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30 octobre 2019 3 30 /10 /octobre /2019 06:31

 

Le Brésil de Lula a été l’objet des rêves d’une gauche européenne. Celui de Bolsonaro s’apparente à un cauchemar mené par d’anciens « Chicago Boys ». Saisir à la fois les échecs endogènes des gauches latinos et la soif de revanche d’une petite élite ultra-libérale peut clarifier un regard brouillé et clivé sur le géant lusophone.

 « Je hais les voyages et les explorateurs. » Le fameux incipit de Tristes Tropiques, que l’anthropologue Claude Lévi-Strauss écrit après ses séjours au Brésil, demeure pertinent pour la situation actuelle. Le Brésil est en effet l’objet des fantasmes d’une gauche européenne qui aime y faire du tourisme idéologique, mais aussi le laboratoire d’une certaine droite qui fait rimer exploration et exploitation.

L’Amérique latine en général, et le Brésil en particulier, est ainsi le lieu d’une double projection, les rêves de la gauche d’un côté, le cauchemar néolibéral de l’autre. Une situation qui brouille, depuis déjà longtemps, le regard que l’on porte ici sur ce qui se passe là-bas, et divise celles et ceux qui commentent ce qui s’y déroule. La victoire à l’élection présidentielle, il y a tout juste un an, de Jair Bolsonaro, catalysée par l’enfermement de l’ex-président Lula, a encore fait rejouer les failles et crispé les positions.

Les uns s’indignent ainsi du fait que toute une partie de la gauche européenne défende mordicus Lula et le Parti des travailleurs (PT), en dépit de faits de corruption avérés, et ne veulent voir dans l’ancien président qu’un « prisonnier politique ». Les autres ne décolèrent pas contre l’aveuglement politique de ceux qui ne s’interrogent pas sur les conditions de la reprise en main idéologique et économique du pays par une élite menée par d’anciens « Chicago Boys » décidés à prendre leur revanche sur le PT en appliquant au Brésil d’aujourd’hui les recettes mises en place dans le Chili de Pinochet.

Les Chicago Boys désignent ce groupe d’économistes sud-américains formés à l’université américaine sous la houlette de Milton Friedman, ayant mis en œuvre les réformes ultra-libérales de la dictature d’Augusto Pinochet entre 1973 et 1982. Le prix Nobel d’économie de 1976 avait en effet convaincu le général putschiste, plutôt acquis initialement à une vision planifiée de l’économie, de leur laisser les rênes pour expérimenter, à taille réelle, ses préceptes économiques : privatisations massives, restriction du rôle de l’État, ouverture des marchés, retraites par capitalisation, réduction des impôts…

Parmi les diplômés brillants qui rejoignent alors Santiago, un jeune Brésilien, Paulo Guedes, qui s’est notamment lié d’amitié, sur les bancs de l’université de Chicago, avec Jorge Selume Zaror, futur ministre du budget de Pinochet.

Or, Paulo Guedes est aujourd’hui le ministre le plus puissant du gouvernement Bolsonaro, à la tête d’un portefeuille qui fusionne ceux de l’économie, des finances, de l’industrie, de la planification, de l’emploi et du commerce extérieur. Cet ancien banquier est aussi l’homme qui, pendant la campagne électorale brésilienne, a activé ses réseaux pour faire d’un ancien militaire reconnaissant lui-même son absence de compétences en économie, un candidat adoubé par les milieux d’affaires.

En prenant ses fonctions, le super-ministre de l’économie a nommé plusieurs ex-Chicago Boys à des postes stratégiques. Roberto Castello Branco, diplômé de l’université où enseignait Milton Friedman au même moment que Paulo Guedes, a pris la tête de Petrobras, l’entreprise nationale pétrolière au cœur de la corruption de la classe politique brésilienne et des accusations contre Lula. Quant à l’économiste Rubem Novaes, également passé par cette université de Chicago, il a obtenu les rênes de la Banco do Brasil.

Comme l’expliquait alors aux Échos un autre économiste brésilien, Carlos Langoni : « Je plaisantais l'autre jour avec Paulo Guedes en lui disant : “Nous ne sommes plus des Chicago Boys, nous sommes des Chicago Grandfathers.” Mais il m'a immédiatement corrigé : “Il vaut mieux parler de Chicago Oldies.” »

Qu’ils préfèrent se faire passer pour des « grands-pères » ou des « anciens », ces ex-Chicago Boys prennent le contrôle économique du Brésil dans un contexte particulier, et avec une revanche à prendre. L’Amérique latine est en effet le continent où les mesures « d’ajustements structurels » du consensus de Washington, dont l’université de Chicago a été une des matrices intellectuelles, ont été appliquées avec le plus de vigueur et d’aveuglement.

Mais l’Amérique latine est aussi le lieu où ce même consensus a été le plus frontalement contesté par les leaders de gauche qui accèdent au pouvoir au tournant des années 2000 : Hugo Chávez au Venezuela en 1999, Luiz Inácio Lula au Brésil en 2002, Nestor Kirchner en Argentine en 2003, Evo Morales en Bolivie en 2005, Michelle Bachelet au Chili en 2006, Rafael Correa en Équateur en 2007…

Ces gouvernants n’ont en réalité pas grand-chose à voir les uns avec les autres, mais ils constituent néanmoins tous un moment de forte rupture politique et économique, d’autant plus dans les pays qui élisent alors, pour la première fois de leur histoire, des dirigeants qui ressemblent à leur peuple : un syndicaliste issu d’une famille nombreuse et très pauvre émigrée du Nordeste vers São Paulo au Brésil ou un Indien représentant des petits cultivateurs pour la Bolivie.

Pour la gauche européenne qui a encore du mal à se relever de la chute du mur de Berlin, l’Amérique latine devient alors un espace où elle peut projeter un autre récit que le Tina (There is no alternative) cher à Margaret Thatcher. Du Forum social mondial dont la première édition se tient à Porto Alegre en 2001 pour structurer la dynamique altermondialiste enclenchée dans les contestations contre l’OMC, jusqu’à l’intérêt de nombreux mouvements écologistes et climatiques envers les thématiques des droits de la Terre Mère ou du « buen vivir » promues en Équateur ou en Bolivie, l’Amérique latine devient alors un territoire d’espoir pour les gauches européennes.

« Le Brésil, laboratoire mondial »

Observées depuis la fin des années 2010, ces expériences progressistes laissent un goût amer et le sentiment d’une fin de cycle, puisqu’elles s’avèrent au mieux inabouties, au pire perverties. La « révolution bolivarienne » au Venezuela a conduit à un effondrement économiquepolitique et anthropologique du pays, marqué par un exode dont l’ampleur n’est guère comparable qu’à la Syrie.

Rafael Correa, présenté comme un héros et héraut progressiste, n’a jamais hésité à piétiner et intimider la presse et fait le choix d’une économie extractiviste en opposition avec les principes affichés dans la Constitution inédite qu’il avait fait adopter. Les angles morts d’Evo Morales sont également nombreux, en premier lieu sa promotion d’une agro-industrie incompatible avec les « droits de la nature » et le respect de la Terre Mère.

Quant au Parti des travailleurs, si la politique volontariste de Lula a effectivement permis, notamment grâce à la Bolsa Familia, la sortie de millions de Brésiliens de la pauvreté, le leader historique du PT ne s’est pas attaqué au système de corruption endémique, laissant ainsi prospérer les intérêts des grandes industries du pays, même quand ils étaient en contradiction avec ceux des travailleurs qu’il était censé défendre.

Nombre de ces expériences latino-américaines, qui allaient parfois jusqu’à prétendre inventer des formes nouvelles de socialisme ou d’éco-socialisme, ont ainsi laissé intacts plusieurs fondamentaux du capitalisme mondialisé, en dépit de discours frontalement, mais souvent formellement, en rupture avec le consensus de Washington : surexploitation des ressources naturelles, champ libre laissé aux spéculations financières, subordination des politiques sociales aux intérêts des poids lourds des industries nationales…

Accuser la seule action souterraine de l’Empire américain, ou de forces néolibérales abstraites, comme le font en particulier les derniers défenseurs du régime vénézuélien, pour expliquer les échecs, demi-mesures ou trahisons des gauches latinos, serait aussi paresseux que de raisonner uniquement en termes de flux et de reflux : une vague de droite succédant à une déferlante de gauche.

De façon similaire, refuser de voir les impasses et les manques des expériences progressistes du continent latino-américain serait aussi inconséquent que de fermer les yeux sur la volonté qui s’est manifestée de clore définitivement l’expérience du PT au pouvoir en la réduisant à une parenthèse néfaste et en enfermant et délégitimant son leader historique.

Le Brésil représente en effet davantage que le Brésil, au sens où la victoire de Lula a été un des premiers emblèmes, à l’échelle d'un pays-continent, d’une contestation effective du consensus de Washington. Une rupture dont l'effet a été d'autant plus sensible dans un pays marqué par des décennies de mesures outrageusement inégalitaires à l’avantage d’une petite élite rarement exempte de liens endogamiques entre les secteurs politiques, économiques, voire judiciaires et journalistiques.

À cet égard, la nomination du juge fédéral Sérgio Moro, au cœur de la lutte contre la corruption et de l’enfermement de Lula, au poste de ministre de la justice de Bolsonaro, qu’il a osé décrire, contre toute évidence, comme un homme « pondéré », « sensé » et « modéré » a légitimement soulevé des soupçons d'instrumentalisation de la justice à des fins politiques, surtout depuis les révélations du média en ligne The Intercept mettant en cause l’impartialité du juge dans ses investigations.

Le Brésil de 2019 n’est pas comparable, terme à terme, au Chili de 1979. Mais l’arrivée aux commandes à Brasília de Chicago Boys devenus grands-pères à de quoi inquiéter, si on saisit bien le moment de durcissement dans lequel le néolibéralisme est engagé pour continuer à imposer des mesures insoutenables socialement et écologiquement.

Ainsi que l’écrivait récemment le philosophe brésilien Vladimir Safatle : « Il est possible que le Brésil soit aujourd’hui un laboratoire mondial dans lequel sont testées les nouvelles configurations du néolibéralisme autoritaire, où la démocratie libérale est réduite à une simple apparence. L’une des conséquences les plus visibles de ce système, c’est la soumission de toute politique environnementale aux intérêts immédiats de l’industrie agroalimentaire. »

Or, c’est dans les dictatures sud-américaines, et au Chili en particulier, que ce néolibéralisme autoritaire a été expérimenté, ainsi que le philosophe Grégoire Chamayou l’a analysé, en rappelant notamment les visites de Friedrich Hayek à Pinochet ou encore son séjour dans l’Argentine de la dictature militaire, sans compter, de ce côté-ci de l’Atlantique, le projet de Constitution que l’économiste envoya au dictateur portugais Salazar après sa prise de pouvoir.

