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13 août 2023 7 13 /08 /août /2023 08:11
Rimbaud par Ernest Pignon Ernest

Rimbaud par Ernest Pignon Ernest

Arthur Rimbaud et Paul Verlaine : Une saison en enfer, je t’aime moi non plus

La relation entre Arthur Rimbaud et Paul Verlaine, deux des plus grands poètes de la littérature française, fut autant passionnée que tumultueuse, dans une période de l’Histoire qui ne l’était pas moins, marquée par la Commune de Paris.

Publié le
Mercredi 9 août 2023

Début septembre 1871. « Venez chère grande âme, on vous attend à Paris. »  Arthur Rimbaud, depuis Charleville, a déjà écrit à deux reprises à Paul Verlaine. Il n’a pas 17 ans. Il lui exprime son admiration et joint à son envoi plusieurs de ses poèmes. Les Effarés, Accroupissements, le Cœur volé, les Assis… Il lui envoie une seconde lettre quelques jours après : « J’ai fait le projet de faire un grand poème et je ne peux travailler à Charleville. Je suis empêché de venir à Paris étant sans ressources. Ma mère est veuve et extrêmement dévote »…

Paul Verlaine lui a envoyé une première réponse, assez énigmatique : « J’ai comme un relent de votre lycanthropie (…) vous êtes prodigieusement armé en guerre. » La lycanthropie est l’aptitude à se transformer en loup-garou les nuits de pleine lune. Le jeune poète est déjà allé à Paris, en vagabond, du 19 avril au 3 mai. La Commune n’est pas encore tombée, mais sa chute lui inspirera les Mains de Jeanne-Marie, en hommage aux femmes de la Commune enchaînées , « Elles ont pâli, merveilleuses, au grand soleil d’amour chargé, sur le bronze des mitrailleuses à travers Paris insurgé ». De retour à Charleville, il parle à son ancien professeur Georges Izambard des colères folles qui le poussent vers « la bataille de Paris où tant de travailleurs meurent encore tandis que je vous écris »…

Paul Verlaine, qui l’appelle à venir à Paris, est son aîné de dix ans et déjà un poète reconnu. Il s’est marié quelques mois plus tôt avec Mathilde Mauté, 17 ans, d’une famille aisée et cultivée. Louise Michel est une intime, présente à la cérémonie. La jeune femme est rapidement enceinte. Verlaine est nommé au bureau de presse de la Commune où il rédige ses communiqués. C’est dans cette famille qu’arrive Rimbaud, génial mais mal dégrossi. Bien qu’il n’y reste qu’une vingtaine de jours, il est déjà devenu un sujet de conflit dans le couple dont le bébé, Georges, naît le 30 octobre. Verlaine est souvent ivre, violent. Dès la mi-novembre, la nature de ses relations avec Rimbaud, qui repart cependant quelque temps à Charleville, semble avérée.

Les retrouvailles 

Le 2 avril, Verlaine, qui pense avoir renoué avec Mathilde après une séparation, écrit à Rimbaud. « C’est ça, aime-moi, protège et donne confiance (…) Mais quand diable commencerons-nous ce chemin de croix, – hein ? » Réponse de Rimbaud : « Quand vous me verrez positivement manger de la merde, alors seulement vous ne trouverez plus que je coûte cher à nourrir. » Verlaine : « Ne jamais te croire lâché par moi. » En mai, il prépare son retour à Paris : « Dès ton retour m’empoigner de suite. » Il écrit « prudences ! » avant de lui donner des conseils, « faire en sorte, au moins quelque temps d’être moins terrible d’aspect qu’avant : linge, cirage, peignage, petites mines »…

Il espère apaiser le climat avec sa femme. Mais quelques jours après son ­retour, Mathilde comprend, le couple éclate de nouveau. Début juillet, les deux poètes partent ensemble. En septembre, ils sont à Londres où ils retrouvent les communards en exil. Ils se séparent à deux reprises, Rimbaud retournant en France, mais leur relation reste au beau. Verlaine, le 18 mai : « Frérot, j’ai bien des choses à te dire (…) tu seras content de ta vieille truie (…) je suis ton old cunt ever open ou opened, je n’ai pas là mes verbes irréguliers. » C’est cru. On peut au choix traduire cunt par con, chatte, salope…

Verlaine tire sur Rimbaud et le blesse

Mais en juillet, le ton change. Verlaine veut retrouver Mathilde et leur fils. « Tu dois au fond comprendre, enfin, qu’il me fallait absolument partir, que cette vie violente et toute de scènes sans motif que ta fantaisie ne pouvait m’aller foutre plus. Seulement, comme je t’aimais intensément (Honni soit qui mal y pense), je tiens aussi à te confirmer que si d’ici à trois jours je ne suis pas avec ma femme, dans des conditions parfaites, je me brûle la gueule (…) nous ne nous reverrons plus en tout cas. » Rimbaud, qui lui a envoyé une lettre presque en même temps, lui demande à l’évidence d’oublier une scène – « Oui, c’est moi qui ai eu tort. » À la réception, le lendemain, de la lettre de rupture, il ironise : « Quant à claquer je te connais, tu vas donc, en attendant ta femme et ta mort te démener, errer, ennuyer des gens (…) crois-tu que ta vie sera plus agréable avec d’autres que moi : Réfléchis-y ! - Ah ! Certes non ! »

