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25 novembre 2016 5 25 /11 /novembre /2016 20:28
Paul Lafargue

Paul Lafargue

Paul Lafargue, mort le 26 novembre 1911, il y a 105 ans. Et toujours actuel! 

Lu sur la page Facebook de Robert Clément, notre camarade du PCF parisien. 

A lire ou relire aussi, par Ismaël Dupont, un article du 15 février 2015: 

Macron te donne mal à la tête: relis Paul Lafargue et Le Droit à la Paresse


Paul Lafargue, résistant, rebelle, polémiste, gendre de Marx, député, en fuite en Espagne, en exil à Londres, suicidé volontaire avec sa femme Laura... La vie de l’auteur du Droit à la paresse est un vrai roman.


« PAUL LAFARGUE (1842-1911) Pas de dieu, mais un maître…"

un article de Frédéric Sugnot publié dans l’Humanité du 8 septembre 2011
 

« Sain de corps et d’esprit, je me tue avant que l’impitoyable vieillesse (…) me dépouille de mes forces physiques et intellectuelles, ne paralyse mon énergie et ne brise ma volonté (…) »
 

Ces quelques lignes que vous venez de parcourir sont écrites par Paul Lafargue, suicidé volontaire dans la nuit du 25 au 26 novembre 1911, dont l’histoire façon fiche Wikipédia a retenu qu’il était le gendre de Karl Marx et l’auteur du Droit à la paresse.

Lafargue a presque soixante-dix ans lorsqu’il se donne la mort quasiment en même temps que son épouse Laura Marx, fille de Karl, mais surtout inlassable compagne de cinquante années d’une vie agitée, et ce n’est pas qu’une formule. Une simple injection d’acide cyanhydrique suffira à les envoyer à tout jamais au cimetière du Père-Lachaise.

Au columbarium d’abord, avant que leurs cendres ne soient déplacées dans le carré des « politiques » face au mur des Fédérés.

Là même où, le 28 mai 1871, le pouvoir versaillais de Thiers fusilla les 147 derniers communards de Paris.

Quarante ans plus tard, c’est au Père-Lachaise toujours que souffle la voix de Jean Jaurès, directeur politique de l’Humanité, le 3 décembre 1911, jour des obsèques des époux Lafargue. Jaurès, rapporte le lendemain l’Huma, « commence d’une voix qui vibre dans l’air et atteint les plus éloignés des auditeurs ».

Près de 20 000 personnes sont venues suivre des funérailles où se pressent le ban et l’arrière-ban du socialisme européen au cœur d’un « abominable temps d’hiver, morne, noir ». À les lire un siècle plus tard, les paroles de Jaurès semblent réchauffer l’atmosphère. Ecoutons-le d’un trait tisser le souvenir de Paul Lafargue :

« Il était convaincu que par l’organisation du travail, grâce au progrès de la science appliquée au travail, la surabondance des produits permettrait d’effacer la limite des égoïsmes misérables et que tous les hommes pourraient alors jouir ensemble de tous les bienfaits de la nature en les dominant. »

Cette pensée généreuse naît, loin des frimas de décembre du Père-Lachaise, couvée par le soleil de la mer des Caraïbes.

Pablo Lafargue voit en effet le jour le 15 janvier 1842 à Santiago de Cuba. L’héritage de son grand-père Jean Lafargue parti s’établir comme planteur à Saint-Domingue vers 1780. La suite de l’histoire familiale donnera au jeune Pablo des ascendances indiennes, juives et mulâtre. L’un dans l’autre, tout cela fait de Paul Lafargue un métis – il le revendiquera – « fils » de trois peuples opprimés. C’est, si l’on doit faire de la psychologie de bazar, ce qui donnera peut-être au jeune Paul, revenu en France à l’âge de neuf ans, son don du combat.

En tout cas, c’est dans le Quartier latin à Paris où il s’inscrit en médecine en novembre 1861 qu’il commence à l’exprimer, fréquentant les organisations socialistes. En octobre 1865, lors du premier congrès international d’étudiants à Liège, il obtient son label d’agitateur en même temps qu’une fiche de police en proclamant à la tribune du congrès :

« Guerre à dieu, là est le progrès. »

Sur ce, en guise de cadeau de Noël, le 26 décembre 1865, le très martial conseil impérial de l’éducation publique exclut Lafargue à vie de l’université de Paris et pour deux ans de toute université française. Motifs : attaque des principes de l’ordre social et profanation du drapeau national. Lafargue ira donc continuer sa médecine à Londres. De l’autre côté de la Manche, va commencer sa carrière au « chevet » du mouvement ouvrier.

En février 1865, à Londres toujours, il présente au conseil général de l’Internationale un rapport sur la situation du mouvement ouvrier à Paris. Il fait également la connaissance de Karl Marx. Rencontre décisive : il épouse les idées du père et prendra pour femme une de ses filles, Laura.

« De toute ma vie, racontera-t-il plus tard, je n’oublierai l’impression que fit sur moi cette première rencontre. Marx était souffrant et travaillait au premier volume du Capital (…). Il craignait de ne pouvoir mener son œuvre à bonne fin et accueillait toujours les jeunes avec sympathie, car, disait-il, “il faut que je prépare ceux qui, après moi, continueront la propagande communiste”. »

Sa voie est tracée, ce sera celle de son maître. Pas toujours bien comprise, ni récompensée. En attendant, ils reviennent en France en 1868. La maison de Paul et Laura Lafargue à Levallois est réquisitionnée lorsque la guerre éclate en 1870. Elle est située sur la zone de tir des fortifs… Le couple se réfugie donc à Bordeaux, dans la famille de Paul où il continue de diffuser les circulaires de l’Association internationale du travail rédigées par Marx, et prend la défense de la Commune de Paris, s’activant pour l’étendre en province.

Après un court voyage à Paris en avril 1871, Paul revient enthousiaste à Bordeaux : « Paris devient invincible », écrit-il à Marx.

La Commune tombera pourtant un mois plus tard.

Elle restera l’horizon indépassable de Lafargue, ce qu’il résume ainsi en 1884 (cf. le Matérialisme économique de Karl Marx) : « La classe inférieure ne peut effectuer son émancipation qu’en détruisant la force intellectuelle et la force brutale de la classe régnante ; qu’en faisant précéder la lutte à main armée par une campagne théorique préparatoire. » Dans la pratique, à Bordeaux, son rôle d’agent de la Commune n’a pas échappé à la police. Elle lui file le train.

Le rapport sur Lafargue du premier président de la cour de Bordeaux, le 20 août 1871, n’est pas que burlesque : « On le voit parler et agir publiquement dans les élections municipales au nom de ces co-affiliés dont il est un des candidats. Jusque dans sa famille enfin, il fait trembler sa vieille mère sous la menace de ses doctrines. » Il est temps pour les Lafargue de fuir vers l’Espagne. Une péripétie dans l’existence de Paul et Laura, tellement intense qu’ils l’écourteront quarante ans plus tard. Ils usent là de leur droit au repos éternel. De toute façon, Paul, éphémère député de Lille (1889-1893), est déjà passé à la postérité pour son Droit à la paresse, pamphlet contre le travail publié en 1880.

Un programme précurseur que nous faisons nôtre pour conclure ce travail d’écriture : « Il faut que le prolétariat (…) retourne à ses instincts naturels, qu’il proclame les droits de la paresse, mille et mille fois plus nobles et plus sacrés que les phtisiques droits de l’homme, concoctés par les avocats métaphysiciens de la révolution bourgeoise ; qu’il se contraigne à ne travailler que trois heures par jour, à fainéanter et bombancer le reste de la journée et de la nuit. »

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23 novembre 2016 3 23 /11 /novembre /2016 15:47
Pour que la Bretagne devienne une terre de bonheur dans une France démocratique (diagnostic de territoire et projet du PCF Bretagne en 1964)
Pour que la Bretagne devienne une terre de bonheur dans une France démocratique (diagnostic de territoire et projet du PCF Bretagne en 1964)

... Les fédérations de Bretagne du Parti Communiste Français s'adressent à la population bretonne. 

Sous l'égide de la mémoire de Marcel Cachin, grand patriote breton, grande figure du Parti Communiste Français. 

On est en 1964, la brochure pédagogique de 30 pages, imprimée à l'Imprimerie Commerciale de Rennes, largement diffusée, coûte 0,20 centimes.

Le plan est simple et efficace:     

1. Ce n'est pas d'aujourd'hui...

Que la Bretagne est une région sous-développée. Ce "sous-développement de la Bretagne ne trouve pas non plus une explication satisfaisante dans la méconnaissance qui existerait à Paris des problèmes de notre province ou dans un mépris particulier pour les Bretons". C'est une résultante du régime capitaliste: "En régime capitaliste, les ressources nationales ne sont point exploitées en vue du bonheur des hommes. Une chose commande tout: le profit maximum pour les grosses sociétés qui détenant, directement ou indirectement, les principales richesses du pays, ont en main le pouvoir politique, pouvoir dont elles se servent uniquement pour satisfaire leurs intérêts privés. Si une région ne paraît pas à ces grosses sociétés susceptible de leur procurer des bénéfices rapides et massifs, on la délaisse".  

