La souffrance des syriens fuyant les atrocités de la guerre et le manque de perspective dans les camps de réfugiés des pays frontaliers s'est rappelée à nous de manière odieuse pendant la période des fêtes avec les dérives des cargos Ezadeen, battant pavillon du Sierra Léone et censé transporter du bétail vivant, et celle du Blue Sky M, avec 850 migrants à son bord pour ce dernier, 450 migrants syriens pour le premier.
200 000 refugiés selon l'ONU ont tenté de traverser la Méditerranée en 2014, dix fois plus qu'en 2012: 3400 en sont morts!
Parmi ces 200000 migrants qui ont tenté de traverser la Méditerannée jusqu'à l'Europe, 60 000 sont syriens, 10 000 afghans, 34 000 érythréens, 7000 somaliens, 20 000 sub-sahariens, 5000 palestiniens, 9000 maliens, 9000 nigérians, 7000 gambiens, 4300 bangladeshi. Sur 22,8 millions que comptait la population syrienne en 2011, 3,2 millions sont réfugiés dans les pays frontaliers (1 million en Turquie, 1,1 million au Liban, 640 000 en Jordanie, 228 000 en Irak). En 2014, près de 10000 enfants syriens ont trouvé refuge en Italie, contre 3 fois moins l'année précédente (source Libération).
Dans le cas des deux cargos qui ont deffrayé la chronique ces derniers jours, les immigrants ont été lamentablement abandonnés avec les navires poubelles par les marins par une mer démontée et ces cargos se seraient sans doute abîmés sur les côtes ou en mer sans sauvetage.
Transporter 500 passagers qui paie entre 3000 et 5000 dollars le passage, ça peut rapporter jusqu'à 2 millions d'euros.
Au-delà du manque de scrupules et de l'avidité des passeurs, trop souvent exclusivement pointés du doigt dans une approche répressive, ces tragédies posent plus que jamais la question de la politique d'accueil de l'Europe et de la France vis à vis de ces demandeurs d'asile en droit de pouvoir vivre en sécurité, dans le respect de leurs droits humains, et d'avoir un avenir, qu'ils soient syriens, érythréens ou autre.
Ouest-France consacrait ce week-end un article très renseigné à la question. Derrière les chiffres affolants, il y a des hommes, des femmes, des enfants, qu'on laisse souffrir quand ils tentent de sauver leur peau et leur avenir dans une indifférence étatique confondante:
" Le trafic en Méditerranée change d'échelle
Année record
L'an dernier, plus de 207 000 migrants ont traversé la Méditerrannée (3419 y ont laissé la vie), selon l'Agence des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR). "C'est presque trois fois plus que le précédent pic connu, soit environ 70000 en 2011" note l'UNCHR.
"Pour la première fois, en 2014, les personnes orginaires de Syrie et d'Erythrée sont devenues une composante essentielle de ce flux tragique, à hauteur de 50% du total".
De Mare Nostrum à Triton
Après le drame de Lampedusa, en 2013, où 366 migrants avaient trouvé la mort, l'Union Européenne avait lancé la mission Mare Nostrum. L'Italie a mobilisé 900 soldats et 32 navires. L'opération a permis de secourir 150 000 personnes, mais elle avait aussi un coût: 9 millions d'euros par mois (sic!!! que vaut une vie humaine! ce budget européen, c'est même pas le budget annuel d'une municipalité de 15000 habitants en France). Depuis le 1er novembre, Frontex, l'Agence pour la surveillance des frontières de l'Union Européenne, a remplacé Mare Nostrum par Triton.
Celle-ci mobilise 21 navires, 4 avions, un hélicoptère, et 65 officiers. Son coût est plus faible: 2,9 millions d'euros par mois. Mais en face de ces moyens nautiques et aéronautiques, les passeurs ont changé de moyens et d'échelle.
Loin des petits bateaux de pêche
Les passages de Syriens ou d'Erythréens à bord de navires marchands se développent rapidement. Le Blue Sky M , avec 850 migrants, et l'Ezadeen, avec ses 450 passagers, ont eu des précédents. Le 20 décembre, en Italie, 800 migrants étaient recueillis à bord d'un cargo de 70 m parti d'un port turc et lui aussi abandonné par son équipage.
