La candidature de Nicolas Sarkozy inquiète... les services de renseignement
7 OCTOBRE 2016 | PAR MATTHIEU SUC ET ELLEN SALVI
Que ce soit à la DGSI, ce « FBI à la française » qu’il a créé, ou dans les autres services de renseignement, les espions craignent de voir Nicolas Sarkozy redevenir président de la République. Ils lui reprochent son action passée, comme la suppression des Renseignements généraux. Surtout, son programme et son comportement les inquiètent dans la perspective de la lutte contre le terrorisme.
Le scénario s’est répété. À l'identique. À la rentrée, nous rencontrions des officiers des différents services de renseignement pour faire le point sur divers dossiers en cours, pour parler des attentats déjoués, ceux qui n’ont pas été évités. Et puis, rendus sur le pas de la porte, sur le point de se séparer, la conversation file. La présidentielle de 2017 est évoquée. Un nom revient. Toujours le même. Celui dont on ne veut pas. Une fois, deux fois, trois fois.
Alors nous avons fini par nous dire que nous tenions là un sujet. Nous sommes retournés voir nos interlocuteurs. Nous en avons interrogé d’autres. Sans leur annoncer le but de l’entretien, pour mieux vérifier la tendance. Quel que soit le service, quelles que soient les opinions politiques, toujours le même résultat : les officiers de renseignement craignent le retour de Nicolas Sarkozy.
C’est à la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI, l’ex-DCRI), ce fameux « FBI à la française » créé par l’ex-chef de l’État, que l’opposition est la plus forte. « Je n’ai pas entendu un seul commentaire favorable à Sarko dans ma boutique, confie un gradé. À l’heure actuelle règne même le “tout sauf Sarkozy”. On s’en fiche un peu de qui sera élu du moment que ce n’est pas lui. » Sans préciser ce que lui-même fera, un second officier – a priori, ne connaissant pas le premier – confirme : « Beaucoup d’entre nous sont prêts à payer deux euros [le prix de la participation à la primaire novembre – ndlr] pour être sûrs de le sortir. Ce sera un vote par dépit mais l’essentiel, c’est tout sauf lui. »
Pourquoi ? « Tout nous fait peur chez lui... », résume, lapidaire, le premier agent. « On a été échaudés, complète une collègue de la Direction du renseignement de la préfecture de police (DRPP). On l’a eu comme ministre, comme président, il nous a fait beaucoup de promesses. Et au final, il nous a tellement fait de mal... »
Tous adressent le même reproche : sa réforme du renseignement réalisée en 2008. Le péché originel – à les entendre – des ratés actuels dans la lutte contre le terrorisme. Cette année-là, Nicolas Sarkozy, qui les vouait aux gémonies, tua les Renseignements généraux (RG) pour dissoudre l’essentiel de leurs effectifs dans sa DCRI naissante, pas encore devenue DGSI. Le reliquat fut reversé dans une entité créée pour l’occasion et sans réels moyens, la Sous-Direction de l’information générale (SDIG). Durant quatre ans, les dinosaures des RG ont eu l’impression d’être méprisés par le pouvoir alors en place.
La SDIG était le parent très pauvre de la communauté du renseignement, au rang de laquelle elle ne figurait d’ailleurs même pas officiellement. « Nous travaillons avec des bouts de ficelle, du sang et des larmes », confiait l’un de ses représentants aux députés Jean-Jacques Urvoas et Patrice Verchère, dans le rapport qu’ils consacrèrent en 2013 à l’évaluation du cadre juridique applicable aux services de renseignement.
À la décharge de l’ancien président, en 2008, seul le Syndicat des cadres de la sécurité intérieure (SCSI) s’était opposé à sa réforme. Sinon, tout le monde applaudissait des deux mains ce qui devait conduire à la fin de la guerre des polices entre la DST et les RG. Mais cette réforme a été faite à toute allure – annoncée en septembre 2007, elle se concrétisait dix mois plus tard – et sans concertation. Des implantations locales furent fermées à la va-vite et le maillage territorial, assuré par les RG, balayé d’un revers de la main.
