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25 août 2016 4 25 /08 /août /2016 05:15
Expression commune des fédérations communistes de Bretagne condamnant l'exclusion des adjoints communistes de Brest et la marche à droite du PS

Expression commune des fédérations communistes de Bretagne condamnant l'exclusion des adjoints communistes de Brest et la marche à droite du PS

L'Unité, journal communiste de Concarneau - avril 1980, n°109: "La preuve par Brest"... Preuve que le PS, après le programme commun, tourne casaque à droite! Et oui, ça ne date pas d'hier...

L'Unité, journal communiste de Concarneau - avril 1980, n°109: "La preuve par Brest"... Preuve que le PS, après le programme commun, tourne casaque à droite! Et oui, ça ne date pas d'hier...

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24 août 2016 3 24 /08 /août /2016 12:53
1920, le congrès de Tours par Alexandre Courban - L'Humanité, 2004

1920, le congrès de Tours Par Alexandre Courban, historien

SAMEDI, 8 MAI, 2004

L'HUMANITE

L'historien Alexandre Courban, retrace les circonstances de la création du Parti communiste par la majorité de l'ancienne SFIO au congrès de Tours et le rôle nouveau désormais dévolu au journal fondé par Jaurès.


Pourriez-vous dresser un tableau de la France de 1920 à l'orée du congrès de Tours ? Quelle est sa situation économique et sociale ?

Alexandre Courban. Nous sommes au sortir de la Grande Guerre. Neuf millions de soldats ont été tués, dont plus d'un million de Français et près de deux millions d'Allemands. Les années 1919-1920 sont marquées par des conflits sociaux extrêmement durs. Deux mille grèves réunissent plus d'un million de grévistes. La démobilisation commence en juillet 1919. Elle précède la victoire de la droite aux élections législatives de novembre 1919. La campagne électorale a lieu alors que se déroule une grève des imprimeurs à Paris. Deux journaux seulement paraissent dans la capitale : l'un avec l'autorisation du comité de grève, l'autre à l'initiative des grands patrons de presse. Les combattants qui ont la chance d'être rentrés n'ont donc pas accès à une information complète.

Au cours du premier semestre de l'année 1920, un grand mouvement social prend forme chez les cheminots. Les manifestations du 1er Mai 1920 se soldent par deux morts, comme c'est souvent le cas le 1er Mai à l'époque.

Au cours de ces journées, la SFIO va se scinder en deux et donner naissance au Parti communiste. La ligne de fracture se situe-t-elle réellement entre révolutionnarisme et réformisme, avec les vingt et une conditions d'adhésion à l'Internationale communiste (la troisième) comme pierre d'achoppement ?

Alexandre Courban. Lorsque le congrès s'ouvre, les participants savent qu'il va y avoir scission : l'état des forces en présence est connu grâce aux congrès fédéraux qui se sont tenus quelque temps auparavant. Mais alors que le congrès a pour principal objet l'adhésion à l'Internationale communiste, il n'existe pas de version française officielle des vingt et une conditions. Les militants les connaissent soit à partir d'une traduction allemande publiée dans la presse, soit à partir d'une version italienne. Cela signifie que le choix ne se fait pas en fonction des vingt et une conditions elles-mêmes, mais plutôt pour ou contre ce que les militants imaginent que seront les nouvelles pratiques politiques ; ils ne se situent pas complètement dans la réalité. Le véritable enjeu du congrès c'est : quelle va être la place accordée par les partisans de l'Internationale aux " reconstructeurs " comme Jean Longuet, militants favorables à l'adhésion avec des réserves ? Ensuite, au sein du Parti socialiste, le comité pour la IIIe Internationale, l'aile gauche du parti, s'allie avec une partie du " centre ". Mais idéologiquement, les choses n'évoluent pas immédiatement après le congrès. De 1921 à 1923 ont lieu au sen du nouveau parti des débats très importants pour décider du sens et de l'application des vingt et une conditions. Certains pensent longtemps que ces conditions sont purement formelles.

Le ralliement à la IIIe Internationale se fait à une écrasante majorité. Cela signifie-t-il que le socialisme français était plus révolutionnaire que ses homologues européens ?

Alexandre Courban. La majorité du Parti socialiste se prononce effectivement pour l'adhésion, par 3 208 mandats contre 1 022, ce qui n'est pas le cas dans les autres partis socialistes. Plusieurs interprétations rendent compte de ce phénomène. Tout d'abord, les jeunes membres du parti se sont massivement prononcés pour l'adhésion. Ensuite, celle-ci est davantage idéale que programmatique : il s'agit plus d'un rejet des anciennes directions du parti socialiste, de leur participation aux gouvernements d'" Union sacrée " que d'une adhésion réelle aux vingt et une conditions.

Cette adhésion se traduit-elle par une influence accrue des révolutionnaires russes au plan international ?

Alexandre Courban. Elle n'est pas perçue comme ça. C'est justement la raison pour laquelle les années qui suivent la scission sont compliquées au sein du Parti communiste, qui perd rapidement une partie de ses effectifs. Le noyau " bolchevik ", ex-comité pour la IIIe Internationale, prend de plus en plus d'importance au sein du nouveau parti. Et lors de son quatrième congrès, à la fin de l'année 1922, Trotski, au nom de la direction de l'Internationale communiste soucieuse d'homogénéiser le mouvement, impose aux militants français de choisir entre leur appartenance au Parti et à la Ligue des droits de l'homme ou à la franc-maçonnerie. C'est un moyen de se débarrasser des " intellectuels petit-bourgeois de gauche ". Certains, comme Marcel Cachin, renoncent à leurs autres organisations, mais d'autres comme Frossard, alors secrétaire général du parti, et quelques journalistes de l'Humanité, refusent cet oukase et démissionnent du parti le 1er janvier 1923. La grande inquiétude de l'Internationale en décembre 1922 était que le parti français perdît la majorité de ses militants et son quotidien.

Venons-en justement à l'Humanité. Quelle est sa place dans l'espace public avant de passer dans le giron du Parti communiste ?

