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19 janvier 2019 6 19 /01 /janvier /2019 12:25
COMMUNIST’ART - Erik Satie

Article pour Rouge Finistère:

COMMUNIST’ART

Erik Satie

Né à Honfleur en 1866 et mort à Paris en 1925, Erik Satie est un compositeur français atypique, authentique et inclassable. Son œuvre se concentre exclusivement sur l’essentiel. Il fait peu cas des démonstrations de virtuosité de ses pairs car pour cet homme simple, humble et fragile l’absence de volonté de plaire est prégnante. Jeune, et jugé sans talent par ses professeurs, il sera renvoyé du conservatoire de musique. Mais si les musiciens classiques de son époque le boudent, le peuple, lui, connaît tout de Satie. Satie, c’est en quelque sorte tout le monde. Il aimait d’ailleurs à dire «  Je m’appelle Erik Satie, comme tout le monde ».

Sa musique est anti-bourgeoise. Elle n’a pas pour vocation d’en mettre plein la vue. Il a influencé des peintres, des écrivains. Jean Cocteau fera appelle à lui notamment. John Cage dira de lui, plus tard, qu’il est et restera indispensable. Sa popularité auprès d’un très large public le démontre encore aujourd’hui.

Au lendemain de l’assassinat de Jaurès, il exprime son indignation en s’inscrivant à la SFIO (Section française de l’internationale ouvrière).  En 1898, à l’âge de 32 ans, et à Arcueil, il s’engage politiquement avec les communistes à l’issue du congrès de Tours. Il est élu municipal en 1923, jusqu’à son décès.  Durant son mandat, il est à l’origine du développement d’œuvre sociale comme celle de l’enfance défavorisée à laquelle il donne et offre un accès gratuit à la musique. Il place l’art comme vecteur de rencontre, de partage et d’éducation.  Aujourd’hui encore, près d’un siècle après sa disparition, sa notoriété est intacte dans la mémoire populaire. Et il est à parier que son œuvre et son engagement résisteront encore longtemps à l’épreuve du temps.

Gymnopédie – Trois morceaux en forme de poire – Préludes flasques pour un chien.

Hector Calchas

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16 janvier 2019 3 16 /01 /janvier /2019 08:39
Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht, 15 janvier 1919: La révolution assassinée

Il y a 100 ans, la semaine sanglante de Berlin mettait fin à l’espoir d’un changement révolutionnaire en Allemagne. Le 15 janvier 1919, Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht étaient assassinés sur ordre du ministre SPD de la guerre, Gustav Noske. À lire ce mardi dans l’Humanité, un dossier spécial consacré à la révolution spartakiste

Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht. La révolution assassinée
Mardi, 15 Janvier, 2019

Il y a cent ans, la semaine sanglante de Berlin mettait fin à l’espoir d’un changement révolutionnaire en Allemagne né en octobre-novembre 1918. Le 15 janvier 1919, Karl Liebknecht et Rosa Luxemburg étaient assassinés sur ordre du ministre SPD de la Guerre, Gustav Noske. Un acte qui pèsera très lourd lors de la montée du nazisme.

« Est-il vrai que Karl Liebknecht et Rosa Luxemburg soient morts ? Est-il vrai qu’ils aient été tous deux abominablement assassinés ? Nous voudrions pouvoir douter de l’authenticité de l’atroce nouvelle. Hélas ! Il semble bien qu’aucun doute n’est permis. » Le 18 janvier 1919, l’Humanité exprime sa stupéfaction et sa tristesse. « Par quelle fatale loi faut-il que le sang des martyrs soit nécessairement la semence d’où sortiront les temps nouveaux ? » observe Amédée Dunois. Une communauté de destin liait Jean Jaurès, tué par un nationaliste le 31 juillet 1914 au café du Croissant, et les deux dirigeants spartakistes abattus par des membres des Freikorps, à Berlin, ce 15 janvier 1919. Entre ces deux crimes, la Première Guerre mondiale, qu’ensemble ils avaient voulu empêcher, avait décimé toute une génération de jeunes Français et Allemands.

Autant de conditions pour réussir une révolution socialiste

Cette exécution sommaire va frapper à mort la révolution de novembre, qui avait suscité tant d’espoirs dans le mouvement ouvrier, chez les penseurs marxistes. Un haut niveau de développement, une classe ouvrière nombreuse et organisée, un Parti social-démocrate le plus ancien et le plus puissant d’Europe étaient autant de conditions pour réussir une révolution socialiste. Karl Liebknecht et Rosa Luxemburg n’ont pas été assassinés par des ennemis de classe traditionnels, monarchistes ou nationalistes, leur mort a été commanditée par des dirigeants sociaux-démocrates, des hommes qui peu de temps auparavant siégeaient au Reichstag dans le même groupe parlementaire que Karl Liebknecht.

Karl Liebknecht et Rosa Luxemburg, tous deux nés en 1871, appartenaient à l’aile gauche du SPD, le mouvement spartakiste qui en avril 1917 s’est constitué en une structure autonome, l’USPD (« unabhängig » : indépendant). Karl est le fils de Wilhelm Liebknecht, qui fut un dirigeant de la Ligue des communistes aux côtés de Karl Marx et Friedrich Engels à partir de 1847, puis cofondateur du SPD. Avocat, Karl Liebknecht est député au Reichstag. Rosa Luxemburg est née dans une famille juive à Zamosc, en Pologne, à l’époque intégrée à l’Empire russe. Son père est marchand de bois. Brillante élève, elle s’engage en politique dès l’adolescence en intégrant un groupe socialiste clandestin. Après le lycée à Varsovie, Rosa s’installe en Suisse pour échapper aux discriminations antisémites et y poursuivre des études de philosophie et d’économie. Ayant obtenu la nationalité du Reich, elle adhère au SPD, où elle travaille comme journaliste pour la presse socialiste et comme enseignante à l’école du parti.

En août 1914, Karl Liebknecht est le seul député qui se prononce contre la guerre. À la mi-juillet, quelques jours avant l’assassinat de Jean Jaurès, il avait participé à un meeting franco-allemand à Condé-sur-l’Escaut (Nord). Le groupe l’Internationale, du nom de la revue dirigée par Rosa Luxemburg, à l’origine du mouvement spartakiste, mène clandestinement une propagande pacifiste. En mai 1915, un tract popularise un texte de Liebknecht : « L’ennemi principal du peuple allemand est en Allemagne : l’impérialisme allemand, le parti de la guerre allemand, la diplomatie secrète allemande. C’est cet ennemi qu’il s’agit pour le peuple allemand de combattre dans une lutte politique, en collaboration avec le prolétariat des autres pays, dont la lutte est dirigée contre ses propres impérialistes. » Le 1er mai 1916, les spartakistes réussissent à organiser un rassemblement, le député y prononce un discours antiguerre qui lui vaut la prison jusqu’en 1918. Embastillée à Breslau (aujourd’hui Wroclaw) depuis 1915, Rosa Luxemburg ne retrouvera Berlin que le 10 novembre 1918, au lendemain de l’abdication de Guillaume II et à la veille de l’armistice. Berlin est alors en pleine révolution.

De port en port, la révolte se propage

1918, qui s’achève, a été marquée par une montée de la contestation. Sur le front et dans toutes les contrées sous domination germanique, l’opposition à la guerre est renforcée par la perspective d’une possible défaite. De plus, la révolution russe d’octobre 1917 a un grand écho dans les couches populaires. Depuis Brest-Litovsk, les combats ont cessé à l’Est, des scènes de fraternisation entre soldats allemands et russes inquiètent l’état-major. La chute du tsar affaiblit la position du Kaiser. Pour pouvoir présenter un visage plus avenant aux puissances de l’Entente en vue des négociations de fin de conflit, un nouveau gouvernement présidé par le prince de Bade est constitué avec la participation du SPD.

Mais dans les tranchées, les usines, les quartiers ouvriers aux Mietskasernen surpeuplées et insalubres, la colère monte contre la monarchie, les capitalistes, l’armée et les junkers, l’aristocratie foncière qui domine la vie politique. Un simple ravalement de façade institutionnel suffira-t-il à calmer les attentes ? Faut-il au contraire un changement révolutionnaire ? Sur ce débat qui traverse le mouvement ouvrier dans tous les pays, le socialisme allemand va se fracasser au cours d’une confrontation sanglante.

Fin octobre. Les marins de Kiel se mutinent contre l’ordre qui leur a été donné d’entreprendre une sortie contre la flotte anglaise. De port en port, la révolte se propage. Les régions du Sud lui embrayent le pas. Dans de nombreuses villes jusqu’en Bavière, on proclame la République. Sur le modèle des soviets, se sont constitués des conseils d’ouvriers et de soldats (Arbeiter und Soldatenräte) qui se manifestent au grand jour comme des structures délibératives, alternatives au pouvoir qui s’effondre.

Berlin, capitale d’un empire en perdition, vit une situation chaotique. Les tensions politiques tournent à l’affrontement. Défilés d’ouvriers drapeaux rouges déployés soutenant les spartakistes et réclamant le pouvoir des conseils ouvriers, automobiles armées de mitrailleuses en patrouille, soldats en déshérence prêts à se vendre comme mercenaires pour rétablir l’ordre dans les quartiers rouges et qui seront plus tard les premières recrues du parti nazi. On chante l’Internationale et l’hymne socialiste « frères en avant vers le soleil et la liberté », mais on ne fait pas que chanter, on se bat aussi, ouvriers contre membres des corps francs mais aussi entre sociaux-démocrates et spartakistes.

Face à l’armée, le courage des révolutionnaires ne suffira pas

Signe de cette division, le 9 novembre, la République est proclamée deux fois : le social-démocrate Philipp Scheidemann, au Reichstag, annonce la « République allemande », prenant de vitesse Karl Liebknecht, qui du balcon du château de Hohenzollern lance devant la foule enthousiaste « Vive la République socialiste et libre ! ». Deux options vont s’avérer inconciliables. Le pouvoir aux conseils et le socialisme défendu par le Parti communiste allemand (KPD), qui naît le 1er janvier 1919, les spartakistes en formant la composante essentielle. En face, la social-démocratie choisit l’alliance avec l’armée pour réprimer l’aile révolutionnaire. Dans un télégramme aux troupes, le maréchal Hindenburg annonce que le haut commandement est disposé à agir avec Ebert pour empêcher l’extension du bolchevisme en Allemagne. Le 10 novembre, une assemblée des conseils ouvriers et soldats n’apporte pas au camp de la révolution le soutien attendu. La majorité souhaite la fin de la guerre fratricide dans le camp ouvrier.

