L’ex-président, défenseur du projet de « révolution citoyenne », a été inculpé pour corruption. Une cabale de plus en Amérique du Sud.
La sentence est tombée le 7 avril : huit ans de prison pour Rafael Correa. L’ancien président de l’Équateur (2007-2017) a donc été condamné en première instance par la Cour nationale de justice (CNJ), pour corruption, qui a assorti la peine « d’une privation du droit de participer en politique pendant vingt-cinq ans ».Il est inculpé avec dix-neuf autres personnes, dont un ancien vice-président, un ancien ministre et d’anciens députés pour un système de pots-de-vin versés par des entreprises.
Exilé depuis 2017 en Belgique, où il a demandé l’asile politique, Rafael Correa a réagi en dénonçant un « show », « une mascarade » et entend bien porter l’affaire « devant la justice internationale ». « Je connais le processus et ce que disent les juges, c’est du MENSONGE. Ils n’ont absolument RIEN prouvé », affirme-t-il sur Twitter.
Faire taire les opposants au libéralisme
Cette décision s’inscrit dans un processus général où les coups pleuvent contre la gauche sud-américaine. Rafael Correa, comme d’autres, incarne un projet alternatif au libéralisme avec la « révolution citoyenne » mise en en place à partir de 2007. L’Équateur connaît alors l’abandon de la dette, d’importants programmes sociaux, le développement de ses infrastructures et une stabilité politique. Ces symboles doivent disparaître et la liste s’allonge chaque jour : Dilma Rousseff en 2016, la condamnation sans preuves en 2018 de l’ex-président brésilien, Lula, le coup d’État en Bolivie en 2019 contre Evo Morales et l’inculpation, aux États-Unis, du président vénézuélien, Nicolas Maduro, pour « narcotrafic » et « blanchiment d’argent » …
Pourquoi une telle décision de justice intervient en pleine crise sociale et sanitaire ? Le pays est désormais dirigé par son ancien vice-président, Lenin Moreno, qui a trahi « la révolution citoyenne » de son prédécesseur. Il applique désormais une politique libérale avec l’appui du Fonds monétaire international (FMI) et des États-Unis qui en ont fait leur allié privilégié. Une succession de mesures d’ajustement structurel (coupes budgétaires, libéralisations, privatisations, etc.) a conduit la population à se soulever l’automne dernier. Cette explosion sociale sans précédent avait été déclenchée par l’augmentation subite du prix des carburants. Cette politique économique a un impact dans la crise sanitaire qui gagne l’Équateur, pays le plus touché en Amérique latine par la pandémie du Covid-19 avec plus de 300 morts. À Guayaquil, qui regroupe 70 % des cas recensés, une surmortalité a été constatée, liée à la surpopulation et à l’absence de services publics.
Le priver de tout droit politique
Face à ces tensions, le président apparaît prêt à tout pour reprendre la main. Le 11 mars, Lenin Moreno a annoncé un nouveau train d’austérité et obtenu une nouvelle aide du FMI de 2,4 milliards d’euros. Son gouvernement a également décidé un confinement strict avec un couvre-feu et le déploiement de l’armée et de la police. Le président avait déjà eu recours à l’état d’urgence pour faire taire les mobilisations sociales (une dizaine de morts et plus de 1 000 blessés).
Les nombreuses critiques émises par l’ex-président Correa, qui reste une voix importante en Équateur, ont favorisé cette décision de la CNJ. Le but est de le priver de tout droit politique. En octobre, Lenin Moreno avait accusé, à la télévision, l’ex-chef de l’État d’orchestrer les manifestations afin de le renverser. « C’est ce qu’ils cherchaient : obtenir en manipulant la justice ce qu’ils n’ont jamais atteint par les urnes. Moi, je vais bien. Ce sont mes camarades qui me préoccupent », s’est inquiété, depuis la Belgique, l’ancien président.
Dans sa croisade destinée à reconquérir et soumettre les colonies dont l’indépendance devient intolérable, Washington vient d’atteindre des sommets. En pleine explosion du Covid-19 – une épidémie si catastrophiquement gérée par Donald Trump que, d’après lui, un bilan final limité à quelque 100 000 morts démontrerait « l’excellence de ses décisions [1] » –, le procureur général William Barr a annoncé le 26 mars, en conférence de presse, l’inculpation du président vénézuélien Nicolás Maduro pour « narcotrafic » et « blanchiment d’argent » [2]. Selon le Département de la Justice, a précisé le procureur Geoffrey S. Berman, le chef de l’Etat bolivarien a établi un « partenariat de narco-terrorisme avec les Forces armées révolutionnaires de Colombie [FARC] au cours des vingt dernières années » et, après avoir été l’une des « têtes » du Cartel des Soleils (un supposé cartel vénézuélien de narcotrafiquants), en est désormais le seul « leader » avec pour objectif, aujourd’hui comme hier, d’« inonder les Etats-Unis de cocaïne ». Faisant preuve d’une imagination illimitée dans l’invention de méthodes destinées à déstabiliser, renverser, emprisonner (et même assassiner) les dirigeants qui dérangent, cette accusation extravagante s’accompagne d’une mise à prix de la tête de Maduro – 15 millions de dollars (13,5 millions d’euros) étant promis à qui permettra de le localiser ou de le capturer.
Des poursuites ont également été lancées contre treize autres hauts fonctionnaires du gouvernement vénézuélien, parmi lesquels le ministre de la Défense Vladimir Padrino López, le président du Tribunal suprême de justice (TSJ) Maikel Moreno et, surtout, avec une offre de 10 millions de dollars pour qui les livrera, le président de l’Assemblée nationale constituante (ANC), Diosdado Cabello, et le vice-ministre de l’économie, Tareck El Aissami.
« Offrir des récompenses comme le faisaient les cowboys racistes du Far West montre le désespoir de l’élite suprématiste de Washington et son obsession envers le Venezuela », a réagi le ministre des Affaires étrangères Jorge Arreaza. Ajoutant au caractère grotesque de l’accusation, le montant proposé pour la capture de Maduro n’a été dépassé dans l’Histoire que par les 25 millions de dollars offerts pour la tête d’Oussama Ben Laden, après les attentats du 11 septembre 2001, et celle d’Ayman al-Zawahiri, actuel chef du réseau terroriste Al-Quaïda. Plus grand « capo » latino-américain du narcotrafic, le colombien Pablo Escobar ne valait « que » 10 millions de dollars et, son successeur mexicain, Joaquín « El Chapo » Guzmán [3], 8,5 millions.
Comme il se doit, cette violente offensive du régime de Donald Trump contre le gouvernement bolivarien a décuplé les débordements, passions et appétits du ban et de l’arrière-ban de la droite extrémiste vénézuélienne (et de ses alliés). A commencer par la principale tête de gondole, le « président » (élu par Trump) Juan Guaido. « Je suis persuadé que les accusations présentées contre les membres du régime sont bien fondées et vont aider à libérer le pays du système criminel qui a séquestré notre peuple depuis tant d’années », a-t-il immédiatement réagi par communiqué. Comme il l’a fait pendant des décennies en annonçant la « chute imminente de Fidel Castro », le cubano-américain (et espagnol) Carlos Alberto Montaner prévoit déjà « la fin du chavisme » dans la presse de Miami : « Après l’accusation formulée contre Maduro et ses acolytes par le Département d’Etat et celui de la Justice, les prédictions changent totalement, jusqu’à ce que quelqu’un de leur entourage décide de les éliminer [4]. » En Bolivie, le secrétaire à la Présidence Erick Foronda, bras droit de Janine Añez, portée au pouvoir par un coup d’Etat, s’est fendu d’un Tweet menaçant pour « le suivant » : « Ils viennent pour toi, Maduro. Tu n’auras pas d’échappatoire. El le suivant est Evo Morales. Tes jours de conspiration sont terminés, délinquant ! »
Confortablement confinée dans l’Hexagone d’où elle appuie les secteurs fascisants qui s’acharnent sur les habitants de son pays d’origine, l’anthropologue et écrivaine franco-vénézuélienneElizabeth Burgos s’enthousiasme dans un message à la journaliste Jurate Rosales : « C’est un coup de maître contre les partisans du dialogue et l’Union européenne, etc. On ne peut pas dialoguer avec un “Wanted” [5]. » Le dialogue, voilà l’ennemi…
Tant les agissements ubuesques de la Maison-Blanche que ce type de commentaires devraient ne provoquer qu’un simple haussement d’épaules accablé. Toutefois, si une chose est de constater leur ineptie, autre chose est d’en mesurer l’ampleur et les possibles prolongements. Raison pour laquelle, des années de propagande politico-médiatique ayant passablement troublé les esprits, on tentera d’analyser ici en profondeur les mensonges et incohérences de cette agression majeure des pitbulls de Washington contre le Venezuela.
Premier rappel indispensable : de tous temps, les Etats-Unis ont instrumentalisé le « narcotrafic », tantôt le combattant, tantôt l’ignorant, tantôt l’utilisant pour leurs sombres desseins. Dans les années 1980, sous l’administration de Ronald Reagan et avec la pleine collaboration de la Central Intelligence Agency (CIA), les « contras » (contre révolutionnaires) nicaraguayens se sont livrés au trafic de cocaïne pour financer leur guerre contre les sandinistes. Dans son rapport du 13 avril 1989, le Comité du Sénat des affaires étrangères mentionna : « Les activités des Contra incluent des paiements aux trafiquants de drogue par le Département d’Etat des Etats-Unis, autorisés par le Congrès en tant qu’aide humanitaire [déjà !], dans certains cas après l’inculpation de trafiquants par des agences fédérales, dans d’autres pendant que les trafiquants étaient sous enquête par ces mêmes agences. » L’un des artisans de ces manœuvres scélérates s’appelait Elliott Abrams. Avant d’être gracié par George H. W. Bush, il fut condamné pour cela à deux ans de prison. Trump en a fait l’actuel responsable (« envoyé spécial ») de sa politique sur le Venezuela, avec pour tâche de contribuer au renversement de Maduro.
Au Panamá, le général Manuel Antonio Noriega a de même pactisé avec les barons du Cartel de Medellín. Depuis la fin des années 1950, il émargeait également à la CIA, qui, à partir de 1967, le rémunéra grassement. Des liens étroits l’unissaient à George H. W. Bush, promu directeur de l’« Agence » en 1976.
Entre 1983 et 1989, Noriega confisque les élections et gouverne de façon autoritaire (mais beaucoup moins que son homologue chilien Augusto Pinochet). Seulement, Noriega se montre soudain moins docile aux injonctions de la Maison-Blanche, qui lui demande une participation accrue à l’agression contre le Nicaragua sandiniste. De gangster ami Noriega se transforme en ennemi scélérat. Déclenchée le 20 décembre 1989, l’« Opération Juste Cause » lance 28 000 « marines », commandos et parachutistes sur Panama City. L’arrestation du trafiquant fait 4 000 morts – essentiellement des civils. Le 29 décembre 1989, par 75 voix contre 20 et 40 abstentions, l’Assemblée générale de l’ONU adoptera une résolution condamnant cette pseudo intervention « anti-narco ».
