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9 février 2020 7 09 /02 /février /2020 08:55
Luchino Visconti: celui qui ouvrit les portes du Néoréalisme entre beauté et Résistance, partie 1 - la chronique cinéma d'Andrea Lauro

Rejeton d'une riche famille aristocratique, il devint l'un des plus grands cinéastes de tous les temps et un compagnon de route du Parti communiste italien. Andréa Lauro retrace pour le Chiffon Rouge son itinéraire de vie et artistique.

Luchino Visconti: celui qui ouvrit les portes du Néoréalisme entre beauté et Résistance

Partie 1

Par Andréa Lauro

décembre 2019

 

Le comte Luchino Visconti de Modrone est né à Milan le 2 novembre 1906. Son père, Giuseppe, est duc, sa mère, Carla Erba, est la fille et l'héritière du propriétaire de la plus grande maison pharmaceutique italienne de l’époque. Ascendances qui assurent à Luchino et à ses six frères une enfance dorée, aristocratique, très riche, passée dans un palais milanais fréquenté par des nobles et intellectuels de premier plan. C’est entre deux pôles, la mondanité et la culture, que Luchino construit sa personnalité.

Giuseppe et Carla ne sont pas des représentants frivoles d’une classe privilégiée, ou du moins pas seulement. Leur attention aux arts les plus disparates (Giuseppe a des passions théâtrales et picturales, Carla est une musicienne talentueuse) dépasse la simple prétention seigneuriale et se présente comme une interprétation sincère de la vie en termes culturels ; non pas une ostentation de possibilités et d’extrêmes, mais une constante tension intellectuelle qui contamine inévitablement aussi la progéniture, au point qu’au palais Visconti on fait construire un petit théâtre privé pour pouvoir organiser des spectacles "dans la famille".

Luchino, dès son plus jeune âge, pille la bibliothèque de son père et devient un lecteur avide, se mesurant à de grands textes théâtraux et littéraires. Parmi les sept frères, c’est celui qui souffre le plus de certaines contradictions internes au noyau familial et de l’isolement d’une première éducation dispensée avec rigueur entre les murs de la maison par la mère Carla elle-même. Dans ce milieu à la fois d’extrême discipline et d’extrême liberté créative, Visconti croît entouré de stimulations pas seulement intellectuelles : pendant des années à côté des leçons de la mère il y a une ferme éducation physique, réalisée par les soins d'un athlète anglais dont Luchino et les frères révéleront ensuite la folie complète.

Inclination artistique d’un côté, fanatisme physique de l’autre, discipline morale surtout, Visconti en sort adolescent agité et rebelle. Il s’enfuit souvent de chez lui, par amour ou par pur désir d’aventure, et s’évade immanquablement des collèges où ses parents l’enferment pour le punir. Même en jouissant du climat familial qui ne lui fait rien manquer (économiquement, spirituellement, culturellement) il est déjà fort en lui le besoin de s’en détacher pour donner forme à sa propre individualité.

En 1926, peut-être pour répondre aux attentes des autres ou pour lutter contre une vague crise existentielle, il fréquente l’École d’Application de Chevalerie à Pinerolo, devenant sergent-chef. Deux ans plus tard, il se donne, littéralement, à l’hippique, en ouvrant une écurie de chevaux de course, activité à laquelle il se livre avec abnégation pendant longtemps et qui, une fois abandonnée, il aura l’occasion de remercier pour lui avoir révélé que le domaine dans lequel il voulait vraiment exceller était l’art.

Visconti jeune

Visconti jeune

Même pendant les années consacrées à l’art équestre, Visconti ne néglige jamais les intérêts culturels; au contraire, il les intensifie, selon ceux qui lui sont proches à cette époque. Après de nombreuses épreuves littéraires qui montrent une écriture de bon niveau, mais liée à un maniérisme forcé, à la recherche épuisante de la belle phrase, du style "haut", en 1930 il écrit le "Le jeu de la vérité", avec l’ami d’enfance Livio Dell'Anna. Il s’agit d’un texte dramaturgique inspiré d’Henrik Ibsen, de Luigi Pirandello et de la tradition de la comédie bourgeoise, jamais publié ni représenté et pourtant concevable comme le premier travail accompli - et dans les intentions, destiné au public - réalisé par Visconti.

Dès 1932, il commence à fréquenter les salons mondains parisiens, introduit par des connaissances aristocratiques. Ici il interagit avec Jean Cocteau, Kurt Weill, Bertolt Brecht et noue une amitié solide avec Coco Chanel.

Sous l’aile de Jean Cocteau, il se passionne pour le cinéma, un médium qu’il a peu considéré jusqu’ici. Josef von Sternberg, Eric Von Stroheim et les réalisateurs soviétiques l’enlèvent au point de déclencher dans son horizon un processus qui le conduit rapidement à mettre le théâtre au second plan, élisant le cinéma comme un instrument idéal, car il est plus adapté à une reproduction de la réalité.

De retour en Italie, il achète en 1934 une caméra et s’engage à auto-produire un film, avec une équipe et de moyens professionnels. L’histoire voit un jeune de 16 ans quitter les campagnes milanaises pour aller en ville, se heurtant durement à la nouvelle dimension sociale, succombant enfin victime de trois femmes dont il tombe amoureux. Un opéra qui ne voit pas la fin, quand Visconti n’a plus d’argent à investir. Le tournage est réduit en cendres dans un incendie du palais Visconti pendant la guerre, mais avec les témoignages de ceux qui y participent l'on peut isoler au moins deux données intéressantes en vue de ce qui va suivre : le recours prépondérant aux « locations » extérieures et l’utilisation d’une véritable prostituée pour interpréter le rôle, recherchée autour de Milan pour répondre aux demandes d’adhérence esthétique à la réalité du réalisateur.

Le théâtre reste quand même très présent dans la vie de Visconti. De 1936 à 1938 le futur réalisateur s’occupe de la scénographie et des costumes de différents spectacles mis en scène à Milan, Côme et San Remo. C’est l’occasion d’émerger aux yeux de critique et de professionnels, grâce au respect maniaque pour les meubles, pour les objet décoratifs, pour les détails de l’habillement (particularité aussi de la production filmique). Éléments qui donnent crédit à une 'idée de représentation "vivante", composée de personnages marqués par un lien indissoluble à un cadre chargé de déterminer la personnalité de ceux qui l’habitent, de participer à l’action. Une attention aux détails expliquée par la passion de Visconti pour les antiquités, mais qui dans un discours plus organique montre combien la question des relations entre fiction et réalité - fondamentale surtout dans la première étape de la carrière cinématographique - était déjà présente dans sa façon de comprendre la mise en scène.

 

En conjonction avec l’activité théâtrale, Visconti ne se résigne pas et insiste sur le cinéma. Après le film inachevé il écrit des sujets et des scénarios et en 1936 un d’eux est signalée à Gabriel Pascal, producteur français de passage en Italie qui, impressionné par la compétence d’écriture, lui assigne la réalisation d’une transposition de "Novembre" de Flaubert à tourner à Londres. Arrivé en Angleterre, Visconti devine que Pascal prétend avoir plus de contacts et de fonds productifs qu’il n’en a réellement, et que le film ne se fera pas, ou en tout cas pas à ses conditions. Déçu, découragé, il se réfugie à Paris pour se défouler et demander conseil à ses amis sur ses ambitions cinématographiques. Coco Chanel saisit cette occasion pour le présenter et le recommander à Jean Renoir. L’entente entre les deux est immédiate et le français lui confie les costumes et l’assistance générale de "Une partie de Campagne".

Si, d’un point de vue professionnel, la rencontre avec Renoir est cruciale, elle l’est tout autant dans le cadre idéologique. C’est par l’intermédiaire du réalisateur français que se produit en effet la première approche de la politique pour Visconti, un domaine qui, complice un milieu familial depuis toujours désintéressé, ne l’avait jamais stimulé ni particulièrement touché. Mais, ces derniers temps, il commence lui aussi à percevoir l’asphyxie du milieu italien, à la fois du milieu culturel et aristocratique, qui s’enroule sur lui-même, et à la fois du milieu censeur et imprégné d’auto-exaltation du régime fasciste. Renoir, membre du Front populaire français, ne déclenche peut-être pas le ressort définitif vers l’activisme de gauche (il viendra plus tard, pendant et après l’occupation allemande) mais il déplace les positions de Visconti par rapport à la situation dictatoriale européenne, en l’invitant à prendre en considération des facettes de la réalité concrète et pas seulement artistiques.

A suivre.

Andréa Lauro,

pour le Chiffon Rouge, 29 décembre 2019 

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Renoir et Visconti

Renoir et Visconti

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7 février 2020 5 07 /02 /février /2020 20:38
 APPEL UNITAIRE: Le plan Trump-Netanyahu doit être rejeté partout, et par toutes et tous !

 

APPEL UNITAIRE: Le plan Trump-Netanyahu doit être rejeté partout, et par toutes et tous !

 

La France qui est historiquement partisane d'une paix juste et durable entre Israéliens et Palestiniens doit condamner le «deal» concocté entre Trump et Netanyahu contraire au droit international.

Ce n'est pas un «plan de paix» que Donald Trump et Benjamin Netanyahu ont dévoilé le 28 janvier!

Ce «plan» entérine l'annexion définitive des territoires palestiniens occupés et la création de «réserves» sans continuité territoriale ni souveraineté pour le peuple palestinien. Au mépris du droit international, du respect des droits humains universels, des résolutions de l'ONU et des droits fondamentaux des Palestiniens dont ceux des réfugiés, ce plan est aussi inacceptable au plan mondial, d’autant plus qu’il remet en cause le statut international et multiconfessionnel de la ville de Jérusalem.

