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3 avril 2020 5 03 /04 /avril /2020 12:55
Covid-19: Violence, autoritarisme et mensonges au Moyen-Orient et au Maghreb

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Régions les plus inégalitaires du monde et soumises à des guerres récurrentes et meurtrières le Moyen-Orient mais aussi le Maghreb doivent faire face à une montée dangereuse de la pandémie de Covid-19. Les dénis des dirigeants, la censure, l'absence de transparence, le contrôle de l'information et les communiqués rassurants ne permettent pas de se faire idée claire de la situation même si tous les indicateurs traduisent inexorablement une progression rapide de la maladie. Dans ce contexte, la peur, la colère et la défiance déjà largement entamée montent dans les populations.

En Iran, l'un des premiers foyers mondiaux, la pandémie continue à faire des ravages mais ne fait l'objet que d'une couverture médiatique minimale et une falsification grossière sous-estime à outrance le nombre de victimes. Les sanctions adoptées par les États-Unis, en dépit d'un appel de l'ONU à les lever, accentuent la crise sanitaire et ce n'est pas l'initiative symbolique de la structure Instex (Instrument in Support of Trade Exchanges) des pays européens qui améliorera la situation. Le régime profite du contexte pour couvrir de louanges les gardiens de la Révolution ainsi que le clergé alors que les personnels soignants sont contraints au mutisme. Les informations qui circulent sur les réseaux sociaux font l'objet d'une surveillance accrue et le pouvoir a procédé à de nombreuses arrestations dans ces milieux.

En raison de son importance démographique et des fortes densités dans la région du Caire, l’Égypte constitue une véritable bombe virale. Le mensonge, pendant quinze jours, a été le premier réflexe de la dictature du maréchal al-Sissi. Les mesures de protection actuelles témoignent de l'ampleur des dissimulations du pouvoir face à la croissance des contaminations et des décès. Les autorités diffusent de fausses nouvelles, incarcèrent des blogueurs indépendants et réduisent au silence les médecins. Avec l'absence de mesures sociales en faveur des plus pauvres, il est vain d'envisager d'enrayer cette propagation.

En Turquie, la croissance exponentielle du nombre de cas est également masquée par les autorités. Le patronat turc continue à inviter les travailleurs à se rendre sur leur lieu de travail, à consommer dans les supermarchés pour soutenir une économie déjà chancelante. Dans le même esprit, les prières du vendredi se poursuivent afin d'expliquer aux fidèles la nécessité d'une certaine distanciation. Le gouvernement se refuse à prendre des mesures de confinement en dépit des protestations du CHP et du HDP et R.T. Erdogan a fait interpeller plus de 500 internautes pour "provocations" et "fausses nouvelles".

Le nouveau pouvoir algérien, dans la continuité des précédents s'en prend aux "détracteurs", aux "défaitistes" alors qu'il prétend rassurer la population en affirmant que la situation est sous contrôle. Les contrevenants sont menacés de poursuites judiciaires mais l'esprit de liberté qui flotte sur l'Algérie depuis février a conduit les médecins et les citoyens à braver ces interdits.

L'incompétence des dirigeants, les manipulations et leur mépris de leur société frappent partout à l'identique.

Dans les régions en guerre, la crainte du désastre annoncé se fait chaque jour plus pressante. Il en va ainsi à Gaza, en Syrie dans les camps de prisonniers, les zones de combats comme Idlib frappant de plein fouet les réfugiés démunis. La pandémie pourrait prendre un caractère dramatique.

En Israël, B. Netanyahou a mis en place un système de surveillance de masse par la collecte des données personnelles permettant de contrôler les populations et restreignant les libertés.

Dans les pays du Golfe (Émirats arabes unis, Arabie saoudite, Koweït, Qatar...) la pandémie accroît le mépris à l'égard des migrants du sud-est asiatique. Privés de droits, suspectés d'être des vecteurs de la maladie, assignés à des rôles dégradants, ils sont pourtant contraints de poursuivre leurs activités sur les chantiers de constructions.

L'importance et la gravité de la pandémie va mettre à rude épreuve des systèmes de santé affaiblis ou détruits par les politiques néolibérales et les guerres. A n'en pas douter, les plus puissants bénéficieront seuls de l'accès aux soins ou auront les moyens de fuir tandis que les populations subiront la mort ou la brutale répression.

Enfin, les tyrans régionaux voient dans la pandémie un moyen de calmer les contestations qui se déroulent en Irak, au Liban ou en Algérie. Ils estiment ainsi que cela retardera la déflagration sociale que pourrait provoquer l'effondrement des économies déjà vulnérables. Sur ces terreaux, les forces obscurantistes ne manqueront pas de prospérer.

Il est donc totalement illusoire de considérer qu'il y aurait des solutions exclusivement nationales à un problème global. La solidarité et la coopération constituent un impératif pour sortir de cette spirale mortifère.

Pascal TORRE
responsable-adjoint du secteur international du PCF
chargé du Maghreb et du Moyen-Orient

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3 avril 2020 5 03 /04 /avril /2020 06:00
 La Commission européenne a demandé 63 fois aux états de réduire les dépenses de santé  dénonce l’eurodéputé Martin Schirdewan (coprésident de la Gauche Unitaire Européenne)
Jeudi, 2 Avril, 2020 - L'Humanité
« La Commission a demandé 63 fois aux états de réduire les dépenses de santé » dénonce l’eurodéputé Martin Schirdewan

Entretien avec Martin Schirdewan, coprésident de la Gauche unitaire européenne, sur le rôle des politiques d’austérité dans la dégradation du secteur public de la santé en Europe.

 

Vous dénoncez la responsabilité des politiques de l’Union européenne (UE) en matière de santé. Pourquoi ?

Martin Schirdewan À 63 reprises entre 2011 et 2018, la Commission européenne a recommandé aux États membres de l’UE de privatiser certains pans du secteur de la santé ou de réduire les dépenses publiques en matière de santé. Ces recommandations ont visé quasiment tous les États, qui ont en général obtempéré. Il y a évidemment un impact sur l’état des systèmes de santé nationaux, notamment dans les pays affectés par la crise financière (des années 2010 – NDLR). C’est d’autant plus grave aujourd’hui, avec la crise du coronavirus. La capacité de réaction des pays est affaiblie.

Ces recommandations expliquent-elles pourquoi les hôpitaux européens ne sont pas en mesure de faire face à la crise ?

Martin Schirdewan Elles témoignent du régime de gouvernance économique et révèlent que le modèle économique néolibéral de l’UE n’est pas capable de maintenir les services publics et de protéger les besoins fondamentaux des citoyens. Le problème, ce n’est pas les recommandations en soi, mais le fait que le modèle économique de l’UE repose sur l’austérité et pas sur la solidarité. Aujourd’hui, le manque de personnel, d’unités de soins et d’équipements médicaux dans les hôpitaux est un résultat direct des politiques d’austérité qui ont détourné l’argent du secteur public vers le secteur privé.

La santé publique relève du domaine de compétence des États membres. L’UE est-elle seule responsable ?

Martin Schirdewan Non, bien sûr, ce sont les États membres qui ont mené et appliqué les politiques d’austérité. Il faut demander des comptes aussi aux gouvernements nationaux. Cependant, les politiques nationales sont contraintes par le cadre européen. C’est ce à quoi nous devons réfléchir maintenant : nous devons nous débarrasser définitivement du pacte de stabilité et de croissance (qui a été suspendu le 20 mars – NDLR), qui limite les dépenses des États de manière totalement arbitraire. Il faut une nouvelle gouvernance économique, qui permette aux États membres de s’attaquer à la crise du secteur de la santé immédiatement et de faire face au dramatique impact socio-économique de la crise du coronavirus.

Justement, que serait une politique européenne progressiste en matière de santé ?

Martin Schirdewan Il faut d’abord redéfinir la notion de service public au niveau européen : les services publics doivent à nouveau servir les peuples. Plutôt que de réduire les dépenses publiques, les États membres doivent investir bien davantage dans le secteur de la santé. Il faudrait qu’ils puissent à tout moment dépenser autant d’argent qu’ils le souhaitent dans les services publics. Ensuite, je pense que la santé doit être administrée par l’État, notamment pour que tout le monde puisse y avoir accès. Nous devons renationaliser ce qui a été privatisé, c’est indispensable. La raison d’être des hôpitaux est de protéger la santé des gens, pas de faire du profit. Sortons les services publics, et la santé en particulier, de la logique capitaliste ! Ce n’est pas au marché de définir les politiques de santé.

L’échelon européen n’est-il pas le plus adapté pour répondre à la crise ?

Martin Schirdewan Je pense que les deux niveaux de réponse sont importants. Il faut une réponse européenne basée sur la solidarité. Et en même temps, il faut une réflexion nationale sur les structures de santé.

entretien réalisé par Samuel Ravier-Regnat
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3 avril 2020 5 03 /04 /avril /2020 05:30
Union européenne. La responsabilité de Bruxelles dans la sape de l’hôpital public (Thomas Lemahieu, L'Humanité, 2 avril 2020)
Jeudi, 2 Avril, 2020 - L'Humanité
Union européenne. La responsabilité de Bruxelles dans la sape de l’hôpital public

La santé n'est pas de notre ressort, se dédouannent les institutions européennes depuis le début de cette crise sanitaire. Sauf qu'à travers la règle d’or en matière budgétaire, leurs modèles de réformes et autres "bonnes pratiques", ces institutions refaçonnent effectivement le secteur de la santé des pays membres. Avec des conséquences budgétaires lourdes d'effets depuis... la crise économique et financière de 2008-2009.

Il y a un mois, devant les premiers signes de la pandémie déferlant sur le continent, Bruxelles a tenté de se mettre aux abonnés absents. Quand, au fil des jours, les inquiétudes commençaient à s’exprimer sur la capacité des systèmes de santé à encaisser le choc gigantesque dans chaque pays, le mot d’ordre dans les institutions européennes, comme pour leurs relais dans les médias dominants, c’était : « La santé n’entre pas dans le champ de compétences de l’Union européenne, voyez ça avec les États membres ! » Sur le papier, c’est rigoureusement exact… Mais ça ne l’est que sur le papier : en réalité, avec le pacte de stabilité, bien sûr, les règles draconiennes en matière de déficit public dans la zone euro et les mécanismes néolibéraux de surveillance comme le semestre européen – un cycle politique émaillé de « recommandations » aux États membres, émises par la Commission européenne et validées par le Conseil des chefs d’État et de gouvernement –, les moyens dédiés aux systèmes sanitaires dans les pays européens sont directement affectés par les diktats budgétaires de l’Union européenne. Et l’organisation de l’hôpital public, en particulier, est, elle, largement inspirée par les « bonnes pratiques » recensées par les institutions bruxelloises : partenariats public-privé ou privatisations, logiques de productivité dans l’utilisation des moyens, pressions à la baisse sur les effectifs de personnels soignants, etc.

En Grèce, en Irlande, un niveau de dépenses pour la santé publique en 2017 inférieur à celui de 2009

Les impacts budgétaires sont très frappants dans les États ciblés par les logiques les plus austéritaires, mais ils touchent, en vérité, tout le monde. Selon une étude publiée, en décembre 2019, par Rita Baeten, Slavina Spasova et Bart Vanhercke, trois chercheurs de l’Observatoire social européen, dans la Revue belge de Sécurité sociale, les dépenses de santé ont significativement baissé à la suite de la crise économique et financière de 2008-2009. Dans plusieurs pays, comme l’Italie, l’Espagne, la Grèce, le Portugal, Chypre et l’Irlande, les coupes budgétaires imposées dans le cadre des programmes d’ajustement avec les créanciers ont provoqué une réduction drastique dans les dépenses publiques de santé. À l’échelle de toute l’Union européenne, alors que le budget par habitant consacré à la santé avait augmenté de 3,1 % par an entre 2005 et 2009, cette croissance a été ramenée à 0,6 % par an entre 2009 et 2013, puis autour de 1,9 % ensuite… Autre élément frappant d’une décennie meurtrière dans ce domaine comme dans celui des droits sociaux, des salaires et des emplois : en Grèce et en Irlande, le niveau de dépenses pour la santé publique en 2017 était toujours inférieur à celui de 2009.

A l’automne 2019, 16 pays recevaient toujours des "recommandations spécifiques"

Cela n’est pas tout car, sous couvert de coordination des politiques macroéconomiques, la Commission et le Conseil dictent également les réformes du secteur public de santé dans toute l’Europe. À travers les « recommandations spécifiques par pays », les institutions suggèrent des contre-réformes dans de plus en plus d’États membres depuis la mise en place du mécanisme du semestre européen en 2011, là encore dans le contexte de crise de la zone euro… Si, au début, toutes les consignes, relativement limitées – la première année, seuls trois pays avaient reçu des « recommandations » en matière de santé publique – concernaient « l’amélioration de l’efficacité des dépenses », elles ont vite été réorientées et élargies : dès 2013, 17 États membres reçoivent un viatique qui va jusqu’à détailler les politiques à mettre en œuvre dans le domaine sanitaire ; ils étaient encore 16 à recevoir ces éléments à l’automne 2019 avec, par exemple, un appel pour le Portugal à en finir avec les « arriérés de paiement » dans les hôpitaux publics…

En France, une réforme saluée...

La France est, elle aussi, sous étroite surveillance. Comme la Commission le relève dans son rapport spécifique sur notre pays, paru fin février, « le ratio des dépenses publiques de la France à son PIB reste, à 56 % en 2018, le plus élevé de l’UE ». En 2019, dans leurs recommandations, les institutions européennes saluaient la réforme du système de santé, contestée vigoureusement par les personnels soignants, et encourageaient Emmanuel Macron, tout en dévoilant une fois de plus un pan de leur projet néolibéral : « Cette réforme ne pourra réussir que si un cadre juridique et organisationnel clair, créant les bonnes incitations et promouvant la collaboration entre les acteurs publics et privés, est mis en place. »​​​​​​​

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3 avril 2020 5 03 /04 /avril /2020 05:00
Covid 19 - Contre les pandémies, l'écologie - Article de Sonia Shah dans Le Monde Diplomatique de mars 2020

Afin d’endiguer la progression de ce que l’Organisation mondiale de la santé qualifie depuis le 11 mars de pandémie, plusieurs pays dont l’Italie, l’Espagne et la France ont mis en place des mesures de confinement drastiques, comme l’avait fait Pékin quelque temps après l’apparition du coronavirus sur le sol chinois (voir le dossier du numéro d’avril, « Covid-19, et la vie bascula ») .

D’où viennent les coronavirus ?

Contre les pandémies, l’écologie

Même au XXIe siècle, les vieux remèdes apparaissent aux yeux des autorités chinoises comme le meilleur moyen de lutter contre l’épidémie due au coronavirus. Des centaines de millions de personnes subiraient des restrictions dans leurs déplacements. N’est-il pas temps de se demander pourquoi les pandémies se succèdent à un rythme de plus en plus soutenu ?

 

Serait-ce un pangolin ? Une chauve-souris ? Ou même un serpent, comme on a pu l’entendre un temps avant que cela ne soit démenti ? C’est à qui sera le premier à incriminer l’animal sauvage à l’origine de ce coronavirus, officiellement appelé SRAS-CoV-2 (1), dont le piège s’est refermé sur plusieurs centaines de millions de personnes, placées en quarantaine ou retranchées derrière des cordons sanitaires en Chine et dans d’autres pays. S’il est primordial d’élucider ce mystère, de telles spéculations nous empêchent de voir que notre vulnérabilité croissante face aux pandémies a une cause plus profonde : la destruction accélérée des habitats.

