Répression politique et discriminations des minorités Arrivé au pouvoir en 2014 et réélu en 2019, le dirigeant nationaliste, membre du BJP, est issu des rangs des milices fascistes RSS.
Shumona Sinha Écrivaine
Jean-Luc Racine Directeur de recherche émérite au CNRS et chercheur senior à Asia Centre
Ingrid Therwath Journaliste, docteure en sciences politiques et spécialiste de l’Inde
Le calendrier de la honte du suprémaciste Modi
En février, tandis qu’il recevait en grande pompe son homologue américain Trump, ses électeurs-militants ont mené un pogrom contre les musulmans indiens de la capitale. Nous aurions tort de croire qu’il s’agit d’un acte isolé de la foule hystérique ou d’un conflit intercommunautaire.
Ces barbaries atroces s’inscrivent dans la continuité de la politique hindouiste guerrière, l’hindutva, de Narendra Modi et de son acolyte, le ministre de l’Intérieur, Amit Shah.
Il est temps d’établir le calendrier de la honte de ce régime suprémaciste. 2002 : Modi, connu sous le nom de « Boucher du Gujarat » à cause de son rôle dans les pogroms antimusulmans durant son mandat de chef de ladite région, se voit refuser un visa pour les États-Unis. Toujours au Gujarat, une clinique privée est ouverte pour fabriquer suivant les guides hindouistes les bébés de « la race supérieure aryenne ». 2014 : arrivée au pouvoir en brandissant le programme du développement économique, balayant le parti de droite Congress-I, épuisé après soixante-sept ans de gouvernance, mais dissimulant le caractère fasciste viscéral de son engagement politique. Post-it couleur brune : Modi est membre à vie de la milice RSS, parti souche du BJP au pouvoir, fondée en 1925 et s’inspirant d’Hitler et Mussolini, dont le militant Nathuram Godse a assassiné le Mahatma Gandhi en 1948. 2014-2019 : bilan économique catastrophique (taux de chômage le plus élevé depuis quarante ans, crise dans le secteur agricole, inflation du prix des produits alimentaires, baisse des exportations, déclin de l’investissement…) 2017 : assassinat de Gauri Lankesh, journaliste de gauche, engagée dans la lutte contre l’hindutva, par un homme « qui a agi suivant les consignes de ses leaders pour sauver la religion hindoue ». Février 2019 : attentat au Jammu-et-Cachemire, revendiqué par un groupe djihadiste pakistanais, causant la mort de 40 soldats indiens. Avril-mai 2019 : nouvelle victoire triomphale de Modi grâce à une campagne électorale nationaliste, sécuritaire et anti-immigration. Août 2019 : révocation de l’autonomie constitutionnelle du Cachemire. Suite au mouvement du peuple, la vallée est coupée du monde : aucune communication pendant plus de six mois. Près de 1 000 personnes emprisonnées, des simples citoyens aux élus politiques. L’isolement fait partie des représailles stratégiques violentes à l’encontre de la population musulmane et de quiconque ose s’opposer à l’action autocratique de Modi. Décembre 2019 : adoption de l’amendement discriminatoire CAA. Il modifie la loi sur la citoyenneté de 1955 pour accorder la citoyenneté indienne sous l’hypothèse de persécution religieuse à toute personne, excepté les musulmans. Hiver 2019-2020 : manifestations massives à travers l’Inde et à l’étranger contre le CAA. Plusieurs campus universitaires en résistance à Delhi, Calcutta, Bombay, Bénarès et dans tout le pays sont saccagés, incendiés, des étudiants tabassés par les militants du BJP-RSS ; le peuple indien résistant subit une violence policière sanguinaire. De 2017 à 2020 : au moment de ces carnages, Modi cumule avec succès ses rendez-vous avec les dirigeants des pays tels que la France, Israël et les États-Unis, les militants du BJP-RSS s’enracinent à l’étranger.
Tant que l’intérêt commercial des pays puissants primera sur leurs discours de droits humains, tant que l’Inde sera fantasmée comme l’alliance par excellence contre le terrorisme islamiste et ses ashrams hindouistes comme les échappatoires pour tous ceux blasés par la trinité monothéiste, le swastika continuera à se graver dans les esprits. Il est irresponsable et criminel de se taire, de faire un pacte avec cet autre diable !