Le peuple palestinien objet de tant d’atteintes à ses droits fondamentaux devrait ainsi accepter que son destin soit scellé sans sa participation!

Ce plan ouvre la voie à des guerres dont les répercussions internationales seront gravissimes. Ce plan ne doit pas voir le jour.

Attachés au droit et aux principes fondateurs de la Charte des Nations unies, nous exhortons la présidence française et son ministre des Affaires étrangères à condamner publiquement et très fermement ce «deal» Trump-Netanyahu en rappelant qu'aucune paix n'est possible si le droit international et les résolutions de l’ONU ne sont pas respectés, et si l’une des parties prenantes n’est pas pleinement associée aux négociations.

Ce «deal» dangereux est contraire aux positions historiques de notre pays. Les prises de positions de la France sur ce sujet devraient être soumises, quoi qu'il en soit, à un vote au Parlement pour définir le mandat des représentants français dans les instances internationales.

La reconnaissance de l’État de Palestine, dans ses frontières de 1967 et avec Jérusalem-Est comme capitale, aux côtés de l'Etat d'Israël qui doit être celui de tous ses citoyens, reste le seul chemin véritable permettant au peuple palestinien d’exercer son droit à l’autodétermination. C'est dans cette voie que les autorités françaises doivent continuer d'agir au sein du Conseil de sécurité de l'ONU et, au niveau européen, pour que l'Union européenne s'exprime et agisse en ce sens.

Nous appelons toutes les forces démocratiques, militants de la paix, de la fraternité et des droits humains de notre pays à se mobiliser et à s'allier pour que la France porte avec détermination la voix d'une paix juste et durable entre Israéliens et Palestiniens.

Nous convions toutes les forces disponibles à prendre désormais, et dans les jours et semaines à venir, toutes les initiatives pertinentes pour empêcher la mise en œuvre du plan Trump-Netanyahu.

Nous demandons solennellement au ministre Jean-Yves Le Drian de recevoir au plus tôt une délégation des signataires de cet appel au sujet de la position officielle exprimée par le Quai d'Orsay et des initiatives de paix à prendre désormais dans les jours et semaines qui viennent pour empêcher la mise en œuvre du projet dévastateur Trump-Netanyahu.

Premiers signataires:

•    Association France Palestine Solidarité (AFPS)
•    Association pour le jumelage entre les camps palestiniens et les villes françaises (AJPF)
•    Confédération Générale du Travail (CGT)
•    Ensemble !
•    Fédération Syndicale Unitaire (FSU )
•    Gauche Démocratique & Sociale (GDS)
•    Génération.s
•    Groupe parlementaire de la France Insoumise
•    Ligue des Droits de l’Homme (LDH)
•    Mouvement Jeunes Communistes de France (MJCF)
•    Mouvement de la Paix
•    Mouvement contre le Racisme et pour l’Amitié entre les Peuples (MRAP)
•    Parti Communiste Français (PCF)
•    République & Socialisme
•    Solidaires
•    Une Autre Voix Juive (UAVJ)
•    Union Nationale des Etudiants de France (UNEF)

Pour être signataire de cet appel à titre personnel ou collectif,
merci d'envoyer un mail à collectif-palestine@pcf.fr

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7 février 2020 5 07 /02 /février /2020 20:29
Irlande. Le Sinn Féin pourrait faire une percée (Thomas Lemahieu, L'Humanité, 6 février 2020)
Irlande. Le Sinn Féin pourrait faire une percée
Jeudi, 6 Février, 2020

À deux jours des élections législatives, la formation républicaine anti-austérité devance, dans les sondages, les partis traditionnels de droite. Du jamais-vu à Dublin…

 

À l’avant-veille des élections législatives anticipées en Irlande, samedi, Mary Lou McDonald a gagné sa place à la table des grands, et perdu son nom de famille… Mardi soir, la dirigeante du Sinn Féin, à la tête duquel elle a succédé à Gerry Adams il y a deux ans, a fini par être invitée au principal débat télévisé de la campagne avec les représentants des deux partis faux frères du conservatisme irlandais, le premier ministre sortant, Leo Varadkar (Fine Gael), et Micheal Martin (Fianna Fail), l’un des architectes, avec ses alliés du Parti travailliste et, bien sûr, la troïka, du plan d’austérité qui a ravagé le pays lors de la crise dite « des dettes publiques » à partir de 2008. Avec 25 % des intentions de vote (contre 14 % lors des dernières législatives en 2016), son parti, qui vient de reprendre sa place au pouvoir dans la coalition incontournable avec les unionistes du DUP en Irlande du Nord, est désormais en tête des sondages au sud de l’île, devant le Fianna Fail (23 %) et le Fine Gael (20 %). Alors que les Verts sont attendus à 8 %, les travaillistes et les sociaux-démocrates gravitent autour de 4-5 % chacun, tout comme l’extrême gauche (PBP et Solidarity).

Panique au sein des élites

Lors de cette campagne, « Mary Lou », comme l’appellent donc ses partisans, incarne l’aspiration au « changement », très puissante dans la population. En convoquant ces élections, le néolibéral Leo Varadkar avait fait le pari que le Brexit, officiellement engagé depuis le 31 janvier, pèserait très lourd dans les choix des électeurs, mais après des années d’austérité, l’exigence de nouvelles réponses aux urgences sociales – l’accès au logement, les services publics, la crise dans le secteur hospitalier, la protection sociale et les retraites – s’avère bien plus forte. « L’establishment politique du Fine Gael ou du Fianna Fail trouvera toutes les bonnes raisons du monde afin de justifier les allègements fiscaux pour les grandes multinationales, lance la présidente du Sinn Féin, elle-même candidate dans la circonscription de Dublin-Centre. Et il trouvera toutes les bonnes raisons du monde pour ne tenir aucun compte des salariés et des citoyens de cet État. »

Selon Focus, une association qui lutte contre ce fléau, près de 4 000 enfants vivent sans domicile fixe en Irlande. « Nous avons besoin d’urgence que le prochain gouvernement en fasse une priorité et leur assure un futur », lance sa porte-parole, Rosemary Hennigan. Face à leur incurie depuis des années, les partis de droite cherchent à faire diversion en avançant des statistiques tronquées sur les SDF en Irlande du Nord, là où le Sinn Féin exerce déjà le pouvoir. La principale formation de gauche en Irlande, désormais en position de prendre le pouvoir, promet une « baisse » et un « gel des loyers » sur les trois prochaines années. Même distinction radicale sur les pensions où les deux partis de droite veulent allonger encore l’âge de départ à la retraite, au-delà de 67 ans : « Leo Varadkar, qui bénéficiera de plusieurs régimes de retraite, explique aux gens ordinaires qui ont travaillé dur toute leur vie qu’ils ne pourront pas prendre leur retraite à l’âge de 65 ans, c’est extraordinaire », persifle Mary Lou McDonald.

Devant cette forte poussée dans les sondages, la panique gagne au sein des élites qui réactivent leur plan le plus grossier pour contrer le Sinn Féin, dirigé par une femme installée à Dublin et sans aucun lien avec le passé des « Troubles » en Irlande du Nord. Depuis que le parti républicain anti-austérité fait la course en tête dans les sondages, les médias dominants multiplient les « témoignages chocs » pour renvoyer l’ex-branche politique de l’Armée républicaine irlandaise (IRA) à la clandestinité. Mary Lou McDonald a, par exemple, été sommée par ses adversaires de pousser à la démission son camarade Conor Murphy, le ministre des Finances en Irlande du Nord, coupable de mansuétude, selon eux, à l’égard des partisans de l’IRA. Une grosse ficelle à l’effet, cette fois, très incertain… 

Thomas Lemahieu

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7 février 2020 5 07 /02 /février /2020 20:27
Allemagne. Putsch droite-ultradroite contre Die Linke en Thuringe
Vendredi, 7 Février, 2020

Le cordon sanitaire contre les néonationalistes (AfD) a sauté à Erfurt. Soutenu par la CDU, un dirigeant libéral, Thomas Kemmerich, évince par la grâce de l’AfD le ministre-président de gauche avant d’être contraint à la démission.

 

Une bombe a explosé mercredi soir au beau milieu de l’arène politique allemande. Un certain Thomas Kemmerich, dirigeant local du parti libéral, venait de se faire élire ministre-président en Thuringe avec les voix rassemblées de la CDU (droite) et de l’AfD (extrême droite) contre le ministre-président sortant, Bodo Ramelow (Die Linke). Pour la première fois dans l’histoire politique du pays depuis la guerre, le chef d’un exécutif régional était élu par la grâce des néonationalistes. Une odeur exécrable émanant de la République de Weimar s’est aussitôt diffusée dans tous les interstices de la République fédérale.

Bodo Ramelow et Die Linke avaient été les grands vainqueurs de l’élection régionale d’octobre (voir notre édition du 28 octobre 2019), recueillant quelque 31 % des suffrages (+ 2,8 %). Cependant, l’AfD était arrivée en seconde position (23,4 %). La coalition de gauche sortante n’était plus majoritaire compte tenu des scores trop faibles des partenaires de Die Linke (seulement 8,2 % pour le SPD et 5,2 % pour les Verts). À droite, la CDU (21,75 %) et le FDP de Kemmerich, entré d’un souffle dans le Parlement avec tout juste 5 % des voix, ne pouvaient espérer constituer une majorité qu’avec le soutien tacite ou explicite des quelque 22 députés de l’AfD. Si la tentation de s’allier à l’extrême droite est ouvertement exprimée depuis longtemps dans certains milieux, le lancement d’une véritable coalition tenait toujours du tabou pour les directions nationales de la CDU comme du FDP.

