Ce matin nous recevions de la part du mouvement de la paix 29 et de notre copine Anne Le Henaff un message d'information et d'alerte sur la position du PS et du Hollande en faveur d'un maintien (et même d'un approfondissement si l'on songe à son soutien à la généralisation des nouveaux missiles M51 en lieu et place des M45) des programmes nucléaires militaires français. La présence de Hollande est prévue à l'île Longue fin janvier: est-ce encore pour se poser dans une posture présidentielle de défenseur d'une armée invulnérable dans un monde plein de dangers? Après les déplacements de Sarkozy aujourd'hui à l'Ecole navale pour présenter ses voeux à l'Armée, et en 2007 à l'île Longue, il semblerait presque que les finistériens n'existent pour ces Messieurs que quand il s'agit de servir de faire-valoir pour montrer ses muscles de chef (actuel ou futur) des Armées et de défenseurs sans faille de son arsenal...
Je me permets de citer ce message avant de présenter a contrario nos analyses et la position collective du Front de Gauche.
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Secret défense
RIEN DE CE QUI EST KAKI, BLEU MARINE OU BLEU CIEL NE NOUS SERA ÉTRANGER
Le plaidoyer de François Hollande pour la dissuasion nucléaire
Le candidat socialiste se prononce fermement pour le maintien des deux composantes.
Dans un texte paru cette semaine dans le Nouvel Observateur (que l'on peut lire ici ), François Hollande se prononce très nettement en faveur de la dissuassion nucléaire, expliquant que "dans un monde désormais
multipolaire et face à une menace multiforme, vouloir la paix ne saurait s’envisager par un désarmement unilatéral. Un responsable politique ne peut ignorer que l’histoire est tragique". " Nous disposons de moyens proportionnés et suffisants, que j’entends maintenir". Concernant la Force océanique stratégique (FOST), le candidat confirme
son approbation de l'acquisition des nouveaux missiles M-51 ( "ses moyens de frappe contribuent à faire de la France un pays respecté") et s'engage au cas où il serait élu : "Nous maintiendrons sa capacité et sa crédibilité".
Plus inattendu, son plaidoyer en faveur de la deuxième composante - aéroportée : "Visible et donc démonstrative en cas de crise majeure, cette deuxième composante nous permet d’éviter toute montée mécanique vers les solutions les plus extrêmes, parce qu’elle est réversible."
Cette question de la deuxième composante a fait l'objet de discussions au sein du PS où quelques experts envisageaient son abandon - sans doute pour faire plaisir aux écologistes et à la gauche radicale, comme aux Allemands... Ou pour faire des économies ? François Hollande rappelle à juste titre que "La France a fini de payer les investissements nécessaires à cette capacité". Il n'y a pas qu'à gauche que la question de la composante aéroportée : au sein de l'UMP des personnalités s'interrogent également.
Le texte de François Hollande est un recadrage après l'affaire de l'accord Verts-PS. Il prend d'ailleurs soin de préciser qu'il "n'entend pas renoncer au droit de veto au Conseil de sécurité des
Nations Unies". Il s'inscrit toutefois dans la continuitié du PS qui, depuis la fin des années 70 (grâce à Charles Hernu) a toujours été partisan de la dissuasion nucléaire. Comme nous le racontions sur ce blog, dès l'été dernier, le PS (sous la responsabilité de Martine Aubry) a fait savoir à Europe Ecologie Les Verts qu'il était hors de question de discuter du nucléaire militaire. Une position alors exprimée au nom de son parti par François Lamy, l'un des meilleurs
spécialistes de la Défense du PS.
Comme cela avait été le cas en 2007, entre les candidats Sarkozy et Royal, les questions de défense - et notamment la dissuasion nucléaire - sont ainsi "sanctuarisées" dès le debut de campagne. En la matière, le candidat socialiste approuve la politique conduite ces dernières années et il s'engage à la poursuivre.
