Jean-Paul Gautier est historien, spécialiste de l’extrême-droite et des droites extrêmes. Il est notamment l’auteur de "La Restauration nationale. Un mouvement royaliste sous la 5ème République", préfacé par Nonna Mayer (2002 Syllepse), de "Les extrêmes-droites en France. De la traversée du désert à l’ascension du Front national (1945-2008) (2009 Sylllepse) et de "La galaxie Dieudonné. Pour en finir avec les impostures" (2011 Syllepse). En 2012, il est l’un des intervenants au colloque organisé par l’Institut CGT d’histoire sociale sur « Le FN, démasqué par l’histoire ».
Dans son dernier article, il revient sur le contexte politique dans lequel l’assassinat du jeune Clément Méric a pu avoir lieu. Il décrit avec la minutie du connaisseur la nature réelle de ces groupuscules d’extrême-droite dont sont issus ceux qui ont tué Clément. Jean-Paul Gautier expose clairement en quoi ces groupes certes très minoritaires restent un constant poison pour la démocratie.
LE FOND DE L’AIR EST BRUN
Ces derniers mois, les groupuscules fascistes sont en effervescence. La brèche ouverte par le discours national sécuritaire à la sauce Patrick Buisson développé pendant les deux campagnes électorales de Nicolas Sarkozy, la politique de dédiabolisation menée par Marine Le Pen et l’opération de nettoyage menée au sein du Front national pour ne pas mettre en péril cette stratégie, l’arrivée de la gauche au pouvoir ont amené une recrudescence de l’activité de groupuscules radicaux à la droite du Front national taxé de trahison.
Les manifestations contre « le Mariage pour tous » ont permis à ces groupes de surfer sur ces mobilisations et d’apparaître, souvent grâce aux médias, en visibilité et à pratiquer leur sport favori : la violence, d’autant plus que l’UMP par certaines de ses prises de position, soufflait sur les braises, espérant en tirer quelques futurs gains électoraux.
Ces groupes ont mené des actions spectaculaires pour occuper le devant de la scène médiatique espérant ramasser la mise. La carte de la respectabilité jouée par Marine Le Pen leur a ouvert un espace dans lequel ils se sont engouffrés. Ils se sont livrés à une surenchère verbale et ont redoublé d’activisme. Le but est d’occuper et de tenir la rue comme leur ancêtre Occident dans les années 60. L’agression et la mort de Clément Méric s’inscrivent donc dans un contexte particulier.
Des villes comme Lyon, Toulouse, Bordeaux sont aussi depuis quelques années le théâtre de ces agressions. La compétition est rude entre ces groupuscules. L’enjeu est de débaucher le plus possible des militants chez le concurrent. (parler d’ultra-violence est un pléonasme, car ils sont par essence ultra violents). « Interdits de séjour » dans le défilé frontiste du 1 mai, ils organisent leur propre cortège, chacun de son côté, lors de la manifestation en l’honneur de Jeanne d’Arc ( comme le 12 mai dernier).
Parmi cette nébuleuse, se détachent quatre principaux protagonistes : le Renouveau français, le Bloc identitaire et Génération identitaire, l’Oeuvre française et les Jeunesses nationalistes et enfin les Jeunesses nationalistes révolutionnaires et Troisième Voie.
Le Renouveau français « mouvement pour la renaissance nationale » a été créé en 2005 et a succédé à la Garde franque, qui s’était illustré au cours d’une attaque contre des sans papiers qui occupaient la basilique de Saint Denis. C’est un mouvement contre révolutionnaire, catholique traditionaliste dirigé par Thibaut de Chassey. Il défend l’instauration d’un État nationaliste social chrétien, basé sur « l’ordre social traditionnel et la civilisation classique ». Il publie une revue nationale et identitaire l’Héritage : « notre identité nationale c’est d’abord notre sang. Le métissage généralisé détruit la diversité ». Lors des manifestations contre le Mariage pour tous, le Renouveau français se retrouve aux côtés des catholiques intégristes de Civitas.