Début janvier, la destitution du préfet de police Emil Eichhorn, membre de l’USPD, va être l’occasion saisie par le gouvernement pour écraser la révolution. 150 000 manifestants défilent en soutien à Eichhorn à l’appel du Parti communiste et de l’USPD. Face à l’armée, le courage des révolutionnaires ne suffira pas. Du 6 au 15 janvier, la troupe sous les ordres de Gustav Noske se livre à un massacre, les révolutionnaires arrêtés sont abattus sur place. Noske, ministre de la Guerre et dirigeant du SPD, avait déclaré : « Il faut que quelqu’un fasse le chien sanguinaire : je n’ai pas peur des responsabilités. »

Rosa Luxemburg, Karl Liebknecht refusent d’abandonner les ouvriers berlinois. Arrêtés, emmenés à l’hôtel Eden, ils sont mis à mort par les nervis des corps francs, dirigés par le commandant Waldemar Pabst aux ordres de Noske. Assommée à coups de crosse, Rosa Luxemburg est jetée dans le Landwehrkanal, Karl Liebknecht est abattu dans le Tiergarten.

La semaine sanglante frappe le monde ouvrier de stupeur. Mais la révolution continue dans les régions. À Brême, déclarée « république socialiste », les affrontements avec l’armée font une centaine de morts. Dans la Ruhr, les ouvriers veulent socialiser les charbonnages et occupent le siège du patronat à Essen. Et partout, le ministre SPD réplique par la terreur (tirs sur la foule, exécutions sommaires…).

Les spartakistes ont mal apprécié le rapport de forces et commis des erreurs tactiques. Dans les deux articles publiés par Die Rote Fahne la veille et le jour même de leur disparition, Karl Liebknecht et Rosa Luxemburg analysent lucidement leur échec. Mais c’est bien le SPD qui porte devant l’Histoire l’immense responsabilité d’avoir creusé dans la gauche allemande une fracture irrémédiable qui contribuera quelques années plus tard à son incapacité à faire front contre la montée du nazisme. Et avec quelles conséquences !

Poursuivre la lecture avec : - Histoire de l’Allemagne contemporaine, de Gilbert Badia, deux volumes. Éditions sociales, 1987. - Lettres et textes choisis, de Rosa Luxemburg. Le Temps des cerises, 2014. - Rosa Luxemburg, l’étincelle incendiaire, de Michael Löwy. Le Temps des cerises, 2018. - Alfred Döblin, Novembre 1918, Agone, 2010.
Jean-Paul Piérot

 

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13 janvier 2019 7 13 /01 /janvier /2019 10:38
Paul Couesnon apprenti à l'école Estienne  (photo archives famille Couesnon-Huet)

Paul Couesnon apprenti à l'école Estienne (photo archives famille Couesnon-Huet)

MORT POUR LA FRANCE

Paul, lieutenant de la Résistance

Par Yvon Huet

Retraité, journaliste à la rédaction de Vie Nouvelle et Présence

 

Paul Couesnon, mon grand-oncle, fut militant de la CGT, secrétaire du syndicat des photograveurs entre 1935 et 1938 et militant du PCF. Son parcours de militant et de résistant a été gravé dans le marbre par Claude Pennetier, directeur du Maitron, au chapitre des fusillés, de 1940-1944.

Je dois en grande partie mon engagement personnel de syndicaliste et de communiste au récit que ma mère, Yvonne Huet, fille de Lucie Couesnon et Moïse Orlovski, me fit de l’histoire de cet homme qui m’inspire toujours le respect et l’affection, non seulement parce qu’il s’est sacrifié pour la cause que nous défendons, mais aussi parce qu’il a été porteur de valeurs humaines qui se sont transmises sur trois générations. Je ne calcule pas le nombre d’heures où ma mère m’a parlé de son oncle, de son grand cœur, de son romantisme et de son aspiration à voir le monde proscrire les guerres et la barbarie, qui servaient de grand marché au capitalisme prédateur dont il fallait trouver le moyen de se débarrasser.

 

Paul Couesnon dans les tranchées (photo archives famille Couesnon-Huet)

Paul Couesnon dans les tranchées (photo archives famille Couesnon-Huet)

L’URSS constituait pour lui une rupture prometteuse, comme le disait son épouse, Claire Couesnon qui nous a quittés en 1997. De son vrai nom Grunia Epsztajn, juive polonaise et communiste, originaire de Lotz, après avoir fui son pays, Claire se maria avec Paul en 1934.

Elle m’a aussi beaucoup parlé de lui, son grand amour, qui l’épousa pour de vrai après avoir sauvé par un mariage blanc Elisabeth Fazekas, compagne d’Ernst Gerö, dirigeant hongrois de l’internationale communiste. Paul était communiste et humaniste de son temps. Il appliquait pour lui-même tous les principes d’engagement et de solidarité, sans jamais ménager sa personne.

Les origines. – Issu d’une famille d’imprimeurs, il suivait la destinée heureuse d’un monde qui avait déjà obtenu de nombreux acquis sociaux grâce à sa compétence et sa solidarité collective dans une industrie florissante qui détenait la clé de toute parution écrite. Il fut instruit à l’École Estienne et devint ouvrier photograveur, pionnier de la couleur en impression et travailla dans quelques imprimeries, dont, au début, l’imprimerie Charaire, à Sceaux.

En 1914, à 18 ans, il fut envoyé sur le front et se retrouva en 1915 prisonnier après une offensive allemande sur sa ligne. Il restera prisonnier de guerre pendant 4 ans et ne reviendra en France qu’en 1919, usé par sa captivité et atteint par la tuberculose.

Pendant cette période, la famille française envoya des wagons de colis de vêtements et de nourriture qui étaient partagés par la chambrée de ses compagnons d’infortune. C’est ce qui ressort des nombreuses lettres échangées pendant sa captivité. Dans le même temps, les travaux qu’il était obligé de faire, soit à la mine, soit à la ferme, lui permettaient de découvrir la situation

de dénuement où se trouvait le peuple allemand. C’est certainement là que germa sa conscience internationaliste en même temps que sa maladie de poitrine qui le tenaillera toute sa vie.

 

Engagement. – Paul était de cette génération qui haïssait cette guerre qui lui avait gâché ses jeunes années et l’avait fait devenir adulte avant l’heure. Et quand il décida de s’engager, il se battit sur trois fronts, celui de La Sociale avec la CGTU, celui de la perspective politique avec le PCF et lutte pour la paix avec l'Arac.

 

Paul Couesnon avec Thorez à Sotchi

Paul Couesnon avec Thorez à Sotchi

Son engagement pour diffuser l’Espéranto fut une des preuves de sa grande largesse d’esprit. Dans le même temps, il fallait bien qu’il se soigne. C’est ainsi qu’en 1935, après un passage à Moscou où il put voir la sœur de mon grand-père, Moïse, il fut envoyé à Sotchi en convalescence et c’est là qu’il rencontra le couple Thorez et bien d’autres cadres de l’Internationale communiste.

De son rôle dans le PCF nous ne savons que peu de choses. En revanche, nous avons un certain nombre de documents concernant son engagement syndical. Quand il venait voir sa famille à Corbeil-Essonnes, il était souvent épuisé et récupérait l’après-midi avant de repartir sur Paris.
 

1936

1936

Les tensions corporatives dans le syndicat du livre de l’époque transparaissent à partir de quelques documents que sa fille, Maryvonne, née en 1942, a répertorié dans sa documentation. Claire, sa femme, me confirma que les rapports entre syndicats au sein de la fédération du livre étaient toujours compliqués et que Paul faisait preuve de beaucoup de patience.

Pendant sa mandature, de 1935 à 1938, le syndicat des photograveurs s’était affilié à la CGTU alors que la fédération ainsi que la CSTP étaient affiliées à la CGT de Léon Jouhaux. Autant dire que l’ambiance était tendue même si le Front Populaire masqua pour un temps les conflits entre réformistes et révolutionnaires au sein de l’organisation syndicale. Paul avait beaucoup de camarades et amis. Il était respecté pour sa connaissance très affinée de l’évolution des techniques du métier.

Pendant la résistance, il utilisa ses compétences en fabriquant des faux papiers, en travaillant à la parution de l’Humanité et de la Vie Ouvrière. Coopté par le parti pour être recruteur et formateur du réseau parisien du Front National, il prit de gros risques jusqu’au bout et, malheureusement, succomba 7 mois avant la libération de Paris. Il a aussi aidé mon grand-père Moïse, qui ne pouvait plus exercer son métier de photographe et dont la maison fut utilisée par les occupants nazis comme annexe de la Kommandantur.

Double peine. – Convoqué à Chatou le 10 janvier 1944 par son réseau, il fut atteint par une balle en plein ventre, à l’endroit où se trouvait le portefeuille, avec la photo de sa petite fille de deux ans, Maryvonne. Il ne mourut que quelques jours plus tard, les tueurs, dérangés par un passant, n’ayant pas eu le temps de l’achever. Il fut envoyé à l’hôpital où ma grand-mère Lucie put le voir et entendre ses dernières paroles. Aux policiers qui lui disaient qu’il avait été bien naïf de tomber dans un traquenard, il répondit : « Les hommes peuvent se tromper. Le parti ne se trompe jamais. » A Lucie il ajouta : « Si je m’en sors, il faudra qu’on s’explique. » Preuve est faite que ce fut un membre du réseau qui le dénonça à la Gestapo qui le fila et arrêta ainsi tous ceux à qui il rendait visite. D’où l’erreur fatale.

MORT POUR LA FRANCE : Paul, lieutenant de la Résistance - par Yvon Huet, journaliste à la rédaction de Vie nouvelle et Présence

Trente ans plus tard, Claire Couesnon écrivit à Georges Marchais pour demander la réhabilitation de Paul. En réponse, la famille fut reçue par Gaston Plissonnier, membre du bureau politique, qui reconnut une bien triste erreur. La filière pour en savoir plus ne fut pas remontée.

En 1945, le PCF et le Front National avaient inventé une version selon laquelle Paul avait été tué de deux balles dans la nuque par la Gestapo. Claire, certainement pour protéger sa fille, accepta de témoigner pour cette version et de garder le secret sur la triste vérité. Elle vécut deux années « en pénitence de parti » après la libération avant d’être réintégrée. Sa fille, Maryvonne, ne sut la vérité qu’une fois adulte. Quatre femmes ont souffert de ce drame, Lucie, Claire, Yvonne et Maryvonne. Sans la transmission de leur mémoire et le travail documentaire méticuleux de Maryvonne je n’aurais pas pu apporter ce témoignage en hommage à Paul, le « grand bégonia » comme aimaient à le surnommer ses camarades de captivité au camp de Chemnitz où il portait le matricule 1036.