Alexandre Courban. C'est un acteur politique au sens plein du terme. Le journal ouvre ses colonnes à toutes sortes d'initiatives. Il invite régulièrement ses lecteurs à venir financièrement en aide aussi bien aux victimes de la répression de la révolution russe en 1905, qu'aux familles des mineurs de Courrières après la catastrophe de 1906, qu'aux grévistes de Draveil en 1908 ou encore les cheminots en grève en 1910. C'est lui qui organise en 1913 la lutte contre le passage de deux à trois ans du service militaire en faisant signer des pétitions. Il joue le rôle d'" organisateur collectif ", pour reprendre une formule utilisée par Lénine.

Quel enjeu le contrôle du journal représente-t-il pour les socialistes du congrès de Tours ?

Alexandre Courban. Quelques semaines après la scission prononcée à Tours, en janvier 1921, se décide l'avenir du journal. Il s'agit très clairement pour les socialistes divisés de contrôler le seul quotidien de quatre pages diffusé nationalement à plus 150 000 exemplaires, et qui a de surcroît derrière lui seize ans d'histoire, donc un réseau d'abonnés et des habitudes de lecture. L'enjeu est de maîtriser le principal vecteur de la propagande du parti. Autre spécificité française, l'Humanité est le seul quotidien socialiste qui devient communiste. À ma connaissance, tous les autres journaux de ce type sont des créations.

Qui est alors propriétaire du journal ? Pourquoi suit-il la majorité du Congrès de Tours ?

Alexandre Courban. L'Humanité est une entreprise de presse au sens classique, son capital appartient à des actionnaires représentés par le trésorier du Parti, Zéphirin Camélinat, ou d'autres personnalités. Lors de l'assemblée générale de janvier 1921 qui décide du sort du journal, Camélinat répartit les actions au prorata des voix recueillies lors du congrès, soit 70 % en faveur des partisans de l'adhésion à la Troisième Internationale, et 30 % à ses adversaires. Philippe Landrieu, administrateur du journal quasiment depuis sa fondation, détient de son côté des actions achetées en 1907 par les partis sociaux-démocrates allemand, autrichien et tchèque. Pourtant proche de Jaurès, il se prononce pour l'adhésion. La famille de Jaurès, elle, ne se fait pas représenter. Contrairement à ce que l'historiographie et la tradition militante ont retenu, ce n'est pas le choix de Camélinat qui a permis au futur parti communiste de conserver le journal, mais la décision ou l'absence de décision des plus proches de Jaurès (sa famille et Landrieu). Camélinat ayant été " ministre des Finances " de la Commune de Paris et Landrieu exclu du parti en 1923, le Parti communiste fait le choix de mettre en avant cette figure historique de la Commune de Paris. Cela arrange également les socialistes qui peuvent alors faire croire que les communistes leur ont volé le journal de Jaurès.

Par quels changements, humains et éditoriaux, s'opère la mue de l'Humanité ?

Alexandre Courban. En 1921, les quelques journalistes opposés à l'Internationale communiste s'accordent avec leur choix politique et quittent le journal d'eux-mêmes. Les changements plus " visibles " surviennent deux ans plus tard, même si en novembre 1920, on pouvait déjà voir poindre des titres comme " Vive la République des Soviets " sur six colonnes à la une au moment de l'anniversaire d'Octobre. Les relations entre le journal et le parti ont rarement été simples. La première des conditions de l'Internationale est que les journaux soient dirigés par " des communistes authentiques, ayant donné les preuves de sacrifice à la cause du prolétariat ",selon la traduction française de la version italienne. Tout cela donne lieu à des débats intenses au sein du mouvement entre 1921 et 1924 sur la fonction de la presse, sur ce que doivent être les journalistes, qui doit procéder à leur nomination. À partir de 1921, le parti se transforme : l'objectif est désormais de prendre le pouvoir, y compris par la force, sur le modèle de ce qu'ont fait les bolcheviks en Russie. En parallèle à ce parti d'un type nouveau, les communistes souhaitent mettre en place un journal de type nouveau. Le rôle assigné au journal évolue, la ligne éditoriale connaît un net coup de barre à gauche. Comme le bureau politique du Parti doit aider le directeur à imprimer une ligne et à veiller à son respect, le journal ne peut pas être en porte-à-faux avec le Parti. Dès lors, l'Humanité doit devenir plus qu'un journal : l'organe central du Parti. En 1921 tout d'abord, le sous-titre, de " journal socialiste ", devient " journal communiste ". En 1923, il change une nouvelle fois pour devenir " organe central du Parti communiste (SFIC) "". En 1924, s'ouvre alors la période de la mise en pratique des décisions adoptées depuis 1921 : la " "bolchevisation ".

Entretien réalisé par Théophile Hazebroucq

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20 août 2016 6 20 /08 /août /2016 05:56

Qui proteste ? Quelques intellectuels, des éléments de la gauche socialiste, des journalistes (l’Observateur, Témoignage chrétien). Et les communistes. Lorsque Raymond Guyot, à l’Assemblée nationale, condamne les plans d’agression en gestation, il est interrompu par un retentissant « il suffit qu’une cause soit étrangère pour qu’elle soit vôtre » du même Guy Mollet (3 août 1956).

La crise du canal de Suez et les bombardements impérialistes de Guy Mollet: à la Une de l'Huma en 1956 (Alain Ruscio, L'Humanité)

La crise du canal de Suez

les séries d'été de l'Humanité 21/33

ALAIN RUSCIO HISTORIEN

MERCREDI, 17 AOÛT, 2016

L'HUMANITÉ

Les aviations française et britannique bombardent, en soutien à l’attaque israélienne de l’Égypte de Nasser. Pierre Courtade est sans appel : c’est une « guerre coloniale ».

L’avènement d’un groupe d’officiers modernistes à la tête de l’État égyptien, en 1952, n’avait pas été vu d’un très bon œil par l’Occident. Son leader, le colonel Gamal Abdel Nasser, donne rapidement une orientation neutraliste à la politique de son pays. La présence de l’Égypte à Bandung (avril 1955) en est un symbole fort.

