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29 septembre 2021 3 29 /09 /septembre /2021 06:24
Comment les communistes autrichiens ont gagné la seconde ville du pays
Jonathan Lefèvre
 
https://www.solidaire.org/articles/comment-les-communistes-autrichiens-ont-gagne-la-seconde-ville-du-pays?fbclid=IwAR0VKIC_OwAI-2ljU9lOQoO3Eznaupr_wZjXirTdfelcRhzDv33QPG-uQrA

Comment un parti communiste peut-il passer de 1,8 % en 1983 à près de… 30 % en 2021 ? Pour comprendre ce qui secoue la ville de Graz, seconde plus grande cité autrichienne, nous avons demandé au KPÖ local sa recette pour arriver en tête de l’élection municipale (communale) et devenir le premier parti en battant la droite et l’extrême droite.

Depuis ce dimanche 26 septembre au soir, les commentateurs – tant autrichiens qu’étrangers – se demandent ce qu’il vient de se passer à Graz, ville de 290 000 habitants de la région de l’État de Styrie, dans le sud-est autrichien. Le parti communiste local, le KPÖ (Kommunistische Partei Österreichs), se retrouve en tête de l’élection municipale (communale), devant l’ÖVP conservateur, le FPÖ d’extrême droite, le SPÖ social-démocrate et les Grünen écologistes. Avec plus de 29 %, les communistes battent un record. Et mettent fin à 18 ans de gouvernance conservatrice. Une surprise ? Quand on regarde les sondages, oui. Mais quand on voit le travail de terrain, non. « Certains font des promesses quelques semaines avant les élections. Nous, nous sommes là tous les jours et depuis des années pour les gens, surtout pour les plus démunis », déclarait la probable future bourgmestre, Elke Kahr, à l’annonce des résultats.

Une progression continue grâce à un travail de terrain

La progression du parti communiste, si elle n’est pas linéaire, est néanmoins présente à chaque échéance électorale. En 1983, le maigre score de 1,3 % lui assure pourtant une présence dans la conseil municipal. Mais le KPÖ sait qu’il doit parler à la large classe travailleuse. Il décide donc d’impulser un travail de terrain conséquent, jamais ralenti depuis. En partant du problème, inquiétant, des logements insalubres à Graz et en l’élargissant à toute la problématique du logement en général, le parti veut agir avec les gens. Il lance ainsi un centre d’appel d’urgence pour les locataires. Il agit aussi dans les combats juridiques contre les marchands de sommeil et les gros propriétaires commerciaux. Il lance des actions pour dénoncer la mainmise des géants du béton et du logement. En 1993, Elke Kahr devient la seconde élue communiste de Graz. Alors à 4,2 %, le parti double presque son score en 1998 (7,9%). En 2003, les bons résultats se confirment. Mieux, le KPÖ, avec 20,8 %, bat un nouveau record.

Ce dimanche, les électeurs de Graz étaient appelés aux urnes pour renouveler les conseils de la capitale de la Styrie. Ils devaient élire le Conseil municipal (Gemeinderat - 48 sièges), le gouvernement municipal (Stadtregierung - 7 sièges) et les Conseils des districts (17 Conseils). Le parti communiste a donc gagné 15 sièges au conseil municipal (+ 5) et 3 sièges au gouvernement municipal (+ 1).

Des élus avec un salaire d’ouvrier

Comment expliquer ce résultat ? Celle qui devrait devenir la première bourgmestre communiste de Graz a donc mis en avant le travail réalisé depuis longtemps par le parti. Une analyse que Robert Krotzer, échevin KPÖ de la Santé depuis 2017 au conseil municipal de Graz (et, à l’âge de 29 ans, plus jeune échevin de l’histoire de Graz), nous confirme : « Oui, ce résultat ne peut s'expliquer que par les décennies de travail du KPÖ pour les travailleurs de notre ville et tous ceux qui n'ont pas un compte en banque très fourni. Outre la ligne d'assistance téléphonique pour toutes les questions relatives au logement, des milliers de personnes viennent également chaque année à nos consultations sociales dans le bureau du KPÖ à l'hôtel de ville ou dans notre maison du peuple (secrétariat du parti, NdlR). Nous essayons d'aider les gens à faire valoir leurs droits vis-à-vis des autorités, dans la vie professionnelle ou encore vis-à-vis des sociétés immobilières. »

Un autre facteur a joué en faveur des communistes, comme le relève l’analyste politique expert en mouvements sociaux Manès Weisskircher sur Twitter : « Un aspect important de la crédibilité du KPÖ local est l'engagement personnel des élus. Des heures de travail intensives tout en renonçant à une partie de leur salaire. » Confirmation de Robert Krotzer : « Pour les mandataires du KPÖ, il existe un plafond salarial correspondant au salaire d'un ouvrier qualifié. Elke Kahr et moi-même reversons deux tiers de nos revenus par exemple... »

« Le seul parti qui est là pour le peuple »

Plus généralement, en faisant une campagne axée sur les priorités des gens (logement, transports en commun, etc.), le KPÖ a fait mouche. Pour cela, le parti n’a pas hésité à aller sur le terrain, continue le jeune élu communiste : « Sur les très nombreux stands d'information du KPÖ, on a pu constater le mécontentement des gens face à la déconnexion des politiciens conservateurs en particulier, tant au niveau fédéral que municipal, qui ne font de la politique que pour quelques grands groupes de pression. Beaucoup de gens nous ont dit : "Vous êtes le seul parti qui est là pour le peuple." »

Ce succès doit être analysé (et apprécié) dans son contexte. La droite et l’extrême droite sont très fortes en Autriche. Le chancelier (Premier ministre) conservateur Kurz (ÖVP) a déclaré juste après la publication des résultats : « Cela devrait donner à réfléchir que les communistes puissent gagner une élection en Autriche... » Le chef local du FPÖ (extrême droite) à Graz s'est dit « déçu » par les habitants de Graz et perdu ses illusions : « On dit que l'électeur a toujours raison, mais maintenant je n’en suis plus sûr. » Une variante de la formule de l’écrivain allemand Bertolt Brecht : « Puisque le peuple vote contre le Gouvernement, il faut dissoudre le peuple »…

Des traces du… PTB dans cette victoire

Partir de ce qui vit à la base est-elle une stratégie consciente de lutte contre ces forces de droite ? « Absolument ! L'un de nos slogans est "Nous sommes tous Graz". Nous entendons par là les travailleurs dans toute leur diversité, quelle que soit leur origine. Chaque jour, nous nous efforçons de créer une large alliance sociale dans laquelle la solidarité, l'aide mutuelle et aussi la résistance se mélangent. Lorsque de nombreuses personnes se lèvent ensemble, cela réduit la portée de la propagande de droite et chauvine. Dans ce contexte, la déclaration du candidat de la FPÖ, qui doute que les électeurs aient toujours raison, est très significative. Pour nous, le résultat des élections et la confiance que des dizaines de milliers d'habitants de notre ville nous ont accordée constituent un très grand défi que nous devons relever avec la population dans les jours, les semaines et les mois à venir avec beaucoup de respect et de responsabilité, mais aussi avec un désir de changement. »

Avant de terminer par un clin d’oeil : « Grâce à nos échanges de nos expériences respectives (une délégation du KPÖ-Styrie avait rendu visite au PTB et à Médecine pour le Peuple début 2018, NdlR), on peut également trouver des traces du PTB dans le résultat des élections de Graz. »

Elke Kahr, nouvelle maire communiste de Graz (photo L'Humanité, 28 septembre 2021)

Elke Kahr, nouvelle maire communiste de Graz (photo L'Humanité, 28 septembre 2021)

Autriche. Elke Kahr Une communiste à la tête de la ville de Graz
Mardi 28 Septembre 2021 - L'Humanité

Elke Kahr ne feint pas l’étonnement. À l’issue des municipales de dimanche, la conseillère municipale communiste de Graz prend les rênes de la deuxième ville d’Autriche, où l’industrie automobile domine. Même surprise du côté du chancelier conservateur Sebastian Kurz : « Les communistes en Autriche peuvent gagner une élection, cela devrait donner matière à réflexion. » À 59 ans, Elke Kahr confirme les succès électoraux de ces dernières années : le Parti communiste d’Autriche (KPÖ) s’était hissé au rang de deuxième force politique derrière l’ÖVP (Parti populaire autrichien, droite). Non anticipée dans les sondages, la victoire du KPÖ avec 29,1 % (+ 8,8 % par rapport à 2017) détonne en Autriche. Le maire sortant de Graz, Siegfried Nagl, est quant à lui en chute libre avec 25,7 % (- 12,1 %). « Certains font des promesses quelques semaines avant les élections. Nous, nous sommes là tous les jours et depuis des années pour les gens, surtout pour les plus démunis », analyse à chaud Elke Kahr, dont le numéro d’appel d’urgence pour les locataires a rencontré un succès populaire. Des incertitudes demeurent quant à la composition de la future coalition qui n’intégrera pas l’ÖVP.

