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13 novembre 2019 3 13 /11 /novembre /2019 12:14

Bolivie : La France doit condamner le coup d’État et ne pas abandonner le peuple bolivien (PCF)


Le coup d'Etat en Bolivie qui a chassé du pouvoir, le 10 novembre dernier, le président Evo Morales et les forces de gauche bolivienne a été orchestré par l'Administration Trump, qui s'est félicitée d'un « moment significatif pour la démocratie », et par « son ministère des colonies », l'Organisation des Etats américains (OEA).


Cet acte de la plus haute gravité doit être, sans plus attendre, reconnu comme tel et condamné par la France, les États membres de l'UE et le Conseil de sécurité de l'ONU.


La violence, les chasses à l'homme, ratonnades, humiliations, saccages, tabassages et meurtres organisés par les forces de droite et d'extrême droite, des forces policières et militaires boliviennes avec le soutien actif des Etats-Unis depuis le soir du scrutin présidentiel n'ont pas cessé. Les militant-e-s de gauche mais aussi l'ensemble de la population, et particulièrement les populations Indigènes, risquent leur vie chaque jour.


Dans un tel contexte, le silence du Quai d'Orsay est non seulement incompréhensible mais inadmissible. Monsieur Macron, monsieur Le Drian, n'êtes-vous plus capables de reconnaître un coup d'Etat qui plonge un pays entier dans les ténèbres et prolonge le bain de sang ? Ce silence déshonore notre pays, notre peuple.


Le Parti communiste français (PCF) appelle l'ensemble des forces démocratiques de notre pays à exprimer leur soutien et solidarité au peuple bolivien.


Le PCF demande instamment au président de la République de condamner explicitement le coup d'Etat du 10 novembre, de manifester son soutien au peuple bolivien en portant au Conseil de sécurité de l'Onu dans les délais les plus brefs un projet de résolution condamnant le coup d'Etat en Bolivie et les manœuvres d'ingérence, les soutiens internationaux qui ont créé cette situation de chaos.


Le PCF renouvelle son soutien à Evo Morales, au MAS, sa pleine solidarité avec le peuple bolivien et participera à toutes les manifestations pour la démocratie, les droits humains et la paix en Bolivie.


Parti communiste français,


Paris le 13 novembre 2019.

Bolivie : La France doit condamner le coup d’État et ne pas abandonner le peuple bolivien (PCF)
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13 novembre 2019 3 13 /11 /novembre /2019 09:08

Sous pression en raison d'une vague de violences et du retournement de l'armée et de la police, le président Evo Morales a démissionné. Pour Maurice Lemoine, il s'agit d'un «coup d'Etat» dans le cadre d'une «vaste confrontation» sur le continent.

Ancien rédacteur en chef du Monde diplomatique, Maurice Lemoine s'est exprimé sur RT France ce 11 novembre au sujet de la démission d'Evo Morales en Bolivie. Pour ce spécialiste de l'Amérique latine, cela ne fait aucun doute : «On est face à un coup d'Etat [...] à caractère fasciste.» Précisant qu'il n'utilise pas souvent ce terme, à «manier avec précaution», le journaliste explique que, parmi les «protagonistes du coup d'Etat [...] Luis Fernando Camacho [l'un des principaux leaders de l'opposition] appartient à l'extrême droite raciste».

Pour Maurice Lemoine, «on est dans un vaste rapport de force en Amérique latine entre les secteurs néolibéraux qui viennent de perdre des batailles importantes» en Argentine, où le péroniste de centre-gauche Alberto Fernandez a remporté la présidentielle dès le premier tour, avec l'élection du président mexicain Andrés Manuel Lopez Obrador, ou encore avec les crises en cours au Chili et en Equateur.

 «Evo Morales est une pièce importante et si on le fait tomber, on fait tomber l'un des alliés de ce que [l'ancien Conseiller à la sécurité nationale américain] John Bolton appelait la "troïka de la tyrannie", c'est-à-dire le Venezuela, Cuba et le Nicaragua», poursuit Maurice Lemoine, qui estime qu'on face à «une vaste confrontation à l'échelle du continent».

Evoquant l'avenir de la Bolivie, confrontée à une vacance du pouvoir après les démissions en cascade à la tête du pays, sous pression de l'armée et des violences qui ont éclaté depuis l'élection présidentielle du 20 octobre, qui donnait Evo Morales gagnant mais dont les résultats sont contestés par l'opposition.

«Je crains des violences. Il y a quand même 47% de Boliviens qui ont voté pour Evo Morales. Je ne pense pas que le renversement de leur président va passer comme une lettre à la poste», conclut Maurice Lemoine.

 

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13 novembre 2019 3 13 /11 /novembre /2019 06:21

 

L'éditorial de Sébastien Crépel.  Il faut pourtant se crever volontairement les yeux pour ne pas voir que la démission du chef de l’État bolivien n’a rien d’une « victoire de la démocratie ».

Osons le mot que beaucoup refusent encore d’employer : le retrait d’Evo Morales de la présidence de la Bolivie est bel et bien le fruit d’un coup d’État. Coup d’État contre l’ordre constitutionnel légal, qui se trouve soudain comme suspendu, après la démission des seules autorités légitimes pour gouverner le pays dans l’attente du dénouement de la crise électorale. Coup d’État contre la démocratie elle-même, ensuite, puisqu’il met brutalement fin à la présidence Morales sans passer par un retour aux urnes, comme le chef de l’État andin le proposait en réponse à sa réélection contestée.

Certes, il s’agit d’un coup d’État déguisé, le mode opératoire ayant un peu évolué depuis l’ère des Banzer – fameux pour avoir recyclé l’ancien SS Klaus Barbie au sein de ses « services spéciaux » – et autre Barrientos – l’assassin de Che Guevara –, deux des plus récents dictateurs dans le pays aux 190 coups d’État depuis l’indépendance. Nul militaire n’a, pour l’heure, annoncé prendre le pouvoir. Les belles âmes qui, sous n’importe quels autres cieux, auraient appelé à la première heure au respect de l’État de droit y puiseront peut-être de quoi se trouver en paix avec elles-mêmes.

Il faut pourtant se crever volontairement les yeux pour ne pas voir que la démission du chef de l’État bolivien n’a rien d’une « victoire de la démocratie ». Ce n’est pas la protestation civique contre le résultat annoncé des élections qui a poussé au départ le président sortant, mais l’action conjuguée de la violence de miliciens cagoulés pourchassant, molestant les élus de gauche et incendiant leur maison, du basculement à droite du commandement de la police et de l’armée, et des pressions des États-Unis et des gouvernements conservateurs s’exprimant sous couvert de l’Organisation des États américains (OEA). En bon autocrate en herbe, le nouvel homme fort de La Paz au pedigree d’extrême droite, Luis Fernando Camacho, a appelé à l’ « arrestation d’Evo Morales ». La libération de Lula, dans le Brésil voisin, montre heureusement que le pire n’est jamais sûr.

Par Sébastien Crépel

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11 novembre 2019 1 11 /11 /novembre /2019 08:59

Maurice Lemoine, né en 1944, est un journaliste et écrivain, rédacteur en chef de La Chronique d'Amnesty International de 1993 à 1996, avant de rejoindre le Monde diplomatique dont il a également été le rédacteur en chef. Il est « spécialiste du monde Caraïbe et latino-américain ».

Il sera l'invité des "Mardis de l’Education Populaire", organisée par la section PCF Morlaix, le mardi 14 janvier 2020.

 

 

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Président aymara, paysan et syndicaliste, symbole d’une Bolivie nouvelle, appuyé depuis janvier 2006 sur une base « indigène et plébéienne » (pour reprendre les termes de son vice-président Álvaro García Linera), Evo Morales se représentait le 20 octobre pour un troisième mandat consécutif. Pour être élu au premier tour, tout candidat devait obtenir au moins 50 % des suffrages ou recueillir 40 % des voix avec une avance de 10 points sur le deuxième (article 167 de la Constitution), un second tour étant prévu le 15 décembre en cas de nécessité.
Dans une Amérique latine bousculée par une série de crises politiques et économiques parfois aiguës, le pays, de l’avis des observateurs de tous bords, se porte exceptionnellement bien. La nationalisation des ressources stratégiques [1] et la redistribution des recettes de l’Etat ont permis une stabilité politique inédite (si l’on excepte quelques épisodes de tensions et de contestations) grâce à la mise en place de programmes d’accès au travail, à l’éducation et à la santé. Dans un contexte de croissance soutenue, le PIB a bondi de 9 milliards de dollars à plus de 40 milliards, les réserves de change se maintiennent à la hausse, l’inflation est maintenue sous contrôle, le salaire réel a augmenté et, de 59,9 % en 2005, le taux de pauvreté était descendu à 36,4 % fin 2017 (l’extrême pauvreté passant de 38 % à 15 %, soit une baisse de 23 points). On évitera le mot « miracle », beaucoup restant à faire, mais l’appréciation positive de tels résultats dans le pays considéré depuis des lustres comme « le plus pauvre d’Amérique latine » n’a rien d’une vue de l’esprit.