Le Bloc identitaire et sa structure jeune Génération identitaire est né en avril 2003 et est issu d’Unité radicale dissoute après la tentative d’assassinat de Jacques Chirac par Maxime Brunerie. Il est dirigé par Fabrice Robert et Philippe Vardon. Il contrôle une agence de presse sur internet : Novopress. Ces membres peuvent apparaître sous diverses appellations comme le Projet apache. Ils mènent des campagnes anti immigrés et islamophobes, parfois en compagnie de Riposte laïque. Ils ont ainsi participé aux « apéros saucisson ». Ils qualifient le mariage pour tous de « révolution anthropologique ». Ils se spécialisent dans les opérations coup de poing : intervention aux magasins du Printemps à Paris pour dénoncer le rachat de l’entreprise par le Qatar , occupation du siège national du PS et occupation du chantier de la mosquée de Poitiers. Cette dernière action a amené l’arrestation de quatre militants et la création d’un comité de soutien dans lequel figurent Robert Ménard, Jean-Yves Le Gallou et Pierre Sautarelle du site internet F de Souche. Le Bloc identitaire n’a pas rompu les contacts avec le Front national et envisage d’être présent sur certaines de ses listes aux prochaines élections municipales dans la région niçoise avec Philippe Vardon de Nissa Rebella (structure niçoise des Identitaires).
Troisième larron : l’Oeuvre Française et les Jeunesses Nationalistes adeptes de la croix celtique. Avec une répartition des rôles : Yvan Benedetti qui a succédé à Pierre Sidos à la tête de l’organisation adulte et Alexandre Gabriac pour les Jeunesses. Tous deux ont été exclus du Front National pour double appartenance et pour avoir activement soutenu Bruno Gollnisch lors du dernier congrès du FN. Ils siègent toujours au Conseil régional Rhône-Alpes. Ces deux groupes sont nationalistes, antisémites et se réclament de Pétain. Bénedetti appelle ainsi, en référence à Pétain, à « une seconde révolution nationale, car il en va de notre nation et de notre civilisation ». Gabriac et Benedetti sont des adeptes des « ACP » (Actions coups de poings). « Nous sommes passés en Blitzkrieg » , faisant leur la déclaration de José Antonio Primo de Rivera « La Révolution est l’œuvre d’une minorité résolue, inaccessible au découragement ». Gabriac peut apparaître comme « le facho providentiel » comparé à la « modérée » Marine Le Pen. Il est très médiatisé puisqu’une équipe de télé l’a suivi en Italie sur la tombe du Duce, en Grèce où il a des contacts avec l’Aube dorée. Il se déclare « ni plus, ni moins antisémite que Saint Louis » (ce bon roi ne faisait pas que rendre la justice sous son chêne : il prenait aussi des édits obligeant les juifs à porter un signe distinctif, leur interdisant les mariages mixtes et les expulsant). Quant au salut nazi, « c’est un salut olympique ». Gabriac veut « détruire un par un les vices qui empoisonnent notre race » (droits de l’homme et la démocratie). Au Conseil régional Rhône-Alpes, il s’exprime en ces termes : « Vous tentez de nous abattre car vous savez que si vous ne le faites pas en premier, nous nous chargerons de ce système corrompu ». Les Jeunesses nationalistes ont été créées en octobre 2011.
Considérant que le FN « chasse les véritables nationalistes », Gabriac entend regrouper dans sa nouvelle organisation de « nombreux jeunes orphelins d’une structure de jeunesse combattante ». Pour lui, le FN est devenu « un repaire pour tous les gamellards autrefois décriés par Jean-Marie Le Pen ». Il veut « reprendre la France et récupérer le pays ». La devise du mouvement est marquée par le mussolinisme : « Combattre , Vaincre - Un devoir », pour « l’action sans concession ».
Quant à Benedetti, il proclame « les Français doivent être et rester maîtres chez eux et non plus étrangers sur leur propre sol… Un Français naturel ne peut être qu’issu d’une souche européenne, d’une tradition spirituelle et d’une culture intellectuelle commune ». Les deux compères ont appelé le 29 septembre 2012 à « une révolte des souchiens ».
Gabriac considère que le décès de Clément Méric est à ranger dans la catégorie d’un « malheureux fait divers ». Et faisant preuve d’un kolossal humour, il enfonce le clou : « un TGV vient d’écraser un voyageur qui traversait les voies , il faut dissoudre la SNCF ». En lien avec les néonazis grecs de l’Aube Dorée, un soutien financier est organisé en faveur d’ Esteban Morillo, l’assassin de Clément Méric.
