En déplacement à Crozon début juillet, Nicolas Sarkozy, fidèle à la désinvolture et à l'agitation de surface sans lendemain qui le caractérisent, a félicité les agriculteurs (et notamment ceux de la FNSEA qui avaient accepté de le rencontrer) de mettre tout en oeuvre pour réduire la production d'algues vertes sur les plages bretonnes et a fait de la valorisation des déjections animales pour produire de l'énergie dans des méthanisateurs la solution miracle pour mettre fin à ce problème.
Décidemment, le méthaniseur aura toutes les vertus autrefois attribuées à la pierre philosophale: transformer en or brut, le biogaz, les boues des stations d'épuration, les viscères et les résidus non exploitables des volailles, bovins, ovins, sortant de l'abattoir, et maintenant le lisier des porcs. « Le plan gouvernemental algues vertes, informait un dossier de Libération le 28 juillet 2011, prévoit d'améliorer la connaissance sur ce phénomène (200000 euros), d'aider à la collecte des algues (700000 euros), de financer trois plateformes de traitement (8 millions d'euros), de soutenir une vingtaine de projets de méthanisation, ainsi que les agriculteurs, afin qu'ils changent leurs pratiques (16 millions d'euros) ».
Le Canard Enchaîné du 3 août 2011 n'a pas de mal à montrer les limites de cette dernière disposition et à ironiser: « Et pourquoi ne pas profiter du gisier de lisier breton pour fabriquer du biogaz? C'est la dernière grande idée de Sarko. Sauf qu'une usine de méthanisation qui tourne aux déjections de cochon produit en sortie plus d'azote et de nitrates que n'en recèle le lisier qu'elle consomme. Explication: tout l'azote et le nitrate se retrouvent dans un déchet liquide, lui-même enrichi par l'azote des végétaux qu'il a fallu ajouter pour augmenter le rendement. Résultat: en méthanisant le lisier, on risque d'augmenter les marées vertes! ».
Si le méthaniseur n'est pas la panacée pour lutter contre la pollution des eaux aux nitrates et des plages aux marées vertes, la seule solution, c'est un plan social résolu pour accompagner une restructuration de l'agriculture bretonne, une réduction de la taille des élevages et un retour à une agriculture moins industrielle, plus paysanne et durable.
Cela ne sera pas facile, si l'on en croit les élements d'information fournis dans l'excellent dossier de deux pages du Monde du samedi 20 août 2011.
En effet, l'hyperproduction est le modèle dominant de l'élevage breton depuis les années 1970 – la Bretagne produit 60% des porcs français (14 millions), 40% des oeufs (300 millions de volailles), 21% du lait (2 millions de bovins) – et cet élevage hors sol est à la base d'une économie plus rentable pour les abattoirs et les industries agro-alimentaires (chiffre d'affaire annuel de 18 milliards d'euros) que pour les agriculteurs bretons (avec « un revenu moyen inférieur à 12000 euros par an, ils sont parmi les agriculteurs les plus pauvres de France et reçoivent chaque année 600 millions d'euros d'aides de l'Union européenne », précise l'article du Monde).
En tant que principale activité capitaliste en bretonne et que gisement d'emploi dans des zones intérieures peu riches, l'industrie agro-alimentaire est un puissant lobby qui a ses entrées au Conseil Régional, comme en témoigne l'attitude d'indignation hypocrite de Jean-Yves Le Drian face à l'affiche que France Nature Environnement avait l'intention de placer dans le métro parisien l'hiver dernier et qui montrait un enfant jouant sur une plage couverte d'algues vertes. Les hommes politiques bretons, qu'ils appartiennent au PS ou à l'UMP, flattent aussi un électorat agriculteur dont ils connaissent les difficultés indéniables et les efforts individuels, largement insuffisants cependant pour régler le problème, pour s'astreindre au respect des normes environnementales européennes, construire des fosses à lisier et limiter l'épandage. Toutefois, on aurait tort de faire trop l'angélisme par rapport au milieu agricole. Il y a de toute évidence bon nombre d'agriculteurs qui refusent de voir la réalité en face et de tenir compte de l'intérêt général et des attentes légitimes de leurs concitoyens (avoir de l'eau potable, sans coûts d'assainissement exorbitants, et non remplie à la hauteur de 30 mg/ litre de nitrates en moyenne alors que la quantité naturelle de nitrates dans l'eau est de 2 ou 3 mg/ litre et que la quantité acceptable pour la santé et la non prolifération des algues vertes serait de 10 mg/l; avoir des côtes, des plages et des eaux de mer propres et non dangereuses; ne pas avoir avoir 70000 tonnes d'ulves d'algues vertes à ramasser par an sur les plages et dans les estuaires au frais du contribuable, pour un coût de 500000 euros par an en Bretagne...). On peut même voir dans la rencontre de foot organisée par la FDSEA recouverte de quelques algues vertes une opération de désinformation et de mauvaise foi prodigieuse absolument incapable de convaincre le public et de faire oublier la mort de deux chiens à St Michel en Grève en 2008, la mort d'un cheval et la syncope de son cavalier en 2009 au même endroit, la mort par arrêt cardiaque d'un employé communal convoyant des algues vertes en région de St Brieuc la même année, et enfin cet été la mort de 36 sangliers dans l'estuaire du Gouessant.
