L’intégration européenne sous domination néo-libérale est-elle en train de se fracasser sous les coups de la guerre déclenchée par M. Poutine contre l’Ukraine et de la guerre intra-capitaliste. Plusieurs indices conduisent à le penser. La crise des relations entre la France et l’Allemagne en est l’un des symptômes sérieux. Ces deux pays ont le plus poussé à la rédaction, puis à l’approbation du traité de Maastricht – avec la monnaie unique – concevant une intégration européenne sous domination allemande et des firmes capitalistes, juste après l’effondrement de l’Union soviétique. Cette construction a connu son premier choc une douzaine d’années plus tard avec le rejet du Traité constitutionnel européen en 2005, puis l’inadmissible sort réservé à la Grèce, l’exact contraire d’une solidarité européenne. Le Brexit en fut un autre, retentissant, qui a eu pour conséquences de déplacer le centre de gravité de l’Europe politique vers l’Est, faisant perdre à la France un allié à l’Ouest, tandis que l’Allemagne s’appuyait de plus en plus sur les pays de l’Europe Orientale. Après sa réunification, ce grand pays a construit une industrie deux fois plus importante que celle de la France, tout en lui damant le pion sur la production agro-alimentaire. La richesse produite par habitant y est de 15% supérieure à celle de la France. La conception même de l’Euro, dont une part essentielle de la valeur est calée sur l’ancien Mark allemand, combinée avec l’exploitation renforcée des travailleurs des pays d’Europe Orientale, a donné à l’Allemagne un avantage compétitif considérable. Il convient de compléter ces paramètres par le fait que les nouvelles générations actives en Allemagne ne sont en rien mêlées avec l’histoire du nazisme. Délestée de cette hypothèque, la stratégie de domination allemande repart de plus belle dans le contexte totalement nouveau de la sale guerre du maître du Kremlin contre l’Ukraine.
Un double mouvement semble ainsi s’opérer. D’une part, un retour pesant des États-Unis en Europe opéré grâce à une alliance prioritaire avec les pays d’Europe orientale. Cette stratégie incluant désormais l’Ukraine, a deux objectifs essentiels : en faire un débouché stable pour leur pétrole et gaz et, d’autre part, y renforcer encore leurs implantations militaires et les bases de l’OTAN, dans un face-à-face avec la Russie. En poussant aux sanctions et en contrôlant les approvisionnements énergétiques, les États-Unis pèsent considérablement sur le capitalisme industriel allemand, afin de l’affaiblir à leur profit. Voilà ce qui explique, pour une part essentielle, la décision du gouvernement allemand d’aider les ménages et pour tenter de défendre son industrie, avec une dépense pour cette seule année de 200 à 300 milliards d’euros de subventions pour réduire le prix de l’énergie, 7 à 8 fois plus cher que le gaz russe. Il le fait sous le coup de mobilisations populaires qui appellent à l’arrêt des sanctions et au rétablissement du commerce avec la Russie dans l’objectif de faire cesser la guerre et d’ouvrir des négociations. Dans le même temps, l’Allemagne qui a pour ambition de devenir la principale puissance militaire européenne, se soumet encore plus aux États-Unis en achetant des avions de chasse fabriqués par l’industrie militaire nord-américaine –F35- et en préparant avec 14 autres pays européens, sans la France, un bouclier antimissiles acheté à Israël et aux États-Unis, tout en donnant des gages à ces derniers dans sa politique anti-chinoise. Il convient de mesurer l’ampleur du basculement en cours. Dans celui-ci, la France, si elle ne retrouve pas sa voix originale pour la paix et la coopération, en sera plus encore affaiblie. Cela montre s’il en était besoin, l’absurdité de démanteler notre corps diplomatique !
Un tourbillon de crises est ainsi en train de saisir l’intégration européenne à base libérale. L’Allemagne cherche à se rapprocher de la Pologne, porte-voix zélé des États-Unis en Europe, plus antirusse que jamais, critiquée par ailleurs pour son « non-respect des valeurs européennes ». La France elle-même tente un rapprochement avec cette Pologne ne respectant pas « l’état de droit ». La Hongrie, considérée par le Parlement européen comme un régime « non démocratique », veut s’approvisionner librement en Russie et remet en cause les sanctions. L’Italie, avec la coalition d’extrême-droite alliée à la droite, demande à l’Autriche de laisser passer le gaz russe. L’Allemagne va fortement subventionner l’énergie dont les Nord-Américains décident du prix, alors que la France est dans l’incapacité de le faire. Personne ne sait donc où va l’Union européenne sous l’égide d’une présidente de la Commission alignée sur les intérêts du capital international et des États-Unis. Elle est, en tout cas, très loin d’un projet coopératif au service des peuples. Une nouvelle fois ce sont eux qui servent de fantassins d’une guerre intra-capitaliste dont ils sont les grands perdants et qui, à la faveur des évènements dramatiques en Ukraine, s’accélèrent dangereusement. Cette nouvelle compétition au sein du capitalisme lui-même, conduit déjà à une incessante augmentation des prix, et servira à pressurer encore plus les travailleurs alors que pour une prétendue « compétitivité » à défendre les impôts sur le capital seront encore abaissés, les services publics affaiblis.
De leur côté, Israël et la Turquie jouent un double jeu pour des objectifs tout aussi impérialistes. Dans ce remodelage du capitalisme, les États-Unis sont les grands gagnants, tandis que les pays européens s’auto-sanctionnent lourdement, affaiblissent leurs capacités industrielles, participent à la violation des Accords de Paris sur le climat en faisant venir massivement du gaz de schiste américain obtenu grâce à la fracturation hydraulique, et menace le projet de construction européenne lui-même.
De ce point de vue le projet de construction en cours de « l’initiative Trimarium », ou « initiative des trois mers » -Baltique-Adriatique-mer Noire-, regroupant douze pays d’Europe centrale et du Sud-Est européens, dont l’Ukraine, est plus qu’inquiétant en ceci qu’il coupe l’Europe en deux. Les cercles dirigeants mondiaux veulent y créer ce qu’ils appellent « une OTAN orientale ». Elle se manifeste déjà avec la construction d’un gazoduc reliant la mer Baltique et la mer Adriatique, et des terminaux pour accueillir le gaz GNL américain. Les citoyens européens et du monde doivent s’en mêler, pour construire une Europe à partir des intérêts communs des peuples. Une Europe indépendante des États-Unis, unissant les nations et les peuples, les associant dans des projets communs pour la paix et le désarmement, l’autonomie énergétique, alimentaire, et la transition environnementale. Cessez la guerre est un impératif au risque de l’élargir dangereusement à toutes et tous. Faisons taire les canons, rangeons les chars et les missiles. Inventons une autre Europe-maison commune. Brandissons ensemble, haut le drapeau arc-en-ciel de la Paix
De nouveau, la guerre et les menaces d’extension de la guerre ressurgissent sur le continent européen, avec tous les risques d’embrasement, leur cortège de souffrances et de destructions mais aussi leurs charognards de tous poils, marchands d’armes, spéculateurs et profiteurs de guerre et des conséquences déjà concrètes sur notre vie quotidienne.
Un débat a eu lieu à Beauvais, le 7 octobre, avec Patrick Le Hyaric, ancien directeur de l’Humanité et ancien député communiste européen, autour de son dernier livre (à lire absolument !), pour débattre sur les causes de la guerre en Ukraine et sur des pistes et propositions pour une « sécurité humaine globale ». Retour sur 3 heures de conférence puis de débats passionnants.
Patrick Le Hyaric a d’emblée posé les choses clairement : « Il ne peut y avoir aucune justification, aucune circonstance atténuante à l’agression guerrière de Poutine contre l’Ukraine et son infernale mécanique des atrocités. » Soulignant que cette guerre provoque d’ailleurs l’effet inverse de ce qu’il prétend rechercher puisque l’Otan est réhabilité et que des pays neutres jusqu’ici comme la Suède et la Finlande demandent à y adhérer ; quant au Danemark, il réintègre la « politique commune européenne de défense » qu’il avait quittée après avoir rejeté le Traité de Maastricht il y a 30 ans ! Le dirigeant communiste a aussi enfoncé le clou : « La Russie de Poutine soumise au règne des oligarques n’a rien à voir avec l’URSS mais rêve ouvertement de la reconstitution de l’empire des tzars. »
Pour autant, les choses étant dites sans complaisance aucune pour le pouvoir russe, il est indispensable de chercher à comprendre quel enchaînement a conduit à cette situation gravissime et dans quel contexte mondial s’inscrit ce conflit qui déjà provoque une nouvelle course aux armements.
P. le Hyaric est alors revenu sur les 30 dernières années, en montrant, faits précis à l’appui, comment les dirigeants des USA avaient violé délibérément l’engagement fait auprès de Gorbatchev, au moment du processus de « réunification » de l’Allemagne, de ne pas étendre l’Otan vers l’Est ; et comment, malgré les multiples avertissements venus de toutes parts, ils avaient poursuivi leur volonté d’expansion de ce bras armé des USA jusqu’à vouloir y intégrer l’Ukraine en violation d’un accord de 1994 qui en avait organisé la « dénucléarisation militaire ».
Cette fuite en avant militaire des USA et de l’Otan s’inscrit dans des logiques de domination économique et territoriale, dans le cadre d’une crise profonde du capitalisme mondialisé : les richesses considérables du sol et du sous-sol ukrainien étant un enjeu de premier plan, comme d’ailleurs la volonté des USA d’imposer aux pays européens l’achat du gaz de schiste venu d’Outre-Atlantique plutôt que celui qui était acheminé de Russie par le gazoduc dit Nord Stream (saboté mystérieusement il y a peu…).
L’ancien député européen a appelé à prendre la mesure des bouleversements du monde (Tony Blair, ex-Premier Ministre anglais, a dit le 16 juillet 2022 : « Nous arrivons à la fin de la domination politique et économique de l’Occident ») avec l’essor de nouvelles puissances « émergentes » : les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) représenteront en 2050, 50 % des richesses produites dans le Monde tandis que le G7 n’en représentera plus que 20 % ! Et la Chine devançera les USA dès 2030.
Toute la politique des USA vise à tenter d’empêcher cette perte de leur puissance par trois moyens : la domination financière avec le dollar qui accorde aux USA un privilège incroyable de faire financer leurs dépenses par le reste du monde ; la domination juridique avec la scandaleuse extra-territorialité du droit états-unien qui lui permet de s’ingérer dans la politique intérieure des États et de dicter leurs décisions aux entreprises en fonction des intérêts des USA ; et évidemment la domination militaire avec la volonté constante d’enrôler les États européens dans cette aventure, au prix d’une folle relance de la course aux armements (les dépenses atteignent désormais 2 113 milliards de dollars!!!) avec des risques insensés – y compris nucléaire - pour la planète et la dilapidation d’argent dans des œuvres de mort alors que tant d’argent manque pour relever les défis sociaux et environnementaux.
Deux faits inquiétants parmi d’autres illustrent bien cela : le budget militaire de l’Otan est désormais 20 fois celui de la Russie, et le changement de stratégie militaire de la France est passé de « paix-crise-paix » à « compétition-contestation-affrontement », dans une logique clairement guerrière illustrée par exemple par le commandement français de bases de l’Otan en Roumanie et Estonie.
S’inspirant de l’esprit de Jaurès, P. Le Hyaric a longuement appelé à créer les conditions de « gagner la paix » plutôt que l’illusion meurtrière de « gagner la guerre » : en encourageant toutes les initiatives diplomatiques de l’ONU, de la Chine, de l’Inde pour une désescalade, un cessez-le-feu et l’engagement de discussions ; et en travaillant à la perspective d’une nouvelle Conférence pour la Sécurité et la coopération en Europe associant tous les pays européens y compris la Russie. Pour cela, il y a une nécessité urgente d’agir pour développer un vaste mouvement citoyen et des peuples pour la paix, pour contrebalancer la guerre idéologique des va-t-en-guerre et les poisons des nationalismes, et pour imposer un nouveau rapport de force favorable aux forces de paix, avec l’objectif d’un Pacte mondial pour une sécurité humaine globale.
Monsieur le Secrétaire général de cette organisation des Nations unies.
Mesdames et Messieurs les Chefs d’État,
Représentants et Délégués présents,
Citoyens du monde
Je me tiens devant cette tribune mondiale, dans ce qui représente pour mon pays un fait historique, non seulement parce que je suis la première femme à avoir l’honneur de diriger notre nation d’Amérique centrale, mais aussi parce que je représente le premier gouvernement démocratiquement élu, Après 13 ans de dictature : Le coup d’État de 2009 chargé de meurtres cruels et d’escadrons de la mort, deux fraudes électorales, une pandémie et deux ouragans.
Il est impossible de comprendre les Honduriennes, les Honduriens et les grandes caravanes de migrants sans reconnaître ce contexte de cruelle souffrance que nous avons dû traverser. Mais la démocratie électorale ne suffit pas à assurer le bien-être matériel et spirituel de notre peuple.
Treize ans de dictature sous la tutelle de la "communauté internationale" ont conduit le pays à multiplier par six sa dette publique et à atteindre le taux de pauvreté de 74 %, le plus élevé de l’histoire du Honduras. Cinq compatriotes sur dix vivent dans l’extrême pauvreté. Mais il est clair qu’aucun de ces chiffres n’impressionne personne dans un monde qui vit aujourd’hui sous la dictature monétaire, où des mesures draconiennes de discipline fiscale sont imposées aux plus pauvres, ce qui accroît les souffrances des masses arriérées, Et le capital spéculatif n’a pas de limites.
Il est évident qu’aujourd’hui, pour que notre pays survive, nous devons rejeter cette prétendue austérité qui récompense ceux qui concentrent les richesses en peu de mains et qui augmentent les inégalités de manière exponentielle. Depuis notre arrivée à la fin du mois de janvier, nous avons fait preuve d’une volonté ferme de parvenir à un consensus en exprimant toujours la plus ferme détermination de parvenir à des accords sur nos engagements, sans en renier aucun. Mais la tâche de saper la volonté du peuple, nous vient de toutes les directions, tandis que se fomentent des conspirations entre les mêmes qui ont pillé le pays et leurs alliés putschistes, enhardis par l’attitude éhontée anti-démocratique, parfois déguisée en diplomatie.
Les politiques publiques soutenues par le modèle rentiste, de la communauté financière internationale au cours des 13 dernières années, nous ont entraînés dans un monde plein de violence et de pauvreté avec des projets avortés, abandonnés, corrompus, le pillage et le narcotrafic. Aucun des témoins internationaux des fraudes électorales de 2013 et 2017 n’ignoraient ce à quoi ils condamnaient notre peuple, et pourtant ils se sont montrés complaisants face au pire fléau qui a frappé notre pays. L’orgueil du capital et de l’intérêt mesquin, a fait opter pour la tromperie, tandis que le crime organisé conduisait le pays à la gorge.
Les nations pauvres du monde ne supportent plus les coups d’État, l’utilisation de la loi Fare, ni les révolutions de couleurs habituellement organisées pour piller nos vastes ressources naturelles.
Les nations industrialisées du monde sont responsables de la grave détérioration de l’environnement, mais elles nous font payer pour leur mode de vie onéreux, et pour cela, elles ne ménagent rien, pour nous plonger dans la misère et dans une crise sans fin, Comme si on était pieds et poings liés.
Le Honduras que je dirige se construit dans une vision de refondation humaniste, imprégnée de dignité et de souveraineté, qui fera ce qui est légalement important pour récupérer notre environnement et réaliser le bien commun pour toute notre population. Nous jugeons donc inacceptable cet ordre mondial arbitraire, dans lequel il existe des pays de troisième et de quatrième catégorie, alors que ceux qui se croient civilisés ne se lassent pas de faire des invasions, des guerres, des spéculations financières et de nous crucifier avec leur inflation encore et encore.
Je prends cette tribune pour exiger que l’on nous respecte, que l’on vive en paix, qu’on ne tente plus de déstabiliser le Honduras, qu’on nous dicte ses actions ou qu’on choisisse avec qui nous devons avoir des relations. Le peuple est souverain, il l’a prouvé le 28 novembre en soutenant mon triomphe, le plus grand de notre histoire. Et la résistance populaire qui a lutté contre la dictature imposée pendant ces 13 ans, soit le 15 septembre jour de notre indépendance, m’a massivement accompagné dans les rues, conjurant les menaces publiques et la mauvaise habitude de continuer à remettre les biens nationaux au plus offrant, Comme si on était un no man’s land.
Nous ne porterons plus jamais le stéréotype de la République bananière, nous mettrons fin aux monopoles et aux oligopoles qui ne font qu’appauvrir notre économie. Un peuple généreux qui a arrosé de son sang la défense des forêts et des rivières, ne va pas oublier que, pendant la dictature, des centaines de meurtres de jeunes et celui de notre compagne Berta Cáceres ont été commis, ni la disparition forcée de Honduriens pour leur opinions, comme cinq compagnons garifunas [1] il y a deux ans.