Depuis 1940, des centaines de microbes pathogènes sont apparus ou réapparus dans des régions où, parfois, ils n’avaient jamais été observés auparavant. C’est le cas du virus de l’immunodéficience humaine (VIH), d’Ebola en Afrique de l’Ouest, ou encore de Zika sur le continent américain. La majorité d’entre eux (60 %) sont d’origine animale. Certains proviennent d’animaux domestiques ou d’élevage, mais la plupart (plus des deux tiers) sont issus d’animaux sauvages.

Or ces derniers n’y sont pour rien. En dépit des articles qui, photographies à l’appui, désignent la faune sauvage comme le point de départ d’épidémies dévastatrices (2), il est faux de croire que ces animaux sont particulièrement infestés d’agents pathogènes mortels prêts à nous contaminer. En réalité, la plus grande partie de leurs microbes vivent en eux sans leur faire aucun mal. Le problème est ailleurs : avec la déforestation, l’urbanisation et l’industrialisation effrénées, nous avons offert à ces microbes des moyens d’arriver jusqu’au corps humain et de s’adapter.

La destruction des habitats menace d’extinction quantité d’espèces (3), parmi lesquelles des plantes médicinales et des animaux sur lesquels notre pharmacopée a toujours reposé. Quant à celles qui survivent, elles n’ont d’autre choix que de se rabattre sur les portions d’habitat réduites que leur laissent les implantations humaines. Il en résulte une probabilité accrue de contacts proches et répétés avec l’homme, lesquels permettent aux microbes de passer dans notre corps, où, de bénins, ils deviennent des agents pathogènes meurtriers.

Ebola l’illustre bien. Une étude menée en 2017 a révélé que les apparitions du virus, dont la source a été localisée chez diverses espèces de chauves-souris, sont plus fréquentes dans les zones d’Afrique centrale et de l’Ouest qui ont récemment subi des déforestations. Lorsqu’on abat leurs forêts, on contraint les chauves-souris à aller se percher sur les arbres de nos jardins et de nos fermes. Dès lors, il est facile d’imaginer la suite : un humain ingère de la salive de chauve-souris en mordant dans un fruit qui en est couvert, ou, en tentant de chasser et de tuer cette visiteuse importune, s’expose aux microbes qui ont trouvé refuge dans ses tissus. C’est ainsi qu’une multitude de virus dont les chauves-souris sont porteuses, mais qui restent chez elles inoffensifs, parviennent à pénétrer des populations humaines — citons par exemple Ebola, mais aussi Nipah (notamment en Malaisie ou au Bangladesh) ou Marburg (singulièrement en Afrique de l’Est). Ce phénomène est qualifié de « passage de la barrière d’espèce ». Pour peu qu’il se produise fréquemment, il peut permettre aux microbes issus des animaux de s’adapter à nos organismes et d’évoluer au point de devenir pathogènes.

Il en va de même des maladies transmises par les moustiques, puisque un lien a été établi entre la survenue d’épidémies et la déforestation (4) — à ceci près qu’il s’agit moins ici de la perte des habitats que de leur transformation. Avec les arbres disparaissent la couche de feuilles mortes et les racines. L’eau et les sédiments ruissellent plus facilement sur ce sol dépouillé et désormais baigné de soleil, formant des flaques favorables à la reproduction des moustiques porteurs du paludisme. Selon une étude menée dans douze pays, les espèces de moustiques vecteurs d’agents pathogènes humains sont deux fois plus nombreuses dans les zones déboisées que dans les forêts restées intactes.

Dangers de l’élevage industriel

La destruction des habitats agit également en modifiant les effectifs de diverses espèces, ce qui peut accroître le risque de propagation d’un agent pathogène. Un exemple : le virus du Nil occidental, transporté par les oiseaux migrateurs. En Amérique du Nord, les populations d’oiseaux ont chuté de plus de 25 % ces cinquante dernières années sous l’effet de la perte des habitats et d’autres destructions (5). Mais toutes les espèces ne sont pas touchées de la même façon. Des oiseaux dits spécialistes (d’un habitat), comme les pics et les rallidés, ont été frappés plus durement que des généralistes comme les rouges-gorges et les corbeaux. Si les premiers sont de piètres vecteurs du virus du Nil occidental, les seconds, eux, en sont d’excellents. D’où une forte présence du virus parmi les oiseaux domestiques de la région, et une probabilité croissante de voir un moustique piquer un oiseau infecté, puis un humain (6).

Même phénomène s’agissant des maladies véhiculées par les tiques. En grignotant petit à petit les forêts du Nord-Est américain, le développement urbain chasse des animaux comme les opossums, qui contribuent à réguler les populations de tiques, tout en laissant prospérer des espèces bien moins efficaces sur ce plan, comme la souris à pattes blanches et le cerf. Résultat : les maladies transmises par les tiques se répandent plus facilement. Parmi elles, la maladie de Lyme, qui a fait sa première apparition aux États-Unis en 1975. Au cours des vingt dernières années, sept nouveaux agents pathogènes portés par les tiques ont été identifiés (7).

Les risques d’émergence de maladies ne sont pas accentués seulement par la perte des habitats, mais aussi par la façon dont on les remplace. Pour assouvir son appétit carnivore, l’homme a rasé une surface équivalant à celle du continent africain (8) afin de nourrir et d’élever des bêtes destinées à l’abattage. Certaines d’entre elles empruntent ensuite les voies du commerce illégal ou sont vendues sur des marchés d’animaux vivants (wet markets). Là, des espèces qui ne se seraient sans doute jamais croisées dans la nature se retrouvent encagées côte à côte, et les microbes peuvent allègrement passer de l’une à l’autre. Ce type de développement, qui a déjà engendré en 2002-2003 le coronavirus responsable de l’épidémie de syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS), est peut-être à l’origine du coronavirus inconnu qui nous assiège aujourd’hui.

Mais bien plus nombreux sont les animaux qui évoluent au sein de notre système d’élevage industriel. Des centaines de milliers de bêtes entassées les unes sur les autres en attendant d’être conduites à l’abattoir : voilà des conditions idéales pour que les microbes se muent en agents pathogènes mortels. Par exemple, les virus de la grippe aviaire, hébergés par le gibier d’eau, font des ravages dans les fermes remplies de poulets en captivité, où ils mutent et deviennent plus virulents — un processus si prévisible qu’il peut être reproduit en laboratoire. L’une de leurs souches, le H5N1, est transmissible à l’homme et tue plus de la moitié des individus infectés. En 2014, en Amérique du Nord, il a fallu abattre des dizaines de millions de volailles pour enrayer la propagation d’une autre de ces souches (9).

Les montagnes de déjections produites par notre bétail offrent aux microbes d’origine animale d’autres occasions d’infecter les populations. Comme il y a infiniment plus de déchets que ne peuvent en absorber les terres agricoles sous forme d’engrais, ils finissent souvent par être stockés dans des fosses non étanches — un havre rêvé pour la bactérie Escherichia coli. Plus de la moitié des animaux enfermés dans les parcs d’engraissement américains en sont porteurs, mais elle y demeure inoffensive (10). Chez les humains, en revanche, E. coli provoque des diarrhées sanglantes, de la fièvre, et peut entraîner des insuffisances rénales aiguës. Et comme il n’est pas rare que les déjections animales se déversent dans notre eau potable et nos aliments, 90 000 Américains sont contaminés chaque année.

Bien que ce phénomène de mutation des microbes animaux en agents pathogènes humains s’accélère, il n’est pas nouveau. Son apparition date de la révolution néolithique, quand l’être humain a commencé à détruire les habitats sauvages pour étendre les terres cultivées et à domestiquer les animaux pour en faire des bêtes de somme. En échange, les animaux nous ont offert quelques cadeaux empoisonnés : nous devons la rougeole et la tuberculose aux vaches, la coqueluche aux cochons, la grippe aux canards.

Le processus s’est poursuivi pendant l’expansion coloniale européenne. Au Congo, les voies ferrées et les villes construites par les colons belges ont permis à un lentivirus hébergé par les macaques de la région de parfaire son adaptation au corps humain. Au Bengale, les Britanniques ont empiété sur l’immense zone humide des Sundarbans pour développer la riziculture, exposant les habitants aux bactéries aquatiques présentes dans ces eaux saumâtres. Les pandémies causées par ces intrusions coloniales restent d’actualité. Le lentivirus du macaque est devenu le VIH. La bactérie aquatique des Sundarbans, désormais connue sous le nom de choléra, a déjà provoqué sept pandémies à ce jour, l’épidémie la plus récente étant survenue en Haïti.

Heureusement, dans la mesure où nous n’avons pas été des victimes passives de ce processus, nous pouvons aussi faire beaucoup pour réduire les risques d’émergence de ces microbes. Nous pouvons protéger les habitats sauvages pour faire en sorte que les animaux gardent leurs microbes au lieu de nous les transmettre, comme s’y efforce notamment le mouvement One Health (11).

Nous pouvons mettre en place une surveillance étroite des milieux dans lesquels les microbes des animaux sont le plus susceptibles de se muer en agents pathogènes humains, en tentant d’éliminer ceux qui montrent des velléités d’adaptation à notre organisme avant qu’ils ne déclenchent des épidémies. C’est précisément ce à quoi s’attellent depuis dix ans les chercheurs du programme Predict, financé par l’Agence des États-Unis pour le développement international (Usaid). Ils ont déjà identifié plus de neuf cents nouveaux virus liés à l’extension de l’empreinte humaine sur la planète, parmi lesquels des souches jusqu’alors inconnues de coronavirus comparables à celui du SRAS (12).

Aujourd’hui, une nouvelle pandémie nous guette, et pas seulement à cause du Covid-19. Aux États-Unis, les efforts de l’administration Trump pour affranchir les industries extractives et l’ensemble des activités industrielles de toute réglementation ne pourront manquer d’aggraver la perte des habitats, favorisant le transfert microbien des animaux aux humains. Dans le même temps, le gouvernement américain compromet nos chances de repérer le prochain microbe avant qu’il ne se propage : en octobre 2019, il a décidé de mettre un terme au programme Predict. Enfin, début février 2020, il a annoncé sa volonté de réduire de 53 % sa contribution au budget de l’Organisation mondiale de la santé.

Comme l’a déclaré l’épidémiologiste Larry Brilliant, « les émergences de virus sont inévitables, pas les épidémies ». Toutefois, nous ne serons épargnés par ces dernières qu’à condition de mettre autant de détermination à changer de politique que nous en avons mis à perturber la nature et la vie animale.

Sonia Shah

(1Et non pas Covid-19, qui est le nom de la maladie, comme indiqué par erreur dans la version imprimée.

(2Kai Kupferschmidt, « This bat species may be the source of the Ebola epidemic that killed more than 11,000 people in West Africa », Science Magazine, Washington, DC - Cambridge, 24 janvier 2019.

(3Jonathan Watts, « Habitat loss threatens all our futures, world leaders warned », The Guardian, Londres, 17 novembre 2018.

(4Katarina Zimmer, « Deforestation tied to changes in disease dynamics », The Scientist, New York, 29 janvier 2019.

(5Carl Zimmer, « Birds are vanishing from North America », The New York Times, 19 septembre 2019.

(6BirdLife International, « Diversity of birds buffer against West Nile virus », ScienceDaily, 6 mars 2009.

(7« Lyme and other tickborne diseases increasing », Centers for Disease Control and Prevention, 22 avril 2019.

(8George Monbiot, « There’s a population crisis all right. But probably not the one you think », The Guardian, 19 novembre 2015.

(9« What you get when you mix chickens, China and climate change », The New York Times, 5 février 2016. En France, la grippe aviaire a touché les élevages durant l’hiver 2015-2016, et le ministère de l’agriculture estime qu’un risque existe cet hiver pour les volatiles en provenance de Pologne.

(10Cristina Venegas-Vargas et al., « Factors associated with Shiga toxin-producing Escherichia coli shedding by dairy and beef cattle », Applied and Environmental Microbiology, vol. 82, n° 16, Washington, DC, août 2016.

(11Predict Consortium, « One Health in action », EcoHealth Alliance, New York, octobre 2016.

(12« What we’ve found », One Health Institute.

 

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2 avril 2020 4 02 /04 /avril /2020 06:21
Pandémie: l'Afrique en première ligne face au coronavirus (L'Humanité, 1er avril - Marc de Miramon, Nadjib Touaibia)
Mercredi, 1 Avril, 2020
Pandémie. L’Afrique en première ligne face au coronavirus

Tests inaccessibles, systèmes de santé défaillants, mesures de confinement impossibles à appliquer : en dépit des faibles taux de contamination officiels, le continent cumule toutes les difficultés pour lutter contre la maladie.

 

Il s’agit du parent pauvre de la pandémie mondiale de coronavirus, dans tous les sens du terme : celui où le nombre de contaminations s’avère le plus faible (officiellement, le chiffre oscille autour de 4 000), mais aussi celui où les mécanismes de détection – hospitalisations, tests – comme les capacités d’accueillir et de soigner les malades potentiels demeurent les plus précaires. En dépit de ces handicaps structurels, les réponses gouvernementales se durcissent chaque jour un peu plus, à l’instar du confinement des populations au Nigeria dans les mégalopoles de Lagos ou d’Abuja, où s’entassent des dizaines de millions d’habitants vivant dans des conditions d’hygiène et d’accès à la santé publique déplorables.

Au Sénégal, où un couvre-feu a été décrété la semaine dernière et où la capitale Dakar accueille un des très rares dispositifs médicaux (l’antenne de l’Institut Pasteur) en capacité de réaliser des tests de contamination au Covid-19, les autorités paraissent bien démunies pour faire face à l’épidémie. « Le gouvernement a pris des décisions qui vont dans le bon sens, comme la sensibilisation aux mesures d’hygiène de base pour limiter la propagation du virus, la fermeture des établissements scolaires, les limitations de déplacement et l’interdiction d’un certain nombre de rassemblements », constate Félix Atchadé, médecin membre du Parti de l’indépendance et du travail (PIT), de retour d’une mission sanitaire en Casamance. « Ensuite, il y a la question de la préparation des structures sanitaires à l’accueil des patients atteints par le coronavirus, prévient-il.  Et là, le Sénégal a un énorme problème, comme tous les pays d’Afrique subsaharienne. La plupart des patients atteints d’insuffisance respiratoire ne pourront tout simplement pas être pris en charge. Dans les deux principaux hôpitaux du secteur de Ziguinchor, qui regroupe une population estimée entre 1 et 1,5 million de personnes, il n’y a qu’un seul respirateur en état de fonctionnement. Ensuite, il y a la question de la formation d’un personnel qui est essentiellement préparé à des interventions de routine. Or là, nous sommes confrontés à une épidémie spécifique, où les processus de réanimation exigent des réponses bien particulières. »

Les autorités ont décidé de maintenir les élections législatives

L’insuffisance des structures sanitaires, l’absence de laboratoires pour effectuer des tests et la pénurie de respirateurs artificiels se constatent sur l’ensemble du continent, où les pays les plus touchés demeurent pour le moment l’Afrique du Sud, l’Algérie, le Maroc ou le Sénégal. « La population perçoit très clairement le danger. Mais la réalité africaine est cruelle : la pandémie nous guette et le confinement est pratiquement impossible. Les gens sont pauvres, vivent au jour le jour et ont l’impérieux besoin de sortir pour s’alimenter. Comment leur demander de choisir entre mourir de faim en se confinant à la maison ou prendre le risque de mourir du coronavirus en sortant pour gagner leur pain. À Kinshasa, une ville de près de 12 millions d’habitants, il n’existe qu’une cinquantaine de respirateurs », assure le docteur Denis Mukwege (1), médecin, prix Nobel de la paix en 2018, qui dirige une structure hospitalière en République démocratique du Congo. La pénurie de respirateurs est encore plus criante au Mali, où une poignée d’appareils s’avèrent disponibles à l’échelle d’un pays déjà ravagé par un conflit civil et aux conséquences de la « guerre contre le terrorisme », à laquelle participe la France. En dépit d’une situation sanitaire catastrophique, les autorités maliennes ont décidé de maintenir les élections législatives de dimanche dernier, marquées par l’enlèvement par un groupe armé de Soumaïla Cissé, chef de file de l’opposition malienne. Le président de la Guinée-Conakry, Alpha Condé, a également refusé d’ajourner son calendrier électoral du 22 mars dernier, prévoyant l’adoption d’une nouvelle Constitution ouvrant la voie à un troisième mandat, et le renouvellement de l’Assemblée nationale, provoquant la consternation de son opposition interne et de la communauté internationale.