La situation de décrochage de la Bretagne s'aggrave

Les travailleurs bretons subissent un appauvrissement comme d'autres travailleurs français. Le revenu individuel moyen en Bretagne représente 66% du revenu moyen français contre 68,7% en 1958. "Les quelques implantations industrielles qui ont été opérées dans notre presqu'île sont loin de compenser une désindustrialisation constante qui fait qu'en ce moment, tous les ans, 20.000 bretons et bretonnes quittent les quatre départements "de la région de programme": Morbihan, Finistère, Côtes-du-Nord, Ille-et-Vilaine. En 1896, il y avait 201.000 personnes employées dans l'industrie; ce chiffre était tombé à 139.000 en 1954; en 1962, il n'y en avait plus que 128.000".  

Halte au mirage des délocalisations industrielles en Bretagne (pour profiter de l'aubaine d'une main d'oeuvre bon marché): "Ce serait une immense et dangereuse illusion de croire qu'on peut, sous l'actuel régime, résorber le chômage en Bretagne par des implantations. Le gros patronat a besoin d'une main-d'oeuvre bon marché; cela suppose une main-d'oeuvre surabondante. Les demandeurs d'emploi ont augmenté de près d'un tiers entre 1957 et 1962. Nous sommes favorables aux implantations dans la mesure où elles sont faites pour l'homme et non pour le capital; mais nous croyons qu'une industrialisation véritable devrait s'appuyer essentiellement sur les ressources naturelles de la région. Une telle industrialisation créerait de très nombreux emplois. D'autre part, une mesure générale de réduction de la semaine de travail, sans diminution des salaires, réduction demandée par tous les syndicats ouvriers irait dans le même sens. Aujourd'hui, la semaine de travail en Bretagne oscille entre 48 et 60 heures!". 

2.  La Bretagne est-elle un pays pauvre? 

Momentanément oui, essentiellement non, car les ressources et les potentialités existent: la Bretagne peut se développer énergétiquement, grâce à l'accès à des sources d'énergie (énergie marine, barrages, charbons bon marché acheminé dans les ports, utilisation de l'uranium). La Bretagne peut sauver ses forges d'Hennebont que le pouvoir gaulliste veut liquider. La Bretagne peut développer ses arsenaux, ses carrières de granit et d'ardoise, reconvertir les arsenaux militaires en arsenaux de marine marchande ou de pêche, lutter contre la tendance de notre commerce maritime à se faire sous pavillon étranger, développer l'industrie de transformation agricole, l'industrie alimentaire. Pour développer ces activités économiques, il faut aussi des moyens de transports appropriés: "dans ce domaine, on peut dire que notre province est la plus sous-équipée du pays". L'urgence est aussi de maintenir des prix agricoles rémunérateurs pour nos agriculteurs, pour cela, il faut aussi que les ouvriers soient payés suffisamment pour acheter à leur juste prix les produits agricoles. Cela suppose donc toute à la fois une lutte contre le dumping du Marché commun et une augmentation du SMIG. Contrairement aux préconisations du CELIB et du pouvoir gaulliste, il faut protéger les exploitations agricoles familiales, les petites exploitations agricoles et ne pas tout miser sur les gains de productivité dus à l'agrandissement, au progrès technique, au remembrement. Il faut développer au maximum les coopérations paysannes, les coopératives.  Dans le monde de la pêche, il faut défendre la pêche artisanale, contre les logiques de concentration capitaliste au main de grands armateurs, lutter contre les importations intempestives et la mise en concurrence, développer les installations des ports. 

Dans le domaine social 

Les efforts à accomplir sont immenses. Accès à l'électricité, accès au confort moderne (13% des maisons bretonnes sont équipées de W.C; 7% de lavabos et de douches, un poste de radio pour 10 habitants). 

Il faut développer l'enseignement agricole, la formation professionnelle, liquider la ségrégation sociale dans l'accès aux études, rapprocher la recherche scientifique de la vie, développer les infrastructures sportives. 

3. Comment faire...   

"Si dans cette bataille pour notre Bretagne on jetait l'exclusive contre une fraction démocratique quelconque, nous affaiblirions les forces qui, dans l'union, peuvent être victorieuses. Seule l'union peut assurer la victoire. L'union des communistes, des socialistes, des catholiques, de tous les démocrates. L'union de tous les travailleurs bretons, ouvriers, paysans, intellectuels, artisans, commerçants, marins-pêcheurs et tous ceux qui vivent de la mer. L'union de toutes les générations. Cette union est possible parce que des Bretons, de plus en plus nombreux, et des milieux les plus divers, comprennent que c'est la condition fondamentale de la surviev de notre région". 

Suit un exposé du programme national du PCF contre le pouvoir personnel, les institutions de la Ve République, pour l'élection d'une Nouvelle Assemblée Constituante, la proportionnelle à toutes les élections, l'épuration de l'Etat et de la police de ses éléments fascistes, le respect de la laïcité, l'extension des libertés communales, les nationalisations, la généralisation de la Sécurité Sociale pour ceux qui ont d'autres régimes, une réforme fiscale démocratique et égalitaire, une construction massive de logements. 

4. Ce qui est possible tout de suite, tous ensemble.    

I. Sauver les forges d'Hennebont 

II. Sauver les arsenaux

III. Moderniser le réseau ferroviaire et de transports breton

IV. Défendre l'agriculture bretonne en permettant aux produits agricoles de s'écouler à un juste prix, en protégeant les agriculteurs des calamités agricoles. 

V. Appeler les Bretons à lutter pour la Paix et le Désarmement, la réduction du budget de la guerre.

 

La conclusion est belle, optimiste, pragmatique:

"Nous avons voulu, dans ce court document, exposer devant nos frères bretons notre opinion sur l'essentiel. Nous approfondirons les problèmes dans notre presse et nos revues. Notre programme breton non plus, n'est pas à prendre ou à laisser.

Nous croyons qu'il est sérieux, réaliste, mais un programme commun d'action ne peut être élaboré que par tous ceux qui sont décidés à agir ensemble, après une discussion fraternelle et approfondie. 

En conclusion, formulons un dernier voeu: Souhaitons de tout notre coeur que les volontés engerbées de tous les démocrates bretons donnent un démenti, parce que les temps l'exigent, au chant dont nous berçaient nos pères: "Kousk, Breiz Izel...", "Dors, Bretagne"...     

 

 

  

 

 

   

Pour que la Bretagne devienne une terre de bonheur dans une France démocratique (diagnostic de territoire et projet du PCF Bretagne en 1964)
Pour que la Bretagne devienne une terre de bonheur dans une France démocratique (diagnostic de territoire et projet du PCF Bretagne en 1964)
Pour que la Bretagne devienne une terre de bonheur dans une France démocratique (diagnostic de territoire et projet du PCF Bretagne en 1964)
Pour que la Bretagne devienne une terre de bonheur dans une France démocratique (diagnostic de territoire et projet du PCF Bretagne en 1964)
Pour que la Bretagne devienne une terre de bonheur dans une France démocratique (diagnostic de territoire et projet du PCF Bretagne en 1964)
Pour que la Bretagne devienne une terre de bonheur dans une France démocratique (diagnostic de territoire et projet du PCF Bretagne en 1964)
Pour que la Bretagne devienne une terre de bonheur dans une France démocratique (diagnostic de territoire et projet du PCF Bretagne en 1964)
Pour que la Bretagne devienne une terre de bonheur dans une France démocratique (diagnostic de territoire et projet du PCF Bretagne en 1964)
Pour que la Bretagne devienne une terre de bonheur dans une France démocratique (diagnostic de territoire et projet du PCF Bretagne en 1964)
Pour que la Bretagne devienne une terre de bonheur dans une France démocratique (diagnostic de territoire et projet du PCF Bretagne en 1964)
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Pour que la Bretagne devienne une terre de bonheur dans une France démocratique (diagnostic de territoire et projet du PCF Bretagne en 1964)
Pour que la Bretagne devienne une terre de bonheur dans une France démocratique (diagnostic de territoire et projet du PCF Bretagne en 1964)
Pour que la Bretagne devienne une terre de bonheur dans une France démocratique (diagnostic de territoire et projet du PCF Bretagne en 1964)
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23 novembre 2016 3 23 /11 /novembre /2016 11:12
Gracchus Bafeuf

Gracchus Bafeuf

Gracchus Babeuf, né le 23 novembre 1760
lu sur la page Facebook de Robert Clément


Gracchus Babeuf par Claude Mazauric dans l'Humanité

 

1760-1797.

Il appartient à la catégorie des penseurs de la réorganisation de la société fondée sur la remise en cause du "droit de propriété". Il est considéré comme le premier protagoniste du communisme contemporain.

Vous souvenez-vous de ce film britannique qui évoquait la vie du chancelier d'Angleterre, Thomas Morus, l'ami et l'hôte d'Érasme, l'immortel auteur de l'Utopie, un film auquel avait été donné ce beau titre : Un homme pour l'éternité ?

C'est en pensant à ce film que m'est venu à l'esprit le désir, à mon tour, de situer Babeuf dans l'infinie durée où s'exprime la gratitude à l'égard de ceux qui ont combattu pour l'émancipation humaine.
De quoi donc, le dénommé François-Noël Babeuf, plus connu sous le prénom de « Gracchus», né picard en 1760, devenu parisien après 1789, condamné à mort à l'âge de trente-sept ans en 1797, est-il devenu, depuis deux cent douze ans, le symptôme ou l'incarnation, le symbole ou l'annonce, voire le manifeste toujours vivant ?