Lina Sankari

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25 septembre 2021 6 25 /09 /septembre /2021 08:36
Le 25 septembre 2021 : Mobilisation générale pour la paix

Canicules, sécheresses, inondations, famines, épuisement des ressources naturelles : notre planète, la flore, la faune et êtres humains de tous les continents souffrent comme jamais de l'exploitation à outrance des matières premières par les multinationales, de la course à la rentabilité des exploitations agricoles, de l'agressivité des accords de libre-échange, de la pollution des écosystèmes, des terres, des mers, de l'air. « Le capital, disait K.Marx, épuise deux choses, le travailleur et la nature » , cela n'a peut-être jamais été aussi vrai.

Ces déséquilibres aggravent les tensions, les conflits, alimentent les risques de guerres et... boostent les ventes et dépenses d'armement !

Les pays occidentaux, membres de l'OTAN, concentre l'essentiel des dépenses militaires qui sont passées de 1 144 milliards en 2001 à près de 2 000 milliards en 2020.

A eux seuls, les Etats-Unis représentent près de la moitié des dépenses mondiales ! La vente récente de sous-marins à propulsion nucléaire à l'Australie par Washington conduira inéluctablement à une escalade.

C'est le surarmement qui rend le monde plus dangereux

La situation internationale ne cesse de se dégrader. Les crises sanitaires, sociales,, économiques, écologiques, politiques creusent les inégalités et attisent les violences. Elles hypothèquent les conditions de vie sur terre. Les logiques néolibérales de profits et de puissance sont à la base de ce monde dangereux et provoquent toutes les formes d'insécurité humaine.

Il faudrait se préparer à la guerre, multiplier les dépenses d'armement, les conflits préventifs afin de défendre notre sécurité menacée. La droite et l'extrême droite nourrissent un discours fondé sur la manipulation, les peurs, le ressentiment, l'exaltation de l'identité. Cela alimente une vision hiérarchisée du monde dans laquelle une petite oligarchie de puissances décide pour les autres, hors des Nations Unies, c'est insupportable.

Dans le sillage des Etats-Unis, la France n'est pas en reste. E. Macron fait de la « défense européenne », adossée à l'OTAN, le coeur de la renaissance du projet européen néolibéral et considère que le commerce des armes est un élément de compétitivité de notre pays.
Paris, comme l'exige l'OTAN, a doublé ses crédits consacrés à l'arme nucléaire dont nul ne sait très bien, aujourd'hui, quelle perspective stratégique donne encore sa vertu dissuasive à une telle arme.

D'autres choix stratégiques et diplomatiques

Alors que les crises plongent le monde dans la tourmente, se faire la guerre est une folie.
Il est temps de la délégitimer. La course aux armements ne permet pas d'assurer la sécurité des citoyens. Les guerres se sont multipliées (Libye, Syrie, Irak, Yémen, Afghanistan, Sahel...) et pourtant la solution militaire est un échec total. Toutes les interventions extérieures conduites par les occidentaux sous l'égide de l'OTAN sont des échecs comme en témoigne la débâcle américaine dans sa « guerre contre le terrorisme » à Kaboul, renforçant l'islamisme radical en Asie et en Afrique.

Les instruments militaires ne sont plus décisifs pour gagner une guerre et résoudre des crises enracinées dans la défaillance d'Etats corrompus, prédateurs, brutaux et insensibles aux besoins des populations. On ne combattra pas la souffrance humaine avec des canons !

Le « Défi des Jours Heureux »

Fabien Roussel, candidat communiste à l'élection présidentielle, défend une tout autre vision des relations internationales et de la politique de la France dans le monde dont les mots d'ordre devraient être conquêtes sociales, justice économique et climatique, souveraineté des peuples, solidarité internationale : en un mot, la PAIX. Le réalisme est de ce côté.

La grave crise diplomatique liée à la rupture du contrat entre la France et l'Australie devrait interroger Paris sur sa stratégie industrielle et diplomatique. Engoncée dans l'atlantisme, ayant réintégré le commandement intégré de l'OTAN et célébré avec empressement l'élection de J. Biden, la France semble découvrir que la notion d'alliance, notamment l'Alliance Atlantique, n'a plus de sens dans un monde où la guerre froide n'existe plus. Il faut en sortir et créer des cadres communs de coopération et de sécurité collective qui renforcent les solidarités entre les peuples et les nations.

Les Etats-Unis ont entrepris une révision stratégique mais n'ont pas renoncé pas à l'idée d'hégémonie.
Ils entendent jeter toutes leurs forces dans la confrontation avec la Chine et assumer le leadership dans la zone Indo-Pacifique. Dans cette croisade, menée avec l'OTAN, Washington noue de nouvelles alliances avec le pacte AUKUS (Australie, Royaume-Uni, Etats-Unis) et tente d'entraîner des Européens réticents. Paris, tout en exprimant des réserves lors du dernier sommet de l'OTAN, espérait être à la table des convives, mais elle vient de subir une rebuffade humiliante. Le camouflet est d'autant plus grand que la vente d'armes occupe une place centrale dans la politique étrangère de la France. Le message adressé depuis longtemps par B. Obama, D. Trump et maintenant J. Biden est clair : seuls priment les intérêts étasuniens. Un autre chemin est possible.

La France et l'Union européenne doivent en tirer toutes les conséquences. La confrontation avec la Chine est une impasse, les Européens et Pékin ont besoin de se parler, d'agir ensemble, de nouer des coopérations notamment sur la gestion des biens communs de l'humanité : santé, climat biodiversité... Paris et les autres capitales européennes doivent cesser d'épouser la stratégie américaine et sortir de leur relation toxique à l'OTAN. Elles doivent également renoncer à constituer un « pôle européen de défense » adossé à l'OTAN. Washington n'hésitera pas à infliger le même revers à cette stratégie. L'issue est de renforcer l'indépendance et la souveraineté de la France et de l'Europe, de sanctuariser leurs industries de défense par des coopérations en vue de bâtir une sécurité collective en Europe.

La paix au cœur des alternatives pour l'humanité

La paix est un projet politique au cœur des luttes émancipatrices. Le politique doit primer sur la force pour que la paix devienne un projet global pour l'humanité. La paix répond à l'urgence climatique et à l'exigence de justice pour bâtir des logiques de coopération, de partage, d'entraide et de solidarité. Cela ne peut pas se concevoir sans démilitarisation du monde et une diminution drastique des dépenses d'armement.
Dans ces luttes, les peuples ont besoin de l'Organisation des Nations Unies, du multilatéralisme et d'une culture de la paix pour remettre en cause le commerce des armes, dissoudre l'OTAN et mettre en place des cadres communs de coopération et de sécurité collective. La France doit ratifier le Traité d'Interdiction des Armes Nucléaire (TIAN) pour un monde sans armes nucléaires.

Parce que la paix est au cœur de notre combat, les communistes se mobilisent pour la réussite, dans toute la France, des rassemblements du 25 septembre 2021

→ Pour trouver le lieu de rendez-vous dans votre département : https://www.collectifpaix.org

TRACT NATIONAL DU PCF : ICI

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23 septembre 2021 4 23 /09 /septembre /2021 05:35
Pierre Laurent: Je n'ai pas de mots...
Je n'ai pas de mots.
Pas de mots pour qualifier les images de réfugiés haïtiens traqués au lasso par des garde-frontières américains. Pas de mots pour nommer l’innommable. Pas de mots pour sonder ce gouffre où l'humanité se meurt.
Le monde en serait donc là ? Après des années de complaisance envers les pires thèses xénophobes, où le migrant est une menace, le pauvre un incapable ou un assisté, le musulman ou l'Afghan martyrisé un terroriste, on en est donc arrivé là ? Un monde où les premiers de cordée, qui répètent ne pouvoir "accueillir toute la misère du monde", se servent de leur corde comme un lasso pour traquer les damnés de la terre ?
Je n'ai pas de mots, car les mots n'existent pas.
Leur absence nous confronte à un impératif catégorique : ce monde est à repenser de fond en comble, dans ses politiques sociales, dans ses répartitions des richesses dans chaque pays comme à l'échelle planétaire, dans ses relations internationales, dans ses coopérations à réinventer, dans son sens de l'humain, de la démocratie, de l'égalité entre les peuples et les femmes et les hommes qui les composent.
Nous mettons sur cette recréation le mot de "communisme".
Chacun·e, selon sa sensibilité, pourra y mettre ses propres aspirations, son propre rêve.
George Sand les exprimait ainsi : "«En attendant qu’on ait résolu le problème d’une éducation commune à tous, et cependant appropriée à chacun, attachez-vous à vous corriger les uns les autres. Vous me demandez comment? Ma réponse sera courte: en vous aimant beaucoup les uns les autres".
Notre rêve commun est une humanité émancipée et libre, un monde dans lequel plus aucune domination ne pourra avoir cours.
Créons ensemble ce monde sur lequel, enfin, les mots refleuriront.
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21 septembre 2021 2 21 /09 /septembre /2021 06:13
Gérard Sadik - La Cimade: On peut craindre que les expulsions de réfugiés afghans reprennent (L'Humanité, 20 septembre 2021)
Gérard Sadik, la Cimade : « On peut craindre que les expulsions d'Afghans reprennent »
Lundi 20 Septembre 2021

Plus d’un mois après la prise de Kaboul par les talibans, Gérard Sadik, en charge de l’asile à la Cimade, revient sur la situation ambivalente des Afghans exilés en France et en Europe.