En Thuringe la voie à un scrutin anticipé est ouvert

Cette situation avait donné la possibilité à Bodo Ramelow de continuer depuis l’automne à gérer le Land avec une coalition minoritaire. Cet état de fait aurait dû être prolongé officiellement mercredi avec sa réélection au poste de ministre-président. C’était sans compter sur la rupture du cordon sanitaire effiloché. Une digue, et non des moindres, vient d’être franchie. En Thuringe, le dirigeant de l’AfD, Björn Höcke, s’applique en effet à rétablir, avec la plus grande ostentation, le nationalisme allemand jusque dans sa version « IIIe Reich » quand il dénonce, par exemple, « la honte » qu’aurait constituée l’érection d’un monument à l’Holocauste juif au cœur de Berlin. Le personnage est si nauséeux qu’un tribunal allemand auprès duquel il avait imprudemment plaidé la diffamation a estimé qu’il pouvait être publiquement qualifié de « fasciste ».

Parodiant les libéraux, partenaires d’Emmanuel Macron au sein du Parlement européen, Die Linke a fait circuler jeudi avec beaucoup d’échos sur les réseaux sociaux une affiche-slogan aux couleurs jaunes du parti lançant : « Plutôt gouverner avec les fascistes que de ne pas gouverner. » Mais la capacité du nouveau ministre-président à gérer effectivement la Thuringe a tourné rapidement court. Les offres faites aux Verts et au SPD pour qu’ils se rallient à une très grande coalition gouvernementale avec les deux formations de droite n’ont pas pu aboutir. Compte tenu du tollé et des multiples manifestations provoquées par les conditions d’accès au pouvoir du dirigeant libéral. La seule issue, c’est l’organisation « le plus vite possible » de nouvelles élections, plaidait le coprésident de Die Linke, Bernd Riexinger, rejoint sur ce point par Angela Merkel. Sous pression, Kemmerich annonçait dans l’après-midi de jeudi qu’il jetait l’éponge, ouvrant effectivement la voie à un scrutin anticipé.

L’affaire promet de secouer pour longtemps le spectre politique. La grande coalition en sort ébranlée. La nouvelle direction du SPD évoque « un coup monté » et exige des explications. Au FDP, les pitoyables circonvolutions initiales de Christian Lindner, le chef du parti, ont alimenté le trouble. Il a dit rejeter une alliance avec l’AfD mais s’estimer impuissant face à « ceux qui se prononcent pour notre candidat dans un vote secret ».

Au sein de la CDU, la présidente, Annegret Kramp-Karrenbauer, toujours plus contestée dans la course à la succession de Merkel, se voit reprochée d’avoir « perdu le contrôle ». Les tiraillements avec les courants nationalistes menacent de redoubler. Et si la chancelière a souligné jeudi que la manœuvre droite-ultradroite était « impardonnable », des pointures du groupe CDU au Bundestag n’ont pas hésité à se féliciter bruyamment d’une « victoire de la raison » et des valeurs conservatrices.

Bruno Odent
Allemagne. Putsch droite-ultradroite contre Die Linke en Thuringe (Bruno Odent, L'Humanité, 7 février 2020)
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7 février 2020 5 07 /02 /février /2020 20:25
La Palestine a le droit à la vie !

Le mardi 28 janvier 2020, à la Maison-Blanche, Donald Trump, aux côtés du Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, présentait son «plan du siècle». Comme le disait Leïla Shahid dans l’Humanité du 29 janvier 2020, le monde assistait «à une mascarade rarement vue dans la politique internationale».

Avec la plus grande arrogance, le président des États-Unis, au mépris du droit international, entérine la politique de faits accomplis poursuivie par Israël en Cisjordanie et à Jérusalem-Est. À aucun moment n’a été évoqué un État palestinien. En proposant l’annexion des colonies illégales, d’une partie de la vallée du Jourdain, de Jérusalem-Est, il ne reste aux Palestiniens que des «bantoustans» sans aucune continuité territoriale et sans souveraineté.

Le gouvernement d'Emmanuel Macron a cru bon de «saluer les efforts du président américain Donald Trump et étudiera avec attention [ce] plan de paix». Une nouvelle fois, la France manifeste son allégeance à Washington. De leur côté, les pays du Golfe font preuve de leur abandon de la cause du peuple palestinien.

« L’accord Trump-Netanyahu est une menace pour l’avenir des deux nations. »

Depuis le 1er février, ce plan est condamné par les Nations unies, qui rappellent que seules les résolutions de l’ONU peuvent être la base d’une solution politique, et par les ministres des Affaires étrangères de la Ligue arabe, qui ont indiqué qu’elle «rejetait l’accord du siècle américano-israélien étant donné qu’il ne respecte pas les droits fondamentaux et les aspirations du peuple palestinien». D’autres voix s’élèvent: celles des chrétiens des pays arabes ainsi que celle de la Confédération internationale de syndicats.

En Israël, le 1er février, les populations juives et arabes ont manifesté ensemble en dénonçant: «L’accord Trump-Netanyahu est une menace pour l’avenir des deux nations. Il s’agit d'un accord unilatéral qui n’apportera pas la paix, la justice ou le règlement des conflits, mais qui propagera davantage la violence. Le plan donne au gouvernement [israélien] le feu vert pour annexer la Cisjordanie, pour se rendre aux diktats des colons extrémistes et pour refuser la citoyenneté de centaines de milliers de citoyens arabes israéliens…»

Si cet accord devait se concrétiser, nous entrerions dans une période de tous les dangers, celui pour les Palestiniens d’être définitivement dépossédés de leur terre, celui d’un monde où la force prime sur le droit.
Pour les militant·e·s du Parti communiste français, devant de tels dangers, notre engagement ne doit pas faiblir et nous devons continuer à exiger de notre gouvernement la reconnaissance de l’État de Palestine – que le Parlement français a votée – dans des frontières sûres et reconnues, celles de 1967 avec Jérusalem-Est comme capitale et également la reconnaissance du droit au retour des réfugiés, droit inaliénable, conformément à la résolution 194.

Nathalie L’Hopitault
membre du Collectif pour une Paix juste et durable
entre Palestiniens et Israéliens du PCF

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3 février 2020 1 03 /02 /février /2020 16:19
Monde. un fossé abyssal, bombe à retardement à mèches multiples (L'Humanité, Nadjib Touaiba, 30 janvier 2020)
Monde. un fossé abyssal, bombe à retardement à mèches multiples.
Jeudi, 30 Janvier, 2020

En 2019, les plus riches ont capté plus de richesses que 4,6 milliards de personnes. Les inégalités explosent sur toute la planète. Ce creusement n’a rien de fatal, il est le résultat de politiques néolibérales dictées depuis le sommet des États.

 

La bourse, nous dit-on, a battu tous ses records en 2019. Du coup, millionnaires et milliardaires poussent comme des champignons. Et ces braves gens créent des emplois et payent des impôts, leur richesse ruisselle sur le reste du monde. Il faut s’en réjouir et saluer aussi la belle santé de l’industrie du luxe. N’est-ce pas là le signe que le pouvoir d’achat des classes moyennes se porte mieux à travers le monde, notamment en Asie, et que la pauvreté recule ?

Commentaires simplistes et pour le moins trompeurs que ces raccourcis dégainés par la presse de droite à la suite de la publication du rapport annuel de l’ONG Oxfam sur les inégalités dans le monde, à la veille du Forum de Davos (1). Les médias des hommes d’affaires et des riches regardent sans surprise la planète sous un prisme enchanteur. La réalité est autrement plus sombre pour des millions d’êtres humains.

Dans la grande et riche Amérique, ils habitent dans leur voiture en collectionnant les petits jobs, s’endettent pour se soigner ou se laissent mourir à petit feu. En Europe, les travailleurs pauvres ne sont pas mieux lotis, entre le mal-logement, la précarité et les bas salaires. Ailleurs, en Afrique, en Asie, des millions de personnes démunies sont exposées aux risques climatiques, et on y meurt de famine.

Les chiffres donnent le tournis

Puzzle de la misère et de l’opulence, ce monde n’est pas près de changer car les inégalités se creusent sans cesse souligne Oxfam. Et les chiffres donnent le tournis. « En 2019, les milliardaires du monde entier, c’est-à-dire seulement 2 153 personnes, se partageaient plus de richesses que 4,6 milliards de personnes », apprend-on. Les revenus de 1% des plus riches ont largement augmenté entre 1990 et 2015, relève pour sa part l’ONU dans le Rapport social 2020. Plus de 70 % de la population de la planète vivent une augmentation constante des inégalités, et celles-ci se sont encore creusées dans la plupart des pays développées et dans certains pays à revenus intermédiaires, dont la Chine, selon le même texte.

Cette régression qui profite toujours et encore aux nantis fait un triste au sort aux femmes en particulier. « La richesse des 22 hommes les plus fortunés est ainsi équivalente à celle de l’ensemble de la population féminine africaine ! » pointe Oxfam.

Dividendes : un boom de 31%

Les riches peuvent dormir tranquilles. Les États veillent sur leur fortune. Les politiques fiscales de la grande majorité des gouvernements à travers le monde leur font la part belle. Le président des États-Unis, Donald Trump, avait d’ailleurs fait sensation lors de sa première apparition à Davos en 2018. Sa générosité fiscale à l’égard des entreprises réjouissait les hommes d’affaires. Les 1500 milliards de dollars (1 314 milliards d’euros) de réductions d’impôts sur dix ans accordées aux entreprises américaines font rêver les patronats dans le reste du monde, même si ces réductions n’ont pas tout à fait produit les effets attendus. De plus, tandis que les salaires stagnent ou augmentent faiblement dans les pays du G7 (+ 3 % entre 2001 et 2017), les dividendes font un bond de 31 % pour la même période.