 

1 : Paul, à gauche, apprenti de l’école Estienne, avec son copain Goupil.

2 : Paul, à gauche dans la tranchée.

3 : Paul, 2e dans la 2e rangée, à Sotchi, avec Maurice et Jeannette, au centre du premier rang.

4 : Invitation à une conférence technique organisée par Paul en 1936.

5 : La carte de l’Association des femmes de fusillés et résistants de Claire Couesnon.

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13 janvier 2019 7 13 /01 /janvier /2019 09:48
Courant d'ère, d'Hervé Hamon (Le Télégramme, 13 janvier 2019): la bête humaine!

La haine, l’injure, le fanatisme sont particulièrement détestables en démocratie. Et j’ai bien peur que nous soyons parvenus là-dessus à une sorte de point de non-retour, à une exaspération qui ne sait ou ne veut trouver ses démineurs. Les coups de poing et les gaz lacrymogènes n’y peuvent mais. Et les débats où les « lignes rouges » sont tracées d’avance risquent fort, je le crains, de n’apaiser personne.

Cela me donne envie de jeter un coup d’œil en arrière, et de noter combien l’aversion contre la « populace », contre la « canaille », est une constante de nos élites cultivées, aversion qui nourrit ce qu’elle dénonce. J’en veux pour témoin l’excellent livre de Paul Lidsky « Les écrivains contre la Commune » (La Découverte) qui vient d’être opportunément réédité.

Nous sommes en 1871, nous avons capitulé devant les Prussiens, et Paris s’est soulevé, Paris s’est voulu « Commune » (il y aura 30 000 fusillés). Hormis Vallès, Rimbaud, Verlaine, Villiers de l’Isle Adam, tous les écrivains, je dis bien tous, appellent à la répression contre les hordes ouvrières. Une exception cependant : Victor Hugo, qui n’approuve pas les insurgés, tant s’en faut, plaide, depuis l’étranger, pour la modération et l’amnistie.

Mais les autres ! Alphonse Daudet : « Paris était au pouvoir des nègres… » Flaubert : « Le peuple est un éternel mineur. Je hais la démocratie. L’instruction obligatoire et gratuite n’y fera rien qu’augmenter le nombre des imbéciles… » Zola : « Le bain de sang était peut-être une horrible nécessité pour calmer certaines de ses fièvres… » George Sand, naguère quarante-huitarde, qualifie les émeutiers « d’ânes bâtés » ou « de coquins de bas étage » : « La foule qui les suit est en partie dupe et folle, en partie ignoble et malfaisante… » Feydeau : « Ce n’est plus la barbarie qui nous menace, ce n’est plus la sauvagerie qui nous envahit, c’est la bestialité pure et simple… » Anatole France évoque « le crime et la démence ».

Au centre de la mire, les femmes qui, telle Louise Michel, ont bataillé, écrit, imaginé de nouvelles règles. Aucune épithète ne leur est épargnée, on les qualifie de « pétroleuses » (« mot hideux que n’avait pas prévu le dictionnaire », selon Flaubert). Et puis l’animal sauvage que devient la foule menaçante, une « hyène » selon Théophile Gautier.

Les mots qui tuent viennent d’abord des sommets. Méfions-nous.

Hervé Hamon, Le Télégramme, 13 janvier 2019
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11 janvier 2019 5 11 /01 /janvier /2019 15:00
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De 1922 à 1944, le noyau dirigeant du capital financier opta pour une formule fasciste de gestion directe du pouvoir. Son plan connut un début d’exécution à l’ère Daladier - Reynaud (avril 1938-juin 1940), où la liquidation de fait des institutions parlementaires aligna la France sur le modèle pré-hitlérien allemand (mai 1930-janvier 1933). L’objectif fut pleinement atteint de l’été 1940 à l’été 1944 où, sous la protection de l’occupant allemand et l’apparente houlette de Pétain, Darlan et Laval, le capital financier assura directement le gouvernement de la France.

Le plan d’assassinat de la République par le noyau dirigeant du capital financier

La solution fasciste est couramment décrite comme « contre-révolution préventive » contre un péril rouge qui aurait épouvanté les classes dirigeantes, notamment en Italie et en Allemagne (Pierre Milza, Les fascismes,1991). De fait, après leurs rudes émotions de 1917-1919 (1920 au plus tard), celles-ci perçurent partout, France incluse, que la révolution n’aurait hors de Russie aucune chance à court ou moyen terme. Si haïe et « assiégée », de sa naissance à sa mort, qu’eût été la « forteresse » soviétique, ce n’est pas le péril révolutionnaire qui incita le noyau dirigeant du capital financier à abattre des structures politiques qu’il contrôlait pourtant presque autant que l’économie. La Banque de France, club de la haute banque privée, exerçait en effet depuis sa naissance (1802) – cadeau de Bonaparte aux bailleurs de fonds de son coup d’État du 18 brumaire – un pouvoir dictatorial sur tous les gouvernements, monarchique, impérial ou républicain, par l’octroi ou le refus de ses « avances ». « Rois, parlements, presse, […] armée, Église […] meilleurs élèves des grandes écoles », etc., trancha un observateur de 1942 ou 1943, sont « depuis un demi-siècle complètement passés sous le contrôle du haut patronat. [L]es hommes politiques, les ministres, les vénérables des loges et les secrétaires de syndicats, cela ne pèse pas lourd devant le Comité des Forges et le Comité des houillères », qui, avec « les “Deux Cents Familles” » [les 200 plus gros actionnaires de la Banque de France], achètent « la moitié des hommes publics importants ». La longue liste des secteurs par eux contrôlés s’achevait sur le rejet, d’apparence provocatrice, du distinguo entre « démocraties » et États fascistes : « L’État d’aujourd’hui n’est rien devant les trusts. Ni l’État de Lebrun [président de la République depuis 1931], de Daladier, de Paul Reynaud [présidents du Conseil d’avril 1938 à juin 1940], ni l’État de Pétain ni de Laval ni ceux de Mussolini, de Hitler ou de Roosevelt. Derrière tous les rois, chefs d’État et ministres, il y a le haut patronat, dont le public ne connaît pas les chefs, qui n’aiment pas à se faire connaître » (rapport reproduit par les RG de la Sûreté nationale, août 1943).

Pourquoi donc ce « haut patronat français » décida-t-il, si peu après sa si fructueuse victoire de 1918, de balayer une république aussi bonne fille que l’était le nouveau régime pour son homologue allemand ? Seulement par haine des Soviets, auxquels il ne pardonnait pas de lui avoir « fermé l’accès des matières premières » de l’ancien empire : « l’or, le fer, le cuivre, le charbon, le pétrole, etc. », seule vraie « patrie [du…] haut patronat international » ? Malgré l’obsession antisoviétique des vrais décideurs français de l’entre-deux-guerres, « Moscou » n’explique pas seule le « plan d’action […] pour la France » qu’ils conduisirent autour du noyau de « ce que l’on appel[ait] les “Deux cents familles” ».

L’organisation d’une « synarchie »

Une douzaine de personnes s’organisèrent en 1922 en club politique, autoqualifié de « synarchie », pour liquider la république. Car, si obligeante que fût celle-ci, elle n’allait jamais assez vite en besogne, entravée par les moyens de défense des détenteurs de revenus non-monopolistes, ouvriers, fonctionnaires, paysans, petite bourgeoisie capitaliste, partis ouvriers ou de « gauche », syndicats, parlement, dont les décisions, lentes et trop molles, faisaient perdre tant de temps et d’argent. Certes, les bailleurs de fonds patronaux faisaient élire et guidaient de nombreux députés et la quasi-totalité des sénateurs. Mais l’obligation pour ces élus de se faire réélire ralentissait leur exécution de « l’assainissement financier », maître mot de la Banque de France, synonyme de verrouillage de tous les revenus autres que ceux de la haute banque et de la grande industrie.

Ce cénacle financier, grand prêteur à l’Italie, qu’il avait entraînée contre son gré dans la guerre récente, prônait pour ce gros débiteur une formule politique à poigne. Elle seule contraindrait le peuple italien à accepter les conditions impitoyables du remboursement dictées depuis la fin du conflit, solution que les créanciers internationaux, français inclus, firent triompher avec Mussolini fin octobre 1922. « Le haut patronat » français, comme tous ses pairs, britanniques et américains inclus, ne cessa d’exalter le modèle italien avant de trouver (en 1933) la formule politique, meilleure encore, adaptée au règlement de l’énorme « dette [extérieure] » allemande.

« Les milieux financiers rêvaient d’un nouveau système de “synarchie”, c’est-à-dire de gouvernement de l’Europe selon les principes fascistes par une fraternité internationale de financiers et d’industriels. »

Quand la synarchie se fonda, elle était dominée (et le resta) par « la banque Worms, […] grande organisatrice des gouvernements de Vichy », par le mystérieux « groupe de Nervo », employeur de Du Moulin de Labarthète (financier des ligues fascistes de l’entre-deux-guerres puis chef du cabinet civil de Pétain), par la Banque d’Indochine et par l’industrie lourde (avec Peyerimhoff, chef du Comité des Houillères), et des obligés du Comité des Forges dominé par François de Wendel et Schneider. Ces gens financèrent et guidèrent, 1° toutes les ligues fascistes, liées à l’Action française, matrice du fascisme née de la lutte contre Dreyfus, puis 2° la Cagoule dans laquelle, sans disparaître, elles se regroupèrent depuis le tournant de 1935. Leurs ligues essaimaient depuis la victoire fugace, en avril 1924, du Cartel des Gauches du radical Édouard Herriot, qui avait promis l’impôt sur le capital et la laïcité en Alsace-Moselle, mais capitula d’emblée devant le Mur d’Argent.

Dans les années 1920, la synarchie, banque Worms en tête, reine de cette spécialité, conquit et forgea le personnel indispensable au bon fonctionnement de sa future dictature : issu de l’École libre des Sciences politiques, inspection des Finances en tête, sans préjudice du Conseil d’État, et des grandes écoles, Polytechnique au premier chef sans oublier l’École normale supérieure et l’École centrale, ce personnel fournissait déjà les cadres de l’État – et, du côté de l’inspection des Finances, ceux de la haute banque –, après un stage étatique plus ou moins bref. Ces hauts fonctionnaires civils issus d’un sérail dominé par « Sciences Po », et les généraux cléricaux et factieux, détestaient la république et « ne la serv[ai]ent qu’à contrecœur », déplora Marc Bloch dans son Étrange Défaite de 1940.