 

Où en est-on de la prise en charge des exilés afghans arrivés en France cet été après la prise de Kaboul par les talibans ?

Gérard Sadik: responsable national de la thématique Asile de la Cimade.

Gérard Sadik Les autorités les ont d’abord placés dans des hôtels pour l’isolement prophylactique prévu pendant dix jours, dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire. Trois ont fait l’objet de mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance (Micas) parce qu’ils étaient soupçonnés d’être talibans. La première semaine, un dispositif a été improvisé en Île-de-France impliquant plusieurs opérateurs institutionnels et associatifs. Ceux qui sont arrivés la semaine suivante ont été orientés vers d’autres régions. On enregistre maintenant les demandes d’asile. Ceux qui ne le souhaitent pas disposent tout de même d’un récépissé de trois mois. Les demandeurs ne sont pas obligés de passer par la procédure classique de la plateforme téléphonique de l’Office français de l’intégration et de l’immigration (Ofii). Une fois leur dossier enregistré, ils sont orientés vers des structures d’hébergement du dispositif national d’accueil et seront rapidement convoqués à l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra). Ensuite, ça devrait bien se passer pour eux. Ils passent devant les 18 410 autres demandeurs d’asile afghans qui étaient là avant.

La France n’est-elle pas assez protectrice à l’égard de ces derniers ?

Gérard Sadik Les Afghans sont la première nationalité de demandeurs d’asile en France, mais aussi le « stock » le plus important de dossiers pendants. On reste à un taux d’accord de protection de l’ordre de 85 %, c’est important. Mais on compte entre 6 000 et 10 000 demandeurs dublinés (procédure consistant à renvoyer les demandeurs d’asile dans le pays par lequel ils sont entrés en Europe, selon le règlement de Dublin – NDLR). Ils viennent d’autres pays européens et doivent attendre, quand ils ne sont pas transférés vers ces pays, dont certains n’hésiteront pas à les expulser vers l’Afghanistan dès que les vols ne seront plus suspendus. En France, ils ont normalement droit à un hébergement et aux conditions matérielles d’accueil. Mais une grande partie d’entre eux sont considérés « en fuite » parce qu’ils ne se sont pas rendus à un rendez-vous, parce qu’ils ont refusé de faire un test PCR ou pour tout autre motif. L’Ofii leur coupe alors automatiquement les conditions matérielles d’accueil. On les retrouve dans les campements qu’on connaît. Se pose aussi la question des familles des protégés afghans. La plupart ont engagé des procédures de réunification familiale qui n’ont pas été traitées. Aujourd’hui, les familles sont coincées là-bas. Sans compter certains réfugiés qui ont pris le risque de perdre leur protection en France pour aller chercher leur famille en Afghanistan et se retrouvent maintenant bloqués.

Ne doit-on pas craindre, en outre, à la suite des dernières déclarations de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA), que la France accorde moins de protection à ceux dont les demandes d’asile n’ont pas encore été traitées ?

Gérard Sadik La CNDA a considéré, quinze jours après la victoire surprise des talibans, que la guerre civile en Afghanistan était finie. C’est aller vite en besogne. Entre 2017 et 2020, elle appliquait la « jurisprudence Kaboul », qui considérait que le simple fait d’arriver de la capitale afghane donnait droit à une protection. Cette jurisprudence ne s’applique plus depuis l’été dernier. Et maintenant la CNDA décrète qu’elle n’accordera plus de protection subsidiaire aux Afghans de façon automatique, mais affirme qu’elle attribuera plus de statut de réfugié  relevant de la convention de Genève.

Une protection plus difficile à obtenir…

Gérard Sadik La question est surtout de savoir quel degré de personnalisation va être appliqué aux demandes. C’est une donnée variable. Dans certains cas, on fait de la détermination de groupe. C’est-à-dire qu’en fonction du groupe social ou de la région d’origine, on peut considérer qu’une personne risque plus ou moins des persécutions, donc accorder massivement des statuts de réfugié. Mais le ministère de l’Intérieur ne veut pas de ça. Il craint que cela n’ait l’effet d’une pompe aspirante pour les Afghans déboutés du droit d’asile ailleurs en Europe, si tous les pays européens n’appliquent pas cette même détermination de groupe. On peut estimer à 400 000 le nombre de demandeurs d’asile afghans en Europe, pour un taux d’accord de 70 % environ. Que fait-on des 150 000 personnes déboutées ? En Grèce, elles sont enfermées avec la promesse d’être renvoyées vers la Turquie. En France, on peut s’attendre, d’ici quelque temps, à ce qu’il y ait plus de rejet. On ne renverra pas immédiatement ces demandeurs à Kaboul. C’est impossible. Mais si tout se normalise et qu’en ouvrant des relations diplomatiques on reconnaît un gouvernement taliban, les vols reprendront, donc la possibilité d’expulsions.

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21 septembre 2021 2 21 /09 /septembre /2021 06:05
Réfugiés afghans - Reportage à Piriac-sur-mer en Loire-Atlantique, Eugénie Barbezat, L'Humanité, 20 septembre 2021
Réfugiés afghans. « Je ne peux pas vivre en sachant mes enfants en danger »
Lundi 20 Septembre 2021

Évacués en urgence de Kaboul, fin août, les exilés accueillis à Piriac, près de Saint-Nazaire, sont en train d’être répartis dans différentes villes. Entre soulagement et déchirement, ces familles, qui ont tout perdu, vont tenter d’y reconstruire leur vie. Reportage

Piriac-sur-Mer (Loire-Atlantique), envoyée spéciale.

À la nuit tombée, une dizaine de jeunes Afghans font les cent pas devant le centre, rivés à leur téléphone. À l’autre bout du fil, des voix féminines. Celles des épouses, fiancées ou sœurs restées en Afghanistan. « Ma femme et mon bébé sont restés à Kaboul. Moi, je travaillais pour l’Otan, j’étais justement à l’aéroport. Quand il a fermé, je suis resté à l’intérieur, avec seulement mes vêtements et mon téléphone. J’ai pu monter dans un avion, mais sans ma famille », explique A., 27 ans. Comme la plupart des 88 réfugiés accueillis fin août dans le centre de colonies de vacances de la Fédération des œuvres laïques (FOL), à Piriac, il est partagé entre le soulagement d’être en vie et le déchirement d’avoir dû « abandonner » des proches. « Je vais tout faire pour les faire venir, mais je sais que ce sera très long. Je ne verrai pas grandir mon fils », souffle-t-il, avant de rejoindre sa chambre pour une nuit qu’il sait déjà sans sommeil.

Parmi la cinquantaine de réfugiés encore présents sur le site, nombreux sont ceux qui n’arrivent pas à dormir, rongés d’inquiétude pour leur famille ou hantés par le souvenir des moments d’extrême violence vécus à l’aéroport avant leur évacuation. « Ma femme pleure toutes les nuits », confie Najibullah, un père de famille d’une cinquantaine d’années. « Je suis heureuse d’être sauvée, je remercie la France pour cela, mais je pense tout le temps à mes enfants restés là-bas. Tant qu’ils ne nous auront pas rejoints, je ne pourrai pas vivre normalement », confirme Shahpirai, son épouse.

Icon QuoteQuand les talibans ont pris Kaboul, j’ai su que mon espérance de vie dans mon pays devenait très faible. Mon nom est sur leurs listes. Najibullah Coordinateur de plusieurs ONG étrangères à Kaboul

Trois de leurs fils, leur belle-fille et leur petite-fille n’ont pas pu partir. Originaire de Kaboul, la famille était menacée en raison de la profession du père, coordinateur de plusieurs ONG étrangères, dont MSF, qui travaillait en lien étroit avec le gouvernement afghan. « Quand les talibans ont pris Kaboul, j’ai su que mon espérance de vie dans mon pays devenait très faible. Mon nom est sur leurs listes », explique le père.

Alors la famille a tout de suite rejoint l’aéroport, où seuls les parents et les deux plus jeunes enfants ont pu embarquer après plusieurs jours d’attente, massés devant les grilles. « Une des portes était gardée par les talibans, ils nous insultaient et nous frappaient à coups de bâton. Y compris les femmes et les enfants », poursuit Najibullah. Arsclan, 14 ans, leur plus jeune fils, a bien failli périr sous leurs coups. « Quand on était là-bas, il a aperçu trois soldats américains sur le toit du bâtiment. Ils filmaient pour documenter le comportement des talibans. Mon fils, par jeu, leur a fait un signe de la main. Aussitôt, les talibans l’ont insulté, traité d’espion et tenté de l’atteindre. Il tremblait de tout son corps. On s’est faufilés à travers la foule pour leur échapper. Les nuits qui ont suivi, mon fils s’est réveillé plusieurs fois en hurlant », raconte le père.