Peu avant le procès de l’ex-général, embarqué manu militari et incarcéré aux Etats-Unis, le Département de la Justice conclue un accord secret avec le Cartel de Cali (le second, en importance, en Colombie). Si les « narcos » apportent des témoignages contre Noriega, une remise de peine sera accordée à Luis Santacruz Echeverri, frère d’un des chefs du cartel, qui purge alors une peine de vingt-trois ans d’emprisonnement.
Pendant son procès, Noriega prétendit que sa collaboration avec la CIA lui avait rapporté 10 millions de dollars. Il demanda à pouvoir révéler les tâches qu’il avait effectuées pour les Etats-Unis. Le tribunal statua : « L’information sur le contenu des opérations secrètes dans lesquelles Noriega a été engagé en échange de versements présumés est sans rapport avec sa défense » et pourrait « confondre le jury ». En conséquence de quoi, sur cette séquence embarrassante, le silence lui fut imposé. On le condamna à 40 ans de prison [6].
Lors de sa conférence de presse du 26 mars dernier, le procureur général Barr n’a pas hésité à établir un parallèle douteux, mais surtout alarmant : « Nous ne reconnaissons pas Maduro comme président du Venezuela ; c’est déjà arrivé avec Noriega, que nous ne reconnaissions pas non plus. »
En ce qui le concerne, le colombien Álvaro Uribe n’a rencontré aucun problème pour être reconnu. Pourtant, l’Agence du Renseignement du Département de la Défense (DIA) américain lui a attribué, en 1991, le numéro 82 d’une liste de personnalités entretenant des liens étroits avec Pablo Escobar et le Cartel de Medellín [7] ! Uribe n’en a pas moins poursuivi sans encombres sa carrière politique. Accédant à la tête de l’Etat en 2002, il est devenu le principal allié des Etats-Unis dans la région. Ses liens avérés avec les « narco-paramilitaires » ne lui ont pas attiré plus d’ennuis.
Bien que toujours en mouvement, la vie n’opère pas forcément de constants changements : en février 2019, c’est avec l’aide de l’organisation narco-paramilitaire colombienne des Rastrojos que le président fantoche vénézuélien Juan Guaido a traversé clandestinement la frontière pour rejoindre le président Iván Duque (le fils spirituel d’Uribe) à Cúcuta, en Colombie [8]. Pas de problème. Il s’agissait de « bons narcos ».
Les concepteurs de l’acte d’accusation contre le chef de l’Etat vénézuélien comptent manifestement sur le fait que, d’une manière générale, les journalistes n’ont ni mémoire ni archives. Si l’on en croit les « révélations » de Barr au nom de la Justice US, lorsque Chávez a fait de Maduro son ministre des Affaires étrangères, le 7 août 2006, les FARC ont remis à ce dernier 5 millions de dollars, produit du narcotrafic. On est là un paquet de mois avant le 1er mars 2008, jour où un commando de l’armée colombienne bombarde et tue le numéro deux de cette guérilla, Raúl Reyes. Près de son corps, sont, dit-on, récupérés trois ordinateurs, deux disques durs et trois clés USB. Lesquels « révèlent » leurs secrets. Des milliers de courriers électroniques « prouvent » les liens entre l’« organisation terroriste » et Chávez (ainsi que le chef de l’Etat équatorien Rafael Correa). Les gouvernements colombien et américain font feu de tout bois. Un certain nombre de médias influents – The Wall Street Journal,The New York Times, El País (Madrid), etc. – relaient avec délice l’information. Le monde entier apprend ainsi que Chávez, « sans un haussement de sourcils », a donné 300 millions de dollars à la guérilla.
Comprenne qui pourra… Les FARC sont tellement misérables qu’elles quémandent (affirme-t-on à l’époque) 300 millions de dollars à Chávez, mais tellement prospères qu’elles ont auparavant ou en même temps (prétend-on aujourd’hui) arrosé Maduro de 5 millions !
Pour qui ne connaîtrait pas le fin mot de l’histoire des « ordinateurs magiques » de Reyes, on rappellera que le 18 mai 2008, la Cour suprême de justice (CSJ) colombienne a déclaré les informations obtenues à partir d’eux « nulles et illégales ». La Cour contesta en particulier l’existence des fameux e-mails, les documents présentés comme tels se trouvant dans les fichiers d’un traitement de texte (Word) et non dans un navigateur permettant de démontrer qu’ils avaient été envoyés et/ou reçus. En d’autres termes : n’importe qui avait pu les rédiger et les introduire dans les ordinateurs a posteriori [9].
Cette information n’intéressa guère. Dans l’un de ses multiples éditoriaux consacrés au Venezuela, le Washington Post avait déjà résumé à lui seul l’objectif de la formidable campagne d’intoxication : « Si le scandale des ordinateursest utiliséde manière adéquate [c’est nous qui soulignons], il approfondira le trou dans lequel cette supposée “révolution bolivarienne” est en train de se noyer. »
Douze ans plus tard, les méthodes et la thématique n’ont pas changé.
« Durant plus de vingt ans, affirme le procureur général Barr, Maduro et un grand nombre d’alliés ont conspiré avec les FARC, provoquant que des tonnes de cocaïne entrent et dévastent les communautés étatsuniennes. » Si le postulat du jeu est que la conduite de chaque individu ou groupe est rationnelle, nul n’envisagerait de renoncer à une si lucrative poule aux œufs d’or. Pourtant, avant même d’être président, Chávez estimait qu’il fallait en terminer avec le conflit colombien. « Un mouvement de guérilla n’est plus à l’ordre du jour dans les montagnes d’Amérique latine », lança-t-il même en 2008, créant le trouble chez les radicaux, tant colombiens que vénézuéliens.
Lui et Maduro, son ministre des Affaires étrangères, ne ménagèrent pas leurs efforts pour favoriser des négociations de paix entre la guérilla et le gouvernement de Juan Manuel Santos. Tous deux réussirent à convaincre les rebelles, ce qui n’avait rien d’évident (et raison pour laquelle des contacts existaient effectivement entre émissaires vénézuéliens et état-major des insurgés). Lors des obsèques de Chávez, le 8 mars 2013, c’est bel et bien Santos qui déclara, parlant de son homologue bolivarien : « L’obsession qui nous unissait, et qui a été la base de notre relation, était la paix de la Colombie et de la région. Si nous avons avancé dans un processus solide de paix, avec des progrès clairs et concrets, des avancées comme jamais il n’y en avait eu avec la guérilla des FARC, c’est aussi grâce au dévouement et à l’engagement sans limites du président Chávez et du gouvernement vénézuélien. »
Il en faudrait davantage pour que le Département de la Justice américain renonce à ses calembredaines. D’après lui, en 2008, Chávez, « qui était alors président du Venezuela et l’un des leaders du “Cartel des Soleils”, s’est mis d’accord avec Luciano Marín Arango, alias Iván Márquez [futur négociateur des Accords de paix, côté guérilla], pour utiliser les fonds de l’entreprise [pétrolière] d’Etat vénézuélienne PDVSA, pour appuyer les actions terroristes et de narcotrafic des FARC ». C’est l’époque où, toujours d’après les mêmes représentants de la loi et de l’ordre yankees, « Maduro a abusé de son pouvoir comme ministre des Affaires étrangères pour s’assurer que la frontière entre le Venezuela et la Colombie demeure ouverte et, ainsi, faciliter le trafic de drogue ».
Fichtre ! Maintenir les frontières de son pays ouvertes... Nul n’en disconviendra, il s’agit là d’un crime absolu. Sauf, bien sûr, si les Etats-Unis avaient commis un écart analogue... Car, n’ayant pas fermé les leurs, ne demeurent-ils pas, avec 6,8 millions de « clients » (d’après l’ONU), les premiers consommateurs mondiaux de cocaïne ? Faute de questions posées lors de la conférence de presse sur cette complicité de Washington avec les « narcos » colombiens, les procureurs vedettes de la chasse au Maduro ne se sont malheureusement pas prononcés sur la question.
De fait, le Venezuela se trouve coincé entre le premier pays producteur de cocaïne, la Colombie, avec laquelle il partage 2 300 kilomètres de frontière, et la principale destination de la « blanche », les Etats-Unis. Il se trouve donc particulièrement vulnérable – et le constat ne date pas d’aujourd’hui. En octobre 1997, lors d’une visite du président William « Bill » Clinton à Caracas, un accord de coopération pour la lutte contre le narcotrafic (11 millions de dollars) fut signé avec le prédécesseur de Chávez, Rafael Caldera. Raison invoquée à l’époque : « Le Venezuela est la plus importante route de contrebande du narcotrafic [drug-smuggling] depuis la Colombie jusqu’aux marchés illicites. Le pays sert de zone de transit pour environ 100 tonnes de cocaïne et 10 tonnes d’héroïne par an [10]. » Vraiment trop « coooooool », Clinton n’a pas mis la tête de Caldera à prix.
Une telle situation géographique fait par définition naître des « vocations ». Lesquelles, défraient régulièrement la chronique, de multiples façons. Très court florilège. En 1997 (avant Chávez), le « dernier grand capo » après la mort de Pablo Escobar, l’ex-militaire colombien Justo Pastor Perafán, est capturé en plein centre de San Cristóbal (Venezuela). Deux ans plus tard, un Boeing 727 appartenant au prince saoudien Nayef Bin Fawwaz al-Shaalan quitte Caracas au terme d’une réunion de l’OPEP ; lors d’une escale à Paris, la police française y découvre 2 tonnes de cocaïne de la plus grande pureté [11]. Le 10 septembre 2013, c’est également à Paris qu’a lieu une « saisie record » (1,3 tonnes) à bord d’un vol d’Air France en provenance de l’aéroport Maiquetía de Caracas. Parmi les vingt-huit arrestations effectuées au Venezuela, figurent le lieutenant-colonel Ernesto Mora Carvajal (directeur de la sécurité de l’aéroport) et huit membres de la Garde nationale. En août 2011 déjà, lors de la capture d’une « narcoavioneta » transportant 1,4 tonnes de « coke » dans l’Etat de Falcón, on avait découvert que le petit appareil avait décollé de la base militaire de La Carlota (Caracas). En 2016, c’est l’officier de police représentant Interpol, Eliecer García Torrealba, qui tombera. Très remarqués, et pour cause, deux civils – Efrain Antonio Campo Flores et Franqui Francisco Flores de Freitas –, neveux de l’épouse de Maduro, Cilia Flores, finiront, pour le même motif supposé, condamnés en décembre 2017 à 18 ans de réclusion, dans une prison des Etats-Unis [12].
Financée par les barons de la drogue, la corruption à très large échelle s’infiltre à tous les niveaux et contamine, nul n’en disconvient, jusqu’à certains éléments de la police et de l’armée.
Mais quid du « Cartel des Soleils » ?
Il s’agit, peut-on lire ou entendre dans les rubriques « Le Venezuela par les Nuls », d’un gang de généraux né sous la présidence de Chávez et jouissant de sa complicité. Ridicule ! L’expression « Cartel des Soleils » a été utilisée pour la première fois en… 1993, lorsque deux généraux de la Garde nationale furent inculpés pour trafic de stupéfiants. Les « soleils » en question sont les insignes d’épaules que portent les généraux des Forces armées vénézuéliennes (quatre « soleils » pour le général en chef).