Malgré un tel bilan, cette dernière élection se présente sous un jour moins favorable que les précédentes, remportées haut la main par Morales au premier tour, avec une confortable majorité. Après treize années de pouvoir, la très classique « usure » a fait son apparition. Des pans de population sortis de la pauvreté ne s’identifient plus au Mouvement vers le socialisme (MAS) qui leur a permis une telle ascension ; pour des raisons inverses, tout en bas de l’échelle, ceux qui ont le moins progressé expriment leur déception ; d’une façon plus générale, à l’élan initial d’une « refondation plurinationale » mettant le pays cul par dessus tête se sont substitués des progrès désormais plus lents et, avec leurs inévitables scories, de moins enthousiasmantes « bureaucraties », « gouvernance » et « normalité ».
En soi, et s’il doit être pris en compte, ce nouveau panorama n’a rien de catastrophique pour la mouvance progressiste à la veille du scrutin, Evo Morales demeurant largement en tête de toutes les projections. Néanmoins, il apparaît tout aussi clairement qu’une victoire au premier tour est hautement souhaitable pour lui. Très divisée, la droite part perdante, mais serait susceptible, dans un éventuel second tour, malgré ses divergences et ses rivalités, de se regrouper autour d’un vote dur « Tout sauf Evo ».

Dans ce contexte, Morales affronte au tout premier chef le postulant conservateur le mieux placé dans son camp, à la tête de l’alliance Communauté citoyenne (CC), Carlos Mesa. Journaliste aisé, historien, ce candidat (centriste d’après L’Obs, de « centre droit », selon Courrier International  !) a été vice-président de… l’ultralibéral Gonzalo Sánchez de Lozada – dit « Goni » – élu en 2002 après avoir battu « el Indio » Morales avec une différence minime, mais acceptée par ce dernier, de 1,41 % des voix [2]. Chiens de garde de George W. Bush, Otto Reich (secrétaire d’Etat assistant pour l’hémisphère occidental) et Roger Noriega (ambassadeur devant l’Organisation des Etats américains [OEA]), avaient menacé d’imposer des sanctions à la Bolivie si « Evo » était élu.
Corruption, ouverture économique, privatisations, projet d’impôt nouveau sur les salaires, éradication forcée et brutale de la coca… Débordé après des semaines de manifestations et malgré une répression féroce se soldant par plus de 70 morts et des centaines de blessés, Sánchez de Lozada s’enfuit à Miami le 17 octobre 2003. Doté d’un certain sens de l’opportunité politique, le premier de ses collaborateurs, Mesa, lui succède, comme le lui permet la Constitution, plutôt que de démissionner. Il gouvernera jusqu’en mai 2005, chahuté par une contestation sociale permanente menée, entre autres, par Evo Morales, son principal opposant. Lequel, le 28 août suivant, mettant en échec et la droite et Washington, appuyé sur une base majoritairement indigène, mais aussi sur des secteurs urbains, les corporations, les coopératives, les retraités et des cohortes de métis professant un discours à l’accent « national », sera élu une première fois avec 53,74 % des voix.

Sans surprise, au soir du scrutin du 20 octobre dernier, les premiers résultats du comptage préliminaire du Tribunal suprême électoral (TSE) donnent le binôme Morales-García Linera (vice-président) en tête. Toutefois alors que 83 % des votes ont été comptabilisés, ce duo ne dispose toujours pas des 10 points de différence nécessaires à un succès immédiat (45,28 % - 38,16 %). Si Mesa et ses soutiens crient immédiatement victoire, dans la perspective d’un second tour inédit qu’ils annoncent absolument certain, le camp du chef de l’Etat sortant ne s’émeut pas pour autant. Les 17 % de votes encore non pris en compte correspondent aux zones paysannes et indigènes les plus lointaines, éparpillées et isolées, dépourvues d’Internet (pour l’envoi des PDF des procès verbaux) et de modernes voies de communication. Des espaces très majoritairement favorables à « Evo », dont ils constituent la base sociale et une importante réserve de voix.
Cet élément incontestable (car constaté lors des élections précédentes) aura été soit oublié soit gommé lorsque, le 21, après une nuit de silence de la page Web du TSE jugée « suspecte » voire « scélérate » par l’opposition, tombe le bilan quasiment définitif, mais déjà contesté : « Evo Morales l’emporte au premier tour ». Une information confirmée le 24 vers 18 heures, après dépouillement de 99,81 % des bulletins, lorsque le TSE indiquera que le chef de l’Etat socialiste bénéficie de 47,06 % des suffrages contre 36,52 % à Mesa [3]. Un écart supérieur aux fameux 10 points de pourcentage et qui, portant sur plus de 600 000 voix, se révèle irrattrapable pour l’opposant.

Dès le lundi 21, Mesa a dénoncé « une fraude scandaleuse » et accusé le TSE d’être « une honte pour le pays ». L’appuyant implicitement, le chef de la délégation de l’OEA, l’ex-ministre des Affaires étrangères du Costa Rica, Manuel González Sanz, a de son côté critiqué l’interruption du comptage rapide intervenue dans la nuit du 20 au 21 et manifesté sa « profonde préoccupation et surprise pour le changement de tendance » constaté le lundi matin. Alors que, à l’appel de Mesa, se produisent les premières mobilisations et violences à Potosí, Oruro, Tarija et Chuquisaca, l’OEA va plus que vite en besogne : dès le mercredi 23, alors que le TSJ n’a pas encore rendu public le résultat définitif, la mission d’observation électorale de l’organisation interaméricaine estime que la « meilleure solution » serait de déclarer un ballottage entre les deux candidats. L’Union européenne fait encore plus fort en appelant le 24 à « mettre un terme au processus de dépouillement en cours » et à organiser directement un second tour « pour rétablir la confiance et s’assurer du respect du choix démocratique du peuple bolivien ». Les Etats-Unis et leurs comparses du Brésil, de l’Argentine et de la Colombie ne disent pas autre chose. L’Eglise catholique bolivienne abonde dans leur sens.

Il n’en faut pas plus pour que les professionnels de la plume, de la caméra et du micro se mettent de la partie. Dans le registre absurde, s’agissant de Radio France Internationale (RFI) qui titre le 22 avril, évoquant les injonctions de Fernando Camacho, président fascisant du Comité Pro-Santa-Cruz (la plus grande et plus riche ville du pays) : « Présidentielle en Bolivie : la société civile appelle à une grève de 24 heures [4] ». Est-ce à dire que les 2 889 359 électeurs qui ont porté Evo Morales en tête du scrutin (contre 2 240 920 à Mesa) n’appartiennent pas à la dite « société civile » ? Peut-être s’agit-il d’extraterrestres ! A moins, bien entendu, qu’il ne s’agisse d’« Indios de mierda » – expression fréquemment employée par l’ « élite » raciste blanche de Sucre (la capitale) et Santa Cruz, et que nous traduirons pudiquement par « misérables Indiens »…
Chacun dans son style, de la presse conservatrice à la gauche « pensée conforme » (et en particulier Attac, pour ne citer avec accablement que cette organisation [5]), une tendance se dégage – émergée en réalité depuis déjà de longs mois : Evo Morales se présente alors que les Boliviens lui ont dit « non » en 2016 à l’occasion d’un référendum portant sur la possibilité d’un troisième mandat consécutif, alors que la Constitution (article 168) n’en autorisait que deux ; il est donc, en s’ « accrochant au pouvoir », à la manière d’un « caudillo », pour ne pas dire d’un « dictateur en puissance », le responsable de la situation [6].
Sauf bien sûr à rappeler dans quelles conditions a eu lieu, en 2016, le référendum en question.

Deux ans auparavant (le 12 octobre 2014), Morales avait été réélu avec 61,36 % des voix, son parti, le MAS, obtenant les deux tiers des sièges de l’Assemblée législative. Depuis, les forces conservatrices continentales étaient repassées à l’offensive. En témoignait la violente tentative de déstabilisation de Nicolás Maduro au Venezuela. En Bolivie, d’aucuns au sein du parti au pouvoir – « el oficialismo » – envisageaient l’avenir avec circonspection. De par sa personnalité, Evo Morales constitue le pivot central de l’archipel des mouvements sociaux. Sans lui, les forces du changement peineraient à demeurer unies. Il n’y a qu’un fou pour changer de cheval au milieu du gué ! Les « masistas » (militants du MAS) firent très tôt pression pour l’organisation d’un référendum permettant une réélection de leur leader, alors non autorisée. Loin des débats abstraits sur la démocratie, les militants et citoyens font ceci ou cela en fonction du contexte : ni bien ni mal, c’est pragmatique et opportun. L’alternance « obligatoire » ne garantit en tant que telle ni la volonté générale ni la stabilité politique, encore moins le maintien des programmes sociaux. Or, à l’exception de quelques points noirs, dont l’affaire de corruption ayant permis à une vingtaine de mandataires et élus du MAS de piller le Fonds indigène (une institution de développement rural), y laissant un trou évalué à 14,6 millions de dollars, le bilan économique et social du chef de l‘Etat était largement positif. Même si, dans le cadre d’un référendum, le choix entre de simples « oui » et « non » devait unir tous ses adversaires, « Evo » avait toutes les chances de l’emporter. Les « masistas » le savaient. L’opposition aussi.