Les Français ont une autre raison de considérer Nasser avec méfiance et antipathie : depuis le début de la guerre d’Algérie, l’Égypte héberge divers services du Front de libération nationale, sa radio est le relais vers l’extérieur des thèses du FLN. Aussi, lorsque l’Égypte, le 26 juillet 1956, nationalise le canal de Suez, lésant la Compagnie internationale, détenue à 44 % par Britanniques et Français, le cabinet dirigé par le socialiste Guy Mollet et une presse majoritairement au diapason se déchaînent. « Laissera-t-on un dictateur marcher à la conquête du monde ? » interroge le président du Conseil. Il y a, dans une opinion française chauffée à blanc, une vague qui porte vers la guerre. Les comparaisons avec Hitler commencent à fleurir dans la presse et chez certains hommes politiques. Mollet, décidément intarissable sur la question, ajoute : « Ce qui m’a guidé (…), c’est en quelque sorte un réflexe antimunichois », oubliant au passage que son parti, en 1938, avait été moins véhément contre Munich.

Washington et Moscou ont la même opinion : ils condamnent l’agression

Qui proteste ? Quelques intellectuels, des éléments de la gauche socialiste, des journalistes (l’Observateur, Témoignage chrétien). Et les communistes. Lorsque Raymond Guyot, à l’Assemblée nationale, condamne les plans d’agression en gestation, il est interrompu par un retentissant « il suffit qu’une cause soit étrangère pour qu’elle soit vôtre » du même Guy Mollet (3 août 1956).

Les 22 et 23 octobre, à Sèvres, les gouvernements français, britannique et israélien mettent au point la « réplique » militaire à l’Égypte. Le 29, Israël attaque. Le 31, l’Égypte est bombardée par les aviations française et britannique. Pour la seule fois, durant l’ère de guerre froide, Washington et Moscou ont la même opinion : ils condamnent l’agression. Mais, pour le PCF, l’opinion française doit jouer son rôle, la protestation doit monter d’un cran. L’Humanité, ce 1er novembre, cite les débrayages, manifestations et délégations qui commencent à se mettre en place, à l’initiative des militants communistes (mobilisation qui va être vite contrariée par le soutien du PCF à l’intervention soviétique en Hongrie, exactement contemporaine).

Pierre Courtade condamne « une guerre applaudie par la pire réaction »

L’éditorial, ce jour-là, est signé par Pierre Courtade, chef de la rubrique internationale, l’une des signatures les plus illustres, à juste titre, de toute l’histoire du journal. Et le verdict est sans appel : le déclenchement d’« une guerre coloniale, en violation flagrante de la charte des Nations unies, une guerre applaudie par la pire réaction » a bel et bien été le fait d’un gouvernement socialiste. L’auteur condamne également la « guerre préventive » d’Israël. Cette politique est tout sauf « improvisée », commente Courtade : « Il s’agit d’une machination soigneusement agencée dans le secret, comme si les gouvernements de Londres et de Paris avaient voulu substituer à la politique, à la diplomatie la tactique expéditive des commandos. » Et dans quel but ? Certes, pour défendre les intérêts des vieux impérialismes. Mais aussi, mais surtout, pour tenter de mettre à genoux le FLN et le peuple algérien. C’est une vieille illusion de l’idéologie coloniale : expliquer les déboires du système par les influences extérieures, par les manipulations de l’« étranger ». Ainsi, agresser l’Égypte serait le moyen de mettre fin à la résistance algérienne !

L’opinion mondialeest très remontée. L’ONU demande l’arrêt des opérations

Ensuite, tout va très vite. L’armée israélienne, suréquipée (entre autres par la France), avance très vite dans le Sinaï et à Gaza. Le 5 novembre, Français et Britanniques effectuent une opération aéroportée sur Port-Saïd. La ville est vite contrôlée. Le corps expéditionnaire marche vers le canal. Victoires à la Pyrrhus. L’opinion mondiale est très remontée. L’ONU demande le 2 novembre l’arrêt des opérations. Tel-Aviv, puis Londres, enfin Paris, bon dernier, finissent par accepter le cessez-le-feu. L’opération s’achève piteusement par le retrait des forces franco-britanniques.

Une fois de plus, la politique de confrontation avec le monde arabe avait produit des fruits empoisonnés.

TEL QUEL. Dans l’Humanité du 1er novembre 1956 « La réaction se moque parfaitement des Israéliens comme s’en moquent les conservateurs anglais qui leur firent jadis une guerre acharnée. La seule chose qui intéresse ces gens, c’est de trouver un prétexte et des troupes auxiliaires pour “donner une leçon aux Arabes”. Les colonialistes français espèrent que cette “leçon” résoudra le problème algérien, et les colonialistes anglais espèrent rétablir leur situation gravement compromise dans une région, le Moyen-Orient, qu’ils considéraient comme leur fief, au point d’expulser jadis sans ménagement les Français de Syrie. La liaison étroite entre la guerre d’Algérie et la décision d’entreprendre cette folle campagne d’Égypte a été soulignée par le gouvernement lui-même et par ses services de police. »

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19 août 2016 5 19 /08 /août /2016 06:02
Federico Garcia Lorca, poète assassiné le 19 août 1936 par les franquistes

Federico Garcia Lorca, poète assassiné le 19 août 1936 par les franquistes

Assassinat de Federico Garcia Lorca le 19 août 1936, il ya 80 ans.

- Par Pierre Clément (page Facebook Histoire Populaire de Pascal Bavencove)