Chaque millimètre de la Patrie qu’ils usurpèrent au nom de la sacro-sainte liberté de marché, Zedes, et d’autres régimes de privilège fut irrigué du sang des peuples originaires. Mon gouvernement social et démocratique va revenir à un état de justice et de droit, pour que cela ne se reproduise plus. Nous travaillons d’arrache-pied pour donner la priorité aux incitations et à l’élimination des abus fiscaux. Nous avons déjà commencé en promouvant une loi sur l’énergie comme bien public, en redonnant le droit aux travailleurs et en soutenant notre marché intérieur en investissant dans l’agriculture pour la sécurité alimentaire, en subventionnant les plus pauvres qui ne peuvent pas payer l’électricité.
Nous avons proposé de renégocier les accords de libre-échange. Nous avons pris la décision souveraine d’investir dans notre développement en remplaçant les importations, mais en faisant concurrence sur les marchés internationaux sans subventionner les excès des pays développés.
Nous reconnaîtrons l’importance de la femme dans la société en tant que pilier de celle-ci, et nous lui fournirons la santé, une éducation de qualité, la sécurité et la souveraineté alimentaire.
Pour le Honduras, chaque caravane de migrants qui fuit la dictature qui a été mise en place pendant plus de dix ans est une lourde perte pour notre pays et ses familles. Les chiffres nous indiquent que ce processus d’exode provoqué par l’injustice néolibérale génère plus de chômage et nous lie à une dépendance indésirable. Paradoxalement, dans notre pays, les migrants génèrent plus de recettes en devises que nombre des exportations traditionnelles, notre solidarité et notre accompagnement avec les expatriés.
Au Honduras, nous ne pouvons plus soutenir l’hypocrisie d’un système qui juge des crimes liés au trafic de drogues ; d’un personnage qu’ils ont pourtant soutenu pendant plus d’une décennie dans la forfaiture de crimes, deux fraudes électorales, et des crimes contre la patrie, contre des millions d’Honduriens.
Pour toutes ces raisons, nous allons mettre en place une commission internationale de lutte contre la corruption et l’impunité avec le soutien du Secrétaire des Nations Unies. Le Honduras n’aura d’avenir que s’il prend des mesures fermes pour démanteler définitivement la dictature économique néolibérale.
C’est pourquoi nous avons déjà commencé la refondation de la Patrie et de l’éducation avec les idéaux et les valeurs de notre héros national : Francisco Morazán Quezada. Au Honduras, mon gouvernement a entamé un processus de refondation et de changement profond qui repose sur quatre piliers fondamentaux :
La transformation révolutionnaire de l’éducation, élever l’esprit humain, et mettre fin au colonialisme.
Construire un modèle économique alternatif, profondément souverain.
Construire un système dont le centre est l’exaltation de l’humanisme, la solidarité, l’intégration avec les peuples frères, la Paix et le respect des droits de l’homme.
La nationalisation progressive des services publics tels que la santé, l’eau potable, l’électricité et l’internet.
Aujourd’hui que la guerre frappe à nouveau les plus pauvres du monde et que nous sommes des pays envahis, nous prônons le retour au respect de l’autodétermination des peuples, en rejetant l’infâme et brutal blocus imposé au peuple de la République sœur de Cuba.
Il est temps de discuter sérieusement de la multipolarité du monde.
Le président Barack Obama a fait les premiers pas vers la fin de cette infamie. Déjà Gustavo Petro décrète que l’agression contre la République bolivarienne du Venezuela doit cesser.
Rassemblement de solidarité avec le peuple ukrainien et pour la Paix le 5 mars dernier à Brest place de la liberté (photo Eug)
Communiqué du PCF - Rassemblement de solidarité avec l'Ukraine du 12 novembre à Brest, place de la Liberté à 14h30
Le 24 février Vladimir Poutine ordonnait l’invasion illégale de l’Ukraine par l’armée russe, violant le droit international et l’intégrité d’un État souverain. Il déclenchait un conflit d’une ampleur inédite depuis 1945, qui appelle notre solidarité auprès du peuple ukrainien.
Illégale, et terriblement meurtrière, cette guerre ne connaît depuis février que l’escalade. Elle menace aujourd’hui la sécurité internationale.
Cette guerre c’est à ce jour selon le HCR, 8 millions d’Ukrainiens réfugiés à l’extérieur de l’Ukraine, des millions de déplacés intérieurs, plus de 15 000 victimes civiles, tuées ou blessées, ce sont des dizaines de milliers de morts au combat, ukrainiens et russes, ce sont des crimes de guerre. Et c’est la répression des dissidents et des conscrits en fuite. La jeunesse des deux pays est chaque jour fauchée dans les combats.
Le PCF condamne fermement les choix guerriers de Vladimir Poutine. Il exprime à nouveau sa solidarité avec les peuples russe et ukrainien emmenés dans la guerre et avec tous ceux qui s’y opposent courageusement en Russie et en Ukraine. Il réaffirme son attachement à la souveraineté du peuple ukrainien.
La guerre, c’est l’embrasement possible à tout instant en Moldavie, en Géorgie, et déjà à l’œuvre en Arménie avec l’attaque azérie. Ce sont tous les points de tension du globe ravivés, le spectre d’un nouveau conflit mondial, le retour de la menace de l’annihilation nucléaire.
Moscou réinterprète dangereusement la grammaire de sa dissuasion. Et la surenchère peut mener, de manière irresponsable, à l’éventualité d’un conflit nucléaire. Ces faits alarmants devraient d’ailleurs inviter à relancer, de la manière la plus vigoureuse qui soit, les discussions sur le désarmement multilatéral et un régime mondial d’interdiction des armes nucléaires.
La guerre entre la Russie et l’Ukraine, et derrière elle les forces de l’Otan, est un terrible engrenage dont nous aurons, nous le savons, beaucoup de mal à sortir.
Plus que jamais, le choix est clair : soit se laisser entrainer par l’engrenage guerrier et continuer d’ajouter de la guerre à la guerre ; soit avoir le courage de faire une proposition diplomatique pour rouvrir le chemin d’un cessez-le-feu et de la paix. Refusons toute surenchère belliciste des États-Unis et de l'OTAN. C’est par le respect des principes de la charte des Nations unies, ainsi que de la souveraineté, de l’intégrité territoriale et des préoccupations de sécurité de tous les peuples qu’il sera possible de le faire. Cela nécessitera une conférence européenne pour la paix et la sécurité collective avec l'ensemble des États. La France peut porter une telle offre politique, aux côtés des autres États qui se sont exprimés déjà dans ce sens.
Les communistes appellent toutes les forces de la paix à se mobiliser. Il est urgent d’agir !
Tous et toutes ensemble le samedi 12 novembre 2022 à 14 h 30 place de la Liberté à Brest mobilisons nous pour la paix.
Fabien CohenMembre du conseil national et commission santé/protection sociale du PCF
Des décennies de privatisation et financiarisation des services de santé ont provoqué une catastrophe sanitaire dont le Sars-CoV-2 n’est que le révélateur. Nous sommes loin du slogan mobilisateur de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), lancé à la fin des années 1970, « La santé pour tous en l’an 2000 », Les pays ont mené, à des vitesses différentes, la privatisation d’abord, puis la commercialisation et, enfin, la financiarisation des services de santé, transformant l’offre de soins en objet de spéculation boursière. Ainsi se sont développés les grands groupes pharmaceutiques (près de 1 000 milliards d’euros de chiffre d’affaires mondial), l’industrie des services de santé (hôpitaux, cliniques, soins aux personnes âgées, maisons de repos et laboratoire privés), mais aussi les fonds d’investissement et les banques, qui, par leur lobby, ont fait évoluer dans leur intérêt les législations nationales et internationales.
La santé environnementale n’est pas en reste avec l’immense pillage des ressources naturelles : la déforestation, les trafics d’animaux sauvages, l’extension d’un modèle agro-industriel destructeur de la biodiversité sur tous les continents sont reconnus, au moins depuis l’épidémie de sida des années 1980, comme vecteurs de nouvelles menaces infectieuses. Cette philosophie hégémonique du néolibéralisme a conduit au fiasco de la réponse à la pandémie Covid.
Nous étions prévenus depuis au moins quarante ans ! L’urgence est à un investissement massif des gouvernements dans la formation et le recrutement d’agents de santé du secteur public, en finir avec le « pillage » des intellectuels des pays les plus pauvres par les plus puissants. L’urgence est à la création d’une démocratie sanitaire mondialisée. À l’image de la Sécurité sociale révolutionnaire permise et préservée par la détermination des communistes, une nouvelle politique mondiale de santé est à inventer. Une politique basée sur la coopération plutôt que la concurrence, sur la satisfaction des besoins des populations plutôt que sur les profits des actionnaires. Un nouveau rôle de l’OMS est à inventer. Cela suppose notamment, sur le plan mondial, la création et le développement des systèmes de prévention, de soins et de protection sociale pour tous où les services publics ont un rôle prépondérant à jouer ; élargir le Fonds mondial de lutte contre le sida, le paludisme et la tuberculose, loin de répondre aux besoins, et aux résultats décevants, en dotant l’OMS de moyens élargis pour développer les grandes campagnes de santé publique concomitamment aux mobilisations contre les grandes épidémies ; aider à l’émergence de systèmes de santé et le développement de systèmes de protection sociale ; obtenir l’universalité du droit des femmes à disposer de leur corps.
La création d’une caisse de sécurité médicale, mais aussi d’un fonds thérapeutique international, la mise en conformité avec la convention sur la biodiversité des Nations unies de 1990 permettraient – comme les grandes puissances savent le faire pour sauver la finance – de mutualiser les moyens pour sauver des millions de vies. Il faut mettre un terme au modèle de recherche et de développement qui laisse aux sociétés pharmaceutiques la possibilité de fixer les prix grâce au système de brevets, qu’il faut revoir en profondeur, et immédiatement classer les molécules indispensables à la survie des populations au patrimoine de l’humanité.
Cela suppose d’investir davantage dans la recherche publique en constituant aux plans nationaux et mondial des pôles publics capables de mutualiser les moyens comme pour le développement des recherches sur les maladies rares. Nous avons besoin de traités internationaux, qui maîtrisent les échanges en faveur du développement de biens communs et mettent en place des institutions chargées de leur protection, de l’organisation des coopérations mondiales dans ces domaines. Les personnes immigrées, réfugiées ou sans papiers se voient refuser des soins de base. Il faut refuser ce monde inhumain et xénophobe.
Nous voulons une planète de la solidarité. Il ne peut y avoir de sortie de crise en santé sans mouvement social mondial ! Il faut le construire ensemble, professionnels et usagers, pour exiger que les besoins sanitaires et humains, les conditions de travail et de vie des soignant·e·s, soient placés au cœur d’un système public de santé réorganisé visant à s’opposer aux inégalités sociales en matière de santé et de soins de santé. Entre les banquiers et la santé – l’accès universel et gratuit des sociétés à la santé –, il faut choisir !
Brésil. Lula : la vie de combats du nouveau président
Enfant pauvre du Nordeste, l’ancien ouvrier devenu président de la République a toujours suscité des envies de revanche parmi la bourgeoisie. Son destin, qui croise celui du pays, explique sa popularité et sa réélection le 30 octobre.
Il y a dans son surnom toute la morgue de l’élite qui n’a jamais digéré qu’un métallurgiste se hisse à la tête du Brésil. L’« anarfa », comprendre l’anarchiste analphabète, qui se donnait déjà pour mission de rendre leur dignité aux Brésiliens, quelle que soit leur condition, a toujours fait figure d’homme à abattre.
Enfant pauvre du Nordeste, ouvrier, fondateur du Parti des travailleurs qui participe également à la création de la Centrale unique des travailleurs, Luiz Inácio Lula da Silva est l’incarnation de tout ce que la bourgeoisie abhorre. « Ma mère est née et décédée analphabète, et ma mère a dit “mon fils, la seule chose que l’homme ne peut pas perdre est le droit de marcher la tête haute et de regarder dans les yeux les gens avec qui il parle” », se souviendra-t-il plus tard.
« Quand on a connu la faim, on ne renonce jamais »
Issu d’une famille de huit enfants du côté de sa mère, il voit le jour en 1945 dans une maison de bois et d’argile. Ses chances de survie sont maigres. À cette époque, à Caetes (Pernambouc), deux enfants sur dix ne parviennent pas à leur premier anniversaire. La moitié de la fratrie est ainsi décimée mais Lula a déjà le cuir dur. Comme des milliers d’autres, les siens montent dans un pick-up chargé d’émigrants dont le seul but est de remplir l’assiette.
Au terme de treize jours de voyage, ils entament une nouvelle vie dans un bidonville de Santos, sur le littoral de l’État en plein boom industriel de São Paulo. La capitale se représente alors comme « la locomotive de la nation », qui traîne comme un boulet les États déshérités et majoritairement noirs. « J’ai connu la faim, et quand on a connu la faim, on ne renonce jamais », dira plus tard le président qui a permis au Brésil d’éradiquer le phénomène. Pour survivre, le petit gars du sertão vend des cacahuètes, du tapioca et des oranges sur les quais. Trop timide pour appâter le chaland, celui qui a l’habitude d’aller pieds nus devient cireur de chaussures.
Il rêvait pourtant d’une vie « tranquille ».
Grâce à une formation du Service national d’apprentissage industriel (Senai), Lula se forme au métier de tourneur-fraiseur. L’usine le mutile, le patronat ne se soucie guère des normes de sécurité : il perd son auriculaire gauche. « Le Senai m’a donné la citoyenneté. J’étais le fils de huit frères et j’ai été le premier à suivre une formation professionnelle, le premier à avoir une maison, une voiture ; j’ai été le premier à travailler dans une usine, le premier à participer à un syndicat et, à partir du syndicat, j’ai fondé un parti et, à travers ce parti, je suis devenu président de la République », explique celui qui aurait aimé suivre des cours d’économie. Le coup d’État militaire contre le président João Goulart, en 1964, puis la perte de sa femme et de son premier enfant, quelques années plus tard, précipitent son apprentissage politique. Il rêvait pourtant d’une vie « tranquille ».
D’usine en usine, il finit par être embauché aux industries Villares, à São Bernardo do Campo. En 1975, il prend la tête du syndicat puis dirige les grandes grèves interdites pour l’augmentation des salaires. La résistance l’amène à la conclusion qu’une nouvelle formation politique est nécessaire au combat. En 1980, le Parti des travailleurs (PT) est créé. Sa mère est terrorisée à l’idée que son militantisme le précipite derrière les barreaux. Ce sera le cas. Elle décède sans savoir que son fils est incarcéré. « Ces gens qui sont morts et qui ne peuvent pas être avec nous, maintenant, vous pouvez être sûrs qu’ils sont là-haut en train de nous observer, de rire de joie, parce que nous avons réussi à construire le rêve de quelques générations », confie-t-il une fois au pouvoir.
Depuis la chute de la dictature en 1985, Lula est de toutes les campagnes. Candidat à la présidence quatre ans plus tard, il parvient à se hisser au second tour, mais la marche reste trop haute pour pouvoir l’emporter face à Fernando Collor, le candidat des milieux d’affaires. À force de batailles, désormais largement identifié par le peuple comme l’un des siens, Lula est investi au palais du Planalto en janvier 2003. Ses programmes d’inclusion sociale dans les domaines du logement, de la santé et de l’éducation lui confèrent une popularité sans pareille dans l’histoire politique du pays qui lui permet d’enchaîner un second mandat.
Le temps de la revanche et de la victoire
Mais l’élite est revancharde et ne supporte pas de voir le peuple accéder à un nouveau statut. « Vous savez que ce que nous avons fait aujourd’hui n’est pas peu, mais vous savez que l’on peut faire mieux », dira Lula. La droite, main dans la main avec les médias et la justice, donne le coup d’arrêt des avancées sociales. Dilma Rousseff, qui lui succède à la présidence, est destituée et, en 2018, Lula est jeté en prison au terme d’un procès politique. Après 580 jours en détention, toutes les charges pour corruption sont levées. À sa sortie, il est porté par une marée humaine de couleur rouge. Après quatre années, dans un Brésil dévasté par le fascisme, la faim et le chômage, dans un paysage politique polarisé, le vieux lion livre un nouveau combat. Pour le retour de la démocratie et la réconciliation, cette fois. 76 ans, et toujours la tête haute.
Lula remporte l’élection présidentielle. Le Brésil repasse à gauche
L’ancien chef de l’État a remporté dimanche le deuxième tour de l’élection présidentielle avec 50,9 % des voix. Il empêche un second mandat pour Jair Bolsonaro, représentant de l’extrême droite. Celui-ci n’a toujours pas reconnu sa défaite.
Le résultat est très serré. Lula Da Silva a été élu dimanche 30 octobre président du Brésil pour la troisième fois, avec un score de 50,90 % des suffrages. Son adversaire pour le second tour de l’élection présidentielle, le président sortant Jair Bolsonaro s’arrête à 49,10 % des voix. Lula Da Silva semble bénéficier d’un regain de la participation, qui progresse pour la première fois depuis 2010 ; l’abstention n’est que de 20,59 %.