« 2008 a été une année noire dont on ne s’est pas encore relevé, se souvient l’officier de la DRPP. On a cru qu’on allait fermer [les renseignements généraux de Paris étaient distincts des RG au plan national, ils ont été transformés in extremis en DRPP – ndlr], on commençait à faire nos cartons. On a dû vider nos casiers, détruire nos archives… À cette occasion, on a perdu des masses de renseignements, de savoir-faire. Depuis on rame… » « Il nous a broyés », se souvient, amer, un ancien RG, travaillant lui dans la grande couronne, qui ne décolère pas depuis huit ans et regrette le lustre de son service d’antan.
Plus étonnant même : ceux présentés comme les gagnants de la réforme de 2008, les anciens de la DST, à la tête aujourd’hui de la DGSI, regrettent la disparition des rivaux des RG. « On reproche à Sarkozy la perte de 60 % de notre capacité de renseignement dans les banlieues [le rôle dévolu auparavant aux Renseignements généraux – ndlr], condense un de ces vétérans de la DST. En gros, tout ce qui nous manque aujourd’hui, toutes ces failles que les médias pointent après chaque attentat, cela vient de là ! »
Et n’allez pas rappeler aux agents du renseignement intérieur que leur service, c’est à Nicolas Sarkozy qu’ils le doivent. « Son bébé, la DGSI ? Le bébé est mal en point, s’époumone l’un des officiers précités. La baisse des effectifs dans le renseignement, c’est lui. Il a bousillé notre outil. Depuis Charlie Hebdo, certes le ministère de l’intérieur réembauche, complète les effectifs, mais cela prend du temps pour former les gens. Un jeune qui arrive ne remplace jamais un ancien. »
À propos de cette réforme de 2008, même Alliance, syndicat des gardiens de la paix, ancré à droite et réputé proche des sarkozystes, avait dressé dans un rapport datant du printemps 2015 le constat que « la volonté d’une plus grande lisibilité du renseignement sur le territoire français est à l’évidence un flop ». Ce n’est pas le moindre des paradoxes que de voir Alliance critiquer implicitement une réforme portée par leur champion.« La réforme était utile, avait tenté de pondérer Jean-Claude Delage, le secrétaire général d’Alliance alors interrogé par un des auteurs. Mais la réalité, c’est que les dysfonctionnements demeurent. Rien n’a été fait depuis. »
Toujours est-il qu’au sein de la DGSI, le constat est implacable. « Pour nous, Sarko, c’est du passé », assure l’un. « Ce serait un bond en arrière », considère un autre qui craint qu’une victoire du candidat Sarkozy à la présidentielle « ne ramène les mêmes patrons de la police que ceux qui nous ont conduits à la situation actuelle ». En disant cela, il ne vise pas Bernard Squarcini, le premier directeur du renseignement intérieur. S’il a quelques ennemis au sein du service qu’il a dirigé, celui qu’un livre avait présenté comme L'Espion du président (Christophe Labbé, Didier Hassoux et Olivia Recasens, Éd. Robert Laffont, 2012) jouit encore d’une réputation d’excellent professionnel (les entretiens ont été réalisés avant sa mise en examen pour « trafic d’influence », « violation du secret de l’enquête », « compromission » ou encore « entrave aux investigations »).
« Sarkozy méprise les règles de droit »
Hormis Squarcini, la perspective de voir revenir les autres « grands flics » de la Sarkozie qui occupaient les premiers rôles lors de son mandat et se sont reconvertis dans le privé en attendant le retour de leur poulain n’enchante guère ceux qui traquent les islamistes radicaux sur le terrain. Sans compter les hommes politiques qui se poussent du col dans l’entourage de l’ancien président, en lorgnant sur la place Beauvau. « Parfois, à la machine à café, pour se faire peur on se dit qu’on aura Christian Estrosi ou Éric Ciotti comme ministre de l’intérieur », plaisante à moitié un analyste de la DGSI.