Chute des dépenses publiques

Dans le même temps, les ménages sont confrontés à des baisses drastiques des dépenses publiques dans des secteurs clé : la santé, notamment, l’éducation, les transports... « L’une des conséquences des inégalités au sein des sociétés est le ralentissement de la croissance économique, note le rapport de l’ONU. Dans des sociétés inégales, avec de grandes disparités dans des domaines tels que les soins de santé et l’éducation, les gens sont plus susceptibles de rester pris au piège de la pauvreté, sur plusieurs générations. »

Les Nations Unies identifient quatre facteurs d’influence sur les inégalités dans le monde, des « mégatendances » : l’innovation technologique, l’urbanisation, le changement climatique et des migrations internationales. Selon l’institution, ce dernier facteur agit à la fois comme « un puissant symbole de l’inégalité mondiale » et comme « une force d’égalité dans les bonnes conditions ». Les migrations bénéficient aux migrants, à leur pays d’origine, ainsi qu’à leur pays d’accueil. Les bouleversements climatiques et les catastrophes naturelles rendent en revanche « les pays les plus pauvres encore plus pauvres et pourraient inverser les progrès accomplis dans la réduction des inégalités entre les pays ».

Partout dans le monde, quant on est pauvre, ou même seulement doté d’un revenu modeste, on est, tout compte fait, sûr de le rester. Quand on est riche, très riche, on a de fortes chances de l’être davantage. Le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, évoque d’ailleurs « un cercle vicieux d’inégalités, de frustrations et de mécontentements entre les générations » rappelant « les manifestations de grande ampleur, à la fois dans des pays développés et dans des pays en développement ».

Question à peine effleurée au Forum de Davos, le creusement des inégalités est une bombe à retardement à mèches multiples. Celles-ci peuvent prendre feu simultanément à tout moment dans de nombreux pays. La voix des laissés-pour-compte n’a pas fini de résonner d’un continent à l’autre, en Amérique Latine, en Asie, au Maghreb, au Proche-Orient, en Afrique et même dans les pays développés d’Europe dont les sociétés sont minées par la baisse constante du pouvoir d’achat, la pauvreté croissante et l’enrichissement indécent d’actionnaires gavés de dividendes. Les choix d’inspiration libérale, à contre-courant du progrès social, se heurtent aux attentes de millions d’hommes et de femmes à la faveur de toutes les évolutions technologiques. La généralisation de ces modèles-là participe d’une régression à l’échelle planétaire dont tirent profit une minorité de nababs.

Avec les conséquences du désordre climatique, la répartition des richesses est, à n’en point douter, un enjeu essentiel. Les riches dorment peut-être tranquilles, mais pour combien de temps ?

(1) Le sommet annuel s’est tenu du 21 au 24 janvier.
Nadjib Touaibia
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1 février 2020 6 01 /02 /février /2020 07:36
Leïla Shahid à Brest, au côté de Claude Léostic, ancienne présidente de la plateforme française des ONG pour la Palestine, le 31 octobre 2019 (photo Ismaël Dupont)

Leïla Shahid à Brest, au côté de Claude Léostic, ancienne présidente de la plateforme française des ONG pour la Palestine, le 31 octobre 2019 (photo Ismaël Dupont)

Leïla Shahid : « Trump et Netanyahou ont pris en otage la question israélo-palestinienne »
Mercredi, 29 Janvier, 2020 - L'Humanité

Ancienne ambassadrice de la Palestine auprès de l’Union européenne, Leïla Shahid dénonce la collusion entre Trump et Netanyahou, et regrette le peu de poids des Européens.
 

Leïla Shahid

Ancienne ambassadrice de la Palestine auprès de l’Union européenne

Quel est le but ultime recherché par Donald Trump avec ce plan?

Leïla Shahid Nous assistons à une mascarade rarement vue dans la politique internationale, entre deux hommes qui sont en train de couler. Trump fait face à une enquête qui pourrait lui coûter très cher pour entreprendre un deuxième mandat. Netanyahou est à quelques semaines d’une élection et espère, en annonçant un soi-disant plan de paix, prendre le pas sur son adversaire, Benny Gantz. Il est assez effrayant de voir comment la paix et la stabilité dans le monde dépendent de deux hommes qui sont comme des chiens enragés pour rester au pouvoir. Ils ont pris en otage la question israélo-palestinienne. Il est tragique de voir comment les puissances dans le monde, à commencer par l’Union européenne, n’arrivent pas à compter face à cette immense manipulation. Ce « plan de paix », dont on parle depuis trois ans, est soudainement révélé le jour même où le Sénat américain doit statuer sur Trump et la Knesset sur Netan- yahou. Il ne faut pas être naïf.

Ce qu’ils proposent, d’ailleurs, ne correspond qu’à ce qui peut leur rapporter des voix afin de rester au pouvoir. Ce faisant, nous assistons à la décomposition des relations internationales. Nous payons également la facture de la division de l’Union européenne. Comment peut-on proposer un accord en l’absence d’une des parties principales, la partie palestinienne ? Il n’y a même pas une partie arabe. Ceux qui ont assisté en juin, au Bahreïn, à la première phase du plan, la phase économique, ne représentent que leur pays et ils n’ont parlé que d’argent. Le conflit israélo-palestinien a toujours été au cœur de ce qui se passe en Méditerranée. Jamais ça n’a été aussi clair qu’aujourd’hui. Mais ils ont fabriqué un ennemi fictif qui s’appelle l’Iran et sont prêts à susciter un nouveau conflit.

Depuis que ce plan est évoqué, Trump n’a jamais parlé d’un État palestinien. Qu’est-ce qu’il faut comprendre ?

Leïla Shahid S’il devait y avoir un État palestinien, Donald Trump n’aurait pas déclaré que Jérusalem est la capitale de l’État d’Israël, il n’aurait pas annulé les résolutions concernant les réfugiés, il n’aurait pas arrêté l’aide aux Palestiniens, il n’aurait pas fermé l’ambassade de Palestine à Washington, il n’aurait pas soutenu Israël uniquement comme l’État du peuple juif. C’est pour cela que le président Abbas ne parle pas à Trump et à Netanyahou depuis plus d’un an et demi.

Ils auront beaucoup de mal à faire adopter ce plan. Ils seront surpris. Pas seulement par les Palestiniens, pour qui il est hors de question d’accepter un tel plan et qui retrouveront peut-être leur unité. Et ça va redonner du tonus à ceux qui, dans le monde arabe, défendent leur dignité, comme les Libanais, les Algériens ou les Irakiens qui se lèvent pour réclamer leurs droits.

Ce plan est une tentative pour revenir à l’annexion totale des territoires palestiniens, exclure la question des réfugiés et celle de Jérusalem. Mais cela va plus loin. Ils cherchent à dire ainsi que l’État des Palestiniens est en Jordanie. C’est pour cela qu’Abdallah II, le roi jordanien, est en tournée actuellement. Il met en garde sur les conséquences pour le royaume hachémite dont on voudrait faire l’alternative à un État palestinien. Il est évident que cela ne marchera pas. Mais cela va aggraver la déstabilisation de la région. Ils prennent en otage la partie la plus faible, qui est sous occupation militaire.

Quelle est la marge de manœuvre des Palestiniens ?

Leïla Shahid Elle n’est plus d’ordre diplomatique pour une bonne et simple raison qu’il n’y a plus de diplomatie au Proche-Orient. Ni chez les Palestiniens, ni chez les Égyptiens, ni chez les Jordaniens. Depuis que Donald Trump est arrivé au pouvoir, il a détruit tout ce qu’on appelle les termes de référence des négociations de paix qui ont commencé en 1993. Cela fait vingt-sept ans que nous essayons de discuter. Mais il est évident qu’il n’y a aucune négociation de paix. Ce qui est nouveau est que le premier ministre israélien a avec lui un président américain qui se fiche du droit international, de l’équilibre international, de la paix. Nous sommes dans un monde de brutes, un monde qui a perdu ses repères.

Les Palestiniens se battent depuis un siècle. Ils ne se font pas d’illusions. Le monde arabe a été scindé en deux avec la défection de l’Arabie saoudite, des émirats arabes unis et du Bahreïn, à cause du conflit avec l’Iran, qui se retrouvent alliés aux Israéliens. Il y a une situation de guerre civile provoquée par les Américains avec l’occupation de l’Irak en 2003 qui a abouti à la décomposition de ce pays. C’est également le cas de la Syrie. Je redoute ce qui peut se passer au Liban. Sans parler de la Libye et du Yémen. Les pays arabes ont été collectivement en faveur des Palestiniens et de leurs droits. Ce monde arabe est décomposé.

Après un siècle de luttes, je ne pense pas qu’un an ou deux de plus ou de moins vont changer quelque chose. Nous sommes arrivés au bout d’une approche de négociations directes. Les accords d’Oslo sont morts depuis longtemps, malheureusement. L’Union européenne était une alternative à la super-puissance américaine. Aujourd’hui, il n’y a même plus ce minimum d’accord qui existait auparavant entre Washington et Bruxelles. Il faut donc que les Palestiniens retrouvent leur capacité à rester sur leur territoire, d’être résilients et de continuer à être ouverts, c’est-à-dire proposer une coexistence avec Israël mais sur des bases claires : un État qu’Israël respectera. Ce qui est loin d’être l’idéologie de ceux qui gouvernent Israël aujourd’hui.