La mort du poète espagnol Federico Garcia Lorca le 19 août 1936, durant la guerre civile (1936-1939), a toujours été un objet de fantasmes et de controverses en Espagne. Jamais le régime franquiste n’a reconnu avoir assassiné l’auteur de Noces de sang et de La Maison de Bernarda Alba. Pressé de s’expliquer sur une affaire qui l’a embarrassé durant ses quarante ans à la tête de l’Espagne, le dictateur Francisco Franco (1936-1975) assurait que « l’écrivain mourut mêlé aux révoltés ». Et d’ajouter « ce sont les accidents naturels de la guerre ».
Ce déni n’a pas empêché les historiens de publier de nombreux essais sur les conditions probables, les raisons possibles et le lieu approximatif de la mort du poète. Mais malgré les recherches des historiens et archéologues, le corps est resté introuvable et le mystère jamais entièrement résolu.
C’est sans doute pour ces raisons que la publication, le 23 avril 2015 par le site d’information Eldiario.es et la radio Cadena SER, d’un rapport de police inédit, datant de 1965, a mis l’Espagne en ébullition. Ce document, élaboré après une requête de l’écrivaine française Marcelle Auclair – auteure du livre Enfances et mort de Garcia Lorca (Seuil, 1968) – avait été maintenu secret par le régime franquiste. Trop sensible. Il vient confirmer les thèses des principaux historiens qui ont travaillé sur Lorca : son assassinat était bien un crime politique, et non un hasard de la guerre.
Traqué par les phalangistes
Deux pages à peine résument l’affaire. Il y est écrit que le poète était « socialiste », « franc-maçon » et « connu pour ses pratiques d’homosexualité [sic], une aberration qui devint connue de tous ». S’ensuit le récit de son arrestation et de son exécution : « surpris » par les phalangistes à Grenade, le poète « prit peur et se réfugia dans la demeure de ses amis les frères Rosales Camacho, d’anciens phalangistes ». Ces derniers tentèrent, en vain, d’intercéder en sa faveur.
Arrêté et emmené dans une caserne, il fut ensuite conduit à « Viznar, près de Grenade, à proximité d’un endroit connu comme Fuente Grande [la Grande Fontaine], avec un autre détenu, et fusillé après avoir été confessé ». Qu’a confessé Lorca ? Qu’il était socialiste, franc-maçon ou homosexuel ? Ou les trois ? Le rapport de police ne le précise pas. En revanche, il donne des indications sur le lieu où il fut enterré, « à fleur de terre, dans un fossé situé à environ deux kilomètres à droite de cette Fuente Grande, dans un endroit très difficile à localiser ». Le gouvernement andalou assure que les recherches pour retrouver le corps de Garcia Lorca vont reprendre, dans l’espoir d’élucider définitivement l’un des crimes les plus commentés de la guerre civile.
Il est aujourd'hui établi que la milice franquiste est responsable de sa disparition dans la nuit du 16 au 17 août 1936. Un ancien militaire, Antonio Benavides, a d'ailleurs revendiqué lui avoir mis deux balles dans la tête. En réalité, il semble bien que ce soit un peloton d'exécution qui ait exécuté Federico García Lorca.
C'est pour identifier ses membres que la magistrate, Maria Servini, vient de décider de relancer les investigations. La nouvelle a été confirmée par l'ONG, l'Asociación para la Recuperación de la Memoria Histórica (ARMH), sur les réseaux sociaux. Cette association qui collecte les traces des victimes du régime de Franco est pour beaucoup dans la réactivation de l'enquête entourant ce que les Anglo-saxons appellent un "cold case". C'est en effet cette ONG qui a demandé en avril à la magistrate de s'emparer de l'affaire. Cette dernière a accepté.
"L'affaire a été incorporée à une enquête en cours par la juge Maria Servini pour crimes contre l'humanité", a indiqué l'association ARMH. Cette juge enquêtait, de fait, sur des crimes commis pendant la période franquiste, englobant à la fois des faits de torture et des exécutions sommaires.
Parviendra-t-elle à faire toute la lumière sur cette affaire ? Entre 2006 et 2008, un autre magistrat, Baltásar Garzón, avait tenté de rouvrir une enquête sur les crimes du régime. Mais il avait dû abandonner en raison de la loi d'amnistie adoptée en 1977. Garzón avait d'ailleurs été poursuivi en justice par deux associations pro-Franco qui lui reprochaient d'enfreindre cette loi, censée couvrir d'un voile ces années noires au cours desquelles 500 000 personnes ont trouvé la mort.

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19 août 2016 5 19 /08 /août /2016 05:54
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17 août 2016 3 17 /08 /août /2016 05:06
Extraits du programme du Conseil National de la Résistance... "L'étrange oubli"

Que ce soit dans les programmes scolaires ou dans tous les lieux de mémoires, étrange cet oubli du programme du CNR porté par la jeunesse en pleine clandestinité?

Un programme d'où naquirent tous les grands CONQUIS sociaux qui font notre dignité et détricotés tranquillement aujourd'hui. La reponse est dans l'affiche ci dessous..

Michel Etievent - historien, spécialiste d'Ambroise Croizat, conseiller du film de Gilles Perret "Les jours heureux". (sur la page Facebook Histoire Populaire de Pascal Bavencove)

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16 août 2016 2 16 /08 /août /2016 06:26
Boris Taslitsky, Grèves de juin 1936: Le Monde Diplomatique, juin 2016

Boris Taslitsky, Grèves de juin 1936: Le Monde Diplomatique, juin 2016

Aux origines ouvrières du Front populaire

Le 3 mai 1936, le gouvernement de Léon Blum parvenait au pouvoir dans une France affaiblie par la crise économique et menacée par la guerre. Cette date constitue le point de départ politique du Front populaire. Mais elle occulte les conditions d’émergence et les racines sociales d’un mouvement de grèves sans précédent, qui permit des avancées considérables.

par Gérard Noiriel

ors du discours qu’il a prononcé, le 3 mai 2016, en introduction du colloque « La gauche et le pouvoir (1) », M. François Hollande a félicité les organisateurs d’avoir tenu cette rencontre le jour du 80e anniversaire de la victoire du Front populaire. C’était un bon moyen, selon lui, de « faire des comparaisons utiles dans le temps, dans l’espace, et de tirer les leçons pour aujourd’hui ».

Commémorer le Front populaire en privilégiant les élections législatives d’avril-mai 1936 n’est évidemment pas anodin. Cela permet de mettre l’accent sur le rôle des partis, de leurs dirigeants et de leurs programmes, au détriment des luttes populaires. C’est l’histoire vue d’en haut et non d’en bas. Pourtant, le Front populaire est le meilleur exemple que l’on puisse trouver dans notre histoire contemporaine quand on veut montrer que les progrès sociaux dépendent bien plus des mobilisations populaires que des programmes électoraux.