« Au Burkina Faso, nous voyons l’épidémie se propager dans les zones rurales comme urbaines. Nous craignons qu’elle ne poursuive sa course plus loin, au nord, dans les régions affectées par le conflit. Dans la ville de Djibo, qui a vu sa population doubler en raison de déplacements internes au cours des derniers mois, il serait impossible aux habitants de vivre à distance les uns des autres alors même que l’accès à l’eau et au savon est limité », rappelle Patrick Youssef, directeur régional pour l’Afrique au Comité international de la Croix-Rouge (Cicr). Lequel insiste sur l’effet « dévastateur de la pandémie sur les populations et les systèmes de santé », si « des mesures ne sont pas prises immédiatement pour contenir le virus ».

Des conséquences sociales et alimentaires liées à la pandémie

Timide, la prise de conscience chemine au moins dans le discours officiel. Le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, a ainsi fait part hier de sa « très grande préoccupation pour les pays en développement, et notamment pour les pays africains », appelant à une « aide massive et immédiate » à tous les pays en développement, dans le cadre du G20. S’ajoutant à ces difficultés médicales et sanitaires, l’Afrique risque aussi de se retrouver en première ligne, dans les conséquences sociales et alimentaires liées à la pandémie. La plupart des pays du continent équilibrent leurs budgets nationaux grâce aux exportations des matières premières, dont les cours sont en chute libre à cause du ralentissement de l’économie mondiale. Et une autre flambée, celle des denrées alimentaires massivement importées de l’extérieur, pourrait provoquer, comme lors de la crise économique de 2008, de nouvelles émeutes de la faim.

(1) Le Monde, 28 mars 2020.
Marc de Miramon
Mercredi, 1 Avril, 2020 - L'Humanité
L’aide aux pays pauvres, mais encore ?

Les États pauvres subissent d’ores et déjà de plein fouet la récession mondiale qui s’amorce dans le contexte de la pandémie. Les aides promises se heurteront au mur de la dette.

 

Le virus meurtrier y est d’emblée en terrain conquis… Économie de survie, pauvreté endémique, conditions sanitaires rudimentaires, dans de nombreux pays d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine, il pourrait provoquer un choc aux répliques dévastatrices, dans un contexte de récession mondiale (lire ci-contre). Les institutions internationales tirent la sonnette d’alarme et interpellent les pays riches. La Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (Cnuced) revient sur le « respect des engagements » des dirigeants du G20 en faveur des six milliards de personnes qui vivent en dehors de leurs économies. Les économistes de l’ONU dressent les comptes : pour éviter l’effondrent des pays pauvres, il faut y injecter quelque 1 000 milliards de dollars de liquidités, annuler leurs dettes à hauteur de 1 000 milliards pour cette seule année, et consacrer 500 autres milliards de dollars aux services de santé d’urgence et programmes d’aide sociale.

« Il est compréhensible que les dirigeant·e·s du monde s’emploient à aider leurs propres citoyen·ne·s, mais le G20 doit également se pencher sur la situation des pays pauvres et leur venir en aide », relève de son côté Robin Guittard, porte-parole d’Oxfam France. L’ONG, qui réclame un « plan Marshall planétaire d’urgence » de 160 milliards de dollars pour lutter contre la pandémie, insiste sur le sort des pays pauvres. Elle y projette la mobilisation de « 10 millions de nouveaux travailleurs » de la santé, ainsi que la gratuité des soins et des tests.

La dette atteint des sommets dans les pays pauvres, sa croissance est vertigineuse

En attendant ces plans d’urgence, les pays pauvres et émergents subissent d’ores et déjà de plein fouet la récession mondiale en croissance. Les capitaux étrangers prennent le large. L’Institut de la finance internationale (IIF) estime ces retraits à près de 60 milliards de dollars (56 milliards d’euros), depuis janvier. Les ressources liées à l’exportation s’assèchent. Le prix du baril de pétrole, pour ceux qui en ont, continue à baisser, les touristes ont plié bagage, leur retour en masse n’est pas envisageable avant plusieurs mois, et les maigres débouchés conquis en Europe, aux États-Unis ou en Chine ne sont plus d’aucun secours par les temps qui courent. Reste aussi la plaie de la dette. Celle-ci atteint des sommets dans les pays pauvres, sa croissance est vertigineuse, selon les estimations de la Banque mondiale (168 % du PIB fin 2018, contre 114 % en 2010).

Du coup, l’étau se resserre entre la baisse des revenus et un service de la dette constamment à la hausse. « La communauté internationale doit penser à une manière d’effacer les dettes pour des pays qui sont très fragiles comme nous, ce qui nous aidera au moins à gérer la crise du coronavirus », souhaite le premier ministre pakistanais, Imran Khan. Effacer les dettes. Cette option est déterminante à l’heure d’une redoutable pandémie. Comment imaginer en effet que ces pays puissent s’en sortir, après une telle épreuve, en demeurant dans la spirale de l’endettement et l’échange inégal, dans la dépendance des créanciers et la soumission aux tristement célèbres programmes d’ajustement structurel du FMI ? Il y a urgence d’une rupture. Plutôt qu’une aide intéressée et aliénante, s’impose plus que jamais la voie de la coopération, des échanges équitables, du transfert des savoirs et de la technologie. Briser ainsi le développement du sous-développement participe de la riposte à toutes les menaces à l’échelle de l’humanité. Une des leçons à tirer de la promenade mortifère du Covid-19.

Nadjib Touaibia
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2 avril 2020 4 02 /04 /avril /2020 06:17
Les pleins pouvoirs et la restriction des libertés pour Viktor Orban en Hongrie sous le prétexte de la lutte contre le Covid 19 (Vadim Kamenka, L'Humanité, 1er avril)
Mercredi, 1 Avril, 2020 - L'Humanité
Hongrie. Viktor Orban construit sa propre démocratie

Le gouvernement hongrois dispose des pleins pouvoirs depuis lundi. La question de la rupture constitutionnelle est posée, et donc celle d’un régime dictatorial. L’Union européenne reste silencieuse.

 

« Coup d’État. » L’accusation est sans détour pour plusieurs élus de l’opposition, après le vote du Parlement qui offre les pleins pouvoirs au premier ministre hongrois, Viktor Orban. Lundi, 137 députés sur 199 (les deux tiers représentant le parti au pouvoir, le Fidesz) ont accordé au chef du gouvernement le droit de légiférer par décrets dans le cadre de l’état d’urgence, qui n’est pas limité dans le temps. L’exécutif justifie sa démarche dans le but « de simplifier la chaîne de décision » et de « la rendre plus efficace ». Car la Constitution prévoit que l’ « état de danger », en vigueur depuis le 11 mars, doit être prorogé par le Parlement tous les quinze jours.

Cette loi, censée lutter contre la pandémie du Covid-19, qui a causé la mort de 15 personnes pour 9,7 millions d’habitants, inclut d’autres dispositions inquiétantes, comme la suspension du Parlement et des élections. Elle prévoit également la pénalisation du non-respect de la quarantaine (jusqu’à huit ans de prison). La diffusion de fausses nouvelles susceptibles d’entraver l’exécutif dans sa lutte contre l’épidémie est passible de cinq années de réclusion…

Aucun garde-fou

« Nous devons tout faire pour stopper la propagation du virus. Le projet s’inscrit dans le cadre constitutionnel hongrois », a justifié la ministre de la Justice, Judit Varga. Pourtant, faute de contre-pouvoir face à l’exécutif, la question de la rupture constitutionnelle est bien posée. D’ailleurs, l’opposition, qui avait voté début mars pour l’application de l’état d’urgence, ne s’opposait pas à l’octroi de pouvoirs spéciaux au gouvernement, mais dénonce « son caractère illimité » et sans garde-fou.

Pour Laurent Pech, professeur de droit européen à l’université du Middlesex de Londres, « la Hongrie est une dictature formelle », après « dix ans de destruction de tous les contre-pouvoirs par Viktor Orban », avec désormais un « pouvoir exécutif qui peut faire ce qu’il veut (changer les lois, les abroger sans contrôle législatif) et dans laquelle le pouvoir judiciaire est neutralisé ». Le gouvernement hongrois balaye ces accusations. Viktor Orban rétorque qu’il y a « des vies à sauver » et se pose en défenseur de la nation. Cette notion est largement reprise par le quotidien proche du pouvoir, Magyar Nemzet, qui dénonce une Europe faible face « aux migrants », « au terrorisme islamiste », et déclare que, « heureusement, la Hongrie se dresse contre l’adversaire » grâce « à la reconstruction des institutions publiques au cours des dix dernières années ».

En Hongrie, la résistance débute timidement. Depuis dimanche, une pétition contre un « suicide parlementaire » a recueilli 100 000 signatures. Le texte dénonce une loi qui élimine « les dernières institutions de l’État de droit, la liberté d’expression et de la presse » et donne des « pouvoirs illimités à un politicien qui, à chaque occasion, a prouvé qu’il abusait du pouvoir sans entrave si ses intérêts le lui dictaient ».

Réactions timorées

La ligne rouge franchie par la Hongrie peut-elle ouvrir la voie à d’autres États membres de l’Union européenne ? Plusieurs gouvernements et dirigeants européens, dont la France, la Belgique, la Norvège ou le Royaume-Uni, ont également pris de telles mesures exceptionnelles. Dans l’ensemble des pays européens, les magistrats, avocats, professeurs de droit alertent sur les atteintes au cadre constitutionnel et le danger de ces dispositions dans la durée, même en période crise sanitaire. La Hongrie n’est pas la seule à avoir imaginé donner les pleins pouvoirs à son gouvernement. En Norvège, le même projet a débouché sur une forte opposition des députés, associations, professeurs de droit, qui ont exigé des limitations.

Les institutions européennes sont-elles prêtes à s’opposer à ces projets liberticides sur l’ensemble du sol européen ? La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a seulement estimé que « toutes les mesures d’urgence » prises par les États membres « doivent être limitées à ce qui est nécessaire » et « strictement proportionnées ». Même réaction timorée du commissaire à la Justice, Didier Reynders, qui promet d’évalue r « les mesures d’urgence prises par les États membres en matière de droits fondamentaux ». D’autres pays auront versé dans l’autoritarisme à ce rythme-là.

Vadim Kamenka
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1 avril 2020 3 01 /04 /avril /2020 13:15

 

 

Au plan mondial, nous ne sommes qu’au début de la pandémie due au Covid-19. Celle-ci a une ampleur, désormais, plus importante dans les pays avancés que dans son foyer d’origine, la Chine, où la progression paraît pour l’heure endiguée, même si la crainte d’une deuxième vague se fait jour. Ce n’est qu’à partir de la fin février en Europe et de la mi-mars aux États-Unis que le phénomène a pris une allure exponentielle caractéristique d’une épidémie, même si, comme on le sait, des éléments d’alerte avaient été donnés, par l’OMS et en France notamment, dès le mois de janvier.

Nous serions donc encore éloignés des pics viraux dont dépendent les dates de levée des mesures de confinement, alors même que la pandémie commence à se propager en Afrique, en Inde et dans toute l’Asie du sud-est.

Pour l’heure, l’un des événements les plus importants tient au fait que, si l’Europe était devenue un temps l’épicentre de la pandémie, il semble bien, désormais, que celui-ci se soit déplacé aux États-Unis, la première économie mondiale. On y observe une progression du phénomène plus rapide que celle observée en Europe, avec une vitesse de contamination analogue à celle constatée en Espagne. Autrement dit, le choc risque d’être considérable outre-Atlantique, où l’affaire a été longtemps sous-estimée.

Les chocs sanitaires sont décalés, mais la plupart des pays touchés ont commencé, après la Chine et quelques pays asiatiques, à adopter de façon quasi-synchrone des mesures de confinement et de limitation de la mobilité des populations affectant ensemble, jusqu’à les paralyser, l’offre et la demande au plan mondial.

Le choc est donc devenu systémique révélant la crise mondiale déjà engagée depuis mi-2019, et entraînant le risque d’une récession de plusieurs points, avec un horizon de sortie de crise d’autant plus incertain que, désormais, après des années de suraccumulation intense de capital d’inflation accélérée des marchés financiers et de rivalités commerciales, alors que la croissance réelle freinait, se profilent des risque aigus d’amplification systémique d’ordre financier, mais aussi social et politique.

Douze ans après la crise financière, la crise actuelle (sanitaire et économique pour l’heure, avec des effondrements financiers partiels en attendant un collapsus financier plus global), n’est pas une simple répétition de ce qui s’est passé en 2008. Elle est potentiellement beaucoup plus dommageable, l’économie mondiale, et en particulier, celles des pays de l’OCDE, ayant été très gravement abîmée par l’exacerbation de la domination des capitaux financiers qu’ont engendrée les tentatives de réponses capitalistes à l’épisode de 2008.

Elle devrait nécessiter une mobilisation publique de ressources sans précédent, comparable effectivement à celle d’un « temps de guerre » (dépenser sans compter pour mettre fin de façon positive à la tragédie), mais avec un enjeu colossal d’efficacité sociale nouvelle de leur utilisation. Il ne s’agit surtout pas de recommencer, en plus grand, ce qui a été fait en réponse à la crise financière de 2008 et qui, de fait, en renforçant la dictature des marchés financier et le rabougrissement mortifère des dépenses nécessaires au développement des capacités humaines, services publics de santé en tête, a préparé les conditions d’un choc sanitaire aussi dramatiquement violent. A noter que ceci se fait dans des conditions déjà très dégradée au plan de l’endettement, public et privé, et donc d’un moindre potentiel quantitatif de moyens financiers pour faire face. Déjà, les banques centrales semblent avoir déjà mobilisé la même ampleur de moyens financiers qu’aux hautes eaux de la crise financière précédente, alors que la déferlante économique semble encore devant nous. Cela renforce le besoin de prendre un véritable virage pour une autre sélectivité, visant l’efficacité économique et sociale, et d’une autre démocratie sur l’argent.

