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11 mars 2020 3 11 /03 /mars /2020 05:50
Où va l’Inde du premier ministre Narendra Modi ? - L'Humanité, Lina Sankari et Pierre Chaillan, avec Shumona Sinha, Jean-Luc Racine, Ingrid Therwhat
Lundi, 9 Mars, 2020 - l'Humanité
Où va l’Inde du premier ministre Narendra Modi ?

 

Répression politique et discriminations des minorités Arrivé au pouvoir en 2014 et réélu en 2019, le dirigeant nationaliste, membre du BJP, est issu des rangs des milices fascistes RSS.
Shumona Sinha Écrivaine
Jean-Luc Racine Directeur de recherche émérite au CNRS et chercheur senior à Asia Centre
Ingrid Therwath Journaliste, docteure en sciences politiques et spécialiste de l’Inde

 

Le calendrier de la honte du suprémaciste Modi

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Shumona Sinha  Écrivaine

En février, tandis qu’il recevait en grande pompe son homologue américain Trump, ses électeurs-militants ont mené un pogrom contre les musulmans indiens de la capitale. Nous aurions tort de croire qu’il s’agit d’un acte isolé de la foule hystérique ou d’un conflit intercommunautaire.

Ces barbaries atroces s’inscrivent dans la continuité de la politique hindouiste guerrière, l’hindutva, de Narendra Modi et de son acolyte, le ministre de l’Intérieur, Amit Shah.

Il est temps d’établir le calendrier de la honte de ce régime suprémaciste. 2002 : Modi, connu sous le nom de « Boucher du Gujarat » à cause de son rôle dans les pogroms antimusulmans durant son mandat de chef de ladite région, se voit refuser un visa pour les États-Unis. Toujours au Gujarat, une clinique privée est ouverte pour fabriquer suivant les guides hindouistes les bébés de « la race supérieure aryenne ». 2014 : arrivée au pouvoir en brandissant le programme du développement économique, balayant le parti de droite Congress-I, épuisé après soixante-sept ans de gouvernance, mais dissimulant le caractère fasciste viscéral de son engagement politique. Post-it couleur brune : Modi est membre à vie de la milice RSS, parti souche du BJP au pouvoir, fondée en 1925 et s’inspirant d’Hitler et Mussolini, dont le militant Nathuram Godse a assassiné le Mahatma Gandhi en 1948. 2014-2019 : bilan économique catastrophique (taux de chômage le plus élevé depuis quarante ans, crise dans le secteur agricole, inflation du prix des produits alimentaires, baisse des exportations, déclin de l’investissement…) 2017 : assassinat de Gauri Lankesh, journaliste de gauche, engagée dans la lutte contre l’hindutva, par un homme « qui a agi suivant les consignes de ses leaders pour sauver la religion hindoue ». Février 2019 : attentat au Jammu-et-Cachemire, revendiqué par un groupe djihadiste pakistanais, causant la mort de 40 soldats indiens. Avril-mai 2019 : nouvelle victoire triomphale de Modi grâce à une campagne électorale nationaliste, sécuritaire et anti-immigration. Août 2019 : révocation de l’autonomie constitutionnelle du Cachemire. Suite au mouvement du peuple, la vallée est coupée du monde : aucune communication pendant plus de six mois. Près de 1 000 personnes emprisonnées, des simples citoyens aux élus politiques. L’isolement fait partie des représailles stratégiques violentes à l’encontre de la population musulmane et de quiconque ose s’opposer à l’action autocratique de Modi. Décembre 2019 : adoption de l’amendement discriminatoire CAA. Il modifie la loi sur la citoyenneté de 1955 pour accorder la citoyenneté indienne sous l’hypothèse de persécution religieuse à toute personne, excepté les musulmans. Hiver 2019-2020 : manifestations massives à travers l’Inde et à l’étranger contre le CAA. Plusieurs campus universitaires en résistance à Delhi, Calcutta, Bombay, Bénarès et dans tout le pays sont saccagés, incendiés, des étudiants tabassés par les militants du BJP-RSS ; le peuple indien résistant subit une violence policière sanguinaire. De 2017 à 2020 : au moment de ces carnages, Modi cumule avec succès ses rendez-vous avec les dirigeants des pays tels que la France, Israël et les États-Unis, les militants du BJP-RSS s’enracinent à l’étranger.

Tant que l’intérêt commercial des pays puissants primera sur leurs discours de droits humains, tant que l’Inde sera fantasmée comme l’alliance par excellence contre le terrorisme islamiste et ses ashrams hindouistes comme les échappatoires pour tous ceux blasés par la trinité monothéiste, le swastika continuera à se graver dans les esprits. Il est irresponsable et criminel de se taire, de faire un pacte avec cet autre diable !

Dernier ouvrage paru : le Testament russe, Gallimard.

Le pays divisé et le réveil citoyen

Jean-Luc Racine Directeur de recherche émérite au CNRS et chercheur senior à Asia Centre

Largement réélu en mai 2019, Narendra Modi, premier ministre depuis 2014, décida d’avancer enfin sur les dossiers emblématiques du Bharatiya Janata Party (BJP), le bras politique du Sangh Parivar, la « famille » nationaliste hindoue, dont la puissante matrice est l’Association des serviteurs de la nation (RSS), forte de plus de 50 000 cellules à travers le pays. Deux objectifs affichés depuis des décennies furent très vite atteints. En août, le Parlement votait la suppression du statut particulier du Cachemire, le seul État à majorité musulmane. En novembre, la Cour suprême donnait son aval à la construction à Ayodhya d’un temple monumental au dieu Ram sur le site d’une mosquée contestée, détruite par les militants du Sangh en 1992.

Vint, en décembre 2019, le vote d’une loi facilitant la naturalisation des réfugiés de diverses confessions, musulmans exclus, venus de trois États voisins : le Bangladesh, le Pakistan, l’Afghanistan. Cette loi discriminatoire annonçait les mesures à venir, dont l’établissement d’un registre national des citoyens, déjà mis en œuvre de façon chaotique dans l’État d’Assam : faudrait-il désormais prouver sa nationalité, voire présenter les papiers des parents ou des grands-parents ? L’inquiétude grandit, chez les musulmans et chez tous ceux qui dénonçaient un majoritarisme pro-hindou en pleine ascension. Et l’inattendu arriva. L’opposition au changement de statut du Cachemire avait été limitée, la région elle-même étant soumise à un état d’urgence non déclaré, pour empêcher toute manifestation. Après la décision sur Ayodhya, les organisations musulmanes avaient choisi d’acquiescer, pour calmer le jeu.

Cette fois, contre toute attente, un réveil citoyen fit face. D’abord dans les universités de New Delhi, puis dans la rue, où l’on vit bientôt l’impensable : des femmes musulmanes de tous âges, voilées ou non, occuper pacifiquement, jour et nuit, un des grands axes de New Delhi. Le lieu, Shaheen Bagh, devint le symbole d’une Inde qui dit non, répercuté dans de multiples villes indiennes, hommes, femmes, enfants, toutes religions confondues, hors des partis, brandissant le drapeau indien, les portraits de Gandhi, « père de la nation » et d’Ambedkar, « père de la Constitution », dont le préambule était brandi comme étendard des valeurs d’une Inde diverse mais unie par les mêmes droits et les mêmes devoirs. Comme dans des mouvements comparables sinon identiques, printemps arabes ou Hirak algérien, poètes et artistes donnèrent un sens accru au mouvement. Un poème récité à Bombay devint viral, en récusant d’avance le registre des citoyens : Hum khagaz nahi dikhayenge !, « Nous ne montrerons pas nos papiers ! ».

Nul ne sait ce qu’il adviendra du mouvement, dans un contexte où les partis d’opposition, actifs en ville et au Parlement, souffrent de leur faiblesse et de leurs divisions, tandis que les militants du nationalisme hindou se radicalisent, accusant les opposants d’être des séditieux antinationaux, voire des agents du Pakistan, et passant à l’acte en semant la violence dans des quartiers musulmans de Delhi. L’image internationale du pays en pâtit, n’en déplaise à Donald Trump qui, en visite en Inde, couvre Narendra Modi de compliments : l’Inde n’est-elle pas devenue la cinquième économie mondiale, et tout contrepoids à la Chine de Xi Jinping n’est-il pas bienvenu ? Mais cette Inde de Narendra Modi, sous l’emprise du nationalisme hindou, devient un pays divisé, où s’affrontent deux conceptions opposées de la nation.