Depuis 2014, le chargé d’affaires Peter Brennan est le diplomate de plus haut rang présent dans l’ambassade des Etats-Unis en Bolivie. En 2008, l’ambassadeur Phillip Goldberg a été expulsé pour son implication dans la tentative de renversement d’Evo Morales à laquelle a participé en tout premier lieu le Comité civique pro-Santa Cruz, dirigé alors par l’homme d’affaires extrémiste bolivo-croate Branko Marinkovic (en cavale depuis 2010 au Brésil, après un passage par les Etats-Unis). En poste au Nicaragua entre 2005 et 2007, Brennan s’y est fait remarquer par ses liens étroits avec les groupes et partis antisandinistes. Après un passage par le Costa Rica, il prend en charge la coordination des Affaires cubaines du Département d’Etat. Arrive en Bolivie en 2014. S’y lie ouvertement avec l’alpha et l’oméga de l’opposition. Y rencontre, le 11 décembre 2015, dans le luxueux hôtel « cinq étoiles » Los Tabijos, de Santa Cruz, un certain Carlos Valverde. Journaliste de son état. Mais aussi ex-chef des services de renseignements boliviens entre 1989 et 1993, en pleine ère néolibérale, sous la présidence de Jaime Paz Zamora.

Par le plus grand des hasards, l’ « affaire » éclate peu de temps après, en pleine campagne pour le référendum du 21 février. Et alors que, créant un sentiment d’échec et de reflux général, les gauches continentales « amies » du MAS se trouvent en difficulté. Au Venezuela, en s’appuyant sur une féroce « guerre économique », la droite a remporté les élections législatives. L’Argentine a pour nouveau chef de l’Etat le néolibéral Mauricio Macri. Au Brésil, vient d’être lancée une procédure d’« impeachment » contre la présidente Dilma Rousseff.
Les vents médiatiques ne demandent qu’à accompagner le mouvement en l’étendant à la Bolivie : pour n’évoquer que lui, car il exerce une influence certaine, le quotidien espagnol El País a déjà titré (4 janvier) : « Evo Morales transgresse les normes à la recherche d’une réélection ».
Le 5 février, dans son émission « Todo por Hoy » (« Tout pour aujourd’hui ») diffusée depuis Santa Cruz par Activa TV, Carlos Valverde lance l’ « opération » en dévoilant l’acte de naissance du fils qu’aurait eu en 2007 Evo Morales avec une petite amie secrète, une militante du MAS de 28 ans sa cadette, Gabriela Zapata. Jusque-là, rien de véritablement scandaleux (sauf pour les grenouilles de bénitier). Toutefois, sans compétences particulières, Zapata est devenue en 2013 gérante d’une firme de BTP chinoise, CAMC Engineering Co (CAMCE), qui a conclu, grâce à la proximité de cette cadre supérieure avec le président, des contrats de l’ordre de 566 millions de dollars avec l’Etat. Un trafic d’influence aussi scandaleux qu’évident !

Dès le lendemain, en conférence de presse, Morales donne sa version des faits. En résumé : oui, il a bien eu une liaison avec la jeune femme entre 2005 et 2007, année au cours de laquelle ils ont eu un enfant, qu’il n’a jamais vu, le bébé étant malheureusement décédé très rapidement ; le couple s’est séparé immédiatement après et a rompu tout contact ; Morales ignorait que son « ex » travaillait pour CAMCE.

Un bon scandale doit comporter une image en laquelle l’imagination du public puisse s’investir. Les médias boliviens dégoulinent de photos et de commentaires sur la vie luxueuse (bien réelle) de « la maîtresse d’Evo ». Les réseaux sociaux débagoulent, dégoulinent, racontent n’importe quoi, passés maîtres dans l’art de blesser et de faire suppurer la plaie. L’intégrité du chef de l’Etat – jusque-là sa force principale – est plus qu’écornée. La presse internationale s’en donne à cœur joie avec ce qui devient une passionnante « telenovela ».
Une telle « indignité » provoque un fort sentiment de réprobation au sein des classes moyennes et dans les secteurs urbains. La campagne de presse atteint son paroxysme. « Les intentions de vote pour le non augmentent en raison du scandale qui affecte Gabriela Zapata et Evo » : d’après les quotidiens Página Siete, Los Tiempos et Correo del Sur, qui ont commandité une enquête, le « non » s’impose désormais très largement sur le « oui » – 47 % contre 28 % [7].
Deux jours avant l’échéance, des groupes d’étudiants de l’Université publique d’El Alto, immense urbanisation qui surplombe La Paz, paralyseront le centre de cette dernière aux cris de « Evo, Zapata, rendez l’argent ! »… Tous les opposants ne forment alors qu’une seule et belle famille, depuis l’ex-président Carlos Mesa (droite), les gouverneurs de Santa Cruz, Rubén Costas (droite extrême), et de La Paz, Félix Patzi (autoproclamé « indigène lettré »), en passant par l’ancienne ministre de la Défense Cecilia Chacón (démissionnaire en 2011 après une répression de manifestants), l’indigénisme radical et communautariste (hostile depuis toujours à « Evo ») et l’ultragauchiste Parti ouvrier révolutionnaire (POR). Rebaptisée « mobilisation citoyenne », cette sainte alliance dénonce fort classiquement, et à l’avance, une « fraude » à venir lors du référendum – le Tribunal électoral étant composé de « sympathisants du MAS », on l’aura compris.

Malgré cette fraude annoncée (au cas où !), le chef de l’Etat perd une bataille électorale pour la première fois en dix ans. Avec une participation de 84,47 %, 51,3 % des Boliviens se prononcent contre la réforme de la Constitution lui permettant de briguer un nouveau mandat. Détail dont on pourrait dire qu’il a son importance : ponctuée de dénonciations de tricheries et d’irrégularités, la tension fut énorme durant les deux jours qui suivirent le scrutin. C’est en effet le laps de temps qui fut nécessaire pour l’annonce d’une tendance irréversible par le TSE. Comme cette année…

Soixante mille voix de différence sur un corps électoral de 6,2 millions de personnes. La « fake news » a atteint son objectif de très peu. Mais elle l’a atteint. Lorsque la vérité va se faire jour, révélant l’ampleur de la manipulation, il sera malheureusement trop tard… La défaite d’Evo est consommée.
Dès le 21 février, accusée d’ « enrichissement illicite et trafic d’influence », Zapata est arrêtée et placée en détention préventive. Une semaine plus tard, en conférence de presse, le vice-président García Linera produit des photos de ses frère et sœur (Paola et Gabriel) en compagnie de politiciens d’opposition – les députés Norma Piérola et Shirley Franco, l’ex-président Jorge « Tuto » Quiroga et Samuel Doria Medina (riche homme d’affaires, candidat à la présidence en 2005, 2009 et 2014). La connivence tombe fort heureusement dans les oubliettes quand, le lendemain, Pilar Guzmán, la tante de Gabriela Zapata, provoque un tsunami. L’enfant du président, Ernesto Fidel, a 8 ou 9 ans et il est bien vivant. « Il est le fils de M. Evo Morales. Je ne sais pas pourquoi ils ont dit ça. Je ne sais pas ce qui les a poussés à mentir », déclare-t-elle sur la chaîne PAT TV.

 

Tombant manifestement des nues, le président demande à voir l’enfant, dont les avocats de Zapata ont confirmé l’existence : « J’ai le droit de connaître mon fils, c’est mon devoir de le soigner, de le protéger », déclare-t-il le 29 février. Les proches de l’intrigante font durer le suspens tandis que surgissent des photos sur lesquelles cette dernière apparaît en compagnie d’un gamin. Il faudra que le président ait recours à la justice pour qu’un garçon de 11 ans soit présenté le 12 avril à l’autorité compétente. Prenant l’initiative de se soumettre à un test ADN de paternité, Evo Morales se voit opposer le refus de Zapata quand il réclame une démarche similaire sur elle-même et leur enfant supposé.