Doit-on le tenir pour le prophète exalté d'une sorte de « communisme » inter-âges qui occuperait une sorte d'à-côté, en parallèle à la grande histoire, celui des idées et des utopies sociales, de Platon à Lénine, vaste champ où se seraient illustrés entre autres, Thomas Morus, Campanella, Morelly (qu'on tenait pour être en réalité Denis Diderot car on ne prête qu'aux riches !), Étienne Cabet, William Morris et tant d'autres ? Pourquoi pas : Babeuf occupe effectivement sa place, qui est majeure, dans cette lignée-là et son nom s'inscrit à l'évidence, dans la suite des grands penseurs de l'inévitable réorganisation des sociétés, fondée sur la remise en question du fameux « droit de propriété » dont l'effet sera toujours d'établir l'inégalité entre les humains, comme le constatait tout simplement en 1777 un procureur du roi de Nantes qui déclarait qu'en vertu du « droit naturel », « celui qui est payé est subordonné à celui qui paie ».

Pourtant, Babeuf lui-même n'a jamais usé de l'énoncé « communisme » pour dire ses « rêves » (sic) ou préciser son projet ; sans doute, n'ignorait-il pas le mot qui était déjà en usage plus ou moins restreint, ici ou là. Mais il lui préféra des expressions plus concrètes, plus en harmonie avec les aspirations populaires que la Révolution avaient promues en formules de rassemblement politique : « bonheur commun », « égalité réelle » ou « parfaite », « communauté des biens et des travaux » ou « propriété commune » ; il préconisait l'

« association entière », exigeait l' « administration commune » au service des « co-associés », etc. Car Babeuf ne rêva pas seulement de transformer la société en en proposant le modèle théorique : il entreprit de s'y consacrer pratiquement et c'est bien ici, dans ce choix, que se montre son inépuisable originalité. Découvrant les immenses possibilités que recélait l'invention de la démocratie politique, laquelle fit irruption dans l'histoire des hommes avec la Révolution française, il n'eut de cesse de se servir du levier de la « politique », pour tenter de produire du réel à partir de l'idéel.

À cette fin, dès le mois de juillet 1789, il chercha à utiliser tous les leviers, ceux de l'information, celui de l'invention d'un mode d'écriture, de publication et de discours, l'art de semer l'agitation dans la foule, de favoriser la mobilisation des « frères », des « amis », et de tous les « autres » si possible, pour faire élire les plus déterminés aux postes clés et contraindre le gouvernement, bientôt celui de la République, à transformer l'ordre social à seule fin de fonder sur la valeur de « fraternité » les rapports entre des individus humains, devenant libres, oui « libres », parce qu' « égaux ».

En vérité, ce sont ses disciples posthumes, entre 1830 et 1840, qui ont fini par appeler « communisme » le corps de doctrine que Babeuf, avec ses amis les « Égaux », avait élaboré dans l'urgence et la chaleur des affrontements qui suivirent l'effondrement accéléré, après le 9 thermidor, du gouvernement révolutionnaire de l'an 2 de la première République. En quoi, ils ont fait de Babeuf le premier protagoniste du combat communiste contemporain pour l'égalité et le libre développement de chacune et chacun, condition première du « bonheur commun ».Vous ferais-je confidence ? C'est en 1958, à l'instigation d'Albert Soboul, que je suis entré dans l'univers de Babeuf dont je ne connaissais que quelques textes lus rapidement dans l'anthologie alors publiée dans la collection « les Classiques du peuple » par Claude et Germaine Willard. Cette découverte a réorienté mon existence. Depuis plus d'un demi-siècle : je ne me suis jamais éloigné de Babeuf, non pour me retrancher de l'actualité du monde mais au contraire pour mieux m'y impliquer.

Aujourd'hui, il est de bon ton de renoncer aux héritages culturels et de tenir pour vieilleries dépassées ce pour quoi nos pères et mères et nos frères d'espérance, naguère, ont combattu. Tel politicien ambitieux, maire périparisien d'une ville qui n'existait pas à l'époque de Babeuf et de surcroît « député », trouve un air dépassé au « socialisme » qui, selon lui, ferait très « dix-neuvième siècle » et propose aux siens de s'en affranchir ; tels autres, très proches de moi, assommés (on les comprend) par le rude et inacceptable échec des entreprises historiques issues de la révolution russe d'octobre 1917, du mot « communisme » dont on pensait qu'il en incarnait la substance, voudraient en faire abstraction.

On y renoncerait : dans la communication politique naturellement, mais aussi dans la programmation affichée d'une transformation sociale dont les prémisses apparaissent dans le cours même des luttes populaires, et même dans l'imaginaire des protagonistes. Billevesées que tout cela ! L'histoire, toute l'histoire est en nous, en chacune et chacun, et en nous tous collectivement : renoncer à s'inscrire dans son histoire, c'est renoncer à soi-même. En prolongeant le meilleur des ambitions émancipatrices venues du plus loin, et sans rien ignorer des étroitesses de naguère, des impasses et des échecs, des errements, des malfaçons et des crimes, c'est alors qu'on dégage le plus clair des horizons.

Revenons à Babeuf. François-Noël, son prénom de baptême, paraissait à ses yeux, symbole de soumission à la longue histoire de l' « Ancien Régime » cléricalo-monarchique. Comme d'autres révolutionnaires de son temps, il décida donc de s' « impatroniser » (sic) autrement. Le 5 octobre 1794, donnant le titre de Tribun du peuple au journal qu'il venait de fonder, comme étant, selon lui, la « dénomination la plus équivalente à celle d'ami ou de défenseur du peuple », Babeuf choisit simultanément de se prénommer « Gracchus ». Il justifia son choix par l'hommage qu'il voulait rendre aux Gracques, les fameux tribuns du peuple qui avaient voulu, de 133 à 121 avant Jésus-Christ, distribuer les terres du « domaine public » aux citoyens pauvres et accorder à tous les Latins la citoyenneté romaine. Babeuf s'en explique devant les lecteurs de son journal : « Je justifierai aussi mon prénom. J'ai eu pour but moral, en prenant pour patrons les plus honnêtes gens à mon avis de la République romaine, puisque c'est eux qui voulurent le plus fortement le bonheur commun ; j'ai eu pour but, dis-je, de faire pressentir que je voudrais aussi fortement qu'eux ce bonheur, quoiqu'avec des moyens différents. »
Entendons le sens des mots de Babeuf. Un « but moral » : que serait en effet la politique sans la morale ? Posture, cynisme, hypocrisie... « Les plus honnêtes gens de la République romaine » : s'inscrire dans la continuité du combat historique, même soldé d'un échec retentissant en son temps, pour l'émancipation humaine...

Mais avec « des moyens différents » : contemporain du siècle des Lumières, Babeuf met la question de la révolution sociale à l'ordre du jour de son temps, lequel se situe à l'orée du nôtre.
Oui, convoquons notre Babeuf d'hier, pour le présent et pour l'avenir...

Ce qui veut dire l'éternité" !

Claude Mazauric

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20 novembre 2016 7 20 /11 /novembre /2016 10:32

La fête organisée par le P.C.F., à Pont-L'abbé, le 7 août 1938. Après une rapide évocation de la préhistoire et de l'histoire de la Bretagne illustrée d'images de menhirs et de dolmens, d'églises et de paysages Bretons, Marcel Cachin, en voix off, commente la préparation et le déroulement de la fête du parti communiste dans la capitale du pays bigouden : passage d'une camionnette de l'Humanité sur le port de Lesconil, manifestation et défilé folklorique dans les rues de Pont-l'abbé, démonstration de danses et de chants et, in fine, allocutions politiques. 
Après la brève intervention du secrétaire de la région Bretagne du parti communiste (Alain Signor), Marcel Cachin, président des Bretons émancipés, appelle au renforcement des acquis du Front populaire et conclut par une défense de la culture et de la langue bretonne. 
Breiz Nevez illustre avec force les solides implantations - très localisées - du parti communiste en Bretagne, ainsi que sa politique culturelle sous le Front populaire, politique syncrétique, à la fois régionale et nationale. 
Les plans sur la camionnette de l'Humanité furent interdits par la censure.

Générique : «Les Films Populaires présentent / Breiz Nevez (Bretagne Nouvelle) / avec la participation de la chorale Labour ha Kan des Bretons émancipés/ du bard Milbeo (soliste) et de la Kenvreuriez Ar Viniouerien Vrezon / commentaire de Marcel Cachin, Directeur de l'Humanité / réalisé par l'équipe technique de la société "La Marseillaise"». 
Musique : l'Internationale (en Breton). Les autres chants bretons (d'inspiration galloise, folklorique ou religieuse) sont sans connotation politique. 
Avec la participation de : la chorale Labour Hakan, des Bretons émancipés (qui chantent l'internationale dans leur langue), du bard Milbeo et de la Keuvreuriez Ar Vinioucrin Vrezon. 
Commentaire : Marcel Cachin, directeur de l'Humanité. 
Lieux et monuments : Lesconil, Concarneau, Pont-Labbé, une chapelle du pays bigouden décapitée suite à la révolte des Bonnets Rouges. 
Personnalités : Marcel Cachin, Alain Signor, Eugène Hénaff (à la tribune).