 

I – La Chine en première ligne face au tsunami

La production industrielle (en valeur ajoutée) a chuté de 13,5% en glissement annuel sur les deux premiers mois de l’année contre +6,9% en décembre. Ce ralentissement est notamment le fait de la contraction du secteur manufacturier (-15,7% sur les deux premiers mois de 2020 contre +7,0% en décembre) à cause du COVID-19. Rappelons qu’en 2008-2009, la production industrielle avait ralenti de seulement 5 % sur un an.

On note, cependant, que la croissance de la production des entreprises privées est plus impactée par cette épidémie (-20,2% sur les deux premiers mois) que la production des entreprises d’État (-7,9% sur les deux premiers mois).

Les investissements bruts en capital fixe ont également chuté de 24,5% sur les deux premiers mois de 2020 contre +5,4% en 2019, notamment en raison de la contraction des investissements en infrastructures (-30,3% sur les deux premiers mois) et des investissements manufacturiers (-31,5% sur les deux derniers mois).

Les ventes au détail en valeur ont fortement diminué, de 20,5% sur les deux premiers mois contre +8,0% en décembre, principalement en raison de la contraction du chiffre d’affaires des restaurants fermés pendant l’épidémie (-43,1% sur les deux premiers mois contre +9,1% en décembre). Hors secteur automobile qui enregistre une contraction de 37,0% sur les deux premier mois, les ventes au détail ont reculé de 18,9% de janvier-février 2020.

En outre, le taux de chômage urbain s’élève à 6,2% en février 2020, contre 5,2% en décembre 2019, avec seulement 1,08 million nouveaux emplois créés sur les deux premiers mois[1].

La dernière fois que la Chine a subi une telle crise sanitaire (épidémie du SRAS de 2002 – 2003 avec 800 morts, Hong-Kong compris) son économie était toujours en plein essor avec un taux de croissance du PIB de 10%, le plus élevé depuis 1995. Au deuxième trimestre 2003, la croissance avait été sévèrement touchée, tombant à 9,1%, soit 1,3 point de moins que la croissance moyenne des autres trimestres de la même année.

Des signes rassurants de retour à la normale sur le plan économique s’y manifestent aujourd’hui. Si au 19 mars encore, Trivium China[2] indiquait que l’activité nationale tournait à 72,6%, son indice passe à 74,9% au 27 mars. Par contre, l’indice relatif à l’activité des PME est passé, sur la même période, de 71% à 71,4% seulement. Toutefois, beaucoup de grandes entreprises ont annoncé la réouverture de leurs portes, l’indice de Trivium China se situant à 80,1% et de nombreux travailleurs locaux ont retrouvé leur emploi.

Cependant, des risques élevés subsistent. Le nombre de nouvelles infections est notamment en hausse, à mesure que les voyages nationaux et internationaux reprennent. Même en l’absence d’une nouvelle épidémie en Chine, la pandémie en cours est source de risques économiques. Par exemple, étant donné que de plus en plus de pays connaissent des épidémies et que les marchés financiers mondiaux vacillent, les consommateurs et les entreprises pourraient rester méfiants, ce qui ferait baisser la demande mondiale de produits chinois alors même que l’activité économique reprend.

On peut penser, cependant, que l’offre chinoise ne se reconstituera pas immédiatement, tandis que la baisse de la demande chinoise aura un coût non négligeable pour le reste du monde avec un effet possible, en année pleine, de -0,5 point de pourcentage sur le  PIB mondial.

L’impact économique mondial de l’épisode sanitaire de la crise devrait être plus fort que celui dû au SRAS en 2002-203 : la Chine est en effet beaucoup plus intégrée dans l’économie mondiale aujourd’hui avec un poids relatif passé de 6-7% du PIB mondial en 2002 à 17% en 2019. Elle représente aujourd’hui quelque 25% de sa croissance. La demande intérieure chinoise représentait plus de 14% du PIB mondial en 2017. Au cours des deux dernières décennies, la Chine est devenue le principal fournisseur d’intrants intermédiaires pour les entreprises manufacturières à l’étranger. A ce jour, environ 20% du commerce mondial de la fabrication de produits intermédiaires provient en effet, de Chine, contre 4% en 2002[3].

La Chine est un importateur majeur de produits de base. Elle occupe une part très significative des importations des pays capitalistes en divers produits manufacturés essentiels.

 

Part (en %) de la Chine dans les importations pour certains groupes de produits manufacturés( 2018)

      

Allemagne

France

Euro-zone

Japon

USA

Fibres et textiles, fils, tissus et vêtements…………..

 22,5

25,2

21,1

57,3

36,2

Articles d’habillement, accessoires vestimentaires

24,5

27,8

22,6

59,0

34,4

Pièces et composants de biens électriques……………

28,2

31,8

26,1

48,8

46,0

Machines de bureau, machines automatiques de traitement de données………………………………………..

45,2

43,0

36,1

68,6

53,8

Source : CNUCED

Des chaînes d’approvisionnement seraient vulnérables. Ce serait particulièrement le cas pour le secteur des produits informatiques et électroniques et des équipements électriques :

         

USA

UE 28

JAPON

Exportations chinoises

24%

14%  

11%

Importations chinoises

4%  

4%  

11%

                                                 Source : BNP-Paribas

Enfin, un décalage important ayant prévalu entre la riposte sanitaire à l’épidémie en Chine et, au rythme de sa contagion au reste du monde, les ripostes sanitaires, d’ailleurs tardives, dans les pays occidentaux, des goulots de capacité apparaissent, notamment dans les ports européens ne pouvant pas accueillir les navires de commerce chinois.

Il paraît ainsi hasardeux, aujourd’hui, de compter sur la Chine pour sortir le monde de la récession, au rebours du rôle qu’elle avait joué en 2009. Ce pays pouvait se permettre alors de mobiliser massivement politiques monétaire et budgétaire pour une relance suffisamment puissante capable de sortir de l’enlisement les pays de l’OCDE. Sa propre relance devrait être plutôt ciblée et devrait éviter d’accentuer les facteurs de surchauffe ou les risques d’éclatement de « bulles », notamment dans l’immobilier.

II – Choc sans précédent pour les économies occidentales en suraccumulation de capital et fin de cycle de reprise:

1 – Les enquêtes Markit pour l’euro-zone témoignent d’une forte dégradation :

Dans tous les pays touchés par la pandémie, ce sont les services aux personnes qui sont le plus frappés et pénalisent le plus l’activité pour le moment. Ils ne devraient donc pas contribuer à stabiliser la décrue des affaires, étant désormais devenus plus volatiles que le secteur manufacturier.

► Indice PMI flash

Celui concernant l’activité globale chute à 31,4 (51,6 en février), soit le plus faible niveau historique depuis juillet 1998, de quoi préfigurer une baisse du PIB de l’ordre de 2% au 1er trimestre 2020 appelée à s’accentuer par la suite.

L’indice d’activité des services chute à 28,4 (52,6 en février), son plus faible niveau historique depuis juillet 1998.

Pour le secteur manufacturier, l’indice se replie à 39,5 (48,7 en février), plus bas niveau depuis avril 2009 et il se replie à 44,8 (49,2 en février) dans l’industrie manufacturière, plus bas depuis 92 mois.

► La crise sanitaire, s’est aussi traduite par un très fort recul de la demande, le volume des affaires nouvelles ayant enregistré une baisse sans précédent, de même qu’une baisse record du volume global des ventes. La crise a entraîné un quasi arrêt des échanges internationaux, déjà très éprouvés par la guerre commerciale déclarée par Washington contre la Chine.

► Les perspectives d’activité à 12 mois des entreprises privées de la zone euro se sont fortement détériorées jusqu’à un plus bas historique en mars. L’enquête signale des degrés de pessimisme sans précédent.

► On va vers un bond du chômage, malgré la généralisation des dispositifs de chômage partiel, du fait du double choc sur l’offre et la demande. L’évolution de l’emploi devrait, en mars, enregistrer sa plus forte baisse mensuelle depuis juillet 2009.

►Malgré la baisse de la demande, on assisterait au deuxième plus fort allongement mensuel des délais de livraison des fournisseurs depuis 1997, derrière celui observé en 2009.

►Mais l’accentuation des tensions sur les chaînes d’approvisionnement ne se serait pas traduite, comme généralement, par une hausse du prix des intrants. Celle observée en mars s’est accompagnée, semble-t-il, d’une forte chute des coûts : « les entreprises sont poussées par les difficultés actuelles à réduire leurs tarifs afin de soutenir leurs ventes et liquider leurs stocks » souligne l’enquête. Et le phénomène aurait été identique dans les services avec la plus forte baisse des tarifs depuis janvier 2010, cela ayant été en quelque sorte encouragé par la double baisse des frais de personnel et du prix des carburants. Ces données composites sont inquiétantes.

Elles soulignent la chute des niveaux de production et les tendances à la paralysie d’une proportion croissante de l’économie. Simultanément, elles mettent en évidence « les premières baisses des prix moyens facturés par les entreprises privées de la zone euro depuis août 2016 et le plus fort taux de déflation de ces tarifs depuis janvier 2010 ».

Cela laisse-t-il augurer d’une retombée possible en déflation, mais autrement plus grave qu’au cours de la crise des dettes publiques européennes et de l’euro dans la première moitié des années 2010.

 

2 – La France dans la tourmente :

Dans son dernier point de conjoncture fait dans l’urgence, très bref et assorti de beaucoup de précautions, l’INSEE estime que l’économie française tourne, fin mars, à 35% au-dessous de sa situation normale dans la dernière semaine de mars. L’ajustement à la baisse s’observerait « principalement dans les services ». Cependant, l’institut note des « perspectives inquiétantes dans l’industrie (…) l’ajustement est à venir ».

Le climat des affaires est en repli de 10 points, passant très en dessous de sa moyenne historique. La baisse est particulièrement forte dans la distribution.

Face à cette rapide diminution de l’activité, l’INSEE souligne que « l’emploi se replie fortement », ce qui accentuera la déflation de la demande, alors même que, actuellement, selon l’institut, la consommation des ménages reculerait de 35%, notamment sur les biens industriels. Il ajoute que si le confinement et l’ampleur de ce recul se maintiennent un mois, « alors l’impact sur la croissance annuelle serait de -3% et de -6% si cela durait deux mois ».

On peut noter ici comment la presse patronale en France a immédiatement brandi cette prévision comme une sorte de menace pour que tout soit fait pour lever le plus tôt possible les mesures de confinement (indépendamment des risques d’une nouvelle vague de contamination dont les Chinois eux-mêmes ont peur?).

Macron a suggéré être prêt à accorder un soutien public illimité pour tenir « coûte que coûte » l’économie à flots et maintenir « coûte que coûte » la confiance des marchés financiers. Si, la panoplie de ressources et garanties mobilisées pour soutenir la chaîne des profits s’énonce en plusieurs centaines de milliards d’euros, les dispositifs retenus pour la protection des salariés et de leurs familles paraît bien faibles.

Cela concerne bien sûr, en premier lieu, le service public de santé. Mais on peut mesurer aussi que l’enveloppe de 8,5 milliards d’euros accordée pour le chômage partiel va s’avérer très vite insuffisante, d’autant plus qu’elle ne couvre que les salariés des entreprises fermées pour raison sanitaire. En réalité, une première estimation du bureau paritaire de l’UNEDIC arrive à un coût total de 2 à 2,5 milliards d’euros nécessaires par semaine de confinement, sans compter le cas des employés à domicile dont 400 à 900 millions d’euros pour l’UNEDIC.

Le déficit public est donc appeler à s’accroître nettement, bien au -delà de ce que laissent penser les mesures petitement calibrées de la loi de finances rectificative pour 2020 qui ne comporte, en réalité, que 11,5 milliards d’euros de dépenses nouvelles plus ou moins fléchées (chômage partiel, santé, fonds de solidarité). Le gouvernement assure, sur ces bases, que le déficit public ne dépasserait pas 3,9% du PIB cette année, contre 2,2% initialement prévus, cet accroissement de 1,7 points étant dû, selon lui et à hauteur de 1,4 point, à la nouvelle hypothèse de croissance du PIB retenue pour 2020 : -1% contre +1,3%…

Tout cela n’est guère crédible quand on sait que Berlin a retenu comme nouvelle hypothèse de croissance du PIB allemand une chute de 5%, certaines prévisions allant jusqu’à -9% !

On peut mesurer alors, combien, au sortir de l’épisode aigu de la crise sanitaire, au cours duquel le gouvernement ne va pas cesser de rationner les moyens nécessaires à la protection des humains, Macron et son équipe vont tout tenter pour peser sur la demande publique sociale et chercher à garder la confiance des marchés financiers, dans un contexte où, pour garder la bonne grâce de ces derniers, les États vont rivaliser comme jamais. Une austérité renforcée est dans l’esprit de ceux qui nous gouvernent, en témoigne par exemple l’interview du ministre de l’économie et des finances, Bruno Lemaire, au quotidien Les Echos, commentée par celui-ci comme annonçant « de la sueur, du sang et des larmes ».

 

3 – Allemagne: plongée en récession profonde :

La principale économie européenne était déjà en stagnation au dernier trimestre 2019, frappée par la chute d’activité en Chine où elle exporte massivement, avec une croissance très minime (0,0279 % par rapport au trimestre précédent selon l’office fédéral des statistiques). Sur l’ensemble de l’année, la croissance n’aura été que de 0,6 %, bien moins que les deux années précédentes.

L’explosion de la crise sanitaire a aggravé massivement et brutalement cette tendance récessive déjà à l’œuvre.

Le ministre de l’économie Peter Altmaier a déclaré, le 17 mars, sur la radio allemande RTL : « Nous nous attendons à une baisse de l’activité économique (cette année) et elle sera au moins aussi élevée qu’en 2008-2009 quand le PIB allemand avait reculé de 5%  (…) Je m’attends à ce que nous ayons à affronter les conséquences (de la crise sanitaire) pendant tout le mois d’avril et tout le mois de mai».

De fait, l’indice IFO du climat des affaires en mars 2020 ressort à 86,1 après 96 en février. Le consensus Reuters anticipait 87,7. Cette baisse de 10 points, d’un mois sur l’autre, est la plus forte enregistrée depuis la réunification du pays en 1990, souligne l’organisme. L’indice est au plus bas depuis le mois de juillet 2009.

Les indices IFO des perspectives des entreprises et de la situation actuelle ressortent également en net recul par rapport au mois de février : celui des perspectives des entreprises du mois de mars 2020 ressort ainsi à 79,7 contre 93,1 en février. Les analystes tablaient sur 81,9. Quant à l’indice IFO de la situation actuelle il est de 93 au mois de mars contre 99 au mois de février. Le consensus visait 93,6.

Dans ces conditions, le PIB devrait effectivement se contracter à un rythme de l’ordre de 4% à 6% en taux annualisé. Cette dynamique de récession risque de perdurer, car l’ajustement sur le secteur manufacturier n’a fait que commencer. Il devrait continuer de se contracter et pénaliser l’activité aux deuxième et troisième trimestres.