La victoire de la gauche en mai 1936 ne suffit pas, par elle-même, à donner son importance historique au Front populaire. Les radicaux, les socialistes et les communistes — les trois principales forces politiques réunies sous sa bannière — l’ont emporté d’une courte tête (37,3 % des inscrits, contre 35,9 % pour la droite). Pour parvenir à une entente, ils ont adopté un programme extrêmement modeste, résumé par le slogan : « Pain, paix, liberté ». Sur le plan social, leurs promesses se limitaient à des mesures visant à réduire la durée du travail sans diminution de salaire et à créer un fonds national de chômage. Cette timidité explique en partie que le Parti communiste ait refusé de participer au gouvernement dirigé par Léon Blum.

Si le Front populaire est devenu un moment marquant de notre histoire contemporaine, c’est avant tout parce qu’il a pris sa source et trouvé sa raison d’être dans une extraordinaire mobilisation collective, qui n’a pas eu d’équivalent à l’époque en Europe.

Pour tenter d’expliquer les raisons de ce soulèvement des classes populaires, il faut commencer par replacer l’événement dans l’histoire longue de la classe ouvrière française (2). À la différence de ce qui s’est passé au Royaume-Uni, la première révolution industrielle n’a pas entraîné, en France, une rupture radicale avec le monde rural. La grande industrie se développe en prolongeant le modèle économique antérieur, dominé par des marchands-fabricants qui distribuent la matière première transformée en produits finis par une multitude d’ouvriers-paysans enracinés dans leurs villages et travaillant en famille. Dans les grandes villes, et notamment à Paris, on trouve surtout des ouvriers-artisans, issus du monde des corporations d’Ancien Régime. Héritiers des sans-culottes, ils sont les principaux acteurs de tous les mouvements révolutionnaires qui secouent la capitale de 1789 jusqu’à la Commune de Paris, en 1871. Un immense fossé sépare ces deux composantes du monde ouvrier. Cette hétérogénéité freine la constitution d’une classe ouvrière possédant une identité propre, entrave la naissance du droit du travail, pérennise les formes juridiques traditionnelles que sont le louage d’ouvrage et le marchandage (3).

Véritable point de départ en 1933

À la fin du XIXe siècle, la première crise majeure du capitalisme, appelée Grande Dépression par les historiens, débouche sur une nouvelle révolution industrielle, qui ouvre l’ère des grandes usines. Touchées de plein fouet par ces bouleversements, les deux principales composantes du monde ouvrier engagent un combat radical et multiforme contre l’ordre nouveau. Les grèves et les manifestations, souvent réprimées dans le sang, se multiplient. C’est à ce moment-là que s’impose dans l’espace public la figure du mineur, que naissent les syndicats et les partis se réclamant du prolétariat (Confédération générale du travail [CGT], Parti ouvrier français [POF], etc.). Cette mobilisation massive contraint le patronat des mines à signer les premières conventions collectives. C’est aussi le début de la législation sociale, illustrée notamment par les lois sur le repos hebdomadaire, la retraite ouvrière et paysanne, et surtout la naissance du code du travail (1910) (4).

Néanmoins, le pouvoir républicain ne s’engage pas sur la voie d’un système global de protection sociale comparable à celui qu’Otto von Bismarck a imposé en Allemagne au cours des années 1880. Pour satisfaire leur électorat, composé surtout de paysans propriétaires et de petits patrons, les dirigeants de la République française optent pour un protectionnisme économique qui vise à taxer les marchandises, mais aussi la main-d’œuvre étrangère. Ce n’est pas un hasard si la loi dite de « protection du travail national » (adoptée en 1893) se focalise sur des mesures d’identification des travailleurs étrangers. En freinant l’exode rural, ce protectionnisme aggrave la pénurie d’ouvriers dans la grande industrie. Le recours massif à l’immigration s’impose au moment même où se multiplient les discriminations de tous ordres à l’égard des non-nationaux.

La première guerre mondiale et la période de reconstruction qui la suit creusent de nouveaux clivages entre les composantes du monde ouvrier. Dans les secteurs les mieux protégés (chemins de fer, postes, services publics, etc.), la cogestion tripartite (État, patronat, syndicat), institutionnalisée pendant la guerre grâce à l’union sacrée, est pérennisée. C’est dans ces branches que la CGT réformiste recrute la plus grande partie de ses adhérents.

En revanche, dans la grande industrie, le mouvement ouvrier s’effondre après la répression féroce des grèves insurrectionnelles de 1919-1920. Comme l’ont montré Edward Shorter et Charles Tilly, c’est dans les entreprises de plus de cinq cents ouvriers, là où la combativité était la plus forte avant 1914, que le recul des grèves est le plus net au cours des années 1920 (5). Cette démobilisation s’explique par deux raisons. Dans l’industrie lourde du Nord et de l’Est, le recours massif à l’immigration pour remplacer les ouvriers morts au combat ou qui ont fui les zones sinistrées affaiblit fortement les traditions de lutte forgées dans les décennies antérieures. Dans l’industrie de transformation, les nouvelles usines se développent surtout au sein des banlieues des grandes villes. Elles attirent des ouvriers qualifiés qui privilégient des solutions individuelles en changeant constamment d’entreprise pour vendre leur force de travail au patron le plus offrant. Cette instabilité massive entrave l’action collective, malgré les efforts du Parti communiste et de la Confédération générale du travail unitaire (CGTU (6)).

La nouvelle crise du capitalisme, déclenchée par l’effondrement de la Bourse de Wall Street en octobre 1929, atteint la France en deux temps. Jusqu’en 1933, ses effets sont beaucoup moins visibles que dans les autres pays, car elle frappe surtout les franges les plus marginales de la société industrielle. Des centaines de milliers de travailleurs immigrés sont renvoyés dans leurs pays d’origine, et les ouvriers-paysans (qui sont encore très nombreux en France) trouvent dans leur environnement rural des ressources qui limitent le recours aux fonds de chômage. Mais, à partir de 1933, la dépression touche de plein fouet le cœur d’un monde ouvrier plus français, plus masculin, plus qualifié, plus urbain que dans la période précédente. Le chômage prend des proportions gigantesques, alors même que le système d’indemnisation est encore archaïque. De nombreux ouvriers qualifiés sont bloqués dans leur mobilité, et sont parfois contraints d’occuper les emplois auparavant réservés aux immigrés. Les patrons, n’ayant plus les ressources nécessaires pour intensifier la mécanisation des tâches manuelles, privilégient désormais la « rationalisation du travail ». La rémunération au rendement et le travail à la chaîne se diffusent rapidement, notamment dans l’automobile.

