Le ministère de l’Intérieur impose une nuance politique aux alliances entre deux partis aux départementales. L’intitulé « divers gauche » peut recouvrir un binôme EELV et Front de gauche. De quoi minimiser leurs résultats. Au Parti de gauche et chez EELV, on dénonce « une manœuvre de l’Intérieur ».
Depuis lundi dernier, on connaît la liste des 18.000 candidats aux élections départementales des 22 et 29 mars prochain. Chaque binôme a déposé sa candidature en préfecture. Le ministère de l’Intérieur a publié le lendemain le détail, canton par canton. On y trouve en toute logique des binômes PS, UMP, FN, EELV ou encore Front de gauche. Mais aussi des binômes « UG », pour Union de la gauche, et « DVG », pour Divers gauche. Ces nuances politiques sont décidées par le préfet.
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Liste des nuances politiques, transmise par le ministère de l'Intérieur.
« DVG » ne désignent pas forcément des candidats de gauche qui n’appartiennent à aucun parti. Cette dénomination cache aussi en réalité des alliances entre Europe Ecologie-Les Verts et le Front de gauche par exemple ou entre le PS et ses alliés de gauche pour « UG ». De quoi minimiser certains scores, au niveau national, le soir de l’annonce des résultats officiels par le ministère Intérieur.
« Un scandale » selon le responsable des élections d’EELV
Chez Europe Ecologie-Les Verts, on n’a pas de mots assez durs contre ce problème des nuances politiques. « C’est un scandale », dénonce le secrétaire national adjoint d’EELV, chargé des élections, David Cormand, interrogé par publicsenat.fr. « Le ministère de l’intérieur a mis au point une nomenclature sur les nuances des candidatures. Il y a l’étiquette, que le candidat inscrit sur son formulaire d’appartenance politique. A la vue de cela, le préfet décide d’attribuer la nuance » précise-t-il. Pour ce scrutin, sur les 950 cantons où ils sont présents, les écologistes ont fait alliance avec une composante du Front de gauche dans 45% des cas et avec le PS dans seulement 18% (voir notre article sur le sujet)
« Pour ces départementales, quand un candidat du PS et avec un autre, ça s’appelle « liste d’union de la gauche », qui est de fait attribué au PS. Mais s’il y a un candidat EELV avec un candidat Parti de gauche (PG), ce sera « divers gauche ». On noie des alliances EELV/PG ou EELV/PC dans du divers gauche. C’est une façon de diluer un vote qui va dans le même sens. Dans les chiffres officiels, il y aura beaucoup moins de 950 candidats EELV. C’est une manœuvre de l’Intérieur », accuse David Cormand.
« Sous-estimer le score du Front de gauche »
Des accusations soutenues par Eric Coquerel, secrétaire national à la coordination politique du Parti de gauche de Jean-Luc Mélenchon. « C’est clairement une manœuvre. C’est terrible », dénonce le responsable du PG. « On va avoir un problème de visibilité nationale. Dans 37 départements, nous avons des alliances avec EELV. Dans 30 d’entre eux, c’est une alliance avec tout le Front de gauche (donc le PCF aussi, ndlr) et 7 seulement avec le PG », précise Eric Coquerel.
« Cela va avoir pour effet de sous-estimer le score du Front de gauche et d’ignorer les endroits où nous faisons alliance avec EELV. Le gouvernement fait tout ce qu’il peut pour modérer l’émergence d’une alternative dans ce pays », affirme Eric Coquerel.
Pas de réponse de Cazeneuve à une lettre du PCF
Dans un communiqué diffusé vendredi, le PCF tient lui « à dénoncer les manipulations du ministère de l’Intérieur qui, sous couvert d’étiquetage administratif des binômes, minore le nombre de candidats du Front de gauche et du PCF en faisant disparaître les étiquettes politiques ». « C’est une mesure de camouflage et d’autoritarisme », nous affirme Pascal Savoldelli, le Monsieur élection de la place du Colonel Fabien. « Ce n’est pas par cela qu’on va effacer le fait qu’il y a des approches différentes. C’est une dérive technocratique et libérale. Je me pose la question si l’objectif inavoué n’est pas de minimiser l’éventuel recul du PS ? Et le grand bénéficiaire va être encore le FN » ajoute Pascal Savoldelli. Le FN n’a en effet pas d’alliances qui risquent de diluer ses résultats.
Le responsable des élections du PCF a écrit à Bernard Cazeneuve il y a 15 jours « pour lui demander de revoir la comptabilité » – lettre « soutenue par le PG et EELV », selon Eric Coquerel du Parti de gauche. Pascal Savoldelli n’a toujours pas de réponse. « Le rôle de l’Intérieur est d’appliquer la loi et le législateur a décidé de créer un scrutin binominal. Il faut le respecter, y compris dans les nuances et la sensibilité. Quand il y a une sensibilité différente entre les deux candidats du binôme, il faut accorder les voix aux deux sensibilités. C’est respecter le choix des électeurs », fait valoir Pascal Savoldelli.
« La nuance ne sert qu’à établir un rapport des forces politiques » affirme la place Beauvau
Interrogé sur ce principe des nuances politiques, le ministère de l’Intérieur répond que « le candidat reste totalement libre de déclarer son appartenance politique à un parti ou à des courants de pensée, la nuance ne servant qu’à établir un rapport des forces politiques au terme d’un scrutin ». Il rappelle qu’il a « toujours procédé à l’attribution de nuances politiques des candidats aux élections politiques, dans un cadre juridique strictement défini ». Le ministère renvoie à une délibération de la CNIL, du 19 décembre 2013, qui « a confirmé tout l’intérêt de l’attribution de ces nuances », qui permettent « aux pouvoirs publics et aux citoyens de disposer de résultats électoraux faisant apparaître les tendances politiques locales et nationales et de suivre ces tendances dans le temps ».
Le cabinet de Bernard Cazeneuve ajoute que « la nuance politique fait référence à une grille établie par le ministère de l’Intérieur fondée sur les clivages politiques issus des scrutins passés et de l’actualité politique ». L’Intérieur est semble-t-il passé à côté de la dernière actualité des alliances passées et des rapprochements entre EELV et le Front de gauche…
« On va être obligé de faire notre propre totalisation des résultats »
La question de la nuance politique avait déjà fait polémique lors des dernières municipales de mars 2014. Les critiques venaient alors des petits candidats « sans étiquette » qui se voyaient affublés d’office d’une nuance, et donc d’une couleur politique, par le ministère de l’Intérieur. L’ancien président de l’Association des maires de France, Jacques Pelissard, avait même adressé une lettre au ministre de l’Intérieur de l’époque, un certain Manuel Valls. Ses adhérents « s’insurg(eaient) contre ce « nuançage politique » », écrivait le président de l’AMF.
Au soir du premier tour, les résultats officiels seront donc trompeurs. Les partis vont tenter de s’organiser pour contourner le problème. « Il faudra s’entendre entre le Front de gauche et EELV pour arriver à donner notre propre chiffrage », explique Eric Coquerel, « nous allons faire nous même un partage entre candidats, considérer que c’est une étiquette EELV dans un département et Front de gauche dans un autre ». Le PCF optera pour la même attitude : « On va être obligé de faire notre propre totalisation des résultats », prévient Pascal Savoldelli. Quant aux médias, ils auront peut-être quelques difficultés à établir leurs diagrammes et autres camemberts pour donner les résultats.