Note : [Extrait du commentaire de Marcel Cachin]. " Ici, sur la côte bretonne du sud Finistère, les marins se livrent surtout à la pêche côtière, métier pénible, dangereux entre tous, dont les victimes sont nombreuses, dont les risques sont de chaque jour, et qui par surcroît n'enrichit pas les travailleurs de la mer soumis à l'exploitation des capitalistes de la conserve. Ils sont plusieurs dizaines de milliers qui se groupent et se défendent en adhérant à leurs syndicats de la CGT et aux partis les plus hardis de la classe ouvrière."
 

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20 novembre 2016 7 20 /11 /novembre /2016 10:26
Contre le roman ou le récit national et nationaliste, l'histoire comme éveil de l'intelligence critique - L'Humanité, 14 novembre: tribunes des historiens Martine Larrère, Anne Jollet, Pierre Serna

C'est déjà un débat qui date de la Révolution Française: l'école, devenue gratuite et universelle, doit-elle viser l'instruction, l'éveil de l'intelligence critique et l'autonomisation intellectuelle des individus pour en faire des sujets - c'est la position que défendait le grand penseur et humaniste Condorcet - ou l'éducation et la transmission des valeurs pour former une communauté nationale homogène avec des citoyens suivant les normes du régime politique nouveau - c'est la position de l'évêque défroqué Talleyrand-Périgord.   

Ces débats reviennent avec un arrière-plan de nostalgie, de vision passéiste, d'inquiétude identitaire et d'instrumentalisation politique de l'histoire et du débat sur l'école aux relents nationalistes ou xénophobes, c'est selon, dans des propos comme ceux de Fillon, Sarkozy. 

L'Humanité du 14 novembre a consacré des pages débats très intéressantes à la question des finalités de l'enseignement de l'Histoire dans l'école de la République.  

Enjeu: la formation de l'esprit critique, de l'ouverture au monde et à la diversité des formes d'existence sociales, la transmission de la vérité, celle d'une histoire nationale plurielle, contradictoire, parfois douloureuse pour notre narcissisme ou notre chauvinisme spontané, non réductible aux significations simplificatrices et aux assimilations rétrospectives à des fins politiques.   

***

La notion de roman national est-elle compatible avec le travail historique ?
Enseignement, recherche et mémoire
LUNDI, 14 NOVEMBRE, 2016
L'HUMANITÉ

Avec Mathilde Larrère

Maître de conférences en histoire contemporaine Anne Jollet Historienne, coordonnatrice de la rédaction des Cahiers d’histoire et Pierre Serna Directeur de l’Institut d’histoire de la Révolution française, Paris-I

L’esprit critique aiguisé par le questionnement du passé par Mathilde Larrère Maître de conférences en histoire contemporaine

mathilde Larrere photo fournie par elle memeQuelle histoire enseigner aux enfants ? Sur quoi mettre l’accent ? Et surtout pour quelle finalité ? Ces questions animent les historiens, mais également le monde politique et plus généralement la société. Depuis le second Empire et jusqu’aux années 1950, la réponse à ces questions a fait consensus. Alors les enfants des écoles ont été bercés par les récits héroïques de nos « ancêtres les Gaulois », ont pu en secret en vouloir à Charlemagne d’avoir « inventé l’école », s’enorgueillir du « Roi-Soleil », vibrer à la prise de la Bastille, se féliciter de porter la « civilisation » en Afrique et en Asie, avant de rendre un vibrant hommage à nos poilus morts pour la France. Le voilà, le roman national, avec sa galerie (virile) de grands hommes (blancs), auxquels le petit républicain français est appelé à s’identifier sa marche inéluctable vers le progrès. Qu’importent les libertés prises avec la vérité historique, l’objectif est d’unifier Bretons et Auvergnats, de transmettre l’amour de la République, encore contestée.

Mais le consensus se fissure de partout… Le roman national devient caduc. Comment défendre la marche vers le progrès après le nazisme ? Peut-on imposer aux enfants de l’immigration la même acculturation nationale que jadis aux particularismes régionaux ? Comment, demandent les historiens, continuer ce récit qui s’assoit sur le renouvellement profond de la recherche, enracine des erreurs ? Comment répondre aux nombreuses sollicitations de « devoir de mémoire » ? On pourrait débattre mais voilà qu’on se bat. Entre ceux qui pensent que pour « intégrer » les enfants issus de l’immigration il faut leur rabâcher l’histoire de France pour qu’ils l’aiment et la fassent leur, et ceux qui pensent qu’au contraire il faut s’ouvrir aux histoires des autres continents, mettre au jour les différences, les métissages, tisser un récit commun, mais, justement, commun à tous. Entre ceux qui pensent que l’histoire doit faire aimer la France, et ceux qui défendent qu’elle doit former à l’esprit critique. Ceux qui considèrent que l’histoire de l’esclavage, des colonisés, n’est qu’affaire de communautarismes qui diviseraient la nation, incitation à avoir honte d’être français, et ceux qui montrent au contraire que les dominations qui ont permis ces crimes sont l’histoire de tous, une histoire qui travaille encore notre société. Je suis, vous l’aurez compris, dans le deuxième camp.

Le contenu de ce roman national, rebaptisé récit national pour mieux le faire passer, oppose les forces politiques entre elles. « Nos ancêtres les Gaulois » pour la droite (et l’extrême droite), « les fils de la Grande Révolution » pour la France insoumise. Que chaque famille politique tire le fil de ses héritages, choisisse ses références, quoi de plus normal ? Mais cela ne saurait tenir quand il est question de ce que l’on enseigne dans les classes. En plus de la question du contenu, c’est l’idée même de l’enseignement d’un récit national qui pose problème. Parce que, justement l’histoire ne saurait se limiter à une recherche en paternité qui ferait faussement croire à une identité permanente et figée dont il faudrait trouver l’origine. Parce que, intrinsèquement, le roman-récit national ouvre la boîte de Pandore des appropriations politiques. Parce qu’il ne saurait former à l’esprit critique pourtant au cœur de la discipline historique.

Les enfants n’aimeront pas la France, qu’ils soient ou pas issus de l’immigration, et ce à quelque génération que ce soit, parce qu’on les aura bercés de beaux récits émouvants, Alésia ou Valmy, mais quand, citoyens à l’esprit critique aiguisé par le questionnement du passé, ils sauront apprécier, ou défendre, des politiques qu’ils trouvent justes.

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Des savoirs qui doivent être mis en commun 

 par Anne Jollet Historienne, coordonnatrice de la rédaction des Cahiers d’histoire

Anne JOLLET, enseignante en histoire à l'université de Poitiers. Rédactrice en chef des Cahiers d'histoire. Revue d'histoire critiqueCredit photo : DRFaut-il revenir encore sur le roman national ? N’a-t-on pas tout dit sur ce leurre ? Des textes nombreux et efficaces ont été écrits ces dernières années. Mais en dépit du sentiment de lassitude qui peut nous saisir, il faut redire, car l’assaut des affirmations de plus en plus réactionnaires ne faiblit pas. Les surenchères des droites emplissent l’espace public et parviennent à faire passer pour neuves les pensées les plus archaïques en matière d’histoire. Nous voilà revenus à l’idée que l’histoire pourrait être notre radeau face aux désarrois sociaux : les historiens sont désormais ouvertement sommés de fabriquer un consensus imposant de se penser tous semblables, bien serrés les uns contre les autres face aux menaces de l’étranger grâce à l’exaltation d’ancêtres réputés communs. Recours magique qui peut certes flatter l’historien placé au cœur de la fabrique sociale ! Recours menaçant à la fabrication idéologique d’un discours dominant venant masquer les contradictions du réel dans le passé, à des fins d’ordre social dans le présent.

Pour aller vite, ces pensées oscillent entre deux idées également dangereuses. D’une part, celle du nécessaire récit, cohérent, dessinant à des fins pédagogiques les caractéristiques d’une histoire singulière, française, et les imposant, notamment par l’école, les fameux programmes scolaires, pour produire une adhésion affective à une identité nationale glorieuse. Exit les millions de morts de faim du règne de Louis XIV, vive les ors de Versailles ! Chantons la gloire de nos ancêtres vaillants Gaulois, christianisés si possible ! L’autre dimension du credo réactionnaire est qu’il y aurait une réalité de cette histoire « une », « notre histoire », celle d’une entité quasi éternelle, au-delà des heurts et des aléas des processus de construction des nations, dotée de caractères ancestraux, dont l’histoire, notamment enseignée, devrait prioritairement rendre compte. Une histoire nationale légitimant le roman national. À ces assignations, les historiens répondent de façon double.

D’une part, construire une romance n’est pas la fonction de l’histoire. D’autre part, l’histoire des hommes qui habitent ce bout de terre qu’est aujourd’hui la nation qui se nomme France n’est pas une, n’a jamais été une. On a peine à devoir répéter que l’histoire est un savoir qui ne reproduit pas du réel. L’histoire construit à partir de questionnements, qui sont ceux de divers acteurs d’une société, des hypothèses sur le passé. Elle est un travail intellectuel critique appuyé sur des traces diverses du passé. Elle apprend à construire un rapport distancié au passé qu’elle contribue à rendre présent. Elle apprend à lire des « points de vue » et à s’en déprendre. Pas plus que « nos enfants », les historiens ne perdent « leurs repères ». Ils en construisent constamment, par leurs recherches, de nouveaux.