Le pays divisé et le réveil citoyen
Jean-Luc Racine Directeur de recherche émérite au CNRS et chercheur senior à Asia Centre
Largement réélu en mai 2019, Narendra Modi, premier ministre depuis 2014, décida d’avancer enfin sur les dossiers emblématiques du Bharatiya Janata Party (BJP), le bras politique du Sangh Parivar, la « famille » nationaliste hindoue, dont la puissante matrice est l’Association des serviteurs de la nation (RSS), forte de plus de 50 000 cellules à travers le pays. Deux objectifs affichés depuis des décennies furent très vite atteints. En août, le Parlement votait la suppression du statut particulier du Cachemire, le seul État à majorité musulmane. En novembre, la Cour suprême donnait son aval à la construction à Ayodhya d’un temple monumental au dieu Ram sur le site d’une mosquée contestée, détruite par les militants du Sangh en 1992.
Vint, en décembre 2019, le vote d’une loi facilitant la naturalisation des réfugiés de diverses confessions, musulmans exclus, venus de trois États voisins : le Bangladesh, le Pakistan, l’Afghanistan. Cette loi discriminatoire annonçait les mesures à venir, dont l’établissement d’un registre national des citoyens, déjà mis en œuvre de façon chaotique dans l’État d’Assam : faudrait-il désormais prouver sa nationalité, voire présenter les papiers des parents ou des grands-parents ? L’inquiétude grandit, chez les musulmans et chez tous ceux qui dénonçaient un majoritarisme pro-hindou en pleine ascension. Et l’inattendu arriva. L’opposition au changement de statut du Cachemire avait été limitée, la région elle-même étant soumise à un état d’urgence non déclaré, pour empêcher toute manifestation. Après la décision sur Ayodhya, les organisations musulmanes avaient choisi d’acquiescer, pour calmer le jeu.
Cette fois, contre toute attente, un réveil citoyen fit face. D’abord dans les universités de New Delhi, puis dans la rue, où l’on vit bientôt l’impensable : des femmes musulmanes de tous âges, voilées ou non, occuper pacifiquement, jour et nuit, un des grands axes de New Delhi. Le lieu, Shaheen Bagh, devint le symbole d’une Inde qui dit non, répercuté dans de multiples villes indiennes, hommes, femmes, enfants, toutes religions confondues, hors des partis, brandissant le drapeau indien, les portraits de Gandhi, « père de la nation » et d’Ambedkar, « père de la Constitution », dont le préambule était brandi comme étendard des valeurs d’une Inde diverse mais unie par les mêmes droits et les mêmes devoirs. Comme dans des mouvements comparables sinon identiques, printemps arabes ou Hirak algérien, poètes et artistes donnèrent un sens accru au mouvement. Un poème récité à Bombay devint viral, en récusant d’avance le registre des citoyens : Hum khagaz nahi dikhayenge !, « Nous ne montrerons pas nos papiers ! ».
Nul ne sait ce qu’il adviendra du mouvement, dans un contexte où les partis d’opposition, actifs en ville et au Parlement, souffrent de leur faiblesse et de leurs divisions, tandis que les militants du nationalisme hindou se radicalisent, accusant les opposants d’être des séditieux antinationaux, voire des agents du Pakistan, et passant à l’acte en semant la violence dans des quartiers musulmans de Delhi. L’image internationale du pays en pâtit, n’en déplaise à Donald Trump qui, en visite en Inde, couvre Narendra Modi de compliments : l’Inde n’est-elle pas devenue la cinquième économie mondiale, et tout contrepoids à la Chine de Xi Jinping n’est-il pas bienvenu ? Mais cette Inde de Narendra Modi, sous l’emprise du nationalisme hindou, devient un pays divisé, où s’affrontent deux conceptions opposées de la nation.
Le fantasme génocidaire
Le massacre qui a eu lieu à Delhi, la capitale indienne, du 23 au 29 février dernier et qui a fait 47 morts et 350 blessés doit être désigné pour ce qu’il est : un pogrom. Ce vocable inscrit ces événements dans la suite de l’histoire des lynchages et ratonnades subies par les juifs en Europe centrale depuis la fin du XIXe siècle. Ces précédents historiques nous permettent de comprendre ce qui se joue en Inde et de rappeler la proximité et la filiation entre les crimes de l’Europe des XIXe et XXe siècle et ceux de l’Inde d’aujourd’hui.