La formule revient sporadiquement lorsque des militaires sont impliqués ou arrêtés, mais refait surtout surface en 2015 sous la plume du « journaliste » Emili Blasco, correspondant à Washington du (monarchique, catholique et ultra-conservateur) quotidien espagnol ABC. Chávez est mort, l’« offensive finale » contre la révolution bolivarienne vient de commencer. Sur la base de supposées révélations de la Drug Enforcement Administration (DEA), Blasco fait de Diosdado Cabello, alors président de l’Assemblée nationale, le leader du Cartel des Soleils et l’un des narcotrafiquants les plus puissants du continent (ne connaissant pas encore le procureur général américain William Barr, il oublie de mentionner Chávez et Maduro).
Avec un ensemble touchant, extrapolant à partir du strict minimum de données, la docile corporation des faiseurs d’opinion – à commencer par The Wall Street Journal (Etats-Unis) et El Mundo (Espagne) [13] – se charge de colporter l’accusation. Que les plus prudents de leurs confrères reprennent à demi-mots, à coups de « conditionnels » hypocrites – ce qui suffit à imprimer une « vérité » dans l’opinion. Plus direct, le sénateur républicain cubano-américain Marco Rubio fait de Cabello « le Pablo Escobar vénézuélien ».
Preuves, faits irréfutables ou même moyennement étayés, vérifiables et vérifiés ? Aucun. Jamais.
Dans ce registre, le « think tank » Insight Crime se distingue particulièrement. Organisation supposément indépendante possédant son siège à Medellín (Colombie), Insight Crime a été fondé par Steven Dudley, ex-chef du bureau pour la région andine du quotidien le Miami Herald (« anticastriste », « antichaviste », « anti-tout-ce-qui-bouge-à-gauche ») et par Jeremy McDermott, ancien officier des Forces armées britanniques. Une bonne odeur de souffre, un parfum de barbouzerie. Les différents rapports d’Insight Crime s’appuient essentiellement sur les informations distillées par la DEA ou le Bureau du contrôle des actifs étrangers (OFAC) du Département du Trésor américain, les « révélations » de transfuges ex-chavistes cherchant à s’obtenir les bonnes grâces de leurs nouveaux amis américains, et des articles de presse. Laquelle presse, reprend à son tour la production d’Insight Crime, dans un classique dispositif de serpent qui se mord la queue. Oubliant au passage quelques particularités évoquées par le « think tank » lorsque, malgré son parti pris, il estime qu’il s’agit (le « Cartel des Soleils ») d’ « un réseau disparate de trafiquants, comprenant des acteurs étatiques et non étatiques », et précise que « s’il y a bien des cellulesdans les principales branches des Forces armées, et à tous leurs niveaux (…), on ne peut pas les décrire comme un cartel, car la manière dont fonctionnent les relations entre ces cellules n’est pas claire [14] ». En matière de de certitudes, on a déjà fait mieux.
Chacun voit midi à sa porte. Difficile pour le non belligérant de discerner où se trouve la vérité. Régulièrement mis en accusation par le rapport que publie chaque année le Département d’Etat américain, le Bureau national anti-drogue (ONA) vénézuélien ne reconnaît en la matière que les données de l’Office des Nations unies contre les drogues et le crime (ONUDC). Dans son rapport 2019, cet organisme peu suspect de partialité décrit ainsi en quelques lignes lapidaires la situation(§ 578) [15] : « Il y a des indices que, dans la République bolivarienne du Venezuela, les groupes délictueux ont réussi à s’infiltrer au sein des forces de sécurité gouvernementales et ont créé un réseau informel connu comme le “Cartel des Soleils” pour faciliter l’entrée et la sortie de drogues illégales ». Indices, réseau informel… Même un média vénézuélien férocement d’opposition comme Costa del Sol admet : « Les experts en matière de sécurité reconnaissent que ce n’est pas un groupe organisé verticalement comme les cartels du narcotrafic colombien ou mexicain. Ils agissent plutôt comme un groupe d’individus aux connexions bureaucratiques, qui peuvent avoir peu ou aucune coordination les uns avec les autres [16]. »
Qu’on examine le problème par n’importe quelle entrée, la thèse de Chávez, puis Cabello, et maintenant Maduro épluchant d’énormes liasses de billets en dirigeant d’une main de fer un gang criminel structuré ne repose sur aucun élément sérieux. Comme l’a noté l’avocat vénézuélien Juan Martorano, l’existence du Cartel des Soleils relève plus que tout du « mythe urbain » [17].
Le 9 août 2019, l’administration Trump a « certifié » la Colombie d’Iván Duque – preuve de sa bonne conduite et de sa pleine coopération avec Washington en matière de lutte contre la drogue. Dans le même temps, elle « dé-certifiait » la Bolivie (encore dirigée par Evo Morales) et le Venezuela gouverné « par le régime illégitime de Nicolás Maduro ». La pertinence de ces traitements différenciés apparaît avec évidence lorsqu’on sait que, en Colombie, la surface dédiée aux cultures de coca, la matière première de la cocaïne, a atteint des niveaux sans précédents : d’après l’UNODC (Nations unies) elle est passée de 48 000 hectares en 2013 à… 169 000 hectares en 2018 (et même 208 000 hectares d’après le Bureau de la politique nationale pour le contrôle des drogues [ONDCP] de la Maison-Blanche). Et ce, alors que les FARC, longtemps accusées d’être les principales responsables de ce fléau, ont déposé les armes en 2016.
D’après le procureur général « yankee » Barr, plus de 250 tonnes de cocaïne sortent du Venezuela chaque année à destination de l’Amérique centrale et de la Caraïbe « avec le consentement de Maduro ». Ce qui fait de la République bolivarienne LE « narco-Etat » de la région. D’après la très officielle Base de données antidrogues consolidée inter-agences (CCDB), un organisme gouvernemental américain, c’est pourtant en Colombie, pas au Venezuela, que la production de cocaïne a atteint 2 478 tonnes en 2017 (+ 269 % par rapport aux 918 tonnes de 2012).
Peu importe. Les « enquêteurs » étatsuniens persistent et signent : le Venezuela constitue le principal tremplin d’expéditions de drogue vers les Etats-Unis. Nouvelle supercherie.En 2012, d’après l’Organisation des Etats américains (OEA), dirigée alors par le chilien José Miguel Insulza, près de 70 % de la « coke » sortait de Colombie à travers le Pacifique, 20 % à travers l’Atlantique et 10 % via le Venezuela [18]. Vingt ans plus tard (11 mars 2020), s’appuyant sur les chiffres de la CCDB « yankee », le Bureau de Washington pour les affaires latino-américaines (WOLA) parvient au même constat : 84 % de la drogue produite chez Uribe, Santos et maintenant Duque passent par l’Océan Pacifique (que bordent la Colombie et, à un degré moindre, concernant les expéditions, l’Equateur et le Pérou), 9 % empruntent la voie de la Caraïbe occidentale (l’Amérique centrale) et seulement 7 % la Caraïbe orientale (le Venezuela) [19]. En d’autres termes : même ses propres services – le CCDB, le Département de la Défense – mettent en évidence la supercherie de Trump (et de ses « employés »).
Pour illustrer la manipulation du thème des pays de transit, on précisera que, toujours d’après la CCDB, 210 tonnes de cocaïne ont circulé par le Venezuela en 2018 (ce qui est plausible) et… 1 400 tonnes par le Guatemala. De son côté, l’Office des Nations unies contre les drogues et le crime (ONUDC) mentionne dans son dernier rapport (§ 579) que le trafic par la voie maritime depuis les ports du Chili est en constante augmentation, ce qui le convertit, « avec le Brésil et la Colombie, en l’un des principaux pays de sortie de la cocaïne saisie à Valencia et Algésiras, en Espagne, importantes voies d’entrée de ces stupéfiants en Europe ».
Pendant que le régime de Trump amuse la communauté internationale avec ses fantaisies, « des gens », à Miami, Los Angeles, ou ailleurs dans des paradis fiscaux, déposent des centaines de milliers de dollars, sans trop attirer l’attention.
Le 1er novembre 2019, le ministre de l‘Intérieur vénézuélien, Néstor Reverol, informait que, cette même année, les forces de sécurité avaient intercepté et confisqué 29,779 tonnes de drogues de toutes natures, arrêtant 5837 personnes et ouvrant 1 556 procédures judiciaires (d’après la même source, entre 2015 et mars 2020, ce sont 212 tonnes qui ont été saisies). Insuffisant pour bloquer la très peu Sainte Inquisition : 15 millions de dollars, on l’a vu, pour la tête de Maduro, 10 millions pour celles de Cabello et d’El Assaimi, mais aussi pour deux autres piliers du « régime corrompu » et de son « cartel », Hugo Carvajal, ancien chef du Renseignement, ex-député chaviste (et en cavale en Espagne, soit dit en passant) et Cliver Alcalá. Quiconque fournira une information permettant de localiser tous ces gens-là touchera (théoriquement) le gros lot. S’agissant de Maduro, on se permettra ici de donner un indice relevant du très à la mode « journalisme d’investigation » : Palais présidentiel de Miraflores, Final Avenida Urdaneta 1010, Esquina de Bolero, Caracas Distrito Capital (Venezuela). Pour Cliver Alcalá, membre du même gang, pas de difficulté majeure non plus : depuis deux ans, au vu et au su de tous, ce « dangereux narcotrafiquant », vit tranquillement à Barranquilla, en Colombie. Sans que les forces conjointes de la CIA et de la DEA ne l’y aient repéré. Sans que les autorités colombiennes ne l’aient détecté. Et pour cause…
Général au sein des Forces armées nationales bolivariennes (FANB), Alcalá s’est démarqué du pouvoir et, après avoir pris sa retraite en 2013, s’est publiquement opposé à Maduro. Il a été un excellent « client » pour un certain nombre de chercheurs, universitaires et journalistes dits « de gauche », avides des déclarations de « chavistes critiques » leur permettant de rejoindre l’offensive anti-Maduro sans paraître renier Chávez et sa révolution pour lesquels, lorsqu’on pouvait le faire sans s’exposer outre mesure aux condamnations de la majorité conformiste, ils avaient manifesté une certaine sympathie.
Accusé depuis 2014 de liens avec le narcotrafic, Alcalá est entré tout à fait légalement en Colombie par Cúcuta (d’après Migración Colombia). Bien qu’ayant (ou parce qu’il a) épousé en mai 2012 Marta González, une sœur d’Hermágoras González Polanco, alias « El Gordito González », narcotrafiquant et ancien membre de l’organisation paramilitaire des Autodéfenses unies de Colombie (AUC), Alcalá vivrait encore paisiblement dans son pays d’accueil si [20]...