« Une nouvelle ère de paix, d’amour et d’espérance »
Recueillie par l’AFP sur l’avenue Paulista de Sao Paulo, la réaction de Larissa Meneses à l’annonce de la victoire de Lula résume le soulagement pour la gauche, après quatre ans de pouvoir d’extrême droite : « Je me suis sentie comme étouffée pendant quatre ans, aujourd’hui c’est le moment de rire ». Pendant quatre ans, Jair Bolsonaro a usé de son pouvoir pour réprimer les communautés indigènes, libéraliser le port d’arme à feu et gérer piteusement la crise covid.
« Nous prendrons grand soin du Brésil et du peuple brésilien. Nous vivrons dans une nouvelle ère de paix, d’amour et d’espérance », s’est félicité dimanche Lula Da Silva, qui avait présidé aux destinées du plus grand pays d’Amérique du Sud de 2003 à 2011. Il dit vouloir gouverner pour tous les Brésiliens. « C’est la victoire d’un immense mouvement démocratique qui s’est formé au-delà des partis politiques, des intérêts personnels, des idéologies, pour que la démocratie en sorte victorieuse », a-t-il déclaré .
Le défi est grand pour l’ancien gamin du Nordeste, entré en politique par la lutte syndicale sous la dictature. Il va falloir panser les plaies d’un Brésil divisé par cinq ans de pouvoir de Jair Bolsonaro, qui ne manquera pas de contester sa légitimité. Depuis des mois, sur les boucles Whatsapp, les soutiens du président sortant ont laissé entendre que le camp de Lula, la gauche, truquerait les élections.
La satisfaction du Parti communiste
« Le Brésil a dit non à la régression, à l’autoritarisme, à la haine et à la violence. C’était le résultat de l’espoir. La majorité de la population a clairement fait savoir qu’elle ne voulait plus vivre dans un pays divisé et sans perspectives », a réagi Luciana Santos, présidente du Parti communiste du Brésil (PCdoB). Pour la dirigeante de gauche, « le peuple a élu Lula président pour que nous puissions retrouver la paix, la dignité, la nourriture dans nos assiettes. C’est un jour de célébration de la démocratie. La raison, la vérité, l’engagement envers le peuple et envers un projet inclusif du pays ont gagné ».
Mais de peu. Avec seulement 1,8 point d’avance sur son adversaire, Lula ne se détache pas vraiment, preuve que le bolsonarisme est très implanté dans le pays. En début de soirée électorale, il était devancé de plus de 4 points par son concurrent. Le président sortant n’a d’ailleurs toujours pas reconnu sa défaite ni réagi aux résultats de l’élection. La conférence de presse prévue a été annulée par Jair Bolsonaro. Ses ministres qui souhaitaient le rencontrer ont essuyé un refus, selon le magazine Veja. Le climat de l’élection, dimanche, a été très tendu. Dans certaines zones du pays, la police a organisé des barrages, retardant l’arrivée des électeurs de gauche dans les bureaux de vote. Par ailleurs, une députée bolsonariste, Carla Zambelli, a pointé son arme vers des habitants partisans de Lula à Sao Paolo. Certains alliés ont déclaré dimanche qu’il n’y aurait pas de contestation de l’issue du scrutin. Mais ce lundi, dans au moins cinq États des manifestants et chauffeurs routiers bloquaient des axes routiers, dont celui reliant Rio De Janeiro à Sao Paulo.
Lors de son discours, dimanche, Lula Da Silva a déclaré : « il n’y a pas deux Brésil ». Alors qu’en 2002, la gauche triomphait dans tous les États fédérés, la carte électorale est cette année beaucoup plus nuancée. Lula l’emporte dans les États du Nordeste, Bolsonaro reste majoritaire dans ceux du Sud.
Des marges réduites
Pour l’emporter, l’ancien et futur chef d’État a pu compter sur la popularité de ses programmes sociaux du passé, tel « faim zéro » qui a sorti des dizaines de millions de foyers de la pauvreté, mais jouant sur la nostalgie dans la campagne, il a peiné à se renouveler. Surtout, aura-t-il les moyens de l’innovation politique ? La croissance économique est faible, rendant plus difficile une politique de redistribution, d’autant plus qu’il va devoir composer au Parlement avec ses alliés de droite. Ainsi, son vice-président sera Geraldo Alckmin, un centriste néolibéral qu’il avait battu lors de la présidentielle de 2006 et qu’il a choisi pour rassurer les milieux d’affaires.
« Un temps d’espoir »
Sur le plan international, la victoire du camp du progrès au Brésil, est une avancée. Alors que Jair Bolsonaro ne s’inscrivait pas dans la lutte contre le changement climatique et a œuvré à la déforestation de l’Amazonie, Lula donne un ton vert à son engagement et a promis, dimanche, que le Brésil est « prêt à reprendre son rôle de leader dans la lutte contre la crise climatique, en protégeant tous nos biomes (milieux écologiques, NDLR), notamment la forêt amazonienne ».« Félicitations Lula pour ta victoire dans ces élections à travers lesquelles le Brésil a décidé de faire le pari du progrès et de l'espoir. Travaillons ensemble pour la justice sociale, l'égalité et contre le changement climatique », a salué Pedro Sanchez, le premier ministre socialiste espagnol. La victoire du fondateur du Parti des travailleurs relancera également la coopération entre États sud-américains, où la gauche est au pouvoir au Mexique, au Venezuela, en Colombie, en Bolivie, à Cuba, au Chili et en Argentine. « Ta victoire ouvre une nouvelle ère dans l’histoire de l’Amérique latine. Un temps d’espoir et un avenir qui commence aujourd’hui », a salué Alberto Fernandez, président argentin.
Syrie: le pays brûlé. Le livre noir des Assad - 1970-2021" (Seuil, 820 pages, septembre 2022, 35€)
Il faut lire "Syrie: le pays brûlé. Le livre noir des Assad - 1970-2021" (Seuil, 820 pages, septembre 2022, 35€), un livre qui croise les résultats de travaux universitaires et d'expériences de combats et de répressions de dizaines de chercheurs français et arabes, et de militants et intellectuels et écrivains syriens, pour faire comprendre le fonctionnement de la terreur et son évolution sous le régime des Assad, Hafez et Bachar, jusqu'au paroxysme de la violence et de la cruauté, des crimes de guerre et contre l'humanité, atteint lors de la répression de la révolte populaire et démocratique pour la liberté et la dignité de 2011 et la guerre féroce qui a suivi et qui n'est toujours pas terminée.
Cette série d'articles et d'extraits d'ouvrages compilés et commandés judicieusement sous la direction de Catherine Coquio, Joël Hubrecht, Naïla Mansour, Farouk Mardam Bey est extrêmement éclairante sur les 50 dernières années de l'histoire syrienne et le déroulement de la guerre en Syrie, les stratégies et fonctionnements du pouvoir des Assad.
C'est une autopsie clinique alliant la distance réflexive et la rigueur objective de l'enquête scientifique et la précision de détail dans l'exposé des horreurs et de leur fonction stratégique qui permettent de reconstituer en quoi la violence terroriste peut devenir un système de domination, et ses effets d'aliénation sur les bourreaux, les complices, comme sur les victimes. Les articles, d'entre 5 et 10 pages, sont denses et passionnants, renvoyant à des années de recherche, assortis de notes nombreuses et de références à des documents disponibles sur internet ou à des œuvres publiées en France, mais peuvent se lire séparément tout en entrant en résonance les uns avec les autres.
C'est le premier effort de documentation aussi exhaustive publié en France de l'ensemble des crimes commis par le régime tyrannique et sanguinaire des Assad (Hafez et Bachar) et la diversité de ces articles permet de comprendre le fonctionnement de ce régime, dans sa complexité, ses contradictions, et sa monstruosité ordinaire, tout en rendant justice à ses centaines de milliers de victimes alors que, sous protectorat russe et iranien, il continue à écraser son peuple, en grande partie exilé et décimé, et à faire ses affaires mafieuses en toute impunité.
Dans le Prologue, on ne saurait guère mieux résumer le destin de la révolution syrienne que Mustafa Khalifé (arrêté en 1982 alors qu'il était membre de la Ligue d'Action Communiste, et relâché 12 ans plus tard simplement, en 1994), l'auteur de La Coquille, un livre puissant sur l'horreur carcérale et la terreur du régime vis-à-vis de ses prisonniers politiques sous Hafez al-Assad (aux éditions Actes Sud, 2007):
"Il est important de la souligner: la Syrie se trouvait en fait depuis 1966, et surtout 1970, en pleine guerre civile, mais une guerre larvée, muette, gagnée d'avance par le belligérant le plus puissant qui détenait l'appareil d’État et le monopole de la violence. Le feu est resté sous la cendre jusqu'à la confrontation armée, vers la fin des années 1970, entre le communautarisme assadien et celui des organisations islamistes djihadistes. La guerre civile encore silencieuse s'est alors bruyamment révélée au grand jour, et ses ravages pendant une bonne dizaine d'années ont marqué à jamais l'histoire du pays.
Depuis mars 2011, comme évoqué plus haut, les évènements se sont succédé en trois temps.
Les protestations pacifiques d'abord, passablement timides. Les Syriens savaient bien qu'ils avaient affaire à un régime sanguinaire. Ils se sont donc contentés, avec leurs mots d'ordre de liberté et de dignité, et en insistant sur l'identité nationale, de revendiquer des réformes qui amélioreraient leurs conditions de vie. C'est la réaction brutale du régime, ainsi que l'extension des manifestations à l'ensemble du pays, qui ont radicalisé le mouvement, six ou sept semaines après son déclenchement, et l'ont transformé en une véritable révolution populaire. Il n'était plus question de réforme du régime mais de sa chute, de l'émergence d'un nouveau pouvoir et de l'édification de l’État démocratique appartenant à tous les citoyens. Révolution qui est demeurée toutefois fondamentalement pacifique pendant au moins six mois, et malgré les premiers signes de sa militarisation, elle a gardé ses traits originaux jusqu'au milieu de 2012.
Dans les débats sur ce qui s'est passé en Syrie, on a parfois prétendu que la guerre civile n'était qu'une conséquence de la révolution. Il est pour moi évident, au contraire, que celle-ci, si elle l'avait emporté au terme de cette première étape, aurait mis fin pour de bon à la guerre civile menée par le régime depuis des décennies.
La deuxième étape a donc commencé vers le milieu de 2012 avec la militarisation, mais le paysage n'a changé de fond en comble qu'un an plus tard, quand les formations militaires djihadistes ont pris le dessus sur toutes les autres. Aux deux belligérants, le régime despotique d'un côté et de l'autre les forces révolutionnaires en lutte pour la démocratie, s'est ainsi ajouté un troisième, opposé certes au premier mais tout autant, sinon plus, au second. Totalement étranger aux mots d'ordre de la révolution, il n'a cessé de la combattre par les armes, réprimant ainsi avec férocité les militants civils qui lui tenaient tête dans les zones qu'il est parvenu à contrôler. Il n'est pas exagéré de dire qu'il s'est ainsi comporté comme un allié objectif du régime et que celui-ci a su tirer profit de ses exactions sur tous les plans.
Cette étape a duré jusqu'à la fin de 2015, c'est à dire jusqu'à l'intervention directe et massive de la Russie dans le conflit. Certes, les interventions étrangères, régionales et internationales, n'y étaient pas absentes, mais c'est à partir de cette date qu'elles sont devenues décisives et que la situation a définitivement échappé à toutes les parties syriennes en présence, y compris au régime de Bachar al-Assad. La Syrie est depuis lors un pays occupé par plusieurs puissances étrangères, défendant chacune ses intérêts avec le seul souci d'éviter un affrontement militaire avec les autres." (...)
"Syrie: le pays brûlé. Le livre noir des Assad - 1970-2021" (Sous la direction de Catherine Coquio, Joël Hubrecht, Naïla Mansour, Farouk Mardam Bey, Seuil, septembre 2022, p. 145 à 158).
Univers carcéral syrien, torture, et littérature de prison.
Extraits d'une excellent article de synthèse de Catherine Coquio:
"Le système carcéral, de Hafez à Bachar: violations et exterminations"
dans Syrie: le pays brûlé. Le livre noir des Assad - 1970-2021 (Sous la direction de Catherine Coquio, Joël Hubrecht, Naïla Mansour, Farouk Mardam Bey, Seuil, septembre 2022, p. 145 à 158).
"Selon le Réseau syrien des droits de l'homme (SNHR), en août 2020, 215 000 Syriens auraient été détenus depuis 2011 dans les geôles du régime (90% des détenus de la guerre dans les geôles du régime, 8,4% dans les prisons de Daesh et de Al-Nosra, et 2,7% dans celles des autres groupes armés), et 83 971 y auraient disparu, morts sous la torture. Dès 2012, Human Rights Watch appelait "archipel de torture" un réseau de 27 centres de détention (bâtiments, caves, hangars, hôpitaux et écoles réquisitionnés) géré par quatre services de renseignements différents, où les détenus subissaient torture, viol et famine, femmes et enfants compris. En juin 2019, le réseau syrien des des droits de l'homme avait identifié 14 227 personnes mortes sous la torture, dont 62 femmes et 177 enfants. (...). Le régime assadien a institué pour tous une culture de la cruauté dotée de méthodes dont la technologie artisanale - chaise allemande, pneu, shabah, câble tressé, jets d'eau glacé, brûlures, mutilations, coups de toutes sortes.. - s'accompagne d'un système d'offense morale qui passe aussi par le verbe: le juron, l'insulte obscène et la plaisanterie pornographique, la scène d'humiliation et d'abjection dégradante sont de mise et se retrouvent, constamment répétés, d'un témoignage à l'autre. Banalisée et ritualisée, la torture est d'ailleurs utilisée aussi contre les droits communs, mais à une moindre intensité: l'acharnement contre les corps et les âmes des dissidents est patent. (...). L'autre règle indifférenciée est celle de la violation et du viol. En décembre 2017, l'enquête d'Annick Cojean et Manon Loizeau, "Syrie, le cri étouffé", consacrée au sort des femmes dans les prisons syriennes montrait que dès 2011 le viol carcéral, très souvent infligé à un détenu pour en torturer un autre, avait été systématisé pour déchirer les familles et les solidarités, celui des femmes visant à briser les hommes comme celui des enfants vise à briser les parents. Il montre aussi, comme les rapports d'ONG, que cet usage de la violence sexuelle et de la violation psychique, loin d'atteindre les seuls opposants sunnites, s'est acharné contre ceux censés soutenir le régime, chrétiens, Kurdes, alaouites. (...).
Au sein de cette culture généralisée de la cruauté, certains lieux se sont spécialisés dans des formes de destruction plus radicale et massive, qui font de ce système concentrationnaire un instrument d'extermination et pas seulement de déshumanisation. En 2014, l'horrifique dossier "César" né d'une fuite faisait apparaître un usage des tortures et exécutions dont "l'échelle industrielle" et le degré de violence ont suscité la comparaison avec le système nazi: 53 275 clichés dont 28 707 personnes mortes, concernant 11 847 victimes, dont 6 786 étaient des détenus, 1 036 des soldats et 4 025 des civils non détenus, cadavres marqués, mutilés ou démembrés; ces clichés, pris essentiellement dans deux centres de Damas entre 2011 et 2013, avaient été exfiltrés par le policier photographe. En novembre 2015, Amnesty International qualifiait de "crime contre l'humanité" les disparitions forcées, qui ont fait parler de "guerre invisible", dont le chiffre, d'après le Réseau syrien des droits de l'homme (SNHR), s'élevait au début 2018 à 82 000 depuis 2011. (....)
Les arrestations sommaires et la torture n'avaient pas commencé en Syrie avec Hafez al-Assad. Utilisées sous le mandat français pour "pacifier" le pays, ces pratiques s'étaient développées après l'indépendance (1947) au gré des coups d’État, chaque régime incarcérant ses rivaux: à l'époque nassérienne (1958-1963), les communistes furent arrêtés, puis les nassériens après le coup d’État du Baath (1963); puis la seconde équipe baathiste (1966-1970) fit arrêter ses prédécesseurs et les communistes (voir Yassin al-Haj Salah, "Aperçu historique de l'arrestation politique en Syrie", dans "Récits d'une Syrie oubliée. Sortir la mémoire des prisons", Paris, Les Prairies ordinaires, 2015). Après le coup d’État de Hafez en 1970, une nouvelle étape fut franchie: l'institution des tribunaux d'exception destinés aux "ennemis de la révolution" et le programme d'"assainissement" sous le nom de "question publique et nationale" permirent d'envoyer en prison des civils de tous horizons: islamistes, communistes, baathistes irakiens, journalistes démocrates, opposants kurdes, ou encore simples citoyens dénoncés par tel voisin ou rival, dans une société qui comptait plus d'informateurs que de prisonniers. La population carcérale se composait donc des militants de tous les partis ou formations d'opposition: Frères musulmans, parti communiste-bureau politique (de Riyad al-Turk), parti de l'Action communiste, formations d'extrême-gauche, baathistes irakiens et rivaux politiques, rassemblés dans la catégorie des "ennemis" du peuple syrien.
Un véritable univers concentrationnaire s'installa, systématisant la détention arbitraire avant de déférer en justice, infligeant des peines de dix, quinze, vingt ans, parfois plus, qui venaient s'ajouter aux longues années déjà passées en prison à attendre son "procès". Les écrivains Moustafa Khalifé, Aram Karaber, Yassin al-Haj Saleh et Faraj Bayrakdar, ont fait respectivement douze, treize, seize et dix-sept ans de prison.(...).