Entretien réalisé par Pierre Barbancey
Leïla Shahid, entretien avec Pierre Barbancey :  Trump et Netanyahou ont pris en otage la question israélo-palestinienne (L'Humanité, 29 janvier 2020)
Proche-orient. Washington et Tel-Aviv rayent les Palestiniens de la carte
Mercredi, 29 Janvier, 2020 - L'Humanité

Donald Trump et Benyamin Netanyahou se sont mis d’accord pour dépecer la Cisjordanie. Toutes les colonies doivent être annexées à Israël, de même qu’une grande partie de la vallée du Jourdain.

 

En présentant son « plan du siècle » pour le Proche-Orient depuis la Maison-Blanche, Donald Trump arborait, hier, sa tête des grands jours, fier de lui, dominateur et méprisant. À ses côtés, le premier ministre israélien, son « ami » Benyamin Netanyahou, qui, lui aussi, ne cachait pas sa joie. Et pour cause. La carte est sans ambiguïté. Pas un dirigeant israélien n’avait osé en rêver. Trump l’a fait. Sous les yeux admiratifs des leaders du Parti républicain et des représentants les plus à droite de la communauté juive des États-Unis, il a, d’un trait de plume, cassé la Cisjordanie, en glissant toutes les colonies d’implantation dans les nouvelles frontières d’Israël. C’est ce qu’on appelle une annexion totale. Pareil pour la majeure partie de la vallée du Jourdain. C’est ce qu’il qualifie d’« un grand pas vers la paix», parlant d’une «solution à deux états réaliste» et saluant «le courage» de Netanyahou! Mais Jerusalem est«une capitale indivisible», a -t-il affirmé sous les applaudissements d’une salle qui lui était toute acquise. «Mais je l’ai déja fait pour vous», a-t-il lancé, en référence au transfert de l’ambassasde américaine dans cette ville, ce qui ne l’a pas empêché d’évoquer une hypothétique capitale palestinienne dans une partie de Jérusalem-Est (sic).

Trump parle surtout des nouvelles frontières d’Israël

En l’espace de quelques mois, les États-Unis ont reconnu l’annexion par Israël du plateau du Golan syrien, occupé depuis 1967, reconnu également Jérusalem comme capitale d’Israël, allant même jusqu’à y transférer l’ambassade américaine, jusque-là à Tel-Aviv. Récemment, les autorités américaines ont fait savoir qu’elles ne considéraient pas les colonies d’implantation juives en Cisjordanie comme contraires au droit international. C’est le côté « récompenses » pour Israël. S’agissant des Palestiniens, il en va tout autrement. Les États-Unis ont suspendu, depuis septembre 2018, leur aide à l’agence des Nations unies pour les réfugiés palestiniens (UNRWA) et entendent maintenant ne plus considérer comme réfugiés les descendants des victimes de la Nakba (la catastrophe, en arabe, référence au départ forcé des Palestiniens en 1948), dont le but est d’en finir avec le droit au retour de ces réfugiés comme reconnu par la résolution 194 de l’ONU. Quant à la conférence qui s’est tenue au Bahreïn en juin 2019, portant sur le volet économique de ce plan et à laquelle les représentants palestiniens ont refusé de participer, elle s’est soldée par un échec, tant la démarche était grossière.

Netanyahou peut bien qualifier Donald Trump de « plus grand ami qu’Israël ait jamais eu ». Les Israéliens sont les grands gagnants de ce qui s’apparente de plus en plus à une grande escroquerie. À la veille de cette présentation, le président américain avait reçu, séparément, le premier ministre israélien et son adversaire électoral Benny Gantz. Il leur aurait demandé de mettre en œuvre ce plan immédiatement. « Vous avez six semaines pour cela, si vous le voulez », leur a-t-il dit, selon un officiel états-unien. Netanyahou, qui espère encore gagner le scrutin législatif prévu le 2 mars en Israël – le troisième en moins d’un an –, compte d’abord annexer la colonie de Ma’aleh Adumim, la troisième plus grande de Cisjordanie, où vivent 38 000 personnes, situé à cinq kilomètres de Jérusalem-Est et sur la route menant à la ville palestinienne de Jéricho. De longue date, les Palestiniens ont fait remarquer qu’une telle éventualité signifierait la non-continuité de leur futur État. Après Ma’aleh Adumim, la vallée du Jourdain serait dans le collimateur israélien mais son annexion demande plus de doigté car cela pourrait déstabiliser la Jordanie voisine, l’un des deux pays arabes, avec l’Égypte, à avoir signé un traité de paix avec Israël.

Mais cet État est-il vraiment envisagé par Trump ? Il parle surtout des nouvelles frontières d’Israël. Les territoires palestiniens seraient totalement morcelés. Et qui dit territoire dit habitants. Quid des Palestiniens vivant actuellement dans les zones où se trouvent les colonies qui pourraient être annexées ? Il est évoqué un statut de résident, à l’instar de ce qui est pratiqué à Jérusalem-Est. Mais on parle aussi beaucoup de déplacement de population. Fervent soutien du plan, le leader chrétien évangéliste Mike Evans, par ailleurs « conseiller pour la foi » de Donald Trump, mis dans le secret la veille, a précisé que cet « État » palestinien doit être démilitarisé et « n’aura pas le contrôle de l’espace aérien aux Palestiniens, pas plus que l’habilitation à signer des traités ».

Depuis plusieurs mois, le président Mahmoud Abbas refuse toute discussion avec Trump. L’Organisation de libération de la Palestine (OLP) pas plus que le Hamas ne peuvent accepter un tel plan. Les États-Unis le savent. Peu leur importe en réalité. Fin 2018, Jared Kushner, gendre de Trump, évoquait une possible publication de ce plan, même sans les Palestiniens, allant jusqu’à dire: « Nous n’avons pas besoin d’eux. » Ces Palestiniens méprisés pourraient pourtant très vite se rappeler au bon souvenir de Washington et de Tel-Aviv. Aujourd’hui ils devraient descendre par milliers dans les rues des villes de Cisjordanie et de Gaza pour crier leur refus. C’est la « Journée de la colère ». L’armée israélienne a été mise en état d’alerte. Sans doute le début d’une révolte de grande ampleur. En satisfaisant son ami Netanyahou, Trump vient tout simplement de mettre le feu au Proche-Orient.

Pierre Barbancey
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1 février 2020 6 01 /02 /février /2020 07:35
Proche-orient. Le lâche abandon du peuple palestinien (Pierre Barbancey, L'Humanité, 30 janvier 2020)
Proche-orient. Le lâche abandon du peuple palestinien
Jeudi, 30 Janvier, 2020

Le plan présenté par Donald Trump donne le feu vert à Israël pour l’annexion d’une grande partie de la Cisjordanie et de la vallée du Jourdain. Le monde entier se tait.

 

C’est ce qui est appelé une répartition des rôles. Main dans la main, tels des marionnettistes, Donald Trump et Benyamin Netanyahou se sont partagé les effets d’annonce pour un « deal » qui se veut historique. De quoi contenter d’abord l’actuel locataire de la Maison-Blanche, marchand de biens de son état, pour qui le troc est une façon de faire de la politique. Devant un parterre choisi d’aficionados – des élus républicains, des représentants de l’aile droite de la communauté juive mais également des ambassadeurs de certains pays arabes –, Trump a dressé le cadre de ce qu’il a appelé son « plan de paix ». Il a pris bien soin de ne pas entrer dans les détails, mais les références bibliques à la Terre sainte laissaient peu de place à d’improbables interprétations.

À nouvelle politique, nouveau langage diplomatique

Rien d’étonnant en réalité puisque les États-Unis, depuis plusieurs mois, ont dit leur accord avec l’ensemble de la politique israélienne menée ces derniers temps sous la houlette de Benyamin Netanyahou. Le gendre de Trump, Jared Kushner, poussé dans ses retranchements par la journaliste de CNN, Christiane Amanpour, a lâché le morceau. Jusqu’à ce mardi qui restera très certainement dans les annales de l’histoire, la commaunauté internationale reconnaissait la ligne d’armistice de 1949 (brisée en juin 1967 par la guerre des Six-Jours), dite ligne verte, comme la frontière d’Israël. Peu importe pour celui qui a été chargé par son beau-père de dresser le fameux plan. Il l’a dit tout de go. « Peu importe 1967, ce qui compte c’est ce qui existe en 2020 », a-t-il expliqué en substance. Il est allé même plus loin, accusant les Palestiniens d’avoir « baisé » (screw up) toutes les chances qui leur avaient été offertes. À nouvelle politique, nouveau langage diplomatique.

Ce qui existe, c’est la politique du fait accompli poursuivie sans relâche par Israël depuis plus de cinquante ans maintenant. Une colonisation continue, en Cisjordanie comme à Jérusalem-Est, visant à marginaliser toujours plus les Palestiniens sur leur propre territoire. Dans un livre (1), l’avocat israélien Michael Sfard, au combat exemplaire contre l’occupation dans les territoires palestiniens, décrit, arguments juridiques à l’appui, de quelle manière cette politique s’est forgée avec des arguties juridiques visant à aider les États soutenant Israël à accepter la politique du char, celle de la force, du dominant contre le dominé, du colonisateur contre le colonisé.