Surtout les propositions, comme les commentaires du candidat Sarkozy et de son entourage, sur les sujets touchant de près ou de loin à la lutte contre le terrorisme sont loin de les rassurer. Tout comme le procureur de la République François Molins qui, dans un entretien au Monde début septembre, avait brocardé le placement en rétention des personnes fichées S préconisé par l’ancien président – « C’est absolument impossible. Il ne peut y avoir de détention préventive en dehors d’une procédure pénale. […] On ne peut pas détenir quelqu’un avant qu’il ait commis une infraction », avait rappelé le magistrat –, les hommes et les femmes qui travaillent dans les services ne veulent pas entendre parler de détention pour les 10 000 fichés S en raison de leurs liens présumés avec la mouvance islamiste.
« En disant cela, Sarkozy méprise les règles de droit », s’énerve l’enquêtrice de la DRPP.« C’est contre-productif, estime un agent de la DGSI. Proposer d’interner les fichés S, c’est méconnaître profondément la nature de ces fiches : un signal d’alerte qui nous permet d’obtenir des renseignements en amont. Enfermer les fichés S ne nous aidera pas à empêcher des attentats, bien au contraire. » Cet été, la polémique sur le burkini, alimentée par des soutiens sarkozystes, les a également fait bouillir. « On perd notre temps avec ça, continue le dernier agent cité. Entre nous, on se dit que ça va encore donner du grain à moudre à la propagande djihadiste, ils vont s’en servir pour dire que c’est bien la preuve que notre société rejette les musulmans. C’est d’autant plus bête que les islamistes sont eux-mêmes contre le burkini… »
Des positions contre-productives, ou inutilement polémiques, qui rappellent de mauvais souvenirs à certains gradés. À l’image de ces réunions à la DCRI durant lesquelles les meilleurs analystes exposaient le problème rencontré et la solution qui leur semblait la plus appropriée, tandis que Bernard Squarcini les écoutait en dodelinant de la tête. À la fin de l’exposé, le patron du renseignement intérieur prenait la parole. « Oui, d’accord, mais IL m’a appelé, expliquait-il à ses hommes en pointant son index vers le ciel. IL ne veut pas que l’on procède comme ça. Donc, on va faire comme IL le souhaite. » Les solutions alors adoptées étaient loin de faire l’unanimité au sein de l’équipe.
Le scénario s’est répété. À l'identique. À la rentrée, nous rencontrions des officiers des différents services de renseignement pour faire le point sur divers dossiers en cours, pour parler des attentats déjoués, ceux qui n’ont pas été évités. Et puis, rendus sur le pas de la porte, sur le point de se séparer, la conversation file. La présidentielle de 2017 est évoquée. Un nom revient. Toujours le même. Celui dont on ne veut pas. Une fois, deux fois, trois fois.
Alors nous avons fini par nous dire que nous tenions là un sujet. Nous sommes retournés voir nos interlocuteurs. Nous en avons interrogé d’autres. Sans leur annoncer le but de l’entretien, pour mieux vérifier la tendance. Quel que soit le service, quelles que soient les opinions politiques, toujours le même résultat : les officiers de renseignement craignent le retour de Nicolas Sarkozy.
Nicolas Sarkozy, le 6 septembre 2016. © Reuters
C’est à la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI, l’ex-DCRI), ce fameux « FBI à la française » créé par l’ex-chef de l’État, que l’opposition est la plus forte. « Je n’ai pas entendu un seul commentaire favorable à Sarko dans ma boutique, confie un gradé. À l’heure actuelle règne même le “tout sauf Sarkozy”. On s’en fiche un peu de qui sera élu du moment que ce n’est pas lui. » Sans préciser ce que lui-même fera, un second officier – a priori, ne connaissant pas le premier – confirme : « Beaucoup d’entre nous sont prêts à payer deux euros [le prix de la participation à la primaire novembre – ndlr] pour être sûrs de le sortir. Ce sera un vote par dépit mais l’essentiel, c’est tout sauf lui. »
Pourquoi ? « Tout nous fait peur chez lui... », résume, lapidaire, le premier agent. « On a été échaudés, complète une collègue de la Direction du renseignement de la préfecture de police (DRPP). On l’a eu comme ministre, comme président, il nous a fait beaucoup de promesses. Et au final, il nous a tellement fait de mal... »
Tous adressent le même reproche : sa réforme du renseignement réalisée en 2008. Le péché originel – à les entendre – des ratés actuels dans la lutte contre le terrorisme. Cette année-là, Nicolas Sarkozy, qui les vouait aux gémonies, tua les Renseignements généraux (RG) pour dissoudre l’essentiel de leurs effectifs dans sa DCRI naissante, pas encore devenue DGSI. Le reliquat fut reversé dans une entité créée pour l’occasion et sans réels moyens, la Sous-Direction de l’information générale (SDIG). Durant quatre ans, les dinosaures des RG ont eu l’impression d’être méprisés par le pouvoir alors en place.