Le chercheur citait notamment un entretien donné par le théoricien britannique de l’ultra-libéralisme à un journal chilien, en 1981, dans lequel il explicitait sa position : « Personnellement, je préfère un dictateur libéral à un gouvernement démocratique sans libéralisme. »

Après le Chili, le Brésil est-il donc en train de devenir le nouveau terrain de jeu des apprentis sorciers prêts à passer par-dessus bord la démocratie au nom de l’application à marche forcée de leurs logiques économiques ? Dirigé par un nostalgique de la dictature, le Brésil a en tout cas installé à la tête de son économie, un homme, Paulo Guedes, dont la réforme phare est une réforme radicale des retraites, passant d’un système de répartition à un système par capitalisation.

Une réforme modelée sur celle mise en place au Chili à la fin des années 1970, lorsque Paulo Guedes y vivait et travaillait, par José Piñera, ancien ministre du travail de Pinochet. Un homme qui se trouve être aussi le frère de l’actuel président chilien, premier chef de l’État chilien depuis Pinochet à avoir envoyé l’armée dans les rues de Santiago pour mater et tuer les manifestants contestant les politiques néolibérales et inégalitaires qu’il a mises en œuvre…

 

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29 octobre 2019 2 29 /10 /octobre /2019 06:26

 

Le chef de Daech, Al Baghdadi, a été tué par un commando états-unien. Il était près d’une base militaire turque en Syrie. Le président Trump veut redorer son blason après avoir lâché les Kurdes et prendre la main sur l’or noir du Nord-Est.

Le chef de l’organisation dite de l’« État islamique » (EI ou Daech selon son acronyme arabe) Abou Bakr Al Baghdadi a été tué dans la nuit du 26 au 27 octobre, lors d’une opération militaire américaine dans le nord-ouest de la Syrie. La nouvelle, qui avait d’abord été révélée par certains médias américains, a été officialisée, dimanche, par Donald Trump. « Il n’est pas mort comme un héros, il est mort comme un lâche », a-t-il martelé, précisant qu’il s’était fait exploser avec sa « veste » chargée d’explosifs, alors qu’il s’était réfugié dans un tunnel creusé pour sa protection. Trois de ses enfants sont morts avec lui. « C’était comme regarder un film », a-t-il raconté, relatant comment il avait visionné en temps réel le raid américain grâce à des caméras embarquées par les forces spéciales. « Capturer ou tuer Baghdadi était la priorité absolue de mon administration », a-t-il ajouté.

« Les cellules dormantes vont vouloir le venger»

Si cette mission a été accomplie uniquement par des militaires américains, elle a bénéficié, selon l’aveu même du locataire de la Maison-Blanche, de l’aide d’un certain nombre de pays. « Merci à la Russie, à la Turquie, à la Syrie, à l’Irak et aux Kurdes syriens », a-t-il précisé. Les uns, les Kurdes et les Irakiens dans le domaine du renseignement, les autres pour avoir laissé les huit hélicoptères emmenant les commandos survoler les zones qu’ils contrôlent. Et puis, au détour d’une phrase, cette information très révélatrice : « La Turquie savait où on allait. » Le village où se trouvait Al Baghdadi depuis moins de 48 heures, Baricha, ne se trouve pas dans la zone frontalière irako-syrienne, à l’est, mais au contraire à 5 kilomètres à peine de la frontière turque, à quelques encablures de la ville d’Idleb toujours sous domination islamiste et djihadiste. Un village chrétien dont la signification est « saint Jésus ». Et puis, étrangement, près de Baricha, a été établie une base militaire turque…

Ce qui est sans doute plus important est de constater d’abord qu’Al Baghdadi a été purement et simplement livré. Il n’était plus d’aucune utilité, notamment pour la Turquie. Il devenait même gênant, y compris pour d’autres groupes djihadistes comme Hayat Tahrir al-Cham dirigé par Abou Mohammed Al Joulani, qui, auparavant avait fondé le Front al-Nosra (al-Qaida en Syrie). Un groupe qui n’a rien à envier à Daech quant aux exactions et à la violence à l’encontre de tous ceux et tout ce qui n’est pas eux. On peut penser qu’un deal a été passé entre la ­Turquie et les États-Unis. Notamment lors du déplacement du secrétaire d’État américain Mike Pompeo à Ankara, alors que se déroulait l’offensive Source de paix, déclenchée par le président Recep Tayyip Erdogan avec le feu vert implicite de Washington, qui venait d’annoncer le retrait de ses troupes. Cet été, déjà, des pourparlers américano-turcs avaient abouti à des accords secrets.

Sans aucun doute, l’annonce de la disparition d’Abou Bakr Al Baghdadi permet au président américain de redorer son blason, bien écorné avec notamment ce lâchage en rase campagne des Forces démocratiques syriennes (FDS), obligées de se désengager des principales positions qu’elles tenaient depuis 2012. Des FDS qui ne sont pas au bout de leurs peines et s’attendent à des représailles de la part de Daech. « Les cellules dormantes vont venger Baghdadi. Donc, on s’attend à tout, y compris à des attaques contre les prisons » gérées par les forces kurdes où sont détenus des milliers de djihadistes, a indiqué à l’AFP Mazloum Abdi, commandant des FDS. Dans un communiqué, ces dernières alertent d’ailleurs sur le fait que des combattants de Daech et certains hauts dignitaires de cette organisation ont déjà trouvé refuge dans ces zones occidentales de la Syrie contrôlées par l’armée turque.

Maintien des soldats américains sur le sol syrien

Évidemment, la concomitance de cette opération contre Al Baghdadi avec l’annonce du maintien – contrairement à ce qui a été dit – de soldats américains sur le sol syrien ne peut que susciter de nombreuses questions. Vendredi, le chef du Pentagone, Mark Esper, déclarait : « Nous prenons maintenant des mesures pour renforcer notre position à Deir ez-Zor, et cela inclura des forces mécanisées pour nous assurer que le groupe “État islamique” n’aura pas accès à une source de revenus qui lui permettrait de frapper dans la région, en Europe, aux États-Unis. » Les champs pétroliers de la province de Deir ez-Zor (est de la Syrie), non loin de la frontière irakienne, sont les plus grands du pays. Quelque 200 soldats américains y sont stationnés. « Nous examinons ­comment nous pourrions repositionner nos forces dans la région afin d’assurer la sécurité des champs pétroliers », a ajouté Esper, tout en réaffirmant que « la mission en Syrie reste ce qu’elle était au départ : vaincre ­l’“État islamique” » De son côté, le ministère russe de la Défense a dénoncé « ce que Washington fait actuellement – saisir et placer sous contrôle armé les champs de pétrole de l’est de la Syrie – (qui) relève tout simplement du banditisme international ».

En réalité, Donald Trump, probablement emporté par son élan lors de la conférence de presse donnée hier matin, a vendu la mèche. « Le pétrole, ça vaut beaucoup pour de nombreuses raisons », a-t-il dit. ­Notamment : « Ça peut nous aider parce qu’on devrait pouvoir (en) récupérer une partie. J’ai l’intention peut-être de faire appel à Aramco (la compagnie nationale saoudienne d’hydrocarbures – NDLR) ou à une autre de ces sociétés pour qu’elles investissent là-bas. Il y a beaucoup de réserves, mais ce n’est pas suffisamment exploité. »

Quelques minutes auparavant, il avait déjà affirmé, à propos de cet or noir situé dans les sous-sols du territoire syrien, que « peut-être il faudra se battre pour sécuriser le pétrole. Peut-être que quelqu’un d’autre voudra le pétrole, il faudra qu’il se batte avec nous (…) Nous sommes prêts à négocier de manière équitable ou bien on l’arrêtera avec nos soldats ». Et de relever que « les Turcs se sont bien battus » et qu’ensuite « cela a été plus facile de discuter avec les Kurdes, de leur dire de se pousser de quelques kilomètres (…) Les Turcs voulaient une zone de sécurité, on est contents de les avoir aidés ».

L’élimination d’Al Baghdadi, pour importante qu’elle soit, ne règle pas grand-chose. D’autant que le jeu trouble de la Turquie, comme relevé plus haut, pourrait avoir des conséquences dramatiques pour les populations du Nord-Est syrien. Avec l’armée turque, y sont entrés des supplétifs, dont beaucoup d’anciens membres d’al-Qaida et de Daech. Depuis la suspension de l’offensive, le 17 octobre –, dans le cadre d’un accord entre Moscou et Ankara –, émaillée de bombardements et de combats sporadiques, 46 civils ont été tués et 40 membres des FDS ont péri, contre 26 combattants pro-Turcs. Loin de respecter le cessez-le-feu, les supplétifs de l’armée turque tentent de conquérir de nouveaux villages à l’est de Ras al-Aïn et aux alentours de la ville de Manbij.

Al Baghdadi est mort, mais depuis de longs mois maintenant, son poids dans l’Organisation n’était plus le même. Et, comme l’Hydre de Lerne, pour vaincre Daech il ne suffit pas de couper les têtes qui repoussent, mais en finir avec la bête en arrêtant de la nourrir.

Pierre Barbancey

 

 

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29 octobre 2019 2 29 /10 /octobre /2019 06:23

 

La formation de gauche remporte près de 30 % des suffrages à l’élection du parlement du Land. L’AfD arrive en seconde position. La constitution du nouvel exécutif s’annonce difficile.

Le résultat de l’élection de Thuringe souffle le chaud et le froid sur un spectre politique toujours plus ébranlé outre-Rhin. Le bon résultat de Die Linke constitue la partie la plus rassurante de ce scrutin pour le renouvellement du parlement du Land. Le parti qui avait pu, à l’issue du rendez-vous électoral précédent en 2014, constituer une coalition de gauche avec le SPD et les Verts, et faire accéder son dirigeant, Bodo Ramelow, au siège de ministre-président du Land (voir son entretien dans notre édition du jeudi 24 octobre), arrive largement devant toutes les autres formations, améliorant même son résultat d’il y a cinq ans. Il réalise, selon les premières projections communiquées hier à la fermeture des bureaux de vote, quelque 29,5 % (+1,3 %). Par contre, la nouvelle poussée de l’Alternative pour l’Allemagne (AfD) qui rassemble 24 % des suffrages (13,5 %), une extrême droite emmenée dans le Land par l’un de ses leaders nationalistes les plus radicaux, proche du mouvement Thügida (La Thuringe contre l’islamisation de l’occident) et s’emploie à banaliser le IIIe Reich, résonne comme un nouveau coup de tonnerre dans un climat politique délétère.