« Ma vision présente (…) une solution réaliste à deux États », a expliqué Donald Trump, évoquant un projet « gagnant-gagnant » pour Israéliens et Palestiniens. Gagnant-gagnant ? Israël a obtenu le feu vert des États-Unis pour annexer toutes les colonies de Cisjordanie et une bonne partie de la vallée du Jourdain. Il suffit de regarder la carte (page précédente) pour voir que cela ne laisse aux Palestiniens qu’un archipel dont on voit mal comment ces îlots pourraient constituer un État. Grande concession – mais absolument pas nouvelle –, un tunnel reliant la bande de Gaza aux territoires qui resteraient sous l’autorité palestinienne. Quelques arpents de sable du désert du Néguev seraient octroyés aux Palestiniens. Mais ce prétendu État n’aurait en réalité aucune prérogative. Il n’aurait même pas le contrôle des marchandises lui étant destinées et transitant par les ports d’Ashdod et d’Haïfa.

Plus le mensonge est gros, plus il passe

Le futur État palestinien ne verrait le jour que sous plusieurs conditions, dont « le rejet clair du terrorisme », a martelé Donald Trump. Il a annoncé avoir envoyé une lettre à Mahmoud Abbas l’exhortant à saisir « une chance historique », et peut-être « la dernière », d’obtenir un État indépendant. « Je lui ai expliqué que le territoire prévu pour son nouvel État resterait ouvert et sans développement » de colonies israéliennes « pendant une période de quatre ans », a-t-il précisé. Plus le mensonge est gros, plus il passe. Quelques minutes plus tard, l’ambassadeur des États-Unis David Friedman vendait la mèche, affirmant qu’Israël pouvait annexer ses colonies « sans attendre ». Dont acte. Le gouvernement intérimaire de Benyamin Netanyahou va très certainement agir dans les tout prochains jours. Et il n’y a rien à attendre des prochaines élections israéliennes prévues le 2 mars prochain.

Pour Robert Malley, ancien conseiller de Barack Obama et président de l’International Crisis Group, le message adressé aux Palestiniens est clair et sans nuance : « Vous avez perdu, il va falloir vous y habituer. » Le peuple palestinien se retrouve bien seul. Les pays arabes le soutiennent comme la corde le pendu. Si auparavant les capitales du Moyen-Orient entretenaient encore l’illusion, elles se sentent maintenant totalement affranchies de toute retenue. Le rapprochement des pays du Golfe avec Israël est maintenant une réalité. L’Arabie saoudite a dit « apprécier » les efforts de Donald Trump, tandis que l’Égypte a appelé Israéliens et Palestiniens à un examen « attentif » et « approfondi » du plan. Et les Émirats arabes unis ont même qualifié le plan de « point de départ important » pour les négociations de paix. Le Qatar a salué le plan tout en estimant que la paix ne serait durable qu’avec la naissance d’un État palestinien ayant « Jérusalem-Est pour capitale ». Mais ce n’est pas ce qui est envisagé. Serait octroyé aux Palestiniens le faubourg de Jérusalem Abou Dis. Pour le reste, il est évident que, contrairement au droit international, des populations seront déplacées, transférées. On parle même avec insistance d’« échanges » de populations de Galilée (au nord d’Israël) qui seraient envoyées en Cisjordanie !

Le droit de la force et la loi de la jungle

Seuls et abandonnés. Les Palestiniens ne peuvent même pas compter aujourd’hui sur l’Union européenne. À l’image de la France qui, via le ministère des Affaires étrangères, « salue les efforts du président Trump et étudiera avec attention le plan de paix qu’il a présenté ». Le secrétaire général de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), Saëb Erekat, appelle l’Union européenne à reconnaître l’État de Palestine. Mais celle-ci fait la sourde oreille, prise dans ses propres contradictions politiques, économiques et de subordination à l’Otan sous contrôle des États-Unis.

Le peuple palestinien est la première victime de ce plan. Si celui-ci est mis en œuvre, les dégâts seront considérables dans l’ensemble du Moyen-Orient. D’autant que Trump et Netanyahou lient en réalité cette nouvelle étape de « normalisation » du Moyen-Orient à une confrontation tous azimuts avec l’Iran, présentée comme le grand Satan. Les répercussions risquent d’être terribles. En balayant d’un revers de main le droit international, le président américain et le premier ministre israélien affirment que les relations entre les pays et entre les peuples relèvent du droit de la force. De la loi de la jungle. La boîte de Pandore est ouverte. Dans les jours qui viennent, les manifestations vont se multiplier en Palestine. Et les soldats israéliens ont le doigt prêt à appuyer sur la détente avec la bénédiction de Donald Trump.

(1) Le Mur et la porte, Michael Sfard. Zulma « Essais ​​​​​​​», 672 pages, 25 euros. À paraître le 6 février.
Pierre Barbancey
Proche-orient. Le lâche abandon du peuple palestinien (Pierre Barbancey, L'Humanité, 30 janvier 2020)
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29 janvier 2020 3 29 /01 /janvier /2020 19:48
Béthléem 2015

Béthléem 2015

« Deal » / Trump : l'expression d'un mépris du peuple palestinien et du droit international (PCF)
 
Trump vient d’annoncer son « deal du siècle ». Comment Trump et son gouvernement peuvent-ils être aussi irresponsables en qualifiant de plan de « paix » un projet dont la seule issue présentée aux Palestiniens est
la création de « bantoustans » sans aucune continuité territoriale et sans souveraineté – une reproduction sinistre de l’apartheid aboli par le peuple sud-africain il y a près de trois décennies.
Le gouvernement de M. Macron ose affirmer qu’il « salue les efforts du président américain Donald Trump et étudiera avec attention ce plan de paix ». Ces propos, outre leur allégeance à l’hégémonie de la Maison
Blanche, sont une négation de la Charte des Nations unies. Ils sont indignes de la France et de sa vision de la paix au Moyen-Orient Devant cette proposition d’annexion de la vallée du Jourdain, d’annexion
des colonies qui deviennent des terres d'Israël, d’annexion des routes y conduisant depuis l'Ouest, c’est-à-dire une coupure de fait en au moins trois parties de la Cisjordanie, et, bien sûr, de maintien du "statut"
carcéral actuel de la Bande de Gaza, sans liaison avec l'autre partie de la Palestine, la France s’honorerait de proclamer fermement qu’aucune paix ne peut se faire si le droit international et les résolutions de
l’ONU ne sont pas respectés. Seule la reconnaissance de l’État de Palestine – que le Parlement français a exigée  - dans ses frontières de 1967 et avec Jérusalem Est comme capitale, peut permettre la construction d’un avenir pour les deux peuples, israélien et palestinien.
Le PCF apporte tout son soutien et sa solidarité au peuple palestinien méprisé (dans son intégrité) et aux progressistes israéliens qui luttent pour la paix, la démocratie et la justice en véritables 7h acteurs de
l’avenir de leur pays.
 
Parti communiste français,
 
Paris le 29 janvier 2020
 
 
Deal / Trump : l'expression d'un mépris du peuple palestinien et du droit international (PCF)
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29 janvier 2020 3 29 /01 /janvier /2020 08:47
L'Humanité - 27 janvier : dossier sur les 75 ans de la libération d'Auschwitz avec une interview de Beate et Serge Klarsfeld
Histoire. Il y a 75 ans, la libération des camps révèle le système génocidaire nazi
Lundi, 27 Janvier, 2020

Le 27 janvier 1945, le camp de concentration et d’extermination d’Auschwitz-Birkenau est libéré par les troupes de l’Armée rouge. Jusqu’en avril et la libération des autres camps, ce sera une course contre la mort pour sauver les déportés rescapés.

 

La date du 27 janvier choisie pour la commémoration internationale du génocide des populations juives d’Europe n’est pas celle retenue de longue date pour évoquer la déportation en France, le dernier dimanche d’avril. Elles sont pourtant liées et ne méritent pas d’être mises en concurrence. Même si ces choix ont chacun une histoire sur laquelle il ne s’agit pas ici de revenir, rappelons que la première correspond à l’arrivée des troupes soviétiques devant le camp d’Auschwitz évacué précipitamment par les SS, qui ont entraîné des dizaines de milliers de déportés juifs dans des marches de la mort vers d’autres camps et n’ont laissé derrière eux que quelques milliers de malades qu’ils n’ont pas eu le temps d’éliminer. La deuxième date en avril correspond à l’effondrement général du système concentrationnaire nazi et à l’ouverture des camps par les différentes armées alliées, qui découvrent l’ampleur de l’hécatombe et l’état physique déplorable des survivants.

Deux objectifs : une déportation de répression et une déportation de persécution

En France, il est d’autant plus important d’envisager dans leur globalité la persécution et le génocide avec la répression et la déportation qu’ils ont bien souvent eu partie liée à travers l’action résistante d’un côté et la mise en place du système répressif associant l’Allemagne et l’État français de l’autre. Les travaux historiques qui ont permis aujourd’hui d’avancer dans la connaissance de la déportation depuis la France mettent en évidence l’importance de la déportation de répression  – environ 90 000  – à côté de la déportation de persécution – environ 80 000 avec seulement 3 % de survivants.

La politique génocidaire menée par le régime nazi avec ses idéologues, ses tortionnaires mais aussi ses élites intellectuelles et économiques à l’égard des populations juives et tziganes a procédé d’une entreprise délibérée d’extermination associée à des projets de colonisation, mais aussi d’asservissement de populations entières (par exemple, le sort réservé aux prisonniers de guerre slaves, soviétiques notamment dont 60 %, soit 2 millions, meurent dans les camps). La discrimination antisémite est indissociable chez les nazis de l’idéologie raciste qui légitime l’inégalité au sein même de l’humanité. Le projet nazi, avec les moyens de l’économie la plus moderne d’Europe, s’est développé en exacerbant le racisme et l’antisémitisme existant dans les pays occupés et en suscitant des collaborations qui ont dramatiquement concouru à la politique génocidaire. Songeons à la rafle du Vél’d’Hiv en France ou aux massacres par balles perpétrés dans les territoires de l’URSS, dans les pays Baltes ou en Ukraine, avec l’aide des populations locales, et qui se sont soldés par plus d’un million de morts.