Le noyau économique dirigeant de la synarchie s’étoffa dans les années 1930. Il était surtout constitué de hauts lieutenants du grand capital, que « le public » ne connaîtrait (si peu) que comme ministres ou assimilés sous Vichy : dans la petite cinquantaine de noms du « rapport sur la synarchie » d’Henri Chavin (un des prédécesseurs de René Bousquet au secrétariat général à la police) de juin 1941 figurent ces non-élus devenus gouvernants, presque tous liés à la banque Worms : tel son directeur général, l’inspecteur des Finances Jacques Barnaud, mais aussi Pierre Pucheu (ancien normalien devenu « directeur des services d’exportation du Comptoir sidérurgique de France et administrateur des Établissements Japy »), François Lehideux (directeur général de la Société anonyme des Usines Renault), Jean Bichelonne (X-Mines, « sorti major de Polytechnique », directeur général de « la Société métallurgique Senelle-Maubeuge »), le polytechnicien Jean Berthelot (ancien chef de l’exploitation du réseau ferré (Paris-Ouest), un des dirigeants de la SNCF, fief synarchiste, sous l’Occupation), les inspecteurs des Finances Jacques Guérard (porté en 1938 à la tête des assurances Worms, administrateur de Japy) et Paul Baudouin (directeur général puis président de la Banque d’Indochine), etc. ; et, seul à n’avoir pas « pantouflé », l’inspecteur des Finances Yves Bouthillier, pilier de l’administration des Finances puis son ministre auprès de Reynaud puis de Pétain.

« Le noyau économique dirigeant de la synarchie s’étoffa dans les années 1930. Il était surtout constitué de hauts lieutenants du grand capital, que “le public” ne connaîtrait (si peu) que comme ministres ou assimilés sous Vichy. »

Un fort ralliement de « gauche » à Pétain

La crise aiguisa la « stratégie du choc » (Naomi Klein) contre les salaires et autres revenus pesant sur le niveau des profits. Elle aviva l’impatience de la synarchie à l’égard du régime, qui décidément l’importunait : ainsi quand, à l’été 1931, il fallut attendre quelques semaines que l’État, même avec le docile Flandin aux Finances, acceptât de prendre à sa charge (celle du contribuable) les coûteuses décisions de la Banque de France sur le règlement de la dette extérieure allemande. Elle l’obligea aussi à étendre son recrutement au-delà des grandes écoles, condition nécessaire pour séduire une partie des masses radicalisées. Elle puisa de notables soutiens dans la gauche anticommuniste, politique (SFIO et radicaux), syndicale (CGT de Jouhaux), franc-maçonne : c’est cet efficace travail de sape qui explique un fort ralliement de « gauche » à Pétain ; mais il est si méconnu de ceux qui négligent les archives originales qu’ils opposent une gauche largement antisémite et « collabo » à une droite vichyste patriote et résistante (comme dans les thèses de Simon Epstein).

De ce volet du recrutement témoignent deux personnages importants, tant avant-guerre (surtout pour le premier) que sous l’Occupation : le socialiste Charles Spinasse, qui apporta au chef idéologique des synarques, Jean Coutrot, autre employé de la banque Worms, un sérieux coup de main dans l’investissement de l’appareil d’État quand son ami Léon Blum en fit, en 1936-1937, son ministre de l’Économie nationale ; et le socialiste et syndicaliste CGT René Belin, lieutenant-successeur du secrétaire général Jouhaux, que son traitant depuis le début des années 1930, Jacques Barnaud, transforma en potiche ministérielle sous Vichy. L’effort aboutit même à la conquête d’un des dirigeants du PCF, Jacques Doriot, qui, espéraient ses mentors, pourrait (en apparence) diriger un parti de masse fasciste : en liaison avec les futurs occupants, fort intéressés à la chose, les synarques lui édifièrent en juillet 1936 un parti, le Parti populaire français ; son Bureau politique, originalité pour un parti censément né du terreau populaire de Saint-Denis, fut peuplé de synarques importants, dont Pucheu. Dès 1934, la synarchie choisit la formule qui offrirait une façade civile et militaire à son pouvoir direct : Laval - Pétain (alors ministres respectifs des colonies et de la guerre). Ce choix, définitif, résista à tous les aléas des six années menant la France à la Débâcle et au putsch de juillet 1940.

« Sous la protection du Reich vainqueur et pillard, Vichy, à un degré qu’on ne peut soupçonner sans consultation des fonds originaux, permit au capital financier d’exercer sans intermédiaire le pouvoir gouvernemental. »

Vichy : les synarques ministres ou l’exercice direct du pouvoir

Sous la protection du Reich vainqueur et pillard, Vichy, à un degré qu’on ne peut soupçonner sans consultation des fonds originaux, permit au capital financier d’exercer sans intermédiaire le pouvoir gouvernemental. En témoigne un commentaire du 7 janvier 1942 du diplomate américain Anthony Joseph Drexel Biddle Jr sur le conseil des ministres de Pétain et Darlan (après Laval, juillet - décembre 1940 et avant Laval, avril 1942 - août 1944), avis d’autant plus intéressant que cet ambassadeur auprès de divers pays occupés représentés à Londres appartenait aussi aux milieux financiers : « Nombre d’entre eux avaient de longue date des liens d’affaires importants et intimes avec les intérêts allemands et rêvaient encore d’un nouveau système de “synarchie”, c’est-à-dire de gouvernement de l’Europe selon les principes fascistes par une fraternité internationale de financiers et d’industriels. Laval était depuis longtemps lié à ce groupe. Darlan, bien qu’il ne fût pas de leur monde, était assez intelligent pour se les associer. S’ils adoraient Laval, ils servaient Darlan, comme ils auraient servi quiconque jouait le jeu. » Au sommet de ce groupe « ne portant d’attention qu’à la défense de [leurs] intérêts » trônaient « de nombreuses grandes banques […] : la Banque nationale pour le commerce et l’industrie (qui était par excellence le groupe de Laval), la Banque d’Indochine (dont Baudouin était le chef), la Banque de Paris et des Pays-Bas. Mais celle qui s’identifiait particulièrement au régime Darlan était la banque Worms et Cie » comme le montrait « un bref examen du conseil des ministres et des secrétaires d’État ».

Des membres de « la clique Worms », Biddle n’exclut que quatre « hommes de Pétain » (en se trompant : ceux-ci étant de longue date liés à la synarchie, tel Joseph-Barthélémy, ministre de la Justice, chef cagoulard, qui avait requis de lâcher l’alliée tchécoslovaque dans un article du 12 juin 1938 dans Le Temps, organe du Comité des Forges) : « Pierre Pucheu (Intérieur) et Yves Bouthillier [Finances] étaient des membres de la clique Worms. Le général Bergeret (secrétaire d’État à l’aviation) était classé par les uns dans l’entourage personnel de Pétain, par les autres dans le groupe Worms. Lui excepté, les secrétaires d’État étaient à un homme près associés à la même clique ». Au « groupe Worms » appartenaient aussi « un grand nombre de fonctionnaires subalternes (surtout les secrétaires généraux) », parmi lesquels Bichelonne : secrétaire général puis, d’avril 1942 à août 1944, ministre de la Production industrielle, il dirigeait aussi le Travail, dont Hubert Lagardelle fut le titulaire officiel entre le départ de la potiche précédente, René Belin, en avril 1942, et le sien, en novembre 1943.

« Pratiquement tout ministère ou secrétariat touchant les affaires économiques était aux mains d’un homme ou d’un autre de la clique Worms. » (d’après un des trois rapports - janvier, mars 1942, novembre 1943 - sur la banque Worms cités par William Langer dans Our Vichy gamble, Amden, Archon Books, 1965, p. 168-169).

Malgré des retraits liés, depuis 1942, aux mutations du rapport de forces militaire et de politique général mais aussi à la certitude de la défaite allemande, cette maîtrise fut maintenue jusqu’au bout. Elle fut symbolisée par Bichelonne, personnage emblématique de la baisse de 50 % du salaire réel des ouvriers et employés sous l’Occupation, et au moins autant par Jacques Guérard. Resté inconnu du public, cet « homme de sang » fut, comme secrétaire général de Laval de son retour à la Libération de Paris, le maître du gouvernement français et le principal interlocuteur de l’occupant.

*Annie Lacroix-Riz est historienne. Elle est professeur émérite d’histoire contemporaine à l’université Paris

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8 janvier 2019 2 08 /01 /janvier /2019 06:11
Point de vue. Germaine Tillion pendant la guerre d'Algérie (Augustin Barbara - Ouest-France, 7 janvier 2019)
Point de vue. Germaine Tillion pendant la guerre d'Algérie (Augustin Barbara - Ouest-France, 7 janvier 2019)

https://www.ouest-france.fr/reflexion/point-de-vue/point-de-vue-germaine-tillion-pendant-la-guerre-d-algerie-6161066

Augustin Barbara, Sociologue, Ouest-France

Voilà un demi-siècle que la Guerre d'Algérie est terminée. Elle reste présente dans l'actualité. Le 17 octobre nous a rappelé la dure répression envers des Algériens dans la Seine. Récemment, le Président Emmanuel Macron a reconnu la responsabilité de la France dans la disparition, sous la torture, de Maurice Audin.

 

Nous ferions un oubli si nous ne rappelions pas les réactions qui ont existé sur place, contre la torture et contre certains faits de l'Armée française. Des positions courageuses prises par des Français d'Algérie de toutes origines, par des chrétiens aussi : le père Scotto, curé de Bab-el-Oued ; des prêtres de la Mission de France de Souk-Ahras, dont le finistérien Jobic Kerlan ; ceux d'Hussein-Dey, dont le père Pierre Moreau, originaire de Nantes... Le Cardinal Duval a lui aussi condamné la torture dès le début de cette guerre.

Quant au général Jacques de Bollardière, qui a refusé ostensiblement de torturer, il a été mis aux arrêts.

Germaine Tillion, elle aussi, était contre la torture. Résistante, elle a, depuis toujours, pris des positions contre toute barbarie : le nazisme, la collaboration, la torture, la peine de mort, les attentats du FLN à l'encontre des civils. Elle obtient leur cessation. Et cela lui vaut des insultes.

Dire la vérité

La torture, elle ne cesse de la combattre. Elle écrit tout de suite une lettre au Général Massu : « Aujourd'hui, on ne vous insulte plus en disant que vous avez ordonné et couvert la torture, puisque vous vous en vantez désormais par écrit » (Combats de guerre et de paix, Seuil, 2007, page 265).