Le fantasme génocidaire

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Ingrid Therwath  Journaliste, docteure en sciences politiques et spécialiste de l’Inde

Le massacre qui a eu lieu à Delhi, la capitale indienne, du 23 au 29 février dernier et qui a fait 47 morts et 350 blessés doit être désigné pour ce qu’il est : un pogrom. Ce vocable inscrit ces événements dans la suite de l’histoire des lynchages et ratonnades subies par les juifs en Europe centrale depuis la fin du XIXe siècle. Ces précédents historiques nous permettent de comprendre ce qui se joue en Inde et de rappeler la proximité et la filiation entre les crimes de l’Europe des XIXe et XXe siècle et ceux de l’Inde d’aujourd’hui.

Les assassins ont été incités par des responsables politiques locaux comme nationaux, soit directement – « allez les tuer », « tirez sur ces ordures » –, soit à travers des discours antimusulmans aussi haineux que fréquents. Le ministre de l’Intérieur lui-même, Amit Shah, est allé jusqu’à employer les termes de « vermines » et « termites » pour désigner des populations musulmanes résidant dans l’État d’Assam. Cette mise au ban des musulmans comme ennemis de l’intérieur, comme agents qui corrompent le corps social, est un trope typique du mouvement national-hindouiste. La maison mère de ce mouvement est la milice nommée Rashtriya Swayamsevak Sangh (RSS). Elle a été fondée en 1925 sur le modèle des faisceaux mussoliniens et s’est largement nourrie des mouvements nazis et fascistes. Le parti du premier ministre Narendra Modi, le BJP, élu en 2014 puis réélu en 2019 pour cinq ans, est une émanation de cette milice (et non l’inverse) et défend l’idée d’une Inde hindoue et non pas laïque comme le prévoit la Constitution. Les minorités n’ont qu’à bien se tenir. Le choix pour elles est clair, manichéen, brutal : se soumettre ou mourir.

Ce que les pogroms de Delhi nous apprennent, ou plutôt confirment, c’est qu’il n’y a pas d’opposition entre deux camps aux motifs légitimes et aux moyens d’action équivalents, même si de nombreux médias ont évoqué des « émeutes » ou des « affrontements intercommunautaires ». D’ailleurs, les exemples de solidarité entre voisins de confessions différentes ont été nombreux.

D’un côté se trouve une population musulmane pauvre, urbaine, marginalisée sur le plan politique. De l’autre côté, des groupes galvanisés et organisés par les nationalistes hindous au pouvoir, qui s’appuient sur les registres du cadastre et les listes des immatriculations de véhicules pour viser spécifiquement les biens des musulmans, en plus de viser les personnes elles-mêmes.

La police et la justice indiennes font preuve d’une complicité souvent active. Ce sont les journalistes indépendants et les défenseurs des droits humains qui ont mis au jour toute l’ingénierie des violences. Elles n’ont rien de spontané ou d’ancestral : elles sont modernes, délibérées et politiques.

Avec ses 200 millions de croyants, l’Inde est le troisième pays musulman du monde, après l’Indonésie et le Pakistan, et devrait être le premier d’ici 2060. Le pouvoir actuel n’a pas de projet génocidaire concret. Il n’existe pas d’infrastructure d’extermination. Si le fantasme génocidaire existe, lui, bel et bien, il se traduit en pratique par une stratégie d’élimination politique, économique, culturelle, spatiale dont les pogroms sont l’expression.

Les musulmans sont peu représentés politiquement, paupérisés économiquement, leurs contributions culturelles minimisées ou effacées des livres d’histoire, leur inscription dans l’espace fréquemment reléguée à des ghettos. Selon toute vraisemblance, de nouveaux pogroms se produiront en Inde.

Malgré les intimidations, de nombreuses voix en Inde s’élèvent pour le dire. Elles existent aussi en France. Emmanuel Macron, qui se dit être « le frère de Modi », garde quant à lui le silence par souci pour nos intérêts économiques et stratégiques. Tant pis pour nos valeurs, pour celles de l’Inde, tant pis pour le droit, tant pis pour les musulmans. Mais que l’on se rassure : à Delhi, l’heure est au retour à la normale. Une normalité criminelle.

Lundi, 2 Mars, 2020 - L'Humanité
Inde. À New Delhi, un pogrom anti-musulmans

Après le massacre perpétré la semaine dernière par des fondamentalistes hindous, le climat reste tendu dans la capitale. Effrayées, des familles fuient les quartiers ciblés.

Au milieu des voitures calcinées, les signes de vie demeurent timides. Ils sont quelques-uns à se hasarder parmi les débris, les livres éparpillés au sol et la tôle froissée des quartiers fantômes. Depuis une semaine et le début des massacres anti-musulmans à New Delhi (Inde), 42 morts ont été recensés. Toutefois, dans certaines zones toujours bouclées par la police, impossible de savoir combien de corps gisent dans les immeubles où nul n’a pu accéder. « Des foules ciblant un seul groupe religieux ont été autorisées à conduire des émeutes sans que la police n’intervienne. C’est la définition même d’un pogrom », dénonce l’écrivaine Mira Kamdar. Les foules en question ? Des hindous fanatisés dont la haine a été affûtée par le premier ministre nationaliste Narendra Modi au nom de l’hindutva (l’Inde hindoue) et le Rashtriya Swayamsevak Sangh (Association des volontaires nationaux, RSS), la milice fasciste dont il est issu. « L’atmosphère à Delhi reste très tendue. On peut clairement dater le début des attaques après l’appel ouvert à la violence d’un chef du BJP (parti de Narendra Modi – NDLR), Kapil Mishra, lors d’un rassemblement le 23 février », explique Prakash, un jeune ingénieur.

Le 24 février, alors que le président Trump louait la tolérance indienne aux côtés du chef de gouvernement indien au cœur du stade de cricket d’Ahmedabad (Gujarat), les habitants du quartier de Vijay Park, au nord de la capitale, ont vu des partisans du Sangh Parivar, une nébuleuse d’organisations fondées par le RSS qui entend renouer avec un prétendu âge d’or du peuple hindou, fondre sur eux par dizaines. « Ils disaient : “Sortez ces traîtres du pays. Nous tuerons ces musulmans. Nous entrerons dans leurs maisons et nous les tuerons ! ” Nous avons stationné des hommes pour tenter de sécuriser le quartier », témoigne Ali. La nouvelle n’a pas le temps de se répandre que, déjà, les passants reçoivent des pierres. Des cocktails Molotov sont lancés sur les échoppes, les écoles, les stations-service et les mosquées. Le poste précaire de premiers secours improvisé par les habitants est vite débordé. Dans cet antre de l’enfer, les maisons et temples hindous sont épargnés.

La police a laissé faire

Farhane, qui circulait alors à moto, est arrêté par plusieurs fondamentalistes hindous qui brandissent leurs bannières couleur safran. « Tous très jeunes, des ados, précise-t-il. Ils m’ont demandé si j’étais musulman avant de me rouer de coups. » Farhane réussit à s’enfuir. Ce n’est pas le cas d’Azzâm, qui fait parvenir, depuis la messagerie WhatsApp, des photos de son visage tuméfié. « La police m’a dit qu’il n’y avait pas de danger, qu’elle me protégeait. En réalité, elle regardait tout cela de loin et j’ai même entendu certains chanter Jai Shri Ram (Victoire au dieu Rama – NDLR). » Prakash a lui aussi de bonnes raisons de penser que la police a laissé faire.