La brutalisation de l’armée allemande ne s’est pas exercée de la même manière selon les pays

Le génocide a partie liée avec le système concentrationnaire de répression et de déportation conçu d’abord en Allemagne puis étendu à l’ensemble des pays contrôlés ou alliés du Reich allemand. L’ingénierie scientifique et technique mise en œuvre par les grands offices du Reich placés sous l’autorité de Himmler avec le concours de l’armée allemande et de tout l’appareil d’État confère une efficacité redoutable à la répression des populations civiles récalcitrantes à l’ordre nouveau. La brutalisation opérée par l’armée allemande et tous ses supplétifs ne s’est pas exercée de la même manière selon les pays en fonction des différents projets stratégiques du Reich, mais aussi de la Résistance des populations (1).

Ce n’est pas parce que l’entreprise génocidaire n’a pu être arrêtée avant que tout le système nazi soit écrasé qu’il faut ignorer les actes de résistance au sein même des lieux d’extermination, que ce soit l’insurrection victorieuse des détenus du camp de Sobibor en 1943, le soulèvement désespéré du Sonderkommando d’Auschwitz en octobre 1944 ou la lutte armée héroïque des jeunes du ghetto de Varsovie.

La connaissance de ce qui s’est passé est une préoccupation non seulement des survivants, comme en témoignent les serments prêtés envers les morts au moment de l’ouverture des camps comme à Buchenwald ou à Mauthausen, mais de ceux qui savaient leur mort proche comme Gradowski, de Grodno, qui, appartenant au Sonderkommando d’Auschwitz, enterre son témoignage exhumé quarante ans plus tard : « Cher découvreur de ce récit ! J’ai une prière à te faire, c’est en vérité mon essentielle raison d’écrire, que ma vie condamnée à mort trouve au moins un sens. Que mes jours infernaux, que mon lendemain sans issue atteignent leur but dans l’avenir. »

Aujourd’hui le témoignage – alors que les derniers survivants disparaissent – emprunte nécessairement des voies nouvelles, mais cela ne saurait faire oublier la diversité de la déportation et l’histoire de l’occupation nazie, comme celle de ses collaborateurs dans les pays occupés.

La Fondation pour la mémoire de la déportation, créée en 1990 à l’initiative de déportés regroupés en fédération, a la mission de défendre, pérenniser et transmettre la mémoire des déportations en s’appuyant sur l’activité des Amis de la fondation dans plus de 70 départements. Elle met au premier plan le travail de recherche et d’historiographie en lien avec les universités, avec les archives publiques, mais aussi les institutions représentatives de la République. C’est dans ce cadre qu’a été noué avec le Conseil économique, social et environnemental (Cese) un partenariat autour de la thématique « Mémoire et vigilance ». C’est dans ce contexte qu’est préparée une exposition sur le retour des déportés qui se tiendra à la fin du mois d’avril. En somme, la mémoire de la déportation, dans sa globalité et sa diversité, reste, en France notamment, d’une grande actualité.

(1) Voir la revue En jeu, histoire et mémoires vivantes, Transmettre la criminalité de masse du nazisme, des mémoires à inscrire dans l’histoire. Juin 2018, Presses universitaires du septentrion.
Serge Wolikow Historien
L'Humanité - 27 janvier : dossier sur les 75 ans de la libération d'Auschwitz avec une interview de Beate et Serge Klarsfeld
Beate et Serge Klarsfeld, lanceurs d’alerte contre l’oubli

Elle gifla un chancelier ancien nazi. Il dressa le mémorial des 76 000 juifs déportés de France, dont 11 000 enfants. Depuis plus d’un demi-siècle, ce couple franco-allemand n’a jamais laissé vieillir en paix les criminels nazis impunis.

 

Il y a soixante-quinze ans, Auschwitz-Birkenau était libéré par l’Armée rouge. Le monde découvrait la réalité de la Shoah et l’extermination de 6 millions de juifs. Toutes les leçons ont-elles été tirées, ou bien la bête immonde peut-elle encore renaître de ses cendres ?

 

Serge Klarsfeld

Aujourd’hui, il y a une extraordinaire connaissance de la Shoah, des dizaines de milliers de livres, de thèses, des centres de documentation puissants et des mémoriaux dans de nombreux pays. De ce point de vue, je ne suis pas inquiet. Le problème est plutôt l’environnement politique, qui fait que dans certains pays la transmission de la Shoah peut être gommée ou sabotée si l’extrême droite vient au pouvoir. Elle était à 2 % il y a cinquante ans et est aujourd’hui entre 30 % et 40 % dans certains pays, ce qui constitue une menace. Il y a ce risque en France, avec celui de voir la réhabilitation de Pétain et la négation de ce qu’il s’est passé. C’est un danger immense : il ne faut surtout pas oublier qu’il y a eu faillite de l’homme avec la Shoah.

 

La transmission de la mémoire du crime le plus effroyable du XXe siècle se pose donc en termes nouveaux. Comment faire vivre ce devoir de mémoire une fois que les derniers survivants auront disparu ?

Serge Klarsfeld Bien que 3 millions de personnes viennent chaque année à Auschwitz, nous avons une inquiétude quant à l’état d’esprit des nouvelles générations, puisqu’elles n’ont pas connu la guerre et considèrent comme acquis ce que nous considérons comme un miracle : les libertés, la justice, la protection sociale, les droits de l’homme. Les Européens sont face à un choix : soit conserver les valeurs de l’Union européenne, soit devenir une sorte de forteresse d’extrême droite, avec chaque pays qui se replie et une situation qui nous rappelle les années 1930. La transmission de la mémoire de la Shoah doit ici aller au-delà des dates et des faits. Il faut tirer les conséquences et s’engager. Si l’on reste passif, cela ne sert à rien d’emmagasiner des connaissances. C’est une question d’éducation. Les enfants vont au Mémorial de la Shoah, les policiers y vont, les juges y vont, mais qu’en retirent-ils ? Est-ce que cela retient le bras du policier lors d’une manifestation ? Dans des pays comme la France et l’Allemagne, beaucoup a été fait : des films, des livres, des documentaires, des manuels scolaires… Mais dans ces deux pays beaucoup votent pour le RN et l’AfD.

Comment expliquer qu’après la Shoah l’antisémitisme et le racisme n’aient pas disparu ? Des réécritures de l’Histoire se font également : après la Pologne, la Lituanie a adopté une loi exonérant les dirigeants de ce pays d’une quelconque responsabilité dans la Shoah, et Horthy est réhabilité en Hongrie…

Serge Klarsfeld Quand vous avez une vie bouleversée, sans ressources, sans éducation, vous êtes une proie facile pour les démagogues. Certains, en difficulté, se laissent aller à la haine antijuive et à la haine de l’autre. Et à des votes nationalistes. Près de 95 % des juifs de Lituanie ont été assassinés et 90 % des juifs de Pologne, parce que l’antisémitisme y était très vivace : il y avait des pogroms, des populations hostiles qui considéraient les juifs comme des éléments tout à fait étrangers. Il ne faut pas masquer cette histoire et les responsabilités des gouvernements. En France, la loi Gayssot protège heureusement les juifs contre la contestation des crimes contre l’humanité. Mais les réseaux sociaux font que cela est contourné : auparavant les négationnistes et les révisionnistes pouvaient envoyer dix ou vingt lettres anonymes. Sur les réseaux sociaux, il leur est aujourd’hui possible d’en envoyer des milliers d’un seul coup. Ils y trouvent un espace immense où s’exprimer.

Vous avez œuvré à la reconnaissance de la responsabilité de la France dans la déportation des juifs, ce qui a mené au discours du 16 juillet 1995 par le président de la République Jacques Chirac. Est-il primordial à vos yeux ?

Serge Klarsfeld Oui. Chirac était un enfant pendant la guerre. Il a vu deux France s’affronter durant le conflit : celle du maréchal Pétain et celle du général de Gaulle et de la Résistance intérieure. Il était pour lui normal de le reconnaître. De Gaulle considérait qu’il n’y avait qu’une seule France, la France résistante qui s’incarnait en lui. Mais ce n’était pas vrai : il y a eu la bataille de Bir-Hakeim au mois de juin, c’était la France libre, et il y a eu la rafle du Vél’d’Hiv un mois plus tard, c’était la France de Pétain. Deux France s’opposaient. C’est la France chevaleresque qui a gagné mais les actes commis par le Pétain et par Pierre Laval l’étaient aussi au nom de la France. C’est ce qu’a reconnu Chirac, qui, enfant, voyait accroché en classe le portrait de Pétain. Mais demain Le Pen serait élue qu’elle dirait le contraire. Elle reprendrait les mensonges éhontés de Zemmour, selon lequel, devant la menace d’arrêter les Français juifs, Pétain aurait eu le « courage » d’assumer l’arrestation par la police française des familles juives étrangères et de leurs enfants français.