4 – Italie : en plein naufrage

L’Italie est le pays de la zone euro le plus lourdement frappé par la pandémie du coronavirus. Au plan économique, une catastrophe se profile, alors même que, dès avant ce choc, depuis début 2018, ce pays connaissait une activité réduite. Par ailleurs, il va beaucoup souffrir de la récession en Allemagne vers laquelle il exporte beaucoup : ces exportations représentent environ 13% du total.

Pour l’agence de notation Cerved, la propagation du coronavirus constituerait le pire choc pour l’économie italienne depuis la Seconde Guerre mondiale. Le chiffre d’affaires des entreprises italiennes pourrait tomber en moyenne de 17%. Le tourisme et l’automobile sont les secteurs les plus touchés.

Pour la grosse majorité de quelque 750 000 petites et moyennes entreprises (PME) italiennes, la situation est catastrophique. Si la crise sanitaire se prolongeait jusqu’à la fin de l’année, elles pourraient perdre jusqu’à 650 milliards d’euros.

Deuxième plus élevée de la zone euro (en ratio), derrière celle de la Grèce, la dette publique italienne, à 134,8% en 2018, devrait progresser à 136,2% du PIB en 2019, puis à 136,8% en 2020 et à 137,4% en 2021, selon les chiffres de la Commission européenne. Côté déficit public, la Commission tablait sur un chiffre stable en 2019 : -2,2% du PIB (après -2,2% en 2018), puis un nouveau creusement à 2,3% en 2020, et à 2,7% en 2021.

Il est clair que le besoin absolu d’intervention publique contre la dépression va faire exploser ces ratios.

 

5 – Espagne : la rechute

Alors que ce pays tablait, il y a un peu plus d’un mois encore, sur une croissance de 1,6 % du PIB et sur une baisse soutenue du nombre de chômeurs, la pandémie risque de le naufrager.

Deuxième principal foyer de malades du Covid-19 d’Europe, avec Madrid pour épicentre, l’Espagne voit son  secteur touristique tomber en dépression, alors qu’il représente 12 % du PIB et 13 % de l’emploi. Les constructeurs automobiles ont annoncé les uns après les autres la paralysie de leurs usines. Dans tout le royaume, l’activité s’est réduite au maximum, bien que le gouvernement ait appelé à favoriser le télétravail.

Dans ce pays, vanté naguère pour l’agressivité de sa riposte au désastre de 2008 par l’exportation et l’abaissement du « coût du travail », au détriment de ses partenaires européens du sud,  on compte encore officiellement 14 % de chômeurs, une masse considérable d’emplois ultra-précaires et une dette publique de 95% du PIB (contre 40% en 2009). Le choc actuel fait planer la menace d’une crise économique et sociale de très grande envergure et une nouvelle progression très vive du ratio d’endettement public.

6 – États-Unis : nouvel épicentre de la crise sanitaire, baril de poudre financier

Aux États-Unis, le nombre de contaminés au Covid-19 augmente à un rythme exponentiel. Il a presque doublé en quatre jours, passant de 65 778 le 25 mars à 121 478 le 28 mars.

Le nombre de décès a plus que doublé en trois jours outre-Atlantique.

L’absence de prise de conscience de la gravité de l’épidémie à la Maison Blanche va être très pénalisante pour les États-Unis. Moins de la moitié des États sont confinés et la Maison Blanche ne veut pas franchir le cap pour prendre une telle mesure à l’échelle fédérale. 

Tant que la contamination progresse à un rythme aussi élevé, la Fed ou le gouvernement peuvent mettre tous les moyens qu’ils veulent cela manquera dramatiquement d’efficacité.

Le 20 mars le nombre d’inscriptions au chômage se chiffrait à 3 238 000 (282 000 la semaine  précédente). 
Jamais dans l’histoire de cette statistique, paraissant depuis janvier 1967, une telle rupture avait été observée. Le plus haut précédent était le 1er octobre 1982 avec un nombre d’inscrits de 695 000. 
Cet indicateur hebdomadaire est un bon signal sur l’allure du cycle américain et le chiffre du 20 mars suggère une véritable dépression plus qu’une récession [4]

Le rapport de l’emploi du mois de mars pourrait indiquer plus de 800 000 destructions d’emplois. Ces données seraient aussi compatibles avec un repli sur un an du PIB américain dans une fourchette entre -4% et -5%.

La raison principale de cette brutale hausse des inscriptions au chômage est à trouver dans l’impact du coronavirus sur un pays où les services publics et la protection sociale publique obligatoire sont insignifiants. La plus forte hausse cumulée est associée aux états ayant le plus de contaminés. 
Le graphique ci-contre montre sur l’axe horizontal le nombre de contaminés au Covid-19 par Etat. La barre est le cumul des inscriptions au chômage par Etat avec la caractéristique du nombre de contaminés. Par exemple, la somme des inscrits dans des Etats ayant entre 1 001 et 5 000 contaminés est de 1 287 528.

Sur la semaine allant du 13 au 20 mars, le nombre de contaminés confirmés est passé de 2 179 à 19 100. C’est beaucoup, mais peu par rapport à l’évolution observée depuis. Le 26 mars, le nombre de contaminés confirmés américains passe au-dessus du chiffre chinois, et s’inscrit à 83 836. En à peine une semaine,  le nombre de contaminés américains a été multiplié par 4.

Cela implique que le nombre d’inscriptions hebdomadaires au chômage va encore progresser très rapidement dans la semaine du 21 au 27 mars.

Selon Goldman Sachs, « même les hypothèses les plus prudentes suggèrent que les demandes d’allocation chômage devraient être supérieures au million, ce qui dépasserait facilement le niveau le plus élevé jamais enregistré de 695 000 en 1982 ».

La contraction de l’emploi pourrait atteindre l’ampleur observée  en 2008. Mais en un seul coup. On peut anticiper quelques 800 000 suppressions d’emplois, peut-être plus….Un tel repli de l’emploi va se traduire par une contraction rapide de l’activité. Le PIB pourrait se contracter sur un an de 4 à 6%, suite à cet effondrement au deuxième trimestre.

Le dernier aspect de ce rapport sur les inscriptions au chômage est l’impact politique qu’il aura. On relève que c’est dans les Etats qui ont voté Trump en 2016 que les ajustements sont, en moyenne, les plus importants. Dans les Etats ayant voté républicains, les inscriptions hebdomadaires ont augmenté de 1 478 000 alors que dans les Etats ayant voté démocrate la hausse est de 1 169 000. Les Etats industriels sont très touchés, ce sont ceux qui avaient voté en 2016 pour le locataire actuel de la Maison Blanche. Si la crise s’accentue en raison de la propagation du Covid-19, la situation pourrait encore s’aggraver dans ces Etats et pénaliser le vote républicain le 3 novembre prochain.

L’activité du secteur privé aux États-Unis s’était déjà contractée en février. L’indice  PMI « Flash » des services avait reculé à 49,4, son plus bas niveau depuis octobre 2013 et traduisait la première baisse d’activité depuis 2018 pour ce secteur qui représente environ les deux tiers de l’activité économique des USA ; et cela alors que le consensus Reuters prévoyait une moyenne de 53 après 53,4 en janvier.

Dans le secteur manufacturier, le PMI  « Flash » ressortait à 50,8, son plus bas niveau depuis août, après 51,9 en janvier contre 51,5 attendu généralement.

Le choc va être particulièrement violent pour les producteurs d’hydrocarbures de schistes très lourdement endettés. En effet, en décidant d’inonder le marché mondial, alors que la demande chute brutalement, l’Arabie saoudite (avec l’accord tacite des russes), pour casser les reins de ces producteurs et reprendre des parts de marché aux États-Unis devenus 1er producteur mondial, a suscité un effondrement des prix du brut.

Cette déflagration ne se produit pas dans un ciel serein. L’économie américaine arrivait au bout du plus long cycle de reprise de son histoire construit au détriment du reste du monde. Grâce aux privilèges du dollar et à la formidable avance technologique ainsi acquise il a donné lieu à une gigantesque sur-accumulation de capitaux matériels et surtout financiers prête à exploser.

 

7 – Afrique-Moyen Orient : coronavirus et effondrement des prix du pétrole 

Le Covid-19 a commencé d’affecter les économies de la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord (MENA) à travers quatre grands canaux économiques (sans compter les politiques de fermeture renforcées à l’immigration et de rejet des réfugiés ou des sans-papiers) :

  • directement, en contaminant les populations, si déshéritées, si nombreuses, si écrasées par les « plans d’ajustement structurel »(PAS), ravagées par les guerres, les famines les gigantesques migrations de survie,
  • indirectement, en touchant les  prix du pétrole,
  • en désorganisant les chaînes de valeur,
  • en mettant le tourisme au point mort.

Une grande catastrophe se prépare qui mériterait, pour commencer d’y faire face, de lancer un véritable plan Marshall sans domination pour ces pays avec des dons en monnaie des banques centrales occidentales leur permettant de s’équiper et de se former, à commencer par la BCE.

Du fait de leur dépendance aux exportations de pétrole et de gaz, c’est principalement à travers un fléchissement des cours des hydrocarbures que les pays de la région MENA ressentiront les effets du coronavirus. Depuis l’apparition du Covid-19 et la hausse des infections en Chine au début de l’année 2020, les cours du pétrole ont dévissé. Le baril de brent a plongé, passant de 68,90 dollars au 1er janvier à à peine  20 euros au 30 mars.

Anticipant les effets négatifs du coronavirus sur la demande, les contrats à terme de pétrole brut ont chuté d’environ 20 dollars le baril pendant les deux premiers mois de l’année. l’effondrement brutal de la demande provenant de la Chine, Pékin ayant été contraint de fermer les sites de production pour tenter de contenir l’épidémie, a porté un très rude coup à ces économies.

Selon l’édition de février du « Oil Market Report » de l’Agence internationale de l’énergie (AIE), le marché chinois représente actuellement 14 % de la demande mondiale de pétrole et la hausse de la demande chinoise est responsable, ces dernières années, de plus de 75 % de la progression de la demande à l’échelle mondiale (AIE, 2020).

Sans compter que, du fait de son rôle croissant dans l’économie mondiale, tout revers de l’économie chinoise risque d’avoir des retombées négatives sensibles pour l’activité dans le reste du monde. L’inquiétude et les incertitudes liées à la propagation du virus dans le monde pourraient bien affecter les décisions d’investissement en Chine et ailleurs et, ce faisant, continuer de tirer les cours du pétrole vers le bas. L’AIE prévoit une chute de la demande mondiale de pétrole de 435 000 barils par jour au premier trimestre 2020 (en glissement annuel) — une première depuis plus d’une décennie. Sur l’année 2020, la demande mondiale devrait enregistrer sa pire performance depuis 2011, en reculant de 365 000 barils/jour.

8 – Commerce et tourisme internationaux très affectés

► Tourisme international

L’Organisation mondiale du tourisme (OMT), une institution spécialisée de l’ONU, a souligné que les conséquences économiques et sociales de la pandémie de Covid-19 sont, non seulement sans précédent, mais « d’une ampleur inouïe ». Elle a en effet fait état de prévisions catastrophiques : une baisse attendue de 20 % à 30 % pourrait faire diminuer les recettes du tourisme international (exportations) dans des proportions comprises entre 300 et 450 milliards de dollars, soit près d’un tiers des 1 500 milliards de dollars de recettes générées en 2019. Compte tenu des tendances passées du marché, la COVID-19 ferait perdre de cinq à sept ans de croissance. Pour remettre la situation en perspective, l’OMT fait observer qu’en 2009, avec la crise économique mondiale, les arrivées de touristes internationaux ont baissé de 4 %, et que la flambée de SRAS a provoqué un repli de juste 0,4 % en 2003.

L’organisation s’attend désormais à une baisse des arrivées de touristes internationaux de 20 % à 30 % par rapport au total de 2019 (1,5 milliard d’arrivées), sachant qu’elle prévoyait, en tout début d’année, un taux de croissance pour 2020 analogue à celui de l’an dernier, soit +4 %.

► Transports aériens

L’association internationale des transporteurs aériens (IATA) estime que les pertes pour les seules compagnies asiatiques pourraient s’élever à près de 28 milliards de dollars cette année. L’organisation redoute la « première baisse mondiale » des réservations depuis 2008-2009.

Selon l’association, qui regroupe 290 compagnies aériennes, la baisse nette du nombre de passagers par rapport à 2019 pourrait être de 8,2% dans la région Asie-Pacifique. Plusieurs compagnies aériennes, dont Air France, British Airways, Air Canada, Lufthansa ou Delta, ont par ailleurs suspendu leurs vols vers la Chine continentale en raison de l’épidémie.

►Transports maritimes

Le secteur du transport maritime subit de plein fouet les conséquences de la pandémie du nouveau coronavirus, compliquant notamment l’acheminement des marchandises. Or selon la CNUCED, les restrictions au commerce et au transport transfrontalier peuvent interrompre l’aide et le soutien technique nécessaires. Elles pourraient perturber les entreprises et avoir des effets sociaux et économiques négatifs sur les pays touchés. De façon générale, la marine marchande est en effet un maillon essentiel de la chaîne d’approvisionnement de nombreux produits du quotidien vendus dans les supermarchés.

Selon les statistiques de la CNUCED, environ 80% du commerce mondial est transporté par le transport maritime commercial. Ces marchandises vont des matières premières telles que le charbon et le minerai de fer, le pétrole, le gaz transportés en vrac, aux produits manufacturés intermédiaires et finis transportés en conteneurs.

Face à la pandémie actuelle, les mouvements transfrontaliers de biens de secours tels que les denrées alimentaires et les fournitures médicales vont naturellement augmenter de manière spectaculaire. « Il s’agit d’articles nécessaires au maintien de nombreux emplois dans le secteur manufacturier, sans lesquels la société moderne ne peut pas fonctionner », insiste l’agence onusienne.

 

9 – Vers une reconfiguration des chaînes mondiales d’activité des multinationales et une mise en concurrence accrue des peuples?

La crise sanitaire mondiale résulte du type de mondialisation à l’œuvre depuis le début des années 1980. Elle vient percuter, après d’autres événements majeurs comme celui de Fukushima, l’extrême fragmentation des chaînes d’activité et de valeur des multinationales.

Elle pourrait accélérer un mouvement accru de régionalisation de la mondialisation, engagé bien avant le choc pandémique, qui n’ira pas sans problèmes ni tensions, notamment du fait de l’extrême agressivité commerciale des dirigeants américains vis à vis de la Chine, mais aussi de l’Europe.

Le thème de la « relocalisation » pourrait être ainsi mis en avant, de façon national-populiste, sans aucune préoccupation pour les dégâts sociaux engendrés dans les pays ciblés, y compris pour faire accepter des augmentations de prix finals aux consommateurs qui profiteront aux multinationales. Or ce sont elles les responsables des délocalisations encouragées par les États.

Les mouvements enregistrés sur les investissements directs étrangers (IDE) au cours de cette période très incertaine doivent être suivis avec attention.

Selon la CNUCED, la pression à la baisse des IDE, dans cette période, pourrait être de -30% à -40% en 2020 – 2021. Or, début mars, elle estimait encore que la croissance des IDE ne reculerait que de -5% à -15%, tandis qu’en janvier elle avait retenue l’hypothèse d’une stabilité.