Le 24 mars, l’épidémie de Coronavirus restreignant la circulation, la police de la route colombienne, dans une opération de routine, contrôle un véhicule qui circule sur la route Barranquilla – Santa Marta. Elle y découvre un arsenal : 26 fusils d’assaut AR-15, des silencieux, des viseurs nocturnes, des casques, des gilets pare-balles, des émetteurs-récepteurs radio, etc. Arrêté, le conducteur confesse qu’il se dirigeait vers la Guajira (département frontalier avec le Venezuela). Deux jours plus tard, une radio colombienne à forte audience, Web Radio, diffuse une déclaration explosive de… Cliver Alcalá, l’un des « narcos » vénézuéliens complices de Maduro recherchés par la Justice des Etats-Unis : « Je me trouve à Barranquilla, dans mon logis, où le gouvernement colombien, depuis longtemps, sait que je suis. » Ce détail précisé, Alcalá dévoile que les armes saisies le 24 appartiennent à un groupe de 90 officiers vénézuéliens (déserteurs) qu’il dirige. Objectif : « Obtenir la liberté du Venezuela ». Comment ? En faisant passer ces armes dans la Guajira vénézuélienne où elles devaient être réceptionnées par un officier – alias « Pantera ». Continuant ses révélations, Alcalá dit ceci : toute cette opération a eu lieu dans le cadre d’un accord passé avec « le président » Guaido, son conseiller politique Juan José « J.J. » Rendon (consultant de multiples candidats présidentiels latinos de droite) et des conseillers américains. Il implique dans le complot Leopoldo López (leader de Volonté populaire, le parti de Guaido), Sergio Vergara (député de VP, bras droit de Guaido) et Iván Simonovis, nommé Coordinateur spécial de la sécurité et du renseignement aux Etats-Unis par le président autoproclamé [21].
Alcalá multiplie ensuite ses interventions sur Twitter et, finalement, livre ses dernières révélations en exclusivité sur Infobae : « Depuis plusieurs mois, nous travaillons à la formation d’une unité pour libérer le pays et éliminer chirurgicalement les objectifs criminels du narcotrafic et du désastre qu’“ils” ont généré dans notre pays [22] ». Assurant une dernière fois qu’il ne fuit pas, comme le laisse entendre la Justice des Etats-Unis – laquelle vient « à sa grande surprise » de le placer sur la liste des « narcoterroristes » de la bande à Maduro ! –, Alcalá précise, évoquant le procureur général Barr : « Je présume qu’il ne connaît pas l’accord confidentiel que nous avons. » Raison pour laquelle il annonce son intention de se mettre à disposition des autorités colombiennes et son entière disposition « à collaborer avec la justice nord-américaine ».
Sur un personnage et un épisode aussi « tordus », les spéculations vont bon train. On ne s’engagera pas ici dans un fatras d’hypothèses oiseuses et de théories. On s’en tiendra aux faits. Alcalá s’est affectivement « rendu » sans perte de temps aux forces de l’ordre colombiennes. Durant son transfert jusqu’à l’aéroport de Bogotá, en vue d’une extradition immédiate aux Etats-Unis, il a eu tout le loisir de donner des interviews téléphoniques et par vidéo sur les réseaux sociaux (ce qui est très fréquent chez les narcotrafiquants détenus !). Evoquant les agents de la Direction nationale du renseignement (DNI) qui l’escortaient, il déclara : « Je les connais, je les ai vus et je traite avec eux depuis plus d’un an. J’ai été constamment en communication avec eux. Par le passé, en Colombie, je me suis réuni avec eux, ici, à Barranquilla [23]. » Les heures qui vont suivre n’apporteront guère de démenti à ces allégations. Lorsque le 27, Alcalá s’apprête à monter dans l’avion dépêché en toute hâte par la DEA pour le ramener à New York (malgré la fermeture des frontières), où l’attend théoriquement une prison de haute sécurité, il le fait sans menottes, de manière détendue, après avoir salué très cordialement et échangé quelques « abrazos » avec ceux qui le surveillaient. Nul doute que les « révélations » les plus explosives sur Maduro vont maintenant se multiplier dans le cadre de négociations dont raffole la Justice étatsunienne pour, en échange d’une réduction de peine, compromettre, diffamer et si possible jeter dans un cul de basse fosse le ou les individus qu’elle poursuit de sa vindicte.
A l’origine de cette séquence, l’arsenal confisqué aux opérateurs d’Alcalá n’était à l’évidence pas de nature à déclencher une opération d’envergure de type invasion ou coup d’Etat. En revanche, il était parfaitement adapté à l’organisation d’opérations de type « élimination chirurgicale » (pour reprendre l’expression de l’ex-général) ou « assassinat sélectif ». L’avenir dira peut-être quels objectifs étaient visés. Mais en tout état de cause, le lot d’armes s’inscrit dans la stratégie de déstabilisation du Venezuela – de la tentative d’assassinat de Maduro le 4 août 2018 à la présence notoire de camps d’entraînements pour mercenaires (liés à Alcalá, en particulier à Riohacha, dans la Guajira). Cette politique de caractère terroriste, dont le régime de Trump donne le « la », atteint son point d’orgue avec la récente mise à prix de Maduro. Une semaine après cette dernière, et le lendemain du jour où le secrétaire d’Etat Mike Pompeo a présenté un plan de « Gouvernement de transition, sans Maduro ni Guaido », le gouvernement américain a en effet annoncé le déploiement d’une importante opération navale destinée à réduire l’entrée de drogues illégales aux Etats-Unis. « Alors que les gouvernements et les nations se concentrent sur le coronavirus, a expliqué sans rire le maître de la Maison-Blanche, il existe une menace croissante que les cartels, les criminels, les terroristes et d’autres acteurs malveillants tentent d’exploiter la situation pour leur propre profit. » Pour qui n’aurait pas tout à fait saisi la nature de l’opération, le conseiller à la Sécurité nationale Robert O’Brien a ajouté qu’il s’agit de réduire les ressources financières du narcotrafic, lequel « fournit au régime corrompu de Maduro (…) et à d’autres acteurs pernicieux les fonds nécessaires à la réalisation de leurs activités malignes ».
Au moins dix garde-côtes, des destroyers, des navires de guerre de dernière génération, des porte-hélicoptères, une brigade d’infanterie, des membres des forces spéciales et une importante couverture aérienne – P-8 (version militaire du Boeing 737), E-3 Awacs, E-8 JStars – vont prendre progressivement position, théoriquement dans le Pacifique et l’Atlantique, en réalité massivement face aux côtes du Venezuela. Un marteau pilon ! Pour combattre… des mouches. Les cargaisons maritimes de « coke » quittent les côtes latino-américaines à bord de « go fast » (vedettes rapides), de bateaux de pêche, de mini-sous-marins, de navires commerciaux et de porte-conteneurs ; les expéditions aériennes utilisent des avions de tourisme. Des cibles et objectifs sans commune mesure avec le déploiement spectaculaire de cette armada.
Au moment où les Nations Unies demandent une suspension des mesures coercitives unilatérales (dites « sanctions ») contre le Venezuela et Cuba (ainsi que l’Iran) pendant la crise du Coronavirus, Trump a donc opté pour une authentique déclaration de guerre. Brandie à la face du monde, la « cocaïne » de Maduro est l’équivalent de la petite fiole de poudre de perlinpimpin de Colin Powell accusant Saddam Hussein, devant l’Assemblée générale des Nations unies, de disposer d’armes de destruction massive. Cette dangereuse surenchère a au moins une cause aisément détectable : l’échec de la stratégie du « président fantoche » censé faire tomber Maduro. Pauvre Guaido ! Il fait pourtant tout ce qu’il faut : il approuve les sanctions qui martyrisent ses compatriotes, il célèbre la mise au ban de Maduro, il appuie le déploiement de la force navale. Il n’en a pas moins été congédié sans ménagements. En proposant un plan de transition « sans Maduro ni Guaido », Washington a signé la fin de cette comédie. Et le Guaido en question s’est montré pour ce qu’il est et n’a jamais cessé d’être : une marionnette. Depuis janvier 2019, il joue au chef de l’Etat légitime, inébranlable, ferme, crâne, intrépide, viril, courageux, « reconnu par la communauté internationale », et ne cédant sur rien. Que Trump lui intime de se retirer, et il obtempère sans résistance, sans une once de dignité : « Oui chef ! bien chef ! » Comme on dit au Mexique, « qui paye le mariachi choisit la chanson ».
Quinze millions de dollars pour la tête de Maduro ! En tant qu’objectif prioritaire des « faucons » étatsuniens, le chef de l’Etat vénézuélien, à travers ce procédé original, succède à l’irakien Saddam Hussein et au libyen Mouammar Kadhafi– avec, en ce qui concerne ces derniers, les dénouements que l’on connaît. Certes, le pouvoir vénézuélien tient bon. Malgré les énormes difficultés quotidiennes (qu’aggravent le Coronavirus), une très large fraction des secteurs populaires l’appuient. Les discussions se poursuivent avec l’opposition modérée. Les Forces armées demeurent loyales. Evoquant « la furia bolivariana », l’alliance « civico-militaire » (très mal comprise à l’étranger) prépare, au cas où, la défense du pays.
Mais c’est précisément cette résistance aux desseins de la puissance impérialiste qui incite cette dernière à utiliser les méthodes les plus extrêmes (quand bien même elles seraient cousues de gros fil blanc). « Des millions pour la tête de… » Maduro, Cabello, El Aissami ! Une telle promesse de récompense attire les avides comme la lumière attire les papillons. On trouve toujours des hommes qui aiment les sales besognes. Quelque militaire félon, acheté, opportuniste ou intimidé par la puissance de l’ennemi. Des paramilitaires (colombiens ou venézolano-colombiens). Des barbouzes, des aventuriers. Des mercenaires de compagnies de sécurité privée. Des « spécialistes » américains – surgis, par exemple, du sein de l’armada en cours de déploiement.
Pour ce type de coup tordu, les méthodes ne manquent pas. L’opération commando permettant de séquestrer la cible. Le drone, chargé de l’assassiner. Le bombardement « chirurgical ». La balle d’un « sniper ». Le coup d’Etat mené par un secteur minoritaire de l’armée…
Le pire n’est bien entendu jamais sûr. On ne négligera pas la capacité de la révolution bolivarienne à déjouer les plans ennemis. Ni même un changement de pouvoir lors de la prochaine élection américaine, Trump semblant moins doué pour gérer une pandémie que pour semer la terreur et la mort dans ce qu’il croit être son pré-carré. Néanmoins, en l’état, au mépris du droit international, la préparation d’un crime potentiel se déroule sous nos yeux. Une conspiration. La séquestration ou l’assassinat d’un chef de l’Etat reconnu par l’Organisation des Nations unies et qui n’a commis aucun crime, sauf ceux de défendre la Constitution et la souveraineté de son pays.
Nul n’est obligé d’aimer le président vénézuélien. Nul n’est contraint d’appuyer la révolution bolivarienne. Mais, tout de même… A l’époque où il existait en France une gauche digne de ce nom, elle aurait crié, à l’unisson, toutes tendances confondues : « Nous sommes tous Maduro ! Trump, pas touche au Venezuela ! »
[3] Chef du Cartel de Sinaloa, considéré comme le « trafiquant le plus dangereux du monde » par les Etats-Unis, Joaquin Guzmán a été capturé en février 2014 par les autorités mexicaines (après une première évasion), extradé aux Etats-Unis et condamné à perpétuité par le tribunal de New York, le 17 juillet 2019.