Serge Klarsfeld, l’immense travail que vous avez accompli en établissant la liste des 76 000 juifs déportés depuis la France a contribué à l’établissement de la vérité sur la Shoah. Un combat opiniâtre auquel vous avez consacré votre vie…

Serge Klarsfeld J’ai commencé cette liste quand nous menions campagne pour faire juger les criminels nazis qui avaient organisé la déportation en France. Je me suis dit qu’il fallait que tout le monde soit au procès, et tout le monde y était à travers le livre le Mémorial de la déportation des juifs de France. On avait des centaines de parties civiles vivantes, et avec ce livre, tous les assassinés, avec le nom, la date et le lieu de naissance de chaque déporté, convoi par convoi, ce qui n’avait pas été fait jusque-là. J’ai également réalisé le Mémorial des enfants. Nous avons retrouvé plus de 5 000 photos des 11 400 enfants qui ont été déportés, avec un dossier pour chacun, pour expliquer où il a été arrêté, dans quelle commune, à quelle rue, son état civil, son acte de naissance pour 8 000 d’entre eux. C’était indispensable. Ce sont trente à quarante années de recherches pour établir cette liste et rétablir les arbres généalogiques et l’unité des familles, souvent séparées dans différents convois. Dans Vichy-Auschwitz, j’ai enfin mis en lumière d’un côté le rôle essentiel de Vichy dans la déportation et de l’autre le rôle celui de la population française, qui a dans sa majorité réagi tout à fait positivement et aidé les trois quarts des juifs français à survivre.

Parallèlement, vous avez tous deux sans cesse dénoncé que d’anciens nazis et d’anciens collaborateurs soient protégés et continuent dans certains cas à exercer les plus hautes fonctions. Que Maurice Papon soit préfet de police, que Kurt Waldheim soit secrétaire général des Nations unies, cela apparaît impensable aujourd’hui…

Serge Klarsfeld Pendant les années 1950 et 1960, nombre d’anciens nazis sont restés ou revenus dans les sphères du pouvoir. En France, une grande partie de l’administration préfectorale a été relancée par de Gaulle. On a fermé les yeux sur l’action antijuive. Beaucoup moins sur l’action antirésistante, parce que les résistants qui revenaient étaient en mesure de protester. Les familles juives étaient décimées, abattues, et elles n’ont pas pu obtenir le jugement de tous les préfets en poste en 1942, qui ont tous arrêté les juifs sauf celui de Corse. C’est pourquoi le procès Papon était important, parce que c’est le procès de l’obéissance aux instructions reçues du gouvernement de Vichy.

Beate Klarsfeld, la gifle que vous avez administrée au chancelier Konrad Kiesinger en 1968 en lui lançant « Nazi ! Démissionne ! » a été retentissante. Ce fut une gifle à tous les nazis qui campaient dans l’appareil d’État de la République fédérale. Aviez-vous alors conscience de la portée historique de ce geste ? Vous êtes restée une conscience pour les antifascistes, au point qu’en 2012 le parti de la gauche allemande Die Linke vous a soutenue comme candidate pour la présidence fédérale…

 

Beate Klarsfeld

Cette gifle, c’était un acte symbolique, c’était la jeunesse allemande qui giflait la génération des parents qui étaient des nazis. On m’a reproché la violence du geste mais imposer aux jeunes un propagandiste nazi comme chancelier, c’était cela la vraie violence. J’ai eu comme condamnation un an de prison ferme, sans sursis. Étant donné que j’étais française, cela a été révisé. Mais le retentissement a été international. L’écrivain allemand Heinrich Böll m’a envoyé cinquante roses pour me remercier. On a compris immédiatement que c’était un acte historique. D’ailleurs Serge m’a dit : « Jamais plus tu ne feras quelque chose d’aussi historique ! »

 

Vous avez milité sans relâche pour l’extradition de tous les criminels nazis protégés par des dictateurs dans le monde entier…

Beate Klarsfeld Alois Brunner était protégé en Syrie par Assad, Klaus Barbie en Bolivie par le dictateur Hugo Banzer, au Chili Pinochet faisait de même, tout comme Peron en Argentine. J’ai manifesté partout, et j’ai recherché Joseph Mengele au Paraguay. Les dictatures protégeaient les criminels nazis. Mais, en Allemagne aussi, des cadres qui prenaient les décisions ont été protégés. Aujourd’hui, l’Allemagne juge encore des subalternes qui étaient tout jeunes à l’époque alors qu’elle n’a pas jugé dans les années 1960-1970 des grands criminels qui auraient dû l’être… Mais nous avons œuvré aux condamnations d’Herbert Hagen et de Kurt Lischka. Nous n’avons jamais accusé personne sans preuve. Et nous nous sommes mobilisés, sans nous résigner, pour obliger la société politique allemande à faire ce qu’elle devait faire, c’est-à-dire mettre un terme aux conventions qui pouvaient protéger des criminels et mener à bien des procès.

Entretien réalisé par Jean-Paul Piérot et Aurélien Soucheyre

Une gifle à tous les nazis

Exposée au-dessus de la vaste table de travail de Beate et Serge Klarsfeld, la première page du Berliner Morgenpost du 8 novembre 1968 annonçant la gifle la plus célèbre de l’histoire allemande. Une jeune femme de 30 ans a souffleté en public le chancelier fédéral Konrad Kiesinger, ancien nazi, lors du congrès de son parti, la CDU. La jeune militante est née à Berlin en 1939, dans une famille ordinaire, son père a fait la guerre dans la Wehrmacht comme comptable de son régiment. Depuis 1960 elle vit en France, a épousé en 1963 un Français juif, Serge Klarsfeld. Jeune avocat, né à Bucarest en 1935, il a échappé, enfant, à la déportation en 1943, lors de l’arrestation de son père qui mourra à Auschwitz. Après Kiesinger, ils s’attaquent à Ernst Aschenbach, qui fut l’adjoint d’Otto Abetz pendant l’occupation en France et qui pose sa candidature en 1970, au nom du FDP, à un poste de commissaire européen. Le couple milite contre l’impunité des criminels nazis, Lischka, Hagen, Heinrichson, Barbie. Ils font campagne contre Kurt Waldheim, qui sévit contre la Résistance yougoslave pendant la guerre, ce qui ne l’empêcha pas d’être nommé secrétaire général de l’ONU, puis président de l’Autriche. Beate et Serge Klarsfeld sont à l’origine des poursuites contre René Bousquet, Maurice Papon, Jean Leguay et Paul Touvier. En 1979, Serge Klarsfeld fonde l’association Fils et filles de déportés juifs de France. Il a réalisé le Mémorial de la déportation des juifs de France à partir de la liste des 76 000 déportés. Il rédige le Mémorial des enfants et tente de retrouver photo et identité des quelque 11 000 enfants envoyés à la mort.

En Pologne, parler de collaboration est passible de poursuites
Lundi, 27 Janvier, 2020

L’État polonais entend garder son récit national. Aucune collaboration n’a été commise, les crimes de la Shoah ne sont l’œuvre que des forces nazies. Celui qui dit le contraire peut faire l’objet de poursuites.

 

Des survivants de l’Holocauste et une soixantaine de chefs d’État et de gouvernement seront ce lundi à Auschwitz pour célébrer le 75e anniversaire de la libération du camp de concentration et d’extermination nazi. À la veille de ces célébrations, le président polonais s’est fendu d’une pleine page dans le Figaro du 23 janvier au nom d’« une mémoire qui ne doit pas mourir ». Il ose affirmer qu’il est « défendu de dénaturer » et « d’instrumentaliser » la mémoire de la Shoah pour quelque motif que ce soit. Des déclarations surprenantes de la part d’Andrzej Duda, candidat à un second mandat pour le parti Droit et Justice (PiS, extrême droite), et fervent défenseur d’une loi négationniste adoptée en 2018. Ce texte condamne l’usage du terme « camps de la mort polonais » et tout propos accusant « publiquement et contrairement aux faits, la nation ou l’État polonais de responsabilité ou de complicité dans les crimes nazis commis par le IIIe Reich, ou de tout autre crime de guerre, crime contre l’humanité ou crime contre la paix ».

Cette loi mémorielle prévoit des poursuites civiles qui visent aujourd’hui principalement des enseignants, chercheurs ou journalistes qui porteraient atteinte à la réputation de leur pays.

La Pologne a le plus grand nombre de justes parmi les nations

Pourquoi ce révisionnisme ? Depuis les victoires du PiS en 2005 et 2015, la droite et l’extrême droite insistent sur le roman national polonais, qui met essentiellement en avant le rôle de son mouvement de résistance et les souffrances immenses vécues par la population entre 1939 et 1945. Une réalité avec 6 millions de citoyens tués lors de la Seconde Guerre mondiale, dont 3 millions étaient juifs. La Pologne a également le plus grand nombre de justes parmi les nations : 6 863 Polonais, selon Yad Vashem, qui ont pu sauver 1 % des juifs polonais (30 000).

Mais ce récit est largement contesté par les travaux de nombreux historiens, notamment polonais, dans le sillage de Jan Tomasz Gross (les Voisins, la Peur, la Moisson) qui a travaillé sur l’assassinat des habitants juifs de la bourgade de Jedwabne, en juillet 1941, par leurs voisins polonais. Ces chercheurs ont démontré que les crimes allemands se sont déroulés dans la relative indifférence d’une partie des Polonais, gangrenés par un antisémitisme virulent, et grâce à des formes de participation, directe ou indirecte, des Polonais non juifs. 200 000 à 300 000 juifs ont été tués, non par la Wehrmacht et les Einsatzgruppen, mais par des collaborateurs, avancent-ils.

Cette historiographie suscite l’ire de la droite polonaise qui va jusqu’à menacer directement ces chercheurs. « Leurs visages apparaissent en une des hebdomadaires les plus radicaux comme des visages de criminels ; on réclame du gouvernement qu’il revoie la politique de financement de leurs instituts de recherche », explique Judith Lyon-Caen en avril 2019 dans « la Vie des idées ».

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