Contrairement à ce qui est fréquemment affirmé, le mouvement de grèves qui caractérise le Front populaire n’a pas débuté au lendemain de la victoire électorale de la gauche, le 3 mai 1936. Son véritable point de départ date de 1933, lorsque les ouvriers qualifiés des grandes usines de construction mécanique sont directement frappés par la crise économique. C’est à ce moment-là que le Parti communiste commence à récolter les fruits d’une stratégie privilégiant l’action dans l’entreprise. S’il fallait désigner un événement fondateur, nous pourrions volontiers choisir l’accident qui s’est produit le 6 février 1933 à l’usine Renault de Billancourt. L’explosion d’une chaudière fait huit morts et de nombreux blessés. Lors de l’enterrement, le patron (Louis Renault) et le maire socialiste font face aux familles des victimes, soutenues par les élus communistes, les militants et vingt mille ouvriers qui crient :« Assassins ! Assassins ! ». Relayé sur tout le territoire national parL’Humanité (le journal de Jean Jaurès, passé sous la coupe du Parti communiste en 1920), cet événement tragique contribue fortement au processus d’identification des travailleurs à un « nous » ouvrier qui ne cessera de se consolider dans les mois et les années suivants.

La conjoncture politique va jouer un grand rôle, elle aussi, dans le développement des luttes sociales. Le 6 février 1934, les ligues d’extrême droite organisent une manifestation qui vire à l’émeute. La crainte d’un coup d’État suscite une réaction qui précipite la réunification du mouvement ouvrier et l’alliance des forces de gauche au sein d’un front antifasciste qui ouvre la voie au Front populaire. Ce réflexe unitaire encourage les travailleurs à s’engager dans l’action collective. Les grèves se multiplient, touchant des secteurs très divers ; fait nouveau, elles sont désormais souvent victorieuses. Preuve du rôle essentiel que les femmes commencent à jouer dans ce mouvement, en mai 1935 plus de deux mille ouvrières de la confection, réparties dans de petites entreprises de la région parisienne, se mettent en grève contre des diminutions de salaire ; elles obtiennent gain de cause.

La lutte paye

Cette première phase de l’histoire du Front populaire est essentielle, car c’est à ce moment-là que les ouvriers vont inventer les modes d’action et mettre au point les revendications qui se généraliseront en mai-juin 1936. L’exemple du conflit qui touche en novembre 1935 les forges d’Homécourt à Saint-Chamond (une usine qui fabrique du matériel pour la marine nationale) est à cet égard emblématique. Motivée par le rejet des mesures de « rationalisation du travail », la grève s’accompagne (pour la première fois) d’une occupation des locaux qui durera cinq semaines. Les grévistes obtiennent non seulement des hausses de salaire, mais aussi l’instauration de délégués du personnel et une classification des ouvriers en trois catégories, en fonction de leur qualification.

La victoire électorale de mai 1936 peut être vue comme l’étincelle qui a provoqué l’embrasement général à partir des foyers allumés par le petit noyau des ouvriers qualifiés de la grande industrie. Le mouvement des grèves avec occupation connaît un premier point culminant au début du mois de juin 1936 (cent cinquante entreprises occupées). Le patronat accepte alors d’entamer des négociations, qui aboutissent le 8 juin aux accords de Matignon (hausse des salaires, limitation de la durée du travail hebdomadaire à quarante heures, congés payés, généralisation des conventions collectives, etc.). Mais ces acquis ne suffisent pas à mettre un terme au mouvement, bien au contraire. Découvrant que la lutte paye, les fractions les plus éloignées de l’action syndicale et politique prennent ensuite le relais. Pratiquement toutes les branches de l’économie seront touchées par ce mouvement, à l’exception des secteurs les mieux protégés (services, fonction publique), qui resteront fidèles à la collaboration de classe prônée par la CGT réformiste.

Finalement, la principale leçon que l’on peut tirer du Front populaire, c’est que des revendications sociales que les experts, les gouvernants et les patrons jugeaient « utopiques », « irréalistes », voire « suicidaires » deviennent légitimes quand les dominés parviennent à construire un rapport de forces qui leur est favorable. Certes, le combat ne s’est pas arrêté en juin 1936. Au cours des mois et des années suivants, les accords de Matignon seront constamment attaqués par le patronat, et ce n’est qu’au lendemain de la seconde guerre mondiale qu’ils s’installeront durablement dans le droit français. Le démantèlement actuel du droit du travail marque sans doute une nouvelle étape dans cette histoire longue de la lutte des classes.

Le Front populaire montre aussi que les représentations collectives de la société sont bouleversées quand la classe ouvrière fait entendre sa voix. À la Belle Époque, le mouvement social avait permis l’irruption de la figure du mineur du Nord dans l’espace public. En 1936, c’est le « métallo de Billancourt » qui prend sa place. Ce nouveau personnage, incarné au cinéma par Jean Gabin (La Belle Équipe), occulte certes le rôle joué par les femmes, par les immigrés, par les travailleurs coloniaux dans l’immense mobilisation populaire de cette période. Néanmoins, même si le métallo de Billancourt ne représente qu’une partie du peuple en lutte, sa présence impose le respect pour le peuple tout entier. La droite et l’extrême droite tenteront de discréditer le mouvement en affirmant que les grèves ont été orchestrées par les bolcheviks depuis Moscou. Mais jamais Léon Blum ne cautionnera cet argument.