[9] Sur cette affaire, lire Maurice Lemoine, « La Colombie, Interpol et le cyberguérillero », Le Monde diplomatique, juillet 2008.
[10] The International Herald Tribune, 14 octobre 1997.
[11] Condamné en France à dix années par contumace, le prince est depuis protégé par son pays.
[12] Les deux jeunes hommes sont tombés dans un piège tendu par des agents de la DEA : des informateurs payés par cette agence leur ayant promis 20 millions de dollars en échange de cocaïne, ils auraient prévu d’obtenir la marchandise auprès d’un intermédiaire se fournissant auprès des FARC. Du fait de leur arrestation, le crime n’a pas été commis. Ils ont été condamnés pour « conspiration en vue de… ».
[20] D’après Caracol Radio, Marta González, l’épouse d’Alcalá, a une sœur, Lucy, qui a été en couple avec le truand José Guillermo « Ñeñe » Hernández, assassiné en 2019 et au cœur d’un scandale d’« achats de votes » au profit de l’actuel président Iván Duque. Sur cette affaire, lire : http://www.medelu.org/La-Colombie-aux-temps-du-cholera
Au moment où les États-Unis vont vivre une semaine de pandémie très difficile, Donald Trump lance un ultimatum guerrier au Venezuela pour chasser Nicolas Maduro de la présidence de la République bolivarienne.
Lors d’une conférence de presse, le 1er avril, le président américain s’est rêvélé incapable de répondre aux inquiétudes sociales, économiques et sanitaires des Américains et a préféré engager une nouvelle offensive contre le Venezuela. En compagnie du secrétaire d’État à la Défense et du chef d’Etat-Major des Armées, il annonce « un grand plan de lutte contre le crime organisé et le narcotrafic latino-américains », tout en ne ciblant qu’un seul pays : le Venezuela, et qu’une seule personne : Nicolas Maduro.
Cette annonce arrive quelques jours après l’annonce de Mike Pompéo d’un « cadre pour une transition démocratique » au Venezuela qui vise en réalité à démanteler les institutions vénézuéliennes.
Ce document propose d’installer un « Conseil d’Etat » transitoire sans Nicolas Maduro ni Juan Guaido, sans membre du Parlement ni pouvoir judiciaire. Cette instance aurait pour mission d’organiser des élections présidentielles et législatives dans un délai de 6 à 12 mois. Il s’agit en fait de forcer le départ immédiat de Maduro tout en laissant l’Assemblée nationale aux mains de Guaido pourtant en grande difficulté dans son pays.
Cette « proposition » n’a rien d’une ouverture de négociation mais est bel et bien un nouvel ultimatum guerrier car il s’accompagne de très inquiétants mouvements de troupes US et de matériel militaire.
Alors que le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, et la secrétaire exécutive de la CEPAL (Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes), demandent la levée générale des sanctions économiques et financières contre tous les pays dont le Venezuela, et appellent à cesser les conflits et guerres partout sur la planète pour mobiliser les énergies et ressources contre la pandémie de Covid 19, les Etats-Unis menacent d’une intervention militaire et l’Union européenne prend le parti de l’hostilité s’alignant sur les décisions de Donald Trump. En effet, le 3 avril 2020, le vice-président de la Commission européenne à la politique étrangère affirme son accord avec la proposition des Etats-Unis de « cadre pour une transition démocratique ». La France a, elle aussi, communiqué sur le site du ministère des Affaires étrangères en indiquant que « la France soutient une solution politique et pacifique à la crise que connaît le Venezuela dont l’issue passe par la tenue d’élections législatives et présidentielles libres, transparents et crédibles ». La France et l’Union européenne s’alignent une nouvelle fois sur l’Administration américaine dans son obsession à contrôler le Venezuela.
Or le moment n’est certainement pas à de nouveaux actes d’ingérence mais bien à la solidarité et à la coopération internationale. Cette solidarité internationale passe par la levée immédiate des sanctions économiques et financières envers le Venezuela mais aussi envers Cuba et tous les pays frappés d’embargos et dont les populations n’ont pas accès à l’aide internationale dans ce contexte de pandémie virale.
La France ne doit en aucun cas apporter de soutien de quelque nature que ce soit aux Etats-Unis dans leur tentative de déstabilisation du Venezuela, état indépendant et souverain en particulier en pleine pandémie.
Le Parti communiste français condamne avec force les manœuvres militaires étasuniennes au large du Venezuela de même que le soutien de la France et de l’UE au « cadre de transition » que les Etats-Unis cherchent à imposer.
Le PCF exprime à nouveau sa totale solidarité avec le peuple vénézuélien et les forces démocratiques et de paix vénézuéliennes.
Après les deux premiers longs métrages, Visconti prend momentanément ses distances par rapport au monde du cinéma. D’une part, car, épuisé par l’expérience réaliste de La Terra tremble, et donc à la recherche de canaux capables de fournir plus d’amplitude créative ; de l’autre, parce que déçu par le système-cinéma (pas par le « moyen »-cinéma) qui, jusqu’à présent, n’a pas fait preuve de beaucoup de compréhension à son égard, entre des mésaventures distributives, des malentendus et des sabotages, même sans lui refuser le statut de réalisateur de pointe de l’époque.
Pour se débarrasser des mauvaises humeurs et des étiquettes imméritées, Visconti se retranche dans le théâtre en donnant libre cours à sa capacité d'invention que le cinéma ne peut lui accorder actuellement. Il écrit une version malheureusement jamais représentée de l'"Orlando furioso" où les scènes auraient dû se dérouler sur différentes planches, en même temps à l’intérieur d’un même environnement, en laissant au spectateur la possibilité de participe; et, en suivant une aspiration de fantaisie expressive, il réalise « Rosalinda ou come vi piace » que, en plus de jeunes acteurs du calibre de Vittorio Gassman, Marcello Mastroianni et Ferruccio Amendola, peut se vanter d'avoir parmi ses collaborateurs le génie de la peinture Salvador Dalí, auteur de scénographies et de costumes.
Dans les années à venir, Visconti apporte aussi au théâtre des œuvres moins frénétiques, comme « Un tramway nommé désir » et « Mort d’un commis voyageur » d’Arthur Miller et, malgré son éloignement partiel du cinéma, il ne cesse de proposer des ébauches de films, toutes rejetées.
L’opportunité de retourner derrière la caméra arrive en 1951 grâce à « Documento Mensile », sorte de magazine périodique produit par Marco Ferreri dans lequel il est demandé aux grands noms de la culture italienne de fournir un "commentaire" sur des événements d’actualité. De la collaboration avec Vasco Pratolini naît « Appunti su un fatto di cronaca » (1951), un court-métrage de huit minutes sur le cas d’homicide d’Annarella Bracci, une fille de 12 ans violée et jetée dans un puits. Visconti choisit d’accompagner le texte de Vasco Pratolini, lyrique et sec en même temps, avec des images documentaires de la périphérie romaine, entre la désolation des immeubles populaires et les champs arides, recréant un panorama désertique, lunaire, déshumanisant qui, bien qu’il ne montre rien d'étroitement lié au fait divers, peint des impressions autour de la figure seulement évoquée d’Annarella, sans que ni un ton compatissant ni un ton de dénonciation sociale ne prévalent sur la transformation du fait horrible en une fresque existentielle universelle.
« Appunti su un fatto di cronaca » est le prélude au troisième long métrage de Visconti : pas un de ses projets propres cette fois, mais un projet qui lui est proposé, écrit par Cesare Zavattini.
C’est l’été 1951 et « Bellissima » est prêt à être tourné.
Visconti a réécrit le scénario avec Suso Cecchi D'Amico et Francesco Rosi, adaptant le sujet de Zavattini à sa poésie, misant surtout sur Anna Magnani au service des critères du cinéma anthropomorphique rodé en « Ossessione » et « La terra trema ». Visconti a accepté de tourner le film grâce à la présence déjà sûre de la Magnani, décidé à signer un portrait de femme tridimensionnelle, au-delà des frontières de la simple narration.
Ce qui l’intéresse, c’est de travailler avec le (et sur) personnage interprété par la Magnani, Maddalena Cecconi, dans la même mesure qu’il s’intéresse à travailler avec/sur l’actrice-Magnani et avec/sur la diva-Magnani. Pour cela Visconti exploite au mieux le domaine cinématographique, en croquant ironiquement sa mesquinerie, son arrivisme, sa superficialité, mais seulement pour permettre au processus narratif de l’histoire de Maddalena/Anna d’être plus contrasté, vif et sincère. Pour la énième fois, une relecture de la réalité est chargée de dévoiler la vérité cachée des choses, sous la forme de la fiction.
Maddalena est une pauvre fille qui, pour gagner de l’argent, est infirmière à l’heure, mariée à Spartacus, amoureuse du "cinéma", prête à tout, ou presque, pour obtenir un contrat pour sa fille. Anna Magnani lui prête un physique vraisemblable, mais ne renonce pas à des nuances expressives plus intimes, lorsque la volonté de rachat par Marie se transforme en obsession individuelle, ou dans l’épilogue où la désillusion l’emporte. Visconti agit dans l’ombre, construit le caractère autour de la répression, du rôle parental, de la sexualité : pour toute l’affaire, Madeleine n’est pas une femme, c’est une mère qui ne voit que dans le miroir des impressions de féminité détachées de la maternité.
Le contraste avec l’érotisme naturel de la Magnani fait partie de l’opération viscontienne. Maddalena est réprimandée par Spartacus en se disputant pour Maria et refuse les avances de Walter Chiari. Elle est tellement absorbée par sa propre mission - donner à Marie ce qu’elle n’a jamais eu - qu’elle ne se rend pas compte qu’elle a projeté sur l’enfant un besoin personnel de revanche, d’évasion de la vie vers le rêve du cinéma, ignorant la différence entre l’image idéalisée qui défile sur l’écran et les personnes vraies, défectueuses, souvent mesquines, cachées derrière cet écran et cette image.
Alors, dans l'avant-final, Maddalen, qui s'attriste devant « La rivière rouge » d’Howard Hawks, écoute enfin les pleurs répétés de Maria ridiculisée par l’équipe de Blasetti, et promet à la fin que sa fille ne fera jamais de cinéma, elle parle d’elle-même, entre résignation et fierté. Une « elle-même » à l’identité recomposée, bien que dans l’amertume, sur le point de faire l’amour avec son mari, tandis que l’enfant dort dans la chambre à côté.