« J’ai été témoin de son inertie lorsque des partisans de Modi ont attaqué des manifestants qui se mobilisaient contre la loi de citoyenneté. Dans la plupart des cas, les commissariats ne prennent même pas les plaintes. Pour moi, il est clair que les policiers agissent sur instruction. Il est temps qu’ils se réveillent, agissent de manière neutre et réagissent avec la diligence requise. » Ils reçoivent leurs instructions d’Amit Shah, ministre de l’Intérieur et président du BJP, qui seconde le premier ministre depuis plus d’une décennie et était déjà pointé du doigt en 2002 pour son rôle trouble lors des massacres anti-musulmans du Gujarat, dont Narendra Modi était le gouverneur. « Les récits des victimes indiquent clairement que les attaques avaient été planifiées », ajoute Prakash.

Certains habitants du nord de New Delhi, partis travailler au moment des faits, ont attendu plusieurs jours avant de remettre les pieds chez eux. D’autres, confinés dans leurs maisons, ont attendu de percevoir des signes de retour à l’ordinaire pour mettre le nez dehors : des magasins qui rouvrent, des voitures qui circulent. Autant de sons qui s’étaient totalement évanouis. « Depuis, le prix de tous les produits de première nécessité ont augmenté dans le quartier. Les épiciers nous saignent comme en temps de guerre », ajoute Ali. Les scènes de familles, quelques affaires sous le bras, fuyant les quartiers où elles vivaient parfois depuis plusieurs décennies font désormais partie du quotidien. Une délégation de partis de gauche s’est rendue vendredi dans les zones touchées pour assurer les habitants de leur soutien. Après le départ de Donald Trump, Narendra Modi s’est contenté d’un message sur Twitter : « La paix et l’harmonie sont des valeurs centrales de notre ethos. » Hier, au cœur de la « plus grande démocratie au monde », deux cadavres supplémentaires étaient découverts dans un canal du nord de Delhi.

Lina Sankari
Mardi, 25 Février, 2020
Inde Trump et Modi, petits arrangements entre amis

Pour le premier ministre indien, accusé d’attiser les tensions en son pays, le déplacement du président américain est une incontestable victoire. Les deux dirigeants possèdent des intérêts croisés aux niveaux stratégique, politique et économique.

À quelques mois de la présidentielle, Donald Trump ne ménage pas ses efforts pour séduire la diaspora indienne, traditionnellement considérée comme acquise aux démocrates. Après l’immense meeting qui avait réuni 50 000 Indo-Américains à Houston, en septembre, en présence du premier ministre indien, Narendra Modi, c’est cette fois au tour du président états-unien de se rendre pour la première fois en Inde. D’un coût de 13 millions d’euros, la visite, qui a débuté hier, est d’une importance capitale puisque censée approfondir la stratégie indo-pacifique qui vise à endiguer l’influence chinoise dans la région. À cet égard, un contrat pour l’achat de vingt-quatre hélicoptères Seahawk d’un montant de 2,3 milliards d’euros doit être conclu. Les discussions devraient également porter sur l’achat d’un bouclier antimissile américain et de six autres hélicoptères Apache.

Le déplacement de Donald Trump à Ahmedabad (Gujarat), un État gouverné par Narendra Modi de 2001 à 2014, est une incontestable victoire personnelle pour le chef du gouvernement indien. D’abord, parce que ce dernier fut frappé d’une interdiction de séjour aux États-Unis pendant dix ans pour son rôle dans le pogrom anti-musulmans de 2002. Le voyage redonne également un crédit international au premier ministre, qui fait face, depuis décembre, à des manifestations d’ampleur contre la nouvelle loi de citoyenneté qui exclut les réfugiés musulmans et écorne le caractère séculaire de la Constitution. Il y avait une certaine ironie à voir, hier, Donald Trump s’initier au rouet au cœur de l’ashram du Mahatma Gandhi. En pleine montée des tensions religieuses, l’instrumentalisation de l’héritage politique du héros de l’indépendance, assassiné par un membre du Rashtriya Swayamsevak Sangh (RSS), la milice fasciste au sein de laquelle le premier ministre indien a fait ses armes, laisse un goût amer. Le doute n’était d’ailleurs plus permis lorsque le président états-unien a été accueilli au Taj Mahal, à Agra, par le moine islamophobe Yogi Adityanath, ministre en chef de l’Uttar Pradesh, qui n’hésitait pas, la semaine dernière, à justifier la mort de vingt manifestants dans son État. Au moment où le chef d’État américain louait la démocratie indienne, de violents affrontements entre la police et les opposants à la loi de citoyenneté se déroulaient à New Delhi.

Hier, Donald Trump n’a pas pipé mot sur l’annexion de fait du Jammu-et-Cachemire, un État à majorité musulmane bouclé par l’armée indienne depuis août. Au cœur du plus grand stade de cricket du monde, 100 000 supporters de Narendra Modi ont applaudi à tout rompre lorsque le président américain a évoqué le « terrorisme islamique radical ». Il ne s’agit toutefois pas d’un blanc-seing à New Delhi dans sa rivalité avec le Pakistan puisque, après avoir suspendu l’aide sécuritaire à Islamabad, accusé d’alimenter en sous-main les djihadistes, Washington a approuvé en décembre la reprise du programme international de formation et d’entraînement militaires (Imet).

Afin d’éviter tout conflit d’intérêts, Donald Trump avait promis avant son élection de se consacrer « entièrement et totalement à la direction du pays » et de se mettre en retrait de son empire immobilier. Seulement, sur ce plan-là non plus son déplacement ne doit rien au hasard. La Trump Organization, impliquée dans l’immobilier, y possède d’importants intérêts économiques et des relations anciennes avec les investisseurs locaux liés au Parti du peuple indien (BJP) au pouvoir, comme c’est le cas de Mangal Prabhat, fondateur de la société immobilière Lodha Group et dirigeant du BJP à Mumbai. En 2018, Donald Trump Jr, qui gère l’empire familial, s’est rendu en Inde afin d’y développer ses activités. Lors de ce séjour, il rencontrait le premier ministre indien et avouait, dans une interview au quotidien indien Mint, que le marché constituait la plus importante zone d’investissements parmi les pays émergents avec cinq projets immobiliers démesurés à Pune, Gurugam, Calcutta, Mumbai et New Delhi. À première vue, Narendra Modi n’usurpe pas le titre de « grand ami » décerné par Trump à l’issue de la visite de l’ashram du Mahatma Gandhi.

Lina Sankari

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8 mars 2020 7 08 /03 /mars /2020 20:09
La chronique cinéma d'Andréa Lauro - Luchino Visconti: celui qui ouvrit les portes du Néoréalisme entre beauté et Résistance, Partie 3

Luchino Visconti: celui qui ouvrit les portes du Néoréalisme entre beauté et Résistance

Premières parties de l'article Andréa Lauro sur Visconti:

Luchino Visconti: celui qui ouvrit les portes du Néoréalisme entre beauté et Résistance, partie 1 - la chronique cinéma d'Andrea Lauro

Luchino Visconti: celui qui ouvrit les portes du Néoréalisme entre beauté et Résistance - partie 2 La guerre et le Néoréalisme : Ossessione

 

Partie 3

La fin de la guerre et le retour de Verga: La terra trema


Ossessione est reconnu comme la pierre angulaire du néoréalisme, et il est aussi l’un des films appartenant au genre qui en respectent moins les canons (si de genre et canons on peut parler, étant donné les divergences entre les différents auteurs), et qui poursuit moins les objectifs de pur témoignage social, malgré l’impact et le tumulte politique provoqués. Cependant, à la fin de la guerre, la résistance et l’engagement communiste sont le moteur des efforts cinématographiques de Visconti.

En 1945, il participe à Giorni di Gloria, documentaire collectif dirigé avec De Santis et autres cinéastes. Giorni di Gloria est un film à mi-chemin entre objectivité et célébration, dédié "à la lutte partisane et à la renaissance nationale", un collage de films et de photographies né pour rendre l’image de l’Italie de 1943 à 1945, parmi des incursions de brigades de partisans, les massacres nazis, les rafles dans les villages, les fosses Ardeatine, les procès, la rage populaire. Visconti s’occupe du segment sur le procès et l’exécution de Pietro Caruso (chef de la police fasciste), qui reprend lui-même sans renoncer à son propre registre, notamment en se concentrant sur les visages et les lieux, l’espace et les figures humaines, comme si les hommes encadrés étaient des acteurs à son service.