Un demi-siècle plus tard, la société française est à nouveau confrontée à une crise économique qui provoque l’effondrement des bastions de la grande industrie. En mai 1981, la victoire de François Mitterrand suscite un espoir dans les classes populaires. Un « printemps syndical » émerge dans l’industrie automobile, sous l’impulsion des ouvriers spécialisés (OS). Mais ceux-ci ne parviennent pas à entraîner dans leur sillage les autres composantes du monde ouvrier. Le rapport de forces est insuffisant pour donner sa légitimité au mouvement dans l’espace public. Sous l’influence des médias, qui multiplient les reportages montrant des musulmans faisant leurs prières dans les ateliers, Pierre Mauroy, le premier ministre socialiste, finira par déclarer en janvier 1983 : « Les principales difficultés qui demeurent sont posées par des travailleurs immigrés (…) qui se déterminent en fonction de critères ayant peu à voir avec les réalités sociales françaises (7). » L’argument traditionnel de la droite, visant à discréditer les luttes sociales en présentant les grévistes comme des agitateurs à la solde de l’étranger, est alors avalisé par celui qui appartient au même parti et qui occupe la même fonction que Léon Blum en 1936.

Le Front populaire est définitivement mort ce jour-là.

Le Monde Diplomatique, juin 2016

Gérard Noiriel

Historien, directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS). Dernier ouvrage paru : Chocolat. La véritable histoire d’un homme sans nom, Bayard,

(1) Colloque organisé par la Fondation Jean-Jaurès, la Fondation européenne d’études progressistes et le think tank Terra Nova.

(2) Pour une analyse approfondie, cf. Les Ouvriers dans la société française, XIXe-XXe siècle, Seuil, Paris, 1986.

(3) Le « marchandage » désigne la pratique consistant, pour un intermédiaire ou « sous-entrepreneur », à revendre le travail d’ouvriers à un autre employeur.

(4) Claude Didry, L’Institution du travail. Droit et salariat dans l’histoire, La Dispute, Paris, 2016.

(5) Edward Shorter et Charles Tilly, Strikes in France, 1830-1968, Cambridge University Press, 1974.

(6) Syndicat issu d’une scission de la CGT, qui a existé de 1921 à 1936.

(7) Cité par Nicolas Hatzfeld et Jean-Louis Loubet, « Les conflits Talbot, du printemps syndical au tournant de la rigueur (1982-1984) », Vingtième Siècle, no 84, Paris, 2004.

ors du discours qu’il a prononcé, le 3 mai 2016, en introduction du colloque « La gauche et le pouvoir (1) », M. François Hollande a félicité les organisateurs d’avoir tenu cette rencontre le jour du 80e anniversaire de la victoire du Front populaire. C’était un bon moyen, selon lui, de « faire des comparaisons utiles dans le temps, dans l’espace, et de tirer les leçons pour aujourd’hui ».

Commémorer le Front populaire en privilégiant les élections législatives d’avril-mai 1936 n’est évidemment pas anodin. Cela permet de mettre l’accent sur le rôle des partis, de leurs dirigeants et de leurs programmes, au détriment des luttes populaires. C’est l’histoire vue d’en haut et non d’en bas. Pourtant, le Front populaire est le meilleur exemple que l’on puisse trouver dans notre histoire contemporaine quand on veut montrer que les progrès sociaux

Lire aussi:

Paul Vaillant-Couturier: L'autre figure communiste du Front populaire (Patrick Appel-Muller)

"Blum tel qu'il est" - Un portrait au vitriol du dirigeant socialiste par Maurice Thorez à l'automne 1939

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16 août 2016 2 16 /08 /août /2016 06:20
Quand le peuple s'en mêle, numéro de l'Humanité Spécial Front Populaire

Quand le peuple s'en mêle, numéro de l'Humanité Spécial Front Populaire

En 1936, des conquêtes sociales pour sauver la république

JEAN-PAUL PIÉROT

LUNDI, 25 AVRIL, 2016

L'HUMANITÉ

L’Humanité édite un numéro hors-série exceptionnel à l’occasion du 80e anniversaire du Front populaire. Disponible dans les kiosques à partir du 28 avril, au prix de 8 euros.

«Quand le peuple s’en mêle ». Sous ce titre, l’Humanité publie un hors-série de 92 pages à l’occasion du 80e anniversaire du Front populaire. Ce numéro exceptionnel, dans une visée pédagogique, analyse les ressorts d’une victoire populaire qui combina succès électoral et mouvements de grève d’une ampleur inédite comme il maria la défense de la république avec la conquête de droits sociaux qui paraissaient inimaginables quelques mois auparavant.

Plusieurs historiens, spécialistes de cette période, ont prêté leur concours à cette publication.

Jean-Paul Scot décrit la crise dans une France encore fortement rurale, où un village sur deux n’a ni l’eau courante ni l’électricité. Mais aussi une France des grandes concentrations industrielles, et de la résistance des ouvriers de plus en plus conscients de leur opposition aux 200 familles.

Les années 1930, années d’exode pour les antifascistes et les juifs d’Europe centrale fuyant les persécutions racistes, années également du renvoi de centaines de milliers d’immigrés que la France avait fait venir dans les mines du Nord et de Lorraine après la Première Guerre mondiale. Gérard Noiriel rappelle que « dans chaque période de crise, la question de l’immigration est remise au cœur de l’actualité sous l’impulsion de l’extrême droite, qui nourrit l’idée que les étrangers prennent le pain et le travail des Français ».

L’émeute du 6 février 1934, un an après l’accession d’Hitler au pouvoir, a provoqué dans l’opinion une prise de conscience. Danielle Tartakowsky retrace toutes les étapes de la construction du rassemblement antifasciste. En mars 1936, la CGT mettra fin à sa division. Les effectifs syndicaux connaîtront une véritable explosion, rappelle Michel Dreyfus, passant en un an de 750 000 à 4 millions d’adhérents. Socialistes et communistes ratifient un pacte d’unité d’action, que Maurice Thorez propose d’élargir pour réaliser « le front populaire de la liberté, du travail et de la paix », et se heurte d’abord à une fin de non-recevoir socialiste et radicale. Puis, le 14 juillet 1935, au stade Buffalo, dans un cérémonial rappelant la fête de la Fédération de 1790, le serment du Front populaire est proclamé. « Une nouvelle culture politique de lutte et de masse, née de la symbiose opérée entre 1934 et 1935 entre les cultures républicaine et populaire, se concrétise. Une redéfinition profonde de la politique et de son rapport au social s’amorce », écrit Danielle Tartakowsky.