Les assassins ont été incités par des responsables politiques locaux comme nationaux, soit directement – « allez les tuer », « tirez sur ces ordures » –, soit à travers des discours antimusulmans aussi haineux que fréquents. Le ministre de l’Intérieur lui-même, Amit Shah, est allé jusqu’à employer les termes de « vermines » et « termites » pour désigner des populations musulmanes résidant dans l’État d’Assam. Cette mise au ban des musulmans comme ennemis de l’intérieur, comme agents qui corrompent le corps social, est un trope typique du mouvement national-hindouiste. La maison mère de ce mouvement est la milice nommée Rashtriya Swayamsevak Sangh (RSS). Elle a été fondée en 1925 sur le modèle des faisceaux mussoliniens et s’est largement nourrie des mouvements nazis et fascistes. Le parti du premier ministre Narendra Modi, le BJP, élu en 2014 puis réélu en 2019 pour cinq ans, est une émanation de cette milice (et non l’inverse) et défend l’idée d’une Inde hindoue et non pas laïque comme le prévoit la Constitution. Les minorités n’ont qu’à bien se tenir. Le choix pour elles est clair, manichéen, brutal : se soumettre ou mourir.
Ce que les pogroms de Delhi nous apprennent, ou plutôt confirment, c’est qu’il n’y a pas d’opposition entre deux camps aux motifs légitimes et aux moyens d’action équivalents, même si de nombreux médias ont évoqué des « émeutes » ou des « affrontements intercommunautaires ». D’ailleurs, les exemples de solidarité entre voisins de confessions différentes ont été nombreux.
D’un côté se trouve une population musulmane pauvre, urbaine, marginalisée sur le plan politique. De l’autre côté, des groupes galvanisés et organisés par les nationalistes hindous au pouvoir, qui s’appuient sur les registres du cadastre et les listes des immatriculations de véhicules pour viser spécifiquement les biens des musulmans, en plus de viser les personnes elles-mêmes.
La police et la justice indiennes font preuve d’une complicité souvent active. Ce sont les journalistes indépendants et les défenseurs des droits humains qui ont mis au jour toute l’ingénierie des violences. Elles n’ont rien de spontané ou d’ancestral : elles sont modernes, délibérées et politiques.
Avec ses 200 millions de croyants, l’Inde est le troisième pays musulman du monde, après l’Indonésie et le Pakistan, et devrait être le premier d’ici 2060. Le pouvoir actuel n’a pas de projet génocidaire concret. Il n’existe pas d’infrastructure d’extermination. Si le fantasme génocidaire existe, lui, bel et bien, il se traduit en pratique par une stratégie d’élimination politique, économique, culturelle, spatiale dont les pogroms sont l’expression.
Les musulmans sont peu représentés politiquement, paupérisés économiquement, leurs contributions culturelles minimisées ou effacées des livres d’histoire, leur inscription dans l’espace fréquemment reléguée à des ghettos. Selon toute vraisemblance, de nouveaux pogroms se produiront en Inde.
Malgré les intimidations, de nombreuses voix en Inde s’élèvent pour le dire. Elles existent aussi en France. Emmanuel Macron, qui se dit être « le frère de Modi », garde quant à lui le silence par souci pour nos intérêts économiques et stratégiques. Tant pis pour nos valeurs, pour celles de l’Inde, tant pis pour le droit, tant pis pour les musulmans. Mais que l’on se rassure : à Delhi, l’heure est au retour à la normale. Une normalité criminelle.
Après le massacre perpétré la semaine dernière par des fondamentalistes hindous, le climat reste tendu dans la capitale. Effrayées, des familles fuient les quartiers ciblés.
Au milieu des voitures calcinées, les signes de vie demeurent timides. Ils sont quelques-uns à se hasarder parmi les débris, les livres éparpillés au sol et la tôle froissée des quartiers fantômes. Depuis une semaine et le début des massacres anti-musulmans à New Delhi (Inde), 42 morts ont été recensés. Toutefois, dans certaines zones toujours bouclées par la police, impossible de savoir combien de corps gisent dans les immeubles où nul n’a pu accéder. « Des foules ciblant un seul groupe religieux ont été autorisées à conduire des émeutes sans que la police n’intervienne. C’est la définition même d’un pogrom », dénonce l’écrivaine Mira Kamdar. Les foules en question ? Des hindous fanatisés dont la haine a été affûtée par le premier ministre nationaliste Narendra Modi au nom de l’hindutva (l’Inde hindoue) et le Rashtriya Swayamsevak Sangh (Association des volontaires nationaux, RSS), la milice fasciste dont il est issu. « L’atmosphère à Delhi reste très tendue. On peut clairement dater le début des attaques après l’appel ouvert à la violence d’un chef du BJP (parti de Narendra Modi – NDLR), Kapil Mishra, lors d’un rassemblement le 23 février », explique Prakash, un jeune ingénieur.