Selon cet organisme, les investissements en actifs fixes auraient chuté de 24,5% en Chine au cours des deux premiers mois de 2020. Elle annonce aussi que les 5 000 premières multinationales, qui représentent une part très importante des IDE, ont révisé à la baisse de 30% leurs estimations de « revenu » pour 2020. Cette tendance devrait se poursuivre.

Les industries les plus touchées sont :

  • Énergie et matériaux de base (-208% pour l’énergie avec le choc supplémentaire de  l’effondrement des prix du brut) ;
  • Compagnies aériennes (-116%) ;
  • Industrie automobile (-47%).

III – Des différences et une continuité avec l’épisode de 2008

1 – Plusieurs canaux de transmission des chocs:

a – Un canal « historique » d’offre, de demande, financier et démocratique : toutes les politiques conduites depuis 2008 – 2009, en Europe particulièrement, ont mis de gigantesques masses de liquidités à la disposition des marchés financiers, accentué l’austérité, miné les revenus et le pouvoir d’achat des salariés, dont les contrats sont en outre très précarisés, détruit systématiquement les services publics et réduit comme peau de chagrin droits, pouvoirs et libertés des travailleurs et citoyens (on peut penser notamment en France à la réforme réactionnaire du code du travail, la disparition des CE, des CHSCT…).

b – le canal de l’offre : Fermeture ou quasi-arrêt d’activités du fait du confinement avec un lourd impact sur l’emploi précaire ; contraction des possibilités de distribution des commerces spécialisés avec des conséquences sur les filières de production de biens durables et de consommation courante ; dégradation des marges et de la trésorerie accompagnée de faillites et chômage ; pénuries de main d’œuvre liée aux confinements et mises en quarantaine partiellement compensées par le télétravail ; rupture partielle de chaînes d’approvisionnement et chute du fret entraînant des risques de pénurie et des augmentations de prix de certains produits.

c – le canal de la demande : Gel des embauches et des investissements, hausse du chômage, particulièrement dans les services exposés au confinement et où les suppressions d’emploi risquent de déborder les capacités d’absorption des dispositifs de chômage partiel ; ralentissement de la consommation des ménages et augmentation d’une épargne forcée, mais aussi de précaution  ; ralentissement de la demande mondiale adressée aux secteurs exportateurs engendrant un effet récessif du commerce international et des problèmes d’approvisionnement.

Il faudrait aussi examiner l’impact sur les filiales étrangères des groupes français et sur les comptes consolidés des groupes implantés en France avec les risques importants que cela pourrait avoir sur l’emploi.

Il faudra aussi examiner l’impact réel de la baisse des prix du brut. Normalement, cela aurait dû entraîner un transfert de pouvoir d’achat des pays producteurs aux pays consommateurs. Mais aujourd’hui, la demande n’est pas en mesure de réagir de façon significative du fait des mesures de confinement et des interdictions de voyager de partout sur la planète.

On peut donc estimer que l’effet baisse des prix du brut risque d’être surtout négatif, y compris pour les pays consommateurs riches comme la France, du fait des restrictions de la demande qui leur est adressée par les pays producteurs et des risques de migration de survie accrue hors de ces pays – surtout les plus peuplés – frappés par l’impact violemment récessif de ces évolutions.

2 – Vers un collapsus avec l’explosion de la suraccumulation financière ?

Le marché de la prévision économique est rempli comme jamais de vendeurs d’illusions et de faux prophètes. Comme en 2008 on en appelle encore et toujours plus aux interventions étatiques et supra-étatiques, mais en partant du principe que rien de fondamental ne doit changer dans les règles, les critères, les institutions qui déterminent le comportement des acteurs du marché, entreprises et banques en tête.

► L’illusion d’un retour rapide à « la normale »

Sur ces bases, beaucoup affirment qu’il faut faire le dos rond en attendant « l’euphorie » (Bouzou et Cette dans Les Échos) qu’engendrera inéluctablement, selon eux, la sortie de la crise sanitaire, sans d’ailleurs se préoccuper des risques de rechute épidémique.

Comme en 2008 on voit ces observateurs deviser longuement sur la forme de la reprise en V, en U, en L, en W…

Le scénario retenu par l’OCDE [5] témoigne de cet optimisme malgré les morts qui s’accumulent et l’orage qui gronde sur les marchés. Pour cette institution non onusienne, tout est de la faute du coronavirus car « la croissance était faible, mais se stabilisait ».

Certes, des difficultés sont à attendre pour 2020, mais 2021 sera l’année du rebond. Que l’on en juge :

Croissance réelle du PIB g.a. (%)

 

2019

2020

2021

Monde

2,9

2,4

3,3

 G-20

3,1

2,7

3,5

 USA

2,3

1,9

2,1

 Japon

0,7

0,2

0,7

 UK

1,4

0,8

0,8

 Zone euro

1,2

0,8

1,2

 Allemagne

0,6

0,3

0,9

 France

1,3

0,9

1,4

 Italie

0,2

0,0

0,5

 Chine

6,1

4,9

6,4


 

La directrice générale du FMI, qui s’est prononcée plus tard il est vrai, a quant à elle déclaré  que la pandémie de coronavirus, qui touche désormais la planète entière, va provoquer «une récession au moins aussi grave que celle observée durant la crise financière mondiale [de2009] sinon pire». Tandis que Christine Lagarde, au nom de la BCE, s’attend, elle, à « une contraction considérable de l’activité dans la zone euro ».

Mais cette contraction de l’activité sera-t-elle équivalente à celle de 2009, année qui a suivi l’éclatement de la crise financière ? À cette époque, le PIB mondial avait baissé de 0,6%, selon les données du FMI, mais surtout de 3,2% pour les économies avancées et de 4,1% pour les pays de la zone euro.

Les avis semblent converger : avec le rebond chinois qui déjà s’annoncerait et la fin, sans doute assez proche nous prédit-on, du confinement en occident, l’économie mondiale va pourvoir repartir rapidement vers une trajectoire confortable, pour peu que les marchés financiers ne déraillent pas et que la confiance dans les perspectives de rentabilité reprennent le dessus. Aux États et banques centrales de « faire ce qu’il faut » !

► Vers une grave crise financière et monétaire ?

Mais, contrairement à la crise de 2008 où les banques était en panne et en recherche fébrile de liquidités, empoisonnées par des emprunts toxiques titrisés, le problème est désormais directement celui de la liquidité des entreprises, ce qui, soit dit en passant va finir par poser le problème de l’accès à la liquidité des banques aussi et, notamment, à la liquidité en dollars.

Les banques centrales ont commencé par baisser ensemble les taux directeurs, avec, notamment, un recul de 50 points de base puis de 1% de la part de la Fed. Cela n’a guère paru rassurer les marchés financiers qui ont manifesté, très vite, qu’ils attendaient beaucoup plus qu’une simple réédition de ce qui fut fait au lendemain de la faillite de Lehman Brothers.

La FED a alors décidé de porter un très grand coup : achat de dette d’Etat, mais aussi de dettes d’entreprises ainsi que de dettes associées au marché immobilier et aux crédits à la consommation ; possibilité de se substituer aux banques si un de leur client (ménage) se trouve dans l’incapacité de rembourser certaines échéances de ses crédits et de même pour ce qui concerne les immeubles titrisés, face à une crise des loyers; achats possible de dettes d’entreprises dont la notation est dégradée (jusqu’à BBB*) pour éviter le basculement dans la catégorie de titres pourris (« junk bonds »).

Bref, comme le note un expert de Natixis, « la Fed est en train de devenir le préteur en dernier ressort de l’économie réelle » [6] par-delà l’intermédiation des banques.

La BCE, a agi après quelques hésitations et une « faute de communication » grave, révélant en fait le fond la pensée de la présidente de la BCE [7]. L’institution de Francfort a annoncé un total de plus de 1 000 milliards d’achats d’obligations d’ici à fin 2020 (soit plus de 10% du PIB de la zone euro). Surtout, dérogeant aux règles d’airain figurant dans ses statuts, elle a décidé de transgresser l’interdiction de racheter plus de 33% d’une tranche d’émission de bons du Trésor mis sur le marché par un État membre de l’Euro-zone. Elle peut donc désormais racheter sans limite la dette d’un État (mais elle va plus loin encore en abaissant la limite de maturité des instruments qu’elle peut inscrire à son bilan à seulement 70 jours).

Cette décision double celle des États membres de ne plus respecter les normes de déficit et de dette publique de Maastricht (en attendant d’y revenir, comme l’ont précisé les dirigeants allemands, quand la situation sera redevenue « normale »). Elle marche de pair avec la décision, sans précédent, de l’Allemagne de rompre transitoirement avec sa limitation constitutionnelle des déficits et dettes publics et rend possible l’achat par la BCE d’une large part des 156 milliards d’euros que Berlin s’apprête à emprunter sur les marchés pour financer son plan de « relance » de 1 100 milliards d’euros.

Certes, les marchés ont rebondi fortement après ces annonces pendant quelques jours d’euphorie, avant de se mettre de nouveau à hésiter, le VIX, indice du stress des marchés retournant vers les plus hauts niveaux.

Les Banques centrales sont comme jamais entre les mains des marchés et se sont félicitées des décisions des États d’entrer massivement, à leur tour, dans le soutien des chaînes de profits et de l’activité, annonçant un bond en avant sans précédent dans les endettements publics auprès des marchés financiers sur lesquels ils demeurent notés.

D’où l’importance de la tenue des marchés au sortir de la crise sanitaire et de l’évolution des taux d’intérêt à long terme dont sont assorties les obligations d’État. Certes, ils sont toujours très bas, en écho aux tendances déflationnistes et du fait de la gigantesque trappe à liquidités ouverte depuis 2009.

Mais les facteurs de tensions s’accumulent sur les marchés obligataires à mesure que se précisent une relance formidable des endettements publics et que les potentiels de créances irrécouvrables s’accumulent dans les bilans bancaires avec les perspectives de faillites.

Dans une récente note, P. Artus esquisse les contours de ce qui pourrait devenir une véritable guerre monétaro-financière entre les USA et la zone euro, si celle-ci décide de l’engager, comme ce serait le cas avec le lancement d’emprunts massifs en eurobonds, titres financiers appelés, dans ces circonstances, « coronabonds » pour leur donner une parure éthique.

Des forces contraires vont en effet jouer pour chercher à financer les « relances » en gardant la confiance des marchés :

  • Les annonces de la Fed et de la BCE laissent prévoir un gonflement très important de leur bilan respectif. Cela devrait tirer les taux à long terme vers le bas ;
  • Les finances publiques des États-Unis et des pays de la zone euro vont se détériorer, ce qui devrait, là aussi, pousser vers le haut les taux à long terme ;
  • Si s’accélère sensiblement le mouvement de régionalisation des chaînes d’activités mondiales des multinationales avec « relocalisations » dans les pays avancés, au détriment des pays à bas coûts salariaux, cela pourrait avoir un effet inflationniste et pousser, donc, au relèvement des taux d’intérêt.

Mais il faut aussi tenir compte de l’évolution des prix du pétrole dans la conjoncture de sortie de crise sanitaire et de rivalités pour la relance, ce que ne fait pas P. Artus. En effet, les très bas prix actuels du brut ne vont faire qu’accroître la baisse des investissements et l’accélération des faillites et désinvestissements dans ce secteur. On peut alors penser que la reprise de la demande mondiale pourrait buter sur des goulots de capacités (cf. ma note sur le pétrole pour la rencontre « mondialisation »), ce qui entraînerait une hausse des prix encourageant celle des taux d’intérêt à long terme.

Dans la situation qui se profile, on mesure les immenses facteurs de vulnérabilité des pays de la zone euro, en particulier la France, seul pays où l’endettement des entreprises a continué de nettement progresser après le choc de 2008-2009. En zone euro, en effet, les entreprises sont financées surtout à partir du crédit des banques. Or, nombre d’entre elles, gravement handicapées par l’insuffisance de la demande et des qualifications, continuent d’exister grâce aux très bas taux d’intérêt. Par ailleurs, l’Italie apparaît porteuse désormais d’un risque de difficultés financières aussi importantes relativement que le fut la Grèce. Recommencer un scénario à la grecque avec ce pays conduirait à l’explosion de la zone euro.

Mais il faut aussi, désormais, mesurer les facteurs de vulnérabilité des États-Unis.

D’abord, il faut noter la faiblesse de son système de santé, la minceur de l’indemnisation du chômage alors que les entreprises disposent de toute liberté pour réagir très brutalement en cas de difficultés, en taillant dans  l’emploi. Et les défauts sur crédits immobiliers vont beaucoup augmenter avec le chômage, de même que pour ce qui concerne la dette étudiante.

Par ailleurs, les entreprises y sont surtout financées par le marché obligataire et nombre d’entreprise surendettées, notamment pétrolières, se retrouvent cotées sur le marché dit du « high yield»[8]  ou « haut rendement », très spéculatif.

Or, l’encours d’obligations dans le bilan des entreprises non financières, outre-Atlantique, est déjà passé de moins de 20% en 2007 à près de 30% en 2019, et dans cet ensemble l’encours des obligations d’entreprise à « haut rendement »  a été multiplié par près de 4 entre le troisième trimestre 2008 et aujourd’hui. L’encours  approche les 1 100 milliards de dollars sur un total de 10 000 milliards de dollars de dettes d’entreprises. Or, dans la situation actuelle, les taux de défaut ne cessent d’augmenter sur ce marché « high yield ».

Par ailleurs, l’énorme dette publique des États-Unis va plus que jamais solliciter la liquidité du dollar à un moment où tous les endettés en dollar du monde vont eux-mêmes se précipiter pour la solliciter. Les risques sur le dollar vont augmenter.

Alors que la Chine s’est montrée capable d’endiguer la pandémie due au coronavirus en mettant entre parenthèse les exigences de profit, y compris des multinationales étrangères qui y sont implantées, le bras de fer économique et financier va se doubler d’un bras de fer sur le modèle de développement et les systèmes de valeur, avec la question cruciale des services publics et des pouvoirs des salariés et populations sur l’utilisation de l’argent.

Au lieu d’entrer dans une guerre d’attraction des capitaux avec les USA, en faisant un bond en avant dans le fédéralisme et la soumission à la dictature des marchés financiers, l’Europe devrait au contraire préserver et développer comme jamais son modèle social, contre le modèle anglo-saxon, en utilisant autrement la BCE et l’euro, et se rapprocher de la Chine pour imposer une alternative à l’hégémonie du dollar via une monnaie commune mondiale de coopération.

Quoi qu’il en soit, tout semble indiquer que l’on va vers des convulsions violentes.

Si reprise il y a, une fois le coronavirus terrassé, du fait d’un rattrapage de dépenses ajournées, celle-ci risque d’être extrêmement précaire et menacée par la guerre monétaro-financière entre États et entre multinationales.

Le déclenchement d’un super krach pourrait faire basculer le monde entier dans une dépression durable dont la conjuration exigera des luttes pour des changements très profonds chacun chez soi et avec les autres. La prétendue « démondialisation » est moins que jamais la solution.


[1]    Direction générale du Trésor : Brèves hebdomadaires du Service économique régional de Pékin, semaine du 16/03.

[2]    Https://triviumchina.com:.

[3]    CNUCED.