Oui, dans une société qui change, l’histoire change. Oui, comme nous nous attachons à le mettre en œuvre dans les Cahiers d’histoire, l’histoire critique de notre temps est une histoire de la diversité sociale, de la diversité des luttes, animées par la diversité des trajectoires, histoire d’êtres humains qui toujours circulent, échangent marchandises et savoirs, et vivent, par la guerre comme par la paix, de perpétuels métissages.

Non, l’histoire n’est pas une réserve à nostalgie, elle malmène les mémoires tout en contribuant à les construire. Et oui, bien sûr, elle a une part de responsabilité dans le devenir commun. Oui, elle contribue, avec bien d’autres vecteurs, à produire des savoirs qui doivent être mis en commun, qui doivent être, dans une démocratie, appropriés, débattus, mais aussi produits par l’ensemble des citoyen-nes.

Ces savoirs, notamment par l’école, mais aussi par les médias quand ils parviennent à être intelligents et démocratiques, fabriquent bien mieux du commun, des compréhensions sociales partagées, voire de l’identité collective au présent, ancrée dans les réalités sociales du présent, que les mythologies nationalistes imposées par le roman dit national, que l’on devrait peut-être nommer plutôt, pour le renvoyer vers les oubliettes de l’histoire, le vain « roman chauvin ».

 

***

Une forme de trumpisation des esprits par Pierre Serna Directeur de l’Institut d’histoire de la Révolution française, Paris-I

Pierre Sernaphoto libre de droits fournie par lui même credit : DRConnaissez-vous la bataille de Vertières ? Pour l’écrasante majorité, la réponse sera non. Le 18 novembre 1803, les armées composées de soldats noirs et libres vont défaire le corps expéditionnaire français, envoyé quelques mois plus tôt par Bonaparte afin d’imposer l’ordre à Saint-Domingue et y rétablir l’esclavage, après que la Convention l’a aboli le 4 février 1794. Inique, le décret du 20 mai 1802 constitue une régression historique, accompagnée d’une expédition colonialiste d’une violence extrême, dans la volonté de tuer, massacrer des populations entières de citoyens libres, mais surtout leurs femmes qui pourraient éduquer leurs enfants dans le culte de la liberté conquise au temps de la République. Les armées françaises décimées par la maladie sont battues à plate couture et le rêve colonialiste de l’apprenti dictateur français s’arrête là.

Prenons de la hauteur, dépassons le cadre national. Pour la première fois un corps expéditionnaire européen est battu par des soldats noirs, anciennement esclaves, combattant pour la liberté. Cette victoire va déstabiliser toute la puissances de la Caraïbe, devant désormais faire face à la circulation des nouvelles et à la connaissance par leurs esclaves de l’indépendance de Saint-Domingue devenue Haïti quelques semaines après la victoire militaire, en janvier 1804. Prenons encore plus de hauteur ; c’est au nom des idéaux d’une égalité universelle, défendue depuis 1789 par les patriotes les plus radicaux, que les soldats noirs chantant parfois la Marseillaise combattent contre les soldats polonais et français d’en face, abasourdis d’entendre le chant de la liberté française… et se tournant vers leurs officiers pour leur demander des explications, pendant que ceux-ci les forcent à marcher ! Voilà des faits que les récents travaux des historiens ont mis au jour.

Est-ce une insulte au récit national ? Il faut s’entendre sur les termes. Si le récit national est cette production nauséabonde qui vise à inventer un agencement de faits pour donner un sens à l’histoire de France, donnant à connaître à tous la bataille d’Austerlitz et laissant dans l’ombre cette victoire/défaite de Vertières, alors le récit national est encore et toujours à déconstruire. Si le roman national vise désormais à une forme de trumpisation des esprits, incarnant un patriotisme xénophobe, recroquevillé sur un réflexe identitaire et désignant l’étranger, le migrant, le travailleur clandestin ou le réfugié comme autant de dangers, l’historien se doit d’intervenir pour dire ce que furent les faits, pour ne pas s’ériger en juge de la vérité, mais en simple et bon artisan de la restitution du réel. Le fantasme d’un roman national incarne aujourd’hui cet espoir nationaliste de voir éradiqué l’Autre, dans l’angoisse d’une France à la couleur plus cuivrée demain. Alors l’historien doit sans cesse ouvrir les chantiers nécessaires pour rendre justice aux faits et rien qu’aux faits dans leur complexité. Gérard Noiriel, Nicolas Offenstadt ont écrit de belles pages sur la nécessité de construire la rigueur du travail de l’historien pour ne pas répondre au roman national par un autre roman historique. Il s’agit de rendre à chaque acteur, fût-il le plus modeste, sa part dans la construction du réel et dans la conquête de la liberté, et de la constater en toute simplicité.

Où est la repentance dans ce constat ? Où est la prétendue autoflagellation dans ces preuves ? En quoi est-ce honteux de raconter ces faits et de les démontrer ? N’est-ce pas une partie intégrante du métier d’historien héritée de la critique des Lumières de ne pas accepter une vérité construite mais de la vérifier avec des sources et des documents dans une recherche de causalité qui est aussi le cœur du métier de l’historien ? Pourquoi le réel fait-il donc si peur aux constructeurs de romans nationaux et en quoi l’histoire de France serait-elle amoindrie ? L’histoire n’a pas de frontières. En racontant au plus près les détails les plus triviaux des sans-grade, des sans-voix, des sans-parole, elle s’approche au plus près d’une histoire universelle, où chacun, quel qu’il soit, porte une part de l’humanité en lui et a le droit, comme le rappelait la Constitution de 1793, pour la première et unique fois dans l’histoire, de faire acte d’insurrection contre un pouvoir arbitraire. Ce sont là des faits.

Comme toute fiction, le roman invente une représentation du passé, un bon moyen idéologique de bercer le plus grand nombre. Le roman nationaliste puise à pleines brassées dans la nostalgie d’un âge d’or. L’historien doit demeurer vigilant et comprendre que son travail s’inscrit dans le présent, l’analyse et l’explique. Plus que la fiction omniprésente de la fable de la bonne reine de France Marie-Antoinette archimédiatisée, ce sont toutes les luttes actuelles en Tunisie, en Grèce, en Espagne et aussi en France qui expriment le mieux le réel de ceux qui ont eu le courage de dire non, en 1789, en 2016, et demain.

le Petit Lavisse enjoint aux élèves : « Tu dois aimer la France, parce que la Nature l’a faite belle et parce que l’Histoire l’a faite grande. »

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16 novembre 2016 3 16 /11 /novembre /2016 12:38
"14 juillet" (Actes Sud, 2016 ) - 19€

"14 juillet" (Actes Sud, 2016 ) - 19€

Les éditions Actes Sud ont fait paraître en mars dernier un roman historique profondément original, "14 juillet", d'Eric Vuillard, écrivant résidant aujourd'hui à Rennes et qui a déjà écrit "Conquistadors" (2009), "La bataille d'Occident" (2012), "La tristesse de la terre".   

Nous voici plongés au coeur de l'événement, aux prémisses d'une Révolution française qui nous est racontée presque pour la première fois du côté du peuple, en sa compagnie (même si on trouve aussi des efforts de ce genre du côté de Jaurès, puis des historiens de gauche qui ont travaillé sur les sans-culottes, les clubs et les sociétés populaires, Mathiez et Soboul), non plus une masse anonyme et une abstraction personnifiant la volonté de naître à soi-même de la France sous la conduite de ses glorieux représentants, parlementaires et autres généraux issus de la bourgeoisie, mais une addition d'individus marqués par une communauté de destin et de classe sociale - artisans, ouvriers, chômeurs, domestiques, femmes de charge, lessiveuses - le petit peuple de Paris rendu à son humanité, sa diversité, sa truculence et son audace, sans arrière-pensées excessives.

Ce livre nous ramène aussi à la dialectique entre le hasard et la nécessité dans l'histoire: nécessité produite par la conjoncture, un ordre de la société qui ne peut plus tenir sur ces bases, et hasard de l'étincelle qui allume la mèche, contingence des initiatives individuelles qui créent de la contagion. L'histoire en train de se faire, dans une part d'inconscience des acteurs.  

Car la prise de la Bastille, ce défi suprême au pouvoir royal, ne s'est pas vécu sur le moment comme un projet révolutionnaire conscient pour abattre la monarchie, mais plutôt comme une revanche sur une répression sanglante d'une manifestation populaire de la faim par la garde royale. Une de plus...

Ce livre admirablement bien écrit, avec des chapitres courts et plaisants porteurs d'idées, des phrases ciselées, des mots choisis, y compris quand ils réveillent la langue aristocratique ou populaire du XVIIIe siècle, nous replace avec bonheur dans le contexte de cette fin du XVIIIe siècle marqué par la crise, la dette de l'Etat, la volonté de faire payer au peuple toujours plus d'impôts pour couvrir les dépenses somptuaires du roi et de l'aristocratie, et ne s'interdit pas les parallèles, parfois avec malice en jouant sur les anachronismes, avec notre situation contemporaine qui présente un certain nombre d'analogies avec ce contexte révolutionnaire.

Il se place résolument du côté des sans-grades qui ont fait la révolution et qui les premiers ont fait le sacrifice de leur vie par désir de dignité, de liberté et d'égalité, et tout simplement pour faire l'épreuve de la puissance des gueux, en moquant les bourgeois et les personnes distinguées qui ont souvent parlementé pour sauver l'ordre et la propriété.