Une priorité, apprendre le français

Aujourd’hui, Arsclan va mieux, lui qui n’avait encore jamais vu la mer profite de la plage tous les jours, ainsi que son grand frère de 19 ans, Eltaf. « Je ne m’inquiète pas trop pour eux. Dès que nous serons dans l’appartement qui nous a été attribué à Châlons-en-Champagne, ils vont être scolarisés. Ils vont vite apprendre le français », estime Najibullah, confiant. Le cadre humanitaire a également pour priorité d’apprendre la langue. « Ensuite, j’irai proposer mes services à des organisations humanitaires françaises. Je suis diplômé, j’ai des contacts avec d’anciens partenaires français. Je voudrais vraiment faire quelque chose de positif pour le pays qui m’accueille », confie-t-il, conscient néanmoins qu’ici, il repart de zéro : « Nous avions une vie confortable en Afghanistan. Une belle maison, une voiture, de l’argent. On est partis sans rien. Le pull que je porte aujourd’hui, c’est ici qu’on me l’a donné. »

 

Durant la conversation, l’homme jette ponctuellement des regards anxieux à son téléphone : « On attend un appel de mes fils aînés. Jusqu’à la semaine dernière, on était en lien permanent via les réseaux sociaux, et leur mère les appelait tous les jours. Mais nous avons appris que les talibans surveillent les conversations. Alors ils ne nous appellent que quand ils sont dans un endroit sûr. En ce moment, ils changent de maison tous les jours pour éviter de se faire repérer. »

« Les talibans ciblent surtout les jeunes »

Samir, 22 ans, évacué avec son frère de 25 ans, est plus serein. « On était tous les deux policiers en Afghanistan, du coup, c’était risqué de rester après la chute du gouvernement, les talibans sont venus nous chercher plusieurs fois, on s’est cachés. Mes parents sont toujours là-bas, mais je ne crois pas qu’ils soient en réel danger. Ils sont âgés, et les talibans ciblent surtout les jeunes », affirme-t-il. Le jeune homme voit son exil comme une opportunité : « Ici, je vais pouvoir poursuivre mes études. Je veux devenir informaticien. Ensuite, je travaillerai et je pourrai envoyer de l’argent à ma famille. Et un jour, peut-être, je rentrerai chez moi. » En attendant, il s’apprête à partir pour Bordeaux, où il partagera un appartement avec son frère. « Là-bas aussi, il y a la mer ? » interroge-t-il.

Icon QuoteDès l'arrivée des talibans, je n’ai plus pu mettre un pied à l’hôpital où j’étais en stage. C’est terrible, les petites filles qui grandissent là-bas n’auront jamais aucune instruction. Sumaya Étudiante en médecine

Pour Sumaya, 20 ans, et sa famille, ce sera Colmar. Mais pour elle, peu importe l’endroit pourvu qu’elle puisse y poursuivre ses études. Originaire de Maidan Wardak, une province située à l’ouest de la capitale devenue un fief des talibans, l’étudiante en troisième année de médecine témoigne : « Dès leur arrivée, je n’ai plus pu mettre un pied à l’hôpital où j’étais en stage. C’est terrible, les petites filles qui grandissent là-bas n’auront jamais aucune instruction. » Évacuée avec sa mère, professeure de biologie, son père, directeur d’un magasin, et sa grande sœur de 24 ans, qui travaillait pour l’ONU, elle revit depuis son arrivée en France : « Heureusement, la famille est réunie ici, et j’ai l’impression d’avoir quitté l’enfer. Là-bas, même s’ils ne me tuaient pas, ma vie était finie. Je n’avais plus qu’à rester cloîtrée chez moi. » Parfaitement anglophones, les deux sœurs sont impatientes de parler le français. Dès qu’elles ont su qu’un cours était proposé par des bénévoles, elles s’y sont précipitées avec leurs parents.

Absence de traducteurs professionnels

L’envie d’apprendre est la motivation commune de la vingtaine de réfugiés assis en cercle sur le terrain de sport du camping jouxtant le bâtiment. Hommes, femmes, adolescents et beaucoup de jeunes enfants sont au rendez-vous de Viviane et Emmanuelle, les professeures de français. Elles les accueillent avec un : « Bonjour ! Ça va ? Comment t’appelles-tu ? », histoire de réviser les premières phrases apprises la veille. Les deux bénévoles sont ravies : « Avec eux, c’est facile, car tous connaissent l’alphabet, donc ils progressent très vite. » C’est Sumaya qui traduit en dari les consignes données en anglais par les jeunes femmes. « Au début de la semaine, ils ne parlaient pas un mot de français. Aujourd’hui, ils connaissent tous les chiffres et quelques phrases usuelles », note Viviane. « Ma femme et mes fils révisent les cours tous les soirs », se réjouit Najibullah.

L’homme sait l’importance de pouvoir se faire bien comprendre dans un pays étranger : « Ce que la France fait pour nous est formidable, le seul reproche que je pourrais formuler concerne les traducteurs de l’Office français de l’intégration et de l’immigration  (Ofii). Quand j’ai passé l’entretien qui doit déterminer si je peux avoir le statut de réfugié, l’interprète était pakistanais. Il parlait pachto et comprenait juste à peu près le dari. Il était assez ignorant de la situation en Afghanistan. J’ai parlé plus d’une demi-heure, et le texte qu’on m’a demandé de signer tenait sur une demi-page. Cela m’a inquiété. » Après l’avoir fait vérifier par un ami français, Najibullah constate de nombreuses erreurs et imprécisions dans son récit. Il passe alors une nuit à le réécrire, en anglais. Puis son ami le traduit en français. C’est cette version qu’il a envoyée par mail à l’Ofii, « en espérant qu’ils en tiennent compte ». Un peu amer, Najibullah constate : « Je suis privilégié d’avoir pu faire cela. Mais ce n’est pas le cas de celles et ceux qui arrivent sans savoir lire et écrire. Être protégé ne devrait pas dépendre du niveau d’études ou des relations que l’on a. La France est un grand pays, elle devrait engager des traducteurs professionnels. C’est toute la vie d’exilés qui peut être remise en question à cause d’un malentendu.»

La solidarité, ADN de la Fédération des œuvres laïques

La Fédération des œuvres laïques (FOL) a une solide expérience en termes d’accueil d’étrangers. Par délégation de service public, elle gère plusieurs centres d’accueil de demandeurs d’asile (Cada), ainsi qu’un centre d’hébergement pour les mineurs étrangers isolés.

« Certains participent aux chantiers bénévoles que nous organisons. Cela leur permet d’acquérir et de partager des savoir-faire, et de découvrir de nouvelles régions », explique Claude Chambonnet, administrateur de la FOL, venu avec sa femme Claudine prêter main-forte aux salariés du centre de Piriac-sur-Mer pour l’accueil des Afghans.

À Piriac, tout le monde se mobilise pour que les Afghans se sentent bien accueillis
Lundi 20 Septembre 2021

L’arrivée, pour un mois, de 88 Afghans évacués en urgence de Kaboul a suscité un élan de solidarité dans la petite ville de Loire-Atlantique.

 

Envoyée spéciale.

Employée au centre de vacances du Razay, Fanny se souvient avec émotion des regards de ces hommes, femmes et enfants à leur descente des bus, dans la soirée du 25 août dernier : « Les visages étaient marqués par l’épuisement, ils nous regardaient, un peu désorientés. » Prévenus de leur arrivée par la préfecture deux jours avant, la jeune femme et ses collègues de la Fédération des œuvres laïques (FOL), en charge de l’hébergement et des repas, n’ont pas ménagé leurs efforts pour les accueillir. «  Les enfants de la colonie de vacances étaient partis quelques jours plus tôt. On a tout de suite refait les 110 lits, et puis on a consulté Internet pour savoir quelles étaient les habitudes alimentaires en Afghanistan, afin de leur proposer des mets qu’ils apprécient. »

Dans le même temps, le Secours populaire local lance un appel pour collecter des vêtements, sacs et produits d’hygiène, etc. La liste des besoins est aussitôt relayée sur les réseaux sociaux. « Les gens de la région ont été d’une grande générosité, poursuit Fanny. Certains nous ont même déposé des affaires directement au centre de vacances. »

Écouter, conseiller et consoler

Sixtine, une jeune architecte d’intérieur, est venue spontanément proposer son aide en tant que bénévole quand elle a appris l’arrivée des Afghans. En manque de personnel en cette fin de saison, la FOL lui a proposé un contrat de cantinière, qu’elle a accepté. Elle fait cependant beaucoup plus que servir à manger et débarrasser les tables. Elle écoute, conseille, console, trouve des contacts aux réfugiés dans les villes où ils vont habiter, et c’est même elle qui a sollicité Viviane et Emmanuelle, deux de ses amies qui viennent tous les jours proposer des cours de français.