Mais dans « Bellissima », nous n’assistons pas à un affrontement social ou urbain entre classes, entre riches et pauvres, opprimés et oppresseurs, centre et périphérie. Maddalena ne refuse pas d’élever sa condition par humilité ou au nom d’une quelconque morale populaire. C’est que, dans le discours néo-réaliste, Visconti fait entendre sa voix polémique, en renversant des normes et des icônes, en configurant le cinéma comme un organe qui, toujours, que ce soit dans le bien et dans le mal, trouve son origine dans la mystification, la fausseté, l’interprétation par la transcription, incapable d’enregistrer l’effectivité directe ou de véhiculer des messages qui ne soient pas conditionnés à l’efficacité dramaturgique. Certains considèrent ce film comme un ouvrage mineur et transitoire, mais « Bellissima » est le point par lequel le réalisateur termine lucidement un chapitre qu’il avait lui-même ouvert, de sorte que Lino Micciché (critique et historien du cinéma italien) ose définir le film comme "un des actes de mort les plus conscients de l’utopie néoréaliste".
Inde, on peut craindre que le Covid-19 aura des conséquences terribles.
Ce sont des informations d'étape transmises par Jean-Claude Breton, président de l'AADI, association morlaisienne développant le partenariat et l'échange culturel, scolaire, universitaire avec l'Inde.
Ci-joint le lien video de l' interview d’un éminent épidémiologique indien, par Barkha Dutt , journaliste vedette en Inde ( un mélange d’Elise Lucet et Anne Sinclair) qui est lourd de sens .
L’entretien est assez long ( 35 mn) , très technique et bien sûr en anglais.
En résumé:
- le Premier Ministre indien savait pertinemment dès le début que les chiffres officiels en Inde étaient très sous-estimés.
- il communique ensuite de manière émotionnelle ( les 21 jours de confinement ou bien 21 ans de retour en arrière) et en utilisant les ressorts « populaires », traditionnels, mythologiques, etc…
- la prévision de 1 à 2 millions de morts d’ici juillet en Inde est compatible avec les chiffres en Occident, en proportion des populations et des déficiences notoires des structures médicales en Inde.
Il faut craindre que le gouvernement indien actuel, nationaliste et fascisant, exploite les haines sous-jacentes des extrémistes hindous vis-à- vis de la communauté musulmane , pour attribuer l’épidémie à ces populations.
Alors que les gouvernements successifs de l’Inde ont failli à leurs devoirs en terme de budgets dédiés à la santé et de réduction des inégalités sociales.
Des cas de contamination vient d’être décelés dans certains des grands slums de Bombay. Ce sera ensuite une explosion .
Mais le gouvernement pourra expliquer que ces slums abritent tellement d’immigrants illégaux...
La recherche du bouc-émissaire est à craindre.
La presse française, nationale et régionale, est dans l’ensemble plutôt silencieuse sur l’Inde, qui est pourtant aujourd’hui le plus grand confinement du monde ( la Chine n’avait confiné qu’une partie de ses provinces) et où le risque en nombre de morts, dans un pays fortement inégalitaire comptant 1,3 milliards d'habitants, est bien le plus élevé.
Présentation de la fresque d'Harshvardam Kadam à la Manu à Morlaix par l'AADI
Grâce au travail de Jean-Claude Breton et de l'association AADI qui organisent le festival Armor India, Morlaix a la chance depuis des années d'inviter de grands artistes et intellectuels indiens et de faire connaître notre région et la Bretagne à des milliers d'Indiens, notamment de l'ouest, de la région de Pune et de Bombay, dans le cadre d'échanges scolaires et universitaires.
Voici le lien vers la video que vient de faire Harshvardhan Kadam, l'artiste de street art connu en Inde qui nous avait offert l’inoubliable fresque de l’éléphant en septembre 2015 sur le mur de la Manufacture de tabac…
Jean-Claude et Claudine Breton l'avaient retrouvé à Pune en février 2017, lorsqu’il réalisait, avec son frère , une immense fresque sur le mur de la prison de Yeravada ( où Gandhi a passé de longs mois)...
Il s’agit de la plus longue fresque de toute l’Inde, à laquelle ont participé de nombreux volontaires sous la direction des 2 frères , dont cette vidéo vient à peine être confectionnée, pour notre grand plaisir.
Nous sommes pas peu fiers d’avoir accueilli Harshvardhan à Morlaix, quelle maîtrise !
Nous pensons en particulier à la petite équipe de bénévoles de l'AADI qui avaient tant bossé lors de la difficile installation de la fresque de l’éléphant, et qui se souviennent de la gentillesse de l’artiste.
Voici quelques photos prises lors de la rencontre de Jean-Claude Breton et sa femme qui avaient invité l'artiste plusieurs jours dans la région de Morlaix en 2015, avec Harshvardhan Kadam et son frère à Pune, qui sortent la vidéo de leur réalisation, step by step, ce mois-ci.
Au moment d’obtenir l’autorisation de peindre sur le mur de la Manu sélectionné, il avait fallu malheureusement se contenter d'une impression numérique , qui en pratique n’avait pas tenu.
En revanche cela a permis de récupérer la fresque, qu’on redéploie périodiquement sur les murs du local de l'AADI à la Manufacture de Tabac à Morlaix.
Il serait bon de mieux valoriser encore au niveau de Morlaix et Morlaix-Communauté cet extraordinaire partenariat avec la société civile et les créateurs de l'Inde, une source d'enrichissement mutuel.
Ismaël Dupont
Photo Jean-Claude Breton
Photo Jean-Claude Breton
Photo Jean-Claude Breton
Photo Jean-Claude Breton
Photo Jean-Claude Breton
2018 devant la mairie de Morlaix - Rassemblement de jeunes indiens et bretons en échanges scolaires
Lauréate du Booker Prize et du prix Sydney de la paix, Arundhati Roy est dans le viseur du pouvoir nationaliste hindou. Combattante tout-terrain, l’écrivaine défie les démons de l’Inde violente, documente les ravages d’un néolibéralisme génocidaire. Et fait le lien entre la politique du premier ministre indien, Narendra Modi, et la montée des fascismes au XXe siècle.
Elle vient de publier « Mon cœur séditieux ».
Entretien.
Lorsqu’elle s’adresse à la foule, en ce 1er mars, à Jantar Mantar (New Delhi), Arundhati Roy envoie un clin d’œil à l’Inde des Lumières. Sur ce site, des outils astronomiques du XVIIIe siècle construits sur ordre du maharadja Jai Singh II, dont la curiosité et les recherches s’étendaient aux arts, à la philosophie autant qu’à la religion. Autrement dit, l’antithèse de l’obscurantisme du pouvoir actuel, le BJP, dont les zélotes organisent des séances de beuverie autour de l’urine de vache sacrée afin de lutter contre le coronavirus. À l’heure où les nationalistes hindous lancent des pogroms contre les habitants des quartiers ouvriers à majorité musulmane de la capitale, où le pouvoir tente d’en finir avec le caractère séculaire de la Constitution et où les lois islamophobes se multiplient, l’autrice indienne s’adresse à l’opposition qui, même minoritaire, n’entend pas livrer le pays au fascisme. : « Vous pouvez être en accord ou en désaccord avec une Constitution dans son ensemble ou en partie, mais agir comme si elle n’existait pas, comme le fait ce gouvernement, c’est démanteler complètement la démocratie. »
Arundhati Roy aurait pu profiter du confort que le succès du « Dieu des petits riens » lui conférait. Elle a plutôt choisi de se lancer sur les routes de l’Inde pour révéler les périls combinés de l’ethnonationalisme et de l’ultralibéralisme. Elle part ainsi sur les berges de la rivière Narmada, dans l’État du Gujarat, pour soutenir les villageois menacés d’expulsion dans le cadre de la construction d’un des plus grands barrages au monde. Elle dénonce la civilisation nucléaire et milite contre l’occupation indienne du Cachemire. Ce travail, fruit de vingt ans de réflexions, est aujourd’hui compilé dans « Mon cœur séditieux » (Gallimard). Concomitamment, l’éditeur publie « Au-devant des périls. La marche en avant de la nation hindoue », une conférence prononcée à New York, en 2019, dans laquelle elle fait le lien entre la politique du premier ministre indien, Narendra Modi, et la montée des fascismes au XXe siècle.
Quels sont les défis aujourd’hui posés par le pouvoir nationaliste hindou ?
Arundhati Roy. Jusqu’à présent, le gouvernement a refusé de revenir sur le projet de loi d’amendement sur la citoyenneté, qui est anticonstitutionnel, et accorde des droits de citoyenneté accélérés seulement aux non-musulmans du Pakistan, du Bangladesh et d’Afghanistan. Mais il a commencé à envoyer des signaux contradictoires concernant le registre national des citoyens (NRC), qui est la véritable menace pour les musulmans indiens, ainsi que pour des millions d’autres. Les manifestations continuent mais sont violemment réprimées.
Entre le 24 et le 27 février, des foules hindoues armées, soutenues par la police de Delhi, ont attaqué des musulmans dans des quartiers ouvriers du nord-est. La violence était dans l’air depuis un certain temps. Lorsque l’attaque a été lancée, les policiers ont été vus, se tenant à l’écart, ou soutenant la foule. Des maisons, des magasins, des véhicules ont été incendiés. Beaucoup ont été hospitalisés pour des blessures par balles. Des vidéos horribles ont circulé sur Internet. Dans l’une d’elles, de jeunes hommes grièvement blessés, étendus dans la rue, certains entassés les uns sur les autres par des policiers en uniforme, sont contraints de chanter l’hymne national.
Par la suite, l’un d’eux, Faizan, est décédé des suites d’un coup de bâton de policier dans la gorge. Plus de 50 personnes ont perdu la vie. Environ 300 personnes ont été admises à l’hôpital pour blessures graves. Des milliers de personnes vivent désormais dans des camps de réfugiés. Au Parlement, le ministre de l’Intérieur s’est félicité. Et le BJP (Bharatiya Janata Party, parti du premier ministre Narendra Modi – NDLR) n’a ménagé aucun effort pour présenter la violence comme une « émeute » hindoue-musulmane. Ce n’était pas une émeute. Il s’agissait d’une tentative de pogrom, menée par une foule armée fasciste.
Le recensement, déjà testé en Assam, État de l’est de l’Inde, a créé un nouveau groupe d’individus – musulmans pour la plupart – sans aucun droit. Peut-on parler d’un nouveau système de castes ?
Arundhati Roy. Durant une grande partie de son enfance et de sa vie d’adulte, Modi a appartenu à une organisation nationaliste hindoue d’extrême droite, Rashtriya Swayamsevak Sangh (RSS). Aujourd’hui, le RSS est le navire amiral qui contrôle le BJP. Il prône un système de castes moderne, dans lequel les musulmans seraient les nouveaux dalits (plus connus ici sous le terme récusé d’intouchables – NDLR).
L’idée de pureté de la race est omniprésente. Il s’agit de la version RSS des lois allemandes de Nuremberg de 1935. L’amendement contre les musulmans est le premier acte. D’autres suivront sans doute. Chrétiens, dalits, communistes… tous ennemis du RSS. Les tribunaux des étrangers et les centres de détention, qui ont déjà commencé à se multiplier, ne sont pas censés accueillir des centaines de millions de musulmans. Mais ils sont destinés à nous rappeler que c’est là que les musulmans de l’Inde devraient en réalité vivre.
Au moment de la sortie du « Dieu des petits riens », en 1997, vous incarniez l’Inde nouvelle. Que signifie être écrivain dans l’Inde d’aujourd’hui ?