La situation du cinéma italien n’est pas rose : manque d’argent, d’équipements, d’espaces de tournage, tout ce qui avait rendu possible l’existence d’une florissante, aussi discutable soit-elle, industrie du spectacle - dont le manque se révèle être l’étincelle du "mouvement" néo-réaliste. Visconti et ses collègues cinéastes doivent faire face au refus des producteurs de financer des projets ambitieux : "Pensione Oltremare", inspiré de son emprisonnement; un films sur les partisans, librement tiré de Maupassant; un écrit avec Pietrangeli et Antonioni; d’autres inspirées par les œuvres de Stendhal, Steinbeck, Shakespeare, ...

Le repli sur le théâtre est une exigence, et Visconti signe pendant deux ans la mise en scène de plusieurs représentations importantes. Puis, en 1947, le Parti Communiste lui commande un documentaire de propagande décliné par Carlo Lizzani (qui préfère aller à Berlin avec Rossellini pour "Germania anno zero"), en vue des élections de 1948, dans le but de filmer les conditions des travailleurs siciliens en plaçant syndicats et socialisme comme seule issue à la pauvreté et aux injustices des classes.

« La terra trema » (1948), deuxième long métrage de Visconti, naît donc encore, comme Ossessione, de prémisses politiques, en les franchissant. Visconti et une toute petite troupe de non-professionnels (dont Francesco Rosi et Franco Zeffirelli) s’installent en Sicile, à Acitrezza et il y reste sept mois. Le rêve d’une transposition de "I malavoglia" de Verga prend forme et le travail perd au fur et à mesure les contours du documentaire, ou mieux, il est contaminé avec une structure narrative qui a comme toile de fond le roman de Verga et comme étoile polaire le style de l’écrivain, en effaçant l’intention initiale propagandiste, en prenant une valeur artistique.

C’est ainsi que prend forme la saga malheureuse des Valastro, famille pauvre de pêcheurs exploitée par les grossistes de poisson. Elle est dirigée par le jeune inquiet « Ntoni » qui tente de changer les choses en allant contre le joug, en se mettant à son compte. Une petite révolution d’abord réussie, puis échouée à cause du destin et de l’isolement auquel les autres pêcheurs de Acitrezza condamnent les Valastro, finalement contraints de se soumettre aux chantages des "patrons". Dans le résultat final, la combinaison de moments idéologiques et de moments poétiques est parfaite et la méthode de travail de Visconti est gagnante.

Sans un véritable scénario, sans instruments techniques sinon quelques mètres de chariot, sans acteurs qui ne soient pas les vrais pêcheurs du pays, Visconti ouvre largement sur La terra trema sa vision de ce que doit être la fonction du cinéma face à la réalité : celle du lieu où faire « se produire », pas de la fenêtre à partir de laquelle « regarder ». L’instantané social et géographique est de nouveau une réinterprétation, avec une étude esthétique accompagnée d’une structure narrative où au centre les tourments existentiels surmontent les difficultés économiques.

Un rendu issu d’une préparation épuisante et des théories exposées dans un écrit de Visconti, "Cinéma anthropomorphique". Le réalisateur passe beaucoup de temps avec eux, les interpelle sur les répliques à prononcer et sur le développement de l’histoire, les fait répéter pendant des heures avant de tourner, à la recherche de l’assonance définitive entre "homme-acteur et homme-personnage", en tirant une authenticité absolue, mais remodelée et cousue à la forme-film. Le dialecte sicilien incompréhensible dans lequel s’expriment les pêcheurs est contrebalancé par une voix-off didactique et par une bande sonore jamais intrusive - presque absente, au moins dans la première partie - qui participent à une fusion inégalable de témoignage et de spectacle âprement critiquée par les puristes du néoréalisme, qui lancent ponctuellement des accusations de formalisme, de snobisme, d’inutile et nuisible dramatisation.

Même le Parti Communiste n’a pas une bonne opinion du résultat, surtout parce que dans la chute inexorable, pessimiste, fataliste de la famille Valastro n’intervient aucun des organismes et des idéaux qu’il aurait fallu élever aux yeux du public, et qui étaient à la base de l’idée du documentaire original. Au secours de Ntoni et les autres Valastro, il n’y a pas de syndicats, il n’y a pas de politique socialiste, la cohésion et la solidarité entre les exploités sont un mirage. Comme dans Ossessione, Visconti est contesté sur deux fronts bornés, à gauche pour trahison esthétique-idéologique et pour avoir manqué l'objectif, à droite, entre conservateurs et démocrates-chrétiens, parce qu’il était coupable d’avoir traîné - en s'engageant - les problématiques socio-économique dans un domaine impropre et neutre, le cinéma de fiction. Peut-être les deux factions ont-elles tort et raison, mais le fait est que La Terra trema est sifflé au Festival de Venise de 1948 et ne commence vraiment à circuler dans la salle qu’en 1950.

Andréa Lauro
 

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7 mars 2020 6 07 /03 /mars /2020 19:37
Question d'André Chassaigne au Parlement - nouvelles conditions d'importation en UE des produits en provenance de colonies israéliennes illégales
[ASSEMBLÉE NATIONALE]

Nouvelles conditions d'importation dans le territoire de l'Union européenne des produits en provenance des colonies israéliennes implantées illégalement

André Chassaigne, député PCF, a posé une question écrite au ministre de l'Europe et des affaires étrangères sur les nouvelles conditions d'importation dans le territoire de l'Union européenne des produits en provenance des colonies israéliennes implantées illégalement. Il lui demande d'intervenir au niveau national et européen afin que soit strictement respectée la réglementation concernant l'étiquetage. Plus largement, en application des obligations internationales issues de la Quatrième convention de Genève de 2004, la France et l'Union européenne doivent interdire à l'importation toutes les productions des colonies.  [LIRE LA QUESTION]

Texte de la question

M. André Chassaigne attire l'attention de M. le ministre de l'Europe et des affaires étrangères sur les nouvelles conditions d'importation dans le territoire de l'Union européenne des produits en provenance des colonies israéliennes implantées illégalement. Dans le cadre d'un renvoi préjudiciel, la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), questionnée par le Conseil d'État, a rendu le 12 novembre 2019 une interprétation de la réglementation européenne en imposant d'inscrire sur l'étiquetage l'origine des produits issus des colonies israéliennes, situées en territoire palestinien occupé. Cette saisine faisait suite à des recours engagés par des producteurs et des associations soutenant le gouvernement israélien ou favorables aux colonies. La CJUE estime que l'étiquetage s'impose, considérant que « l'information des consommateurs doit permettre à ces derniers de se décider en toute connaissance de cause et dans le respect non seulement de considérations sanitaires, économiques, écologiques ou sociales, mais également de considérations d'ordre éthique ou ayant trait au respect du droit international ». En conséquence, l'Union européenne doit mettre en place un étiquetage commun, un contrôle effectif, et des sanctions en cas de non-respect de cette obligation. Au-delà, les États et l'Union européenne doivent surtout procéder à l'interdiction d'importation à toutes les productions des colonies. Plusieurs personnalités politiques israéliennes de premier plan ont d'ailleurs signé un appel pour demander à l'Europe d'appliquer cette interdiction totale. Elle permettrait de marquer la différence entre les frontières internationalement reconnues de l'État d'Israël et les colonies de peuplement, dont « l'occupation est moralement corrosive, stratégiquement à courte vue et extrêmement préjudiciable à la paix ». Ces colonies « sont la principale cause de violations systématiques des droits de l'homme envers les Palestiniens, et leur expansion élimine la possibilité d'une solution à deux États ». Il lui demande d'intervenir au niveau national et européen afin que soit strictement respectée la réglementation concernant l'étiquetage. Plus largement, en application des obligations internationales issues de la Quatrième convention de Genève de 2004, la France et l'Union européenne doivent interdire à l'importation toutes les productions des colonies.