Au fil des jours, les réfugiés et le personnel ont appris à se connaître. «Au début, on mettait des fourchettes et des couteaux, mais on a constaté qu’ils ne s’en servaient pas. Du coup, on ne met plus que des grandes cuillères. Aussi, on a compris qu’il fallait apporter tous les plats en même temps sur la table et renoncé au service à la française. Enfin, la fois où nous avons mis du poisson au menu, on a compris que c’était un plat très prisé, alors on essaie d’en prop oser le plus souvent possible.» Un habitant de Piriac a même fait un geste assez extraordinaire. Alors que les réfugiés étaient encore en période de confinement et ne pouvaient pas sortir du périmètre du centre de vacances, il a souhaité leur apporter un petit réconfort local : il a commandé à un pâtissier un kouign amann pour chacun. De quoi leur faire apprécier la Bretagne ! E. B.

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21 septembre 2021 2 21 /09 /septembre /2021 06:00
« Milliards en fuite ! », d’Alain et Éric Bocquet. Le Cherche Midi, 208 pages, 17 euros.

« Milliards en fuite ! », d’Alain et Éric Bocquet. Le Cherche Midi, 208 pages, 17 euros.

« Milliards en fuite ! » : les 10 pistes d'Éric et Alain Bocquet pour remettre l'économie et la finance au service de tous
Samedi 18 Septembre 2021

La révolution libérale ne marche pas, elle court. Le secteur financier engrange des bénéfices record sans règle ni contrainte, tout en imposant discipline et rigueur aux états qui survivent parfois au bord du gouffre. L’« HD » a rencontré Éric et Alain Bocquet, auteurs de « Milliards en fuite ! - Manifeste pour une finance éthique », et explore les leviers d’action pour mettre à bas la domination des voleurs et reprendre notre destin en main. Entretien.

 

Avec « Milliards en fuite ! », les frères Bocquet avancent 10 pistes pour mettre au pas le monde de l’argent. Après le succès de « Sans domicile fisc », les Nordistes dépassent, dans ce nouvel opus, leur cheval de bataille de l’évasion fiscale pour décoder des pans entiers de la finance. Entretien avec Éric Bocquet, sénateur PCF, et Alain Bocquet, ancien député et maire de Saint-Amand-les-Eaux.

Les 10 propositions des frères Bocquet :

  1.  Une COP fiscale plus que jamais d’actualité
  2. Créer une Organisation mondiale de la finance
  3. En finir avec la spéculation sans visage
  4. Déjouer l’alchimie du blanchiment
  5. Assécher les paradis fiscaux
  6. Repenser la lutte contre l’impunité fiscale
  7. Bâtir une fiscalité juste, démocratique
  8. Dissoudre en partie la dette ou la rembourser
  9. Pour changer la finance, d’abord changer son enseignement
  10. Mobilisation citoyenne : agir local, penser mondial

Vous vous êtes fait connaître avec votre combat contre l’évasion fiscale. Qu’est-ce qui vous a motivés, cette fois-ci, à vous attaquer aux « Milliards en fuite » ?

Éric Bocquet:L’idée est venue avec le Covid-19. La pandémie a tout bousculé sur le plan économique, financier et social. Très vite, nous avons commencé à élargir le propos, au-delà de l’évasion fiscale, en nous attaquant au fonctionnement global de la finance mondiale, de ses excès, de ses conséquences concrètes dans la vie des gens, mais aussi sur le financement des États.

Alain Bocquet: La tournée pour notre dernier livre nous a conduits à rencontrer plus de 10 000 personnes et à être invités dans plus de 80 débats. Toutes ces rencontres nous ont indiqué une chose importante : la compréhension de la domination de la finance mondiale n’est pas totale chez les citoyens. Et, pourtant, ce système vit sur une spéculation généralisée. Quand on sait que seulement 2,5 % des transactions financières reposent sur l’économie réelle, il y a de quoi s’inquiéter sur l’avenir de l’humanité.

Quels ont été les interlocuteurs qui vous ont le plus marqués, lors de votre tournée pour « Sans domicile fisc » ?

Alain Bocquet: Tous ! Du citoyen qui découvrait le problème de l’évasion fiscale, en passant par de nombreux syndicalistes, mais aussi des chefs d’entreprise, des militants chrétiens réunis grâce aux évêques ou encore des francs-maçons. Nous avons vu toutes les catégories de la société et toutes partagent notre inquiétude sur le monde que nous voulons demain.

« Milliards en fuite ! » fourmille d’informations, quelle est votre méthode de travail ?

Éric Bocquet: Avec Alain, et Pierre Gaumeton (journaliste –NDLR), nous nous sommes beaucoup documentés, avec le souci de la rigueur, mais aussi avec un travail de fond. Notre logiciel militant nous permet d’échapper aux rouleaux compresseurs de la pensée unique.

Alain Bocquet: Nos travaux parlementaires nous ont été très utiles. Cette expérience nous a donné l’envie d’aller creuser au plus profond de ces sujets, avec un point de vue largement ouvert aux apports des ONG et des journalistes lanceurs d’alerte. D’ailleurs, les pistes que nous mettons en avant dans notre manifeste ne sont pas à prendre ou à laisser, mais à débattre.

Entre ce livre et le précédent, le monde a changé du fait de la pandémie. Comment la finance a-t-elle tiré son épingle du jeu et pour quelles conséquences ?

Alain Bocquet: La finance a toujours un temps d’avance. Elle s’organise pour précéder les modifications législatives qui pourraient s’imposer à elle, et c’est bien là le problème. Avec la pandémie, on pourrait imaginer que, face à autant de morts et de souffrance, tous les hommes dans ce monde pourraient se donner la main. Que nenni ! Nous ne sommes plus à l’époque de Jonas Salk qui avait refusé de breveter son vaccin contre la poliomyélite. Au lieu de cela, ils ont engrangé les bénéfices.

L’exemple le plus scandaleux se déroule le jour de l’annonce des résultats prometteurs des premiers essais d’un vaccin par Pfizer. Son action a bondi de 15 % et son PDG a vendu des titres pour 5,6 millions de dollars. Mais, en plus, les grands groupes pharmaceutiques ont eux-mêmes organisé la pénurie, empêchant l’immunité vaccinale mondiale. Cela pourrait relever d’un crime contre l’humanité, mais aussi d’une non-assistance à personne en danger.

Éric Bocquet: Aujourd’hui, les marchés financiers retrouvent leur rentabilité d’avant la pandémie. À travers la dette, ils ont accru leur emprise sur les États et les futures politiques qui vont être menées. Si les gens ne se mobilisent pas, cela nous promet des lendemains difficiles. Mais la crise a aussi fait ressurgir des inégalités insupportables. Rendez-vous compte, la France n’a jamais connu autant de millionnaires, plus de 700 000 alors que, depuis le début de la pandémie, les distributions alimentaires aux personnes à la rue ont connu une augmentation de 40 %

 

Parmi les éléments que la crise sanitaire a changés, vous pointez le carcan budgétaire européen. Qu’opposez-vous au gouvernement qui a décidé d’en finir avec le « quoi qu’il en coûte » pour renouer avec l’austérité inspirée des traités européens ?

Éric Bocquet: Toutes les sacro-saintes règles budgétaires ont explosé ! Avant la pandémie, on nous disait : « Attention, l’endettement de la France approche les 100 % », sous-entendu, demain, ce serait l’apocalypse. Six mois plus tard, avec la crise, on approchait les 120 % et rien ! Évidemment, le gouvernement n’avait pas d’autre choix que d’apporter de l’argent public pour éviter l’effondrement général de notre économie. Mais, aujourd’hui, on nous chante la petite musique du remboursement de la dette. D’ailleurs, les aides européennes sont toujours conditionnées à la mise en place de réformes dites « structurelles », notamment sur les retraites ou les services publics. Pour les États, ce n’est jamais gratuit, mais pour les entreprises, en revanche, les aides publiques sont délivrées par milliards sans contreparties

 

Pourquoi avoir choisi d’aborder cette question de la dette dans votre livre ?

Éric Bocquet: Il y a dans le discours néolibéral un paradoxe hallucinant. On nous dit que la France doit conserver la confiance de ceux qui nous financent pour éviter la catastrophe. Mais un pays comme la France obtient des prêts à taux négatifs parce que les marchés ont l’assurance d’être remboursés ! D’ailleurs, nous allons emprunter, cette année, 270 milliards d’euros et vous verrez qu’ils ne vont pas nous coûter cher. En réalité, la dette publique est utilisée comme une arme de destruction massive des aspirations du peuple.

Alain Bocquet: D’ailleurs, annuler une partie de la dette d’un État, comme nous le proposons pour la France, c’est possible. L’histoire est là pour nous le rappeler, comme en RFA, en 1953. Mais cela demande une volonté politique.