Nouvel effondrement des partis de la grande coalition

Le scrutin enregistre un nouvel effondrement des partis de la grande coalition. Donnée à 22,5 %, la CDU, qui avait géré le Land sans interruption depuis 1990, avant d’être battue par la coalition de gauche emmenée par Ramelow, perd encore 11 points. Le SPD, lui, passe nettement sous la barre des 10 % (8,5 %, soit - 3,9 points), ce qui devrait exacerber encore le débat interne avant un congrès en décembre, où le parti doit choisir entre la poursuite de l’alliance avec la CDU à Berlin et une rupture, qui signifierait la convocation d’une élection anticipée du Bundestag.

Les scores des partenaires de gauche de Die Linke – celui du SPD, mais aussi, à la surprise générale, des Verts qui n’obtiennent que 5,5 % des voix (- 0,2 %) – hypothèquent la reconduction de la coalition de gauche sortante, qui compterait seulement un total de 43,5 % des voix.

Il paraît toutefois exclu qu’AfD et CDU gouvernent ensemble, le chef de file des chrétiens-démocrates, Mike Mohring, ayant affirmé une opposition déterminée à une telle alliance. Devant cette situation où aucune combinaison d’alliance entre partis démocratiques n’obtiendrait de majorité, l’hypothèse d’un gouvernement minoritaire que continuerait de piloter Bodo Ramelow ou d’une nouvelle élection était le plus souvent évoquée hier soir, avant que ne soit connue la répartition définitive des sièges au sein du Parlement.

Dans ce climat très lourd, la performance de Die Linke tient, au-delà de l’indiscutable charisme de son chef de file, à la résistance tous azimuts engagée par le parti contre la xénophobie et la démagogie des nationaux-libéraux. Preuve lugubre de cette montée en première ligne du parti : une de ses députées sortantes, Katharina König-Preuss, qui préside une commission antifasciste au parlement de Thuringe, a été menacée de mort à quelques heures de la fin de la campagne. Chargée initialement d’enquêter sur un gang terroriste néonazi originaire du Land qui défraya la chronique jusque dans les années 2000 en s’illustrant par une chevauchée sanglante (10 morts) contre des propriétaires ou des clients de kebabs, Katharina a reçu chez elle une sentence au contenu plus qu’explicite : « Ta mort sera cruelle. C’est pas la question (…) Tu vas passer du parlement du Land à la civière. » Interpellée par la presse, la courageuse élue a fait savoir : « Je ne crois pas qu’un néonazi puisse décider du moment de ma mort. » Ambiance. La Thuringe, l’Allemagne ont plus que jamais besoin de Die Linke.

Bruno Odent

 

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27 octobre 2019 7 27 /10 /octobre /2019 07:02

 

Chili.  La réalisatrice Carmen Castillo décrit un mouvement horizontal, cristallisant le rejet d’un modèle inégalitaire et le refus, parmi les jeunes des classes populaires, d’endurer encore des conditions de vie indignes. Entretien.

L’écrivaine et cinéaste franco-chilienne Carmen Castillo a travaillé auprès du président Allende. Après le coup d’État de 1973, les militaires ont abattu son compagnon Miguel Enriquez, chef du Mouvement de la gauche Révolutionnaire (MIR) ; elle-même, gravement blessé, a trouvé refuge en France. Au cœur du soulèvement populaire elle porte aujourd’hui une « mémoire vivante ».

 

Quelle est l’atmosphère des marches populaires qui se succèdent au Chili ?

Carmen Castillo. C’est une ambiance extraordinaire, par la multitude des collectifs et des organisations impliqués, par l’originalité des pancartes brandies, pleines d’humour dans l’expression des demandes sociales, par le souffle que donnent à ce mouvement la jeunesse des quartiers populaires et les étudiants. Toutes les générations sont emportées par cet élan. Ce qui s’affirme, c’est le refus de céder à la peur, la détermination à tenir la rue. Personne ne se laisse prendre au festival de démagogie mis en scène par le discours, mardi soir, du président Sebastián Piñera, qui affiche un grand mépris devant les exigences exprimées par les Chiliens.

 

Les images du déploiement militaire face au mouvement populaire ont soulevé partout dans le monde une vague d’émotion, d’indignation. Quelles formes, quelle ampleur revêt la répression ?

Carmen Castillo. L’Institut des droits de l’homme, un organisme d’État, a recensé cette semaine 18 morts et plus de 1000 arrestations. Des cas de torture ont été mis en lumière. Mercredi matin, lors de la manifestation autour du métro Plaza Baquedano, au centre de Santiago, on a découvert les traces d’un centre clandestin de torture. Des investigations sont en cours. Des protestataires ont, semble-t-il, été torturés dans une aile de la station de métro. La maltraitance est manifeste, les arrestations d’étudiants se multiplient, le déploiement de l’armée est pesant. La population est en alerte, des témoins filment les scènes de violences. À ce jour, le ministère de l’Intérieur se montre incapable d’établir un bilan précis, et même de publier les noms des personnes tuées. Mais ce qui est frappant, pour nous qui vivons ces évènements, c’est que cette répression n’arrête rien. Ils ne parviennent pas à susciter le  repli. Le déploiement d’une armée prête à tirer ne produit pas l’effet recherché, celui de nous faire rentrer à la maison. Cette réponse répressive, la posture martiale du gouvernement, qui se dit « en guerre », a provoqué, au contraire, un regain de mobilisation. Mercredi, les protestataires ont franchi le périmètre interdit, la marche a continué son chemin.  Un groupe, en ce moment-même, danse la cueca sous les fenêtres du palais de la Moneda, malgré l’impitoyable répression en cours dans le centre-ville. Les Chiliens occupent la rue. J’ai subi le coup d’État, la dictature. Mon indignation de voir l’armée ainsi déployée ne produit en moi aucune paralysie, bien au contraire. Nous-mêmes, les plus vieux, sommes portés par cette disparition de la peur.

 

Comment expliquez-vous l’ampleur prise par ce mouvement qui, parti d’une révolte contre la hausse des prix des transports, semble mettre en cause le modèle néolibéral ?

Carmen Castillo. La hausse du prix du ticket de métro a allumé une révolte d’abord propagée par les étudiants. Le gouvernement leur a dit : « Vous ne payez pas les transports ». Ils ont répondu : « Nos parents, nos grands parents, eux, paient. Nous nous mobilisons pour eux ». Ces jeunes ont attiré dans la contestation des familles entières. Le 18 octobre, à 18 heures, le gouvernement a décidé d’arrêter le métro, bloquant au centre ville 100 000 personnes qui ne pouvaient plus rentrer chez elles. Voilà comment le mouvement a pris corps : il est né d’une prise de conscience, du refus de subir encore des conditions de vie indignes. C’est une explosion sociale, nationale, populaire, contre un système qui a cru pouvoir régler les affaires de la société par le marché, les abus, l’exploitation des plus pauvres. Le clivage social au Chili reflète une situation de lutte des classes, avec, d’un côté, les riches appuyés par un petit secteur des classes moyennes, et puis, de l’autre côté, les pauvres et la plus grande partie des classes moyennes, qui subissent de plein fouet le système. Cette société est coupée en deux.

 

Qui sont les manifestants sortis spontanément dans la rue ?

Carmen Castillo. Le moteur de ce mouvement, c’est une jeunesse transversale. Pas seulement les étudiants : tous les quartiers populaires sont dans la rue, avec cette jeunesse précarisée, sans emploi. Tout a commencé par un grand « ça suffit ! », avec le refus de payer si cher des transports en commun drainant chaque jour 2,5 millions de passagers. Le métro a été attaqué, incendié parce qu’il est le symbole même de ce système, d’une modernité bien réglée. On marche, on prend le métro, on subit des trajets de deux heures, on va travailler, on obéit. Et il faut payer, en prime, des prix exorbitants pour ceux qui perçoivent le salaire minimum. Le métro cristallise, comme les supermarchés, comme les pharmacies qui vendent à prix d’or les médicaments, le refus de la réponse de marché, de la corruption. Il y a une raison sociale à ces violences. Les grands médias fustigent en boucle le vandalisme, dans le but de faire refluer le mouvement. Sans succès : dans les quartiers populaires, les habitants se sont auto-organisés pour défendre les petits magasins, pour faire face à la délinquance, aux bandes domestiquées qui s’attaquent aux pauvres. Mais ce qui est complètement nouveau, c’est que les manifestations s’étirent jusqu’au  cœur des quartiers riches.

 

Comme celles des gilets jaunes en France…

Carmen Castillo. Oui ! Comme en France, les protestataires ont investi ces quartiers chics, c’est complètement inédit. Ce que nous vivons ici devrait d’ailleurs alerter le gouvernement français, et tous les gouvernements de la planète dévoués au néolibéralisme. Le Chili était, de ce point de vue, le système parfait. On ne pouvait pas s’attendre à ce qui est venu. Ici, dans ce laboratoire du néolibéralisme, ça fonctionnait très bien : le soi-disant ruissellement n’est jamais arrivé ; la population endurait l’oppression, elle était ligotée par la consommation, les cartes de crédit, l’endettement. Avec, bien sûr, une société pour les pauvres et une société pour les riches. Une éducation pour les pauvres, une éducation pour les riches. Idem pour le système de santé, les transports, etc. Au Chili, les gens subissent une immense cruauté. Les choses sont en train de bouger, même s’il est impossible de prédire l’issue de ce soulèvement. Ce qui est évident, c’est que l’évènement a eu lieu et que rien ne peut plus être comme hier. Je participe, avec mon collectif de l’école populaire de cinéma, à des actions, des micros ouverts, des projections d’images, des assemblées de quartier. Ces rendez-vous fédèrent tout le monde, autour de revendications sociales et du sentiment que la vie n’est plus vivable, qu’il n’y a plus rien à perdre. Il y a des syndicalistes, des écologistes, des féministes, des citoyens engagés dans des collectifs ou des groupes de quartiers, des gens seuls qui se retrouvent avec d’autres. C’est magnifique. Vous savez ce que l’on ressent quand on a le privilège de vivre un tel éveil…

 

Comment jugez-vous les premières réponses avancées par le président Piñera ?