La torture était partout, et elle allait fréquemment jusqu'à la mort. Selon Amnesty International, 17 000 personnes ont disparu dans les prisons entre 1980 et 2000: Frères musulmans, opposants de gauche, Palestiniens, Libanais (du fait de l'occupation du Liban entre 1976 et 2005). (...).
La violente répression des années 1980-1990 qui avait envoyé nombre d'intellectuels et artistes en prison, forçant les autres à l'exil et l'autocensure, fit que l'expérience carcérale, à moins de se raconter sous la forme d'entretiens et d'articles parus ailleurs, souvent après la mort des détenus, fut d'abord évoquée de biais, à travers ses effets intimes ou par paraboles, dans des fictions... En 1999 parut Le Cocon de Hassiba Abdel-Rahman, fiction autobiographique où une militante communiste, double de l'auteure, qui avait passé sept ans à la prison de Douma, racontait sa résistance à l'écrasement en s'efforçant de se soustraire à l'imagerie héroïque. L'auteure y utilisait un journal clandestin qu'elle avait rédigé durant sa détention et qu'elle avait pu faire sortir. Cette réécriture de notes griffonnées en prison s'est pratiquée aussi en poésie: Faraj Bayrakdar, arrêté pour son appartenance au parti de l'Action communiste au début des années 1980, dit avoir écrit sur du papier à cigarettes ou mémorisé et fait mémoriser à ses codétenus les poèmes qui ont formé la trame de "Ni vivant ni mort", recueil paru en France en 1998 alors que son auteur était en prison depuis onze ans. Un Comité international contre la répression avait réclamé sa libération: "Nous voulons l'entendre", avait dit Maurice Blanchot en 1997, à quoi l'ambassade de Syrie répondit de manière éloquente: "Faraj Bayrakdar n'existe pas". En 2006, un autre livre, "Les Trahisons de la langue et du silence", restituait par fragments la très lourde expérience carcérale de l'inexistant: trois arrestations, une détention quasi ininterrompue entre 1983 et 2000, dont quatre ans à Palmyre et treize ans à Saidnaya. "La poésie m'a aidé à emprisonner la prison", dit l'auteur.
(...) C'est une autre espèce de témoignage qui advient lorsque les détenus de l'ère Hafez, libérés à la fin des années 1990 ou au début des années 2000, sortis de leur militantisme premier par l'expérience de la prison, se mettent à écrire et chercher une langue. Entre 2007 et 2015 ont paru trois livres majeurs écrits en exil par d'ex-détenus communistes, qui, tout en dessinant une autre histoire du pays, témoignent d'une expérience carcérale vécue comme épreuve du pire mais aussi "révolution intime" (Yassin al-Haj Salah), qui leur fait nouer des rapports profonds avec le soulèvement révolutionnaire: en 2007, le très sombre roman La Coquille (Al Qawqa'a) de Moustafa Khalifé, publié en français avant de paraître en arabe au Liban avec le sous-titre original, "Mémoires d'un voyeur"; en 2009, Voyage vers l'inconnu d'Aram Karabet, paru à Alexandrie, avant de paraître en français en 2013 sous le titre Treize ans dans les prisons syriennes. Voyage vers l'inconnu; en 2012, Pour votre salut, les jeunes! Seize ans dans des prisons syriennes de Yassin al-Haj Saleh, paru en arabe à Beyrouth puis en français, en 2015, sous le titre Récits d'une Syrie oubliée. Sortir la mémoire des prisons. Ce dernier livre reprend des textes rédigés entre 2003 et 2011, et un précieux entretien mené en 2009 par l'avocate Razan Zaitouneh (...).
Leurs textes sont précieux, à plus d'un titre: documents historiques majeurs, ils témoignent aussi d'expériences de pensée vécues comme des actes de résistance et s'aventurent dans une sorte d'anthropologie et de philosophie en acte: en disant "je", les témoins font exister la prison comme monde singulier à l'intérieur du monde singulier qu'était cette Syrie bouclée sur elle-même. Ces grands témoins de l'ère Hafez, issus d'origine différentes (d'une famille arménienne pour Karabet, sunnite pour Khalifé et Yassin al-Haj Saleh, mais les trois auteurs refusent toute assignation identitaire), furent arrêtés en tant qu'activistes communistes, mais leurs textes rompent avec toute idéologie carcérale, y compris communiste (voir l'entretien d'Aram Karabet avec Pierre Barbancey dans L'Humanité du 12 août 2013*). Cette rupture passe par leurs choix d'écriture, qui rend compte de réalités corrosives par un effort de véridiction peu soucieux des tabous sociaux d'où qu'ils viennent: fiction ironique chez Khalifé, chronique testimoniale chez Karabet, essai critique chez Yassin al-Haj Saleh. Une tension nouvelle s'exprime entre témoignage et fiction. En jetant une lumière crue sur des réalités partagées, ces textes interrogent l'espèce humaine, les zones grises, la mutation des sentiments et la plasticité morale, de sorte qu'ils rejoignent les grands récits de Rousset, Antelme, Borowski, Levi, Améry, Chalamov..."
* Interview de Aram Karabet avec Pierre Barbancey dans "L'Humanité":
Aram Karabet "La révolution syrienne a échappé aux Syriens"
Communiste, Aram Karabet a passé treize ans dans les geôles du régime baasiste des Al Assad, dans la prison de Saydnaya. Une expérience qu’il raconte dans un livre. Il dénonce aujourd’hui les pressions régionales et internationales et la militarisation de la révolte.
Aram Karabet, né en 1958 à Kamchli, au nord-est de la Syrie, est issu d’une famille arménienne. Membre du Parti communiste syrien-Bureau politique, dirigé par Ryad Al Türk, il est arrêté en 1987 de façon arbitraire. « Notre seul crime était de demander un changement de pouvoir, une Constitution démocratique », dit-il. Il est resté en prison treize ans. C’est ce qu’il raconte dans un livre émouvant: Treize Ans dans les prisons syriennes. Voyage vers l’inconnu, Aram Karabet, traduit de l’arabe (Syrie) par Nathalie Bontemps, Actes Sud. 19 euros.
Une expérience qui n’a fait que renforcer ses convictions.
Publié le Lundi 12 Août 2013 par Pierre Barbancey, L'Humanité
Vous avez écrit ce livre avant le soulèvement. Comment faut-il le lire aujourd’hui ?
Aram Karabet. Le livre montre jusqu’où peut aller ce régime dans sa répression. Mais il faut noter que toute cette période – ces années 1980 où des dizaines de milliers de Syriens sont passés en prison, ont connu la torture parce que le pouvoir voulait les « transformer en insectes » comme il disait – a déformé la société. Lorsque je suis sorti en 2000, la première fois que je me suis vu dans un miroir, je ne me suis pas reconnu. Toute la société syrienne était ainsi. Un visage défait, méconnaissable. Je veux montrer comment toute notre société a été minée par le despotisme durant ces quarante ans. Ceux qui veulent comprendre la violence en Syrie peuvent le faire en lisant ce livre. On a cherché à déshumaniser une grande partie des Syriens. Et cela se retourne contre le pays lui-même.
Vous avez combattu le régime, vous êtes un homme de gauche, laïque, démocrate. Comment voyez-vous ce qui se passe en Syrie depuis plus de deux ans ?
Aram Karabet. Le régime syrien est un régime particulièrement dur et coriace. Il y a donc de nombreuses raisons qui expliquent le soulèvement qui a commencé en mars 2011. Pendant des mois et des mois, ce soulèvement est resté pacifique et ses mots d’ordre n’avaient rien du tout de religieux ni de confessionnel. Je pense que le soulèvement syrien n’était dans l’intérêt d’aucune puissance régionale ou internationale. Le régime a évidemment ses propres soutiens. Mais ceux qui ont prétendu être les amis du peuple syrien n’ont aucun intérêt non plus à ce que celui-ci se libère par ses propres moyens et qu’il réalise un projet national et social de réforme du pays. Les Syriens ne sont pas intolérants sur le plan religieux. Ils sont habitués au pluralisme confessionnel. L’islamisation est essentiellement le fait d’interventions étrangères. Il est clair que c’était aussi dans l’intérêt des puissances occidentales. Parce que c’était le moyen de pousser la Syrie vers les extrêmes et de laisser les Syriens se massacrer entre eux, le but étant la destruction des infrastructures du pays, la destruction de l’armée syrienne. Ce qui ne pouvait que servir les intérêts israéliens. Ce à quoi on assiste est la rencontre d’intérêts à la fois de forces régionales et internationales qui, toutes – qu’elles se prétendent être du côté du régime ou au contraire être les amis du peuple syrien –, amènent les Syriens vers cette situation terrible dans laquelle ils se trouvent aujourd’hui.
Que faire ? Quelle est la solution ?
Aram Karabet. Personnellement, je me suis opposé à la militarisation du soulèvement. Je savais que le régime était très dur et qu’il allait utiliser la force. Mais le fait de militariser le soulèvement ne pouvait que subordonner une partie de l’opposition à des forces régionales ou internationales opposées au régime de Damas. La révolution syrienne a, en réalité, échappé aux Syriens. D’un côté, les Russes et les Iraniens défendent leurs intérêts, soutiennent le régime et l’ont poussé à militariser la répression en envoyant l’armée régulière contre les opposants. De l’autre, les forces régionales (Qatar, Arabie saoudite, Turquie) et occidentales ont aidé à la militarisation du soulèvement. Aujourd’hui, il n’y a plus de solution syro-syrienne. La solution est aux mains de la communauté internationale.
Quand on est un militant politique en exil, quel combat peut-on mener dans ce contexte ?
Aram Karabet. Pour ma part, je souhaite le départ de toutes les forces, de toutes tendances, qui se sont introduites en Syrie, aidées par les services de renseignements des pays alentour. Et surtout, que l’opposition syrienne puisse s’unir sur un programme démocratique, pacifique, de transition. Mais je crains que notre destin ne nous échappe complètement. Nous, les opposants de gauche, laïques, qui avons un programme de justice sociale, ne pouvons pas remporter une victoire par la force. Au début de la révolte, il y avait une véritable fusion entre les gens qui nous laissait espérer une transition vers un régime qui, peu à peu, pouvait vraiment devenir démocratique. Maintenant, cela paraît difficile à imaginer.
Qu’est-ce qui empêche l’unité de l’opposition aujourd’hui ?
Aram Karabet. Il y a un divorce entre le soulèvement populaire syrien et l’opposition telle qu’elle se présente, toutes tendances confondues. Pourquoi l’opposition est-elle dans cet état ? À l’origine et durant de longues années, il y avait énormément de méfiance entre ses différentes composantes. Elle est due à l’absence pendant longtemps de libertés démocratiques, de dialogues. Je me souviens qu’en prison même, nous communistes, n’osions pas discuter avec les Frères musulmans ou avec ceux du groupe Action communiste. Chacun se méfiait des autres. Dans ces conditions, ils sont incapables, tous, de se présenter comme la direction d’un soulèvement d’un genre aussi neuf. D’où le divorce. De plus, une véritable direction révolutionnaire ne peut être à l’extérieur. Elle devait d’abord être dans le pays, ce qui lui aurait évité d’être soumise aux pressions régionales et internationales comme le sont les opposants exilés. Le régime syrien s’est toujours légitimé par la situation régionale et internationale et en se situant dans un camp contre dans un autre. Il a réussi à faire que l’opposition soit comme lui : qu’elle soit légitimée par ses alliances avec les pays du Golfe, la Turquie, la France ou autres.
(1) Treize Ans dans les prisons syriennes. Voyage vers l’inconnu, Aram Karabet, traduit de l’arabe (Syrie) par Nathalie Bontemps, Actes Sud. 19 euros.
Apportez-moi l’épée de Bolivar ! » Premier président de gauche de l’histoire de la Colombie, Gustavo Petro, ce 7 août, vient de prêter serment et de recevoir l’écharpe présidentielle. Devant les cent mille personnes terriblement émues et follement enthousiastes présentes sur l’emblématique place Bolivar, à Bogotá, son premier ordre de chef de l’Etat vient de claquer. Il faut une dizaine de minutes à la Maison militaire pour aller récupérer la précieuse relique du « Libertador » au siège de la présidence, la Casa de Nariño, et la déposer, à l’intérieur d’une vitrine fortement gardée, à côté du nouveau chef de l’Etat. A ce moment, et à ce moment seulement, Petro entame son discours d’intronisation.
Premier symbole : quelques heures avant la cérémonie officielle, l’encore président Iván Duque, aussi mesquin que néolibéral et ultraconservateur, avait pris sa dernière décision officielle en refusant que l’épée soit déplacée. En la recevant, Petro explicite son message : « C’est l’épée du peuple et c’est pourquoi nous l’avons voulu ici en ce moment et en ce lieu. » Que Duque le veuille ou non, la Colombie vient de changer.
Deuxième symbole : en janvier 1974, cette même épée a été volée par le M-19, une guérilla à dominante urbaine à laquelle appartenait le jeune Petro. A cette prise de guerre succéda une déclaration : « Bolívar, tu espada vuelve a la lucha ! » (« Bolívar, ton épée retourne à la lutte ! »). La relique ne fut rendue à l’Etat que lorsque le mouvement se démobilisa et revint à la vie civile, le 9 mars 1990. Par son geste, le nouveau chef de l’Etat assume son passé, dans le registre implicite « je ne regrette rien ».
Troisième symbole : Petro s’est vu remettre l’écharpe présidentielle par la sénatrice María José Pizarro, fille de Carlos Pizarro, dirigeant du M-19, assassiné par le terrorisme d’Etat, le 26 avril 1990, alors que, démobilisé, il était candidat à la présidence. Au-delà de la figure de l’ex-compagnon d’armes, l’hommage rappelle que si jamais aucun candidat de gauche n’était jusqu’à ce jour arrivé à la Casa de Nariño, c’est parce que tous ceux qui contestaient un tant soit peu l’oligarchie possédante avec une chance de l’emporter ont été assassinés : Jorge Eliécer Gaitán (aile gauche du Parti libéral, 1948), Jaime Pardo Leal (Parti communiste, 1987) ; Luis Carlos Galán (Parti libéral, 1989), Bernardo Jaramillo (Union patriotique, 1990) [1].
Pour qui aime les symboles, on pourrait en rajouter quelques-uns, tout aussi significatifs. Lorsque l’épée du « Libertador » est arrivée sur la place qui porte son nom, tous les chefs d’Etat – Alberto Fernández (Argentine), Gabriel Boric (Chili), Luis Arce (Bolivie), etc. –et autres invités de la tribune d’honneur se sont levés pour lui rendre hommage. Tous, sauf un : le roitelet espagnol Felipe VI. Comble d’impudence de la part de ses hôtes : l’investiture du président Petro coïncidait avec l’anniversaire de la bataille de Boyacá (7 août 1819), au cours de laquelle fut scellée l’indépendance de la Grande Colombie vis-à-vis de l’empire espagnol [2]. On manifesterait de la mauvaise humeur pour beaucoup moins que ça…
Par son importance, cette cérémonie a commotionné l’Amérique latine. Washington n’y a pourtant envoyé, comme cheffe de file de sa délégation, que l’administratrice de l’Agence des Etats-Unis pour le développement international (USAID), Samantha Power. On serait tenté de ne voir dans ce niveau de représentation que l’expression assumée d’un « programme minimum ». S’il s’agit d’un message subliminal, on peut toutefois l’interpréter autrement. Power a occupé plusieurs postes au Département d’Etat et au Conseil National de Sécurité sous la présidence de Barack Obama (elle fut ambassadrice de Washington aux Nations Unies de 2013 à 2017) et est considérée comme faisant partie des « faucons » du Parti démocrate. Sous couvert de coopération, les Etats-Unis s’appuient sur l’USAID, qui dépend directement du Département d’Etat, pour soutenir, former et financer les acteurs antigouvernementaux – dirigeants politiques, organisations non gouvernementales (ONG), médias, etc. – des pays que Washington souhaite déstabiliser, comme l’Equateur (du temps de Raphael Correa), la Bolivie, Cuba, le Venezuela et le Nicaragua [3].
Iván Duque, enfin. D’aucuns s’inquiétaient peut-être pour l’avenir de ce médiocre chef d’Etat (il s’agit là d’une appréciation assez largement partagée, d’un bord à l’autre du spectre politique). Qu’on se rassure. Dès le début de l’automne, l’ancien président va rejoindre, en tant que « membre distingué » et « conseiller global », le Wilson Center, basé à Washington. Ce forum « non partisan » a été créé en 1968 par… le Congrès américain. En son sein, Duque pourra (enfin ?) aborder les questions mondiales « par la recherche et le débat ». Président et directeur du Wilson Center, Mark Green a été l’administrateur de… l’USAID, d’août 2017 à avril 2020, sous le mandat de Donald Trump.