Le 24 février, alors que le président Trump louait la tolérance indienne aux côtés du chef de gouvernement indien au cœur du stade de cricket d’Ahmedabad (Gujarat), les habitants du quartier de Vijay Park, au nord de la capitale, ont vu des partisans du Sangh Parivar, une nébuleuse d’organisations fondées par le RSS qui entend renouer avec un prétendu âge d’or du peuple hindou, fondre sur eux par dizaines. « Ils disaient : “Sortez ces traîtres du pays. Nous tuerons ces musulmans. Nous entrerons dans leurs maisons et nous les tuerons ! ” Nous avons stationné des hommes pour tenter de sécuriser le quartier », témoigne Ali. La nouvelle n’a pas le temps de se répandre que, déjà, les passants reçoivent des pierres. Des cocktails Molotov sont lancés sur les échoppes, les écoles, les stations-service et les mosquées. Le poste précaire de premiers secours improvisé par les habitants est vite débordé. Dans cet antre de l’enfer, les maisons et temples hindous sont épargnés.
La police a laissé faire
Farhane, qui circulait alors à moto, est arrêté par plusieurs fondamentalistes hindous qui brandissent leurs bannières couleur safran. « Tous très jeunes, des ados, précise-t-il. Ils m’ont demandé si j’étais musulman avant de me rouer de coups. » Farhane réussit à s’enfuir. Ce n’est pas le cas d’Azzâm, qui fait parvenir, depuis la messagerie WhatsApp, des photos de son visage tuméfié. « La police m’a dit qu’il n’y avait pas de danger, qu’elle me protégeait. En réalité, elle regardait tout cela de loin et j’ai même entendu certains chanter Jai Shri Ram (Victoire au dieu Rama – NDLR). » Prakash a lui aussi de bonnes raisons de penser que la police a laissé faire.
« J’ai été témoin de son inertie lorsque des partisans de Modi ont attaqué des manifestants qui se mobilisaient contre la loi de citoyenneté. Dans la plupart des cas, les commissariats ne prennent même pas les plaintes. Pour moi, il est clair que les policiers agissent sur instruction. Il est temps qu’ils se réveillent, agissent de manière neutre et réagissent avec la diligence requise. » Ils reçoivent leurs instructions d’Amit Shah, ministre de l’Intérieur et président du BJP, qui seconde le premier ministre depuis plus d’une décennie et était déjà pointé du doigt en 2002 pour son rôle trouble lors des massacres anti-musulmans du Gujarat, dont Narendra Modi était le gouverneur. « Les récits des victimes indiquent clairement que les attaques avaient été planifiées », ajoute Prakash.
Certains habitants du nord de New Delhi, partis travailler au moment des faits, ont attendu plusieurs jours avant de remettre les pieds chez eux. D’autres, confinés dans leurs maisons, ont attendu de percevoir des signes de retour à l’ordinaire pour mettre le nez dehors : des magasins qui rouvrent, des voitures qui circulent. Autant de sons qui s’étaient totalement évanouis. « Depuis, le prix de tous les produits de première nécessité ont augmenté dans le quartier. Les épiciers nous saignent comme en temps de guerre », ajoute Ali. Les scènes de familles, quelques affaires sous le bras, fuyant les quartiers où elles vivaient parfois depuis plusieurs décennies font désormais partie du quotidien. Une délégation de partis de gauche s’est rendue vendredi dans les zones touchées pour assurer les habitants de leur soutien. Après le départ de Donald Trump, Narendra Modi s’est contenté d’un message sur Twitter : « La paix et l’harmonie sont des valeurs centrales de notre ethos. » Hier, au cœur de la « plus grande démocratie au monde », deux cadavres supplémentaires étaient découverts dans un canal du nord de Delhi.
Pour le premier ministre indien, accusé d’attiser les tensions en son pays, le déplacement du président américain est une incontestable victoire. Les deux dirigeants possèdent des intérêts croisés aux niveaux stratégique, politique et économique.