Après de nouvelles péripéties, il s’avèrera que Zapata a menti lorsqu’elle a fait croire à Morales en 2007 qu’ « ils » avaient eu un bébé (puis qu’il était décédé) ; que l’acte de naissance présenté au début de l’affaire par le « journaliste » Valverde était un faux (le nom du bébé ne figurant dans aucun registre de l’hôpital où il était censé avoir vu le jour) ; et que l’enfant présenté en cette année 2016 à la juge de la famille par Pilar Guzmán, la tante de Zapata, n’était en aucun cas le fils de cette dernière (et donc encore moins d’ « Evo »).
L’ensemble des révélations mènera à l’arrestation de Pilar Guzmán ainsi qu’à la détention des avocats Eduardo León, William Sánchez et Walter Zuleta, accusés d’avoir monté cette supercherie en sa compagnie. « Il a été offert de payer la pension au collège de l’enfant jusqu’à son baccalauréat et d’offrir un terrain et une somme, entre 5 000 et 15 000 dollars, aux parents de ce mineur », révélera le procureur général Ramiro Guerrero en juin. Sa propre mère était chargée d’apprendre ses « éléments de langage » au supposé fils du président. Ces révélations feront, entre parenthèses, une autre victime de poids : la chaîne d’information en continu étatsunienne CNN qui venait d’expédier en urgence un « envoyé spécial » à La Paz pour obtenir un « scoop » spectaculaire et politiquement intéressant grâce à l’autorisation d’interviewer l’enfant.
Sentant le vent du boulet se rapprocher à grande vitesse, l’initiateur de tout ce roman, le « journaliste » Valverde, avait lui, dès le 18 avril, pris les devants : « J’ai eu accès à une information sérieuse (sic !) qui confirme que le fils supposé de GZapata et du président Morales n’existe pas. »

A ce volet « people » du « Zapatagate » qui combla les médias, s’ajoutera le démontage, plus modestement couvert, du supposé « scandale de corruption ». Celui-ci eut pour cadre un bureau du Ministère de la Présidence destiné par le passé à la « Première Dame » (figure éliminée avec l’arrivée du célibataire Evo Morales au pouvoir). Avec la complicité de deux fonctionnaires du ministère et de comparses extérieurs pour établir les contacts, dont l’avocat d’affaires Walter Zuleta, Gabriela Zapata y recevait des entrepreneurs. Arguant de son « intimité » avec le président et de d’une supposée proximité avec un certain nombre de ministres, elle signait au nom de l’Etat des « accords » et des « autorisations » (permettant, par exemple, d’ouvrir des maisons de jeux), moyennant d’importants pots de vin (ses transactions bancaires se montèrent à 700 000 dollars l’année précédant son arrestation).
S’agissant des contrats signés avec CAMCE, l’enquête démontra qu’ils étaient antérieurs au recrutement de Zapata par la firme. Ils avaient pour raison majeure le fait qu’ils conditionnaient l’octroi d’un prêt par la Chine (pour la réalisation des travaux dont CAMCE obtenait la responsabilité). On apprit même que l’entreprise avait été soumise à une amende de 21 millions de dollars et à une interdiction de participation à des licitations pendant trois années pour ne pas avoir respecté certaines de ses obligations. En d’autres termes, le pseudo scandale retomba comme un soufflé [8].

Le pouvoir et ses partisans ont depuis fait du 21 février (date du référendum de 2016) le « Jour du mensonge ». Une enquête effectuée par Market Opinion Research International (Mori) le confirma à sa manière en révélant ultérieurement qu’à la question « le cas Zapata vous a-t-il influencé au moment de voter ? », 53 % des personnes interrogées ont répondu « oui ». C’est donc à juste titre que Juan Ramón Quintana, ex (2006-2010 puis 2012-2017) et actuel ministre de la Présidence, pouvait annoncer en décembre 2016 : « Oui, de fait, nous discutons avec les mouvements sociaux de la possibilité de remettre en question les résultats du 21 février. (…) Cela a été un coup [au sens de coup d’Etat] politico-médiatique. L’une des preuves les plus fortes est la relation entre l’auteur de la dénonciation sur le supposé fils d’Evo et l’ambassade nord-américaine. Et ce qu’a signifié la triangulation politique de l’ambassade des Etats-Unis (…) avec le comportement des médias, des analystes et des laboratoires d’opinion publique qui fonctionnent à travers les réseaux sociaux. Il y a des preuves tangibles, irréfutables, qu’il s’est agi d’une conspiration [9] »
Etait-il donc dès lors illégitime de remettre en cause cet attentat à la démocratie ? Envolés les grands principes : il semblerait que, pour les acteurs du formatage de l’opinion, la réponse est « oui ».

Lorsqu’elle défend une cause qui lui paraît juste, la gauche latino-américaine, elle, n’a pas l’habitude de la reddition. Dans le cadre d’intenses cogitations sur des solutions alternatives légales, le MAS met dès lors quatre options sur la table, toutes compatibles avec la Constitution politique de l’Etat (CPE) : la réalisation d’un nouveau référendum, cette fois d’initiative citoyenne [10] ; une réforme de la Constitution en utilisant la majorité des deux tiers au sein de l’Assemblée législative ; une démission du président, lui permettant de se représenter de façon « non consécutive » (le vice-président terminant le mandat) ; un recours au Tribunal constitutionnel plurinational (TCP) basé sur l’article 256 de la Constitution, lequel considère que les traités internationaux signés ou ratifiés par la Bolivie et comportant des droits « supérieurs » prévalent sur la dite Constitution.
Il se trouve que l’article 23 de la Convention américaine relative aux droits de l’Homme (CADH), adoptée à San José (Costa Rica), le 22 novembre 1969, mentionne explicitement, s’agissant des droits politiques des citoyens, que ces derniers doivent pouvoir : « participer à la direction des affaires publiques, directement ou par l’intermédiaire de représentants librement élus ; d’élire ou d’être élus (…). » Seules exceptions à cette possibilité « d’élire ou d’être élus » : « (…) des motifs d’âge, de nationalité, de résidence, de langue, de capacité de lire et d’écrire, de capacité civile ou mentale, ou dans le cas d’une condamnation au criminel prononcée par un juge compétent.  » Aucune mention d’une éventuelle limitation du droit des citoyens à choisir un candidat et, pour ceux-ci, à se présenter pour plusieurs mandats populaires, consécutifs ou non.

En se basant sur cet argument, la Cour constitutionnelle du Costa Rica a permis en 2006 la réélection, interdite jusque-là, du social-démocrate Óscar Arias (sans un haussement de sourcils de la « communauté internationale »), son équivalente colombienne a fait de même pour le maintien au pouvoir, la même année, du plus que droitier Álvaro Uribe (avec juste quelques signes de désapprobation) et la décision de la Cour de justice nicaraguayenne a autorisé la candidature et la réélection du sandiniste Daniel Ortega en 2016 (soulevant cette fois, comme pour « Evo », un hourvari d’indignation).

Le 28 novembre 2017, répondant à un recours déposé par plusieurs parlementaires du MAS, le Tribunal constitutionnel invalide le résultat du référendum, au motif que la campagne des partisans du « non » a été diffamatoire et donc illégale. Le lendemain, la reconnaissance de la primauté de l’article 23 de la CADH supprime la limite d’un seul renouvellement consécutif visant la fonction de chef de l’Etat (mais aussi celles de vice-président, de gouverneur et de maire). A ceux qui acceptent sans barguigner que Jean-Claude Junker ou Angela Merkel puissent respectivement gouverner le Luxembourg et l’Allemagne pendant vingt années, mais paniquent en voyant le « maintien perpétuel » au pouvoir d’un président latino (surtout quand il est de gauche), le président du Tribunal rappelle que, en tout état de cause, c’est l’électorat bolivien qui conservera « le dernier mot » Par son vote à l’occasion des prochains scrutins.
Ce genre d’argument raisonnablement acceptable ne convainc pas tout le monde (ça se sent ces choses-là !). Vingt-quatre heures ne se sont pas écoulées que l’administration de Donald Trump demande au président bolivien de respecter et la Constitution et le référendum de 2016, et de renoncer à se présenter. Le Sénat américain en fait autant. Leur petit soldat Luis Almagro, secrétaire général de l’OEA, renchérit. Après avoir noué sa plus belle cravate, Carlos Mesa s’envole pour Washington. Lorsqu’il revient, après une série de réunions avec hauts fonctionnaires et sénateurs américains, il annonce qu’il va rétablir les relations diplomatiques au plus haut niveau. Certes, il n’est pas encore président, mais la campagne « La Bolivie a dit non » vient de prendre son élan.

Ici, l’inventaire sera bref des multiples modalités de son développement. On se contentera de quelques épisodes significatifs. Fin juillet 2018, Jorge « Tuto » Quiroga et Carlos Mesa déclarent que le thème de la réélection va générer une tension qui mènera l’opposition « à une situation que nous ne désirons pas : la violence [11] ». Plus concrètement, Mesa propose de déterminer un « Jour D », à partir duquel sera mis en place un agenda concret pour empêcher Evo Morales de se présenter. Le 10 octobre, dans tous le pays, de multiples manifestations se déploient pour exiger le respect du « référendum ». Celle de La Paz, très « classes moyenne et supérieure métisses et blanches », à laquelle participent Carlos Mesa et Samuel Doria Medina, a été convoquée par une coalition baptisée Comité national de défense de la démocratie (Conade) et par (cela devient un grand classique dans les crises internes latino-américaines)… l’Assemblée permanente des droits humains de Bolivie (APDHB). Correspondante des grandes multinationales du secteur – Amnesty International (AI), Human Right Watch (HRW), Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH) –, l’APDHB a connu de fortes divisions et des ruptures internes du fait de son appui implicite et explicite à l’opposition. Sa directrice Amparo Carvajal, une religieuse espagnole, n’hésite pas à déclarer qu’elle était mieux écoutée par le pouvoir « du temps de la dictature [1964-1982] » [12].