Une lecture à recommander chaudement, pour 19 euros, dans toutes les bonnes librairies.   

Le 14 juillet, jour de notre fête nationale, y retrouve en tout cas de son caractère subversif et inouï. 

Ismaël Dupont

     

      

Eric Vuillard

Eric Vuillard

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11 novembre 2016 5 11 /11 /novembre /2016 07:45
11 novembre 1940: un éclair d'espoir au début de la nuit noire de l'occupation: les étudiants parisiens manifestent place de l'Etoile!
11 novembre 1940: un éclair d'espoir au début de la nuit noire de l'occupation: les étudiants parisiens manifestent place de l'Etoile!

11 novembre 1940, les étudiants manifestent place de l’Étoile !


La manifestation du 11 novembre 1940 et son retentissement, par Francis Cohen

 

(lu sur la page Facebook de Robert Clément, un brillant camarade communiste parisien qui entretient la mémoire du monde ouvrier et du communisme, notamment sur le plan de ses aspects culturels ).  


Pour bien comprendre la manifestation des lycéens et étudiants sur les Champs Elysées le 11 novembre 1940, il faut se reporter en pensée à la situation d’alors.
Cinq mois ne s’étaient pas écoulés depuis l’entrée des troupes allemandes à Paris. La stupeur, le désarroi, la confusion qui avaient frappé la grande majorité de la population commençaient à peine à se dissiper. L’occupation n’avait pas encore révélé ses méfaits.
Les actes de résistance avaient commencé. Des petits groupes se formaient, mais on ne peut pas parler alors de mouvement organisé sur une grande échelle. De Gaulle était encore peu connu, contesté. Les premiers résistants (qui ne se désignaient pas encore sous ce nom) étaient inspirés par deux courants de pensée principaux, qui allaient peu à peu se rencontrer. L

e premier, d’inspiration souvent nationaliste, voulait simplement (ce qui était déjà beaucoup!) continuer la guerre et se nourrissait de sentiments patriotiques et anti-allemands. Le second, nettement plus nombreux, était antifasciste, démocrate et républicain. C’est à ce second courant que se rattache l’action des communistes.
 

Le climat a l’université
 

Les universitaires, enseignants, étudiants et lycéens des grandes classes constituaient un milieu limité, particulier. L’antihitlérisme, le soutien au Front Populaire et à l’Espagne Républicaine y avaient laissé des traces profondes, malgré le munichisme de certains. Dans les lycées des beaux quartiers, le nationalisme, voire le militarisme, étaient endémiques.
Les révocations d’enseignants communistes, «franc-maçons» (lisez républicains) et juifs commençaient. Les nazis cherchaient à gagner les intellectuels en multipliant les conférences et les écrits de ceux d’entre eux, rares à vrai dire, qui adhéraient à l’idéologie hitlérienne.
Notre action d’étudiants communistes se déroulait dans ce climat. Nous dénoncions les atteintes à la culture française et, comme les autres communistes le faisaient dans leurs secteurs, nous défendions les revendications immédiates des étudiants (organisation et études, situation matérielle) qui les mettaient en conflit avec les autorités. Nous étions peu nombreux, mais très actifs. Nous agissions par tracts, journaux, papillons, bouche à oreille.
De leur côté, les universitaires communistes, non moins actifs, préparaient, entre autres, la sortie du journal clandestin l’ «Université Libre», dans un esprit de défense de la culture et de l’indépendance de la France, en diffusant notamment un Appel du PCF aux intellectuels.
L’arrestation de Paul Langevin
Deux événements marquants allaient se produire à la fin octobre 1940. Le premier était d’ordre général: c’était l’entrevue de Montoire entre Pétain et Hitler, le 24. Les choses commencèrent à s’éclairer: le mot et la notion de collaboration étaient lancés.
Le second allait secouer le Quartier Latin: l’arrestation le 30 octobre, par des officiers allemands, du professeur Langevin. Aussitôt, des tracts appelèrent à la protestation et à la manifestation. Ils émanaient des étudiants communistes et d’un Comité de Défense des Professeurs et Etudiants de l’Université de Paris qui s’était constitué clandestinement et réunissait des universitaires de tendances très diverses. Un appel fut lancé à manifester au Collège de France le 8 novembre, au moment où Langevin aurait dû faire son cours. Le 8, à 16 heures, dans un quartier envahi par les forces policières françaises et sillonné par des automitrailleuses allemandes, un grand nombre d’universitaires et d’étudiants se retrouvèrent et se massèrent silencieusement devant le Collège de France. En même temps, plusieurs dizaines d’enseignants et chercheurs s’introduisaient dans l’amphithéâtre où Langevin aurait dû être et écoutaient une brève allocution de Frédéric Joliot-Curie. La manifestation se conclut par un cortège d’une trentaine d’étudiants communistes qui parcourut le Quartier en criant «Libérez Langevin» et en chantant «La Marseillaise».
 

Du 8 au 11 novembre
 

La radio de Londres avait donné le conseil d’aller aux monuments aux morts le jour du 11 novembre. Le PCF avait lancé un mot d’ordre analogue. Sur cette base, était apparue l’idée d’aller silencieusement fleurir la tombe de l’Inconnu. Cette idée rencontrait le désir de manifester son patriotisme. Elle circula, fut reprise par des petits groupes plus ou moins structurés dans les facultés et les lycées, et atteignit de nombreux individus isolés.
Quant à nous, au début, nous n’étions pas partisans d’une manifestation à l’Etoile, craignant les provocations et les réactions des jeunes devant la répression violente que nous prévoyions. Nous préférions donner la consigne de manifestation devant les monuments au morts des établissements d’enseignement, où il nous semblait plus facile et plus sûr de rassembler les élèves et étudiants.
C’est au soir du 8 novembre, devant le succès de la manifestation pour Langevin, et aussi à cause des échos qui nous parvenaient sur l’accueil à l’idée de la marche à l’Etoile, que nous avons révisé notre position et nous nous sommes ralliés à cette idée. Nous avons consulté la direction du Parti, qui nous a donné son accord. François Lescure, qui était à la fois le représentant légal de l’Union Nationale des Etudiants à Paris et membre (avec Suzanne Djian et moi-même) du «triangle» de direction de l’Union des Etudiants et Lycéens Communistes illégale, a aussitôt fait adopter ce point de vue par le petit groupe des militants qui travaillaient autour de l’U.N.E. et des oeuvres sociales universitaires. Des tracts et des papillons ont été multipliés dans ce sens, le bouche à oreille mis en action.
 

La manifestation et son retentissement
 

Le résultat convergent de tous ces efforts organisés et des participations spontanées, individuelles et collectives, dépassa les attentes des antihitlériens et les craintes des nazis. Des milliers d’étudiants et surtout de lycéens se retrouvèrent l’après-midi du 11 novembre sur les Champs Elysées.
Certes, les quelque soixante jeunes filles et jeunes gens qui étaient alors explicitement membres de l’organisation communiste étudiante clandestine ne pouvaient pas former la masse des défilés. Mais ils constituaient la seule force organisée, agissant dans le cadre d’une force politique d’échelle nationale.
La police française était massivement présente. Il y eut intervention des forces allemandes, dont les véhicules blindés dispersèrent la foule. Il y eut des coups de feu, des blessés, des arrestations (environ 150 d’après diverses sources).
Le mythe de la correction allemande, le caractère idyllique de la toute neuve «collaboration» volaient en éclat.
En même temps, diverses composantes de ce qui allait devenir la Résistance Nationale s’étaient retrouvées, ou du moins avaient découvert qu’elles avaient quelque chose de fondamental en commun.
Pour une part, l’effet d’intimidation a pu jouer sur certains qui n’étaient pas préparés à se trouver en face d’une répression sanglante. Les conseils d’attentisme ont pu en être confortés. Mais c’est fort loin d’avoir été le résultat essentiel. Au contraire, c’est la détermination des patriotes et des antifascistes qui s’est trouvée renforcée. L’opinion publique a eu la révélation à la fois de l’existence de gens et de groupements prêts à manifester et du véritable visage de la «collaboration» naissante.

C’est à juste titre que cette date est restée dans l’histoire comme un jalon capital dans le développement du mouvement de la Résistance.
 

(*) Une étude plus détaillée de ces événements, dont des éléments ont été repris ci-dessus, a paru sous la signature de Francis Cohen dans le numéro de janvier 1988 du Bulletin du Musée de la Résistance Nationale, «Notre musée» (88, rue Max Dormoy-94000 Champigny. Tél. 46.72.40.99.)
Francis Cohen

11 novembre 1940: un éclair d'espoir au début de la nuit noire de l'occupation: les étudiants parisiens manifestent place de l'Etoile!
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11 novembre 2016 5 11 /11 /novembre /2016 07:38

Marcel Paul décédé le 11 novembre 1982


Pupille de l'Assistance publique, résistant, déporté, cofondateur de la FNDIRP, il fut, au lendemain de la guerre, un remarquable ministre communiste de la Production industrielle.

12 juillet 1900. Cette date est celle qui fut portée sur le registre de l'état civil du 14e arrondissement de Paris.

Si une incertitude l'entoure, sa portée est très limitée, puisque le premier acte officiel relatif à celui qui deviendra en 1945 le ministre de la Production industrielle date du 14 juillet 1900.