Arundhati Roy. Pour moi, être écrivain aujourd’hui revient à essayer de comprendre l’immense complexité du pays où je vis… une complexité unique à bien des égards, en particulier en ce qui concerne le fonctionnement de la caste. Les intellectuels indiens, qu’ils soient conservateurs, libéraux ou de gauche, ont été tellement malhonnêtes dans leur manière d’appréhender cette question. Pour moi, cela signifie regarder vers le Cachemire et essayer de ne pas cligner des yeux lorsque toutes les machines de l’État et les médias se retournent contre moi ; cela a signifié marcher dans les forêts de l’Inde centrale où une guerre a été déclarée contre les peuples autochtones pour donner les terres à des entreprises ; cela signifiait se lever lorsque le gouvernement central brûlait une partie de ma ville… mais, surtout, cela signifiait trouver un moyen de continuer à écrire, d’être toujours écrivain.
Vous dites avoir écrit ces essais pour reprendre le « contrôle de la langue », alors que l’époque est au détournement de mots. Parler et donc penser avec les paroles de l’adversaire, c’est déjà se rendre, dites-vous. Le choix des mots est-il un acte militant ?
Arundhati Roy. L’adversaire prend nos mots et leur fait signifier le contraire de ce qu’ils signifient vraiment. Il déploie nos mots contre nous. Mais pour moi, le choix des mots n’est pas toujours un acte militant. Pas du tout. Parfois, c’est un acte tendre. Un acte d’amour. Un acte poétique. Un acte irrévérencieux.
Mon cœur séditieux, somme d’essais parus ces vingt dernières années, d’Arundhati Roy, Gallimard, collection « Du monde entier », 1 056 pages, 26,99 euros.
Depuis le mois de janvier, une quarantaine de laboratoires dans le monde sont engagés dans la recherche d’un vaccin contre le Sars-CoV2. Mais cette course contre la montre est plombée par une redoutable concurrence entre pays. Derrière, des questions de gros sous, d’influence et de souveraineté.
Laboratoires de recherche publique, start-up dédiées aux biotechnologies ou multinationales de l’industrie pharmaceutique, ils se sont lancés dans la course dès le 7 janvier, lorsqu’une équipe de Shanghai a publié la séquence génétique complète du Sars-CoV2, le coronavirus à l’origine de la pandémie mondiale en cours. Objectif, travailler à la mise au point d’un vaccin. Devant cette maladie émergente qui a désormais poussé la moitié de l’humanité au confinement faute d’outils adaptés pour contenir la contagion, l’enjeu économique est colossal. Le marché mondial des vaccins est lucratif. Il a connu, dans la dernière décennie, une nette envolée : il représentait 26 milliards de dollars en 2011, puis 32,3 milliards de dollars en 2014 ; il devrait franchir la barre des 80 milliards de dollars à l’horizon 2025. À lui seul, le vaccin contre la grippe brassait en 2018 près de 4 milliards de dollars et devrait dépasser les 6 milliards en 2026.
La demande monte et les profits grimpent, dopés par les innovations : vaccins thérapeutiques, vaccins combinés, vaccin antigrippal universel en cours de développement, qui susciterait l’immunité contre toutes les souches du virus de la grippe, etc. Quant aux recherches portant sur des vaccins protégeant des infections graves, chroniques, sur un traitement lourd et difficile comme le VIH, elles laissent encore entrevoir de nouvelles opportunités économiques.
Des préparations complexes à produire
Pourtant, les vaccins ne représentent que 2 % du gigantesque marché mondial du médicament, qui dépassait en 2018 les 1 046 milliards de dollars de chiffre d’affaires (environ 928 milliards d’euros), en croissance de 5 % par rapport à l’année précédente (1). Ils sont complexes à produire et impliquent des coûts de recherche-développement d’autant plus lourds que c’est ici la concurrence qui prime, plutôt que la coopération, même si leur mise au point donne ponctuellement lieu à des « partenariats ». Pour le coronavirus, le coût du développement d’un vaccin pourrait approcher les 2 milliards d’euros… Le retour sur investissement, lui, est plus modeste qu’avec un médicament classique, puisqu’une à deux injections sont nécessaires, seulement, pour déclencher l’immunité.
Pourquoi, alors, se lancer dans la course ? Pour les jeunes sociétés de biotechnologies, qui revendent le plus souvent les licences aux géants du secteur, le bénéfice symbolique se conjugue, pour beaucoup d’entre elles, à des enjeux de capitalisation boursière : plus de 820 entreprises de biotechnologies sont aujourd’hui cotées dans le monde, pour une capitalisation globale dépassant 1 000 milliards de dollars. L’affichage du succès que représente la mise au point d’un nouveau vaccin est aussi, pour les majors de l’industrie pharmaceutique, affaire d’image, de notoriété et de prestige scientifique, avec des retombées escomptées sur l’ensemble de leurs gammes de produits et des perspectives de renégociation, avec les pouvoirs publics, des prix régulés de certains médicaments.
Un défi industriel inouÏ
« Trente à quarante laboratoires aux statuts très divers sont actuellement dans la course, poussés par la renommée mondiale que leur assurerait un succès. Pour l’instant, les géants de l’industrie pharmaceutique observent, les laissent se battre, financent un peu et, lorsqu’un vaccin crédible apparaîtra, ils négocieront des contrats de licence, avec des royalties à l’échelle mondiale. La demande est forte, il faudra inonder la planète de plusieurs milliards de doses ; ce sera un défi industriel inouï, qu’il sera difficile de relever en se passant des majors », observe Claude Le Pen, économiste de la santé, professeur d’économie à l’université Paris-Dauphine.
Brevets et licences pourraient-ils, dès lors, entraver la production à grande échelle et l’accès des populations les moins solvables au vaccin ? En fait, l’acuité de la crise sanitaire globale pourrait accélérer des tendances déjà latentes, jusqu’à faire voler en éclats les règles en vigueur en matière de propriété intellectuelle. Un précédent pourrait ici faire jurisprudence : en 2001, les trusts de l’industrie pharmaceutique avaient finalement renoncé, devant le scandale mondial suscité par leur démarche, à poursuivre le gouvernement sud-africain, coupable à leurs yeux d’avoir autorisé les entreprises locales à produire des traitements génériques contre le sida, ou à les importer sans passer par les brevets des multinationales. L’année précédente, le VIH avait emporté 2,4 millions d’Africains et, cinq ans plus tôt, Pretoria avait invoqué, pour déroger aux accords de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) sur les droits de propriété intellectuelle relatifs au commerce, une clause d’exception prévue par ces mêmes accords en cas d’urgence sanitaire. Les États pourraient, demain, mobiliser les mêmes arguments pour contourner les obstacles posés par le brevetage d’un futur vaccin.
La recherche du prestige
Du séquençage génétique du virus jusqu’aux premiers essais cliniques et à la fabrication du produit, les protocoles sont complexes, lourds : la mise au point d’un vaccin efficace et sûr requiert 12 à 24 mois. Le temps de la recherche n’est pas celui du récit médiatique, ni celui des promesses politiques comme celles de Donald Trump, qui jure qu’un vaccin sera disponible « dans 2 ou 3 mois ». Mais, dans un monde multipolaire aux équilibres mouvants, la course au vaccin contre le Sars-CoV2 est une course contre la montre qui implique, entre soft power et guerre économique, des enjeux géostratégiques nouveaux, dans un contexte de crise structurelle de la mondialisation capitaliste.
Berceau de la pandémie, la Chine, qui met en scène son aide à des pays européens dépassés par la crise sanitaire, tient, pour l’heure, une longueur d’avance. Dès le 20 mars, Pékin annonçait le lancement d’un premier essai clinique : 108 volontaires âgés de 18 à 60 ans, tous originaires de Wuhan où est apparu le Covid-19 en novembre 2019, ont reçu les premières injections ; ils seront suivis pendant 6 mois. Étape saluée avec des accents nationalistes assumés par l’éditorial du « Global Times » : « Le développement d’un vaccin est une bataille que la Chine ne peut se permettre de perdre ! » La Russie, elle, se flatte d’être entrée dans une phase de tests sur des animaux, avec des premiers résultats attendus en juin et, en France, l’équipe du laboratoire d’innovation vaccinale de l’Institut Pasteur travaille d’arrache-pied depuis plusieurs semaines. La concurrence, dans cette affaire, n’est pas seulement un frein à la recherche et un fardeau économique ; elle peut prendre un tour rocambolesque, jusqu’à provoquer des crises diplomatiques d’un genre nouveau. Le 16 mars dernier, le gouvernement allemand accusait publiquement Donald Trump d’avoir voulu faire main basse sur un laboratoire allemand travaillant sur le développement d’un vaccin contre le Sars-CoV2 en vue d’en obtenir « l’exclusivité » pour les États-Unis. « Les chercheurs allemands jouent un rôle de premier plan dans le développement de médicaments et vaccins, et nous ne pouvons permettre que d’autres cherchent à se procurer l’exclusivité de leurs résultats ! » s’emportait le ministre allemand des Affaires étrangères, Heiko Maas. Dans la foulée, le laboratoire en question, CureVac, implanté à Tübingen (dans le Bade-Wurtemberg), démentait l’existence de tractations financières avec l’hôte de la Maison-Blanche, tandis que le ministre de l’Intérieur, Horst Seehofer, confirmait au contraire les dires de son collègue. L’affaire fut aussitôt mise à l’ordre du jour du comité de crise du gouvernement chargé de piloter la lutte contre l’épidémie de coronavirus, et on apprit dans la presse allemande que Donald Trump avait tenté d’appâter à coups de millions de dollars des scientifiques allemands, leur faisant miroiter des investissements dans l’entreprise à condition que le futur vaccin soit réservé « uniquement aux États-Unis ».
Sans confirmer l’offre d’achat, CureVac avoua finalement dans un communiqué que son PDG avait été personnellement invité, le 3 mars, par le président américain à la Maison-Blanche pour discuter du « développement rapide d’un vaccin contre le coronavirus ». Une semaine plus tard, le laboratoire annonçait, sans plus d’explications, le départ de ce même PDG et le ministre allemand de l’Économie, Peter Altmaier, se félicitait de la « décision formidable » de CureVac de refuser les avances de Washington. Berlin promet désormais d’opposer son veto à tout projet d’investissement dans des entreprises nationales jugées stratégiques. Élan patriotique ? En coulisses, Bruxelles faisait en fait monter les enchères. À l’issue d’une rencontre avec les dirigeants de CureVac, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, louait leur « technologie prometteuse pour développer un vaccin » et mettait sur la table un soutien financier de 80 millions d’euros…
Bientôt dépendants de la Chine ?
« L’accès à une couverture vaccinale sûre est un enjeu de souveraineté, remarque Claude Le Pen. Pour l’instant, la France et l’Europe sont exportatrices de vaccins. Mais, imaginons que la Chine, qui affiche la volonté d’investir dans ce secteur et dispose de toutes les compétences requises pour cela, développe la première un vaccin contre le coronavirus. Cela nous placerait dans une situation de dépendance : Pékin pourrait le réserver, d’abord, à la population chinoise, et renvoyer à plus tard les exportations. » Vaccins, médicaments, tests, masques apparaissent dans cette crise, au-delà du soin, comme des biens stratégiques. Un fragment d’ARN, et c’est toute l’architecture de la globalisation capitaliste qui est mise en question.