De notre point de vue, l'idée que la possession d'armes nucléaires est une garantie de paix, qu'elle joue un rôle de dissuasion contre d'éventuelles agressions, n'est pas fondée. En effet, les Etats dotés de l'arme atomique sont une menace pour les autres. Ceux-ci seront donc tentés de se doter aussi de l'arme nucléaire pour équilibrer leurs rapports avec ces puissances pourvues d'armes de destruction massive qui sont aussi des outils de chantage. Le secrétaire général de l'ONU, M. Ban Ki-Moon, déclarait ainsi avec un humour désenchanté en octobre 2008:"Malheureusement la doctrine de la dissuasion s'est révélée contagieuse". (cité par Pierre Villard dans Pour en finir avec l'arme nucléaire). Or, de quel droit alors même que l'on s'engage toujours plus à fond dans le renouvellement d'un équipement nucléaire militaire toujours plus efficace et meurtier et alors que l'on refuse l'idée d'un désarmement exemplaire en repoussant aux calendes grecques l'impératif d'un désarmement multilatéral va t-on dans le même temps condamner ces Etats supposés dangereux par nature (l'Iran, la Corée du Nord) qui ne pourraient se doter de l'arme atomique qu'en menaçant sérieusement la paix mondiale? Comment défendre la non-prolifération sans s'engager soi-même dans le désarmement nucléaire? La charte des nations-unies établit le principe d'égalité entre les nations: cela veut dire que l'on ne peut pas interdire à d'autres ce que l'on s'autorise soi-même.
Ce discours de puissants donnant des leçons aux plus faibles ne porte pas, moralement et du point de vue de l'efficacité, tant que l'on donne pas soi-même des signes tangibles de la volonté d'en finir avec un monde porteur de cette menace constante de destruction universelle et sans reste. Par ailleurs, comme le note Pierre Villard, la possession de l'arme nucléaire donne le sentiment d'être intouchable et rend les Etats qui en "jouissent" volontiers arrogants, identifiant la justice à leurs intérêts et ne craignant pas de semer la ruine chez les autres, protégés qu'ils sont par leur force d'agression terrifiante. "Cette asymétrie provoque des peurs, des tensions et de l'instabilité aux quatre coins du monde" constate à raison et à regret l'auteur cité, membre du Mouvement pour la Paix. L'arme nucléaire est en réalité une arme de domination dans les mains des puissances. Elle peut devenir une arme de destruction généralisée si, justement, sa possession se généralise à la faveur des ressentiments et des peurs nées de cette domination.
La France est le troisième Etat au monde qui possède le plus de têtes nucléaires (les Etats-Unis et la Russie détiennent encore à eux seuls près de 95% des armes atomiques) avec 300 têtes nucléaires environ (la Chine a 240 bombes, la Grande-Bretagne 225, l'Inde 80, le Pakistan et Israël à peu près autant). Notre Etat possède ainsi 4 sous-marins nucléaires lanceurs d'engins qui se relaient en mer pour des missions d'une dizaine de semaines. Equipés de 16 missiles, dotés de 6 têtes nucléaires chacun, chaque sous-marin porte une puissante équivalente à près de 1000 fois la bombe d'Hiroshima. Cet attirail inquiétant est complété par les missiles ASMP (air-sol moyenne portée) portés par les avions Mirage et Rafale, notamment ceux basés à Landivisiau. Avec ses nouveaux missiles M 51, la France aura renouvelé toute sa panoplie nucléaire en une quinzaine d'années.
Alors qu'à Prague, le 5 avril 2009, Barak Obama s'était engagé en rupture avec la politique menée par ses prédécesseurs pour un monde sans arme nucléaire en plaidant pour la réduction des stocks, la maîtrise de l'atome, la non-prolifération, l'arrêt complet des essais, la France refusait dans le même temps, par l'intermédiaire du représentant de Sarkozy à la conférence de révision du Traité non prolifération-militaire, Eric Danon, tout processus multilatéral de désarmement automatique, jugeant qu'il lui revenait de juger seule du moment opportun pour se désarmer. "La France, affirme Pierre Villard, ne fait ouvertement pas sienne la vision d'un monde sans arme nucléaire, portée par Barak Obama" (opus cité, p.55). Pourquoi?
Sans doute, ce serait peut-être la moins mauvaise raison (les autres serait l'influence du complexe militaro-industriel ou des conceptions stratégiques éculées) parce que nos chefs d'Etat- Sarkozy après Chirac et Mitterrand- veulent dans une veine gaullienne d'indépendance nationale et de rêve de grandeur (contradictoire de toute manière avec la réintégration dans le commandement de l'OTAN décidée par Sarkozy) affirmer une apparence de puissance et conserver un argument historique et encore d'actualité pour avoir un siège au Conseil de Sécurité de l'ONU.
En même temps, on peut penser qu'il y a une autre voie pour affirmer notre singularité et garder dans le monde une autorité et une influence morale conforme à notre grande histoire: être la première grande puissance nucléaire à convoquer une conférence pour l'abolition de l'arme nucléaire, comme on a pu le faire pour les armes chimiques. Marquer notre volonté de sortir du nucléaire militaire à terme en décidant dès aujourd'hui d'un moratoire sur la construction des nouveaux missiles nucléaires M51, contraires aux engagements du Traité de Non Prolififération (TNP). Plaider pour une zone dénucléarisée en Europe.