Au lever du soleil de ce jour d'été, des agents de police découvrent, abandonné sur un banc de la place Denfert-Rochereau, un nouveau-né. Aussitôt confié à l'Assistance publique de Paris, l'enfant de mère et de père inconnus est déclaré sous le prénom de Marcel et le patronyme de Paul. On l'estime âgé de 2 jours. Il est très vite placé dans une famille nourricière, des paysans très pauvres de la Sarthe.

Ouvrier agricole à treize ans, après avoir passé son certificat d'étude, il adhère aux Jeunesses socialistes en 1915, après avoir lu un tract contre la tuerie enclenchée depuis un an. Cette guerre, que Marcel Paul n'a pas eu à faire, n'en orientera pas moins sa vie. Il est en effet incorporé au printemps 1917 à l'école des mécaniciens de la marine nationale.

Breveté électricien, il est affecté à Brest, où il participe à la révolte des équipages de l'été 1919. Le mouvement fait écho à celui des mutins de la mer Noire opposés à l'intervention contre la révolution bolchevique.

Démobilisé en 1922, il est embauché dans l'Aisne et vite licencié pour incitation à la grève. Le voilà à Paris, électricien à la TCRP, l'ancêtre de la RATP.

Militant syndicaliste à la CGTU, il adhère au tout jeune PCF en 1923. Il devient tout à la fois secrétaire de la fédération CGTU de l'éclairage et secrétaire de rayon du PCF. Dans les années trente, Marcel Paul est secrétaire de l'intersyndicale des services publics et, à ce titre, il parcourt la France. En 1932, à Marseille, les nervis de Sabiani , mafieux premier adjoint faisant fonction de maire, le laissent pour mort sur le pavé. Une infirmière qui l'accompagnait, Edmée Dijoud, est tuée. Il est conseiller municipal de Paris et conseiller général de la Seine.

Mobilisé en 1939, ses antécédents lui valent d'être versé dans un bataillon disciplinaire dans les Ardennes. Deux fois prisonnier, deux fois évadé, il regagne Paris, puis la région nantaise, où, avec Robert Ballanger, Auguste Havez et Venise Gosnat, il organise dès l'été 1940 de premiers groupes de résistance. De retour à Paris, il contribue à former l'embryon de l'Organisation spéciale (OS) en janvier 1941.

Il est arrêté sur dénonciation en novembre 1941. Déporté au printemps 1944 à Auschwitz, puis à Buchenwald, il intègre très vite l'organisation clandestine de résistance et anime un comité français. En avril 1945, il est l'un des responsables de l'insurrection des déportés qui accueillent l'armée américaine après s'être eux-mêmes libérés des SS. Son action de lutte et de solidarité lui vaudra l'amitié indéfectible de nombreux déportés de toutes sensibilités. Marcel Dassault, Pierre Sudreau, Louis Terrenoire, Christian Pineau, le père Riquet, Claude Bourdet furent de ceux-là. Et ceux d'entre eux qui étaient encore de ce monde en 1984 le dirent haut et fort quand la mémoire de Marcel Paul fut traînée dans la boue par un politicien UDF.

De retour à Paris, Marcel Paul participe à la fondation de la Fédération nationale des déportés, internés et résistants politiques (FNDIRP). Il reprend ses activités syndicales et politique, siège à l'Assemblée provisoire consultative, puis entre dans le gouvernement du général de Gaulle en novembre 1945 comme ministre de la Production industrielle. Il conserve cette responsabilité durant un an, consacre toutes ses forces au redémarrage du pays , pilote, ouvre majeure, la nationalisation des industries électriques et gazières, porte sur les fonts baptismaux EDF-GDF et le statut des personnels du groupe public. La bataille fut menée de haute lutte dans le pays et à l'Assemblée, où les propriétaires des grandes sociétés électriques avaient leurs représentants parmi les députés de droite et du MRP et des appuis de poids jusqu'au sein du groupe socialiste. Plus tard, Marcel Paul, qui avait su faire des compromis indispensables, ironisa : " Je me suis accroché à la nationalisation comme un chien qui n'a pas mangé depuis huit jours s'accroche à son os. "

Élu par la Haute-Vienne aux deux Assemblées constituantes, il sera encore député de ce département de novembre 1946 au printemps 1951. Marcel Paul a été membre du Comité central du PCF de 1945 à 1964. Il est décédé le 11 novembre 1982, peu après avoir participé aux cérémonies à l'Arc de triomphe, où il avait été salué par le président de la République.

 

 

Robert Clément sur sa page Facebook 

Marcel Paul, au premier rang à droite, avec Ambroise Croizat à l'arrière-plan à droite: sortie d'une réunion ministérielle à la Libération sous la dictée des "Jours Heureux"

Marcel Paul, au premier rang à droite, avec Ambroise Croizat à l'arrière-plan à droite: sortie d'une réunion ministérielle à la Libération sous la dictée des "Jours Heureux"

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11 novembre 2016 5 11 /11 /novembre /2016 07:09
11 novembre 1918 : cette guerre qu’il ne fallait pas faire
PATRICK APEL-MULLER
LUNDI, 10 NOVEMBRE, 2014
HUMANITE.FR

 

 

 

 

 

 

 

S’incliner devant les nécropoles c’est bien. Mais cela peut rester parfaitement inutile…

Ce jour-là, les cloches qui annoncent l’armistice, résonnent sur un immense charnier. Près d’un siècle plus tard, les corps n’en finissent pas de remonter à la surface. Leur rendre hommage, mémoire pourrait-on dire, s’impose toujours. Les hommes qui vécurent l’enfer des tranchées et les populations civiles broyées dans les immenses zones de front sont encore à portée de main historique, traces encore creusées dans les romans familiaux. Commémorer oui ! Mais bannir les retours cocardiers, l’exaltation aveugle d’un Clémenceau partisan fanatique de la guerre à outrance, regarder la tragédie en face pour en tirer de vraies leçons. Nous en sommes encore bien loin si nous prêtons l’oreille aux discours des officiels.
UNE GUERRE, POUR QUOI, POUR QUI ?
Le détonateur éclata à Sarajevo. Mais les charges étaient prêtes, patiemment accumulées depuis des années par les milieux dirigeants européens. Dans la violence des affrontements impérialistes, sur le terrain économique et sur le théâtre colonial, il fallait détruire l’autre. Jaurès ne cessa d’alerter sur la montée des périls, œuvrant jusqu’à la balle de Raoul Villain pour conjurer le désastre, cherchant à unir les socialistes et les classes ouvrières d’Europe contre  un carnage où ils avaient tout à perdre. « On croit mourir pour la patrie, on meurt pour les industriels », écrira Anatole France lorsque ses yeux se furent décillés sur la réalité du conflit. De 1913 à 1918, le gain net des sociétés allemandes par action passa de 1,6 milliards de marks à 2,2 milliards malgré la chute qui se profilait. Si 400.000 entreprises – surtout petites ou moyennes – disparurent en France, Renault, Citroën, Berliet, Michelin réussirent à dégager des profits spectaculaires et à accumuler des réserves qui leur permirent de dévorer leurs concurrents.
La guerre nettoyait le terrain du profit au profit des capitalistes dominants. Ainsi, le chimiste Kulhmann, bien qu’ayant perdu ses installations dans le Nord et en Lorraine, parvint à décupler son capital en quatre ans et à multiplier son profit par six. Le patronat et les Cent familles qui dominèrent l’après-guerre s’opposèrent farouchement et avec beaucoup de succès à la loi du 1 juillet 1916 qui prévoyait l’imposition des bénéfices exceptionnels de la guerre. Pour eux, la guerre était une formidable conjoncture économique et un moyen d’assoir leur puissance à l’échelle mondiale.
Mais ce sont les grandes entreprises américaines qui ont le milieu tiré leur épingle de ce jeu sanglant. Avant même l’entrée en guerre des Etats-Unis en 1917, leur bénéfice avait triplé. Banquiers de la France et de l’Angleterre en guerre, les capitalistes américains deviennent alors les premiers exportateurs mondiaux de charbon, d’acier, de machines, d’automobiles, de coton et produits alimentaires. Ils récupérèrent alors à bas prix les investissements français en Amérique, solidement assis sur leur prospérité : le plus gros fournisseur de munitions de la guerre, Du Pont de Nemours, a fait passer son profit en quatre ans de 6 à 266 millions de dollars. 
Jaurès l’avait annoncé dès 1905 : « La concurrence économique de peuple à peuple et d’individu, l’appétit du gain, le besoin d’ouvrir à tout prix, même à coups de canon, des débouchés nouveaux pour dégager la production capitaliste, encombrée et comme étouffée de son propre désordre, tout cela entretient l’humanité d’aujourd’hui à l’état de guerre permanente et latente ; ce qu’on appelle la guerre n’est que l’explosion de ce feu souterrain qui circule dans toutes les veines de la planète et qui est la fièvre chronique et profonde de toute vie »… Est-ce vraiment si daté ?
 