Un ange passe… Marta Lucía Ramírez (vice-présidente sortante) et Francia Márquez (vice-présidente entrante)
Il n’y aura ni entourloupe ni ambiguïté. Avant même de prêter serment, Gustavo Petro a clairement marqué les limites du « possible » dans un pays aussi dangereusement anachronique que la Colombie. « Nous allons développer le capitalisme. Non que le système nous plaise, mais parce que nous devons sortir du féodalisme et entrer dans la modernité. » Même sur de telles prémices en apparence très modérées, mais en réalité radicales pour un tel pays, une question a marqué la séquence post-électorale. Comment et avec qui gouvernera Petro ? Coalition de sept partis de gauche [4], le Pacte historique ne dispose alors de majorité ni à la Chambre (28 représentants) ni au Sénat (20 élus) [5].
L’appel du président à un « Grand accord national » n’eut sans doute pas suffi sans une caractéristique moult fois observée de la classe politique colombienne : sa capacité de rallier pragmatiquement (et souvent fort cyniquement) le vainqueur, une fois la défaite consommée. Phénomène auquel s’ajoute, pour les plus respectables, une réelle prise de conscience : la Colombie a impérativement besoin d’être réformée.
En multipliant les appels au consensus et en se réunissant y compris avec son pire ennemi, l’ex-président d’extrême droite Álvaro Uribe, Petro a fait le premier pas. Du sein du Parti libéral (14 sénateurs, 33 représentants), dont une partie de la base a voté pour lui, les voix depuis longtemps critiques se sont à nouveau élevées : « De nombreuses erreurs ont été commises pendant la campagne, affirme ainsi Juan Carlos Losada, élu à la Chambre des représentants.Le parti s’est allié à nos rivaux politiques sur le plan idéologique, comme le Centre démocratique et le Parti conservateur, pour soutenir [les candidats de droite] Fico Gutiérrez, puis, au second tour, Rodolfo Hernández. » Chef du parti, l’ex-président César Gaviria (1990-1994) ravale son néolibéralisme et affirme que son groupe parlementaire appuiera le gouvernement Petro.
Fondé en 2005 pour accompagner Álvaro Uribe, mais devenu avant tout le soutien de l’ex-président Juan Manuel Santos – signataire des Accords de paix avec les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) en 2016 –, le Parti de la U se rallie également (10 sénateurs, 15 représentants). L’ont précédé les centristes d’Alliance verte (8 sénateurs, 12 représentants). Alors qu’on l’attendait dans l’opposition, l’inattendu Parti conservateur (12 sénateurs, 25 représentants), l’un des plus vieux de l’histoire républicaine, tout en se déclarant indépendant, affirme qu’il soutiendra les propositions du Pacte historique qu’il considérera positives pour le pays. S’ajoutent à ces nouveaux « bataillons progressistes » des élus de formations de moindre importance, ainsi que lesalliés naturels – 16 élus des Circonscriptions transitoires spéciales de paix (représentant les victimes du conflit armé), 10 de Comunes (le parti des ex-guérilleros des FARC démobilisés ; 5 sénateurs, 5 représentants), ainsi que les titulaires des sièges réservés aux indigènes (2 sénateurs, 1 représentant) et aux afro-colombiens (2 représentants).
Réalisme magique ! Pour son début de mandat, Petro disposera d’une majorité, tant à la Chambre (106 représentants sur 188) qu’au Sénat (63 sénateurs sur 108).
Sans surprise, le Centre démocratique d’Iván Duque et de son mentor Álvaro Uribe (13 sénateurs, 16 représentants) emmènera une opposition au sein de laquelle il retrouvera Changement radical, l’autre parti droitier de l’ex-vice-président Germán Vargas Llera (11 sénateurs, 16 représentants), ainsi que le candidat battu au second tour de la présidentielle, Rodolfo Hernández, et (juste pour l’anecdote !) Vert oxygène de l’erratique Ingrid Betancourt, qui a expulsé ses deux uniques congressistes élus (Humberto de la Calle et Daniel Carvalho), trop indépendants d’esprit à son goût.
Mathématiquement parlant, la coalition de Petro a de l’allure. Politiquement, elle peut difficilement faire illusion dans la perspective de la loyauté et de la durée. En politicien expérimenté – il a été successivement représentant, sénateur et maire particulièrement chahuté de la capitale Bogotá [6] – Petro sait parfaitement où il met les pieds : « Lorsqu’un changement se profile, deux forces entrent en tension, a-t-il analysé. La tentative de cooptation du gouvernement par les forces traditionnelles qui disent : “Bon, cet homme a gagné, essayons de le gagner à notre tour pour que rien ne change.” C’est une force qui agit et va agir de manière implicite et explicite. Ensuite, de nombreux groupes diront : “Nous allons participer au gouvernement, nous allons entamer un dialogue avec le gouvernement, pour amoindrir ses réformes et le modérer.” Mais il y a une autre force, qui va venir de la base même de la société, qui est celle qui a voté. C’est celle qui est sortie d’entre les pierres. Ce sont ces jeunes hommes et femmes qui ont décidé de demander plus de réformes et plus de profondeur dans les réformes. Le gouvernement va être pris en étau entre ces deux forces. Et peut-être que tout se terminera par un juste milieu, car c’est ce que j’ai vécu à Bogotá [7]. »
Nulle inconscience. Un risque assumé. Car, en envoyant des messages à des secteurs aussi divers de la société, puis en les cooptant, Petro prend également le risque de déconcerter nombre de ses soutiens et appuis les plus engagés. Ce qui arrive très vite lorsque, fermant la porte à trois de ses plus fidèles alliés – María José Pizarro (qui lui a passé l’écharpe présidentielle), Gustavo Bolívar (tête de liste du Pacte historique) et Alexander López (syndicaliste très proche de la vice-présidente Francia Márquez) – il ordonne à ses troupes d’élire Roy Barreras à la tête du Sénat pour la première année, déterminante, de son mandat [8]. L’homme a été un allié politique d’Uribe ; il a suivi Juan Manuel Santos lorsque celui-ci s’émancipa de son sulfureux prédécesseur ; il a rompu avec Duque quand celui-ci remit en cause le respect des Accords de paix, dont Barreras fut l’un des négociateurs ; il n’a rejoint le Pacte historique que récemment. De quoi provoquer un fort agacement, publiquement assumé, de Gustavo Bolivar, pour ne citer que lui.
Rassurer les marchés, particulièrement nerveux ! Le ministre des Finances s’appellera José Antonio Ocampo, soutien du « centriste de droite » Sergio Fajardo pendant la campagne électorale. Economiste, Ocampo a dirigé le même ministère entre 1996 et 1997 sous le gouvernement de centre droit d’Ernesto Samper et, entre autres fonctions [9], a été codirecteur de la Banque de la République (la banque centrale du pays).
A l’Agriculture, Cecilia López retrouve un postequ’elle a occupé, elle aussi sous Samper. Elle se considère toujours « libérale », même si elle a quitté ce parti, dont elle fut la porte-parole au Sénat, lui reprochant son soutien au Centre démocratique et à Duque.
Pour y garantir la réalisation de l’ambitieux engagement du leader du Pacte historique, c’est un ancien ministre de la Santé de Juan Manuel Santos, Alejandro Gaviria, qui arrive à l’Education.
A l’Intérieur, Alfonso Prada a lui entamé sa carrière politique, dans les années 1980, au sein du Nouveau Libéralisme (centre), issu du Parti Libéral. Il y fut le secrétaire privé du leader Luis Carlos Galán, ultérieurement assassiné, avant d’être un représentant à la Chambre pour le Parti Vert. En 2014, il deviendra coordinateur de la campagne pour la réélection de Santos, dont il occupera le secrétariat général de la présidence.
Foin de la gauche, disons un gouvernement de centre droit.
Mais en même temps…
Certes issu du Parti conservateur, le ministre des Affaires étrangères Álvaro Leyva est un personnage atypique. Non sans panache, du fait des critiques et des attaques subies, Leyva s’est fortement impliqué dans les tentatives d’échanges humanitaires (captifs civils et militaires des FARC contre guérilleros emprisonnés), a été acteur de tous les processus de paix, avortés ou réussis, dont celui arrivé à son terme en 2016.
Enseignante, ex-présidente de la Fédération colombienne des éducateurs (Fecode) et ex-membre du comité exécutif de la Centrale unitaire des travailleurs (CUT), membre du Parti communiste colombien (PCC), sénatrice adoubée par le Pôle démocratique (gauche) entre 2006 et 2014, la très militante Gloria Inés Ramírez sera chargé de diriger le ministère du Travail.
En prenant possession de sa fonction, le titulaire de la Justice, le juriste Néstor Osuna, n’a pas hésité à décliner son credo : « Je m’intéresse tout particulièrement à la dignité des prisons et à la modification du système pénitentiaire afin qu’il soit véritablement axé sur la réinsertion. »
Nommée aux Mines, Irene Vélez appartient au mouvement « Je suis parce que nous sommes » (Soy Porque Somos) de la très radicale vice-présidente de la République Francia Márquez.
A la Culture, Patricia Ariza représente les artistes et créateurs qui ont œuvré pour la justice sociale et la paix : cofondatrice du très actif théâtre de la Candelaria (Bogotá), elle a été la responsable de la culture au sein de l’Union patriotique (UP), parti politique de gauche dont officiellement, d’après la Justice spéciale pour la paix (JEP), 5 733 dirigeants et militants furent assassinés dans les années 1980-1990.
Militant de l’UP en compagnie de son frère Eduardo, assassiné en avril 1998 par les paramilitaires des Autodéfenses unies de Colombie (AUC), Germán Umaña Mendoza s’installe dans la case Commerce, industrie et tourisme.
Poste clé s’il en est, la Défense a constitué un gros casse-tête. Avant de prendre sa décision, Petro confiait en privé : « Si je me trompe dans le choix du ministre, on est tous morts ! » Au sens propre du mot. Il a opté pour Iván Velásquez. Une commotion au sein de l’ « establishment ». En tant que coordinateur de l’unité spéciale de la Cour suprême, ce jugea provoqué la condamnation de plus de 50 membres du Congrès pour leurs liens avec le paramilitarisme (scandale dit de la « parapolitique »).Depuis le Congrès, Petro menait le même combat, les deux hommes se connaissent très bien. Avant de devenir chef de la Commission internationale contre l’impunité au Guatemala (CICIG), en 2013,Velásquez a enquêté sur les liens d’Álvaro Uribe avec les paramilitaires, s’en faisant un puissant ennemi. A travers cette nomination, c’est un fort message qu’envoie publiquement Petro à la hiérarchie militaire.
Gouvernement de Gustavo Petro
Le changement, c’est maintenant ! Mais là, il ne s’agit pas d’une « petite blague » [10]. D’après le Département administratif national de statistiques (DANE), 19,6 millions des 50 millions d’habitants vivent en dessous-du seuil de pauvreté. L’ambitieux projet de « Réforme fiscale pour l’égalité et la justice sociale » a déjà été déposé par le ministre Ocampo et déclaré « priorité absolue » par le président du Sénat Barreras. Il s’agit de « réduire les exonérations inéquitables dont bénéficient les particuliers aux revenus les plus élevés et certaines entreprises, fermer les voies de la fraude et de l’évasion fiscales, et obtenir des ressources suffisantes pour financer le renforcement du système de protection sociale ». Pour sa part, la titulaire de l’Agriculture Cecilia López a affirmé que le gouvernement mettra en œuvre une réforme agraire, « sans timidité ».Deux thèmes par définition sensibles pour le secteur privé en général, les « terratenientes » (propriétaires terriens) et les éleveurs en particulier. A Sarmiento Angulo, l’un des hommes les plus riches de Colombie, qui déclarait en juillet que les changements annoncés n’étaient que des « contes » ou de « petites histoires », le sénateur Iván Cepeda a sèchement répondu : « Vous n’allez plus gérer le pays comme une “finca” [ferme]. Les ordres arrogants des contremaîtres et des magnats sont terminés.Seuls valent le dialogue et les arguments. »
Proposant précisément un « dialogue social » pour enrichir la proposition programmatique initiale du Pacte historique, le président élu a appelé les citoyens à s’impliquer dans l’élaboration d’un Plan de développement national courant jusqu’en 2026. Sans oublier que ces citoyens, poussés à s’engager, doivent être protégés. Sous le gouvernement d’Iván Duque en effet, 930 dirigeants sociaux ont été assassinés (plus de 1500 depuis la signature de l’accord de paix avec les FARC en 2016). Très rapidement, des organisations populaires, la déléguée des Nations unies pour les droits de l’Homme Julieth de Riveros et le sénateur Cepeda ont remis au chef de l’Etat un Plan d’urgence pour protéger la vie de ces dirigeants. La proposition s’articule autour de la protection immédiate par la force publique ; la présence de l’Etat ; la non-impunité pour les crimes commis ; le développement intégral des territoires.
Dès le 20 août, par le biais du premier Poste de commandement unifié pour la vie (PMU), l’Etat a fait son apparition dans le département du Cauca, l’un des plus touchés par les assassinats de dirigeants sociaux (18 morts en 2022 auxquels s’ajoutent 5 ex-guérilleros des FARC, signataires des accords de paix). Participaient entre autres à cette inauguration située dans le « municipio » de Caldono, les organisations paysannes et sociales du cru, le ministre de l’Intérieur, le président du Sénat, le haut commissaire de paix Danilo Rueda, le sénateur et président de la Commission de paix du Congrès Iván Cepeda, Carlos Ruiz, responsable de la Mission de paix de l’ONU en Colombie, ainsi que les chefs locaux de la force publique, militaires et policiers. D’après le ministre de l’Intérieur, il s’agit, en cas de menace sur un ou plusieurs leaders, « d’assurer une sécurité rapide, sur le mode de la prévention » et non « dans le registre des lamentations » une fois que le crime a été commis.
Pour marquer l’importance de ce dispositif, changement phénoménal dans l’approche de l’Etat, le second PMU a été inauguré par le président Petro en personne, à Ituango (Antioquia). A son ministre de la Défense, également présent, le chef de l’Etat a demandé de donner des instructions pour que les maires des municipalités où s’installent ces PMU – 65 « municipios » sont concernés – deviennent les « commandants » des forces militaires en cas de danger avéré sur tout ou partie de la population. « Nous ne parlons pas d’un mécanisme de guerre, la guerre est organisée d’une manière différente. Quand une UMP est convoquée, c’est pour sauver des vies, pour défendre les droits de l’Homme sur le territoire », a précisé le chef de l’Etat [11].
En affirmant que le Plan d’urgence qui lui a été soumis sera étudié en conseil des ministres, Petro a mis en avant deux thèmes à aborder en priorité : l’interdiction totale du port d’armes par les civils et la discussion autour de « la guerre à la drogue », permanent serpent de mer de la vie colombienne, sous supervision étatsunienne, dont l’échec est patent.
D’après le National Drug Control Policy (ONDCP), qui dépend de la Maison-Blanche, la surface plantée en coca est passée de 208 000 hectares en 2018, au début du mandat de Duque, à 234 000 hectares en 2021. « Le plus grave est qu’après plus de 320 000 hectares éradiqués par la force, des dizaines de milliers de petits producteurs jetés dans la misère et l’obligation de replanter, non seulement il y a le même nombre d’hectares avec de la feuille de coca, mais il y a une augmentation de 22 % de la production de cocaïne », a pu commenter le président de l’Institut d’études sur le développement et la paix (Indepaz) Camilo González Posso [12].
Impossible en effet de rêver à la « paix totale » et à la « sécurité humaine », cœurs du projet et priorités du Pacte historique, sans s’attaquer à ce problème, intimement lié à la prolifération des groupes armés.
En remettant son édifiant rapport final de 896 pages, le 28 juin dernier [voir l’encadré en fin d’article], en l’absence remarquée du président Duque, encore en exercice, mais en présence du récemment élu Gustavo Petro, la Commission de la vérité, entre autres recommandations, a préconisé de « parler » avec tous les acteurs armés si l’on entend mettre un terme à la violence qui accable le pays depuis six décennies. Message manifestement reçu. Dans la recherche de son « processus de paix intégral », Petro a demandé à l’Eglise catholique d’ouvrir des canaux de communication. « Intégral, a-t-il précisé, signifie qu’il ne s’agit pas simplement de ceux qui sont encore aujourd’hui considéré comme les insurgés [traditionnellement les guérillas révolutionnaires], mais tout ce qui implique l’utilisation d’armes illégales. »
Terminée l’époque où l’on pouvait analyser un conflit dans le cadre duquel des guérillas de gauche affrontaient un Etat de droite ou d’extrême droite au nom de la lutte des classes, avec comme références Karl Marx (pour les FARC), le curé-guérillero Camilo Torres pour l’Armée de libération nationale (ELN), Simón Bolivar pour le M-19 et Ernesto Che Guevara pour tous. Ce, pour résumer très succinctement, la naissance et le développement du narcotrafic et du para-militarisme, postérieurs à l’apparition des guérillas, ayant embrouillé la situation au fil des ans. Sachant que, depuis 2016 et le fameux Accord de paix, le panorama s’est encore complexifié. On a désormais affaire à un illisible chaos aux multiples belligérants. Dissidences variées des FARC, guérilla de l’ELN, résidus de l’Armée populaire de libération (EPL). Côté narco-paramilitaires, 14 groupes en 2021, si l’on en croit Indepaz : Clan du Golf ou Autodéfenses gaitanistes de Colombie (ACG), le plus important, présent dans 25 départements [13] ; EPL-Pelusos (4 départements) ; Los Rastrojos (9) ; Los Caparros (3) ; Los Pacheca (5) ; La Oficina (1) ; Los Puntilleros (2) ; La Constru (1) ; Los Pachelly (1) ; Los Contadores (1) ; La Cordillera (4) ; Libertadores del Nordeste (1) ; La Empresa (1) ; La Local (1) ; autres groupes (8) [14]. Formations de toutes obédiences et idéologies (ou absences d’idéologie), en guerre avec l’Etat pour certains, avec le mouvement social et paysan pour beaucoup, et même en guerre les uns avec les autres pour le contrôle des territoires, dans de nombreux cas [15]. Selon un rapport du Comité international de la Croix-Rouge (CICR), il existe en 2022, outre les foyers de violence peu structurés, six conflits armés internes entre différents acteurs, dont 53 % des victimes sont des civils [16].