Pour la France, une sortie progressive de l'armement nucléaire permettrait de surcroît d'affecter des ressources considérables à la satisfaction de véritables besoins sociaux (recherche, éducation, santé, logement, salaires, protection sociale...etc). L'armement nucléaire, c'est 20% du budget de la défense, soit approximativement 8 milliards d'euros par an. Cela représente une belle somme qui pourrait être utile à la société si elle était dépensée autrement.
On dira que cette somme est encore négligeable si l'arme nucléaire est bien indispensable à notre survie, à notre sécurité, mais la possession massive d'armes nucléaires par 7 ou 8 nations est précisément une menace extrêmement grave sur la sécurité de toute la planète, y compris la nôtre, et pas seulement parce qu'elle nourrit la dissémination mais aussi parce que nos Etats ne seront pas toujours forcément démocratiques et gouvernés sagement (voyez l'exemple de l'Amérique de Bush ou de la Russie de Poutine!). L'idéologie dominante, comme le remarque Pierre Villard, dans son livre, "s'appuie sur la peur pour accréditer l'idée du danger permanent". On explique aux français "que de nombreux pays sont sur le point de détenir cette arme abominable et qu'en plus on la transporte dans une valise. Dans les deux cas, nous avons affaire à des mensonges éhontés".
Pierre Villard conclut de l'efficacité de la propagande pro-nucléaire militaire menée depuis 60 ans en France à la nécessité stratégique d'exiger, non un désarmement unilatéral et spontané de la France qui prendrait les devants sans conditions, mais un désarmement nucléaire multilatéral dont la France se ferait l'avocate fervante auprès des autres Etats nucléaires, avec des processus de garanties et de contrôles.
Selon correspond à notre point de vue. Bien que peut-être plus attaché que nous les communistes - et à ce titre internationalistes - à l'argument de la grandeur de la France et de l'influence stratégique que nous procure, en plus des moyens de l'indépendance, l'armement nucléaire, Jean-Luc Mélenchon écrit dans la dernière page de son essai à succès paru en 2010, Qu'ils s'en aillent tous: "Le désarmement nucléaire mondial est un impératif catégorique. Il est d'autant plus jouable qu'il est réaliste. On ne commencera pas par désarmer unilatéralement la France. On doit exiger que désarment sérieusement ceux qui sont en état de faire disparaître plusieurs fois ce monde: les Etats-Unis d'Amérique et la Russie. Ensuite, ou en même temps, mais proportionnellement, tous les autres. Raison supplémentaire pour ne rien céder contre la dissémination nucléaire et se ranger partout dans le monde pour la création de zones dénucléarisés...On ne peut vouloir, à juste titre selon moi, tordre le bras du gouvernement dictatorial et théocratique de l'Iran si l'on n'énonce pas en même temps un clair refus d'une singularité nucléaire pour Israël".
Même si je souscris à l'objectif d'une dénucléarisation généralisée pensée comme un devoir moral immédiat, l'argumentation de Jean-Luc Mélenchon, bien que pragmatique du point de vue du maintien de la sécurité et de la puissance française, ne me parait pas complètement satisfaisante du point de vue des principes (pourquoi faire la leçon à Israël qui fait la leçon à l'Iran si nous ne nous engageons pas nous-mêmes dans un processus de dénucléarisation?) et de la définition des moyens: que pourrons-nous exiger d'Etats plus puissants ou militaristes que nous comme les Etats-Unis, la Russie ou la Chine si nous ne progressons pas déjà un peu sur un chemin d'exemplarité?
Le programme partagé du Front de Gauche, l'humain d'abord, se prononce lui aussi de manière très claire pour "une politique au service de la paix":
" La France rompra avec l'alignement libéral et atlantiste, la politique de force et d'intervention militaire et avec les logiques de puissance, pour agir en faveur de la paix, du règlement des conflits et du rétablissement du droit international. Elle agira pour une ONU démocratisée, s'appuyant sur une doctrine multilatérale renouvelée. Nous déciderons immédiatement le retrait de la France de l'OTAN et nous nous battrons pour la disparition de cette organisation... Nous agirons pour la dénucléarisation, pour le désarmement multilatéral et contrôlé de tous les types d'armement dans l'esprit de la Culture de paix promue par l'Unesco et la Charte des Nations Unies". (p. 75)
Ismaël Dupont. |
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