[4]    Waechter P. : « La plus grande rupture de l’économie américaine », 27 mars 2020, ostrum.philippewaechter.com.

[5]    Perspectives économiques de l’OCDE : « Coronavirus : l’économie mondiale menacée » rapport intermédiaire, mars 2020.

[6]    Friedman J.J. : « A monde exceptionnel, mesures exceptionnelles », Natixis recherche économique, 26/03:2020

[7]    Le17 mars, alors que l’Italie se débattait déjà face à la pandémie et que ses dirigeants laissaient entendre qu’il ne pouvait p^lus être question de rester dans les clous de Maastricht, faisant s’accentuer la pression des marchés financiers sur le financement de la dette publique italienne, Christine Lagarde a déclaré : « La BCE n’est pas là pour resserrer le “spread” », celui-ci étant l’écart entre le taux des obligations allemandes, jugées les plus sûres, et celui des autres pays de la zone euro . Cela a immédiatement entraîné un décrochage des bourses.

[8]   Il rassemble les émissions obligataires des entreprises bénéficiant d’une notation allant de BB+ pour les mieux notées à D pour celles en situation de défaut. En raison des risques qu’elles comportent, elles offrent ainsi un rendement supérieur à ceux pratiqués sur le compartiment «Investment Grade» (valeurs disposant d’une notation allant de AAA à BBB-).

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1 avril 2020 3 01 /04 /avril /2020 06:00
Comment l'industrie pharmaceutique veut dicter leur conduite aux politiques (L'Humanité, 31 mars 2020)
Mardi, 31 Mars, 2020
Comment l'industrie pharmaceutique veut dicter leur conduite aux politiques

Elles ont accumulé 7 770 milliards d’euros de bénéfices entre 2000 et 2018. Mais l'avidité reste de mise chez beaucoup de multinationales du médicament en ces temps de pandémie. Coups fourrés sur la classification des médicaments, dumping sur le prix des traitements, refus de partager les savoirs… Big Pharma prend le train en marche de la lutte contre le coronavirus, mais ne renonce à rien. Explications.

 

Trop occupée à dérober le bien commun, la main invisible du marché ne sauvera pas le monde de la pandémie provoquée par le nouveau coronavirus. Alors que l’écho des ruptures de stocks de matériel de protection et de test ou de traitements retentit d’un bout à l’autre de la planète (lire ici pour ce qui est de la France), un domaine demeure largement épargné par la pénurie, celui des profits de Big Pharma, selon le surnom des monstres de l’industrie pharmaceutique. D’après une étude publiée, début mars, dans le Journal of the American Medical Association, une prestigieuse revue scientifique aux États-Unis, 35 multinationales parmi les plus importantes du secteur ont, entre 2000 et 2018, engrangé, grâce à un taux de profit deux fois supérieur à celui des géants des autres domaines d’activité (76,5 %, contre 37,4 %), la somme proprement faramineuse de 8 600 milliards de dollars (7 770 milliards d’euros) de bénéfices. En regard, le montant des investissements en recherche et développement sur les coronavirus, calculé par le think tank australien Policy Cures Research, apparaît tout à fait dérisoire, oscillant, à l’échelle mondiale, entre 24,5 et 45,5 millions d’euros ces dernières années.

A rebours des recommandations de l’Organisation mondiale de la santé

Face au Covid-19, à l’impéritie des États qui ont indéniablement tardé à réagir et qui se livrent maintenant une concurrence féroce pour rafler les biens les plus rares, s’ajoute donc l’incurie des grands groupes pharmaceutiques qui, bien arrimés à leurs rentes liées aux traitements brevetés pour le cancer ou le diabète, ont largement tourné le dos à la recherche et à la production de traitements pour les maladies infectieuses, nettement moins rentables à court terme… Depuis la mi-mars, avec l’extension de la pandémie sur le continent européen et aux États-Unis, Big Pharma semble se mettre en mouvement, mais sans rien abandonner de sa gloutonnerie financière, ni céder aux exigences du bien commun mondial au nom de la sacro-sainte propriété intellectuelle. C’est le cas, à la fois, sur les tests et sur les traitements potentiellement efficaces contre le coronavirus, mais également sur les vaccins (lire dans l’édition de l’Humanité Dimanche à paraître le 2 avril)…

Côté tests, alors que les gouvernements multiplient les effets d’annonce sur des campagnes massives de dépistage à venir – l’Allemagne promet 500 000 diagnostics par semaine, le Royaume-Uni parle de 3,5 millions d’examens autoadministrés permettant de rechercher les éventuels anticorps afin de déterminer si l’individu a été affecté ou non par le virus, etc. –, les effets de la pénurie sont sévères dans de nombreux pays : les enzymes qui servent pour les réactifs manquent, tout comme le matériel nécessaire à l’extraction des éléments de signature génétique de la maladie. Du coup, plutôt que de partager leurs connaissances et de les mettre à disposition pour assurer une production à la hauteur de la demande, les multinationales cherchent à dicter les politiques en matière de santé publique, même si leurs consignes vont à rebours des recommandations de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) sur la généralisation des tests.

En fin de semaine dernière, par exemple, le géant suisse Roche a provoqué un tollé aux Pays-Bas. Dans ce pays, la plupart des laboratoires spécialisés en biomédecine dépendent des machines en circuits fermés et des kits produits exclusivement par la multinationale, mais le groupe était, d’après la presse néerlandaise, en capacité de ne fournir que 30 % de ses commandes de cette solution chimique. Au bout de quelques jours, après avoir publié une recette vieille de trente ans et donc inopérante, Roche a fini par garantir aux laboratoires néerlandais l’accès à la formule chimique indispensable pour leurs tests, mais, dans un communiqué courroucé, la firme ne manque pas de chapitrer : « Tous les systèmes de santé doivent développer une stratégie de priorisation pour les tests médicaux, les fournitures et les thérapies. Nous recommandons fortement de n’utiliser les tests disponibles que pour ceux qui montrent des symptômes avérés. »

Pour les tests comme pour les médicaments potentiellement efficaces contre le coronavirus, la question de l’accès universel, à un coût modique, écartant donc toute spéculation des groupes pharmaceutiques, est encore plus déterminante. Et là aussi, les signaux qui arrivent de Big Pharma ne sont pas vraiment rassurants. L’entreprise californienne Cepheid vient d’obtenir le feu vert aux États-Unis pour fournir aux hôpitaux un test de dépistage du Covid-19 dont le résultat est obtenu en seulement 45 minutes, mais elle a fixé le prix du test à 20 dollars pour les pays les plus pauvres, alors que, d’après les ONG, son coût de production ne dépasse pas les 3 dollars… « Avec la pandémie qui fait rage, ce n’est vraiment pas le moment de tester les prix les plus élevés que pourrait accepter le marché, réagit Stijn Deborggraeve, de la campagne pour l’accès aux médicaments de Médecins sans frontières (MSF). Nous savons combien il est décisif de tester dans cette pandémie, donc il faut que les tests soient accessibles dans tous les pays… »

L’américain Gilead, célébre pour gonfler le prix de ses traitements

Dans le paysage actuel, un groupe pharmaceutique se distingue très nettement et concentre les critiques, l’américain Gilead qui dispose d’un traitement, le remdésivir, issu de la recherche publique, actuellement proposé, à l’instar de la chloroquine et d’autres, dans les essais cliniques, comme l’européen Discovery, financé par les fonds publics et présenté par l’OMS, à la mi-mars, comme le « seul médicament dont nous pensons qu’il pourrait avoir une réelle efficacité ». Dans ce contexte réjouissant pour ses bénéfices, la multinationale californienne a, en début de semaine dernière, obtenu de l’administration Trump la classification de son traitement antiviral comme « médicament orphelin », ce qui renforce ses droits de propriété exclusive. Sous la pression citoyenne, mais aussi celle de Bernie Sanders qui s’est indigné de cette décision « scandaleuse », Gilead, célèbre pour avoir gonflé de façon astronomique les prix de ses traitements contre l’hépatite C et le VIH, vient de renoncer à cette faveur. Mais à ce stade, rien ne garantit qu’elle renoncera à ses brevets primaires qui, en cas de succès dans les essais cliniques, permettraient de bloquer la production de génériques jusqu’en 2031.

Devant les défis ouverts par la pandémie, la mobilisation sur l’accès aux médicaments pour tous à des prix abordables est relancée. Des États, comme le Chili ou l’Équateur mais aussi l’Allemagne et le Canada, mettent en œuvre des législations dites de licence obligatoire, visant à garantir l’accès aux traitements anti-coronavirus brevetés quand il ne sera pas garanti… Le Costa Rica a demandé, via l’OMS, la mutualisation des droits sur toutes les technologies médicales nécessaires à la prévention, à la détection et au traitement du Covid-19. Dans ce cadre-là, l’OMS serait habilitée à redistribuer les droits de propriété intellectuelle, ainsi que toute autre donnée nécessaire à la production et à l’homologation rapides de ces technologies, en tenant compte des besoins à l’échelle planétaire. « La crise sanitaire sans précédent que nous vivons aujourd’hui est un cruel révélateur des carences du modèle pharmaceutique actuel et appelle des mesures allant bien au-delà du “business as usual” », écrit la plateforme suisse Public Eye, qui, avec 70 autres ONG dans le monde, soutient la démarche du Costa Rica à l’OMS. « Les gouvernements doivent reprendre la main afin de garantir une répartition équitable et des prix abordables pour les futurs traitements et vaccins. L’industrie pharmaceutique doit, quant à elle, renoncer aux droits exclusifs et autres secrets de fabrication. »

Thomas Lemahieu
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31 mars 2020 2 31 /03 /mars /2020 07:52
Les Etats-Unis à l'heure du Covid-19: entretien de Christophe Deroubaix avec Sarah Rozenblum - Analyse de Bruno Odent (L'Humanité, 30 et 31 mars 2020)
Mardi, 31 Mars, 2020 - L'Humanité
La situation ne peut qu'empirer aux Etats-Unis ! Les explications de la chercheuse Sarah Rozenblum

Entretien. Beaucoup d'Américains sont couverts par le biais de leur employeur. Or plus de trois millions d’entre eux viennent d'être licenciés... Alors que le pays est devenu l’épicentre de la pandémie, Sarah Rozenblum, chercheuse en santé publique et sciences politiques à l’université du Michigan (Ann Arbor), revient sur la situation actuelle, la réaction des autorités, les lacunes du système de santé américain et l’urgence d’élargir le programme fédéral Medicare, défendu par Bernie Sanders. Entretien.

 

Quelle est la situation aux États-Unis ?

Sarah Rozenblum. La situation sanitaire s’aggrave aux États-Unis, premier foyer de contagion au monde, où l’on dénombre près de 150.000 cas de coronavirus et plus de 2.000 décès. New York est devenue l’épicentre de l’épidémie, avec 35.000 contaminations et quelques 700 décès. Les hôpitaux de la ville sont saturés et manquent cruellement d’appareils d’assistance respiratoire. Le New Jersey voisin se prépare à un afflux massif de patients new-yorkais.

La situation est également préoccupante à la Nouvelle Orléans et Miami, la Louisiane et la Floride ayant tardé à réagir face à la menace sanitaire. Bien qu’une réponse unifiée à l’échelle étatique soit préférable à des mesures fragmentées, le Texas a délégué la gestion de la crise aux autorités locales. Enfin, les villes dotées de réseaux de transports publics relativement denses, comme Chicago, sont particulièrement sensibles et connaîtront une augmentation significative du nombre de cas au cours des prochains jours.

Quelle est la nature de la réaction des autorités ?

Sarah Rozenblum. Le système de santé américain est décentralisé. Les décisions sanitaires se prennent souvent à l’échelon étatique, voire local, au plus près des besoins des populations. Le gouvernement fédéral aurait pu choisir de coordonner (et donc harmoniser) la gestion de la crise, comme l’y incitait un manuel de préparation aux risques pandémiques rédigé lors de la présidence Obama. L’administration a préféré se désengager (dans un premier temps) de la gestion de la crise sur son volet sanitaire, la déléguant aux gouverneurs et autorités locales.

Les mesures les plus volontaristes ont été prises par les états démocrates de Californie, Illinois, Michigan, Washington, qui ont, selon les cas, confiné leur population, imposé la fermeture des établissements scolaires et lieux « non essentiels » et parfois généraliser les arrêts maladie à l’ensemble des travailleurs. Refusant de s’aligner sur la position du Président Trump, qui a longuement minimisé la gravité de la crise sanitaire, la qualifiant successivement de « canular » et de « distraction », les gouverneurs républicains de l’Ohio et de la Virginie Occidentale ont également édicté des mesures contraignantes. À l’opposé, la réponse du Mississippi et de l’Oklahoma semble bien lacunaire puisque leurs gouverneurs se sont contentés d’imposer la fermeture des écoles.

La « stratégie » du gouvernement fédéral a sensiblement évolué au cours des derniers jours. Oscillant entre déni de réalité et tentative de sauvetage de l’économie américaine lors de la première quinzaine de mars, Donald Trump semble avoir désormais pris conscience de la gravité de la situation. La déclaration d’état d’urgence du vendredi 13 mars a permis de débloquer 50 milliards de dollars en faveur des hôpitaux et entreprises. Le même jour, le Congrès a voté un projet de loi instaurant la gratuité des tests et créant un arrêt maladie d’urgence (assortie de nombreuses dérogations au bénéfice de grandes entreprises telles Amazon et Walmart).

Dernier jalon législatif de la réponse fédérale, le CARES Act a été adopté le 27 mars. Ce plan, d’une ampleur inédite dans l’histoire américaine, comporte des mesures en faveur des hôpitaux, entreprises et citoyens américains. Il représente un montant total de 2.000 milliards de dollars : 150 milliards de dollars seront alloués aux hôpitaux, en première ligne face à la crise ; un chèque de 1.200 dollars sera envoyé aux Américains gagnant moins de 75.000 dollars par an ; les personnes récemment licenciées percevront, en plus de leur allocation-chômage, 600 dollars par semaine au cours des quatre prochains mois. Ces mesures, jugées insuffisantes par certains démocrates, seront certainement suivies de nouveaux projets de loi au cours des prochaines semaines.

Après avoir refusé d’invoquer le Defense Production Act, Donald Trump s’est résigné à le faire le 27 mars pour demander à General Motors de réorienter son activité industrielle vers la production d’appareils d’assistance respiratoire. Ses décisions restent toutefois imprévisibles. Fort d’une popularité croissante, le Président veut relancer au plus vite l’activité économique et prévoyait une levée (prématurée) du confinement le 12 avril, catalysant possiblement la création de nouveaux clusters , avant de changer de nouveau d’avis hier. Plusieurs gouverneurs entendent prolonger le confinement.

Qu’est-ce que l’épidémie du coronavirus révèle du système de santé et comment elle met en lumière la nature du débat du parti démocrate notamment sur la proposition du Medicare for All ?