Conséquence directe… Quand, immédiatement après le scrutin du 20 octobre, l’opposition lancera ses premières actions, délibérément violentes, sans qu’on ne détecte une quelconque apocalypse de violence policière, Amnesty sera déjà dans les « starting blocks » (24 octobre), impatiente de mettre la Bolivie à son tableau de chasse, après le Venezuela et le Nicaragua : « Jusque-là, la réponse des autorités boliviennes face aux manifestations a été très alarmante et démontre un mépris pour les droits humains. Nous surveillons leurs actions et les engageons à ne pas avoir recours à une force excessive [13]. »De son côté, et alors qu’au Chili les militaires de Sebastian Piñera répriment sauvagement, gazent, éborgnent et tuent, José Miguel Vivanco, au nom de Human Right Washington (également connu sous le nom de Human Right Watch) établit une claire hiérarchie dans ses priorités : il demande à son compère Luis Almagro et à l’OEA l’application de la Charte démocratique à… la Bolivie, en raison de la « fraude » constatée lors de l’élection.

Tout aura été essayé. Pour empêcher Morales de se présenter, l’opposition en a appelé à la Cour interaméricaine des droits de l’homme (CIDH), à l’OEA, au Brésil, à la Colombie et même directement à Donald Trump. En interne, les tristement célèbres Comités civiques, à la tête du combat lors de la tentative de déstabilisation de 2008, ont fait leur réapparition. Il s’agit d’instances « citoyennes » et de plateformes représentant certains secteurs économiques et/ou d’extrême droite, agissant en dehors des partis politiques (mais souvent en phases avec ceux-ci). Ils annoncent sans fioritures qu’ils ne reconnaîtront pas le résultat électoral si Morales l’emporte, traitent le gouvernement de « dictature » et proposent le « fédéralisme » comme moyen d’en finir avec l’Etat central (comme en 2008, précisément).

Aucune manœuvre, la plus agressive soit-elle, n’y a pu rien changer : jusqu’à preuve du contraire, Evo Morales a été élu (et, dans le cadre des législatives, le MAS a obtenu la majorité). L’opposition conteste le résultat de la présidentielle. Sur quelle base ? Vice-président du Tribunal électoral, Antonio Costas a certes démissionné en invoquant lui aussi l’arrêt du flux des résultats le 20 au soir. « Il y a eu une alerte à l’attaque informatique, a-t-il ultérieurement déclaré, gérée avec maladresse, mais la pagaïe technique [d’où la raison de sa colère] n’a pas changé la véracité des résultats [14] »

Insuffisant apparemment pour que l’OEA et l’Union européenne, par leurs déclarations précipitées, n’encouragent et ne renforcent ouvertement les velléités d’insurrection de l’opposition. Des prises de positions très contestables pour le Mexique, dont la représentante à l’OEA, Luz Elena Baños, affirmait dès le 23 octobre que la mission d’observateurs s’était éloignée « des principes d’objectivité et de non intervention dans les affaires internes du pays » et mettait en garde sur « le risque d’instrumentalisation politique des missions d’observation électorale [MOE], un outil technique devant être utilisé pour améliorer la qualité des processus démocratique. »

Pas de second tour ! Mais, a précisé la présidente du Tribunal électoral, l’institution n’a rien à cacher : «  Nous sommes disposés à l’organisation d’un audit électoral, et nous allons le faire. Tout comme nous avons accueilli des observateurs électoraux. » Les affrontements ont commencé entre la « mobilisation démocratique », emmenée par Mesa et les dirigeants des Comités civiques, et les électeurs du président mobilisés pour défendre la… démocratie. Le Conade et les comités civiques de La Paz, Potosí, Chuquisaca, Cochabamba, Oruro, Tarija, Beni et Santa Cruz décrètent une grève générale pour obtenir « un second tour ». « Où je vais en prison, où je vais à la présidence », a déclaré Mesa. Mais, alors qu’il soutient cette grève, il refuse de participer à l’audit des résultats électoraux, qui démarrera le 28. Pourtant conforme à ce qu’il prétend réclamer puisque, après accord entre le gouvernement et l‘organisation, des experts de l‘OEA le mèneront (de même que des « pays amis », le Mexique, le Paraguay, le Pérou et l’Espagne).
A partir de ce moment débutent l’escalade. Les manifestations des « contre » et des « pour » se multiplient. Avec leur lot de chocs entre les deux camps. La police doit intervenir pour séparer les manifestants pro et anti Morales à Santa Cruz (le 28). Les anti-« Evo » paralysent le centre des villes ; les « pro » menacent d’utiliser les méthodes de « blocus » déjà envisagées en 2008.

En organisant un référendum illégal, Santa Cruz s’était alors déclarée « autonome » (comme les autres Départements d’opposition, tous sur les basses terres : Beni, Pando et Tarija). Mais les putschistes avaient oublié un détail : « S’ils tiennent la ville, les banlieues et les zones rurales environnant Santa Cruz sont majoritairement habités par des paysans colonisateurs, Indigènes immigrés des hauts plateaux, nous avait confié à l’époque, sur place, un partisan du président. Ils peuvent crier “autonomie, autonomie”, c’est nous qui contrôlons les accès à la ville. S’il se passe quelque chose, il y aura une réponse immédiate, ils sont encerclés ! »
De fait, ces derniers jours, mineurs, syndicalistes et paysans, les secteurs qui historiquement ont appuyé le président, marchent sur La Paz, Cochabamba, s’organisent à Santa Cruz, et ont commencé à établir des barrages sur les routes qui relient Potosi à Sucre (la « ville blanche ») et Cochabamba à Santa Cruz (la cité au racisme à fleur de peau).

Aucun euphémisme n’y changera rien : il s’agit désormais d’une tentative de renversement d’Evo Morales. Alors que les experts de l’OEA sont à l’œuvre, Mesa a changé son fusil d’épaule. Il réclamait un second tour, il invoque maintenant la nécessité d’une nouvelle élection et, le traitant de « manœuvre destinée à maintenir Morales au pouvoir »… rejette l’audit de son très récent allié, l’OEA. Exprimerait-il ainsi un doute sur la possibilité de découvrir les « fraudes massives » qu’il a dénoncées ? Il est vrai que Mesa se trouve sous pression, car maintenant débordé sur son extrême droite. Le 2 novembre, après réunion avec certains dirigeants du Conade, le président du Comité civique pro-Santa Cruz, Luis Camacho, a donné 48 heures à Evo Morales pour démissionner. Outre les appels pressants et réitérés aux militaires (comme au Venezuela et au Nicaragua) le mot d’ordre devient « nouvelles élections générales sans Evo Morales » – réplique exacte du scrutin réclamé dans la République bolivarienne, « sans Nicolás Maduro ». Et, pour marquer leur territoire, les plus factieux parmi les factieux ont fait monter les enchères en précisant : « Ni Morales ni Mesa ». Ce qui a au moins l’avantage de diviser la droite… Mais laisse une question en suspens : à l’allure où vont les choses, qui sera le « Juan Guaido » des Andes, Mesa ou Camacho ?

La Paz, Cochabamba, Santa Cruz… Occupation des institutions publiques [15], menaces et agressions contre les « masistas » « Nous sommes à un pas de commencer à compter les morts par dizaine », a déclaré le 5 novembre le ministre de la Défense Javier Zavaleta, en invitant Camacho à contrôler ses « groupe de choc ». Sans résultat probant. Le conflit prend une très vilaine tournure. A Quillacollo, Feliciano Vegamonte, ex-dirigeant de la Confédération syndicale unique des travailleurs paysans de Bolivie (CSUTCB) est séquestré. Des scènes obscènes vécues en 2008 se répètent. Le 6 novembre, dans le « municipio » de Vinto (département de Cochabamba) où il a brûlé la mairie, un groupe de nervis a séquestré la mairesse Patricia Arce, membre du MAS, l’a traînée dans la rue, pieds nus, sur plusieurs kilomètres, avant de l’installer sur une tribune, devant une foule haineuse, pour la peindre en rouge et de lui couper les cheveux.

« L’agression sélective contre les citoyens et les forces de sécurité, l’appel au soulèvement des Forces armées et de la Police nationale, et finalement l’injonction faite au président Evo Morales, sous la menace, de quitter le gouvernement sous 48 heures sont de claires évidences qu’il y a en cours un coup d’Etat qui prétend briser la vie démocratique de la Bolivie », a dénoncé le 4 novembre, devant le Conseil permanent de l’OEA, le ministres des Affaires étrangères Diego Pary. A-t-il été entendu ? Et quand bien même il le serait…
On sera ici extrêmement prudent sur les possibles développements de la crise à très court terme. Le 2 novembre, en affirmant qu’il respectera le rapport élaboré par l’OEA au terme de l’audit de l’élection, Evo Morales a ajouté espérer qu’il s’agira d’un « travail technique et juridique, et pas politique ». Une préoccupation des plus compréhensibles. Dans son évidente certitude que les résultats du scrutin sont fiables, et pour prouver sa bonne foi, le pouvoir bolivien a accepté que les conclusions de l’audit et les conséquences qui en découleront soient « contraignants ». C’est le secrétaire général de l’OEA Luis Almagro qui recevra l’audit envoyé par ses trente experts dans un premier temps, puis qui, par les canaux diplomatiques, les transmettra au gouvernement du pays andin. En d’autres termes : Almagro et l’OEA sont les maîtres d’un jeu dans lequel Evo Morales et les siens se sont liés les mains.