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7 mars 2020 6 07 /03 /mars /2020 06:20
Lesbos, Grèce-Turquie: Réfugiés pris au piège d'un odieux marchandage (L'Humanité, Rosa Moussaoui, Rena Liratzi, mercredi 4 mars)
Mercredi, 4 Mars, 2020
Réfugiés pris au piège d'un odieux marchandage

Des milliers de réfugiés sont pris aux piège, entre deux feux, sur la frontière entre la Grèce et la Turquie. Erdogan fait chanter l’Europe, Mitsotakis met en scène sa «guerre» aux migrants

 

Effroyables images, qui résument à elles seules le naufrage des politiques migratoires conduites par l’Union européenne. Saisies dans les eaux de la mer Egée, elles montrent des gardes côtes grecs tirant, depuis le pont de leur vedette, sur un frêle canot chargé de migrants, prêt à chavirer. Les plages des îles grecques, toutes proches, ne leur réserveront pas meilleur accueil. À Lesbos, des milices s’organisent et, encouragées par des éléments d’extrême droite, prennent pour cible les journalistes, les naufragés, les membres des ONG qui leur apportent assistance. Sur le continent, les rives du fleuve Evros, qui fait frontière entre la Grèce et la Turquie, offrent des scènes tout aussi cruelles. Pris au piège de la zone tampon de Kastanies, transis de peur, des milliers d’hommes, de femmes et d’enfants sont bringuebalés entre les forces grecques antiémeutes et leurs tirs de gaz lacrymogène, qui leur barrent tout passage, et les militaires turcs, qui leur interdisent toute marche arrière, après les avoir incités à franchir la frontière. Cette crise, délibérément déclenchée par le président turc Receip Tayyip Erdogan, qui cherche à impliquer l’Union européenne dans le bras de fer l’opposant à Damas et Moscou dans la bataille d’Idlib, a emporté une vie, lundi, au large de Lesbos : celle d’un petit garçon de quatre ans. Le canot qui le transportait, avec une cinquantaine d’autres réfugiés, avait été délibérément coulé, à l’approche de la côte, pour provoquer une opération de sauvetage. Les médecins sont arrivés trop tard pour sauver l’enfant.

Quatre ans après la conclusion d’un accord par lequel Ankara s’engageait, en contrepartie d’une enveloppe de six milliards d’euros, à faire entrave aux réfugiés tentant de gagner l’Europe et à réadmettre sur son sol les demandeurs d’asile déboutés, le satrape d’Ankara joue toujours les maîtres chanteurs. Quelle meilleure stratégie que ses rodomontades et ses élans belliqueux à l’extérieur pour faire oublier ses turpitudes à l’intérieur ? Sous l’effet d’une grave crise économique, son pays connaît une inquiétante vague de suicides : croulant sous le poids des dettes, des Turcs se donnent la mort, sans que les médias, muselés par le régime, ne puissent en dire mot. Après ses expéditions sur les fronts syrien et libyen, Erdogan joue avec l’Union européenne et le voisin grec la carte de la confrontation, dans une zone de vives tensions, alimentées de longue date par les différends frontaliers, les convoitises pétrolières et gazières en mer Egée et les incursions régulières de la marine et de l’aviation turques en territoire grec.

Dans ce contexte, le torpillage de l’ignominieux accord de 2016 n’a rien d’un coup de tonnerre dans un ciel serein. L’été dernier, déjà, le ministre turc des Affaires étrangères, Mevlüt Cavusoglu, annonçait la suspension de son volet réadmission, en accusant Bruxelles de ne pas tenir ses promesses sur libéralisation des visas pour les ressortissants turcs souhaitant entrer dans l’UE.

Du côté d’Athènes, les provocations d’Erdogan offrent au gouvernement de droite dirigé par Kyriakos Mitsotakis l’occasion de déployer sans complexes sa politique de guerre aux migrants et aux demandeurs d’asile. Sur les îles de la mer Egée orientale où sont piégés 45000 réfugiés dans des conditions indignes, les autorités ont clairement opté pour une stratégie de tension. À Lesbos, Chios ou Samos, la construction de centres de rétention fermés a donné lieu ces derniers jours à des heurts entre forces antiémeutes et insulaires opposés à l’installation de nouveaux camps. Dès samedi, dans un parfait pas de deux avec le président turc, Mitsotakis mettait en scène son intransigeance : « Je veux être clair : aucune entrée illégale en Grèce ne sera tolérée. Nous augmentons notre sécurité aux frontières. » Depuis, de hauts responsables se relaient pour fustiger, en puisant dans le lexique de la guerre, « l’invasion » orchestrée au plus haut niveau par Ankara. L’armée grecque a annoncé avoir procédé lundi, dans la région d’Evros, à « des manœuvres militaires avec des tirs réels ». En passant les troupes en revue le même jour, le chef du gouvernement a appelé à un « soutien ferme » de l’UE. Ses appels semblent avoir été entendus plus promptement que ceux de son prédécesseur de gauche, Alexis Tsipras, lorsque la brutale fermeture de la route des Balkans menant vers l’Europe de l’ouest et l’Allemagne avait bloqué 12000 réfugiés à Idomeni, à la frontière gréco-macédonienne. Hier, en signe de « solidarité » avec Athènes, la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen, le président du Conseil Charles Michel et le président du Parlement européen David Sassoli se sont rendus au poste frontière de Kastanies. « Ceux qui cherchent à tester l’unité de l’Europe seront déçus », a expliqué la première, en promettant à Mitsotakis un chèque de 700 millions d’euros.

Le feu vert est donné à l’envoi de renforts de l’agence européenne de contrôle des frontières Frontex et sur le terrain diplomatique, des pourparlers sont engagés « à haut niveau » avec Ankara sur la situation en Syrie. Dans le jeu cynique des ingérences enchevêtrées qui attisent les guerres et poussent chaque jour des milliers d’hommes, de femmes et d’enfants sur les routes de l’exil, les réfugiés, aux portes de la forteresse Europe, sont ravalés au rang de pions, objets d’odieux marchandages.

Rosa Moussaoui

Suspendre les demandes d’asile est illégal

Le Haut-Commissariat de l’ONU pour les réfugiés (HCR) juge illégale la décision du gouvernement grec de suspendre durant un mois toute nouvelle demande d’asile face à l’afflux de réfugiés à sa frontière. Dans un communiqué, cette organisation des Nations unies explique : « Ni la convention de 1951 relative au statut des réfugiés, ni le droit de l’UE sur les réfugiés ne fournissent de base légale pour la suspension de la réception des demandes d’asile. »

Le premier ministre grec, Kyriakos Mitsotakis, qui a invoqué l’article 78 du traité sur le fonctionnement de l’UE, ne peut pas « suspendre le droit internationalement reconnu à l’asile et le principe de non-refoulement sur lesquels insiste aussi le droit de l’UE », condamne le HCR. Les réfugiés aussi ont des droits.

Mercredi, 4 Mars, 2020
Lesbos, l’île de la colère

L’île grecque, située au nord de la mer Égée, à proximité des côtes turques, a vu la situation se dégrader sérieusement ces derniers jours. L’afflux de réfugiés a relancé les attaques et les menaces fascistes, provoquant la fuite d’ONG. Reportage.

 

Lesbos (Grèce), correspondance.

«  O n vit dans une jungle ! La situation est catastrophique ! » s’insurge Vassiliki Andreadelli, bénévole au sein de l’Association Iliaktida. La tension est montée d’un cran ces derniers jours à Lesbos, depuis que la Turquie a ouvert, vendredi, ses frontières aux exilés en quête d’Europe. Plusieurs embarcations et plus de 1 200 personnes ont atteint les îles du nord de la mer Égée au cours du week-end. « Des membres d’extrême droite attaquent et menacent réfugiés et personnels associatifs », détaille Mme Andreadelli, particulièrement inquiète. L’exaspération des insulaires a pris un caractère particulièrement violent, ouvrant les vannes à des groupuscules d’extrême droite et à des actions qui « mettent en danger l’État de droit ». Les intimidations et agressions se multiplient depuis samedi dernier.