Elle ne reste pas inactive : reçue par Paul Teitgen, secrétaire général de la préfecture d'Alger, elle écrit dans ce même livre : « Le 8juillet 1958, Teitgen me dira que c'est ce jour-là que Audin a été étranglé sur la table de torture par Charbonnier. »

Germaine Tillion arrive en Algérie avec la ferme intention de dire la vérité. Sur place, elle mène des enquêtes avec David Rousset, avec la délégation du CICRC (Comité International contre les régimes concentrationnaires) dans des prisons, camps de transit et « centres d'hébergement ». Elle pense qu'on sacrifie des appelés dans une « sale guerre », elle est effrayée par les embuscades qui les tuent, par les crimes de l'OAS.

Dès le 1er novembre 1954, elle se positionne contre ce conflit qui débute dans les Aurès, qu'elle a connus de 1934 à 1940 alors qu'elle faisait des recherches chez les Berbères. Elle écrit Algérie 1957 (éditions de Minuit) pour dénoncer la guerre. Elle affirme les liens étroits historiques entre la France et l'Algérie, connaît la présence des Algériens en France et celle des Français en Algérie.

Ceux que l'on appelle Pieds-Noirs, qui ne connaissent que cette terre, l'Algérie, pour la grande majorité leur terre de naissance. Ils vivent une situation historique, avec des Algériens dans des quartiers populaires, comme actuellement dans les banlieues avec des populations immigrées. Rien à voir avec le simplisme qui les caricature comme des oppresseurs.

Germaine Tillion, avec son objectivité d'ethnologue remarque qu'au même moment, des Algériens sont exploités aussi en France même, avec des salaires sous-évalués. Cette exploitation sévit des deux côtés de la Méditerranée.

 

Contre cette violence, elle crée les « Centres sociaux », une structure d'éducation et d'insertion des populations pauvres avec ensemble, des éducateurs algériens et français. Ceux qu'elle nomme « les ennemis complémentaires », six responsables assassinés par l'OAS, dont l'écrivain Moulud Feraoun. « Trois Algériens qui aimaient la France et trois Français qui aimaient l'Algérie »,écrit-elle dans le Monde. Elle conjugue son éthique de conviction et son éthique de responsabilité. Cette résistante construit en pleine guerre. »

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29 décembre 2018 6 29 /12 /décembre /2018 10:58
Mon parti a 98 ans ! Bon anniversaire à tous les Cocos!

Bon anniversaire à tous les cocos !!!
Naissance du PCF
Congrès de Tours SFIO, dans la nuit du 29 au 30/12/1920.

"L’homme communiste, ouvrier, paysan, intellectuel, c’est l’homme qui a une fois vu si clairement le monde qu’il ne peut pas l’oublier, et que rien pour lui désormais ne vaut plus que cette clarté-là, pas même ses intérêts immédiats, pas même sa propre vie. L’homme communiste, c’est celui qui met l’homme au-dessus de lui-même. L’homme communiste, c’est celui qui ne demande rien, mais qui veut tout pour l’homme.". Louis Aragon

Mon parti a 98 ans ! Bon anniversaire à tous les Cocos!
1920, le congrès de Tours Par Alexandre Courban, historien

SAMEDI, 8 MAI, 2004

L'HUMANITE

L'historien Alexandre Courban, retrace les circonstances de la création du Parti communiste par la majorité de l'ancienne SFIO au congrès de Tours et le rôle nouveau désormais dévolu au journal fondé par Jaurès.


Pourriez-vous dresser un tableau de la France de 1920 à l'orée du congrès de Tours ? Quelle est sa situation économique et sociale ?

Alexandre Courban. Nous sommes au sortir de la Grande Guerre. Neuf millions de soldats ont été tués, dont plus d'un million de Français et près de deux millions d'Allemands. Les années 1919-1920 sont marquées par des conflits sociaux extrêmement durs. Deux mille grèves réunissent plus d'un million de grévistes. La démobilisation commence en juillet 1919. Elle précède la victoire de la droite aux élections législatives de novembre 1919. La campagne électorale a lieu alors que se déroule une grève des imprimeurs à Paris. Deux journaux seulement paraissent dans la capitale : l'un avec l'autorisation du comité de grève, l'autre à l'initiative des grands patrons de presse. Les combattants qui ont la chance d'être rentrés n'ont donc pas accès à une information complète.

Au cours du premier semestre de l'année 1920, un grand mouvement social prend forme chez les cheminots. Les manifestations du 1er Mai 1920 se soldent par deux morts, comme c'est souvent le cas le 1er Mai à l'époque.

Au cours de ces journées, la SFIO va se scinder en deux et donner naissance au Parti communiste. La ligne de fracture se situe-t-elle réellement entre révolutionnarisme et réformisme, avec les vingt et une conditions d'adhésion à l'Internationale communiste (la troisième) comme pierre d'achoppement ?

Alexandre Courban. Lorsque le congrès s'ouvre, les participants savent qu'il va y avoir scission : l'état des forces en présence est connu grâce aux congrès fédéraux qui se sont tenus quelque temps auparavant. Mais alors que le congrès a pour principal objet l'adhésion à l'Internationale communiste, il n'existe pas de version française officielle des vingt et une conditions. Les militants les connaissent soit à partir d'une traduction allemande publiée dans la presse, soit à partir d'une version italienne. Cela signifie que le choix ne se fait pas en fonction des vingt et une conditions elles-mêmes, mais plutôt pour ou contre ce que les militants imaginent que seront les nouvelles pratiques politiques ; ils ne se situent pas complètement dans la réalité. Le véritable enjeu du congrès c'est : quelle va être la place accordée par les partisans de l'Internationale aux " reconstructeurs " comme Jean Longuet, militants favorables à l'adhésion avec des réserves ? Ensuite, au sein du Parti socialiste, le comité pour la IIIe Internationale, l'aile gauche du parti, s'allie avec une partie du " centre ". Mais idéologiquement, les choses n'évoluent pas immédiatement après le congrès. De 1921 à 1923 ont lieu au sen du nouveau parti des débats très importants pour décider du sens et de l'application des vingt et une conditions. Certains pensent longtemps que ces conditions sont purement formelles.

Le ralliement à la IIIe Internationale se fait à une écrasante majorité. Cela signifie-t-il que le socialisme français était plus révolutionnaire que ses homologues européens ?

Alexandre Courban. La majorité du Parti socialiste se prononce effectivement pour l'adhésion, par 3 208 mandats contre 1 022, ce qui n'est pas le cas dans les autres partis socialistes. Plusieurs interprétations rendent compte de ce phénomène. Tout d'abord, les jeunes membres du parti se sont massivement prononcés pour l'adhésion. Ensuite, celle-ci est davantage idéale que programmatique : il s'agit plus d'un rejet des anciennes directions du parti socialiste, de leur participation aux gouvernements d'" Union sacrée " que d'une adhésion réelle aux vingt et une conditions.

Cette adhésion se traduit-elle par une influence accrue des révolutionnaires russes au plan international ?

Alexandre Courban. Elle n'est pas perçue comme ça. C'est justement la raison pour laquelle les années qui suivent la scission sont compliquées au sein du Parti communiste, qui perd rapidement une partie de ses effectifs. Le noyau " bolchevik ", ex-comité pour la IIIe Internationale, prend de plus en plus d'importance au sein du nouveau parti. Et lors de son quatrième congrès, à la fin de l'année 1922, Trotski, au nom de la direction de l'Internationale communiste soucieuse d'homogénéiser le mouvement, impose aux militants français de choisir entre leur appartenance au Parti et à la Ligue des droits de l'homme ou à la franc-maçonnerie. C'est un moyen de se débarrasser des " intellectuels petit-bourgeois de gauche ". Certains, comme Marcel Cachin, renoncent à leurs autres organisations, mais d'autres comme Frossard, alors secrétaire général du parti, et quelques journalistes de l'Humanité, refusent cet oukase et démissionnent du parti le 1er janvier 1923. La grande inquiétude de l'Internationale en décembre 1922 était que le parti français perdît la majorité de ses militants et son quotidien.

Venons-en justement à l'Humanité. Quelle est sa place dans l'espace public avant de passer dans le giron du Parti communiste ?

Alexandre Courban. C'est un acteur politique au sens plein du terme. Le journal ouvre ses colonnes à toutes sortes d'initiatives. Il invite régulièrement ses lecteurs à venir financièrement en aide aussi bien aux victimes de la répression de la révolution russe en 1905, qu'aux familles des mineurs de Courrières après la catastrophe de 1906, qu'aux grévistes de Draveil en 1908 ou encore les cheminots en grève en 1910. C'est lui qui organise en 1913 la lutte contre le passage de deux à trois ans du service militaire en faisant signer des pétitions. Il joue le rôle d'" organisateur collectif ", pour reprendre une formule utilisée par Lénine.

Quel enjeu le contrôle du journal représente-t-il pour les socialistes du congrès de Tours ?

Alexandre Courban. Quelques semaines après la scission prononcée à Tours, en janvier 1921, se décide l'avenir du journal. Il s'agit très clairement pour les socialistes divisés de contrôler le seul quotidien de quatre pages diffusé nationalement à plus 150 000 exemplaires, et qui a de surcroît derrière lui seize ans d'histoire, donc un réseau d'abonnés et des habitudes de lecture. L'enjeu est de maîtriser le principal vecteur de la propagande du parti. Autre spécificité française, l'Humanité est le seul quotidien socialiste qui devient communiste. À ma connaissance, tous les autres journaux de ce type sont des créations.

Qui est alors propriétaire du journal ? Pourquoi suit-il la majorité du Congrès de Tours ?

Alexandre Courban. L'Humanité est une entreprise de presse au sens classique, son capital appartient à des actionnaires représentés par le trésorier du Parti, Zéphirin Camélinat, ou d'autres personnalités. Lors de l'assemblée générale de janvier 1921 qui décide du sort du journal, Camélinat répartit les actions au prorata des voix recueillies lors du congrès, soit 70 % en faveur des partisans de l'adhésion à la Troisième Internationale, et 30 % à ses adversaires. Philippe Landrieu, administrateur du journal quasiment depuis sa fondation, détient de son côté des actions achetées en 1907 par les partis sociaux-démocrates allemand, autrichien et tchèque. Pourtant proche de Jaurès, il se prononce pour l'adhésion. La famille de Jaurès, elle, ne se fait pas représenter. Contrairement à ce que l'historiographie et la tradition militante ont retenu, ce n'est pas le choix de Camélinat qui a permis au futur parti communiste de conserver le journal, mais la décision ou l'absence de décision des plus proches de Jaurès (sa famille et Landrieu). Camélinat ayant été " ministre des Finances " de la Commune de Paris et Landrieu exclu du parti en 1923, le Parti communiste fait le choix de mettre en avant cette figure historique de la Commune de Paris. Cela arrange également les socialistes qui peuvent alors faire croire que les communistes leur ont volé le journal de Jaurès.