Paradoxalement, toute réflexion sur la recherche d’une « paix totale » ne peut faire l’économie d’un détour par ceux qui, depuis 2016, sont déjà démobilisés : les ex-guérilleros des FARC. Au cours de la négociation entreprise entre 2012 et 2016, cet important groupe d’opposition armée rejeta le classique concept du « DDR » (« désarmement, démobilisation, réintégration »), qui ignore délibérément les causes structurelles du conflit. Les pourparlers se firent à l’ombre du slogan « la paix avec justice sociale » – également entonné par les mouvements populaires. Sur de nombreux points, les accords âprement négociés à La Havane répondirent à cette aspiration.
Toutefois, au mépris de la parole de l’Etat lorsqu’il les a paraphés, ces accords n’ont cessé d’être modifiés unilatéralement, à travers la Cour constitutionnelle, la Cour suprême de justice et la majorité de droite du Congrès, encouragées par un Duque déchaîné contre leur mise en application. Au détriment tant de la réinsertion sociale et économique des ex-insurgés que des réformes permettant de sortir du modèle prédateur responsable de la tragédie. Pas de quoi modifier en quoi que ce soit une « culture de la guerre » qui, enracinée au long d’un demi-siècle, pousse tant de jeunes, dépourvus de perspectives, surtout en milieu rural, à choisir de survivre en empoignant n’importe quel fusil. Pas de quoi réduire le recours aux plantations de coca, la réforme rurale annoncée ayant été délibérément sabotée.
Fort de cette désastreuse expérience, l’ex-« comandante » Pastor Alape, membre de la direction nationale de Comunes (le parti des ex-FARC) et délégué au Conseil national de réincorporation, a exhorté le gouvernement à relancer l’accord de paix de 2016, « car il s’agira d’un point de référence fondamental pour que l’insurrection toujours en armes puisse envisager avec confiance un scénario garantissant l’avancée certaine des négociations (…) ».
Depuis le Pacte historique, la voix d’Iván Cepeda a fixé le cadre théorique : « C’est un nouveau modèle de paix que nous voulons atteindre au cours de ces quatre années. La première différence entre la paix totale et le modèle de paix essayé auparavant est que nous n’allons plus poursuivre le dialogue avec un seul groupe, avec lequel un accord est conclu et, l’accord n’étant pas respecté, viennent ensuite les dissidents et les dissidents des dissidents. Non, ça va s’arrêter. Nous allons dialoguer avec tous les groupes et facteurs de violence pour trouver une solution définitive, globale et simultanée au conflit armé, ou aux six conflits armés qui existent aujourd’hui en Colombie. »
En 2018, le gouvernement de Juan Manuel Santos avait entrepris des négociations avec l’ELN. Les pourparlers se déroulaient à Cuba, pays choisi d’un commun accord par les deux parties. Arrivé à la présidence, Duque ne nomma jamais un quelconque délégué pour poursuivre les conversations. Au contraire, il les rompit et, violant toutes les conventions, fit émettre des mandats d’arrêt, relayés par Interpol, contre les commandants guérilleros présents à La Havane, demandant leur extradition [17]. Les protocoles signés en 2016, au début des discussions, donnaient aux représentants des rebelles la possibilité de rentrer au pays dans les quinze jours en cas d’échec des tractations. « Ce type de garanties est habituel dans les négociations, car sans elles, aucun processus de paix ne serait possible, et aucun pays tiers n’accepterait d’être garant ou hôte (…) », soulignait à l’époque le juriste Rodrigo Uprimny. En tant que siège des rencontres et garant, Cuba refusa donc de répondre à la demande illégitime de Duque [18]. Lequel, dans une démarche obscène, obtint des Etats-Unis que l’île soit inscrite sur la liste des pays qui parrainent le terrorisme.
Armée de libération nationale (ML 2001)
En annonçant le 19 août qu’il remettait en vigueur les protocoles initiaux, Petro a ordonné de suspendre tant les mandats d’arrêt que les demandes d’extradition. Quatre jours après son accession à la présidence, une première délégation se trouvait déjà à La Havane, emmenée par le ministre des Affaires étrangères Álvaro Leyva, pour rétablir le dialogue avec le gouvernement cubain et la délégation des insurgés, que dirige l’un de leurs « commandantes » historiques, Pablo Beltrán. De son côté, et dès la fin juillet, le commandant en chef de l’ELN Eliécer Erlinto Chamorro, alias Antonio García, avait envoyé un signal positif : « Une fois que nous aurons repris les pourparlers, nous pourrons examiner de manière créative les propositions du nouveau gouvernement et les nôtres, tant celles liées à la participation de la société que celles liées à la création d’un nouvel environnement qui contribuera à la paix en Colombie. »
« Avec les organisations qui ont pris les armes en raison de leurs convictions politiques, nous allons mener une négociation politique », a affirmé le pouvoir. Dans cette catégorie, à laquelle appartient l’ELN, figure à l’évidence la dissidence des FARC nommée « Segunda Marquetalia ». Sombre et tragique épisode, produit d’une machination (récemment confirmée et documentée par la Commission de la vérité) ourdie en 2018 par le très uribiste procureur général Néstor Humberto Martínez et la Drug Enforcement Administration (DEA ; anti-narcos étatsuniens), contre deux figures emblématiques de l’ex-guérilla, Iván Márquez (chef des négociateurs du processus de paix) et Jesús Santrich (également membre de la délégation à La Havane). Pour échapper au piège qui leur était tendu, ceux-ci ont renoncé à leur siège de sénateur et repris le maquis [19]. Márquez avait déjà connu une situation similaire en 1984. Dans le cadre d’un Accord de cessez-le-feu signé avec le gouvernement du président Belisario Betancur, un certain nombre de guérilleros abandonnèrent les armes et intégrèrent un nouveau parti, l’Union patriotique (UP), pour reprendre le chemin de la voie dite démocratique. Elu député suppléant, Márquez dut précipitamment repasser à la clandestinité et à la lutte armée quand commença le massacre des militants et dirigeants de ce parti par les paramilitaires (plus de 5 733 morts, d’après la Juridiction spéciale pour la paix [JEP]).
Rejoints par d’autres « camaradas » de premier plan – « El Paísa », et « Romaña » – Marquez et Santrich ont établi en 2019 leur « Seconde Marquetalia » à cheval sur le département colombien d’Arauca et l’Etat vénézuélien frontalier d’Apure. Dans des circonstances non élucidées, Santrich (le 27 mai 2021), « El Paísa », (le 5 décembre) et Romana (le 7 décembre) ont été tués au combat ou assassinés. Iván Márquez, pour sa part, a été victime d’un attentat le 30 juin 2022. Gravement blessé (et même annoncé mort par les rumeurs), il est vivant et convalescent a confirmé le commissaire pour la paix Danilo Rueda. En novembre 2021, à l’approche de l’élection présidentielle, Márquez avait manifesté l’intention de négocier si l’emportait « un gouvernement s’impliquant jusqu’au bout pour une paix totale ». Le chemin que prendra ce groupe semble donc tracé.
Message de la « Segunda Marquetalia » saluant la victoire de Petro.
Après la signature des Accords de 2016, les FARC se sont fragmentées en plusieurs factions, la plus importante, très largement majoritaire, revenant à la vie civile, les autres refusant de se démobiliser ou reprenant les armes après l’avoir momentanément fait. Quelques-uns de ces fronts présents dans les départements d’Arauca, Valle Del Cauca, Cauca, Caquetá, Catatumbo, Choco, Magdalena Medio et Putumayo peuvent être considérés comme ayant conservé leur caractère « politique ». Beaucoup d’autres non, plus impliqués dans les trafics les plus divers que dans la lutte sociale et idéologique. S’agissant de ce type de structure, le président Petro a notamment proposé des « avantages juridiques » s’ils déposent les armes et signent la paix.
Initialement commandé par « Gentil Duarte » (annoncé « tué » le 4 mai 2022), fort d’environ 2 000 combattants, le Bloc sud-oriental, principalement présent dans la forêt amazonienne et sur la frontière vénézuélienne, a fait savoir le 31 juillet qu’il considère Petro et sa vice-présidente Francia Márquez, comme « de véritables représentants des aspirations des classes populaires ». En conséquence, il a manifesté sa disposition à créer « un climat propice à un accord de cessez-le-feu bilatéral ». Il a même donné le nom de son futur plénipotentiaire, le successeur de « Gentil Duarte », « Iván Mordisco ». Au-delà de son caractère positif, l’annonce a provoqué une certaine perplexité, Mordisco ayant été tué lors d’une opération militaire quinze jours auparavant, si l’on en croit le président de l’époque, Iván Duque. Néanmoins, au-delà de cette épineuse question de personne, cette faction « guérillera » semble réceptive aux propositions du pouvoir, tout comme le sont quelques fronts opérant dans le Cauca et dans le Nariño (colonne mobile Urías Rondón) qui, en septembre, ont à leur tour approché le gouvernement.
Dissidence des FARC (capture d’écran)
Dans les semaines précédant l’intronisation de Petro et dans le cadre d’un « plan pistolet », les narco-paramilitaires des AGC (ou Clan du Golfe) ont multiplié les attentats dans les départements de Chocó, Antioquia, Córdoba et Sucre contre les forces de sécurité. Vingt-cinq policiers et officiers en uniforme ont été tués – 18 en service, 7 pendant leurs repos (dont 12 pour le seul mois de juillet). S’agissait-il de représailles après l’extradition aux Etats-Unis du leader du Clan, Dairo Antonio Úsuga, alias « Otoniel », par le gouvernement de Duque ? D’un message au prochain locataire de la Casa de Nariño ? Ou même des deux ? La position de Petro (qui concerne également les dissidences des FARC et autres organisations impliquées dans des activités purement mafieuses) ne s’est pas faite attendre. Ne s’agissant pas d’acteurs politiques, le gouvernement en tant que tel, n’est pas directement concerné par une négociation : « C’est l’appareil judiciaire qui doit permettre la possibilité d’une soumission à une justice digne. La dignité est liée à la vérité, à la réparation pour les victimes, à la possibilité pour les zones d’action [des bandes] de prospérer, et même à la possibilité de bénéficier d’avantages juridiques pour autant qu’il n’y ait pas de répétition et que les victimes soient indemnisées. »
Le 8 août, les AGC réagissaient par un communiqué surprenant : « Enfin se termine le régime du président sortant Duque (…) représentatif de toutes les choses qui doivent changer dans le pays pour atteindre la paix insaisissable. » Et d’annoncer « un arrêt unilatéral des activités offensives ». Plus récemment, quelques groupes illégaux opérant en Antioquia, parmi lesquels Los Pachelly, ont fait connaître leur souhait de rejoindre le processus devant mener à la fameuse « paix totale ».
Les êtres humains ont une curieuse tendance à rester imprévisibles. Mais le sont-ils tant que ça ? Depuis les Etats-Unis, où il a été extradé en 2008 et condamné à 15 ans et 10 mois de prison, le dernier chef des historiques Autodéfenses unies de Colombie (AUC), Salvatore Mancuso, a créé la surprise : « Si le gouvernement de Gustavo Petro veut nous appeler pour tout travail visant à atteindre la paix totale, nous sommes ici prêts à tout pour l’aider. » Que le ressentiment guide Mancuso est une évidence, « après des années pendant lesquelles ceux qui ont bénéficié des groupes d’autodéfense ont réussi à accumuler du pouvoir et ont essayé par tous les moyens de nous faire taire et de nous laisser sans droits politiques ». C’est effectivement le chef de bande Álvaro Uribe, qui, pour éviter leurs révélations embarrassantes dans le cadre du processus « Justice et paix » issu des accords de Santa Fe de Ralito (juillet 2003), a expédié en mai 2008 aux Etats-Unis, où ils ont été jugés pour « narcotrafic », quatorze chefs paramilitaires démobilisés, ses anciens alliés [20]. D’où, sur le ton de la vindicte : « Le gouvernement Uribe nous a trompés. Il nous a poussés vers un système judiciaire dont les conditions n’avaient pas été convenues ». Mais aussi, et quoi qu’on pense du personnage, avec un bon sens certain : « Il a extradé nos principaux commandants et porte-parole. Le résultat a été le réarmement de ces jeunes qui ont compris que la négociation était un piège (…) Le phénomène de la violence émergente et des organisations comme les groupes d’autodéfense gaitanistes et d’autres de ce type est le résultat direct de l’échec de l’Etat à renoncer à l’extradition de ceux qui auraient dû travailler à la réincorporation des ex-combattants [21]. »
Toutes choses égales par ailleurs, on peut tenir le même discours sur l’acharnement criminel de Duque à mettre en pièces l’Accord de paix signé avec les FARC et les désastreux résultats qui s’en sont suivis.
Mancuso, qui a terminé sa peine mais demeure détenu dans une prison d’Atlanta (Géorgie), a été rejoint dans la démarche par les Autodéfenses Conquistadores de la Sierra Nevada (ou los Pachencas). Dans un communiqué manifestant sa volonté de dialoguer, l’état-major de ces « narcos » de la côte caraïbe a « invité le gouvernement à reprendre et améliorer les accords de Santa Fe de Ralito, dans lesquels existaient des garanties juridiques pour la démobilisation et l’abandon des armes ». Six autres ex-chefs des AUC [22] et le tout récent extradé « Otoniel », se sont également mis sur les rangs. Depuis la prison de haute sécurité ADX Florence (Colorado) où il se trouve à l’isolement total, « Otoniel » a confié un message à son avocat, Alexei Schacht. A ses anciens subordonnés des AGC, il demande de cesser leurs actions contre la force publique, d’interrompre les « paros armados » (paralysie forcée d’un territoire) « car ils nuisent à la population civile » et appelle le gouvernement de Petro à« rechercher l’accord de paix auquel aspirent tous les Colombiens ».
« Je n’ai pas dit oui ou non [à la proposition de Mancuso], mais ce qui ce qui se passe c’est qu’il y a des gens qui ont vraiment compris, après avoir été mis en prison, traités de la pire des façons, extradés, vu menacés leurs fils, leurs filles, leurs amours, et donc, s’être retrouvés acculés là-bas », a réagi Petro avant de souligner : « Lorsqu’une personne comme l’ancien chef paramilitaire dit cela, j’y vois une opportunité de parvenir à la paix. » Raison pour laquelle il confirme : « Le narcotrafiquant qui négocie avec l’Etat colombien en bénéficiant d’avantages juridiques, et qui s’engage à cesser définitivement le narcotrafic, ne sera pas extradé vers les Etats-Unis. »
« Otoniel » à son arrivée aux Etats-Unis.