Vous n’excluez pas que la mafia puisse en détenir une partie. Comment est-il possible que des dettes souveraines, dont celle de la France, puissent se trouver aux mains de réseaux criminels ?

Éric Bocquet: L’Agence française du Trésor, chargée de lancer des appels d’offres sur les marchés financiers, ne vend des titres de la dette qu’à une quinzaine d’établissements ayant un agrément. Mais, dans un deuxième temps, ces titres sont revendus sur le marché secondaire. Et c’est à ce moment que nous n’avons plus de visibilité sur l’identité des détenteurs. Nous pouvons donc imaginer qu’une société offshore qui a son siège aux Bahamas, détenue par un narcotrafiquant colombien, puisse avoir dans ses comptes des titres de notre dette.

Alain Bocquet: Il n’existe aucune traçabilité, aucune transparence. Quand on sait que 10 % du PIB mondial est détenu par l’argent sale, il y a là plein de questions à soulever et un travail de clarté à réaliser.

« Manifeste pour une finance éthique » est le sous-titre de votre ouvrage. Les deux termes ne sont-ils pas incompatibles ? Face aux défis sociaux et environnementaux de notre siècle, mettre au pas la finance peut-il suffire ?

Éric Bocquet: Nous souhaitons faire de l’argent le nerf de la paix. Face aux enjeux de notre siècle, on nous dit partout que l’argent n’existe pas. Eh bien si, au contraire ! Mais, pour cela, les États doivent reprendre la main. C’est presque une gageure de parler de finance éthique. Mais il n’y a aucune fatalité à ce que ces pratiques d’évasion fiscale et de blanchiment d’argent perdurent. On dit que l’argent n’a pas d’odeur, mais je pense que certains gouvernements n’ont pas d’odorat.

Alain Bocquet: Il faut absolument que les citoyens s’emparent du problème et reprennent le pouvoir sur l’argent. C’est d’ailleurs la dixième piste dans notre livre. Une infime minorité détient les milliards. Mais nous sommes des milliards d’êtres humains à pouvoir décider de l’utilisation de cet argent, qui, après tout, appartient à ceux qui ont créé les richesses. C’est évidemment un combat communiste et humaniste !

Justement, qui sont les bénéficiaires de ce système qui fonctionne à la fois sur l’évasion fiscale, mais aussi sur les bénéfices à tirer des dettes des États ?

Éric Bocquet; On estime que 8 % du PIB mondial est dissimulé dans les paradis fiscaux, soit plus de 6 000 milliards de dollars. Tout cela profite aux marchés financiers, aux multinationales, mais surtout aux Gafam. Ces géants ont enregistré pas moins de 27 milliards de dollars en plus durant les mois de pandémie en 2020. D’ailleurs, les Gafam ont en tête de se substituer aux États en investissant dans la santé, dans l’éducation, dans des voitures sans chauffeur… Ils ont maintenant le PIB de certains États et, à terme, ne leur manqueront plus que l’armée et la diplomatie.

Alain Bocquet: Il est urgent de remettre à plat l’organisation de la finance mondiale. Nous ne sommes plus à l’époque de la domination du dollar. C’est pourquoi nous proposons la création d’une organisation mondiale de la finance, avec des représentants de ce milieu, mais aussi des États, des Parlements, des ONG, des syndicats, pour gérer la Bourse mondiale. Vaste sujet !

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18 septembre 2021 6 18 /09 /septembre /2021 06:33
La tombe de Victor Jara (photo Page facebook de Ilio Barontini)

La tombe de Victor Jara (photo Page facebook de Ilio Barontini)

Victor Jara - Septembre 1973
VICTOR JARA
Les mots ne sont pas innocents. On ne défie pas impunément le pouvoir, surtout s'il est entre les mains de dictateurs sanguinaires.
Victor JARA, assassiné le 16 septembre 1973, en fit l'amer constat, payant de sa vie son engagement militant auprès de Salvador Allende au Chili.
Chantre de la révolution communiste, Victor JARA chantait le partage des terres, critiquait le conformisme bourgeois, dénonçait la répression militaire, condamnait la guerre du Vietnam…
Après le coup d'état du Général Pinochet, Victor JARA fut arrêté et emprisonné dans le stade de Santiago, lieu de triste mémoire.
Il fut torturé et exécuté. Pinochet a échappé à ses juges. Le monde de justice rêvé par JARA n'est pas pour demain.
" On amena Victor et on lui ordonna de mettre les mains sur la table. Dans celles de l'officier, une hache apparut. D'un coup sec il coupa les doigts de la main gauche, puis d'un autre coup, ceux de la main droite. On entendit les doigts tomber sur le sol en bois. Le corps de Victor s'écroula lourdement. On entendit le hurlement collectif de 6 000 détenus. L'officier se précipita sur le corps du chanteur-guitariste en criant : " Chante maintenant pour ta putain de mère ", et il continua à le rouer de coups. Tout d'un coup Victor essaya péniblement de se lever et comme un somnambule, se dirigea vers les gradins, ses pas mal assurés, et l'on entendit sa voix qui nous interpellait : " On va faire plaisir au commandant. "
Levant ses mains dégoulinantes de sang, d'une voix angoissée, il commença à chanter l'hymne de l'Unité populaire, que tout le monde reprit en Chœur. C'en était trop pour les militaires ; on tira une rafale et Victor se plia en avant. D'autres rafales se firent entendre, destinées celles-là à ceux qui avaient chanté avec Victor. Il y eut un véritable écroulement de corps, tombant criblés de balles. Les cris des blessés étaient épouvantables. Mais Victor ne les entendait pas. Il était mort. "
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12 septembre 2021 7 12 /09 /septembre /2021 05:22

 

Depuis trente années le XXIème siècle peine à s’affirmer dans ses contours internationaux. Nous crûmes d’abord qu’il avait commencé en 1991 avec l’effondrement du monde soviétique, raccourcissant, comme le suggérait l’historien britannique Eric Hobsbawm, le siècle précédent. Puis devant l’incapacité des États-Unis à maîtriser au tournant du siècle le cours de la mondialisation à travers son fameux triptyque – ouverture internationale, démocratie, marché -, on se dit que tout commençait sérieusement avec les attentats du 11 septembre 2001 et la grande aventure de la « lutte mondiale contre le terrorisme » prônée par Bush Junior et à laquelle nous étions sommés de nous rallier. Et bien non, c’est vingt ans plus tard, cette stratégie s’écroulant, que s’esquissent les traits du siècle à venir. 1991, 2001, 2021, les séquences s’enchaînent, le siècle bégaie, peine à se mettre en place, mais fraie son chemin.

L’issue de cette guerre afghane dépasse par sa portée le territoire de ce petit pays – le cimetière des Empires – et s’apparente au grain de sable dans la chaussure. Si la consternation et parfois la concertation dans le désordre s’installent entre les principales chancelleries, c’est que beaucoup de certitudes tenues pour évidentes viennent de basculer. Les grilles de lectures acquises vacillent tant la portée de l’événement bouscule. Car ce que la chute de Kaboul nous dit du monde qui s’annonce relève de la grande lessive. Quelques premières leçons peuvent s’imposer sans trop de risques d’erreurs.

Cette guerre est emblématique des conflits asymétriques qui ont surgi à travers le monde et qui se transforment en guerre sans fin, dont les objectifs s’érodent d’autant plus en cours de route qu’ils ont été mal définis ou volontairement occultés dès le départ. L’enlisement ne peut être qu’au bout du chemin et le prix à payer à l’arrivée dépend de l’ampleur de l’engagement, du coût initié, des pertes humaines, des divisions internes et de l’humiliation médiatique. Là, l’addition est phénoménale et envoie un signal fort aux autres conflits en cours. Alliés et adversaires l’ont compris. L’Empire est rentré chez lui et hésitera à en sortir, d’autant plus qu’il a fait savoir qu’il avait beaucoup à faire, notamment face au grand rival qui monte, la Chine. « Gulliver empêtré » nous disait déjà Santley Hoffmann il y a cinquante ans dans un autre contexte. Bien sûr, il ne reste pas désarmé et sans puissance et sera attentif à tout ce qui pourrait remettre en cause son hégémonie. Ingérences, surveillances, déstabilisations, embargos, saisies d’avoirs, mesures de contraintes ne seront pas remisés et s’appuieront sur les réseaux d’influences mis en place et la formidable technologie disponible, de la cyber-attaque aux drones.

Devant la défaite cuisante, l’équipe en place devra rendre compte de ses maladresses, de son manque de clairvoyance, de l’échec de ses services ou du refus de leur écoute. Il faudra trouver un bouc émissaire. Un séisme politique s’annonce qui sera plus difficile à surmonter que les péripéties de la fin de la guerre du Vietnam. L’heure du bilan a déjà commencé et il s’annonce ravageur, d’autant que les trois dernières équipes présidentielles sont concernées. Le déballage se fait devant le monde entier.