Elles s’intensifient avec la nuit, où des routes se retrouvent bloquées. Dans l’obscurité, des groupes se forment pour attaquer toute personne étrangère à l’île : membres d’ONG, réfugiés, journalistes. Les voitures de location deviennent des cibles (coups de chaîne, jets de pierres…) et la crainte se diffuse. « Il y a de la peur, bien sûr. Des milices se sont formées et font ce qu’elles veulent sur l’île », déplore Pavlos (1). Ce Grec de 35 ans habite dans le village de Moria, non loin du camp d’accueil prévu pour moins de 3 000 personnes, devenu campement insalubre à ciel ouvert où près de 20 000 personnes survivent dans des conditions sanitaires et psychologiques désastreuses. « Ils s’attaquent aux immigrés, ensuite aux bénévoles, et puis après à tous ceux qui sont en désaccord avec eux », s’inquiète le jeune homme.

Un sentiment d’impunité renforcé par la passivité complice de la police et la rhétorique gouvernementale. « Cette pression est soudaine, massive, organisée et coordonnée », dénonce le porte-parole du gouvernement grec, Stelios Petsas, accusant la Turquie de « devenir un trafiquant ». La plupart des médias grecs relaient allègrement un vocabulaire guerrier, qualifiant les exilés d’ « assaillants ». Plusieurs membres d’ONG ont décidé ce mardi de quitter l’île, craignant pour leur sécurité. D’autres ont interrompu leurs activités temporairement. Seuls Médecins sans frontières et Médecins du monde gardaient leurs cliniques ouvertes.

Le gouvernement grec a suspendu toute nouvelle demande d’asile pendant un mois et veut rendre systématique le renvoi des nouveaux arrivants vers la Grèce continentale, avant de les rapatrier dans leur pays d’origine. En fin de journée, la rumeur de bateaux en partance pour Athènes a fait affluer plusieurs centaines de migrants sur le port de Mytilène, créant la confusion et des tensions au moment où les forces de police se sont mises à disperser la foule. Insulaires et exilés attendent pourtant tous la même chose. « Ils veulent partir d’ici et nous, on veut qu’ils quittent notre île », résume Maria. Dépitée par la situation, elle peine à être optimiste. « Qu’est-ce que vous voulez que je vous dise ? On en vient à se bouffer les uns les autres. »

(1) Le prénom a été modifié à la demande de l’interlocuteur.
Rena Liratzi
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6 mars 2020 5 06 /03 /mars /2020 18:02
Le parlement le plus dangereux de l'histoire d'Israël (PCF)
Israël : Le parlement le plus dangereux de l'histoire d'Israël (PCF)

Pour la troisième fois en un an, les Israéliens étaient convoqués pour des législatives. Une campagne violente, "sale et lamentable" selon le président Reuven Rivlin, orchestrée par le Likoud a permis au parti de Benyamin Netanyahou de mobiliser fortement ses partisans alors qu'une certaine lassitude s'installait dans l'électorat face à l'impossibilité de trouver une majorité.

Le Likoud en sort vainqueur et pourrait constituer une majorité avec la droite radicale, les partis religieux et quelques transfuges. Jamais le parlement israélien n'a été aussi à droite. Ces forces ont reçu le soutien actif de Donald Trump qui avec son "plan" entérine la colonisation, concrétise le projet d'annexion de la Cisjordanie, de la vallée du Jourdain, renforce l'apartheid et dénie le droit des Palestiniens à avoir un État.

Le mouvement "Bleu-Blanc" de Benny Gantz qui avait droitisé son discours est en échec. Dans ce contexte sombre, "Liste Unie", une coalition de forces progressistes, notamment arabes, conduite par le communiste Ayman Odeh, réalise un score très important. Cette force sur laquelle il faudra compter porte les espoirs de tous ceux qui œuvrent pour une résolution pacifique du conflit. Elle revendiquait la constitution d'un État palestinien dans les frontières de 1967 avec Jérusalem-est comme capitale ainsi que la suppression de la loi "Etat-Nation".

Les forces démocratiques israélienne et le peuple palestinien vont avoir besoin de notre solidarité alors que B. Netanyahou, inculpé pour corruption, fraude et abus de confiance, entend poursuivre son entreprise qui vise à faire prévaloir la force sur la légalité internationale.

Pendant ce temps la France et l'Union européenne murmurent, s'alignant de fait sur les positions des États-Unis. Les conséquences en sont désastreuses car Paris et Bruxelles ne pèsent plus rien au Moyen-Orient.

Le Parti communiste français entend amplifier sa solidarité avec les démocrates d'Israël et le peuple palestinien pour que s'imposent la justice et la paix.

Parti communiste français
Paris, le 5 mars 2020

 

APPEL UNITAIRE
Le plan Trump-Netanyahu doit être rejeté partout, et par toutes et tous!

 

Pour être signataire de cet appel à titre personnel ou collectif, merci de remplir ce formulaire.

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4 mars 2020 3 04 /03 /mars /2020 06:00
https://www.editoweb.eu/nicolas_maury/Percee-de-la-Liste-Unie-Communistes-et-partis-arabes-en-Israel_a14862.html?fbclid=IwAR34c2_8LKnhwmwMvUloQbHAYJFF3CfsYRRogBnboHLSDE4-TrAjcLp05oE
Troisième élection législative organisée en deux ans suite aux échecs de Benny Gantz et Netanyahu pour former un gouvernement de coalition. A l'issue de ce scrutin, Benyamin Netanyahu sort victorieux des élections, mais ne dispose pas de majorité pour former une majorité - article et traduction Nico Maury
 
 
Percée de la Liste Unie (Communistes et partis arabes) en Israël
 
Résultats portant sur 51,60% des bureaux de vote.

Le Likoud de Netanyahu a remporté les élections avec 28,38% des voix (+3,35) et 35 sièges (+4). Avec ses partis alliée, il ne disposerait cependant que de 58 sièges, un seuil insuffisant puisqu'il en faut 61 pour disposer d'une majorité à la Knesset.

La coalition kakhol lavan (Blanc-bleu) de l'ancien général de Tsahal, Benny Gantz, qui est arrivée en tête à deux reprise des législatives perd son leadership et recueille 26,25% des voix (+0,59) et 32 sièges (=).

Pour les partis partenaires du Likoud, nous avons : le Shas (religieux) avec 7,80% (+0,15) des voix et 9 sièges (=), le Yahadout HaTorah (religieux) avec 6,69% (+0,44) des voix et 8 sièges (=), Yamina (extrême droite) avec 4,97% et 6 sièges (+1).

Yisrael Beytenu (extrême droite) d'Avidgor Lieberman remporte 5,56% des voix (-1,55) et 6 sièges (-3). Ce parti se retrouve dans la situation de faiseur de rois bien que lourdement affaibli.
 
 
La Liste Unie conduite par le Hadash moteur du rassemblement et de la gauche

La Liste unie qui s'impose de nouveau comme troisième force du pays et surtout, via le Hadash - leader de ce rassemblement - première force de la gauche en Israël.

La Liste unie, conduite par le député communiste Ayman Odeh, remporte 13,75% des voix (+3,04) et 17 sièges (+4). rappelons que lors des élections d'avril 2019, cette liste était scindée en deux et n'avait remportée que 6 sièges pour le Hadash-Ta'al et 4 sièges pour le Ra'am et Balad. La dynamique semble être de nouveau au rendez-vous. Ainsi, unie, cette liste passe de 7,82% des voix à 10,71% puis 13,75%.

Du côté des autres forces de gauche-centre-gauche. La coalition rassemblant le Parti travailliste, jadis principale force du pays, le parti Gesher (centre) et le Meretz recueille 5,82% des suffrages et 7 sièges. Un score qui s'explique par un transfère de l'électorat juif de gauche vers la Liste Unie.

La gauche israélienne dispose de 24 sièges sur 120 à la Knesset et a reçu un soutien populaire de 19,57%. Un score alarmant.
 