Le 7 juillet, il lui écrit encore. « Sois sûr de moi, j’aurai très bon caractère. À toi. Je t’attends. Rimb. » Trois jours plus tard, à Bruxelles, c’est Verlaine qui tire sur lui et le blesse. Il sera condamné à deux ans de prison pour son acte et pour pédérastie, quand bien même Rimbaud a retiré sa plainte.

À sa sortie de prison, en janvier 1875, il revoit brièvement Rimbaud qui lui aurait alors remis le manuscrit des Illuminations. En décembre de la même année, il lui adresse une longue lettre qui sera la dernière : « Je te voudrais tant éclairé, réfléchissant. Ce m’est un si grand chagrin de te voir en des voies idiotes, toi si intelligent »

Au Harar, le patron de l’entreprise où Rimbaud travaille à partir de 1880 a eu vent de qui était son employé. Quand il l’interroge sur sa vie parisienne, il répond : « J’ai assez connu ces oiseaux-là. » Il écrit à sa mère qu’il voudrait gagner assez d’argent pour rentrer au pays et trouver une gentille fille qui voudrait bien l’épouser. Il meurt de la gangrène à Marseille, le 10 novembre 1891. Il a dit à sa sœur Isabelle, qui est venue près de lui : « J’irai sous la terre et toi tu marcheras dans le soleil. » Verlaine, alcoolique, presque clochardisé, finit ses jours avec sa compagne Eugénie Krantz pour qui il écrit certains de ses poèmes les plus sensibles. Il meurt le 8 janvier 1896 avec le titre de Prince des poètes décerné par ses pairs. Son dernier poème, Mort, paraît ce même mois : « Les armes ont tu leurs ordres en attendant de vibrer à nouveau dans des mains admirables »… 

Les grandes correspondances 

« Rimbaud, 4 juillet 1873

Reviens, reviens, cher ami, seul ami, reviens. Je te jure que je serai bon. Si j’étais maussade avec toi, c’est une plaisanterie où je me suis entêté, je m’en repens plus qu’on ne peut dire. Reviens, ce sera bien oublié. Quel malheur que tu aies cru à cette plaisanterie. Voilà deux jours que je ne cesse de pleurer. Reviens. Sois courageux cher ami. Rien n’est perdu. Tu n’as qu’à refaire le voyage. Nous revivrons ici bien courageusement, patiemment. Ah je t’en supplie. C’est ton bien d’ailleurs. Reviens, tu retrouveras toutes tes affaires. J’espère que tu sais bien à présent qu’il n’y avait rien de vrai dans notre discussion. L’affreux moment ! Mais toi, quand je te faisais signe de quitter le bateau, pourquoi ne venais-tu pas ? Nous avons vécu deux ans ensemble pour arriver à cette heure-là ! Que vas-tu faire. Si tu ne veux pas revenir ici, veux-tu que j’aille te trouver où tu es ? (…) Sois courageux. Réponds-moi vite. Je ne puis rester ici plus longtemps. N’écoute que ton bon cœur. Vite, dis si je dois te rejoindre. À toi toute la vie. »

« Verlaine, mai 1872

Cher Rimbe bien gentil, je t’accuse réception du crédit sollicité et accordé, avec mille grâces, et (je suis follement heureux d’en être presque sûr) sans remise cette fois. Donc à samedi, vers 7 heures toujours n’est-ce pas ? D’ailleurs, avoir marge, et moi envoyer sous en temps opportun.

En attendant, toutes lettres martyriques chez ma mère, toutes lettres touchant les revoir, prudences, etc... chez M. L. Forain, 17, quai d’Anjou, Hôtel Lauzun, Paris, Seine (pr M. P Verlaine).

Demain, j’espère pouvoir te dire qu’enfin j’ai l’Emploi (secrétaire d’assurances).

Pas vu Gavroche hier bien que rendez-vous. Je t’écris ceci au Cluny (3 heures), en l’attendant. Nous manigançons contre quelqu’un que tu sauras de badines vinginces. Dès ton retour, pour peu que ça puisse t’amuser, auront lieu des choses tigresques. Il s’agit d’un monsieur qui n’a pas été sans influence dans tes 3 mois d’Ardennes et mes 6 mois de merde. Tu verras, quoi. »

Arthur Rimbaud et Paul Verlaine : Une saison en enfer, je t’aime moi non plus - Maurice Ulrich, L'Humanité, 9 août 2023
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