Dans une large partie de la planète on peut toujours considérer que le pouvoir est au bout du fusil selon la formule en vogue dans les années soixante et soixante-dix. Les conflits en cours vont trouver un formidable encouragement à leurs objectifs devant l’incapacité de la première puissance à façonner le monde à sa guise. Ce qui s’était esquissé au lendemain de la fin de la guerre froide, la multiplication de désordres échappant aux logiques anciennes, va retrouver une nouvelle jeunesse et encourager l’extension de zones grises laissant l’Occident spectateur impuissant face à l’anomie créée. Devant ces zones grises les instruments du monde ancien – armes nucléaires, engagements prolongés sur le terrain – seront inopérants. Il ne reste plus que modèle israélien vis-à-vis de Gaza, c’est-à-dire l’expédition punitive courte – pour éviter les retours d’opinions publiques – accompagnée pour le temps long de toutes les mesures d’asphyxie économiques, juridiques et financières que procure le statut de principale puissance encore dotée de l’hégémonie du dollar. Car la palette d’actions possibles reste loin d’être totalement affectée et on aurait tort de croire l’Empire totalement désarmé.

Le monde devra désormais vivre avec un islam radical buissonnant et conquérant dont l’ambition n’a cessé de croître depuis la chute, en 1979, d’un des pays le plus occidentalisé d’Orient, celui du Shah d’Iran. Ce retour du religieux, qui n’est pas que la marque de l’islam, fait son chemin depuis plusieurs décennies, ne peut qu’être dopé par la chute de Kaboul. L’influence intégriste s’étale déjà dans de larges parties de l’Asie et de l’Afrique et s’oppose au Sahel aux troupes occidentales désemparées, devant les faibles succès rencontrés, sur la stratégie à adopter. La responsabilité de l’Occident dans ces remontées est écrasante. Cet islam a été instrumentalisé pour éliminer les progressistes au Moyen-Orient, pour casser les expériences de construction nationale portées par les gauches nationalistes issues des luttes de décolonisation. Depuis le soutien américain aux Moudjahidines antisoviétiques d’Afghanistan qui essaimèrent dans maintes régions du monde, en passant par l’intervention en Irak qui entraîna la création de Daech et livra le pays à l’influence iranienne jusqu’à l’expédition en Libye dont le contrecoup déstabilisa le Sahel, l’Occident a créé l’objet de ses turpitudes. Et il ne peut, sans gloire, que proposer d’abandonner ces populations à la férule de régimes moyenâgeux qui devront seulement s’engager à ne pas laisser se développer de préparatifs hostiles à partir de leur territoire.

On est bien loin des projets devant refaçonner le Grand Moyen-Orient en démocratie. Ce n’est plus à l’agenda. La perspective est celle du retrait qui découle de la fin de la croyance qu’il était possible, par les armes ou les expéditions guerrières d’imposer la démocratie, les droits de l’homme ou le « nation building ». Les États-Unis ne nourrissent plus une telle ambition, qui n’a souvent été agitée que comme prétexte, tout à leur grande préoccupation de conserver leur première place face à un rival montant. Il y a un basculement des priorités que les alliés doivent comprendre et dont ils doivent aussi savoir que s’il leur venait l’envie de s’engager dans ce type d’aventure, ce serait sans appui.

Dans le domaine des idées, cette défaite nous fait faire retour aux propos de Samuel Huntington. Peu d’auteurs auront fait l’objet d’aussi nombreux commentaires, pour être décriés ou salués, que celui qui annonçait en 1993, dans un article de la revue américaine Foreign Affairs que nous étions désormais entrés dans l’ère du « choc des civilisations ». On mesure aujourd’hui combien il a mal été interprété et incompris. Connaissant le sort du messager qui apporte la mauvaise nouvelle, il a été fusillé. Et il a été trouvé plus confortable de se mettre la tête dans le sable plutôt que de l’entendre. Que nous dit-il ? Que le temps des grands conflits idéologiques susceptibles de dégénérer en guerres était terminé. Qu’ils feraient place à une nouvelle forme de conflictualité adossée à des civilisations fortement marquées par des religions, et que dans le contexte d’un Occident déclinant, il était vain d’aller guerroyer dans ces terres étrangères, car l’échec serait prévisible. Après s’être opposé à la guerre du Vietnam, il condamnera les interventions en Afghanistan et en Irak et prendra soin de se démarquer de la ligne bushienne des neocons de la « guerre globale au terrorisme » dont on a essayé de lui attribuer la paternité. Le temps est venu de le lire comme prédicteur et non comme prescripteur et de comprendre que ces guerres sans fin à l’autre bout du monde sont vaines.

Enfin, on feint de découvrir que ces conflits prolongés présentent partout la même conséquence. Ils précipitent les populations civiles dans la recherche d’un exil et poussent à la montée des flux migratoires. Les pays d’accueil sollicités étant rarement les pays responsables. Très tôt mobilisé, le président Macron nous met en garde. Les possibilités d’accueil sont limitées et devant la multiplication de ces zones grises à venir, il est impossible de ne pas réguler les flux migratoires. Chacun a compris que dans ce domaine le discours avait changé et que Kaboul marquera un tournant. Bref, il ne nous dit pas autre chose que les flux migratoires sont à la fois inévitables et impossibles et qu’ils interpellent les traditions d’internationalisme : aider à fuir ou aider à s’organiser et à résister lorsqu’un partage de valeurs est possible, car tout ce qui bouge aux confins de la planète n’est pas forcément rouge.

On n’a pas fini de digérer les leçons de la chute de Kaboul.

 

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9 septembre 2021 4 09 /09 /septembre /2021 19:11
Aube dorée, l'affaire de tous - le film-choc d'Angélique Kourounis sur l'extrême-droite grecque et Aube Dorée en tournée bretonne
Aube dorée, l'affaire de tous - le film-choc d'Angélique Kourounis sur l'extrême-droite grecque et Aube Dorée en tournée bretonne

Le flyer de la tournée bretonne du film "Aube dorée, l'affaire de tous"

Maxime Bitter, Angélique Kourounis et Thomas Iacobi, photo prise par Hervé Ricou la semaine dernière au festival du film de Douarnenez.

Maxime Bitter, Angélique Kourounis et Thomas Iacobi, photo prise par Hervé Ricou la semaine dernière au festival du film de Douarnenez.

Article du Télégramme, 27 août 2021, sur Aube Dorée, une affaire de Tous

Aube Dorée l'affaire de tous

Angélique Kourounis est la réalisatrice de deux documentaires sur le parti néo-nazi grec: l'Aube dorée.

En 2017 l'Association Bretagne Grèce Solidarité Santé a parrainé avec de nombreux partenaires locaux des projections-débats autour du film-Aube dorée-une affaire personnelle-  dans une quinzaine de salles de la région. Ce film décrivait l'installation du parti néo-nazi dans le pays et au parlement comme 3ème force politique.

Cette année Angélique Kourounis avec un nouveau film -Aube dorée-l'affaire de tous- décortique 6 années de procès qui ont abouti à la condamnation d'Aube dorée comme organisation criminelle. Bretagne Grèce Solidarité Santé parraine une nouvelle tournée de projections-débats dans 14 salles en Bretagne dont 5 dans le Finistère en présence et avec la participation d'Angélique Kourounis.

3 projections du premier film "Aube Dorée, une affaire personnelle" et 3 projections du film de 2021 "Aube Dorée l'affaire de tous" ont eu lieu au festival du film de Douarnenez du 21 au 28/08 qui avait comme thème Peuples et luttes en Grèce.

Standing ovation incroyable à la fin du dernier film!

la bande-annonce: https://vimeo.com/560771007

PJ: article du Télégramme du 27/08/2021 (édition de Douarnenez)

Les dates bretonnes pour voir le film en présence des réalisateurs, Maxime Bitter, Angélique Kourounis et Thomas Iacobi:

> Le 3 septembre au cinéma Iris, Questembert, 56230, 20h30

> Le 5 septembre, à Brasparts, lieu-dit Tromac'h 29190, 17h

> Le 6 septembre, au cinéma Les Baladins, Lannion, 22300, 20h

> Le 7 septembre, au cinéma Le Vulcain, Inzinzac-Lochrist, 56650, 20h30

> Le 8 septembre, au cinéma Club 6, St Brieuc, 22000, 20h

> Le 9 septembre, au cinéma Rex, Pontivy, 56300, 20h

> Le 10 septembre, au Patronage Laïque Guérin, 1 rue Alexandre Ribot Brest, 29200, 20h

> Le 11 septembre, à Ti An Oll, Plourin-les-Morlaix, 29600, 16h

> Le 14 septembre, MJC Kerfeuteun, Quimper, 29000, 20h

> Le 16 septembre, au cinéma Ty Hanok, Auray, 56400

> Le 17 septembre, Local Fête de l'Ével, Baud, 56150, 19h30

> Le 21 septembre, au cinéma Arvor, Rennes, 35000, 20h15

> Le 23 septembre, au cinéma Le Vauban, St Malo, 35400, 20h

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9 septembre 2021 4 09 /09 /septembre /2021 05:46

 

Depuis trente années le XXIème siècle peine à s’affirmer dans ses contours internationaux. Nous crûmes d’abord qu’il avait commencé en 1991 avec l’effondrement du monde soviétique, raccourcissant, comme le suggérait l’historien britannique Eric Hobsbawm, le siècle précédent. Puis devant l’incapacité des États-Unis à maîtriser au tournant du siècle le cours de la mondialisation à travers son fameux triptyque – ouverture internationale, démocratie, marché -, on se dit que tout commençait sérieusement avec les attentats du 11 septembre 2001 et la grande aventure de la « lutte mondiale contre le terrorisme » prônée par Bush Junior et à laquelle nous étions sommés de nous rallier. Et bien non, c’est vingt ans plus tard, cette stratégie s’écroulant, que s’esquissent les traits du siècle à venir. 1991, 2001, 2021, les séquences s’enchaînent, le siècle bégaie, peine à se mettre en place, mais fraie son chemin.