Nicolas Maury
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28 février 2020 5 28 /02 /février /2020 07:32
Irlande - Retour sur la tempête Lou Mac Donald - Francis Wurtz, L'Humanité Dimanche, 20 février 2020

Les observateurs politiques -qu’ils soient irlandais, britanniques ou français- n’en reviennent toujours pas : le Sinn Fein, le parti républicain, franchement de gauche, qui milite pour la réunification de l’Irlande, a battu, le 8 février dernier, les deux partis de centre-droit qui se sont succédé au pouvoir en République d’Irlande depuis un siècle ! Il est en tête en voix (24,5%) et fait quasiment jeu égal en sièges (37 contre 38) avec l’ex-formation d’opposition, en reléguant à la troisième place le parti du Premier Ministre sortant…Une « Première historique », un « tremblement de terre »; une « tempête » surenchèrent les media depuis dix jours. Ils n’en reviennent pas pour plusieurs raisons. D’abord, que pouvait-on donc reprocher à l’ancien gouvernement du « Tigre celtique » ? Il arborait un déficit public proche de zéro ; sa dette était dans les clous de Bruxelles; son économie était florissante…Que demande le peuple ? Ensuite, comment est-ce possible que tant de gens aient voté pour le Sinn Fein alors même que les principales forces politiques de la République d’Irlande avaient pris soin d’entacher l’image de ce parti en continuant -22 ans après l’accord de paix en Irlande du Nord- de l’associer à la lutte armée de l’ex-IRA ?

Au cœur de cet événement de grande portée , il y a une femme, désormais incontournable: Mary-Lou McDonald, qui a succédé, il y a deux ans, à l’emblématique Gerry Adams à la présidence du Sinn Fein, le seul parti implanté dans les deux parties de l’île. Mary-Lou est loin d’être une inconnue pour nous ! Le groupe de la Gauche Unitaire Européenne (GUE) du Parlement européen avait eu le plaisir de l’accueillir en son sein en 2004, en tant que l’une des deux  premières députées européennes du Sinn Fein. Quiconque l’a connue alors et depuis lors n’est guère surpris de sa spectaculaire émergence aujourd’hui. Sa personnalité, forte et élégante; sa sensibilité aux aspirations profondes de son peuple; sa capacité à allier la fidélité à ses convictions et la fraîcheur de son style lui promettaient un brillant avenir. C’est tout naturellement vers elle que se tourna Gerry Adams à l’heure de passer le flambeau, en 2018. Dans le contexte politique actuel de son pays, ses qualités ont magnifiquement porté les choix authentiquement progressistes de son parti. Que valent les « performances » d’une économie ultra-libérale quand les logements sont inabordables, que le système de santé est défaillant, que les personnes sans-abris sont de plus en plus nombreuses ! « Il faut le changement ! » plaida-t-elle. La seule performance qui vaille est celle des avancées pour toutes et pour tous : il faut augmenter les dépenses publiques en les finançant par une hausse des impôts sur le bénéfice des entreprises et sur les revenus des foyers les plus riches ! Il faut bloquer les loyers et faire de la construction de logements sociaux une priorité ! Voilà manifestement ce qu’attendait une partie non négligeable de la population irlandaise. Quant à l’autre grand choix stratégique du Sinn Fein, la réunification de l’île, il est, à l’heure du Brexit -et des menaces que celui-ci fait peser sur la continuité du territoire du Nord au Sud- approuvé par 4 Irlandais sur 5 selon un sondage de l’ « Irish Times » (3/2/2020) !

Il y a 15 ans, un grand quotidien français titrait sur le ton du reproche : « Les communistes prennent la défense du Sinn Fein au Parlement européen » (1). Nous sommes fiers de la pertinence de nos choix d’alors, amplement confirmés aujourd’hui.

——-
(1) Le Monde (7/5/2005)

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27 février 2020 4 27 /02 /février /2020 12:48
Les communistes des années 20 dans les séries Babylon Berlin et Peaky Blinders
le docteur Völcker, jouée par Jördis Triebel femme médecin dans le quartier ouvrier rouge de Kreuzberg et haut responsable du Parti communiste allemand

le docteur Völcker, jouée par Jördis Triebel femme médecin dans le quartier ouvrier rouge de Kreuzberg et haut responsable du Parti communiste allemand

le chanteur de cabaret travesti Nikoros -  la comtesse Svetlana Sorokina

le chanteur de cabaret travesti Nikoros - la comtesse Svetlana Sorokina

On dit que les séries attirent désormais de grands réalisateurs, de bons acteurs et des moyens financiers considérables.

C'est vrai pour plusieurs d'entre elles et parmi celles-ci, deux passionnantes séries européennes, Babylon Berlin et Peaky Blinders, reviennent sur les premiers pas du communisme dans les années 20, en Allemagne et en Angleterre.

Ce qui est intéressant est que l'image qui est donné des combats communistes dans ces séries est loin d'être dévalorisante, même si les parts d'ombre du stalinisme sont aussi évoquées. 

Babylon Berlin est une série télévisée allemande basée sur des romans policiers de Volker Kutscher. Elle a été diffusée sur Canal + en France à partir d'août 2018.

Dans Babylon Berlin, le principal personnage communiste dans le Berlin de la République de Weimar en 1929 est le docteur Völcker, jouée par Jördis Triebel femme médecin dans le quartier ouvrier rouge de Kreuzberg et haut responsable du Parti communiste allemand, qui avec un charisme certain mène les manifestations contre les violences policières, notamment un massacre contre des civils et des ouvriers communistes désarmés manifestant le 1er mai à Berlin organisée par la police. Le docteur Völcker dénonce les mensonges d’État au sujet de ces fusillades.  Elle est une figure d'intégrité politique et morale.

Ce que n'est pas la comtesse Svetlana Sorokina ( l'actrice lituanienne Severija Janusauskaité) émigrée russe, espionne pour le compte de la police secrète soviétique, également le chanteur de cabaret travesti Nikoros, qui donne son amant, leader charismatique trotskiste en exil, le courageux Alexei Kardakov. La lutte à mort entre les services staliniens et les réfugiés russes trotskistes est montrée également dans toute sa cruauté, ainsi que les divisions à l'intérieur du camp communiste en général. 

La série nous montre aussi la collusion entre les socio-démocrates et centristes de Weimar, les forces d'argent, et la police, pour empêcher le développement des idées révolutionnaires à Berlin et écraser les communistes. Elle montre aussi combien les forces nationalistes et fascistes ont des soutiens dans la police, l'armée, même si des fonctionnaires loyaux à la République de Weimar essayent de les contrer. La série présente aussi l'aide accordée par Staline, pour contrer les anciens ennemis de la révolution bolchevique, France et Grande-Bretagne, au réarmement clandestin de l'Allemagne en opposition avec le traité de Versailles.

Cette série baroque et inspirée, en forme de thriller politique haletant, dont la bande originale est envoûtante, décrit à merveilles le Berlin des années folles et ses contradictions politiques. Par delà l’intrigue policière proprement dite, la série décrit la vie quotidienne des différentes classes sociales, de la misère des immeubles de rapport surpeuplés à l’opulence des classes aisées de la capitale de la République.

Peaky Blinders est une  passionnante série télévisée britannique créée par Steven Knight diffusée depuis 2013 (depuis 2015 en France par Arte)Elle met en scène l'ascension sociale violente et mouvementée d'une famille mafieuse de Birmingham venant de la communauté des gens du voyage: les Shelby, dont le chef, Thomas, ancien soldat de la première guerre mondiale, bookmaker, a beaucoup de panache et de classe, même s'il sert ses propres intérêts sans scrupule.

Au début de l'histoire, située en 1919 à Birmingham. Sa sœur Ada amourache d'un leader communiste, ancien soldat de la Première Guerre Mondiale, Freddie Thorne, ami d'enfance de Thomas. Freddie incarne un militant communiste de grande valeur: charismatique, drôle, aventurier, courageux, capable de mobiliser les ouvriers en dénonçant les inégalités, les salaires de misère, alors que les planqués de l'arrière vivent dans le luxe.