Carmen Castillo. Elles sont stupides, burlesques. Au Chili, de toute façon, la classe politique ne fait plus de politique depuis longtemps. Ils pensaient pouvoir gérer cette situation en déployant l’armée, en décrétant le couvre feu en mobilisant la rhétorique de la guerre et de l’ennemi intérieur : ça ne marche pas. Une hausse du salaire minimum est envisagée, mais elle serait prise en charge par l’État ! Personne n’est dupe de ces petites mesures. L’aveuglement de ce pouvoir est celui de tous les pouvoirs néolibéraux au monde. Ils sont tous pareils. Ils ne savent pas comment vivent les gens, ce qu’ils pensent. Après un demi-siècle, bientôt, de néolibéralisme au Chili, les mots qu’emploient partout les gens dépourvus d’organisation, dans les lieux de rassemblement, tissent une parole authentique, d’une intelligence sidérante. On ne peut plus les berner. Ils n’ont pas réussi à occuper complètement les têtes avec leurs histoires de consommation, de marchandise et d’argent.

 

Ces dernières années, l’Amérique latine est devenue le théâtre d’une contre-révolution pour anéantir les politiques populaires expérimentées par la gauche. Les mouvements de protestation qui se développent aujourd’hui, au Chili et ailleurs, expriment-il le rejet de cette reprise en main par les tenants du néolibéralisme ?

Carmen Castillo. Je l’espère. Je ne peux parler que du Chili. Je suis cinéaste : j’ai besoin du tangible. Je suis en train de tourner des images avec des jeunes cinéastes, vidéastes, qui filment les évènements en cours. Ce qui surgit aujourd’hui, c’est l’inattendu, l’imprévisible de l’histoire. Je l’ai toujours répété, j’ai voulu le dire dans mon film « On est vivant » : il n’y a pas de fatalité, jamais, c’est nous qui faisons l’histoire. Il faut donc tenir, tenir contre l’impossible. D’innombrables mouvements sociaux ont précédé ce soulèvement. À chaque fois, nous perdions. Mais nous ne perdions pas tout : la preuve est là, ça ressurgit et ça prend. Les abus sont trop forts, la conscience de l’injustice est trop grande. Les luttes, depuis 2006, sont incessantes, elles se sont heurtées à ces gouvernements se prétendant de gauche, qui n’ont fait qu’administrer le modèle néolibéral de Pinochet. Bien sûr, on ne peut comparer les trente années écoulées à l’ère de la dictature mais les politiques conduites tout au long de cette période n’ont fait qu’aggraver l’injustice et le saccage. Au point que le Chili appartient totalement, désormais, aux multinationales. Elles possèdent tout : l’eau, les montagnes, la terre, l’océan, l’électricité, les transports. Tout ! La lutte pour l’eau, dans le Chili d’aujourd’hui, est une lutte profondément anticapitaliste. Le mot révolution n’a pas été levé ces jours-ci. Mais des lignes de perspectives apparaissent, avec la revendication d’une assemblée constituante, l’appel à une nouvelle constitution. Chaque jour, de nouvelles pistes sont défrichées. Le mot « égalité », ce mot formidablement dense, qui avait été évacué du vocabulaire politique au profit du mot équité, vide de sens, fait aujourd’hui son retour. Il est brandi dans les marches, avec le mot « liberté ». Au point où nous en sommes, ce que je ressens, c’est que ces archipels de luttes peuvent créer un continent populaire où la majorité des Chiliens pourra se retrouver.

 

Quelle place tiennent les organisations politiques, syndicales, dans ce mouvement horizontal ?

Carmen Castillo. Les syndicats y sont impliqués, ils ont lancé un appel à la grève, le pays est à moitié paralysé. D’autres organisations, actives depuis des années, sont engagées, comme le mouvement  « no mas AFP », qui demande l’abolition du système de retraite par capitalisation hérité de la dictature. Ses porte-parole sont dans la rue, à l’antenne des radios, sans être à la tête du mouvement. Le peuple mapuche vient de publier une déclaration très forte, avec un appel à élargir la mobilisation et à s’organiser dans les territoires indigènes. La parole mapuche est très importante dans le Chili d’aujourd’hui… L’attitude de Daniel Jadue, le maire communiste de Recoleta, au nord de Santiago, est formidable, il se tient au côté des protestataires, comme Jorge Sharp Fajardo, le maire de Valparaiso, militant de Convergencia social. Les députés communistes et quelques figures du Frente amplio disent « non » et refusent toute négociation en catimini. Mais ce n’est pas par là que ça passe. Des collectifs, des individus se retrouvent et marchent ensemble. On ne voit pas de dirigeants politiques dans la rue. Ce mouvement horizontal, sans leaders, trouve ses articulations à la base, hors des cadres traditionnels.

 

Les révoltés chiliens regardent-ils vers les soulèvements populaires en cours ailleurs dans le monde ? Ont-ils le sentiment de participer à un mouvement global ?

Carmen Castillo. Jusqu’ici, les protestataires s’exprimaient en marchant, en chantant, au travers de cacerolazos, avec peu de prises de parole. Ils commencent à prendre le micro et lorsqu’ils le font, la parole qui jaillit est intarissable. Certains font la connexion avec une crise planétaire du système néolibéral. Comme si le néolibéralisme n’arrivait pas à mourir, et que nous étions dans le temps long de l’agonie d’un monde, avec des sursauts du mouvements social contre ce système fondé sur l’exploitation, l’injustice et la cruauté. Mais la conscience d’un mouvement global n’est pas répandue pour l’instant. Elle viendra. Pour l’instant, nous en sommes encore à nous reconnaître entre nous, à vivre au jour le jour, à surmonter les tensions et les peurs pour faire perdurer cet élan. Cette conscience viendra, car il y a de frappantes similitudes entre les explosions sociales contre cette logique économique et son modèle de société.

 

Vous avez pris part, au côté d’Allende, à l’expérience de l’Unité populaire. Vous avez subi dans votre chair l’innommable violence de la dictature de Pinochet. Comment ce mouvement résonne-t-il aujourd’hui en vous ?

Carmen Castillo. Vous savez, quand on survit à tout cela, on porte en soi une mémoire vivante. Je ne ressens pas de nostalgie. Je regrette simplement que ma génération n’ait pas su transmettre assez cette histoire, la façon dont nous faisions de la politique dans ces années-là. Nous aurions du raconter davantage et mieux, aux Chiliens et au monde entier, comment Salvador Allende a consacré toute sa vie à la construction de cette alliance politique qui a gagné les élections. Il était tout le contraire d’un démagogue : c’était un éducateur du peuple, un homme d’un grand courage, porté par une éthique, une intelligence politique, un attachement profond à l’unité. Nous aurions du faire vivre la pensée de Miguel Enriquez, celle du pouvoir populaire et de l’action directe. Aujourd’hui, je suis habitée par eux, je suis avec eux dans la rue. Cette mémoire des vaincus reste une énergie qui s’incarne aujourd’hui dans ce mouvement populaire. En y prenant part, je ne pense pas au coup d’État. Ce n’est pas ça que j’ai en tête quand je traverse le couvre-feu. J’affronte, avec cette jeunesse révoltée, les enjeux d’aujourd’hui, avec l’expérience du passé. Ce que je porte en moi de Salvador Allende, de Miguel Enriquez et de mes amis assassinés, torturés, disparus, ce n’est pas leur mort. C’est leur vie.

Entretien réalisé par Rosa Moussaoui

 

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26 octobre 2019 6 26 /10 /octobre /2019 06:00

 

Après une semaine de mobilisations, qui ont parfois dégénéré en émeutes, la colère sociale ne faiblit pas. Malgré l’arsenal répressif, les manifestants exigent la démission du président, Sebastian Piñera, et des changements structurels.

Le Chili s’est réveillé. La phrase revient en boucle, depuis l’explosion sociale du 17 octobre contre une nouvelle hausse du prix du ticket de métro de 30 pesos. Cette étincelle a mis le feu aux poudres, après plus de quatre décennies de frustrations sociales et de dépossession citoyenne. À l’image de ses homologues latino-­américains conservateurs confrontés à des soulèvements populaires, le président, Sebastian Piñera, a déclaré la guerre à ses concitoyens : couvre-feu, état d’exception, militarisation des rues. Le pays n’avait pas connu un tel arsenal martial depuis la dictature du général Augusto Pinochet (1973-1990), artisan du modèle néolibéral que rejettent les manifestants. Méprisé par la rue qui exige sa démission, vilipendé par l’opposition de gauche et les organisations sociales, le multimilliardaire, qui occupe le palais de la Moneda depuis mars 2018 après un premier mandat (2010-2014), a été contraint de changer de ton. Le 22 octobre, il a procédé à une série d’annonces : l’augmentation immédiate de 20 % du salaire minimum, la création d’un impôt complémentaire sur les revenus supérieurs à 9 886 euros et la stabilisation des tarifs électriques… Un « saupoudrage » aux yeux des acteurs, et qui ne convainc guère, comme en témoigne l’impressionnante participation aux deux journées de grève et de manifestations des 23 et 24 octobre, à l’appel de la plateforme d’unité sociale. Après une longue dictature, et une démocratisation décevante, la peur a changé de camp, sous l’impulsion de la jeune génération, bien décidée à balayer l’héritage pinochétiste.

 

1. Le laboratoire du néolibéralisme

« Ce ne sont pas 30 pesos, ce sont ces trente dernières années », entend-on dans les rues de Santiago. Dès 1975, le dictateur Pinochet fait du Chili le terrain d’expérimentation du néolibéralisme conjointement avec les États-Unis et le Royaume-Uni de Margaret Thatcher. Il ne s’agit pas seulement d’en finir avec l’expérience socialiste de l’Unité populaire du président Salvador-Allende. Les généraux et les Chicago Boys de l’école de Washington élaborent un modèle économique qui consacre le marché libre et l’effacement de l’État. Le despote va jusqu’à graver cette règle dans la Constitution de 1980 qui, depuis, n’a été corrigée qu’à la marge. Le Chili devient le paradis rêvé des élites et des multinationales étrangères.

 

2. Les inégalités sociales en leur royaume

Pays stable, dynamique, prospère, le Chili, qui affiche une croissance économique de 2,5 %, est présenté comme un modèle de réussite. Tout dépend pour qui. Le pays est considéré comme l’un des pays les plus inégalitaires de la région. En 2017, 1 % des plus fortunés détenaient à eux seuls 26,5 % des richesses nationales tandis que 50 % des foyers n’en détenaient que 2,1 %, selon un rapport de la Commission économique pour l’Amérique latine et la Caraïbe. Le salaire minimum est de 380 euros ; 50 % des travailleurs chiliens perçoivent un salaire mensuel égal ou inférieur à 505 euros.