À quelques mois de la présidentielle, Donald Trump ne ménage pas ses efforts pour séduire la diaspora indienne, traditionnellement considérée comme acquise aux démocrates. Après l’immense meeting qui avait réuni 50 000 Indo-Américains à Houston, en septembre, en présence du premier ministre indien, Narendra Modi, c’est cette fois au tour du président états-unien de se rendre pour la première fois en Inde. D’un coût de 13 millions d’euros, la visite, qui a débuté hier, est d’une importance capitale puisque censée approfondir la stratégie indo-pacifique qui vise à endiguer l’influence chinoise dans la région. À cet égard, un contrat pour l’achat de vingt-quatre hélicoptères Seahawk d’un montant de 2,3 milliards d’euros doit être conclu. Les discussions devraient également porter sur l’achat d’un bouclier antimissile américain et de six autres hélicoptères Apache.
Le déplacement de Donald Trump à Ahmedabad (Gujarat), un État gouverné par Narendra Modi de 2001 à 2014, est une incontestable victoire personnelle pour le chef du gouvernement indien. D’abord, parce que ce dernier fut frappé d’une interdiction de séjour aux États-Unis pendant dix ans pour son rôle dans le pogrom anti-musulmans de 2002. Le voyage redonne également un crédit international au premier ministre, qui fait face, depuis décembre, à des manifestations d’ampleur contre la nouvelle loi de citoyenneté qui exclut les réfugiés musulmans et écorne le caractère séculaire de la Constitution. Il y avait une certaine ironie à voir, hier, Donald Trump s’initier au rouet au cœur de l’ashram du Mahatma Gandhi. En pleine montée des tensions religieuses, l’instrumentalisation de l’héritage politique du héros de l’indépendance, assassiné par un membre du Rashtriya Swayamsevak Sangh (RSS), la milice fasciste au sein de laquelle le premier ministre indien a fait ses armes, laisse un goût amer. Le doute n’était d’ailleurs plus permis lorsque le président états-unien a été accueilli au Taj Mahal, à Agra, par le moine islamophobe Yogi Adityanath, ministre en chef de l’Uttar Pradesh, qui n’hésitait pas, la semaine dernière, à justifier la mort de vingt manifestants dans son État. Au moment où le chef d’État américain louait la démocratie indienne, de violents affrontements entre la police et les opposants à la loi de citoyenneté se déroulaient à New Delhi.
Hier, Donald Trump n’a pas pipé mot sur l’annexion de fait du Jammu-et-Cachemire, un État à majorité musulmane bouclé par l’armée indienne depuis août. Au cœur du plus grand stade de cricket du monde, 100 000 supporters de Narendra Modi ont applaudi à tout rompre lorsque le président américain a évoqué le « terrorisme islamique radical ». Il ne s’agit toutefois pas d’un blanc-seing à New Delhi dans sa rivalité avec le Pakistan puisque, après avoir suspendu l’aide sécuritaire à Islamabad, accusé d’alimenter en sous-main les djihadistes, Washington a approuvé en décembre la reprise du programme international de formation et d’entraînement militaires (Imet).
Afin d’éviter tout conflit d’intérêts, Donald Trump avait promis avant son élection de se consacrer « entièrement et totalement à la direction du pays » et de se mettre en retrait de son empire immobilier. Seulement, sur ce plan-là non plus son déplacement ne doit rien au hasard. La Trump Organization, impliquée dans l’immobilier, y possède d’importants intérêts économiques et des relations anciennes avec les investisseurs locaux liés au Parti du peuple indien (BJP) au pouvoir, comme c’est le cas de Mangal Prabhat, fondateur de la société immobilière Lodha Group et dirigeant du BJP à Mumbai. En 2018, Donald Trump Jr, qui gère l’empire familial, s’est rendu en Inde afin d’y développer ses activités. Lors de ce séjour, il rencontrait le premier ministre indien et avouait, dans une interview au quotidien indien Mint, que le marché constituait la plus importante zone d’investissements parmi les pays émergents avec cinq projets immobiliers démesurés à Pune, Gurugam, Calcutta, Mumbai et New Delhi. À première vue, Narendra Modi n’usurpe pas le titre de « grand ami » décerné par Trump à l’issue de la visite de l’ashram du Mahatma Gandhi.
Lina Sankari
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