requêtes. Dans la même veine, il urge de fixer un niveau d’endettement au-delà duquel tout emprunt doit être obligatoirement soumis à une délibération du Parlement du demandeur. La dette hypothèque l’avenir de plusieurs personnes dont le plus grand nombre est à naître. Par conséquent, elle doit faire l’objet des débats démocratiques.
Parmi les 20 pays les plus pauvres de la planète, 19 sont en Afrique
Le processus qui a abouti au programme PPTE a été long de plusieurs décennies. Déjà en 1976, les pays non alignés avaient posé le problème de la dette qui tenait en otage le décollage économique des pays pauvres, une dette qui pratiquement leur avait été imposée depuis les crises pétrolières des années 1970. Aujourd’hui, avec la privatisation croissante de cette dette, son annulation devient quasi impossible. La bulle de la dette va forcément éclater, peut-être à une échéance très courte. La pandémie de coronavirus, avec toutes ses implications économiques et financières, pourrait bien accélérer l’éclatement de cette bulle. Le monde se redéfinit toujours après chaque grave crise planétaire. L’intérêt des pays pauvres se trouve dans la relance de l’économie réelle. L’économie financière spéculative fonctionne comme un leurre qui les détourne de la construction d’économie solide. Or, sans celle-ci, la mobilisation de recettes internes pour supporter le développement des pays pauvres restera au stade de simples vœux.
Un grand dirigeant palestinien vient de disparaître. Originaire de Jéricho, il a consacré sa vie à la lutte pour les droits de son peuple. Il était le principal négociateur palestinien. Il a été terrassé par le coronavirus.
Le secrétaire général de l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP), Saëb Erakat, est décédé ce mardi, à l’âge de 65 ans, après avoir contracté le coronavirus. Atteint de fibrose pulmonaire et greffé du poumon, il avait été admis à l’hôpital Hadassah de Jérusalem, le 18 octobre. Une hospitalisation retardée en raison des difficultés mises par les Israéliens pour tout transfert sanitaire, aggravées par l’arrêt de toute coopération en raison de la volonté israélienne d’annexion d’une grande partie de la Cisjordanie. Après être arrivé « dans un état grave », selon l’hôpital, Docteur Saëb, comme on l’appelait, avait été mis sous respirateur et endormi, puis placé sous une machine appelée « Ecmo », qui remplace de facto le cœur et les poumons pour oxygéner et faire circuler le sang dans le corps. Malgré cela, la droite et l’extrême-droite israélienne s’étaient déchaînées, dénonçant l’accueil fait à un « ennemi ».
Sa mort est une « perte immense pour la Palestine et pour notre peuple, et nous en sommes profondément attristés », a réagi à Ramallah le président palestinien Mahmoud Abbas, en « pleurant » la mort de son « ami » et « frère ». Il a ajouté : « À la Palestine manque aujourd’hui un chef patriotique, un grand combattant qui a joué un rôle crucial dans l’élévation du pavillon de la Palestine », en décrétant un deuil national de trois jours. De son côté, le Premier ministre palestinien, Mohammad Shtayyeh, a rendu hommage, via son compte Twitter, à ce « grand combattant et chef national qui a joué un grand rôle en élevant le drapeau de la Palestine et en défendant les droits de notre peuple ».
Le chef du Hamas, Ismaïl Haniyeh, a présenté les « condoléances » du mouvement islamiste. Au Caire, le ministère égyptien des Affaires étrangères a estimé que « la cause palestinienne a (vait) perdu un combattant inébranlable (…) qui a passé sa vie à faire valoir les droits du peuple palestinien par la politique et la diplomatie ».
Saëb Erekat était également le négociateur en chef côté palestinien. À ce titre, il avait participé à de nombreux pourparlers de paix avec Israël. avait récemment critiqué la normalisation des relations entre Israël et des pays arabes, décidée sans paix préalable. Dans une vidéo-rencontre en août dernier avec des journalistes, il avait fustigé cette normalisation qui, disait-il, « mine la possibilité de la paix » israélo-palestinienne. Elle « renforce les extrémistes » chez les Israéliens et les Palestiniens, les premiers pensant ne plus avoir besoin à négocier avec les Palestiniens et les seconds ne plus avoir à attendre quoique ce soit d’Israël, affirmait-il.
« Saëb ne verra pas son peuple libéré de l’occupation mais des générations de Palestiniens se souviendront de lui comme l’un des géants qui a consacré sa vie à l’indépendance », a affirmé mardi sur Twitter Ayman Odeh, chef de la « Liste unie » des partis arabes israéliens. « Vous nous manquerez mon ami », a tweeté l’émissaire de l’ONU pour le Moyen-Orient, Nickolay Mladenov. « Vous êtes resté convaincu qu’Israël et la Palestine pouvaient vivre en paix, n’avez jamais abandonné les négociations et avez défendu fièrement votre peuple », a-t-il salué.
Nous venons d’apprendre le décès de Saeb Erekat, Secrétaire du comité exécutif de l’Organisation de Libération de la Palestine, et adressons à sa famille et à l’OLP nos sincères condoléances. Il manquera à l’OLP et au peuple palestinien. Souvent présenté comme "le négociateur de l’OLP", bien qu’il n’ait pas participé à la négociation des accords d’Oslo, il se trouvait en première ligne pour faire valoir les droits du peuple palestinien dans les enceintes internationales.
Il nous manquera à nous aussi en France. Ses interventions dans les médias français, notamment dans les interviews et débats sur les plateaux de télévision, étaient appréciées pour leur finesse et leur précision : il marquait des points pour la Palestine.
Il savait, avec beaucoup de talent et beaucoup de conviction, exprimer à la fois son indignation devant l’occupation sans fin de la Palestine, son attachement au projet national palestinien et son exigence de l’égalité des droits.
Dans une période où le peuple palestinien voit ses droits particulièrement menacés par l’État d’Israël, nous sommes et restons à ses côtés dans son combat pour ses droits nationaux, pour la liberté et pour l’égalité.
Le Bureau national de l'Association France Palestine Solidarité
10 novembre 2020