La SDIG était le parent très pauvre de la communauté du renseignement, au rang de laquelle elle ne figurait d’ailleurs même pas officiellement. « Nous travaillons avec des bouts de ficelle, du sang et des larmes », confiait l’un de ses représentants aux députés Jean-Jacques Urvoas et Patrice Verchère, dans le rapport qu’ils consacrèrent en 2013 à l’évaluation du cadre juridique applicable aux services de renseignement.
Siège de la DGSI, à Levallois-Perret (Hauts-de-Seine). © Reuters
À la décharge de l’ancien président, en 2008, seul le Syndicat des cadres de la sécurité intérieure (SCSI) s’était opposé à sa réforme. Sinon, tout le monde applaudissait des deux mains ce qui devait conduire à la fin de la guerre des polices entre la DST et les RG. Mais cette réforme a été faite à toute allure – annoncée en septembre 2007, elle se concrétisait dix mois plus tard – et sans concertation. Des implantations locales furent fermées à la va-vite et le maillage territorial, assuré par les RG, balayé d’un revers de la main.
« 2008 a été une année noire dont on ne s’est pas encore relevé, se souvient l’officier de la DRPP. On a cru qu’on allait fermer [les renseignements généraux de Paris étaient distincts des RG au plan national, ils ont été transformés in extremis en DRPP – ndlr], on commençait à faire nos cartons. On a dû vider nos casiers, détruire nos archives… À cette occasion, on a perdu des masses de renseignements, de savoir-faire. Depuis on rame… » « Il nous a broyés », se souvient, amer, un ancien RG, travaillant lui dans la grande couronne, qui ne décolère pas depuis huit ans et regrette le lustre de son service d’antan.
Plus étonnant même : ceux présentés comme les gagnants de la réforme de 2008, les anciens de la DST, à la tête aujourd’hui de la DGSI, regrettent la disparition des rivaux des RG. « On reproche à Sarkozy la perte de 60 % de notre capacité de renseignement dans les banlieues [le rôle dévolu auparavant aux Renseignements généraux – ndlr], condense un de ces vétérans de la DST. En gros, tout ce qui nous manque aujourd’hui, toutes ces failles que les médias pointent après chaque attentat, cela vient de là ! »
Et n’allez pas rappeler aux agents du renseignement intérieur que leur service, c’est à Nicolas Sarkozy qu’ils le doivent. « Son bébé, la DGSI ? Le bébé est mal en point, s’époumone l’un des officiers précités. La baisse des effectifs dans le renseignement, c’est lui. Il a bousillé notre outil. Depuis Charlie Hebdo, certes le ministère de l’intérieur réembauche, complète les effectifs, mais cela prend du temps pour former les gens. Un jeune qui arrive ne remplace jamais un ancien. »
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À propos de cette réforme de 2008, même Alliance, syndicat des gardiens de la paix, ancré à droite et réputé proche des sarkozystes, avait dressé dans un rapport datant du printemps 2015 le constat que « la volonté d’une plus grande lisibilité du renseignement sur le territoire français est à l’évidence un flop ». Ce n’est pas le moindre des paradoxes que de voir Alliance critiquer implicitement une réforme portée par leur champion.« La réforme était utile, avait tenté de pondérer Jean-Claude Delage, le secrétaire général d’Alliance alors interrogé par un des auteurs. Mais la réalité, c’est que les dysfonctionnements demeurent. Rien n’a été fait depuis. »
Toujours est-il qu’au sein de la DGSI, le constat est implacable. « Pour nous, Sarko, c’est du passé », assure l’un. « Ce serait un bond en arrière », considère un autre qui craint qu’une victoire du candidat Sarkozy à la présidentielle « ne ramène les mêmes patrons de la police que ceux qui nous ont conduits à la situation actuelle ». En disant cela, il ne vise pas Bernard Squarcini, le premier directeur du renseignement intérieur. S’il a quelques ennemis au sein du service qu’il a dirigé, celui qu’un livre avait présenté comme L'Espion du président (Christophe Labbé, Didier Hassoux et Olivia Recasens, Éd. Robert Laffont, 2012) jouit encore d’une réputation d’excellent professionnel (les entretiens ont été réalisés avant sa mise en examen pour « trafic d’influence », « violation du secret de l’enquête », « compromission » ou encore « entrave aux investigations »).