Par quels changements, humains et éditoriaux, s'opère la mue de l'Humanité ?

Alexandre Courban. En 1921, les quelques journalistes opposés à l'Internationale communiste s'accordent avec leur choix politique et quittent le journal d'eux-mêmes. Les changements plus " visibles " surviennent deux ans plus tard, même si en novembre 1920, on pouvait déjà voir poindre des titres comme " Vive la République des Soviets " sur six colonnes à la une au moment de l'anniversaire d'Octobre. Les relations entre le journal et le parti ont rarement été simples. La première des conditions de l'Internationale est que les journaux soient dirigés par " des communistes authentiques, ayant donné les preuves de sacrifice à la cause du prolétariat ",selon la traduction française de la version italienne. Tout cela donne lieu à des débats intenses au sein du mouvement entre 1921 et 1924 sur la fonction de la presse, sur ce que doivent être les journalistes, qui doit procéder à leur nomination. À partir de 1921, le parti se transforme : l'objectif est désormais de prendre le pouvoir, y compris par la force, sur le modèle de ce qu'ont fait les bolcheviks en Russie. En parallèle à ce parti d'un type nouveau, les communistes souhaitent mettre en place un journal de type nouveau. Le rôle assigné au journal évolue, la ligne éditoriale connaît un net coup de barre à gauche. Comme le bureau politique du Parti doit aider le directeur à imprimer une ligne et à veiller à son respect, le journal ne peut pas être en porte-à-faux avec le Parti. Dès lors, l'Humanité doit devenir plus qu'un journal : l'organe central du Parti. En 1921 tout d'abord, le sous-titre, de " journal socialiste ", devient " journal communiste ". En 1923, il change une nouvelle fois pour devenir " organe central du Parti communiste (SFIC) "". En 1924, s'ouvre alors la période de la mise en pratique des décisions adoptées depuis 1921 : la " "bolchevisation ".

Entretien réalisé par Théophile Hazebroucq

lire aussi:

Communistes de Bretagne (1921-1945)

Marcel Cachin, la trajectoire d'un intellectuel breton guesdiste, puis communiste, directeur de l'Humanité de 1917 à 1958

 

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29 décembre 2018 6 29 /12 /décembre /2018 10:32
Amos Oz, disparition d'un écrivain apôtre de la paix (L'Humanité, 28 décembre 2018)
Amos Oz, disparition d'un écrivain apôtre de la paix
Vendredi, 28 Décembre, 2018
Amos Oz, l'écrivain israélien le plus connu à l'étranger pour son oeuvre et son action en faveur de la paix avec les Palestiniens, s'est éteint vendredi à l'âge de 79 ans. Son denier roman "Judas" est sorti en français en 2016. Nous vous proposons de relire l'entretien qu'il avait accordé alors à Muriel Steinmetz.
 
 
Amos Oz, dont le roman autobiographique "Une Histoire d'amour et de ténèbres" avait connu un succès mondial, est décédé des suites d'un cancer, a annoncé Fania Oz-Salzberger, historienne de profession. "Mon père chéri vient de mourir, après une détérioration rapide (de son état de santé), dans son sommeil et tranquillement, entouré de ceux qui l'aiment", a-t-elle écrit sur Twitter, remerciant "ceux qui l'ont aimé".
Amos Oz a vu le jour à Jérusalem le 4 mai 1939 dans une famille d'origine russe et polonaise. Salué à ses débuts comme le "Camus israélien", l'écrivain, un fervent militant de la paix avec les Palestiniens, avait dénoncé ces dernières années la politique du Premier ministre Benjamin Netanyahu et boycotté les événements officiels organisés par Israël à l'étranger pour protester contre l'"extrémisme croissant" du gouvernement. Il a parallèlement réagi fermement face à ceux qui prônent la destruction d'Israël.
Lauréat du prestigieux prix Goethe 2005 en Allemagne, Amos Oz avait aussi reçu le prix d'Israël de littérature en 1998, le prix Méditerranée (étranger) en 2010 et le prix Franz Kafka en 2013. Parmi ses livres figurent "la Boîte noire", qui a obtenu en 1988 le Fémina étranger en France, ou encore "Seule la mer" (2002).
En 1992, il avait également reçu le "Prix de la paix des libraires allemands", un prix considéré en Allemagne comme encore plus prestigieux que le prix Goethe.
"Dans ses oeuvres politiquement engagées, Amos Oz donne une image vivante de la société israélienne et son peuple aux différentes facettes; il décrit la diversité des voix dans l'État d'Israël", avait estimé le jury à l'époque.
La France lui avait attribué le titre d'officier des Arts et des Lettres et il était régulièrement pressenti pour le Prix Nobel de Littérature qu'il n'a cependant jamais obtenu.
Le regard intense et le verbe clair, Amos Oz, également très apprécié par les Israéliens surtout pour son humour, est diplômé de littérature et de philosophie. Il est intervenu régulièrement dans les médias israéliens et internationaux.
Dans les années 1990, il quitte le parti travailliste pour rejoindre le Meretz, plus à gauche, dont la priorité est la paix avec les Palestiniens.
"La paix n'est pas seulement possible, elle est inévitable, parce que nous n'avons nulle part ailleurs où aller et les Palestiniens non plus", proclamait-il en septembre 2016 lors de l'éloge funèbre de son ami Shimon Peres, prix Nobel de la paix.
Son dernier ouvrage paru en français en 2016, "Judas", explore la figure du traître, qualificatif dont Amos Oz a été affublé pour ses positions politiques.
 

Du maître écrivain israélien Amos Oz, Gallimard publie Judas, un livre qui bouscule des idées reçues et fait grincer des dents ici et là-bas. Entretien.

Ce livre semble autant un roman qu’une parabole. Peut-on utiliser ce mot ?

Amos Oz Je préfère parler de récit. Il s’agit d’un huis clos mettant en scène trois personnages : Shmuel, Atalia et Wald. Entourés de quelques spectres, ils passent l’hiver dans une même maison, boivent du thé, discutent. Durant un bref laps de temps, ils évoluent, se transforment. Je n’aime pas les paraboles. Il n’est pas un de mes romans qui prétende à une portée universelle.

En situant votre histoire à Jérusalem, au cœur des contradictions entre les trois religions monothéistes et à partir de la figure de Judas, vous mettez le doigt sur le nœud d’un conflit qu’on dirait éternel.

Amos Oz Bon nombre des personnages de ce livre sont – à l’instar de Judas – considérés par leur entourage comme des traîtres. Aucun ne l’est véritablement, sauf Shmuel justement, l’étudiant qui se cherche des parents de substitution et couche avec sa mère symbolique. À en croire Freud, il n’y a là rien que de très banal. Les autres ont certes de profondes convictions, mais ils sont trop en avance ou trop en retard sur leur temps. L’histoire ne pouvait avoir lieu qu’à Jérusalem. La ville constitue le miroir du personnage féminin, Atalia.

Le récit commence en 1959, dix ans après la création de l’État d’Israël, aussitôt suivie par une guerre, un siège et une interminable pénurie. J’y étais. Je m’en souviens très bien. Jérusalem et la jeune femme sont blessées, déchirées, en colère. Jérusalem a été le théâtre de deux événements symboliques majeurs : le sacrifice d’Isaac (à quoi fait écho dans le livre la mort au combat de Micha, fils de Wald) et la crucifixion de Jésus. Atalia et Jérusalem m’évoquent la note unique d’un violoncelle par une nuit de tempête.

Vos personnages représentent des types bien définis. Shmuel est un jeune socialiste idéaliste, Wald un écrivain-philosophe cynique revenu de tout et Atalia, au caractère bien trempé, est l’héritière de son père, Abravanel, qui ne croyait pas à l’existence d’un État juif ni même à celle d’un État binational.

Amos Oz Mes personnages ne sont ni des symboles ni des porte-drapeaux. Ils sont de chair et de sang. Shmuel est certes un idéaliste convaincu de pouvoir changer le monde, du moins au début du roman. Il a dans sa chambre des posters du Che et de Fidel Castro. En revanche, pour Wald, le monde est une scène pleine « de bruit et de fureur », comme l’a dit Shakespeare. Selon lui, ceux qui croient à la rédemption – soit aux religions et aux idéologies – ne sont que des corrupteurs. Atalia, pour sa part, considère la gent masculine comme une catastrophe ambulante. Elle couche avec tous les hommes, avant de les jeter. Elle ne voit en eux que des adolescents attardés.

Le lecteur va assister au petit miracle du rapprochement entre ces trois-là, qui finiront par s’aimer. Le sujet de ce roman n’est pas à chercher du côté des idéologies. Je ne prône ni le christianisme ni l’athéisme. Il ne s’agit pas non plus d’être pour ou contre l’État d’Israël, même si ces idées sont présentes en arrière-plan. J’espère que les lecteurs percevront l’ensemble comme une musique de chambre : trio ou quintette, si l’on inclut les spectres. J’aime autant Judas que Jésus. J’aime Wald et Abravanel, Shmuel et Atalia. Aucun d’eux, hormis Jésus, n’est dans la douceur de la compassion. L’essence de la création littéraire impose à l’auteur de s’identifier à chacun de ses personnages, quand bien même ils sont aux antipodes les uns des autres.

Shmuel, qui étudie la figure de Judas, le juge indispensable dans la création de la religion chrétienne…

Amos Oz Sans Judas, pas de crucifixion, partant, pas de résurrection et pas de christianisme. Jésus aurait pu continuer d’exercer son ministère en Galilée, faire quelques miracles et mourir d’un infarctus à 83 ans. La Galilée alors grouillait de faux mages. Comme aujourd’hui !

Pourquoi Judas, un homme riche, trahit-il Jésus pour 30 deniers, à peine 600 de nos euros ? Pourquoi lui donne-t-il un baiser ? Et pourquoi va-t-il se pendre ?

Amos Oz C’est là l’une des histoires les plus terribles de l’humanité. Durant deux mille ans, elle a causé la mort d’une multitude de juifs. Pogroms, persécutions en tout genre, l’Inquisition, la Shoah. Judas, en hébreu, c’est le nom d’un des patriarches des douze tribus d’Israël. Judas, c’est aussi la Judée. Par glissement, ce prénom donnera le mot juif. Il semble que nous, juifs, soyons tous des traîtres et que nous ayons tous vendu Dieu. Nous avons tous de l’argent et, par conséquent, nous avons corrompu le monde.