(1) Avec de très fortes disparités, puisque les États-Unis représentaient à eux seuls 47,5 % de la consommation de médicaments, loin devant l’Europe (23,2 %), l’Asie/Pacifique (22,5 %), l’Amérique latine (4,4 %), le Moyen-Orient (1,9 %), l’Afrique (0,5 %).
Article de Politis lu sur le site: http://chansonsrouges.hautetfort.com
Helin Bölek, l’une des chanteuses de Grup Yorum, est décédée ce vendredi, à Istanbul. La musicienne venait d’entamer son 288e jour de grève de la faim.
Depuis quelques jours, les nouvelles provenant de Turquie étaient préoccupantes. L’état de santé d’Helin Bölek, engagée dans une grève de la faim « jusqu’à la mort », n’a cessé de se dégrader. La chanteuse de la célèbre formation musicale Grup Yorum est décédée ce vendredi, à Istanbul.
Depuis mai 2019, Helin Bölek – aux côtés d’Ibrahim Gökçek – était en grève de la faim pour dénoncer la répression à l’encontre du groupe de musique révolutionnaire et les continuels empêchements organisés par le pouvoir turc. Comme d’autres membres de Grup Yorum, Helin était poursuivie pour « appartenance à une entreprise terroriste ».
Depuis le début des années 2000 la formation musicale est affiliée par le gouvernement au Parti-Front révolutionnaire de libération du peuple (1) (DHKP-C), d’obédience marxiste-léniniste, inscrit sur la liste des organisations terroristes de la Turquie, de l’Union européenne et des États-Unis. Des accusations « sans fondement » dont les musicien·nes ne cessent de se défendre depuis toutes ces années.
Le mois dernier, nous vous dressions un portrait de Grup Yorum et vous expliquions les raisons de cet acharnement judiciaire et politique.
Créé en 1985 par quatre étudiants en réaction au coup d’État militaire survenu cinq ans plus tôt, Grup Yorum place son art au service des« peuples opprimés de Turquie et d’ailleurs », milite pour les droits et les libertés. À cette époque, la junte militaire veut faire régner l’ordre et réprime brutalement l’ensemble de la gauche turque. Socialiste, anti-impérialiste et internationaliste, Grup Yorum chante la catastrophe minière de Soma (2), les exactions commises par les forces de sécurité ou la dure réalité des classes populaires. Les membres sont de toutes les manifestations démocratiques, de toutes les occupations. Pour dénoncer la répression culturelle envers les minorités, les paroles sont écrites en kurde, en arabe ou en circassien. En trente-cinq ans, Grup Yorum a vu défiler 70 musicien·nes, enregistré 23 albums et ouvert ses portes à près de 3.000 choristes. Son objectif : « Décloisonner l’art monopolisé par les classes bourgeoises ». Sans limite, il expérimente tout ce qui peut l’être : des chants traditionnels à la symphonie en passant par des compositions folk, rock ou hip-hop. Mais ce qui symbolise surtout Grup Yorum depuis la fin des années 1980, c’est son esprit de résistance aux gouvernements successifs. Force de l’opposition, Grup Yorum, c’est aussi des centaines de procès, des dizaines d’arrestations aussi violentes qu’arbitraires et de constantes campagnes de décrédibilisation.
En février, dans le cadre de cet article, nous avions pu nous entretenir avec Ibrahim Gökçek, qui venait d’être libéré pour raisons médicales, et placé en résidence surveillée à Istanbul. Le bassiste de Grup Yorum nous expliquait alors les raisons d’une telle décision, celle d’entamer un « jeûne de la mort » :
Prendre cette décision n’a pas été si difficile au vu de ce que nous vivons chaque jour. Nos instruments et notre musique sont systématiquement détruits. Nos concerts interdits. Nos noms inscrits sur des listes terroristes, et nous sommes emprisonné·es. Tant de choses se sont passées. De grandes injustices. Bien sûr, depuis le début, nous voulons vivre. Mais parfois, en Turquie, il faut être prêt à mourir pour se tenir débout.
Lorsque Grup Yorum a été créé, la Turquie était réduite au silence. Nous avons chanté contre les injustices et nous nous battons encore aujourd’hui pour montrer l’évidence. Nous ne nous battons pas seulement pour nous, mais pour tous les peuples de Turquie. Et je sais que, s’il devait nous arriver quelque chose, à Helin ou à moi, la résistance ne prendrait pas fin.
Affaibli, Ibrahim entame aujourd’hui son 291e jour de grève de la faim.
Les revendications des membres de Grup Yorum :
l’arrêt des descentes policières contre le centre culturel d’Idil, dans le quartier d’Okmeydanı, à Istanbul, perquisitionné plus de 10 fois au cours de ces deux dernières années.
l’arrêt des interdictions de concerts en cours depuis près de trois ans.
l’abandon total des poursuites intentées contre les membres de Grup Yorum.
la libération des membres encore incarcéré·es.
le retrait des noms des membres de Grup Yorum des listes terroristes.
(1) Le DHKP-C revendique des attentats ciblés, notamment contre des policiers, des responsables politiques et militaires.
(2) Le 13 mai 2014, plus de 300 personnes meurent dans un incendie déclaré dans la mine de Soma, où les conditions de sécurité n’avaient pas été respectées. La catastrophe a engendré des appels à la grève de quatre syndicats professionnels et de nombreuses manifestations contre le pouvoir, déjà aux mains de l’AKP.
Protégez les gens, pas le système ! Changer de politique immédiatement
La propagation du virus COVID-19 a précipité une profonde crise mondiale. C'est un choc pour toute l'humanité qui a également de lourdes conséquences sur l'économie. Des mesures drastiques ont été prises dans presque tous les pays afin de prévenir la contraction et de contenir la pandémie. En effet, tous les efforts sont nécessaires pour protéger les populations. Ces mesures doivent être coordonnées, mais il manque encore une réponse globale. C'est également le cas de l'UE, qui est totalement incapable de promouvoir la solidarité. L'Italie, le pays le plus touché, a été laissée seule. Aujourd'hui, les pays prennent les uns après les autres des mesures drastiques, mais il n'y a pas de coordination efficace de la part des institutions européennes. Finalement, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a proposé l'activation de la clause de sauvegarde générale du pacte de stabilité et de croissance afin de permettre des mesures budgétaires pour combattre la crise. Cela n'est pas suffisant. Il devrait être suivi de l'annulation totale du pacte, qui a été utilisé pour imposer l'austérité dans les dépenses publiques, sapant ainsi les soins de santé et les autres services publics au détriment de la population, qui en souffre aujourd'hui dans la crise du coronavirus. Des efforts supplémentaires sont nécessaires pour contrer l'impact économique et social du coronavirus. Cela concerne également la Banque centrale européenne (BCE) qui doit assumer sa responsabilité en matière de développement économique et de plein emploi, et doit prendre toutes les mesures nécessaires pour éviter la spéculation financière. Nous devons veiller à ce que les actions nationales soient coordonnées et à ce qu'un système de solidarité solide soit mis en place pour gérer la crise du coronavirus.
Les gens doivent être protégés - socialement et économiquement. Des milliers de travailleurs et d'employés risquent de perdre leur emploi et leur revenu. Les plus touchés sont ceux qui travaillent dans des conditions précaires, en particulier le personnel d’entretien, de nettoyage et les professionnels de santé. Le virus frappe plus durement les plus faibles. Si les gouvernements de toute l'Europe demandent aux employés de travailler à domicile, cela ne s'applique pas à tout le monde. Les travailleurs des services essentiels ou des chaînes de production essentielles qui doivent être présents sur le site ont besoin d'une protection garantie contre la propagation du virus. De nombreuses personnes craignent pour leur santé et leur vie professionnelle. Nous avons besoin d'un plan de sauvetage économique pour les travailleurs et leurs familles. En cas de perte de revenus, une compensation financière est nécessaire. Ceux qui ne peuvent pas, ne devraient pas payer de loyer ou d'hypothèque. Nous nous opposons à toute tentative de détérioration des conditions de travail, comme la suspension des conventions collectives, et de réduction des droits des travailleurs. Nous avons besoin d'une action d'urgence non seulement pour les entreprises, mais aussi et surtout pour les petites et moyennes entreprises, les travailleurs autonomes et la population. Cette tâche n'incombe pas seulement à l'Europe, mais au monde entier. Les pays du Sud ont besoin d'un soutien financier pour protéger leurs populations et améliorer leurs systèmes de santé.
La pandémie de coronavirus montre clairement l'échec du modèle économique et social néolibéral prédominant. En conséquence de la politique d'austérité néolibérale par la privatisation des services publics, les systèmes de santé ne correspondent pas aux exigences posées par la pandémie de coronavirus. Les capacités ne sont pas suffisantes, et de loin. Tout effort est nécessaire pour améliorer le fonctionnement des systèmes de soins de santé. Il faut mettre un terme à la politique d'austérité. La crise donne suffisamment de raisons pour remettre en question notre modèle socio-économique et pour changer radicalement de politique. Dans l'immédiat, nous devons investir davantage dans les services publics. En outre, la justice fiscale est vraiment nécessaire pour mettre en place des systèmes de protection sociale capables de faire face à une crise comme celle-ci. En outre, la BCE doit financer un plan d'investissement européen, capable de lancer l'emploi et de garantir la reconversion environnementale et sociale de la production et de l'économie. Dans le même temps, toute discussion sur le mécanisme européen de stabilité (MES), qui représente une manière inutile et néfaste d'intervenir sur les budgets publics des différents pays européens, doit être annulée.
À long terme, nous avons besoin d'un changement général de la politique. Nous avons besoin d'un modèle économique orienté vers le bien-être public. Il faut mettre un terme à l'immense accumulation de capital par un petit nombre seulement. Pour le plus grand nombre, pas pour quelques-uns!
Nous savons que des mesures très sévères sont nécessaires pour contenir la pandémie. Mais nous devons être vigilants et nous opposer à ce que cette situation particulière soit utilisée pour restreindre la démocratie et les droits civils.
« European Left » rejette fermement toute tentative d'utiliser la pandémie de coronavirus à des fins de démagogie nationaliste. Le monde doit être uni maintenant et la clé pour surmonter la crise est la solidarité internationale. Une solidarité accrue est particulièrement nécessaire envers les populations du Moyen-Orient, d'Afrique, d'Asie et d'Amérique latine, qui risquent bien davantage d'être gravement touchées par la pandémie de coronavirus.
« European Left » est désireux d'associer toutes les organisations participant au Forum européen des forces de gauche, progressistes et écologiques pour travailler ensemble à une réponse progressive à la crise actuelle dans l'intérêt des peuples.
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Favoriser l'expression des idées de transformation sociale du parti communiste.
Entretenir la mémoire des débats et des luttes de la gauche sociale.
Communiquer avec les habitants de la région de Morlaix.