Dans le collimateur du gouvernement , les Jeunesses nationalistes risquent d’être frappées de dissolution. Cela ne semble pas tracasser Gabriac outre mesure. Si l’organisation est interdite « on se réorganise autrement (… ) le nationalisme continue. Même si vous coupiez les branches de l’arbre, vous n’empêcheriez pas la sève de monter ».
Derniers groupuscules notoires de la mouvance fasciste : les Jeunesses Nationalistes Révolutionnaires et Troisième Voie de Serge Ayoub. Sérieux client que ce Serge Ayoub . En 1985, il apparaît avec ses troupes sous la banderole : « les Amis de Klaus Barbie ». En 1987, succédant au mouvement néonazi « Klan », il lance la première version des JNR et amorce un rapprochement avec Troisième Voie de J-G Malliarakis, entente de courte durée (difficile de faire vivre ensemble un théoricien et des Kronenbourg boys). Ayoub (Batskin) prend langue avec le Kop de Boulogne et publie un fanzine « Pour le prix d’une bière ». En 1992-94, on retrouve les JNR assurant avec le GUD de F. Chatillon une partie du SO lors du meeting du FN au Zénith de Paris. Elles servent de troupe d’appoint au FN dans les grandes occasions. Batskin est très médiatique et courtisé par les télés (Ciel mon mardi, Droit de savoir, 52 sur la Une…).
Les années 90 marquent le point fort des agressions et des meurtres commis par les soins : 1995, en marge de la manifestation du FN le 1er mai, B. Bouarram est jeté à la Seine et se noie ; Régis Kerhuel dit Madskin, bras doit de Ayoub à l’époque et Joël Giraud sont arrêtés pour le meurtre d’un jeune mauricien au Havre… La liste est longue. Après la mort de S. Deyzieux (militant d’extrême droite) suite à une manifestation interdite, Ayoub participe au Comité de soutien regroupant le FNJ, le GUD, les JNR (Comité du 9 mai ou C9M) et à la manifestation avec des membres du FN (Le Gallou, Le Hideux…)
Après une éclipse , le milieu des années 2000 marque son retour. Il fonde avec A. Soral un « espace convivial » : Le Local dans le 15ème arrondissement de Paris, lieu de convergence, de débats pour l’ensemble des groupuscules. Il relance les JNR et Troisième Voie. Le rôle des JNR est « de faire de leur corps un rempart contre les attaques ». C’est dans les faits sa garde prétorienne, qui n’obéit qu’au chef Ayoub ( une référence pour tous les fachos), assure la protection de certaines réunions organisées par la revue de R. Hélie : Synthèse nationale et assure le SO de la manifestation Jeanne d’Arc comme le 12 mai dernier. Ayoub tente de s’implanter en milieu ouvrier en lançant un Front syndical patriotique et développe un discours anti capitaliste, anti-gauche, anti-patrons et anti-mondialiste. Il cible
les jeunes des classes les plus défavorisées. Son idéologie s’inspire à la fois des frères Strasser (fondateurs du NSDAP allemand) et des faisceaux de Mussolini. Ayoub a récupéré le slogan de Mussolini : « Croire, Obéir , Combattre » ainsi que la gestuelle du Duce. Contrairement à ses concurrents directs (JN, OF, BI, RF), JNR et TV ont eu une participation très discrète aux Manifs pour tous.
Placées sous les projecteurs à la suite du crime perpétué par Esteban Morillo, ces deux organisations font l’objet d’ une procédure de dissolution. Devançant la décision du gouvernement, Ayoub a annoncé l’auto dissolution de ses deux mouvements.
On peut se poser la question de l’efficacité d’une telle mesure. En 1936 le gouvernement Blum dissolvait les ligues d’extrême-droite qui se sont rapidement reconstituées à l’exemple des Croix de Feu devenues le Parti social français. Plus près de nous, Unité Radicale est devenue le Bloc identitaire. Dissoudre un groupe est à la fois un effet d’annonce en direction de l’opinion publique et veut traduire la volonté du gouvernement. Mais ce type de mesure ne dissout ni les idées, ni les individus qui peuvent se rabattre sur d’autres structures d’accueil.
Ces différents groupuscules sont marqués par un recours systématique à la violence et animés par une haine viscérale de l’Autre. Les rivalités sont fortes entre eux, traduisant une guerre des chefs pour le leadership, un phénomène récurrent à l’extrême droite. Même si les effectifs sont faibles, ils représentent une menace constante contre la démocratie.
J-P Gautier, Historien