 

3. Vieux et pauvres à la fois

Le 24 juillet 2016, 750 000 Chiliens ont défilé contre leur système de retraites, les AFP (administratrices de fonds de pension). En 1981, les cotisants ont été contraints de choisir une des six AFP qui gèrent la bagatelle de plus de 150 milliards de dollars. Le mode de calcul a de quoi faire frémir ou, au contraire, inspirer les libéraux zélés. Le montant des pensions est déterminé par la valeur des cotisations versées et des intérêts perçus. Une fois l’âge de la retraite acquis, le salarié peut, au choix, opérer des retraits de son compte capital, selon son espérance de vie, ou s’acquitter d’une rente viagère auprès d’un organisme privé, bien sûr. Les précaires et travailleurs pauvres ont de fait été exclus de ce système par capitalisation. L’Institut national de statistiques (INE) estime que la moyenne des pensions est de 257 euros mensuels. La réforme des retraites, qui était une promesse phare de Sebastian Piñera lors de sa campagne électorale en 2017, est actuellement bloquée au Parlement. Pour rappel : le grand artisan de ce système conspué n’est autre que José Piñera, ministre du Travail de Pinochet et frère du chef de l’État.

 

4. Le « No Future » des jeunes Chiliens

« Non à la course au profit du modèle éducatif. » Le slogan a retenti comme un cri en 2011, lorsque les étudiants ont envahi les rues du pays pour dénoncer la marchandisation de l’éducation. Dans l’esprit des Chicago Boys, Pinochet et les siens ont autorisé en 1981 l’entrée massive des capitaux privés dans les centres d’éducation. « La liberté d’enseigner », selon la consigne dictatoriale, n’a pas de prix. En 2006, la révolution des Pingouins, surnom lié à l’uniforme noir et blanc des lycéens, était partie bille en tête contre la Loce (loi organique constitutionnelle de l’enseignement) qui a instauré de facto le désengagement de l’État et la privatisation du système éducatif public. Plus tôt, ils revendiquaient la gratuité des transports et de l’examen d’entrée à l’université (PSU). Pour s’asseoir sur les bancs de la fac, les étudiants doivent débourser en moyenne près de 100 euros de frais d’inscription et 5 000 euros par an, voire plus. En 2016, le gouvernement de la présidente socialiste, Michelle Bachelet, s’est engagé à financer l’université aux étudiants les plus pauvres du pays. Deux ans plus tard, en avril, un mois après l’investiture de Piñera, les étudiants se sont de nouveau mobilisés contre la décision du Tribunal constitutionnel de retoquer une mesure qui aurait empêché les universités de faire du profit. Ce même Piñera qui avait osé déclarer en 2011 que l’éducation était un bien de consommation comme un autre. 70 % des étudiants sont de fait endettés, parfois à vie, tout comme leurs familles. Selon une étude de la Banque centrale chilienne datant de ce mois-ci, 74 % des revenus des foyers sont destinés à rembourser des dettes. C’est « No Future » pour nombre de jeunes contraints d’abandonner leurs études sans pouvoir se délester de leurs prêts faramineux. L’entrée de plain-pied dans la vie active rime pour beaucoup avec précarité.

 

5. Eau, transports, électricité… le grand hold-up

Le prix du tarif dans le réseau public de métro de la capitale avait déjà connu une première augmentation en janvier. Selon une étude de l’université Diego-Portales, le Chili occupe le neuvième rang des transports les plus chers par rapport au revenu moyen de ses habitants sur un total de 56 pays. L’autre service de base très rentable, l’électricité. L’exécutif de Piñera, qui gèle désormais les tarifs, a acté une augmentation de 10,5 % en octobre. Quant à l’eau, pourtant considérée comme un bien national d’usage public, ses sources sont entre les mains d’entreprises privées depuis 1981, et gèrent l’or bleu selon les conditions qu’elles imposent aux usagers.

 

6. La santé, ce luxe qui n’a pas de prix

D’après une enquête de caractérisation socio-économique (Casen), 80 % des Chiliens souscrivent au Fonds national de santé (public), tandis que 20 % sont sous le régime des institutions de santé privé, dit Isapre. Absence de spécialistes, hôpitaux en nombre insuffisant, manque de prévention, les premiers doivent souvent patienter des mois, voire des années, sur des listes d’attente dans les établissements de santé. Les prix des médicaments figurent parmi les plus chers de la région et les pharmacies s’en frottent les mains. Les trois grandes corporations pharmaceutiques Fasa, Cruz Verde et Salcobrand se sont retrouvées au cœur d’un vaste scandale, lorsque le parquet a révélé que ces mastodontes s’étaient accordés pour augmenter les prix de 222 médicaments traitant dans leur majorité de pathologies chroniques, ramassant ainsi un pactole en milllions. Ces deux dernières décennies, la consommation d’antidépresseurs a explosé de plus de 470 %, les sociologues faisant un trait d’union entre cette béquille médicamenteuse et les inégalités sociales.

Cathy Dos Santos

 

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25 octobre 2019 5 25 /10 /octobre /2019 13:00
Chili. Morts, violences sexuelles, enlèvements de force…
Vendredi, 25 Octobre, 2019 - L'Humanité

L'arsenal répressif de l'exécutif de Sebastian Pinera a fait 18 morts, dont un enfant, des centaines de blessés et plus de 2400 arrestations.

 

Des militaires, fusils en joug, pointent une foule désarmée. Là, des visages ensanglantés, plus loin, des manifestants, aux blessures ouvertes, sont traînés de force, avec mépris. Le choc des chars envahissant la rue ne chasse pas les terribles images de la répression qui a cours au Chili depuis le 17 octobre. La Cour interaméricaine des droits de l’homme de l’Organisation des États américains a condamné, le 23 octobre, « l’usage excessif de la force ». « Les armes à feu doivent être exclues des dispositifs utilisés dans le contrôle des protestations », a-t-elle rappelé à l’exécutif de Sebastian Piñera qui, outre l’instauration du couvre-feu le 19 octobre et l’état d’exception, a rappelé en renfort l’armée pour mater le soulèvement populaire. La focale des médias mainstream sur les pillages et les saccages est un pathétique écran de fumée qui ne parvient pas à cacher les exactions perpétrées contre les manifestants pacifistes.

Un bilan officiel fait état de 18 morts. Le 23 octobre, l’Institut national des droits humains (INDH) a rendu publique une enquête inquiétante, faisant état de 535 blessés, dont 210 par armes à feu d’agents de l’État. Il estime que 2 410 personnes ont été arrêtées depuis le 17 octobre. Pas moins de 274 de ces détenus sont des mineurs. Après avoir entendu des témoignages effrayants, l’INDH a décidé de présenter plus d’une cinquantaine de plaintes devant la justice, dont 5 pour homicide et 8 pour violences sexuelles. « La violence politico-sexuelle a été une continuité dans notre pays durant les dernières décennies. Les appareils policiers ont été formés pour être des dispositifs patriarcaux. C’était vrai durant la dictature et la période post-dictatoriale », a dénoncé au média digital El Desconcierto, l’avocate du réseau chilien contre la violence faite aux femmes, Silvana del Valle.

Valentina Miranda a également porté plainte le 24 octobre contre des carabineros. La coordinatrice nationale des étudiants du secondaire (Cones) ainsi que deux autres militants des Jeunesses communistes ont été arrêtés durant la nuit de mardi, et sortis de force du lieu où ils étaient contraints de se réfugier en raison du couvre-feu. De bien triste mémoire, mais cela se passe aujourd’hui, au Chili. C. D. S.

Cathy Dos Santos
Chili: Morts, violences sexuelles, enlèvements... L'arsenal répressif de Pinera se solde par 18 morts, 2400 arrestations (L'Humanité, 25 octobre)
Carmen Castillo : « Les multinationales possèdent tout : la terre, les montagnes, l’océan… »
Vendredi, 25 Octobre, 2019 - L'Humanité

Chili.  La réalisatrice Carmen Castillo décrit un mouvement horizontal, cristallisant le rejet d’un modèle inégalitaire et le refus, parmi les jeunes des classes populaires, d’endurer encore des conditions de vie indignes. Entretien.

 

L’écrivaine et cinéaste franco-chilienne Carmen Castillo a travaillé auprès du président Allende. Après le coup d’État de 1973, les militaires ont abattu son compagnon Miguel Enriquez, chef du Mouvement de la gauche Révolutionnaire (MIR) ; elle-même, gravement blessé, a trouvé refuge en France. Au cœur du soulèvement populaire elle porte aujourd’hui une « mémoire vivante ».

Quelle est l’atmosphère des marches populaires qui se succèdent au Chili ?

Carmen Castillo. C’est une ambiance extraordinaire, par la multitude des collectifs et des organisations impliqués, par l’originalité des pancartes brandies, pleines d’humour dans l’expression des demandes sociales, par le souffle que donnent à ce mouvement la jeunesse des quartiers populaires et les étudiants. Toutes les générations sont emportées par cet élan. Ce qui s’affirme, c’est le refus de céder à la peur, la détermination à tenir la rue. Personne ne se laisse prendre au festival de démagogie mis en scène par le discours, mardi soir, du président Sebastián Piñera, qui affiche un grand mépris devant les exigences exprimées par les Chiliens.

Les images du déploiement militaire face au mouvement populaire ont soulevé partout dans le monde une vague d’émotion, d’indignation. Quelles formes, quelle ampleur revêt la répression ?

Carmen Castillo. L’Institut des droits de l’homme, un organisme d’État, a recensé cette semaine 18 morts et plus de 1000 arrestations. Des cas de torture ont été mis en lumière. Mercredi matin, lors de la manifestation autour du métro Plaza Baquedano, au centre de Santiago, on a découvert les traces d’un centre clandestin de torture. Des investigations sont en cours. Des protestataires ont, semble-t-il, été torturés dans une aile de la station de métro. La maltraitance est manifeste, les arrestations d’étudiants se multiplient, le déploiement de l’armée est pesant. La population est en alerte, des témoins filment les scènes de violences. À ce jour, le ministère de l’Intérieur se montre incapable d’établir un bilan précis, et même de publier les noms des personnes tuées. Mais ce qui est frappant, pour nous qui vivons ces évènements, c’est que cette répression n’arrête rien. Ils ne parviennent pas à susciter le  repli. Le déploiement d’une armée prête à tirer ne produit pas l’effet recherché, celui de nous faire rentrer à la maison. Cette réponse répressive, la posture martiale du gouvernement, qui se dit « en guerre », a provoqué, au contraire, un regain de mobilisation. Mercredi, les protestataires ont franchi le périmètre interdit, la marche a continué son chemin.  Un groupe, en ce moment-même, danse la cueca sous les fenêtres du palais de la Moneda, malgré l’impitoyable répression en cours dans le centre-ville. Les Chiliens occupent la rue. J’ai subi le coup d’État, la dictature. Mon indignation de voir l’armée ainsi déployée ne produit en moi aucune paralysie, bien au contraire. Nous-mêmes, les plus vieux, sommes portés par cette disparition de la peur.