L’issue de cette guerre afghane dépasse par sa portée le territoire de ce petit pays – le cimetière des Empires – et s’apparente au grain de sable dans la chaussure. Si la consternation et parfois la concertation dans le désordre s’installent entre les principales chancelleries, c’est que beaucoup de certitudes tenues pour évidentes viennent de basculer. Les grilles de lectures acquises vacillent tant la portée de l’événement bouscule. Car ce que la chute de Kaboul nous dit du monde qui s’annonce relève de la grande lessive. Quelques premières leçons peuvent s’imposer sans trop de risques d’erreurs.

Cette guerre est emblématique des conflits asymétriques qui ont surgi à travers le monde et qui se transforment en guerre sans fin, dont les objectifs s’érodent d’autant plus en cours de route qu’ils ont été mal définis ou volontairement occultés dès le départ. L’enlisement ne peut être qu’au bout du chemin et le prix à payer à l’arrivée dépend de l’ampleur de l’engagement, du coût initié, des pertes humaines, des divisions internes et de l’humiliation médiatique. Là, l’addition est phénoménale et envoie un signal fort aux autres conflits en cours. Alliés et adversaires l’ont compris. L’Empire est rentré chez lui et hésitera à en sortir, d’autant plus qu’il a fait savoir qu’il avait beaucoup à faire, notamment face au grand rival qui monte, la Chine. « Gulliver empêtré » nous disait déjà Santley Hoffmann il y a cinquante ans dans un autre contexte. Bien sûr, il ne reste pas désarmé et sans puissance et sera attentif à tout ce qui pourrait remettre en cause son hégémonie. Ingérences, surveillances, déstabilisations, embargos, saisies d’avoirs, mesures de contraintes ne seront pas remisés et s’appuieront sur les réseaux d’influences mis en place et la formidable technologie disponible, de la cyber-attaque aux drones.

Devant la défaite cuisante, l’équipe en place devra rendre compte de ses maladresses, de son manque de clairvoyance, de l’échec de ses services ou du refus de leur écoute. Il faudra trouver un bouc émissaire. Un séisme politique s’annonce qui sera plus difficile à surmonter que les péripéties de la fin de la guerre du Vietnam. L’heure du bilan a déjà commencé et il s’annonce ravageur, d’autant que les trois dernières équipes présidentielles sont concernées. Le déballage se fait devant le monde entier.

Dans une large partie de la planète on peut toujours considérer que le pouvoir est au bout du fusil selon la formule en vogue dans les années soixante et soixante-dix. Les conflits en cours vont trouver un formidable encouragement à leurs objectifs devant l’incapacité de la première puissance à façonner le monde à sa guise. Ce qui s’était esquissé au lendemain de la fin de la guerre froide, la multiplication de désordres échappant aux logiques anciennes, va retrouver une nouvelle jeunesse et encourager l’extension de zones grises laissant l’Occident spectateur impuissant face à l’anomie créée. Devant ces zones grises les instruments du monde ancien – armes nucléaires, engagements prolongés sur le terrain – seront inopérants. Il ne reste plus que modèle israélien vis-à-vis de Gaza, c’est-à-dire l’expédition punitive courte – pour éviter les retours d’opinions publiques – accompagnée pour le temps long de toutes les mesures d’asphyxie économiques, juridiques et financières que procure le statut de principale puissance encore dotée de l’hégémonie du dollar. Car la palette d’actions possibles reste loin d’être totalement affectée et on aurait tort de croire l’Empire totalement désarmé.

Le monde devra désormais vivre avec un islam radical buissonnant et conquérant dont l’ambition n’a cessé de croître depuis la chute, en 1979, d’un des pays le plus occidentalisé d’Orient, celui du Shah d’Iran. Ce retour du religieux, qui n’est pas que la marque de l’islam, fait son chemin depuis plusieurs décennies, ne peut qu’être dopé par la chute de Kaboul. L’influence intégriste s’étale déjà dans de larges parties de l’Asie et de l’Afrique et s’oppose au Sahel aux troupes occidentales désemparées, devant les faibles succès rencontrés, sur la stratégie à adopter. La responsabilité de l’Occident dans ces remontées est écrasante. Cet islam a été instrumentalisé pour éliminer les progressistes au Moyen-Orient, pour casser les expériences de construction nationale portées par les gauches nationalistes issues des luttes de décolonisation. Depuis le soutien américain aux Moudjahidines antisoviétiques d’Afghanistan qui essaimèrent dans maintes régions du monde, en passant par l’intervention en Irak qui entraîna la création de Daech et livra le pays à l’influence iranienne jusqu’à l’expédition en Libye dont le contrecoup déstabilisa le Sahel, l’Occident a créé l’objet de ses turpitudes. Et il ne peut, sans gloire, que proposer d’abandonner ces populations à la férule de régimes moyenâgeux qui devront seulement s’engager à ne pas laisser se développer de préparatifs hostiles à partir de leur territoire.

On est bien loin des projets devant refaçonner le Grand Moyen-Orient en démocratie. Ce n’est plus à l’agenda. La perspective est celle du retrait qui découle de la fin de la croyance qu’il était possible, par les armes ou les expéditions guerrières d’imposer la démocratie, les droits de l’homme ou le « nation building ». Les États-Unis ne nourrissent plus une telle ambition, qui n’a souvent été agitée que comme prétexte, tout à leur grande préoccupation de conserver leur première place face à un rival montant. Il y a un basculement des priorités que les alliés doivent comprendre et dont ils doivent aussi savoir que s’il leur venait l’envie de s’engager dans ce type d’aventure, ce serait sans appui.

Dans le domaine des idées, cette défaite nous fait faire retour aux propos de Samuel Huntington. Peu d’auteurs auront fait l’objet d’aussi nombreux commentaires, pour être décriés ou salués, que celui qui annonçait en 1993, dans un article de la revue américaine Foreign Affairs que nous étions désormais entrés dans l’ère du « choc des civilisations ». On mesure aujourd’hui combien il a mal été interprété et incompris. Connaissant le sort du messager qui apporte la mauvaise nouvelle, il a été fusillé. Et il a été trouvé plus confortable de se mettre la tête dans le sable plutôt que de l’entendre. Que nous dit-il ? Que le temps des grands conflits idéologiques susceptibles de dégénérer en guerres était terminé. Qu’ils feraient place à une nouvelle forme de conflictualité adossée à des civilisations fortement marquées par des religions, et que dans le contexte d’un Occident déclinant, il était vain d’aller guerroyer dans ces terres étrangères, car l’échec serait prévisible. Après s’être opposé à la guerre du Vietnam, il condamnera les interventions en Afghanistan et en Irak et prendra soin de se démarquer de la ligne bushienne des neocons de la « guerre globale au terrorisme » dont on a essayé de lui attribuer la paternité. Le temps est venu de le lire comme prédicteur et non comme prescripteur et de comprendre que ces guerres sans fin à l’autre bout du monde sont vaines.

Enfin, on feint de découvrir que ces conflits prolongés présentent partout la même conséquence. Ils précipitent les populations civiles dans la recherche d’un exil et poussent à la montée des flux migratoires. Les pays d’accueil sollicités étant rarement les pays responsables. Très tôt mobilisé, le président Macron nous met en garde. Les possibilités d’accueil sont limitées et devant la multiplication de ces zones grises à venir, il est impossible de ne pas réguler les flux migratoires. Chacun a compris que dans ce domaine le discours avait changé et que Kaboul marquera un tournant. Bref, il ne nous dit pas autre chose que les flux migratoires sont à la fois inévitables et impossibles et qu’ils interpellent les traditions d’internationalisme : aider à fuir ou aider à s’organiser et à résister lorsqu’un partage de valeurs est possible, car tout ce qui bouge aux confins de la planète n’est pas forcément rouge.

On n’a pas fini de digérer les leçons de la chute de Kaboul.

 

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