UN SEISME POUR LA CIVILISATION
Jamais alors guerre n’avait été si meurtrière et si inventive, hélas. Les gaz de combats, les tanks, les sous-marins, les avions, les télécommunications… les découvertes de la science furent mobilisées pour la mort à grande échelle. Dans les pays belligérants, une propagande intense associée à une sévère censure, berna les peuples pour les conduire à la boucherie. Les mots mêmes en perdirent du sens, tout autant que les images. « Après ce que nous avions vécu, nos peintures de cette époque n’étaient pas faites pour séduire mais pour faire hurler », expliquait Max Ernst. La paysannerie, le principal réservoir de la chair à canon, est frappée au cœur et les campagnes dépeuplées. La naissance d’un siècle débute par un requiem et c’est par les portes de la boucherie, que toute une génération rentre dans la modernité. « On rentre dans la clarté du jour comme dans un cauchemar », écrit Henri Barbusse dans son roman, « Le feu ». Héros de guerre, Aragon ne la pardonne pas. Il conclut en 1928 son « Traité du style » par « Je conchie l’armée française dans sa totalité ».
Les vieilles élites sont discréditées par leur sanglante responsabilité et avec eux les partis socialistes qui les ont accompagnés sur les « sentiers de la gloire ». La colère fera naître le communisme et le surréalisme ; le désarroi, la frustration et le dégoût accoucheront du fascisme qui, vingt-cinq ans plus tard, portera la tragédie humaine à son point ultime.
 
LE SOUVENIR POUR NE PLUS FAILLIR
« Déjà la pierre pense où votre nom s’inscrit/ Déjà vous n’êtes plus qu’un mot d’or sur nos places/ Déjà le souvenir de vos amours s’efface/ déjà vous n’êtes plus que pour avoir péri », écrivait Aragon dans « Le Roman inachevé ». Les Déroulède médiatiques, toujours prêts à réclamer une guerre, un jour en Lybie, le lendemain en Irak, plus tard en Syrie ou en Ukraine, auraient profit à se retourner sur ce passé. Quant aux gouvernants d’aujourd’hui dans la mêlée de la mondialisation capitaliste, et certains se disent socialistes, ils pourraient se remémorer qu’on ne joue pas avec les armes à feu près des charges de dynamite. Enfin, les opinions publiques ont à jouer un rôle qu’elles ne surent et ne purent endosser il y a presque un siècle, pour devenir les premières victimes d’une grande imposture.
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11 novembre 2016 5 11 /11 /novembre /2016 06:55
Il y a douze ans, le 11 novembre 2004, disparaissait Yasser Arafat - portrait de Paul Euzière (L'Humanité, 2004): Yasser Arafat, la Palestine au coeur

Disparition de Yasser Arafat le 11 novembre 2004

 

Portrait de Yasser Arafat, dressé par Paul Euzière, membre du comité de rédaction de Recherches internationales, et publié par l'Humanité en 2004.

« Yasser Arafat, la Palestine au cœur »

 

Le président palestinien Yasser Arafat est, avec Fidel Castro et Nelson Mandela, l'une des trois grandes figures qui, de leur vivant et de façon décisive, auront marqué l'histoire du monde durant une large part du XXe siècle et au début du XXIe, par leur capacité à incarner l'aspiration de leurs peuples à la dignité.

Yasser Arafat, c'est d'abord une volonté forgée au rythme des victoires et des défaites de la revendication nationale palestinienne. Très tôt l'homme va s'identifier totalement avec la cause palestinienne, qu'il entendra parfois représenter à lui seul.

Du jeune étudiant à l'Université du Caire qui s'enflamme aux côtés des Frères musulmans lors de la création de l'État d'Israël et du massacre de Deir-Yassine et part combattre au sud de Gaza, à l'ingénieur, puis homme d'affaires établi au Koweit, qui crée en octobre 1959 le Fatah, Arafat garde constamment, et quelle que soit sa situation personnelle, la Palestine au coeur. Cette constante apparaît donc dès avant que s'impose, et qu'il impose le Fatah et, dans une longue et dangereuse course d'obstacles, l'OLP fondée en 1964 (dont il prend la tête en février 1969) comme véritable représentante du peuple palestinien.

Elle va s'affirmer dans les situations les plus contrastées et face à tous les interlocuteurs, adversaires comme alliés fiables ou non. Qu'ils se soient réclamés du nationalisme ou de l'islam, la plupart des gouvernants des pays arabes - malgré leurs opinions publiques - n'ont jamais hésité à faire couler le sang des Palestiniens, à s'ingérer dans leurs débats internes et à instrumentaliser leur drame.

 

"Où êtes-vous, ô Arabes?"

Si la responsabilité israélienne dans ce que les Palestiniens nomment la « Nakba » (catastrophe) de 1948 sont évidentes, tout comme dans l'occupation et la colonisation qui perdurent et s'étendent depuis 1967, on ne peut occulter le double jeu, parfois sanglant, de certains « frères arabes » dont les motivations tiennent à la fois à leur positionnement international (notamment à leurs rapports avec les États-Unis) et à la peur des répercussions que risquerait d'engendrer dans leur pays la création d'un État palestinien souverain. Comme en écho aux graffitis des murs de Beyrouth qui demandent « Où sont les Arabes ? », Yasser Arafat interpelle les gouvernements : « Où êtes-vous, ô Arabes, où ? Où êtes-vous, Sarkis, président de la République libanaise, terré dans votre palais et voyant, comme Néron, sa capitale dévorée par les flammes?»

Dans un tel contexte, survivre pendant presque un demi-siècle, physiquement - on ne compte plus les tentatives israéliennes d'assassinat par des commandos ou par des bombardements - et politiquement, nécessite un courage physique certain et une capacité hors du commun à s'adapter rapidement à ce qui change. C'est le trait marquant de Yasser Arafat. C'est lui qui crée le mensuel Falastinuna (« Notre Palestine ») en octobre 1959, dans lequel est proclamé que « la voie pour libérer la patrie passe par la création, dans les pays arabes voisins, de groupes de fedayins palestiniens indépendants » qui devront « mener des incursions en Israël et y provoquer des dégâts ».

 

Deux Etats
Il déclenchera à partir du 1er janvier 1965 la lutte armée contre l'État d'Israël - « entité sioniste » occupant la majeure partie de la Palestine mandataire alors revendiquée en totalité par le Fatah. Et vingt-trois ans plus tard, en novembre 1988, il fera entériner par le Conseil national palestinien réuni à Alger la reconnaissance de la résolution 181 de l'ONU, qui recommande « le partage de la Palestine en deux États, l'un arabe, l'autre juif » en précisant qu'« elle assure les conditions de légitimité internationale qui garantissent également le droit du peuple arabe palestinien à la souveraineté et à l'indépendance », puis dans la foulée, les résolutions 242 et 338, seules bases juridiques internationales d'une paix israélo-palestinienne.
Enfin, le 2 mai 1989 Yasser Arafat est reçu à Paris. Il qualifie à la télévision de « caduque » la charte de l'OLP qui refusait de reconnaître l'État d'Israël. Toujours en mai 1989, il déclare à un journaliste d'Europe 1 : « Après avoir essayé la guerre durant quarante et un ans, ma soeur, mon frère et moi nous sommes convaincus que nous devons à présent essayer la paix. »

En septembre 1993, il signe à la Maison-Blanche la Déclaration de principes portant autonomie des Territoires palestiniens occupés, après la reconnaissance mutuelle des deux parties. Sans doute, à ce moment, contrairement à d'autres forces qui soutiennent le processus, notamment les communistes du PPP, Yasser Arafat - et avec lui nombre de responsables du Fatah - surévalue-t-il la possibilité de créer une dynamique de paix permettant de dépasser pacifiquement les points de désaccord et d'aborder ensuite plus favorablement des questions aussi essentielles que la question des réfugiés, celles de Jérusalem et du devenir des colonies. Mais existe-t-il alors un autre choix ? Après cinq années d'une intifada portée à bout de bras par toute la société et qui a fait connaître partout dans le monde leurs revendications nationales, les Palestiniens sont dos au mur, épuisés par les arrestations, les morts, les couvre-feux et les bouclages incessants des forces d'occupation israéliennes. L'URSS n'existe plus. L'Irak vient d'être écrasé et G. Bush annonce « un nouvel ordre mondial ». Yasser Arafat ne se cache pas le poids de ces réalités. Il les prend en compte et s'appuie sur elles - qu'elles soient positives ou négatives - pour avancer vers son objectif constant : l'État palestinien.
Détermination quasi gaullienne
Après un exil qui l'a conduit du Liban en Tunisie, Yasser Arafat retrouve la terre palestinienne en 1994. Élu démocratiquement président de l'Autorité nationale palestinienne à l'issue d'élections effectuées en 1996 sous contrôle international, Yasser Arafat voit le territoire palestinien grignoté chaque jour un peu plus par les colonies israéliennes, les routes de contournement, un mur de « sécurité » haut de 8 mètres qui, sur des centaines de kilomètres, isole encore un peu plus les villes et villages palestiniens les uns des autres et étouffe toute vie économique et sociale.
Enfermé depuis plus de deux ans à Ramallah dans la Mouqata en ruines, humilié, menacé de mort par le premier ministre israélien Sharon, le président palestinien a poursuivi avec la même détermination réaliste son combat pour donner une patrie aux Palestiniens. Au-delà de la gestion du quotidien, cette détermination quasi gaullienne à construire l'État palestinien contre vents et marées, conjuguée à une vie exceptionnelle, donne à Yasser Arafat un prestige et une autorité morale dont ses partisans - mais aussi paradoxalement ses ennemis israéliens - mesureront toute l'ampleur après sa disparition.

Il y a douze ans, le 11 novembre 2004, disparaissait Yasser Arafat - portrait de Paul Euzière (L'Humanité, 2004): Yasser Arafat, la Palestine au coeur
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