« Sarkozy méprise les règles de droit »
Hormis Squarcini, la perspective de voir revenir les autres « grands flics » de la Sarkozie qui occupaient les premiers rôles lors de son mandat et se sont reconvertis dans le privé en attendant le retour de leur poulain n’enchante guère ceux qui traquent les islamistes radicaux sur le terrain. Sans compter les hommes politiques qui se poussent du col dans l’entourage de l’ancien président, en lorgnant sur la place Beauvau. « Parfois, à la machine à café, pour se faire peur on se dit qu’on aura Christian Estrosi ou Éric Ciotti comme ministre de l’intérieur », plaisante à moitié un analyste de la DGSI.
Éric Ciotti, Christian Estrosi et Nicolas Sarkozy, le 15 juillet, à Nice. © Reuters
Surtout les propositions, comme les commentaires du candidat Sarkozy et de son entourage, sur les sujets touchant de près ou de loin à la lutte contre le terrorisme sont loin de les rassurer. Tout comme le procureur de la République François Molins qui, dans un entretien au Monde début septembre, avait brocardé le placement en rétention des personnes fichées S préconisé par l’ancien président – « C’est absolument impossible. Il ne peut y avoir de détention préventive en dehors d’une procédure pénale. […] On ne peut pas détenir quelqu’un avant qu’il ait commis une infraction », avait rappelé le magistrat –, les hommes et les femmes qui travaillent dans les services ne veulent pas entendre parler de détention pour les 10 000 fichés S en raison de leurs liens présumés avec la mouvance islamiste.
« En disant cela, Sarkozy méprise les règles de droit », s’énerve l’enquêtrice de la DRPP.« C’est contre-productif, estime un agent de la DGSI. Proposer d’interner les fichés S, c’est méconnaître profondément la nature de ces fiches : un signal d’alerte qui nous permet d’obtenir des renseignements en amont. Enfermer les fichés S ne nous aidera pas à empêcher des attentats, bien au contraire. » Cet été, la polémique sur le burkini, alimentée par des soutiens sarkozystes, les a également fait bouillir. « On perd notre temps avec ça, continue le dernier agent cité. Entre nous, on se dit que ça va encore donner du grain à moudre à la propagande djihadiste, ils vont s’en servir pour dire que c’est bien la preuve que notre société rejette les musulmans. C’est d’autant plus bête que les islamistes sont eux-mêmes contre le burkini… »
Des positions contre-productives, ou inutilement polémiques, qui rappellent de mauvais souvenirs à certains gradés. À l’image de ces réunions à la DCRI durant lesquelles les meilleurs analystes exposaient le problème rencontré et la solution qui leur semblait la plus appropriée, tandis que Bernard Squarcini les écoutait en dodelinant de la tête. À la fin de l’exposé, le patron du renseignement intérieur prenait la parole. « Oui, d’accord, mais IL m’a appelé, expliquait-il à ses hommes en pointant son index vers le ciel. IL ne veut pas que l’on procède comme ça. Donc, on va faire comme IL le souhaite. » Les solutions alors adoptées étaient loin de faire l’unanimité au sein de l’équipe.