Sans écarter l’hypothèse que des anomalies réelles soient détectées – ce qui est après tout du domaine du possible, même pour un pouvoir ne les ayant pas volontairement provoquées –, l’OEA, par définition, obéit en priorité à Washington. Ses premières réactions, le lendemain du scrutin, indiquent clairement dans quel sens souffle le vent.
Il se trouve qu’un fantastique bras de fer est engagé en Amérique latine où d’aucuns avaient un peu hâtivement annoncé une « fin de cycle ». Les tenants du conservatisme sont sur les dents. Ils ont « perdu » en quelques mois le Mexique et l’Argentine. Le Venezuela, Cuba et le Nicaragua résistent. Une grave crise institutionnelle secoue le Pérou. Haïti brûle, l’Equateur s’est embrasé (et il n’y règne qu’une relative accalmie), même les heureux bénéficiaires de l’ « oasis » chilienne sont en cours de soulèvement.
Le 24 octobre, Almagro, la bave aux lèvres, dénonçait le rôle de Cuba et du Venezuela dans la vague de « déstabilisations » affectant l’Equateur, la Colombie et le Chili : « Les brises du régime bolivarien impulsées par le madurisme et le régime cubain portent de la violence, des saccages, de la destruction, et l’intention politique d’attaquer directement le système démocratique et de forcer l’interruption des mandats constitutionnels. » Cinq jours plus tard, lors de l’inauguration de la 7e Réunion des ministres de l’Intérieur des Amériques, le même Almagro félicitait le président équatorien Lenín Moreno pour la façon dont il a jugulé le mouvement social. Washington, suivi par ses principaux satellites Bogotá et Brasilia veut plus que jamais en finir avec « l’axe du mal », rebaptisé « troïka de la tyrannie » (Cuba, Nicaragua, Venezuela). Et il faudrait laisser la Bolivie entre « les mains » d’Evo Morales ?

Un examen rationnel de la situation laisse peu d’espace pour l’hypothèse d’une évolution positive sur le très court terme. En témoigne un premier épisode révélateur. Le 1er novembre, au lendemain du début de sa mission, le chef des experts de l’OEA Arturo Espinosa a annoncé sa démission. « J’ai décidé de me retirer de l’audit pour ne pas compromettre son impartialité », a-t-il dû twitter. Mexicain, avocat, Espinosa avait publié une semaine auparavant un article d’opinion très critique accusant le président Morales « de vouloir se maintenir au pouvoir à tout prix ». Un article malheureusement déniché par quelques médias boliviens…
 Restent deux éléments à prendre en compte… L’existence, parmi les experts, de ceux envoyés par les « pays amis » – Mexique, Paraguay, Espagne et Pérou. Difficile en leur présence de se livrer à une trop voyante manipulation. D’un autre côté, peut-être plus futile, mais existant, Almagro a un « ego » surdimensionné. Comme l’OEA en général, il n’apprécie guère qu’on lui tienne tête. Et si l’opposition bolivienne s’était tirée une balle dans le pied en refusant l’audit de l’organisation interaméricaine et en la traitant avec autant de mépris ? On n’en fera pas le pari. Mais la possibilité existe. La pression va être énorme sur tous les protagonistes, ces jours-ci.

Illustration : Evo Morales en 2017 – Flickr CC


[1Le pays détient les 2e réserves de gaz du sous-continent (derrière le Venezuela), les premières réserves de lithium du monde (35 %) et d’importantes ressources minières (fer, cuivre, étain, etc.).

[2Multimillionnaire, parlant mieux l’anglais que l’espagnol, Gonzalo Sánchez de Lozada avait effectué un premier mandat entre 1993 et 1997.

[3Une fois les bulletins totalement dépouillés, le résultat définitif s’établira à 47,08 % pour Evo Morales et 35,51% pour Mesa.

[4http://www.rfi.fr/ameriques/20191022-presidentielle-bolivie-societe-civile-appelle-une-greve-24-heures-0

[5Pablo Solon, « Lettre ouverte au mouvement altermondialiste sur la situation en Bolivie », Paris, 24 octobre 2019.

[6Avant les trois mandats dont il est question, Evo Morales en a effectué un quatrième, non pris en compte car effectué dans le cadre de l’ancienne Constitution (réformée en 2009).

[7https://www.noticiasfides.com/nacional/politica/aumenta-intencion-de-voto-por-el-no-debido-al-escandalo-que-involucra-a-gabriela-zapata-y-evo-362645-362573

[8En février 2017, peu avant le procès au cours duquel elle fut condamnée à 10 ans de prison, Zapata a accusé le dirigeant d’opposition Samuel Doria Medina de l’avoir « utilisée » et « manipulée » par l’intermédiaire d’un de ses avocats, Eduardo León, pour monter toute cette affaire et mettre Evo Morales en difficulté. Tout en la jugeant potentiellement crédible, on prendra cette affirmation avec la plus extrême prudence, tant la jeune femme a menti et changé de versions tout au long des événements. « Persécutés politiques », le « journaliste » Valverde s’est exilé en Argentine, deux des avocats de Zapata au Pérou.

[9Pagina/12, Buenos Aires, 27 décembre 2016.

[10Celui de février résulte d’un vote majoritaire de l’Assemblée législative.

[11El Alteño, La Paz, 27 juillet 2018.

[12 Iglesia Viva (organe de la Conférence épiscopale bolivienne)19 septembre 2019.

[13Amnesty International, « Bolivie. Les autorités doivent respecter l’exercice du droit de manifestation pacifique », 24 octobre 2019.

[14https://listinsemanal.com/en-que-se-basan-las-acusaciones-de-fraude-que-sacuden-bolivia/

[15A Sucre (la capitale), le Tribunal départemental de justice, le Tribunal constitutionnel plurinational, la Direction départementale de l’éducation, le Tribunal agro-environnemental, le Parquet général, le Tribunal de justice, le Service des Impôts national, etc…

 

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11 novembre 2019 1 11 /11 /novembre /2019 08:06
Démission d’Evo Morales : réaction de Fabien Roussel (secrétaire national du PCF)
 
Démission d’Evo Morales : réaction de Fabien Roussel, secrétaire national du PCF
 
La Bolivie vit ce soir des heures dramatiques. Le président Evo Morales a  démissionné pour éviter, comme il l’a déclaré, « un bain de sang ».
 
Les événements des derniers jours en Bolivie relèvent d’un conflit de classes exacerbé, d’un racisme déchaîné, d’une opposition enragée contre le système d’Etat plurinational constructeur de la redistribution des richesses et la conquête de la souveraineté nationale.
 
Sous le fallacieux prétexte de fraude électorale, la droite dont la logistique est assurée par les services nord-américains a refusé sa défaite, puis l’invitation au dialogue et enfin la convocation de nouvelles élections. Elle n’a pas accepté la victoire d’Evo Morales conquise grâce au vote déterminant des indigènes tellement il est
insupportable à la bourgeoisie, en majorité blanche, et pour une partie des couches moyennes, sorties de la misère par Morales lui-même, d’accepter le verdict des urnes. 
 
Les violences ne relèvent pas de la spontanéité. Des groupes paramilitaires y font régner la terreur : élues tondues, battues, incendies de domiciles de partisans de Morales, y compris celui de sa sœur, chasse aux indigènes. 
  
Face au déchainement, Evo Morales a cru devoir se retirer.  Existait-il une autre solution ?
 
Dans cette Bolivie aux dizaines de coups d’Etat depuis les années 1960 et jusqu’à l’élection d’Evo Morales en 2005, entre dictatures, violations des droits surtout des indigènes, inflation, corruption, trafics de drogue et refuge de chefs nazis comme Adolf Eichmann et Josef  Mengele, une porte s’est ouverte avec Evo Morales vers la démocratie et le mieux vivre pour les plus pauvres. Insupportable pour les plus riches, intolérable pour ceux qui ont largement bénéficié du développement économique (5% de croissance) et qui ne veulent pas partager.
 
Et pourtant. La prospérité économique et la refondation démocratique du pays doivent être mises au compte de la politique menée depuis l’arrivée au pouvoir d’Evo Morales avec un processus de récupération des richesses naturelles  au profit de conquêtes sociales en matière de santé et d’éducation et d’une vaste modernisation économique.  Je veux exprimer ce soir mon souhait que les violences cessent en Bolivie et que la vie et la dignité de tous soient respectées.
 
Fabien Roussel, secrétaire national du Parti communiste français, député du Nord. 
 
Paris, le 11 novembre 2019.
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11 novembre 2019 1 11 /11 /novembre /2019 06:43

Libération de Lula : Joie et émotion (communiqué de Fabien Roussel, secrétaire national du PCF)

En apprenant hier soir la libération de Lula, comme tous mes camarades, j’ai été saisi par l’émotion et la joie.
Enfin, l’ancien métallurgiste et militant syndical devenu le président de la justice sociale et du prestige retrouvé de son pays, victime d’une machination visant à l’exclure de l’élection présidentielle, retrouvait la liberté, ses proches et ses camarades qui depuis le premier jour de
son incarcération l’entouraient, à proximité de la prison, d’une solidarité jamais démentie.
C'est une 1ère étape très importante pour mettre un terme définitif à la machination judiciaire et politique contre Lula.