À ce stade du récit, je ne mets pas l’accent sur l’antisémitisme. Je fais simplement allusion à la figuration du juif dans la peinture de la Renaissance, notamment dans les représentations de la Cène. Le juif y est déjà caricatural.

Shmuel voit en Judas le plus fidèle et le plus croyant des disciples. Celui-ci croit en Jésus plus que Jésus lui-même. Pour lui, la crucifixion est le prélude au royaume de Dieu sur terre. C’est à reculons que Jésus se rend à Jérusalem, car il n’a pas envie de mourir. Judas, homme influent, tente de le convaincre d’y aller. Ni les Romains ni les grands prêtres n’étaient très chauds pour la crucifixion. Judas s’en charge, grâce à ses nombreux contacts. Il n’a qu’à passer deux ou trois coups de fil. Pour mettre un peu de piment dans la sauce, il imagine de placer deux brigands de part et d’autre du Christ. Jésus agonise et, à sa mort, Judas prend conscience qu’il l’a vraiment tué, exactement comme le veut la tradition antisémite, mais pour une raison totalement inverse. La conclusion de Shmuel est donc qu’avec la mort de Judas disparaît le seul, le premier et l’unique chrétien. Sa version est sans doute plus cohérente que celle de l’Évangile.

Vous identifiez-vous à Judas en tant que traître ?

Amos Oz J’ai été souvent traité de traître dans ma vie. C’est un honneur.

Comment votre livre a-t-il été reçu en Israël ?

Amos Oz Il y a été fortement controversé. En France aussi. Mon livre est une provocation difficile à avaler pour les sionistes conventionnels et les chrétiens du même tabac. En Israël, on a dit que c’était un mauvais coup porté contre le sionisme et l’État d’Israël.

Comment voyez-vous la société israélienne actuelle ?

Amos Oz La politique est très mauvaise. Les Palestiniens devraient avoir un État. J’ai été contre la colonisation dès la guerre de 1967. Le pays est très petit. Les Palestiniens n’ont nulle part où aller. La situation est la même pour les Israéliens. Ils sont semblables. Pourquoi ne dormiraient-ils pas ensemble ? Après un siècle de haine, on ne peut coucher ensemble d’un seul coup. Il vaudrait mieux d’abord partager la maison en deux appartements séparés. Quand aura-t-on la même horloge ? Difficile d’être prophète en un pays qui en a déjà tant.

Entretien réalisé par Muriel Steinmetz, Traduction assurée par Sylvie Cohen
Amos Oz, disparition d'un écrivain apôtre de la paix (L'Humanité, 28 décembre 2018)
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28 décembre 2018 5 28 /12 /décembre /2018 07:58
Brisons l'arme de l'antisémitisme. Unissons-nous - à propos d'un tract de résistance du PCF clandestin en mai 1941 après la première grande rafle de juifs à Paris

Le 13 mai 1941, des agents de police frappent à la porte de juifs étrangers parisiens et remettent aux hommes des "billets verts", pliés comme des pneumatiques, dans lesquels on peut lire une convocation le 14 mai à 7 heures du matin, soit au gymnase de la rue Japy, soit au garage du 52, rue Edouard Pailleron, à la caserne des Tourelles, la caserne Napoléon ou celle des Minimes, ou n'importe quel commissariat de quartier.

Cette convocation est restée dans l'histoire sous le nom de "billet vert". "Les ressortissants étrangers de race juive pourront à dater de la promulgation de la présente loi être internés dans des camps spéciaux, par décision du préfet du département de leur résidence", énonçait le décret du 4 octobre 1940 appliqué pour la première fois en zone occupée sept mois après sa promulgation. 

Toutes les personnes convoquées et leurs familles n'envisagent pas le pire, une minorité sans doute l'imagine. Sur les 6 494 convoqués, précise un rapport de police cité par Annette Wieviorka dans Ils étaient juifs, résistants, communistes (Perrin, 2018), 3747 ont été arrêtés. Ils ont été "dirigés par quatre trains spéciaux sur les camps de Pithiviers et de Beaune-la-Rolande" dans le Loiret. De là, ils partiront plusieurs mois plus tard pour le camp de la mort d'Auschwitz, au moment où commencent d'autres rafles à grande échelle.  15 000 hommes, femmes et enfants seront déportés en tout de ces deux camps.

Annette Wieviorka écrit:

"A la suite des internements à Pithiviers et Beaune-la-Rolande, le Parti communiste imprime un tract: Brisons l'arme de l'antisémitisme. Unissons-nous.  Il faut noter que ces arrestations n'ont guère ému la Résistance et que le parti communiste semble être le seul à manifester sa réprobation. (...). Ce tract dénonce "le Commissariat général aux questions juives, organisme d'importation nazie que dirige le cagoulard six-fevriériste Xavier Vallat qui fait arrêter bestialement cinq mille travailleurs autrichiens, polonais, tchécoslovaques coupables d'être juifs. Cela s'est déroulé au milieu de scènes indescriptibles de séparation dont certaines ont été suivies de suicides"".

L'antisémitisme est qualifié, reprenant la formule célèbre de Staline au début des années 30, de "manifestation moderne du cannibalisme". L'antisémitisme est dénoncé comme racisme mais aussi et surtout comme moyen de diviser les travailleurs, les dominés, pour préserver les intérêts des capitalistes, mais aussi comme moyen de diviser les patriotes. Là dessus, la conclusion est très claire: "Français qui pensez français et voulez agir français, luttez contre l'antisémitisme". (...) "Vive l'union de tous les Français qui pensent français et veulent agir en Français pour la libération et l'indépendance de la France".

L'Humanité clandestine du 1er mai 1941, avant l'invasion de l'URSS, écrivait aussi: "C'est la fierté et l'honneur du parti communiste d'être traqué par les autorités d'occupation alors que les chefs de tous les autres partis vont chercher prébendes et directives à l'ambassade d'Allemagne". "Et le 8 mai 1941, L'Humanité titre en épigraphe, rappelle Annette Wieviorka: "Français, luttez contre la Libération nationale".

Le tract de mai 1941 du PCF (redevenu SFIC, Section Française de l'Internationale Communiste) "Brisons l'arme de l'antisémitisme. Unissons-nous" est tiré à 75 000 exemplaires.

Dès l’armistice de juin 1940, plusieurs textes dirigés contre les Français de « fraîche date » visent implicitement les juifs. Le 22 juillet 1940, une loi remet en question toutes les naturalisations accordées depuis 1927. Le 4 octobre 1940, une autre autorise l’internement dans des camps spéciaux des « ressortissants étrangers de race juive ». Le premier et le second « statut des juifs », le port de l’étoile jaune obligatoire pour tout juif ayant atteint l’âge de six ans, puis plusieurs dizaines de lois et décrets avaient officialisé l’idée que les juifs étaient des êtres inférieurs, qu’il fallait exclure de la société.

Après la dissolution du PCF en 1939, les organisations qui lui étaient rattachées sont contraintes à l’illégalité. Dès septembre 1940, le secteur juif de la MOI crée à Paris Solidarité (sous l’impulsion de Marcel Prenant, du professeur Debré, de Vladimir Jankélévitch et de Charles Lederman, NDLR) (3), première organisation clandestine de résistance juive, chargée entre autres d’aider à survivre ceux qui sont en grande difficulté. Ses militants avaient connu les persécutions antisémites et le fascisme dans leurs pays d’origine, ils avaient lutté pour le Front populaire en France, dans les Brigades internationales en Espagne. Ils savaient ce que signifiait l’arrivée d’Hitler au pouvoir.

La presse clandestine multiforme du secteur juif de la MOI et du PCF alerta sans cesse la population juive : « La déportation, c’est le chemin de la mort ; la résistance et la lutte contre la déportation, c’est le chemin de la vie. » Dans un des tout premiers tracts du PCF, distribué dans le quartier de Belleville en septembre 1940, on lit : « Travailleurs non juifs, artisans, commerçants, pas de propagande antisémite dans notre quartier ! (…) Les maris, les fils de la population juive étaient au front en première ligne avec nous (…), avec nous, ils travaillent et luttent. »

En 1940 et début 1941, les militants communistes juifs à Paris sont probablement au nombre de 200 ou 300. Ils sont principalement de langue maternelle Yidish, immigrés de Pologne ou de Roumanie, d'Europe de l'est, pour des raisons politiques (fuir l'antisémitisme d’État) et économique, ou des enfants de ces réfugiés habitant Belleville, l'est parisien. 2 à 300 sur des dizaines de milliers d'immigrés juifs d'Europe centrale et orientale mais leur influence s'étend bien au-delà de leurs rangs, dans la mesure où la communauté des travailleurs juifs immigrés de fraîche date est soudée et assez homogène et que la presse juive communiste en Yidish, les associations d'entraide et culturelles, les associations sportives dépendant de la FSGT (le YASK, Yiddisher Arbeter Sport Klub, vivier de recrutement de la résistance communiste), l'organisation des excursions de plein air, exercent une influence importante.

Plusieurs de ces juifs communistes ont adhéré en Europe centrale et orientale dans des partis communistes déjà clandestins et persécutés contre l'antisémitisme et le fascisme, pour une société sans classe et sans racisme, mais aussi contre les idées conservatrices et religieuses de leur milieu. Certains sont permanents communistes, ont fait les Brigades Internationales, mais la majorité sont des jeunes de la deuxième génération d'immigrés juifs.  

Une première brochure du PCF (redevenu SFIC depuis le pacte germano-soviétique) de 6 pages ronéotypées, distribué début 1941- "A bas les mesures racistes prises contre les petits et moyens commerçants juifs" - dénonçait les mesures racistes du gouvernement de Vichy de spoliation des petits et moyens commerçants juifs (plutôt que des gros et des banquiers qui s'en tirent toujours) dans une perspective de lutte des classes et de combat prioritaire contre les forces réactionnaires et bourgeoises de Vichy. Ce tract appelait les commerçants français à s'opposer à la spoliation des biens juifs. 