Tout au long de la série, le communisme incarne une forme de légitimité sociale et de pureté morale, mais il est victime des coups conjoints des services de police réactionnaires de Churchill qui montent des coups montés pour emprisonner les militants et casser les grèves et l'organisation, et de les gangsters qui lui prennent main forte. Ada, plusieurs années après la mort de son mari Freddie, s'embourgeoise, et rentre dans le rang de la famille Shelby, devenue très puissante et capitaliste.

En dehors des ouvriers de Birmingham, qui suivent les mots d'ordre du syndicat communiste de manière très massive, un autre personnage positif de la série est la syndicaliste Jessie Eden, autre militante communiste et révolutionnaire, avec qui Thomas Shelby aura une relation, ce qui lui permettra de la manipuler.

Les forces russes tsaristes et anti-communistes réfugiées en Angleterre, et alliées des éléments les plus réactionnaires de la monarchie anglaise, sont elles dépeintes comme profondément rétrogrades, cruelles et corrompues. Impuissantes aussi sur le fond...

La première saison série montre les militants communistes de Birmingham condamnés à mort ou assassinés par un policier horrible,  l'inspecteur en chef Chester Campbell, missionné par Churchill qui a combattu l'IRA à Belfast. Elle montre aussi la misère ouvrière tendant à être instrumentalisée par le populisme violent des Shelby, Thomas Shelby devenant député socialiste pour se refaire une virginité sociale.

Cette série est sans doute un peu plus simpliste sur le plan politique mais elle montre bien aussi la corruption et le caractère foncièrement anti-communiste et sans scrupule des élites britanniques.  Dans cette série, les communistes sont surtout victimes, de l’establishment britannique, des capitalistes et des gangsters qui font travailler les "jaunes", même si la peur de la révolution est très présente chez les élites, avec un fondement réel car l'influence communiste est bien réelle.    

Ismaël Dupont

 Freddie Thorne - Peaky Blinders

Freddie Thorne - Peaky Blinders

Jessie Eden et Thomas Shelby - Peaky Blinders

Jessie Eden et Thomas Shelby - Peaky Blinders

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27 février 2020 4 27 /02 /février /2020 08:49
Archipel

L’Union européenne vient d’actualiser sa liste des paradis fiscaux ; on y retrouve des pays à l’exotisme mafieux genre îles Caïmans, Samoa, Fidji, Guam, Oman, Vanuatu, Aruba et autre Curaçao. Au même moment, la très sérieuse association britannique « Tax Justice Network » publie la liste des pays « financièrement opaques » ; elle y place en seconde position les États Unis.

« Les États-Unis sont à contre-courant de la tendance mondiale vers plus de transparence », note cette ONG, qui ajoute que les USA représentent 21 % du marché mondial de la finance obscure, cinq fois plus que la Suisse, quatre fois plus que Singapour et près de deux fois plus que le Luxembourg. « On constate au niveau fédéral des réticences systématiques à coopérer dans les échanges de données, même via les normes de l’OCDE. » Mieux, ou pire : « L’État du New Hampshire vient d’introduire un nouveau véhicule juridique autorisant la création de fondations privées non caritatives sans obligation de le déclarer. » Autant d’informations qui ont dû échapper à la vigilance de Bruxelles. Sans doute aussi que les Vingt-Sept ont du mal à situer sur une carte ce minuscule archipel que constituent les États-Unis.

Gérard Streiff

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26 février 2020 3 26 /02 /février /2020 07:32
Le Caire (2018)

Le Caire (2018)

Égypte. Moubarak est mort sans avoir rendu de comptes aux Égyptiens
Mercredi, 26 Février, 2020

Président pendant trente ans, renversé par la déferlante révolutionnaire de février 2011, l’ex-militaire s’était employé à couvrir son pays d’une chape de plomb.

 

L’ancien président égyptien Hosni Moubarak, qui a régné pendant trente ans sur l’Égypte, renversé en 2011 par un soulèvement populaire qui réclamait la justice sociale et la fin de la répression policière, est décédé mardi à l’âge de 91 ans, dans un hôpital militaire. Des funérailles militaires en son honneur sont organisées aujourd’hui.

Rien ne le prédestinait à être président. Numéro deux du régime, il se trouvait derrière Anouar el-Sadate lorsque celui-ci a été tué lors d’une parade militaire. Immédiatement installé, il a fait de la stabilité et de la sécurité les principes de son pouvoir avec, comme piliers, la police, les services de renseignements et lui-même, se présentant comme l’homme capable d’empêcher le chaos. Il avait bien compris que, pour gagner les faveurs des pays occidentaux, à commencer par les États-Unis, il fallait montrer patte blanche et se faire le garant de l’accord de paix avec Israël, signé par son prédécesseur, et s’investir, avec modération, dans la résolution du « conflit » israélo-palestinien. Peu importait alors, pour Washington, Paris ou Londres, qu’il maintienne l’état d’urgence qui se traduisait, pour les Égyptiens, par une restriction des libertés civiles, une quasi-interdiction de rassemblement et un développement des arrestations arbitraires et des emprisonnements sans charge. Les États-Unis allaient même jusqu’à verser à l’égypte 2 milliards de dollars par an en aide militaire et économique.

Sous sa présidence, il a fait de l’armée un état dans l’état

Aimant se présenter comme le père de tous les Égyptiens, Hosni Moubarak, né en 1928 dans le delta du Nil, avait du bagout. On l’entendait souvent dénoncer la corruption et le népotisme dans un pays qui souffrait (et souffre encore) de conditions économiques qui font la part belle au secteur privé. Ce n’était que paroles. Il entendait se faire remplacer à la tête de l’État par un de ses fils, Gamal, et son entourage – familial et amical – croquait à pleines dents dans les opportunités financières qui s’offraient, au détriment du peuple soumis à toutes les contraintes. L’armée, dont il était issu, a ainsi pu devenir un État dans l’État, contrôlant de larges secteurs économiques (routes, transports, tourisme, etc.) Selon l’Unicef, en 2009, 25 % des enfants de moins de 15 ans vivaient dans la pauvreté.

Sous Moubarak, la démocratie n’était qu’un vernis. Toute opposition était muselée. Les organisations progressistes, dont le Parti communiste, étaient démantelées et poursuivies. Ce fut également le cas des Frères musulmans, mais ces derniers bénéficiaient de l’espace existant – le pouvoir ne pouvait s’y attaquer – au sein du réseau des mosquées, d’où les discours politiques emplissaient la sphère publique, et les organisations caritatives relayaient les messages de la confrérie. Comprenant cela, Moubarak a favorisé l’émergence du mouvement salafiste, opposé aux Frères musulmans, rapidement soutenu par l’Arabie saoudite.

À vrai dire, Hosni Moubarak avait une pauvre idée de ce dont l’Égypte et les Égyptiens avaient besoin. La révolte qui a éclaté en 2011 l’a visiblement surpris. Alors que des millions de personnes se rassemblaient dans les villes, comme sur la place Tahrir, au Caire, pour crier « Le peuple veut la chute du régime », il continuait ses atermoiements. L’ami américain avait bien compris que l’homme était fini. Dans une ultime manœuvre pour sauver le régime, le redoutable chef des services de renseignements, Omar Suleiman, était nommé vice-président. Mais il était déjà trop tard. Le 10 février 2011, alors que tout le monde attendait qu’il annonce sa démission dans un discours télévisé, il n’abdiquait toujours pas. Le lendemain, 11 février, Omar Suleiman lisait une déclaration signant la fin du règne de Moubarak, après dix-huit jours de manifestations et 800 morts. Sous la pression de la rue, alors que les chefs militaires voulaient le laisser libre, il était enfin arrêté. Dans une mise en scène digne des meilleures séries B, il se présentait devant la cour chargée de le juger allongé sur un lit roulant. D’abord condamné à la prison à vie, une peine commuée en appel. Il a finalement recouvré sa liberté en mars 2017 et fini sa vie tranquillement, dans un hôpital militaire avec vue sur le Nil.

Pierre Barbancey
Égypte. Moubarak est mort sans avoir rendu de comptes aux Égyptiens (Pierre Barbancey, L'Humanité, 26 février 2020)
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