Bernard Squarcini © Reuters
Interrogé sur le manque de soutien de la communauté du renseignement, le député Éric Ciotti, souvent présenté comme le “Monsieur sécurité” du candidat Sarkozy, élude en usant de détours alambiqués. « Ce qui ressort de nos rares contacts avec les services : personne ne semble se préoccuper vraiment de la primaire, dit-il. Globalement, ils sont agacés de ce qu’ils entendent, mais pas plus que ça. Le monde du renseignement est divers, il évolue comme le débat. Ils sont par exemple conscients que la question des fiches S ne peut pas rester comme avant. »
Les autres candidats à la primaire de la droite et du centre indiffèrent plutôt les officiers de renseignement, sans susciter la même répulsion que le candidat Sarkozy. Certains à la DGSI ont même noté avec satisfaction que François Fillon, qui n’avait jusqu’alors jamais témoigné d’un intérêt particulier pour les questions de sécurité, s’était prononcé à plusieurs reprises ces derniers mois pour le rattachement de leur service à la Direction générale de la police nationale, dont l’avait sorti la réforme du renseignement intérieur de Manuel Valls en 2014.
Cela n’a l’air de rien, une tambouille administrative de plus ; sauf que les agents de la DGSI sont, pour beaucoup, attachés à leur statut de policiers et se montrent réticents à toute idée d’ouverture vers le monde extérieur et notamment les universitaires, alors que dans leur rapport d’analyse sur l’affaire Merah, en date du 19 octobre 2012, l’inspecteur général Jérôme Léonnet et le contrôleur général Guy Desprats préconisaient« la participation d’experts extérieurs [qui] peut permettre une appréciation plus fine »de l’évaluation de la radicalisation des individus.
Dans une réponse au rapport sur les moyens des services de renseignement du sénateur LR Philippe Dominati, rendu le 7 octobre 2015, la DGSI expliquait que les effectifs des analystes issus du monde universitaire et les techniciens ingénieurs avaient été limités au maximum à 15 % des effectifs totaux du service. Et ce afin de « garantir l’identité policière du service ». Dans ce contexte, les propos de François Fillon résonnent agréablement aux oreilles des espions.
« Les politiques posent des questions, mais n’écoutent pas nos réponses »
Parmi tous les candidats à la primaire de la droite et du centre, celui qui recueille le plus de suffrages au sein de la communauté du renseignement est sans conteste le favori des sondages. Alain Juppé les séduit par la stature d’homme d’État qu’ils lui prêtent, mais surtout par le pedigree de son équipe sur ces questions de contre-terrorisme. Malgré les rivalités récurrentes qui les opposent, certains au renseignement intérieur (DGSI) sont rassurés de constater que le candidat Juppé a su s’entourer d’anciens du renseignement extérieur (DGSE). Au premier rang desquels Arnaud Danjean, député européen LR, mais surtout ex-spécialiste des Balkans à la DGSE, où il a officié durant dix ans.
L’élu a rejoint l’équipe de campagne de Juppé en janvier 2015. Il y côtoie notamment Philippe Hayez, qui anime pour sa part un groupe de travail sur les questions de défense. Actuellement conseiller à la Cour des comptes, cet homme discret a occupé le poste de directeur adjoint du Renseignement à la DGSE au début des années 2000. À la DRPP, certains parlent également d’officiers du service, et d’autres de la DGSI, qui alimenteraient en notes l’équipe du maire de Bordeaux. Nous n’avons pu identifier ces agents, ni quantifier leur nombre. Rencontré mi-septembre, Arnaud Danjean se veut modeste, mais constate : « C’est vrai, nous avons des offres de service. Alain Juppé suscite une certaine sympathie. Sa sobriété convient mieux dans l’univers feutré du renseignement. »
L’équipe “AJ pour la France” ne ménage pas ses efforts. À la fois officier de renseignement au service départemental des renseignements territoriaux des Yvelines et secrétaire général de la fédération CGT-Police, Alexandre Langlois constate que « son staff a déjà invité l’ensemble des syndicats de police ». Ce qui se remarque d’autant plus, à l’heure de la défiance généralisée vis-à-vis de la politique dans laquelle baignent les services de renseignement. « Est-ce que les candidats de droite comme de gauche nous font rêver ? Non », considère un agent de la DGSI qui refuse de développer davantage.« Aucun d’entre eux n’est capable de dire au moins la vérité sur la vague d’attentats, déplore un de ses collègues. C’est-à-dire que c’est un échec. En tout cas, pour nous, ça l’est. »
Un troisième dénonce la force d’inertie du monde politique : « Certains d’entre nous sont contents que notre maison, la DGSI, se fasse critiquer dans la presse. Nous venons d’encaisser plusieurs échecs de suite, c’est une réalité. On lit les articles de Mediapart[sic] et personne ne morfle. Rien ne bouge. Les politiques sont incapables de tirer les conséquences de ces drames. » L’enquêtrice de la DRPP recommande aux candidats« qu’ils se posent, qu’ils réfléchissent, ils sont trop déconnectés de notre réalité ».