Le 9 décembre, 580 personnes ont débarqué du Sandy, un paquebot battant pavillon congolais, toujours en Italie. Le 22 novembre, à Chypre, le Haj Zaher, battant pavillon de Tanzanie était secouru avec 228 migrants. On est très loin des quelques dizaines de personnes s'entassant sur des bateaux de pêche".
Pour éviter ces traversées dans des conditions très dangereuses et souvent mortelles, livrées au bon vouloir de modernes négriers, il y a une solution simple: que les pays riches d'Europe comme la France attribuent des permis de séjour et des droits d'asile dans les ambassades et consulats du Proche Orient (Jordanie, Liban, Turquie pour les réfugiés syriens) et d'Afrique pour les réfugiés qui ont tout perdu et s'entassent actuellement par milliers dans des camps où la vie est plus que précaire, dans des pays qui sont déjà instables et fortement inégalitaires. Ces immigrés, souvent qualifiés, peuvent s'intégrer à nos pays et leur apporter quelque chose. Le bilan fiscal et économique de l'immigration en France est positif, comme le montre un certain nombre d'experts. Il suffit de voir ce que les immigrés du Proche Orient, d'Afrique, d'Asie peuvent apporter aux Etats-Unis, au Royaume-Uni, au Canada, comme dynamisme médical, économique, scientifique, et culturel pour voir qu'il est non seulement immoral et inhumain, mais complètement stupide du point de vue du rayonnement de nos pays, de fermer la porte à ces demandeurs d'asile.
Ismaël Dupont
Lire aussi, Centre d'actualité de l'ONU
2 janvier 2015 – Face au phénomène de cargos de migrants laissés à la dérive par des trafiquants en mer Méditerranée, le Vice-Secrétaire général des Nations Unies, Jan Eliasson, a exprimé vendredi son inquiétude et jugé nécessaire des efforts énergiques pour y remédier.
M. Eliasson a discuté vendredi de ce sujet avec le Haut-Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, Antonio Guterres, le Représentant spécial du Secrétaire général pour les migrations internationales et le développement, Peter Sutherland, et le Directeur général de l'Organisation internationale des migrations (OIM), William Swing, a indiqué le porte-parole du Secrétaire général de l'ONU dans une note à la presse.
« Ils ont discuté des migrations internationales et de ce qui apparait comme une tendance effroyable en matière de traite des êtres humains s'agissant des migrants - l'abandon de grands cargos par les trafiquants en Méditerranée », a-t-il précisé.
Selon la presse, deux jours après le sauvetage d'un cargo à bord duquel se trouvaient des centaines de migrants, les garde-côtes italiens ont pris le contrôle vendredi 2 janvier d'un autre bateau en perdition au large des côtes italiennes. Le navire marchand, qui transportait 450 migrants, avait été abandonné par son équipage.
Le trafic de migrants a causé la mort de 3.000 personnes en Méditerranée rien que pour l'année 2014, contre 700 morts l'année précédente.
Saluant les efforts de sauvetage en cours, notamment par la marine et les garde-côtes italiens, le Vice-Secrétaire général des Nations Unies a souligné la responsabilité de tous les États membres pour assurer la protection et les droits humains des migrants. Il a noté qu'il y avait un besoin urgent d'examiner les causes profondes du phénomène et de faire des efforts énergiques pour y remédier.
« Le système des Nations Unies continuera ses efforts, de concert avec les gouvernements concernés, l'OIM et d'autres parties prenantes, afin de répondre aux défis que représentent les migrations à travers le monde », a ajouté le porte-parole du Secrétaire général.
De son côté, le Directeur du bureau Europe du HCR, Vincent Cochetel, a estimé que l'utilisation de cargos représentait une nouvelle tendance « qui ne peut plus être ignorée par les gouvernements européens ».
« Il faut de toute urgence une action concertée européenne en mer Méditerranée. Il faut aussi accroître les efforts pour sauver les gens en mer et pour fournir des alternatives légales à ces voyages dangereux », a-t-il dit dans un communiqué de presse. Le HCR a remercié les autorités italiennes pour leur réaction aux derniers incidents.