A peine libéré, Lula s’est déclaré à la disposition du peuple brésilien alors que cet immense pays subit un régime fascisant au service des puissances financières, détruisant les conquêtes sociales,
s’attaquant aux indigènes et à l’Amazonie, totalement aligné sur M. Trump.

Je veux redire ma joie et mon espoir de voir Lula reprendre son œuvre en faveur de son peuple et de toute l’Amérique Latine

Paris, le 10 novembre 2019

Fabien Roussel, secrétaire national du Parti communiste français, député du Nord

Libération de Lula: joie et émotion (Fabien Roussel, secrétaire national du PCF, 10 novembre 2019) - et article de Cathy Dos Santos dans l'Humanité
La liberté de Lula change la donne en Amérique du sud.
Samedi, 9 Novembre, 2019 - L'Humanité

La liberté de Luiz Inacio Lula da Silva bouleverse l’échiquier politique brésilien. Elle a également une résonance régionale, à l’heure où le continent est l’épicentre de déstabilisations politiques et de révoltes sociales structurelles. Les messages de félicitations arrivent du monde entier.

 

L’élargissement du fondateur historique du Parti des travailleurs a été salué par le camp progressiste. Depuis la première puissance mondiale, le candidat démocrate Bernie Sanders rappelé qu’en « tant que président, Lula a fait plus que quiconque pour diminuer la pauvreté et défendre les travailleurs », en précisant que « jamais il n’aurait dû aller en prison ». Chaudes félicitations également depuis l’Argentine, où se réunissait le Groupe Puebla, une structurant visant à rassembler des forces du centre et progressistes du continent.  « Je crois que le Brésil et l’Amérique récupèrent une personne qui, malgré tout, continue d’être un symbole, et qu’il le sera pour longtemps », a réagi José « Pepe » Mujica, sénateur et ancien président de l’Uruguay. Élu le 27 octobre, à la tête de l’Argentine, Alberto Fernandez, qui avait rendu visite à Lula à la prison de Curitiba où il purgeait une peine de douze ans de prison, a salué le courage de l’homme qui a affronté une persécution politique inouïe. Même tonalité pour l’ancienne cheffe de l’Etat argentin, Cristina Kirchner, qui prendra ses fonctions de vice-présidente  le 10 décembre. « Aujourd’hui, l’une des grandes aberrations du lawfare (persécution juridique, NDLR) a pris fin», a-t-elle tweetée. « Quelle joie mon frère ! Des vents démocratiques et de refondation approchent de la Grande Patrie », s’est réjoui l’argentin Adolfo Perez Esquivel, prix Nobel de la paix et fondateur du comité international qui souhaitait octroyer ce prestigieux à Lula pour son combat contre la faim au Brésil. Plus au nord, le président vénézuélien Nicolas Maduro n’a pas été en reste, saluant “la liberté de son frère Lula”. Son prédecesseur et le chef de file de la gauche brésilienne ont été des chevilles ouvrières de l’inclusion sociale et de l’intégration sur le continent. 

En Europe, Ada Colau, la maire de Barcelone, s’est elle aussi félicitée de cette libération. En France, la libération de l’ancien chef de l’Etat a également été accueillie positivement par la gauche. Jean-Luc Mélenchon, qui l’avait visité dans sa prison à la rentrée, a qualifié la sortie de Lula de « victoire ». « La justice a démenti son ministre et refusé de servir ses basses besognes. Le juge Moro et ses amis sont désavoués », a tancé le responsable de La France Insoumise, en référence à l’homme de loi qui a injustement fait incarcérer Lula, et qui a depuis été promu ministre de la Justice par le président d’extrême droite Jair Bolsonaro. « C’est une étape importante pour la libération totale de Lula » qui reste inquiété par la justice, « et le rassemblement de tous les progressistes brésiliens », a défendu Fabien Roussel, secrétaire national du Parti communiste français. « Lula libre, c’est le Brésil qui respire !» a-t-il ajouté. L’ex-président François Hollande qui, avec d’autres chefs d’États et de gouvernements européens s’était exprimé contre l’arbitraire judiciaire qui a frappé Lula, a déclaré que sa place « n’était pas  en prison ». « La liberté lui a été rendue, je sais qu’il la mettra au service du Brésil », a-t-il assuré. De son côté, la maire de Paris, Anne Hidalgo, a invité le leader historique du PT à venir dans la capitale dont il a été fait citoyen d’honneur le 3 octobre. 

 
Libération de Lula: joie et émotion (Fabien Roussel, secrétaire national du PCF, 10 novembre 2019) - et article de Cathy Dos Santos dans l'Humanité
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11 novembre 2019 1 11 /11 /novembre /2019 06:18
Jusqu'à quand l'OTAN? - Serge Halimi, éditorial du Monde Diplomatique, novembre 2019

Jusqu'à quand l'OTAN? -

Par Serge Halimi, Le Monde Diplomatique, éditorial, novembre 2019

Depuis que l’adhésion du Royaume-Uni au Marché commun a ouvert la voie à un élargissement continu de l’Union européenne, on peine à détecter chez elle une politique étrangère digne de ce nom. Car parfois, plus, c’est moins : le compromis verbeux, pas l’affirmation ; l’effacement, pas la puissance. Dorénavant, l’Union compte une majorité d’États qui ont participé aux aventures impériales des États-Unis (seize de ses membres actuels ont contribué à la guerre d’Irak) ; elle relaie l’ingérence de Washington en Amérique latine (d’où la reconnaissance absurde de l’opposition vénézuélienne comme gouvernement légal) ; elle feint de s’opposer aux caprices de l’administration Trump, mais rentre dans le rang sitôt que celle-ci menace de la punir (sanctions économiques contre les entreprises qui commercent avec l’Iran). L’Europe pesait davantage au Proche-Orient avant son élargissement. Et si Charles de Gaulle s’opposait à l’adhésion du Royaume-Uni au Marché commun parce qu’il pensait que ce pays deviendrait le cheval de Troie américain sur le Vieux Continent, les États-Unis n’ont rien à craindre du Brexit. Car, au fil des décennies, l’Union européenne est devenue leur écurie.

La domination de Washington est encore plus humiliante en matière de défense. Créée pendant la guerre froide, l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN) en est l’instrument. L’aval de la Maison Blanche suffit pour qu’un État membre de cette alliance en colonise un autre (la Turquie occupe une partie de Chypre depuis quarante-cinq ans) ou traite un de ses voisins comme sa « zone de sécurité » — l’armée d’Ankara, deuxième de l’OTAN, vient d’envahir le nord de la Syrie afin d’y liquider l’autonomie kurde (lire « Ankara et Moscou, jeu de dupes en Syrie »). Mais Washington s’en accommode tant que le régime de M. Recep Tayyip Erdoğan continue de surveiller une des frontières maritimes de la Russie, d’acheter 60 % de ses armes aux États-Unis et d’abriter des têtes nucléaires américaines. Et peu importe également à M. Jens Stoltenberg, secrétaire général de l’OTAN, une marionnette américaine affublée du sobriquet éloquent de « Tony Blair norvégien », puisque la Turquie, selon lui, « agit avec retenue et en coordination avec les autres alliés de manière à préserver nos gains face à notre ennemi commun, Daech ».

En envahissant l’Irak en 2003 sous un motif fallacieux, le pays dont l’OTAN est le relais obéissant a provoqué le chaos actuel au Proche-Orient. Sur leur lancée, les États-Unis ont, avec d’autres, déclenché une guerre en Libye, puis, seuls cette fois, remis en cause l’accord nucléaire de juillet 2015 avec l’Iran (dont la conclusion avait pourtant marqué un de leurs rares moments de sagesse de la décennie…). En octobre dernier, au moment de livrer les Kurdes à l’armée turque sans consulter ses « alliés » européens de l’OTAN présents sur place, le président américain a envoyé un tweet d’une admirable franchise : « J’espère qu’ils se débrouilleront tous, nous on est à 11 000 kilomètres ! » Continuer à subir ce suzerain fantasque qui n’a d’autre intérêt que le sien revient à admettre une relégation définitive au rang de protectorat. Pour que l’Europe en sorte, il faut qu’elle sorte de l’OTAN.

Serge Halimi

Jusqu'à quand l'OTAN? - Serge Halimi, éditorial du Monde Diplomatique, novembre 2019
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9 novembre 2019 6 09 /11 /novembre /2019 10:36
"19 femmes" de Samar Yazbek - l'héroïsme de femmes syriennes dans la guerre (Muriel Steinmetz, L'Humanité, 7 novembre 2019)
L’héroïsme de femmes syriennes dans la guerre
Jeudi, 7 Novembre, 2019

19 femmes Samar Yazbek, traduit de l’arabe (Syrie) par Emma Aubin-Boltanski et Nibras Chehayed Stock, 425 pages, 22,50 euros
Grâce à des témoignages étayés, la romancière Samar Yazbek, délaissant un temps la fiction, fait entendre la voix de ses compatriotes, celles dont on parle peu, qui ont tant à dire sur ce qu’elles ont vécu.