Document consultatable:

https://www.siv.archives-nationales.culture.gouv.fr/siv/rechercheconsultation/consultation/ir/consultationIR.action?irId=FRAN_IR_054916&udId=c-3h5l3yvft-1v24xh6g3no1z&details=true&gotoArchivesNums=false&auSeinIR=true

«Frères et sœurs (…), D’après les informations que nous recevons de source sûre, les Allemands vont organiser une rafle et une déportation massive de juifs. (…) Le danger est grand ! (…) La question qui se pose pour chaque juif est : que faire pour ne pas tomber dans les mains des bandits SS ? Que faire pour hâter leur fin et ma libération ? (…)

1. Ne pas attendre à la maison les bandits. Prendre toutes les mesures pour se cacher et pour cacher en premier lieu les enfants avec l’aide de la population française sympathisante.

2. Après avoir garanti sa propre liberté, adhérer à une organisation de combat patriotique pour battre l’ennemi sanguinaire et venger ses crimes.

3. Si l’on tombe entre les mains des bandits, résister par tous les moyens, barricader les portes, appeler à l’aide. On n’a rien à perdre. On peut juste y gagner la vie. Chercher sans cesse à fuir. (…) Chaque juif libre et vivant est une victoire sur notre ennemi. »

Cet appel, en yiddish, fut très largement diffusé dès le 6 juin 1942, six semaines avant la rafle du Vél’ d’Hiv, par Solidarité, organisation clandestine du secteur juif de la MOI. (1)

« Vent printanier », nom de code de la rafle barbare, organisée par René Bousquet (2), prévoyait l’arrestation de 27 391 juifs étrangers, hommes, femmes et enfants, même si ces derniers étaient de nationalité française. En fait, 12 884 personnes furent raflées et rassemblées au Vél’ d’Hiv dans des conditions inhumaines. Nombre de juifs ne sachant ni où aller ni où se cacher n’avaient pu suivre les appels de la résistance juive.

Les brutalités abominables exercées sur les vieillards, sur les femmes et sur les enfants, arrachés à leurs parents, avaient profondément choqué la population parisienne, qui manifesta sa solidarité active lorsqu’il fallut cacher les enfants. Pour ceux que la police française avait arrêtés, après le Vél’ d’Hiv ce furent les chambres à gaz et les fours crématoires.

Entretemps, à partir de l'été 41, des dizaines de juifs à Paris, Lyon, Grenoble, vont s'engager dans la résistance armée du Parti communiste, au sein de la MOI, accomplissant des actions d'éclat contre l'occupant et payant un très lourd tribut à la traque contre la résistance, et particulièrement la résistance communiste, des forces de l'ordre françaises.  

Lire aussi:  

Les communistes français dans la résistance avant l'invasion de l'URSS en juin 1941: relisons Albert Ouzoulias et ses "Bataillons de la jeunesse"

Olga Bancic, une héroïne de la résistance juive communiste FTP-Moi en France

Robert Endewelt, résistant juif communiste des FTP-MOI, nous a quitté cette nuit du 16 au 17 octobre 2018

Gilbert Brustlein, Marcel Rayman, Henri Krasucki... les jeunes communistes juifs dans la FTP MOI, témoignage de Robert Endewelt

L'Affiche rouge: "Vingt et trois étrangers et nos frères pourtant" (numéro spécial de L'Humanité, février 2007- Jean de Leyzieu)

une conférence importante de Léon Landini prouvant que, quoiqu'en disent les révisionnistes, la résistance communiste a débuté bien avant le printemps 1941

Onfray falsifie l'histoire: les communistes n'auraient parait-il commencé à résister qu'après l'invasion de l'URSS: Léon Landini, ancien résistant FTP-MOI, remet les pendules à l'heure

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27 décembre 2018 4 27 /12 /décembre /2018 08:15
Le 27 décembre 1944, mort du Colonel Fabien à 25 ans, auteur du premier acte de résistance armée contre les troupes d'occupation à Paris

On oublie pas : Le Colonel Fabien, de son vrai nom Pierre Georges mort sur le Front d’Alsace, à Habsheim près de Mulhouse, le 27 décembre 1944.

"Pierre Georges, Jeune communiste engagé très tôt dans l’action contre le fascisme, s’engage en 1936 à 17 ans dans les Brigades Internationales pour combattre aux côtés des républicains espagnols après le coup de force du général Franco.

Dès l’occupation allemande, Pierre Georges participe à la réorganisation des groupes clandestins des jeunes communistes dans le 19è arrondissement, et en 1941, il devient l’adjoint du colonel Albert Ouzoulias, chef des Bataillons de la jeunesse, au sein des Francs-tireurs et partisans (FTP).

Il réalise lui-même ce qui est considéré comme le premier attentat meurtrier contre les troupes d’occupation, en abattant le 21 août 1941 un militaire de la Kriegsmarine, l’aspirant Moser, au métro Barbès-Rochechouart."

Article de Maurice Ulrich dans L'Humanité:

21 août 1941 : à Barbès-Rochechouart, Fabien tire

L’acte du militant communiste et résistant, qui, à vingt et un ans, a déjà combattu le fascisme en Espagne, donne le signal de la lutte armée contre l’occupant.
Il est encore tôt, ce matin du 21 août 1941 à Paris.

Au métro Barbès-Rochechouart, un officier de la Kriegsmarine s’apprête à monter dans la rame. Deux coups de feu claquent, il s’écroule.

C’est dans la France occupée le premier acte de la résistance armée.

Son auteur, Pierre Félix Georges, entrera dans l’histoire sous le nom de colonel Fabien.

Né dans le 19e arrondissement, il n’a que vingt et un ans, mais il a déjà combattu le fascisme, en Espagne. À la fin de l’année 1936, il s’est engagé dans les brigades internationales en mentant sur son âge. Il est communiste.

Les deux coups de feu de Fabien vont avoir un sens clair. Pour les nazis, cela veut dire qu’en dépit de la collaboration active du gouvernement de Pétain, de l’appui de la police française dirigée par Bousquet, ils ne seront plus en sécurité. Pour une part de l’opinion française, encore fidèle à Pétain, c’est le signe que la guerre continue. Certes, depuis Londres, le général de Gaulle l’a dit dès le 18 juin 1940. Mais il s’agit de rassembler les forces de l’empire colonial et de reconstituer à partir de Londres une force combattante, s’appuyant en France sur des réseaux de résistance tournés vers le renseignement ou constituant des forces d’appoint dans l’attente du grand jour.

L’action de Fabien signifie que le combat au cœur même de la capitale et des villes passe par la lutte armée. C’est aussi un acte politique majeur. La résistance française, pour le PCF, sera populaire, sur la terre de France. La portée de cette décision est considérable. Sans elle, à tout bien considérer, la libération de Paris « par lui-même », selon la formule du général, n’aurait peut-être pas eu lieu.
« Paris a froid, Paris a faim, Paris ne mange plus de marrons dans la rue, Paris a mis de vieux vêtements de vieille », écrivait Paul Eluard.

Pas pour tout le monde. La collaboration est devenue pleinement active, ce qui ne va pas sans interrogations dans l’opinion.

Le 12, Pétain déclare à la radio qu’il sent souffler un vent mauvais : « L’inquiétude gagne les esprits, le doute s’empare des âmes, l’autorité de mon gouvernement est discutée. » Le 14, Vichy décrète que les magistrats, les hauts fonctionnaires et les militaires doivent prêter serment au maréchal. Le 20, la police française, à la demande des Allemands, arrête 3 447 juifs, internés à Drancy.

Au matin du 21 août, un communiqué officiel annonce : « Pour activité en faveur de l’ennemi, le juif Samuel Tyszelman et le nommé Henri Gautherot, tous deux domiciliés à Paris, ont été condamnés à mort. Ils avaient participé à une manifestation communiste dirigée contre les troupes d’occupation allemandes. En exécution de l’arrêt, ils ont été fusillés. » Tous deux étaient des amis de Fabien.
Pour les communistes français, le trouble du pacte germano-soviétique de 1939 est déjà loin. Pas seulement parce que l’Allemagne est lancée depuis juin contre l’Union soviétique, mais parce que la répression contre les communistes, dès juillet 1940, ne laisse guère de place aux ambiguïtés. Pour Vichy comme pour les nazis, les communistes sont l’ennemi principal. Dès octobre 1940, les communistes ont créé les OS, organisations spéciales, dont le but est d’agir contre l’occupant. Le 15 mai, le PCF lance un appel à la constitution d’un front national de lutte pour la libération de la France, et des attentats et sabotages, en particulier contre les installations ferroviaires, commencent à se multiplier. Mais il faut faire plus. Les nazis, dès septembre 1940, ont déjà désigné des otages qui seraient exécutés en cas de troubles. Ils ont exécuté des patriotes. Jacques Bonsergent qui a « bousculé des soldats allemands » en décembre 1940, André Masseron qui a chanté la Marseillaise, le 19 juillet 1941, Roger Roig le 24 qui a tenu des propos injurieux. Le premier, sans doute, fut à Rouen, Étienne Dechavanne, dès juillet 1940.
Il faut un choc. Ce n’est pas si simple. Est-ce la bonne stratégie ? Fabien va donner l’exemple.

Ce jeune homme est déjà un combattant aguerri, devenu sous-officier en Espagne, grièvement blessé en 1938. Revenu à Paris il est « ajusteur d’avion » et épouse Andrée Coudrier qui sera déportée à Ravensbrück. Élu au Conseil national de la jeunesse communiste, puis arrêté dans son usine où les ouvriers se solidarisent en se mettant en grève, il s’évade, commence à organiser l’activité clandestine du PCF dans différentes régions. Il revient à Paris début 1941, à la demande de la direction du PCF. Le 21 août, il tire.
Fabien installe ensuite le premier maquis de France dans le Doubs, attaqué en octobre par la gendarmerie. Il est de nouveau blessé, à la tête. Il traverse le Doubs à la nage, regagne Paris. Arrêté par la police française, il est torturé et remis à la Gestapo. Il s’évade du fort de Romainville et reprend les combats dans divers maquis. En 1944, il est l’un acteurs importants de l’insurrection parisienne. Le groupe qu’il commande devient le 151e régiment d’infanterie sous les ordres du général Delattre de Tassigny. Ce dernier le voyait déjà général.

Le 27 septembre 1944, Pierre Georges, le colonel Fabien, saute sur une mine dans des conditions restées imprécises. Il avait vingt-cinq ans.
 

Maurice Ulrich

 

Pierre Georges est le 21 août 1941 l'adjoint d'Albert Ouzoulias, à qui l'on doit "Les Bataillons de la jeunesse", un témoignage passionnant sur les débuts héroïques de l'organisation de la résistance communiste, notamment chez les jeunes, lycéens, ouvriers, étudiants, à Paris.  

Les communistes français dans la résistance avant l'invasion de l'URSS en juin 1941: relisons Albert Ouzoulias et ses "Bataillons de la jeunesse"

 

 

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