« Quand nos chefs continuent de leur dire que tout va bien, ils les croient. Aucun homme politique n’a pris la mesure du problème djihadiste. À part apeurer la population et créer des scissions dans la société, aucun ne formule de proposition. Ah si, nous armer de lance-roquettes... », ajoute-t-elle. Allusion aux propos du député LR Henri Guaino, ancien conseiller spécial de Nicolas Sarkozy qui, au lendemain de l’attentat de Nice, avait préconisé de munir chaque policier d’un bazooka afin d’arrêter le prochain terroriste projetant un poids lourd sur une foule…
Dans ce contexte de fortes tensions induites au sein de la société par les attentats, c’est encore une fois l’ex-chef de l’État que les espions redoutent le plus. « Lorsqu’il était au pouvoir, Nicolas Sarkozy a monté la population contre nous. Il est trop clivant, surtout dans la période actuelle. Alors arrêtons le feuilleton, arrêtons cette surenchère », conclut l’officier de la DRPP. Maigre lot de consolation pour l’ancien président : la gauche n’est pas épargnée, elle non plus. Certains critiquent la personnalité du ministre de l’intérieur. « Bernard Cazeneuve donne une image lisse à la télé, martèle qu’il est respectueux du droit. Si les gens le voyaient en réunion avec nous… il pique des colères noires », assure un témoin de ces emportements ministériels.
Beaucoup se disent aussi déçus par Jean-Jacques Urvoas. L’actuel garde des Sceaux est sans doute l’homme politique connaissant le mieux la police et le renseignement intérieur. Même s’il n’aura en définitive jamais été en poste à Beauvau durant le quinquennat de François Hollande, les policiers reprochent les lenteurs du gouvernement Valls à celui qui, longtemps au parti socialiste, a été leur seul interlocuteur. « Aucun candidat ne semble relever le niveau et être en mesure d’appréhender le terrorisme actuel que l'on associe à une pensée unique, avec beaucoup de clichés, d'amalgames et que personne ne comprend vraiment », déplore Philippe Capon, secrétaire général de l’Unsa-Police.
À la fois ancien des services et homme politique, Arnaud Danjean avoue : « La fonction renseignement reste un objet non identifié. Aujourd’hui, les hommes politiques s’y intéressent mais de manière superficielle. Les services vivent mal d’être incompris par la classe politique, ils en ont ras-le-bol d’être instrumentalisés par le gouvernement comme par l’opposition dans des débats à courte vue. » Un officier de la DGSI regrette : « Les hommes politiques posent des questions, mais n’écoutent pas nos réponses... »
En début d’année, on nous avait raconté la visite d’une délégation parlementaire à Levallois-Perret, le siège de la DGSI. Les élus se font ouvrir les portes de la cellule Allât, du nom de la divinité préislamique et qui réunit tous les principaux services de renseignement français dans une même salle afin de traiter en temps réel les alertes liées au djihad. Un exposé est fait sur les récents attentats du 13-Novembre. Est évoqué Abdelhamid Abaaoud, le coordinateur présumé des commandos qui avait trouvé la mort lors de l’assaut du RAID à Saint-Denis. À l’issue de l’exposé, un député supposé être au fait des questions de renseignement demande : « Et maintenant, est-ce que vous savez où il se trouve cet Abaaoud ? »