Comment expliquez-vous l’ampleur prise par ce mouvement qui, parti d’une révolte contre la hausse des prix des transports, semble mettre en cause le modèle néolibéral ?

Carmen Castillo. La hausse du prix du ticket de métro a allumé une révolte d’abord propagée par les étudiants. Le gouvernement leur a dit : « Vous ne payez pas les transports ». Ils ont répondu : « Nos parents, nos grands parents, eux, paient. Nous nous mobilisons pour eux ». Ces jeunes ont attiré dans la contestation des familles entières. Le 18 octobre, à 18 heures, le gouvernement a décidé d’arrêter le métro, bloquant au centre ville 100 000 personnes qui ne pouvaient plus rentrer chez elles. Voilà comment le mouvement a pris corps : il est né d’une prise de conscience, du refus de subir encore des conditions de vie indignes. C’est une explosion sociale, nationale, populaire, contre un système qui a cru pouvoir régler les affaires de la société par le marché, les abus, l’exploitation des plus pauvres. Le clivage social au Chili reflète une situation de lutte des classes, avec, d’un côté, les riches appuyés par un petit secteur des classes moyennes, et puis, de l’autre côté, les pauvres et la plus grande partie des classes moyennes, qui subissent de plein fouet le système. Cette société est coupée en deux.

Qui sont les manifestants sortis spontanément dans la rue ?

Carmen Castillo. Le moteur de ce mouvement, c’est une jeunesse transversale. Pas seulement les étudiants : tous les quartiers populaires sont dans la rue, avec cette jeunesse précarisée, sans emploi. Tout a commencé par un grand « ça suffit ! », avec le refus de payer si cher des transports en commun drainant chaque jour 2,5 millions de passagers. Le métro a été attaqué, incendié parce qu’il est le symbole même de ce système, d’une modernité bien réglée. On marche, on prend le métro, on subit des trajets de deux heures, on va travailler, on obéit. Et il faut payer, en prime, des prix exorbitants pour ceux qui perçoivent le salaire minimum. Le métro cristallise, comme les supermarchés, comme les pharmacies qui vendent à prix d’or les médicaments, le refus de la réponse de marché, de la corruption. Il y a une raison sociale à ces violences. Les grands médias fustigent en boucle le vandalisme, dans le but de faire refluer le mouvement. Sans succès : dans les quartiers populaires, les habitants se sont auto-organisés pour défendre les petits magasins, pour faire face à la délinquance, aux bandes domestiquées qui s’attaquent aux pauvres. Mais ce qui est complètement nouveau, c’est que les manifestations s’étirent jusqu’au  cœur des quartiers riches.

Comme celles des gilets jaunes en France…

Carmen Castillo. Oui ! Comme en France, les protestataires ont investi ces quartiers chics, c’est complètement inédit. Ce que nous vivons ici devrait d’ailleurs alerter le gouvernement français, et tous les gouvernements de la planète dévoués au néolibéralisme. Le Chili était, de ce point de vue, le système parfait. On ne pouvait pas s’attendre à ce qui est venu. Ici, dans ce laboratoire du néolibéralisme, ça fonctionnait très bien : le soi-disant ruissellement n’est jamais arrivé ; la population endurait l’oppression, elle était ligotée par la consommation, les cartes de crédit, l’endettement. Avec, bien sûr, une société pour les pauvres et une société pour les riches. Une éducation pour les pauvres, une éducation pour les riches. Idem pour le système de santé, les transports, etc. Au Chili, les gens subissent une immense cruauté. Les choses sont en train de bouger, même s’il est impossible de prédire l’issue de ce soulèvement. Ce qui est évident, c’est que l’évènement a eu lieu et que rien ne peut plus être comme hier. Je participe, avec mon collectif de l’école populaire de cinéma, à des actions, des micros ouverts, des projections d’images, des assemblées de quartier. Ces rendez-vous fédèrent tout le monde, autour de revendications sociales et du sentiment que la vie n’est plus vivable, qu’il n’y a plus rien à perdre. Il y a des syndicalistes, des écologistes, des féministes, des citoyens engagés dans des collectifs ou des groupes de quartiers, des gens seuls qui se retrouvent avec d’autres. C’est magnifique. Vous savez ce que l’on ressent quand on a le privilège de vivre un tel éveil…

Comment jugez-vous les premières réponses avancées par le président Piñera ?

Carmen Castillo. Elles sont stupides, burlesques. Au Chili, de toute façon, la classe politique ne fait plus de politique depuis longtemps. Ils pensaient pouvoir gérer cette situation en déployant l’armée, en décrétant le couvre feu en mobilisant la rhétorique de la guerre et de l’ennemi intérieur : ça ne marche pas. Une hausse du salaire minimum est envisagée, mais elle serait prise en charge par l’État ! Personne n’est dupe de ces petites mesures. L’aveuglement de ce pouvoir est celui de tous les pouvoirs néolibéraux au monde. Ils sont tous pareils. Ils ne savent pas comment vivent les gens, ce qu’ils pensent. Après un demi-siècle, bientôt, de néolibéralisme au Chili, les mots qu’emploient partout les gens dépourvus d’organisation, dans les lieux de rassemblement, tissent une parole authentique, d’une intelligence sidérante. On ne peut plus les berner. Ils n’ont pas réussi à occuper complètement les têtes avec leurs histoires de consommation, de marchandise et d’argent.

Ces dernières années, l’Amérique latine est devenue le théâtre d’une contre-révolution pour anéantir les politiques populaires expérimentées par la gauche. Les mouvements de protestation qui se développent aujourd’hui, au Chili et ailleurs, expriment-il le rejet de cette reprise en main par les tenants du néolibéralisme ?

Carmen Castillo. Je l’espère. Je ne peux parler que du Chili. Je suis cinéaste : j’ai besoin du tangible. Je suis en train de tourner des images avec des jeunes cinéastes, vidéastes, qui filment les évènements en cours. Ce qui surgit aujourd’hui, c’est l’inattendu, l’imprévisible de l’histoire. Je l’ai toujours répété, j’ai voulu le dire dans mon film « On est vivant » : il n’y a pas de fatalité, jamais, c’est nous qui faisons l’histoire. Il faut donc tenir, tenir contre l’impossible. D’innombrables mouvements sociaux ont précédé ce soulèvement. À chaque fois, nous perdions. Mais nous ne perdions pas tout : la preuve est là, ça ressurgit et ça prend. Les abus sont trop forts, la conscience de l’injustice est trop grande. Les luttes, depuis 2006, sont incessantes, elles se sont heurtées à ces gouvernements se prétendant de gauche, qui n’ont fait qu’administrer le modèle néolibéral de Pinochet. Bien sûr, on ne peut comparer les trente années écoulées à l’ère de la dictature mais les politiques conduites tout au long de cette période n’ont fait qu’aggraver l’injustice et le saccage. Au point que le Chili appartient totalement, désormais, aux multinationales. Elles possèdent tout : l’eau, les montagnes, la terre, l’océan, l’électricité, les transports. Tout ! La lutte pour l’eau, dans le Chili d’aujourd’hui, est une lutte profondément anticapitaliste. Le mot révolution n’a pas été levé ces jours-ci. Mais des lignes de perspectives apparaissent, avec la revendication d’une assemblée constituante, l’appel à une nouvelle constitution. Chaque jour, de nouvelles pistes sont défrichées. Le mot « égalité », ce mot formidablement dense, qui avait été évacué du vocabulaire politique au profit du mot équité, vide de sens, fait aujourd’hui son retour. Il est brandi dans les marches, avec le mot « liberté ». Au point où nous en sommes, ce que je ressens, c’est que ces archipels de luttes peuvent créer un continent populaire où la majorité des Chiliens pourra se retrouver.

Quelle place tiennent les organisations politiques, syndicales, dans ce mouvement horizontal ?

Carmen Castillo. Les syndicats y sont impliqués, ils ont lancé un appel à la grève, le pays est à moitié paralysé. D’autres organisations, actives depuis des années, sont engagées, comme le mouvement  « no mas AFP », qui demande l’abolition du système de retraite par capitalisation hérité de la dictature. Ses porte-parole sont dans la rue, à l’antenne des radios, sans être à la tête du mouvement. Le peuple mapuche vient de publier une déclaration très forte, avec un appel à élargir la mobilisation et à s’organiser dans les territoires indigènes. La parole mapuche est très importante dans le Chili d’aujourd’hui… L’attitude de Daniel Jadue, le maire communiste de Recoleta, au nord de Santiago, est formidable, il se tient au côté des protestataires, comme Jorge Sharp Fajardo, le maire de Valparaiso, militant de Convergencia social. Les députés communistes et quelques figures du Frente amplio disent « non » et refusent toute négociation en catimini. Mais ce n’est pas par là que ça passe. Des collectifs, des individus se retrouvent et marchent ensemble. On ne voit pas de dirigeants politiques dans la rue. Ce mouvement horizontal, sans leaders, trouve ses articulations à la base, hors des cadres traditionnels.

Les révoltés chiliens regardent-ils vers les soulèvements populaires en cours ailleurs dans le monde ? Ont-ils le sentiment de participer à un mouvement global ?

Carmen Castillo. Jusqu’ici, les protestataires s’exprimaient en marchant, en chantant, au travers de cacerolazos, avec peu de prises de parole. Ils commencent à prendre le micro et lorsqu’ils le font, la parole qui jaillit est intarissable. Certains font la connexion avec une crise planétaire du système néolibéral. Comme si le néolibéralisme n’arrivait pas à mourir, et que nous étions dans le temps long de l’agonie d’un monde, avec des sursauts du mouvements social contre ce système fondé sur l’exploitation, l’injustice et la cruauté. Mais la conscience d’un mouvement global n’est pas répandue pour l’instant. Elle viendra. Pour l’instant, nous en sommes encore à nous reconnaître entre nous, à vivre au jour le jour, à surmonter les tensions et les peurs pour faire perdurer cet élan. Cette conscience viendra, car il y a de frappantes similitudes entre les explosions sociales contre cette logique économique et son modèle de société.