Vision optimiste : de nombreux voyants passent au vert. Registre pragmatique : cela ne signifie en rien que la suite des opérations sera dépourvue de difficultés. Compte tenu de la diversité des situations, le pouvoir va devoir se montrer très inventif. Même avec une organisation à caractère idéologique, telle que l’ELN, il s’agira d’une négociation ardue. A la différence des ex-FARC, très verticales, orthodoxes et hiérarchisées, l’ELN est une organisation armée peu centralisée, une fédération de fronts guérilleros, au sein de laquelle une nouvelle génération de cadres intermédiaires a pris quelques distances avec la direction – certains fronts allant jusqu’à s’impliquer dans le narcotrafic, attitude exceptionnelle il y a quelques années. Il n’y aura donc ni unanimité automatique ni obéissance unanime dans ses rangs. L’ELN n’entend pas, par ailleurs, négocier seule, en tête à tête avec le pouvoir, mais souhaite impliquer la population. Ce à quoi a déjà répondu le gouvernement. « Il ne s’agira pas de pourparlers entre élites, à La Havane ou ailleurs, mais ce sont les territoires qui seront les protagonistes de la paix totale, a précisé Cepeda. Du dialogue social contraignant, des actions humanitaires sur le territoire, de ce que nous pouvons réaliser dans les conseils communautaires, dans les réserves indigènes, dans les assemblées populaires, dans chacun des endroits où il y a un conflit armé. Pour cela, nous allons introduire la figure d’une Région de paix qui inclura les territoires du PDET [Programmes de développement axés sur le territoire, établis dans les Accords de paix de 2016 [23]] et beaucoup d’autres qui ne sont pas inclus dans cette figure. »
Dès mai 2022, l’ELN a exprimé ses réticences quant aux pourparlers annoncés par Petro avec l’extrême droite et les « narcos », soulignant que ces organisations « ont des intentions "tordues" » en prétendant s’intéresser à la pacification du pays, « alors qu’elles sont au service de tueurs à gages ». Rappelant que la guérilla a pris les armes pour lutter contre l’inégalité sociale et la pauvreté, le commandant en chef Antonio García a clairement manifesté le refus d’être traité sur le même rang que ces structures : « Un gouvernement peut parler à qui il veut, chacun assume ses propres responsabilités. Mais si le gouvernement nous met dans le même sac que les gangs ou les groupes paramilitaires, nous ne participerons pas ; une chose est une chose et une autre chose est une autre chose… »
Que certains acteurs mafieux souhaitent une sortie négociée est plausible. Surtout à l’extrême droite, où l’on peut craindre une moindre mansuétude et une persécution plus affirmée venant d’un pouvoir qui échappe désormais à la domination des amis ou des complices de l’« uribisme ». En revanche, on ne pariera pas que tous jouent franc jeu. On peut certes être pris d’enthousiasme lorsque, dans un courrier de quatre pages, Los Caparrapos, Los Rastrojos (grands amis du président imaginaire vénézuélien Juan Guaidó), Los Shottas de Buenaventura, La Inmaculada de Tulua et les Grupos Mexicanos de Quibdó proclament : « Nous sommes prêts à désarmer quand le moment sera venu ; nous sommes prêts à demander pardon ; nous sommes prêts à fournir une vérité pleine et entière ; nous sommes prêts à… » Combien le feront ? C’est demander à un tigre de rendre un bifteck ! La dépendance à la cocaïne ne touche pas que les consommateurs ! Des sommes fabuleuses sont en jeu.
Sincère la lettre envoyée par l’ex-chef de la Oficina de Envigado (redoutable organisation criminelle urbaine ayant pour centre de gravité Medellín), José Leonardo Muñoz, alias « Douglas », depuis le pavillon des « extradables » de la prison de La Picota, à Bogotá ? Avec quelques autres, il demande « respectueusement qu’un espace de dialogue soit établi afin de concrétiser la proposition que vous [Petro] avez présentée au gouvernement des Etats-Unis pour apporter des changements à la politique d’extradition en vigueur en Colombie [24] ». Volonté de coopérer en appelant les membres du gang en activité (et avec quel succès ?) à la soumission ou, avant tout, tentative opportuniste d’échapper à l’extradition ?
D’une complexité folle, le problème donne lieu à trop de réponses possiblement contradictoires pour qu’il puisse être question de prophétiser.
Pessimisme de la raison, optimisme de l’action… Sans laisser le temps au temps, le pouvoir avance à grand pas. Il n’a pas le choix. Il doit profiter de son hétéroclite majorité au Congrès avant que celle-ci ne commence à se déliter. Et que les médias dominants, traditionnellement hostiles, mais pour l’heure relativement neutralisés du fait de la présence de secteurs de droite au gouvernement, ne retrouvent leur capacité de nuisance.
L’armée colombienne a vocation à « construire la paix » et à devenir « une armée de paix », a indiqué Petro à l’occasion de la prise de fonction officielle du nouveau commandement. Et pas n’importe lequel : en moins d’un mois, 52 généraux des Forces armées (28) et de la police (24) ont été démis de leurs fonctions et passés à la retraite. Dix-huit colonels ont subi le même sort. Encore candidat, Petro avait été publiquement attaqué par le commandant en chef de l’époque, Eduardo Zapateiro. Lequel a démissionné pour ne pas devoir assister à l’intronisation de l’ancien membre du M-19. Nouveau commandant en chef, le général Helder Fernando Giraldo Bonilla était jusque-là chargé de la lutte contre la corruption au sein de l’institution. Au cours du premier Conseil de sécurité qu’il a dirigé depuis Quibdo (Chocó), Petro a annoncé une véritable révolution : reposant jusque-là sur la participation exclusive des forces militaires et de la police, ceux-ci deviennent des « Conseils de sécurité humaine » auxquels prendront également part différentes institutions non armées – délégués des communautés, universités, etc.
Pour protéger les civils et les enfants, le ministre Velásquez entend réduire, sinon supprimer, l’une des stratégies les plus meurtrières utilisée contre les groupes armés illégaux : les bombardements. Il a de même annoncé la suspension de l’éradication forcée des cultures de coca et des vols d’aspersions de glyphosate utilisées à cette fin. Non sans que Petro ait précisé : « Suspendre les fumigations aériennes n’est pas un permis pour semer plus de coca ! »
Impunité zéro : les policiers et militaires perdront désormais des points et de l’avancement si des crimes sont commis dans leur juridiction. De facto, le service militaire « obligatoire » disparaît. Les jeunes pourront opter pour un « service social pour la paix » d’une durée de 12 mois, jouissant d’une rémunération conforme à celle prévue pour le service militaire et au cours duquel ils pourront travailler avec les victimes de la violence et du conflit armé.
Dernier point, et non des moindres : dépendant jusque-là du ministère de la Défense, le police, très décriée pour ses méthodes de répression, devrait prochainement passer sous le contrôle d’un futur ministère de la Paix, de la coexistence et de la sécurité. Quant aux redoutables Escadrons anti-émeutes (Esmad), ils devraient être considérablement réformés.
Transition modérée ? Non, changements profonds.
« Petro, ça suffit ! » (pendant le mouvement social, mai 2021)
Pais interne, paix externe. Car la Colombie était en guerre – fût-elle non déclarée. En février 2019, non seulement Duque a reconnu le président fantoche vénézuélien Juan Guaidó, mais, s’érigeant en fer de lance de l’encerclement diplomatique de la République bolivarienne, assurait que les heures du chef d’Etat Nicolás Maduro étaient comptées. Le 23 février, au milieu d’une escalade dans les tensions et à l’initiative de Maduro, les relations diplomatiques furent rompues. Depuis, le ministère imaginaire de Guaidó siégeait à Bogotá où, avec la bénédiction de Duque, il s’était mis aux ordres de l’ « ambassadeur étatsunien au Venezuela » James Story, lui aussi résidant en Colombie. Magnifiques alliances… En diverses occasions, les relations étroites du « Guaido Circus » avec les paramilitaires ont été révélées et documentées [25].
Virage à 180°, retour à la diplomatie. En quelques jours et alors que Guaidó tentait désespérément d’exister en déclarant qu’il rechercherait « des mécanismes formels de communication avec le gouvernement de Gustavo Petro », les deux pays ont rétabli leurs relations diplomatiques et, le 29août, échangé leurs ambassadeurs – le colombien Armando Benedetti à Caracas, le vénézuélien et ex-ministre des Affaires étrangèresFélix Plasencia à Bogotá. Au Venezuela, Benedetti n’a pas fait les choses à moitié : en quelques heures, il a rencontré le président Maduro, la vice-présidente Delcy Rodríguez, le président de l’Assemblée nationale Jorge Rodríguez et le numéro deux du Parti socialiste uni du Venezuela (PSUV) Diosdado Cabello. Une claque phénoménale pour ceux qui, depuis Bogotá, pour complaire à Washington, se sont comportés comme des pirates et des voleurs avec le pays voisin. Tout en spoliant aussi la Colombie…
Monómeros Colombo Venezolanos S.A. : située à Barranquilla, firme pétrochimique appartenant à Pequiven (entreprise publique vénézuélienne), fournisseuse de 45 % des engrais et fertilisants du marché colombien. Depuis Washington et au nom de « sanctions » qui violent le droit international, Donald Trump mène une vaste campagne de séquestration et d’appropriation des actifs vénézuéliens à l’étranger – Etats-Unis, Portugal, Grande-Bretagne, etc. Avec la complicité de Duque, la « camarilla » corrompue de Guaidó s’empare de Monómeros et y nomme une nouvelle direction ad hoc – Carmen Elisa Hernández, une proche de Leopoldo López, leader du parti d’opposition vénézuélien Volonté populaire qui, depuis son exil doré de Madrid, où il se trouve en cavale, est le chef caché de Guaidó. Couverte par les fonctionnaires de Duque, cette « pandilla » laisse péricliter l’entreprise, la pille, la dépouille, en détourne les fonds et la mène à la faillite en 2021. La Colombie doit importer des fertilisants d’origine russe. Le conflit en Ukraine perturbe les approvisionnements. Les prix doublent au détriment de l’activité productive et paysanne, provoquant en bout de chaîne une hausse considérable de la valeur des aliments. Pendant la campagne électorale, les travailleurs de l’entreprise demandent au candidat Petro « de sauver l’entreprise et de sauver les travailleurs du massacre qu’ils subissent ».
Consulté sur ce thème, l’ambassadeur colombien Benedetti a rapidement mis les points sur les « i » : « Monómeros repassera au gouvernement de Nicolás Maduro, ce qui a été stipulé depuis que le gouvernement de Gustavo Petro a reconnu le président Maduro. Monómeros appartient au Venezuela, pas à Juan Guaidó, car Guaidó n’est rien ! »
Pour la plus grande satisfaction des secteurs économiques colombiens et vénézuéliens, mais aussi des populations installées des deux côtés de la frontière, celle-ci devrait être ré-ouverte le 26 septembre. En 2008, alors que le Venezuela était le premier partenaire commercial de la Colombie, cette dernière exportait 6,5 milliards de dollars dans le pays voisin. Entre janvier et juin 2022, on n’estimait plus les exportations qu’à 284,4 millions de dollars (en progression par rapport à 2021 !). La politique aussi inepte que criminelle de Duque l’a donc fortement pénalisée. Outre le transport routier de fret, les liaisons aériennes vont également reprendre. Ce retour à des relations normales devrait par ailleurs avoir un impact positif en réduisant le rôle des mafias qui monopolisent le trafic de personnes et de marchandises à travers les « trochas » – chemins sauvages dépourvus de surveillance, en zone boisée et isolée. Enfin, l’espoir d’une diminution de la violence en Colombie (mais aussi au Venezuela) ne peut faire l’économie d’une collaboration étroite entre les deux pays. D’après la Fondation Progresar, sur les seuls 422 kilomètres de frontière séparant Le Nord Santander (Colombie) du Táchira (Venezuela), douze structures illégales fonctionnent – guérillas, paramilitaires, bandes criminelles et autres trafiquants. Même situation entre l’Arauca (Colombie) et l’Apure (Venezuela) et, plus au nord, entre la Guajira et le Zulia.
Rétablissement des relations diplomatiques avec le Nicaragua.
Reste un acteur de taille : les Etats-Unis. Amis ou ennemis ? Depuis des décennies, la Colombie est gouvernée par une droite totalement alignée sur Washington. Deux jours après son élection, Petro a reçu un appel amical de Joe Biden en personne, au cours duquel, si l’on en croit le président colombien, a été évoquée « une relation diplomatique plus égalitaire, au profit des deux peuples ». Mais la marge de manœuvre de Petro est étroite, « verrouillée » par avance quand, à l’initiative d’Uribe, Santos et Duque, la Colombie a accédé au rang de « partenaire global de l’OTAN ». Quand les Etats-Unis peuvent utiliser à leur gré huit bases militaires sur le territoire national. Quand des conseillers américains de la Brigade d’assistance aux forces de sécurité (SFAB) stationnent sur la frontière, face au Venezuela, dans la base d’Arauquita (Arauca).
Ivan Duque avec les militaires étatsuniens de la SFAB (avril 2022)
En renouant avec Caracas, Petro a clairement revendiqué la pleine souveraineté de son pays. Il a, depuis, persisté et signé. Discrètement lorsque le ministre des Affaires étrangères envisage, comme l’a fait l’Argentine, de retirer la plainte de la Colombie contre le Venezuela devant la Cour pénale internationale (CPI), pour crimes contre l’humanité (prouvant s’il en était besoin à quel point le thème des « droits de l’homme » a été instrumentalisé, avec la connivence des grandes organisations du secteur – Amnesty International, Human Right Watch, etc. [26]) Plus spectaculairement quand Petro demande à Caracas – qui l’accepte le 12 septembre – d’être « garant » lors des futures négociations avec l’ELN. Il est prévu que, dans les jours prochains, les négociateurs de la guérilla emmenés par Pablo Beltrán quittent provisoirement La Havane pour gagner le territoire vénézuélien afin d’y rencontrer en sécurité les membres du Commandement central (COCE) – dont les très influents commandants Antonio García et « Pablito » – afin d’accorder leurs violons après le long laps de temps qui, les uns à Cuba, les autres sur le terrain, les a séparés. Dans le but d’actualiser les normes du dialogue initiées sous le mandat de Juan Manuel Santos, Beltrán rencontrera également des émissaires de Petro au Venezuela.
Pour l’instant, les Etats-Unis demeurent silencieux. Mais c’est depuis Bogotá, lors de l’intronisation de Petro, que Samantha Power, en conférence de presse, a déclaré le 7 août : « Sur la base de l’histoire récente, nous devons faire partie de la solution de manière responsable ; en tant qu’Etats-Unis et administration Biden, nous reconnaissons Juan Guaidó comme président par intérim du Venezuela [27]. » Selon que la Maison-Blanche soufflera le tiède ou le très froid sur Caracas, l’attitude de Washington par rapport à Bogotá pourrait assez facilement évoluer. La Colombie demeure une pièce maîtresse sur l’échiquier sud-américain. Pour preuve, les visites répétées de la cheffe du Commandement sud de l’armée des Etats-Unis (Southcom), la générale Laura J. Richardson. Sous Duque, en novembre 2021, elle est venue en Colombie pour « consolider les relations stratégiques entre les deux nations ». Le 5 septembre dernier, sous Petro, elle a dédié trois jours au renforcement de la coopération en matière de sécurité et… d’environnement. Au cours de son séjour, elle a rencontré le ministre de la défense Iván Velásquez, le commandant des Forces armées, et a visité des unités stratégiques avant un passage par l’Ecole de guerre où elle a donné un cours magistral aux officiers [28]. Quelques jours plus tard, prévues de longue date, des manœuvres se déroulent sur la base militaire de Tolemaida, sous supervision de l’OTAN.
Ivan DUQUE avec des militaires étatsuniens de la SFAB (Avril 2022)
En renouant avec Caracas, Petro a clairement revendiqué la pleine souveraineté de son pays. Il a, depuis, persisté et signé. Discrètement lorsque le ministre des Affaires étrangères envisage, comme l’a fait l’Argentine, de retirer la plainte de la Colombie contre le Venezuela devant la Cour pénale internationale (CPI), pour crimes contre l’humanité (prouvant s’il en était besoin à quel point le thème des « droits de l’homme » a été instrumentalisé, avec la connivence des grandes organisations du secteur – Amnesty International, Human Right Watch, etc. [26]) Plus spectaculairement quand Petro demande à Caracas – qui l’accepte le 12 septembre – d’être « garant » lors des futures négociations avec l’ELN. Il est prévu que, dans les jours prochains, les négociateurs de la guérilla emmenés par Pablo Beltrán quittent provisoirement La Havane pour gagner le territoire vénézuélien afin d’y rencontrer en sécurité les membres du Commandement central (COCE) – dont les très influents commandants Antonio García et « Pablito » – afin d’accorder leurs violons après le long laps de temps qui, les uns à Cuba, les autres sur le terrain, les a séparés. Dans le but d’actualiser les normes du dialogue initiées sous le mandat de Juan Manuel Santos, Beltrán rencontrera également des émissaires de Petro au Venezuela. Pour l’instant, les Etats-Unis demeurent silencieux. Mais c’est depuis Bogotá, lors de l’intronisation de Petro, que Samantha Power, en conférence de presse, a déclaré le 7 août : « Sur la base de l’histoire récente, nous devons faire partie de la solution de manière responsable ; en tant qu’Etats-Unis et administration Biden, nous reconnaissons Juan Guaidó comme président par intérim du Venezuela [27]. » Selon que la Maison-Blanche soufflera le tiède ou le très froid sur Caracas, l’attitude de Washington par rapport à Bogotá pourrait assez facilement évoluer. La Colombie demeure une pièce maîtresse sur l’échiquier sud-américain. Pour preuve, les visites répétées de la cheffe du Commandement sud de l’armée des Etats-Unis (Southcom), la générale Laura J. Richardson. Sous Duque, en novembre 2021, elle est venue en Colombie pour « consolider les relations stratégiques entre les deux nations ». Le 5 septembre dernier, sous Petro, elle a dédié trois jours au renforcement de la coopération en matière de sécurité et… d’environnement. Au cours de son séjour, elle a rencontré le ministre de la défense Iván Velásquez, le commandant des Forces armées, et a visité des unités stratégiques avant un passage par l’Ecole de guerre où elle a donné un cours magistral aux officiers [28]. Quelques jours plus tard, prévues de longue date, des manœuvres se déroulent sur la base militaire de Tolemaida, sous supervision de l’OTAN
Visite en Colombie de Laura Richardson, cheffe du SouthCom.