Sarah Rozenblum. La crise sanitaire est révélatrice des lacunes du système de santé américain. De nombreux individus sont couverts par le biais de leur employeur. Plus de trois millions d’Américains ont été licenciés au cours du mois de mars, perdant de facto leur assurance au moment où ils sont le plus susceptibles de recourir au système de santé. Le candidat à l’investiture démocrate Bernie Sanders n’a cessé de pointer du doigt les dysfonctionnements du système américain. La crise sanitaire donne du poids à sa proposition d’élargir le programme fédéral Medicare (réservé aux personnes de plus de 65 ans et personnes en situation de handicap) à l’ensemble de la population. Le contexte actuel lui permet de rester en lice pour l’investiture démocrate, malgré des scores décevants lors des primaires du mois de mars. Peu audible sur la crise sanitaire, son opposant modéré Joe Biden refuse toute universalisation du système de santé.

Une crise de cette ampleur peut catalyser l’avènement d’un nouveau modèle social américain, mais non sans difficultés. Dans le cadre du New Deal, Franklin Roosevelt a renoncé à son projet de création d’un système de santé universel face à la pression des médecins qui refusaient toute immixtion de l’état dans leur activité, malgré les difficultés occasionnées par la Grande Dépression. Au lendemain de la seconde guerre mondiale, Harry Truman a renoncé à instituer une assurance santé obligatoire pour des raisons analogues. Aux États-Unis, les pires catastrophes n’induisent pas toujours de changements radicaux sur le plan sanitaire. Espérons qu’il en soit autrement cette fois-ci…

Entretien réalisé par Christophe Deroubaix
Lundi, 30 Mars, 2020 - L'Humanité
Les États-Unis, épicentre des crises sanitaire et financière

Pénalisée par son propre modèle de société, la première puissance mondiale a pris le peloton de tête des pays les plus touchés par la pandémie. Son plan de relance, obsédé par le rétablissement de Wall Street, s’annonce incapable de contrer la dépression économique qui menace.

 

Les États-Unis sont devenus l’épicentre des crises – sanitaire et financière – qui ravagent la planète. Wall Street s’est écroulée, perdant près d’un tiers de sa valeur en l’espace d’un mois, et le pays est devenu le plus touché au monde par l’extension de la pandémie (voir encadré). Le plus préoccupant est que cette exacerbation des deux crises sur le territoire des États-Unis se voit accélérée par le modèle de société états-unien lui-même. Le système est mû par des logiques dévastatrices pour les structures et les personnes, placées au front dans le combat contre le fléau du coronavirus. Des logiques qui compromettent aussi les efforts engagés pour redresser l’économie réelle, quand l’essentiel des superinvestissements décidés est dévoué au rétablissement de Wall Street.

New York, la ville-monde confinée, désertée, est frappée de plein fouet. Toutes les tares d’un système de santé parmi les plus chers et les plus inégalitaires des pays développés resurgissent. Des centaines de milliers de New-Yorkais – ils sont près de 30 millions à l’échelle de tout le pays – ne possèdent aucune couverture maladie. Ceux-là hésitent à se rendre chez le médecin quand surgissent les premiers symptômes du Covid-19 et ils n’entrent bien souvent à l’hôpital que dans un état très dégradé. Ils savent que le montant de la facture risque de les précipiter dans une situation de faillite personnelle. L’expérience de Danni Askini, une jeune femme de Boston non assurée qui, souffrant de symptômes de plus en plus aigus, décida de passer outre ses réticences pour se faire soigner à l’hôpital, a fait le tour du pays. La facture de quelques jours de prise en charge hospitalière pour la réalisation du test au Covid-19, qui s’est avéré positif, se monte à 34 927,43 dollars (environ 31 500 euros). « Qui peut se payer le luxe d’honorer une telle facture médicale ? », a lancé Danni. Elle s’est vu reprocher sa légèreté et de ne pas avoir souscrit à temps une assurance Medicaid, censée fournir une couverture low cost aux plus démunis.

3,3 millions de chômeurs supplémentaires en une semaine

Même quand vous faites partie de cette majorité de citoyens dûment assurés, les frais d’hospitalisation restent élevés. Car les compagnies privées pratiquent des franchises, comme pour une vulgaire assurance auto. Une étude réalisée par la fondation Kaiser (recherches sur la famille) pointe que cette franchise s’élève en moyenne à 1 655 dollars (1 380 euros). Pour beaucoup une raison supplémentaire de ne pas se précipiter pour se faire diagnostiquer. Ce qui représente une aubaine pour la diffusion du virus.

Et franchir aujourd’hui le seuil d’un hôpital new-yorkais n’est pas vraiment une délivrance. Car la règle du flux tendu qui s’applique ici, comme aux autres secteurs économiques à la recherche de la rentabilité financière maximale, n’a pas conduit les établissements à se doter de réserves stratégiques suffisantes, notamment en masques ou en respirateurs. Les témoignages affluent des personnels soignants de la Grosse Pomme à bout. Une doctoresse du Elmhurst Hospital Center, dans le Queens, un quartier qui accueille une population plutôt démunie et immigrée, confie au New York Times : « C’est apocalyptique. Lits, instruments, équipements, on manque de tout. » Une photo de soignants couverts de sacs-poubelle en guise de protections a fait le tour des rédactions. Un navire-hôpital de la marine est attendu dans les prochains jours. « Mais il en faudrait au moins trois », relèvent les médecins.

La dégradation de la situation sanitaire va de pair avec celle de l’économie. Pour des raisons là aussi systémiques. On a déploré vendredi dernier 3,3 millions de chômeurs supplémentaires en l’espace de seulement une semaine dans le pays. Quand nombre de salariés travaillent sans filet, dans la plus grande précarité, les destructions d’emplois sont très rapides. Au point que Steven Mnuchin, le secrétaire au Trésor, envisage ouvertement un taux de chômage à 20 %.

Implanté au cœur du maelström sanitaire new-yorkais, Wall Street bénéficie d’une sollicitude extrême. Tout est fait pour empêcher un nouvel effondrement de la place financière. Le plan « historique » de Donald Trump à 2 000 milliards de dollars (1 860 milliards d’euros), adopté à la fin de la semaine passée avec les démocrates du Congrès en vertu d’une démarche d’union sacrée, est dévoué d’abord à doper le capital quitte à le placer sous perfusion permanente.

Les modalités même d’organisation du plan dit de relance ne laissent aucun doute sur ses véritables priorités. Ainsi, le géant de la place new-yorkaise BlackRock a-t-il reçu mandat de la Réserve fédérale (FED) pour gérer une partie des rachats de titres boursiers émis par les entreprises ou les banques. Les masses d’argent colossales créées et mises à disposition par la FED sont destinées à sauver la mise des agioteurs qui ont parié sur l’essor de Wall Street. Comme les traders de… BlackRock qui ont fait des fonds indiciels cotés (ETF) l’un de leurs produits de placement phares. Caractéristique de ces ETF : ils sont indexés directement sur l’évolution des cours de la Bourse. On a encore un souvenir ému de l’implication de BlackRock dans la réforme française des retraites. Il va pouvoir cette fois s’autoadministrer les fortifiants de la FED.

L’administration Trump essaie de gagner du temps

Le plan Trump lâche certes quelques dizaines de milliards au système de santé au bord de l’étouffement. Mais sans rien préciser de son contenu. Il prévoit bien de prolonger l’indemnité chômage d’un trimestre. Mais cette générosité pour « les pauvres » apparaît dérisoire quand on sait que la durée légale maximale d’indemnisation du chômage est le plus souvent réduite aujourd’hui à… 12 semaines.

Quant au versement d’un crédit d’impôt de 1 200 dollars (un peu plus de 1 000 euros) aux contribuables des classes moyennes, il est destiné au moins autant à maintenir un niveau élevé de la consommation qu’à voler au secours de salariés ou de retraités frappés souvent directement par l’effondrement des cours de la Bourse.

Pour l’administration Trump, il s’agit de gagner du temps. En attendant un redémarrage de l’économie le plus rapide possible. Le locataire de la Maison-Blanche a estimé qu’un retour à la normale serait possible d’ici la mi-avril et les fêtes de Pâques. « Un plongeon dans la dépression, a-t-il cru bon de justifier, serait finalement bien plus coûteux en vies. »

« Let them die » (laissez-les mourir), clament les partisans de cette école faussement darwinienne et jusqu’au-boutiste dans l’entourage du président. Il vaudrait mieux laisser les personnes âgées ou fragiles mourir que de prolonger la paralysie de l’économie.

L’obsession du rétablissement de Wall Street envisage ainsi des « solutions » qui n’ont pas peur de franchir les seuils les plus redoutables de l’inhumanité, alors qu’une vraie solution aux crises jumelles, sanitaire et financière, implique aux États-Unis comme ailleurs des ruptures radicales avec l’ordre dominant. S’il a mis sa campagne en stand-by, Bernie Sanders, toujours en lice à la candidature démocrate à la présidentielle de novembre, insiste, lui, sur le besoin d’instaurer ici et maintenant « la garantie d’un congé maladie et de dépistages gratuits ».

Bruno Odent
 
Les états-unis, pays le plus touché au monde

Les États-Unis sont devenus pendant le week-end le pays qui compte le plus grand nombre de cas confirmés de Covid-19 au monde. Plus de 121 000 personnes ont été recensées dont près de la moitié dans l’État de New York. Le nombre de décès s’accélère également très fortement. Il a doublé depuis le 25 mars, et les États-Unis ont désormais franchi largement la barre des 2 000 morts. Le président, Donald Trump, a momentanément envisagé de placer en quarantaine l’État de New York, avec les États voisins du New Jersey et du Connecticut, avant d’y renoncer sous la pression des gouverneurs des États en question. Ceux-là semblent avoir considéré cette décision comme une instrumentalisation de la crise pour centraliser les décisions et les pouvoirs, dans un pays fédéral où chacun des 50 États garde d’importantes prérogatives. Le Centre de contrôle des maladies (CDC), autorité de santé nationale, a finalement demandé aux habitants des trois États en question « d’éviter tout voyage non essentiel durant les quatorze prochains jours ». Exception qui confirme la règle générale établissant que les personnes âgées ou (et) fragiles décèdent le plus fréquemment du Covid-19, un bébé de moins d’un an a été mortellement atteint par la maladie dans l’État de l’Illinois.

 
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31 mars 2020 2 31 /03 /mars /2020 07:44
Manolis Glézos

Manolis Glézos

Lundi, 30 Mars, 2020 - L'Humanité
Disparition. Le dernier combat de Manolis Glézos

Héros de la lutte contre le nazisme, pourfendeur de l’austérité, le résistant grec s’est éteint hier, à l’âge de 97 ans. Retour sur une vie de résistance.

 

Du combat contre l’occupant nazi à la révolte contre la dictature austéritaire, nul mieux que lui n’incarnait, en Grèce, l’esprit de résistance. Manolis Glézos s’est éteint hier à l’âge de 97 ans dans un hôpital d’Athènes, emporté par une infection, et l’on repense au jeune homme de 18 ans qui, avec son camarade Apostolos Santas, osa décrocher, dans la nuit du 30 mai 1941, le drapeau hitlérien qui flottait sur l’Acropole. Signal de rébellion contre la barbarie, qui fit de lui, disait de Gaulle, « le premier résistant d’Europe ». Des geôles de l’occupation à la traque des communistes durant la guerre civile et sous la dictature des colonels, il fut deux fois condamné à mort ; jamais il ne courba l’échine, toujours mû par l’idéal d’un socialisme démocratique. Élu député, puis eurodéputé sous l’étiquette Pasok dans les années 1980, il avait finalement retrouvé son camp, au tournant des années 2000, en menant la liste de Synaspismos, la coalition de la gauche, aux élections législatives.

Contre la «dette odieuse»

Élu député de Syriza en 2012, il retrouvait deux ans plus tard sous les mêmes couleurs les travées du Parlement européen, pour dénoncer avec pugnacité les effets désastreux de l’ajustement structurel imposé à son pays. De cette tribune, il fustigea la « dette odieuse » et plaida sans relâche pour le remboursement des sommes dues par Berlin, entre réparations de guerre jamais honorées et « prêts forcés » imposés à Athènes par les nazis sous l’occupation. « Ce n’est pas nous qui devons de l’argent aux Allemands, ce sont eux qui nous en doivent », répétait-il, estimant le montant du litige à 1 000 milliards d’euros, trois fois la dette grecque.

«La seule solution, c’est la liberté»

Manolis Glézos n’était pas un homme d’arrangements. À l’été 2015, lorsque, défait, Alexis Tsipras se résigna à apposer sa signature au bas d’un troisième mémorandum d’austérité, il claqua la porte de Syriza, avec des mots durs pour le gouvernement de gauche et son chef, Alexis Tsipras : « D’aucuns prétendent que, pour obtenir un accord, il faut savoir céder. En tout premier lieu, entre l’oppresseur et l’oppressé, il ne peut être question de compromis, tout comme cela est impossible entre l’occupé et l’occupant. La seule solution, c’est la liberté. » Avec ses yeux clairs et ses cheveux blancs en bataille, l’enfant de Naxos était une figure tutélaire de la gauche et, pour tout le peuple grec, un repère ; seuls l’abhorraient les néonazis d’Aube dorée. L’antienne de ce lutteur : «  Nous devons sortir de l’esclavage du capital. » Les événements présents lui donnent cruellement raison.

 

MANOLIS GLEZOS, DISPARITION D'UN GEANT
Immense tristesse d'apprendre le décès du grand patriote grec, résistant au Nazisme de la première heure qui, en 1941, osa installer le drapeau de son pays au sommet de l'Acropole d'Athènes, ce qui lui valut d'être qualifié de "premier résistant d'Europe" par le général de Gaulle. Manolis Glezos fut toute sa vie un responsable fondamental de la gauche en Grèce, député de son pays, puis député européen. Il était un homme politique de grande culture, un combatif, un camarade, un internationaliste de toujours. Il avait 97 ans... Jean-Emmanuel Ducoin

 

LE #PCF REND UN HOMMAGE ÉMU AUX COMBATS ET A LA MÉMOIRE DE MANOLIS GLEZOS, DÉCÉDÉ AUJOURD'HUI A L'AGE DE 97 ANS

Il restera dans les mémoires pour avoir, avec son ami et camarade Apostolos Santas, arraché le drapeau nazi de l'Acropole dans la nuit du 30 au 31 mai 1941. Ce geste demeure le symbole de la résistance du peuple grec et des peuples européens contre la barbarie nazie.

Il a ensuite participé à tous les combats de la gauche grecque, de la résistance à la guerre civile, du combat contre la dictature et pour la démocratie à celui contre le diktat que les classes dirigeantes européennes ont imposé à la Grèce, que ce soit comme militant, comme député ou comme député européen. Condamné trois fois à mort, condamné à des peines de prison à 25 reprises, ayant passé 16 ans de sa vie en prison ou en exil, tout cela n'a entamé ni sa volonté de combattre, ni son optimisme.

Dans un de ces derniers discours, il racontait ce que les résistants grecs se récitaient la veille de leur exécution: «Et quand vous boirez du vin, vous en boirez aussi pour moi. Et quand vous entendrez les vagues éclabousser, vous l'entendrez aussi pour moi. Et quand vous entendrez le vent traverser les feuilles, vous l'entendrez aussi pour moi. Et quand vous danserez, vous danserez aussi pour moi!».

Ses combats pour la démocratie et la justice sociale restent les nôtres.

Le PCF adresse ses plus sincères condoléances à sa famille, à ses proches et à tous ceux qui ont milité avec lui.

PCF - Parti Communiste Français
Paris, le 30 mars 2020

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