 

Opposante à Bachar Al Assad, la romancière, poète et journaliste Samar Yazbek (née en 1970 à Jableh, en Syrie), plus d’une fois menacée de mort par sa propre communauté, les Alaouites – à la tête de l’appareil sécuritaire et militaire syrien –, publie un document poignant. Elle y donne la parole à ses compatriotes en première ligne durant la révolution de 2011. Leur calvaire, leur résistance acharnée, leur rôle au plus fort de la lutte constituent la chair de ce livre qu’on dirait écrit avec leur sang. Samar Yazbek s’efface derrière ces voix plurielles. N’est-elle pas la 20e femme de son livre ? Contrainte à l’exil en 2011 avec sa fille, elle retourne clandestinement en Syrie en 2012 et 2013, observant sur place la militarisation et la radicalisation à l’œuvre au nord du pays. En retrait de sa vocation de romancière, la voici greffière de la vie des autres, hors récit officiel, consignant par écrit « des faits incontestables ». La plupart de ces femmes sont aujourd’hui en exil en France, en Allemagne, en Hollande, au Canada, en Turquie, au Liban… Issues de la classe moyenne, elles font ou ont fait des études. Samar Yazbek s’est promis de recueillir bientôt les témoignages de Syriennes issues de classes pauvres et réfugiées dans des camps, et ceux de femmes kurdes, ainsi que d’opposantes au soulèvement de 2011. Œuvre de vérité en cours qui dessinera, à la longue, une terre en lambeaux éprouvée du dedans.

Elles exigeaient la fin d’une culture patriarcale étouffante

Ces 19 femmes, dès le début de la révolution de mars 2011, se sont dressées contre le régime dictatorial de Bachar Al Assad. Elles exigeaient la démocratie, des changements dans leurs conditions de vie, des droits élargis, ainsi que la fin d’une culture patriarcale étouffante. La plus jeune a 20 ans quand éclate la révolution, la plus âgée, 77. Sara, Mariam, Doucha, Souad, Amal, ­Hazami, Faten… sont alaouites, sunnites, chiites, druzes, chrétiennes… Peu sont alors politisées, hormis deux, dont l’une a été membre du « Parti de l’action communiste » interdit. Elles viennent de toutes les régions du pays. On les entend dans leur quotidien d’effroi. Toutes sont devenues activistes dans l’urgence. Elles ont essuyé les tirs de mortier, les bombes au chlore, le gaz sarin, armes chimiques aux dégâts extrêmes (« le sol jonché d’intestins », « On ne faisait que ramasser des cadavres déchiquetés »). Certaines ont dû recoudre des corps en charpie pour les rendre présentables. Elles se sont improvisées infirmières d’urgence. Beaucoup ont perdu un père, une mère, des frères. Elles ont organisé des centres d’éducation dans les sous-sols. Les hommes, y compris ceux de l’Armée syrienne libre, voyaient souvent d’un mauvais œil leurs initiatives. Elles ont été progressivement empêchées d’agir, d’abord par le régime, les conseils locaux, les brigades et enfin les djihadistes. On les humilie, on les jalouse. Qu’à cela ne tienne. « Invraisemblablement courageuses », elles alphabétisent, animent des ateliers clandestins pour former leurs sœurs à « l’autonomie économique », créent des bureaux d’aide psychologique. Elles filment et documentent les événements au péril de leur vie. Elles ont pour la plupart été torturées, ou prises en otage. Le corps capté par les hommes de tout poil, elles sont contraintes de se voiler de la tête aux pieds lorsque Daech gagne du terrain. « Tout ce qui touchait à notre présence et à notre apparence les rendait dingues », dit l’une d’elles.

L’ouvrage éclaire aussi sur les rivalités entre groupes rebelles, du sécularisme démocratique de l’Armée syrienne libre au « djihadisme gradué d’al-Nosra et de Daech » en passant par « le salafisme nationaliste » de Jaych al-Islam. Il analyse la flamme du confessionnalisme allumée par le régime, les collusions entre Assad et les brigades salafistes, le rôle délétère de l’argent saoudien… Zaina Erhaim dit : « Nous revendiquions plus de liberté et de dignité et nous n’avons obtenu qu’asservissement et humiliation. »

Muriel Steinmetz
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8 novembre 2019 5 08 /11 /novembre /2019 09:26
FAUSSAIRES (Pierre RIMBERT - Monde diplomatique)

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7 novembre 2019 4 07 /11 /novembre /2019 06:54

 

Des marinas, des terres côtières, les entreprises de gaz et d’électricité, l’aéroport d’Athènes… Le gouvernement de Kyriakos Mitsotakis entend vendre les fleurons publics pour mener sa politique libérale.

Le premier ministre grec, Kyriakos Mitsotakis, a beau être issu de l’aile la plus droitière de la droite, cela ne l’empêche pas de brader le patrimoine national au profit de compagnies étrangères. La semaine dernière, le fonds de privatisation grec (HRADF) a annoncé que dix groupes se sont portés candidats pour acquérir 30 % des parts de l’Aéroport international d’Athènes (AIA). Cette entreprise est une manne. Avec ses 24 millions de passagers annuels, AIA génère un demi-milliard d’euros par an. Toute ressemblance avec une situation existante en France n’est pas que pure coïncidence. Sur les rangs pour s’en emparer, on trouve les français Vinci Airports et… Aéroports de Paris, dont le gouvernement d’Édouard Philippe entend se défausser ! La vente de ces parts entraînera une perte de contrôle par la puissance publique au profit d’une entité allemande, AviAlliance Gmbh, qui détient déjà 40 % des parts de l’aéroport et qui est elle-même propriété d’un fonds de pension canadien.

Le gouvernement semble prêt à vendre toutes les infrastructures pourtant importantes dans un pays dont une partie des ressources provient de la manne touristique. La semaine dernière encore, s’est tenu le quatrième sommet euro-arabe. À cette occasion, le ministre du Tourisme, Harry Theoharis, a courtisé les détenteurs de pétrodollars. « Les infrastructures touristiques existantes décrites dans le plan du fonds de privatisation grec, telles que les marinas, forment un portefeuille riche qui peut attirer les intérêts d’investisseurs du monde arabe », a-t-il exposé. Nombre de ces lieux où peuvent accoster les bateaux, souvent des yachts de luxe, sont en vente. Le 21 octobre, a été lancée la mise en concession pour trente-cinq années d’un port de plaisance à Itea, en Grèce centrale, dans le but d’accroître l’activité portuaire. Des terres côtières sont également mises à l’encan.

Le processus de dénationalisation ne s’arrête pas au seul secteur touristique. Un projet inquiète une partie de la gauche : la vente d’Hellinikon, près d’Athènes, un lieu qui a, par le passé, servi d’aéroport et aux JO d’Athènes. Un super-complexe immobilier d’une valeur de 8 milliards d’euros doit y voir le jour. Les services de base sont également touchés. Le 24 octobre, les fonctionnaires d’Athènes étaient en grève contre un projet de loi, en examen à la Vouli (le Parlement), qui permet de privatiser la maintenance des parcs, le nettoyage des rues et l’éclairage public. À Athènes, les habitants se mobilisent contre la vente de l’eau au privé. L’électricité est également dans le viseur, tout comme le gaz. Ainsi, le gouvernement actuel entend vendre 65 % de ses parts dans l’opérateur Depa, quand l’exécutif précédent souhaitait conserver une prééminence du public.

L’argent des privatisations, une goutte d’eau dans un océan de dettes

C’est là une différence notable entre le gouvernement de Tsipras (2015-2019), à qui la troïka a tordu le bras en 2015 afin qu’il vende les entreprises publiques, et celui de Mitsotakis, qui est, lui, très fier d’appliquer un tel programme. Preuve que le choix du privé est érigé en politique, le premier ministre avait promis avant son élection que le projet d’« Hellinikon se débloquera dès la première semaine de gouvernement ». Jusqu’à présent, il était bloqué en raison d’un recours. Le champion de la droite nationaliste grecque escompte récupérer 1,5 milliard d’euros cette année en privatisant à tout-va. Cette politique est pleinement en accord avec ce que demandent les autres États européens à Athènes depuis 2011 : 50 milliards d’euros de ventes… qui bénéficieront en premier lieu aux capitalistes de leurs frontières. Elle sera en revanche sans effet sur la dette, qu’elle est censée réduire. Depuis cette date, seuls 6 milliards d’euros de fonds ont été levés grâce aux diverses dénationalisations. Or, la dette grecque s’établissait à 334 milliards d’euros à la mi-2018. Les privatisations, si elles aboutissaient, représenteraient une goutte d’eau dans un océan de dettes. Même Christine Lagarde, alors présidente du Fonds monétaire international, estimait à la mi-2018 que la dette grecque était insoutenable à long terme et qu’il fallait se préparer, si nécessaire, à l’alléger.

Gaël De Santis

 

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