« J’ai défendu le plan Colombie dès le début, et je me suis assuré qu’il reçoive un soutien bipartite au Congrès, écrivait Biden, il n’y a pas si longtemps, dans un quotidien de Floride. Il s’agit là de l’une de nos plus grandes réussites en termes de politique étrangère depuis un demi-siècle [29]. » Dix milliards de dollars depuis 1999 et Bill Clinton pour… rien. C’est ce qu’on appellera un optimisme à tout crin. Ou une absolue cécité. Peut-être Biden ne lit-il pas les rapports de ses propres services (voir les chiffres précédemment cités de l’ONDCP). Manifestement, Petro les connaît. En exprimant sa volonté de mettre en œuvre une stratégie innovante pour lutter contre le narcotrafic – « Il esttemps d’avoir une nouvelle convention internationale qui accepte que la guerre contre les drogues a échoué » – et en prônant une « politique forte de prévention de la consommation » dans les pays développés, il a donc mis la barre très haut. Malgré les 107 000 étatsuniens morts en 2021 d’overdoses, pas sûr que Washington ne l’aide beaucoup… Sachant que la « communauté internationale » – l’Union européenne, pour aller vite – suit généralement ce qu’ordonne le porteur de la bannière étoilée. Et qu’elle se montre particulièrement timorée dès qu’il s’agit d’aborder sérieusement cette épineuse question.
Le Pacte historique s’attaque à une tâche titanesque. Ces dernières semaines, dans le Cauca et le Valle del Cauca, des organisations indigènes et paysannes ont mené des actions de récupération de terres. Sans doute socialement justifiées. Mais quelque peu précipitées, vues depuis le pouvoir. « Ce que cela fait, a déclaré la ministre Cecilia López, c’est ralentir le processus ; cela entrave l’espace politique pour prendre ces décisions, cela nous amène à résoudre des conflits au lieu de progresser sur la façon dont nous allons octroyer des titres sur les terres, dont nous allons les distribuer et sur ce qui se passe avec les actifs de la SAE [Société des actifs spéciaux, gestionnaire des biens confisqués aux narcotrafiquants]. » Premiers accrocs, particulièrement inattendus. Pour des organisations telles que la Coordination nationale agraire (CNA), les déclarations de cette proche de… la vice-présidente Francia Márquez stigmatisent la lutte populaire pour la justice face à la dépossession.
Pain béni pour les forces hostiles, qui demeurent en embuscade. « L’ELN co-gouverne avec Petro, accusait déjà la sénatrice du Centre démocratique Maria Fernanda Cabal. Il n’y a qu’à décrocher un téléphone pour que l’aile idéologique parle à l’aile militaire. » Les yeux fixés sur la présidentielle de 2026, cette admiratrice de Donald Trump et Jair Bolsonaro multiplie les outrances : « Souvenons-nous que Petro a des chefs comme Maduro, [Daniel] Ortega, la [Cristina] Kirchner et [Gabriel] Boric. Les chefs sont l’Iran, la Russie et sûrement la Chine (…) Ils veulent commencer à produire de nouvelles générations d’endoctrinés, comme l’ont fait les nazis ou lors de la guerre du Cambodge : les enfants étaient à la tête des camps de concentration, dans des camps pédagogiques et de rééducation. » On pourrait en sourire. Mais Cabal a pour époux le président de la Fédération colombienne des éleveurs (Fedegan) José Félix Lafaurie. En réaction aux récentes occupations de terres, celui-ci a suscité la controverse en évoquant la venue de « temps difficiles » et en suggérant la création de « Groupes de réaction solidaire immédiate » – les paramilitaires ne sont pas nés autrement !
Tout ce beau monde se montre hostile aux négociations avec l’ELN. « Il est clair qu’ils ont perdu toute qualité d’insurgés et qu’aujourd’hui ils doivent être traités comme des criminels de droit commun », déclare une autre « ultra » du Centre démocratique, la sénatrice Paloma Valencia. Pour l’instant en mode mineur, certains secteurs militaires ont pointé le bout du nez. Président de l’Association colombienne des officiers retraités (Acore), soutien du candidat de droite Rodolfo Hernández durant sa campagne, l’ex-colonel Jhon Marulanda s’est exprimé ainsi lorsqu’a été connu le nom du nouveau ministre de la Défense : « Ce n’est pas la nomination à laquelle nous nous attendions ; nous pensions que ce serait une femme. Mais nous avons ce M. Iván Velásquez qui en sait long sur le crime transnational et qui a fortement attaqué l’armée et la police. »
Sabotage ? Provocation ? Pas de quoi inciter les forces de l’ordre à s’enthousiasmer pour la « paix totale », en tout cas : le 1er septembre, dans la zone rurale de San Luis (département de Huila), sept policiers sont morts dans une embuscade dont les auteurs demeurent inconnus. But atteint : sur le thème de la sécurité, le gouvernement se retrouve sous pression.
Enfin, on n’oubliera pas de mentionner l’inévitable Juan Guaidó. Le 12 août, en conférence de presse, le protégé de Washington a vertement critiqué la rapidité avec laquelle Petro a rétabli les relations diplomatiques avec le Venezuela. « Il n’aurait pas dû se rapprocher de ceux qui aujourd’hui protègent le terrorisme, favorisent les dissidents des FARC et de l’ELN, le trafic de drogue, le trafic d’armes, la traite des êtres humains, la contrebande, entre autres choses », a-t-il déclaré. Le personnage peut paraître désormais anecdotique. Qu’on ne s’y trompe pas. Il n’est pas si seul que ça. Interviewé le 7 septembre par CNN en espagnol, l’ex-président Iván Duque a déclaré que « sa grande frustration, en tant que gouvernant, est de ne pas avoir vu la chute de la dictature de Nicolás Maduro au Venezuela. » Si à court, moyen ou long terme, les ennemis de la paix avec justice sociale se mobilisent en Colombie, la droite et l’extrême droite vénézuéliennes, avec les méthodes qu’on leur connaît, participeront activement à l’offensive contre Petro.
Commission de la Vérité
Dans son Rapport préliminaire de 896 pages rendu public le 28 juin 2022, la Commission de la vérité fait la lumière sur un conflit interne long de d’un demi-siècle impliquant guérillas, paramilitaires, forces armées, civils, classe politique et puissances étrangères (essentiellement les Etats-Unis).
450 664 personnes ont été tuées entre 1985 et 2018 (elles pourraient être en réalité plus de 800 000 estime le rapport).
50 770 personnes ont été enlevées.
On a compté 121 768 disparus et 7,7 millions de déplacés.
La responsabilité des morts incombe pour 27 % aux guérillas ; 45 % aux paramilitaires ; 12 % aux forces de l’ordre. Si l’on considère les liens avérés entre militaires et paramilitaires, 57 % des victimes sont donc attribuables à l’Etat contre 27 % aux guérillas.
A ces chiffres, il convient de rajouter les 200 000 morts de la période connue sous le nom de « la Violencia » (1948-1954), postérieure à l’assassinat du leader libéral Eliécer Gaitán.
Gustavo Petro invite « les jeunes, les vieux et les vieux sages, les travailleurs, les patrons, les femmes, les Noirs, les Indigènes à participer aux cinquante dialogues régionaux contraignants. » (15 septembre 2022)
[1] En 1995, le candidat conservateur Álvaro Gómez Hurtado (Movimiento de Salvación Nacional) fut également éliminé. Un doute subsiste quant à l’appartenance politique des auteurs de cet assassinat. La responsabilité des Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) a été évoquée par un de leurs ex-commandants, l’actuel sénateur Julián Gallo (anciennement connu sous le nom de Carlos Antonio Lozada). La thèse demeure contestée, y compris par le fils de Gómez Hurtado.
[2] La Grande Colombie englobait les actuels Colombie, Venezuela, Equateur et Panamá ainsi qu’une partie du nord du Pérou et du nord-ouest du Brésil, en Amazonie. Elle avait été proclamée par le Vénézuélien Simón Bolívar en septembre 1819 à Angostura (aujourd’hui Ciudad Bolivar).
[3] Les activités de l’USAID sont étroitement coordonnées avec celles de la National Endowment for Democracy (NED), une organisation de façade créée en 1983 par Ronald Reagan pour financer en mode « moins sulfureux » les interventions non conventionnelles jusque-là du ressort de la CIA.
[4] Colombia Humana (de Gustavo Petro), Unión Patriótica (UP)-Partido Comunista (PCC), Polo Democrático Alternativo (PDA), Movimiento Alternativo Indígena y Social (MAIS), Partido del Trabajo de Colombia (PTC), Unidad Democrática (UD), Todos Somos Colombia.
[6] Le 9 décembre 2013, il a été destitué de son poste de maire et interdit de mandat politique pendant quinze ans par le très « uribiste » procureur général Alejandro Ordoñez, avant d’être rétabli dans ses fonctions le 23 avril 2014 par le Tribunal supérieur de Bogotá. Prétexte de cette destitution : Petro avait voulu déposséder des entreprises accusées de se comporter en mafia du ramassage des ordures pour transférer celui-ci à un service public.
[8] Cette présidence du Sénat sera ensuite occupée, par rotation, par d’autres forces de la coalition. Dans l’ordre : Parti vert, Parti conservateur et Parti libéral.
[9] Ministre de l’agriculture du néolibéral César Gaviria (1993) ; secrétaire exécutif de la Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes (Cepal) de 1998 à 2003 ; secrétaire général adjoint des Nations unies pour les affaires économiques et sociales (2003-2007) ; professeur à Cambridge, Yale, Oxford et Columbia.
[10] « Le changement c’est maintenant » a été le slogan de campagne de François Hollande en 2012.
[13] L’AGC trouve son origine dans les membres des Autodéfenses unies de Colombie (AUC) qui, entre 2003 et 2006, dans le cadre de la loi Justice et Paix promue par le gouvernement d’Álvaro Uribe et approuvée par le Congrès, n’ont pas voulu se soumettre au processus de démobilisation.
[20] Outre Salvatore Mancuso, les plus grands dirigeants des milices d’extrême droite ont pris le chemin des Etats-Unis qui les ont jugés pour « narcotrafic » : Rodrigo Tuvar Pupo (alias « Jorge 40 »), Diego Fernando Murillo (alias « Don Berna »), Hernán Giraldo (alias « Pablo Sevillano »), Ramiro Vanoy (alias « Cuco Vanoy »), etc.
[21] Caracol Radio, Bogotá, 25 août 2022 (première interview accordée depuis 15 ans, depuis les Etats-Unis).
[22] Fredy Rendón Herrera, Edward Cobos, Rodrigo Pérez Alzate, Manuel de Jesús Piraban, Luis Eduardo Cifuentes et Ramón Isaza.
[23] Instrument de planification et de gestion sur 15 ans, qui vise à stabiliser et à transformer les territoires des 170 municipalités les plus touchées par la violence, la pauvreté, les économies illicites et la faiblesse institutionnelle.
[26] Amnesty International a vertement critiqué le gouvernement argentin lorsque celui-ci a officiellement quitté le Groupe de Lima (inféodé à Washington) et demandé à la Procureure de la CPI, Fatou Bensouda, le retrait de toutes les mesures prises contre le Venezuela, à la demande, entre autre, du gouvernement de Mauricio Macri.
[28] Le 7 septembre, au terme d’une réunion avec le président Petro, il a été envisagé la création d’une force militaire conjointe destinée à la protection de la forêt amazonienne.
[29] Lola Allen et Guillaume Long, « Colombie : feu sur l’“ennemi intérieur” », Le Monde diplomatique, Paris, juin 2021.
Au XVe siècle, le pape partagea le continent américain entre les Espagnols et les Portugais, sans se préoccuper des Indiens qui à l’origine l’occupaient, avec leurs lois, leurs coutumes et leurs droits de propriété. Ainsi est plus ou moins née ce qu’on appelle l’« Amérique latine », ce concept imprécis qui, nous dit Christophe Ventura, « sert à distinguer deux Amériques opposées sur le même continent, une saxonne (protestante, blanche) et une latine (catholique, métisse) ». Car en effet, nul n’en ignore, est apparu ultérieurement, au nord, une sorte de géant, mélange d’idéologie et de business : les Etats-Unis.
Cet ex-« Nouveau Monde » – l’Amérique latine – occupe aujourd’hui une place importante au cœur des grands enjeux qui façonnent le XXIe siècle. Mais il est parfois mal connu du fait d’une « information » devenue assemblage de fragments juxtaposés, sans points de repère ni construction. D’où l’intérêt de l’ouvrage rédigé par Ventura, directeur de recherche à l’Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS). En quatre parties – « les Amériques latines », « Economie et sociétés », « Dynamiques sociopolitiques contemporaines », « L’Amérique latine et le monde » – et 40 fiches allant à l’essentiel, l’ouvrage cerne les défis contemporains du sous-continent. Un ensemble de 33 pays (et 43 territoires si l’on prend en compte Porto Rico ainsi que les territoires britanniques, français et néerlandais de la Caraïbe et de l’Amérique du Sud), comptant 660 millions d’habitants (dont 214 millions au Brésil et plus de 130 millions au Mexique) ainsi que des mégapoles de plus de 10 millions d’habitants (São Paulo, Ciudad de Mexico, Buenos Aires, Rio de Janeiro, Lima). Ce qui n’est pas rien.
On ne prétendra pas que tout est passé au crible dans ce livre, mais l’éventail est large, qui replace la politique, l’économie et le social de la région dans leur contexte. A commencer par l’impérialisme états-unien (même si le terme n’est pas employé), depuis la Destinée manifeste (1840), la Doctrine de Monroe (1823), l’Amendement Platt (1898), le Corollaire de Roosevelt (1904), cadres de référence encore revendiqués par Donald Trump, il n’y a pas si longtemps.
A cette mention sans doute classique, mais essentielle, s’ajoute une pléthore de sujets transversaux aussi divers que « l’arc caribéen », « 1001 langues », « les systèmes politiques », « reflux catholique et poussée évangélique », « disputes territoriales », « violence et narcotrafic », « Internet et réseaux sociaux », « la crypto-économie », « les mouvements indigènes et afro », « les femmes », « les questions LGBTQIA+ », « les mouvements populaires », etc. Ainsi découvrira-t-on qu’il existe une Agence latino-américaine de l’espace (ALCE) créée en 2020 ou que, après le cycle progressiste (1998-2008) et ses initiatives d’intégration régionale, la pauvreté et l’extrême pauvreté progressent depuis 2014 dans la région.
A la périphérie du capitalisme mondialisé, certains de ces pays, comme l’Argentine, le Brésil, le Chili ou le Mexique, « considérés comme “émergents”, prennent une part croissante dans l’économie mondiale. » Le survol effectué par Ventura permet de discerner les évolutions récentes les plus significatives, depuis l’émergence de l’Antarctique – « où le réchauffement climatique et la fonte des glaces liés aux effets du changement climatique rendent le territoire de plus en plus attractif » – jusqu’au recul historique des Etats-Unis en tant que partenaire commercial de la zone, en passant par le rôle futur de l’ Argentine, de la Bolivie et du Chili, qui abritent les plus grandes réserves de lithium du monde, ce qui (c’est nous qui l’ajoutons) en fait des cibles de premier choix pour les « rapaces » des puissances dites développées.
Comme il se doit, sont évoqués la Chine (acheteuse d’un tiers des exportations agricoles du Brésil, pour ne citer que cette donnée) l’Union européenne, la Russie (à l’heure de la guerre en Ukraine), mais aussi l’Afrique (pour des raisons historiques et culturelles, « par l’intermédiaire du funeste commerce triangulaire »), le Moyen-Orient (« dont l’Amérique latine assure 20 % des besoins alimentaires ») et l’Inde (« avec qui les relations commerciales se multiplient »).
« L’Amérique latine contribuera-t-elle à l’émergence progressive d’un monde plus multipolaire et sera-t-elle capable de peser dans la définition des nouveaux (des)équilibres mondiaux du XXIe siècle ? », interroge l’auteur, dans sa conclusion. Nul n’a sans doute la réponse. Mais, illustré de cartes, de graphiques et de tableaux, cet ensemble permettra aux étudiants et aux curieux d’acquérir les données de base permettant de mieux comprendre, en la replaçant dans son contexte, l’actualité immédiate quotidiennement distillée par les médias.
En tant que lecteur exigeant, on peut regretter que l’ouvrage ne soit pas doté d’une fiche par pays, ce qui le rendrait complet. Mais, à l’évidence, il s’inscrit dans une collection – « Géopolitique » – qui lui impose un format, une maquette (particulièrement élégante) et une pagination préétablie. On se ralliera donc sans réserves excessives au choix de la transversalité. En revanche, une « monstruosité » est demeurée malgré le soin évident apporté à la préparation de cet ensemble. Dans le chapitre « Passions sportives », sont mentionnés les champions Juan Manuel Fangio et Ayrton Senna (automobile), Carlos Monzón, Julio César Chávez et Juan Manuel Márquez (boxe), Luis Herrera, Nairo Quintana et Egan Bernal (cyclisme), les stars du baseball, mais, nulle part, absolument nulle part, ne figurent Edson Arantes do Nascimento, dit « Pelé », et Diego Maradona. Un oubli absolument impardonnable, à corriger dans une prochaine édition.
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Favoriser l'expression des idées de transformation sociale du parti communiste.
Entretenir la mémoire des débats et des luttes de la gauche sociale.
Communiquer avec les habitants de la région de Morlaix.