Vous avez pris part, au côté d’Allende, à l’expérience de l’Unité populaire. Vous avez subi dans votre chair l’innommable violence de la dictature de Pinochet. Comment ce mouvement résonne-t-il aujourd’hui en vous ?

Carmen Castillo. Vous savez, quand on survit à tout cela, on porte en soi une mémoire vivante. Je ne ressens pas de nostalgie. Je regrette simplement que ma génération n’ait pas su transmettre assez cette histoire, la façon dont nous faisions de la politique dans ces années-là. Nous aurions du raconter davantage et mieux, aux Chiliens et au monde entier, comment Salvador Allende a consacré toute sa vie à la construction de cette alliance politique qui a gagné les élections. Il était tout le contraire d’un démagogue : c’était un éducateur du peuple, un homme d’un grand courage, porté par une éthique, une intelligence politique, un attachement profond à l’unité. Nous aurions du faire vivre la pensée de Miguel Enriquez, celle du pouvoir populaire et de l’action directe. Aujourd’hui, je suis habitée par eux, je suis avec eux dans la rue. Cette mémoire des vaincus reste une énergie qui s’incarne aujourd’hui dans ce mouvement populaire. En y prenant part, je ne pense pas au coup d’État. Ce n’est pas ça que j’ai en tête quand je traverse le couvre-feu. J’affronte, avec cette jeunesse révoltée, les enjeux d’aujourd’hui, avec l’expérience du passé. Ce que je porte en moi de Salvador Allende, de Miguel Enriquez et de mes amis assassinés, torturés, disparus, ce n’est pas leur mort. C’est leur vie.

Entretien réalisé par Rosa Moussaoui

Communiqué de la Jeunesse communiste du Chili (traduction Nicolas Maury, 23 octobre):

En tant que Jeunes communistes, nous dénonçons la détention illégale et arbitraire, ainsi que la persécution politique de nos dirigeants, Valentina Miranda, porte-parole du CoNES, Pablo Ferrada, responsable étudiant de la JC, et Anaís Pulgar, secrétaire politique de la JC à l'Université régionale de Santiago .

Cette détention s’est déroulée à l’intérieur d’un bâtiment, sans aucune provocation, sans violer le couvre-feu, ils ont été attaqués au gaz et emmenés au 3ème commissariat des carabiniers de Santiago.

Nous tenons Sebastián Piñera, Andrés Chadwick et le général Iturriaga pour responsables de ce qui arrive à nos camarades, leur sécurité au sein du commissariat n'étant pas garantie.

Nous déposons cette plainte publiquement car il est devenu évident que le gouvernement actuel ne ménage aucun effort pour réprimer la population, les plaintes pour torture et contraintes illégitimes se sont généralisées et les meurtres perpétrés lors des manifestations sont devenus une triste réalité.

Ce gouvernement a dépassé toutes les limites démocratiques, nous ne resterons pas silencieux et nous dénoncerons avec plus de force que jamais ce que le Chili vit actuellement avec la dictature.

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25 octobre 2019 5 25 /10 /octobre /2019 12:51
Camilla Vallejo et Karol Cariola (photo L'Humanité, septembre 2019)

Camilla Vallejo et Karol Cariola (photo L'Humanité, septembre 2019)

lu sur le blog: https://www.editoweb.eu/nicolas_maury
L'initiative des député.e.s du Parti communiste, a été soutenue par le bloc de l'opposition au sein de la Chambre des député.e.s. Comme l'a expliqué la députée Camila Vallejo, la proposition est étayée par diverses études scientifiques et vise à améliorer la qualité de la vie des travailleurs-travailleuses chilien.ne.s - article et traduction Nico Maury

Avec un résultat de 88 voix pour, 24 contre et 27 abstentions, la Chambre des député.e.s du Chili a soutenu le projet visant à ramener la journée de travail hebdomadaire à 40 heures contre 45 actuellement. L'initiative venant des député.e.s communistes, avec le soutien de l'opposition, inflige une nouvelle défaite au gouvernement de droite réactionnaire de Sebastián Piñera.

"C’est une lutte sans relâche contre ce gouvernement qui a déclaré la guerre aux 40 heures (…). Ce projet vise à donner aux familles un peu plus de dignité humaine. C'est un moment de victoire, mais il manque encore des étapes », a déclaré la députée communiste Camila Vallejo, principale promotrice du projet avec sa camarade Karol Cariola.

La députée communiste Karol Cariola, a expliqué après le vote que "c'est une bonne nouvelle pour le pays". Mais "ce n'est pas la solution à tous les problèmes" que connaît actuellement le Chili, qui s'est soulevé pour protester pour exiger des réformes sociales contre la misère et l'inégalité.

Les réactionnaires et le patronat soutenait le projet de Sebastián Piñera qui visait la réduction du temps de travail à 41H, mais introduisait une flexibilité renforcée et une baisse progressive du temps de travail, selon le bon vouloir du patronat.

 
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25 octobre 2019 5 25 /10 /octobre /2019 05:58
Lydia Samarbakhsh, responsable du secteur international du PCF

Lydia Samarbakhsh, responsable du secteur international du PCF

En 6h de discussion, RT Erdogan et Vladimir Poutine ont "réglé le cas des Kurdes" pour mettre un terme à la construction démocratique du Rojava.

Ainsi, sans scrupule, l'invasion militaire turque en Syrie débouche sur un effroyable et cynique crime humain et politique sans que les dirigeants de nos pays - pourtant si loquaces d'ordinaire en matière de droits humains, démocratie ou liberté quand il s'agit de bombarder et occuper eux-mêmes l'Afghanistan, l'Irak ou la Libye - ne tentent quoi que ce soit pour stopper les troupes turques au Rojava.

L'opération odieusement nommée SpringPeace n'était qu'une entente (tacite?) entre Erdogan et Bachar al Assad pour écraser le Rojava et massacrer les Kurdes. L'un comme l'autre préfèrent encore mille fois leur ennemi utile Daesh, ils l'ont définitivement prouvé, à toute tentative démocratique et laïque.

L'histoire retiendra la monstrueuse complicité des dirigeants occidentaux avec les fascistes Assad et Erdogan, l'habileté toute aussi monstrueuse de Poutine, tous ayant su se servir adroitement d'un dangereux et incontrôlable président Trump qui leur a servi sur un plat en argent le Rojava, le peuple kurde et tout ce qui fait notre commune humanité.

Alors, Emmanuel Macron, Jean-Yves Le Drian, combien de temps encore la France va-t-elle dire que l'intégrité et la souveraineté territoriale de la Syrie est "sauvegardée"?
Va-t-elle rester dans cette coalition contre Daesh qui ne doit son unique victoire militaire qu'aux seuls YPG?
Va-t-elle rester dans une alliance politico-militaire, l'OTAN, dont la 2e armée - la Turquie - a violé impunément le droit international et procédé à un nettoyage ethnique?
Va-t-elle céder au chantage turc et abandonner de nouveau réfugiés, kurde et population syrienne alors que la Turquie a remis en selle Daesh et Bachar?
Va-t-elle se contenter d'"envier" et de mépriser Poutine alors qu'il aurait fallu une certaine intelligence diplomatique depuis bien longtemps pour briser l'entente Bachar-Poutine-Erdogan?
Croyez-vous réellement qu'"on" puisse en rester là, qu'Erdogan ne lorgne pas maintenant vers l'Azerbaïdjan?...

Vos lâchetés et calculs à 3 sous nous désespèrent mais nous ne nous laisserons pas abattre car nous avons le devoir, nous qui sommes à l'abri, nous qui aux creux des lits faisons encore des rêves, de poursuivre sans faiblir et d'amplifier la mobilisation et la solidarité internationale pour les Kurdes et les FDS, les populations du Rojava, le peuple syrien qui il y a 11 ans s'est levé pour la justice sociale et la démocratie, pour les peuples de Turquie qui tous les jours affrontent la haine, les tentatives d'humiliation et la répression des islamo-conservateurs de l'AKP d'Erdogan, pour les millions d'Irakiens qui luttent contre la misère, la corruption et l'ingérence étatsunienne comme iranienne, pour le peuple iranien qui n'a pas renoncé à la paix, à la démocratie et à la liberté, pour le peuple palestinien dont le droit à un État, aux côtés d'Israël, finira par l'emporter, pour le peuple libanais qui s'est levé pour la justice sociale et contre les affairistes au pouvoir, pour le peuple afghan que vous avez piétiné, pour les démocrates israéliens, pour le peuple yéménite sacrifié sur l'autel de vos ventes d'arme, pour les peuples et forces démocratiques du Bahrein et du Koweït constamment ignorés...

La responsabilité de la France ni de quelque pays, aussi puissant soit-il, que ce soit, n'est pas de décider à la place des peuples mais de soutenir leurs luttes pour l'émancipation. Non pas des déclarations mais par des actes. Nous saurons vous y contraindre.

"Dirigeants du monde, avait dit le précédent secrétaire général de l'ONU, êtes là pour servir les peuples", nous saurons vous le rappeler chaque jour, vous êtes au service du peuple et non l'inverse, qu'il s'agisse de la politique intérieure ou internationale.

Lydia SAMARBAKHSH
responsable à l'International du PCF
Paris, le 22 octobre 2019

RT Erdogan et Vladimir Poutine se mettent d'accord en 6h de discussion pour régler le "cas kurde" (Lydia Samarbakhsh, responsable du secteur international du PCF)
Informations du secteur international du PCF concernant l'invasion turque du Rojava:
[SÉNAT]

Pierre LAURENT est intervenu sur l'inoffensive militaire menée par la Turquie au nord-est de la Syrie: "L’heure n’est pas aux mots. Elle est à l’action, à la mobilisation, aux paroles qui résonnent en actes. Parce que la France ne peut pas assister au massacre que le pouvoir d’Erdogan veut perpétrer en laissant dire: «ils n’ont rien fait». Plus que jamais, tout doit être fait pour sauver nos amis kurdes et les populations installées ou réfugiées dans le Nord-est de la Syrie.

 

[ARTICLE]

Pour que vive le Rojava: Stop Erdogan!