Tous des victimes de l'hydrogène sulfuré, ce gaz toxique dégagé par la putréfaction des tapis d'algues vertes, certes. Mais tous des victimes aussi de l'attentisme, d'années de mensonge et de consentement à l'illusion qui arrange, du monde agricole et politique breton.
Aujourd'hui, il semble que la FNSEA reste inflexible, droite dans ses bottes, refusant d'envisager un changement de ses modèles d'élevage dominants. Elle se justifie au travers d'un argumentaire où la nécessité d'être concurrentiel et de faire des gains de productivité apparaît au premier plan, afin de pouvoir assurer des prix bas au consommateur et de ne pas dépendre exclusivement d'aides publiques. Lisons ainsi dans l'article du monde du 20 août les déclarations très fermes du président de la chambre d'agriculture des Côtes d'Armor, Olivier Allain, qui doit prendre les agriculteurs paysans et bio et leurs partisans comme de doux rêveurs qui nous rameneraient au Moyen Age si on les écoutait plutôt que de faire de notre agriculture un fleuron de notre économie parfaitement adapté à la mondialisation darwinienne: « Soyons clairs, nous ne changerons pas notre façon de produire de la viande parce que, dans le monde entier, les agriculteurs produisent de la même façon. Face à la concurrence, notre seul avenir est de gagner en compétitivité et d'évoluer vers une agriculture écologiquement intensive » ( jugez la beauté de l'oxymore qui rappelle la langue de bois et de plomb des régimes totalitaires)... « Si on passe tous au bio, les prix vont augmenter, et on importera de la viande pas chère d'Inde ou de Chine où il n'y aura plus aucun contrôle sanitaire », ajoute Sébastien Giraudeau, directeur de la FDSEA dans les Côtes-d'Armor.
Pourtant, on peut rétorquer à ce défenseur décomplexé du modèle d'agriculture industrielle ou intensive que l'éleveur paysan ou bio qui parvient à trouver des filières de proximité pour vendre ses produits et à ne pas dépendre pour l'alimentation animale des farines vendues par les multinationales de l'agro-alimentaire et soumises aux oscillations du coût des matières premières ne vit pas plus mal que l'éleveur productiviste, et qu'il est souvent moins endetté. On peut lui répondre aussi que la conversion à l'agriculture productiviste en Bretagne est responsable depuis les années 70 de la division par cinq du nombre d'exploitants agricoles: l'argument de la défense de l'emploi est donc à double tranchant. On peut enfin lui retorquer que dans une stricte logique économique, le bénéfice de l'agriculture productiviste est loin d'être prouvé puisqu'il épuise les sols, exige des dépollutions coûteuses et insuffisantes, produit parfois des maladies prises en charge par la sécurité sociale, tandis que d'un point de vue sanitaire, les français gagneraient à manger moins de produits issus de l'animal (viande, lait, oeufs), mais de meilleure qualité.
Généraliser une agriculture de qualité respectueuse de l'environnement en évitant les spécialisations excessives à des fins d'exportation est possible si l'Union Européenne continue à aider, et de manière plus sélective (en fonction de critères environnementaux et qualitatifs, et sans donner une prime à la taille des surfaces et des exploitations), les agriculteurs tout en les protégeant des importations de produits de qualité moindre à bas prix par un système douanier efficace.
Le combat pour une agriculture et une alimentation de qualité, pour des prix rémunérateurs garantis aux éleveurs grâce à une limitation des surproductions et une lutte contre la spéculation, est un combat de gauche contre le libéralisme et les logiques capitalistes.
Ismaël Dupont.