La situation du Rojava est catastrophique. Les combats ont atteint un niveau de brutalité exceptionnel comme en témoignent le nombre de victimes civils et militaires et l'exode des 160 000 déplacés dont 70 000 enfants annoncés par l'ONU. Le Rojava pacifiste, féministe, démocratique et progressiste agonise entraînant dans sa chute une nouvelle phase de violence en Syrie, au Moyen-Orient mais aussi dans le monde. [LIRE LA SUITE...]

Article du secteur international du PCF paru dans CommunisteS du 16 octobre 2019.

[ASSEMBLÉE NATIONALE]

Jean-Paul LECOQ est intervenu le 15 octobre dernier sur la question de la place de l’OTAN dans l’invasion de la Turquie dans le nord de la Syrie: "Cette attaque insupportable est aussi le fruit d’une paralysie puisque dans le cadre de l’OTAN, les pays comme la France, l’Allemagne, les États-Unis ou la Turquie sont alliés. Donc on ne peut pas facilement intervenir contre son allié… Usurpant le multilatéralisme de l’ONU, empêchant l’Union européenne d’avoir une véritable politique extérieure indépendante, obligeant les États membres à donner beaucoup d’informations aux USA, sans compter l’obligation pour les États membres de dépenser 2 % de leur PIB pour leur défense, il faut en finir avec l’OTAN!"

[ARTICLE]

Pour l’honneur des Kurdes et le nôtre

La lâche décision de «l’égocrate» de la Maison Blanche de quitter le Kurdistan syrien pour laisser les mains libres au non moins «égocrate» d’Ankara affecte douloureusement tous les démocrates et partisans de la paix. [LIRE LA SUITE...]

Article de Patrick LE HYARIC, directeur de l'Humanité, paru le 15 octobre 2019.

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25 octobre 2019 5 25 /10 /octobre /2019 05:44
Pour la libération immédiate de Georges Ibrahim Abdallah (Fabien Roussel, secrétaire national du PCF)

COMMUNIQUE DE PRESSE

Pour la libération immédiate de Georges Ibrahim Abdallah (Fabien Roussel)


La détention Georges Ibrahim Abdallah, le plus vieux prisonnier d’Europe, n’a que trop duré, il doit être libéré immédiatement après 36 ans dont 20 ans au-delà de sa peine incompressible et ce, au mépris de tout principe de justice d'un État de droit.

Georges Ibrahim Abdallah a été condamné à la réclusion criminelle à perpétuité par la Cour d’assises spéciale de Lyon en 1987, il était accusé de complicité dans l’assassinat de deux diplomates à Paris en 1982, l’Américain Charles Ray et l’Israélien Yacov Barsimentov. Toutes ces demandes depuis 1999, date depuis laquelle il est libérable, ont été rejetées ou cassées par décision du gouvernement français, exclusivement pour des motivations politiques.

En ce triste anniversaire, le PCF demande à nouveau instamment le respect des décisions de justice qui ont approuvé la libération de Georges Ibrahim Abdallah.

Le gouvernement français doit rompre avec son allégeance aux pressions américaines et israéliennes transformant la justice française en instrument de vengeance, contraire à tout principe de droit dans notre pays.

Fabien Roussel
Député du Nord
Secrétaire national du PCF
 

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24 octobre 2019 4 24 /10 /octobre /2019 05:27

 

Le cessez-le-feu en vigueur depuis cinq jours a expiré mardi soir. Hier également, le président turc a rencontré son homologue russe. La tension est toujours vive, des centaines de milliers de personnes ont été déplacées et la situation humanitaire s’aggrave.

 

1 pourquoi Recep Tayyip Erdogan s’est-il rendu à Sotchi pour rencontrer Vladimir Poutine ?

Le président turc tente de maintenir un savant équilibre entre les intérêts des deux principales puissances engagées sur le terrain syrien, les États-Unis et la Russie qui, de différentes manières, ont donné l’une et l’autre un feu vert pour son opération militaire. Mais, si les troupes américaines se retirent du nord-est de la Syrie où elles étaient stationnées, ce n’est pas le cas des Russes, dont les soldats sont bien présents. D’ailleurs, si Moscou a dit comprendre certaines des revendications d’Ankara, le Kremlin a en réalité freiné l’avancée turque, en encourageant un dialogue entre Damas et les Kurdes. Dès lors, Erdogan devait en rabattre. Il a fait venir le vice-président américain en Turquie pour annoncer un cessez-le-feu assez flou (les Turcs parlant de « pause » et les zones elles-mêmes prêtaient à confusion), mais s’est déplacé en personne en Russie. Toujours bravache, il déclarait avant de rencontrer Poutine qu’il s’agirait de désarmer des « terroristes », c’est-à-dire des Forces démocratiques syriennes (FDS), et laissait entendre que son armée (mais aussi ses supplétifs islamistes regroupés sous le nom d’Armée nationale syrienne) se déploierait sur un secteur frontalier long de 120 kilomètres et profond de 30 kilomètres en territoire syrien, entre les villes de Tall Abyad à l’ouest et Ras al-Aïn, à l’est. Le prétexte étant la création d’une « zone de sécurité », en réalité une façon de masquer le nettoyage ethnique programmé. Sinon, pourquoi ne pas avoir installé une telle zone de sécurité en territoire turc ?

Il en fallait plus pour impressionner Vladimir Poutine qui, dès le début de la rencontre, a asséné devant son homologue turc : « La situation dans la région est très grave », appelant à « trouver une solution même aux questions les plus difficiles ». La veille, un conseiller du Kremlin, Iouri Ouchakov, interrogé sur les pourparlers Poutine-Erdogan, précisait : « Pour nous, l’essentiel, c’est d’arriver à une stabilité durable de la Syrie et de la région, et nous considérons que ça ne sera possible qu’en rétablissant l’intégrité de la Syrie. » En un mot, pas un pouce de territoire syrien ne doit échapper au pouvoir central. Un avertissement qui s’adresse autant à la Turquie qu’aux représentants des Kurdes. Mais ces derniers sont en position de faiblesse politique et ne peuvent désormais faire valoir grand-chose. La Turquie, elle, partie prenante du processus d’Astana (devenu celui de Sotchi) avec la Russie et l’Iran, a de nombreuses cartes à faire valoir. Ce que sait très bien le président syrien Bachar Al Assad dont le pouvoir, s’il a été renforcé depuis l’intervention russe de l’automne 2015, reste encore fragile. D’autant que des discussions sont toujours en cours à Genève sous l’égide de l’ONU.

 

2 - Que signifie le déplacement, le même jour, du président syrien Bachar Al Assad dans la province d’Idleb ?

« La bataille d’Idleb est la base pour mettre fin au désordre et au terrorisme dans toutes les régions syriennes », est venu dire, sur le front même, le président syrien. C’est dans cette région du Nord-Ouest, en effet, que se sont regroupés tous les islamistes et les djihadistes battus dans les autres provinces et dominés par Hayat Tahrir al-Cham (HTS), qui s’apparente, par ses pratiques, à Daech. La province d’Idleb et des parties des provinces voisines de Hama, Lattaquié et Alep ont été pilonnées sans interruption par l’armée syrienne, soutenue par l’aviation russe, entre fin avril et fin août. L’armée arabe syrienne de Damas avait également amorcé une progression terrestre jusqu’à la trêve décrétée au mois d’août.

Le déplacement du président syrien ne doit rien au hasard. Il intervient quelques jours après le déploiement de son armée dans des secteurs du nord-est du pays, appelée à la rescousse par les forces kurdes après le lancement de l’offensive turque dans cette région. Il convient pour le raïs de montrer qu’il reste le leader du pays, mais surtout d’affirmer sa présence alors qu’un certain nombre de questions relevant de l’avenir du pays sont discutées sans lui par des puissances extérieures. Soucieux de ne pas s’isoler, il a lancé : « Nous sommes prêts à soutenir toute (…) résistance à l’agression turque », ajoutant que soutenir les Forces démocratiques syriennes dominées par les Kurdes « constitue un devoir constitutionnel et national indiscutable ».

 

3 - Que reste-t-il de la question kurde ?

Lorsque, à la mi-2012, le Parti de l’union démocratique (PYD) kurde installe une nouvelle administration dans le nord-est de la Syrie, qu’il appelle Rojava, une expérience nouvelle et détonante se met en place sur trois cantons : le gouvernorat de Hassaké, à l’extrême nord-est, région frontalière de l’Irak et de la Turquie ; le district de Kobané, sur la frontière turque, et celui d’Afrin, au nord-ouest du pays, lui aussi frontalier de la Turquie. Caractéristique de ce système : il est basé sur l’égalité des peuples, des communautés, des ethnies, des confessions et des genres. C’est cela que Recep Tayyip Erdogan veut détruire, car il a peur que cela fasse tache d’huile en Turquie. Contrairement à ce qui est affirmé, les Kurdes ne revendiquent pas l’indépendance mais une autonomie démocratique.

L’offensive turque a contraint les forces kurdes à faire appel à Damas, qui ne voit pas d’un bon œil politique cette expérience, sans doute trop démocratique. Mais, pour l’heure, les structures administratives mises en place ne sont pas remises en cause. Cela sera-t-il le cas dans l’avenir, lorsque le pouvoir central aura les moyens de prendre les rênes de ces cantons ? Il est trop tôt pour le dire. Mais la question kurde ne pourra pas disparaître des plans discutés pour la Syrie de demain. Ne serait-ce que par le lourd tribut versé par les Kurdes dans la lutte contre Daech. Pour le PYD, la tâche n’est pas mince lorsqu’on sait que, dès la formation d’un conseil de l’opposition dans le courant de l’année 2011, la question kurde n’était pas prise en compte. D’où l’insistance du PYD à pouvoir participer aux discussions en cours au niveau international.

 

4 - Que devient l’opposition syrienne ? Où en est le processus placé sous l’égide de l’ONU ?

Ces derniers mois, l’opposition syrienne a été bien aphone. En réalité, elle ne représente pratiquement plus que les intérêts de certains groupes soutenus par des puissances extérieures. À l’image de l’Armée syrienne libre, qui s’est fondue dans l’Armée nationale syrienne (ANS) créée, financée et armée par la Turquie, et dominée par les islamistes.

Des discussions devraient reprendre bientôt à Genève sous l’égide de l’ONU, notamment pour élaborer une nouvelle Constitution pavant la voie vers une transition en Syrie. Un comité de 150 personnes a été créé en ce sens, mais les discussions sont encore longues. Et il y a un absent de marque : le peuple syrien, qui avait manifesté pour des réformes profondes au printemps 2011 et dont plus personne ne demande l’avis mais au nom de qui tout le monde parle.

Pierre Barbancey

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