Le rôle de l’Humanité qui atteint des records de diffusion entre 1936 et 1937

Cela a été rendu possible grâce aux changements stratégiques auxquels ont opéré les communistes français dans un débat au sein de l’Internationale communiste. Serge Wolikow détaille le chemin qui mène de l’abandon de la ligne « classe contre classe » à une politique d’alliance, au cœur de l’idée de front populaire.

La campagne électorale de 1936 est marquée, explique Jean Vigreux, par une mobilisation sans précédent de l’opinion, et par une bipolarisation entre le Front populaire et ses détracteurs. La victoire est due à la forte poussée du Parti communiste qui double son score, alors que le PS stagne et que les radicaux reculent. Roger Martelli observe : « Jusqu’au Front populaire, le PCF assumait une fonction de représentation sociale et une fonction utopique. À partir de 1934 s’y ajoute une fonction proprement politique. Par la référence à l’antifascisme et à la lutte contre les 200 familles, le Parti communiste donne un coup de fouet salutaire à une gauche quelque peu assoupie par les compromis radicaux et les hésitations socialistes. »

On lira avec intérêt d’autres contributions. Annie Lacroix-Riz évoque l’attrait qu’a pu représenter, pour certains patrons, un État fasciste, dans lequel les ouvriers n’avaient aucun droit. Alexandre Courban traite du rôle de l’Humanité, qui atteint des sommets de diffusion entre 1936 et 1937. Morgan Poggioli souligne l’entrée massive des femmes dans les luttes sociales, alors qu’elles devront attendre une décennie avant d’obtenir le droit de vote. Jean Ortiz et José Fort évoquent le Front populaire espagnol lâché par la non-intervention et le courage des brigadistes venus combattre le fascisme au-delà des Pyrénées. Alain Ruscio dresse le maigre bilan du Front populaire dans l’empire colonial.

Frédéric Genevée, président du musée de l’Histoire vivante, à Montreuil, réfléchit sur la transmission de la mémoire. Paul Dietschy dresse un bilan de la politique du Front populaire en matière d’éducation au sport, sous l’impulsion de Léo Lagrange et d’Auguste Delaune…

À l’heure où le gouvernement ferraille pour affaiblir le droit du travail

Faut-il tirer enseignement d’une expérience qui s’est déroulée dans un monde différent d’aujourd’hui ? À l’heure où un gouvernement socialiste ferraille pour affaiblir le droit du travail, pour aggraver encore le rapport de forces au détriment des salariés, on mesure le fossé creusé en quatre-vingts ans. Sur plusieurs pages, trois responsables d’aujourd’hui en débattent : la syndicaliste Maryse Dumas, ancienne secrétaire confédérale de la CGT ; l’adjoint communiste à la mairie de Paris, Ian Brossat, et le député PS et ancien ministre Benoît Hamon.

Le regard du XXIe siècle sur cette séquence historique est porté aussi par quatre écrivains, qui nous ont confié des textes inédits. Didier Daeninckx présente une nouvelle historique intitulé les Anagrammes de “l’Humanité”, Michèle Audin nous fait rencontrer une employée des Galeries Lafayette, sous le titre Valentine, 24 mai 1936 ; Bernard Chambaz parcourtl’Humanité du 13 juin 1936… jour de la naissance de Michel Jazy dans un coron du bassin minier ; Gérard Mordillat écrit sur sa filiation avec les combats et les espoirs toujours vivants d’un Front populaire incarnant « la cause du peuple ».

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16 août 2016 2 16 /08 /août /2016 06:04
La une de l'Humanité le 3 novembre 1954

La une de l'Humanité le 3 novembre 1954

« Graves événements en Algérie »

les séries d'été de l'Humanité 19/33

ALAIN RUSCIO HISTORIEN

VENDREDI, 12 AOÛT, 2016

L'HUMANITÉ

Dès le 2 novembre 1954, le journal dénonce la répression coloniale et s’attaque le lendemain au mythe des « trois départements français », qualifié de « slogan ridicule ».

S’il est un thème qui, aujourd’hui encore, suscite des polémiques, c’est bien celui de l’attitude des communistes français lors des tout premiers temps de la guerre d’Algérie. Attachement indéfectible aux racines internationalistes pour les uns, trahison d’une mission sacrée pour les autres, chacun trouvant dans les textes le (ou les) mot(s) pour illustrer sa thèse…

En juillet 1954, une poignée de militants algériens, rompant avec le vieux leader Messali Hadj, jugé dépassé, ont fondé un Comité révolutionnaire d’unité et d’action (Crua), afin d’entrer dans la phase active de la lutte armée. Au jour prévu, le 1er novembre, une série d’accrochages et d’embuscades a lieu. Il y a quelques victimes. Un tract, Proclamation au peuple algérien, est retrouvé partout. Il est signé d’une organisation auparavant inconnue, le Front de libération nationale, FLN. Surprise ? Pas tout à fait, même si l’actualité maghrébine était plutôt, alors, marocaine et tunisienne.

Bien sûr, et depuis des années, l’Humanité prédisait comme une litanie que, « derrière le“calme” de l’Algérie » (titre de l’article d’Yves Moreau, le 18 juillet 1954), il y avait un bouillonnement. Mais de là à imaginer que l’explosion était imminente…

« Halte à la répression en Algérie ! »

Le 2 novembre 1954, la première réaction du journal est quasiment un réflexe conditionné : c’est la dénonciation de la répression coloniale. L’Humanité titre : « Graves événements en Algérie. Plusieurs morts et blessés dans la nuit de dimanche à lundi. Pour aggraver la répression, le gouvernement envoie trois bataillons de parachutistes et trois compagnies de CRS. Nombreuses arrestations de patriotes algériens. » Mais les nouvelles venues d’Algérie sont maigres et contradictoires. Le lendemain, 3 novembre, le titre est plus mordant, moins informatif : « Halte à la répression en Algérie ! Vaste opération de “ratissage” dans le massif de l’Aurès. Arrestations massives dans tout le pays. » Dès lors, le mot « répression » ne disparaîtra plus. Outre les dates citées, il figure dans les titres à cinq reprises en deux mois. Diverses formes de cette attitude sont signalées : les arrestations sont qualifiées de « nombreuses », et de « massives ». Sont également dénoncées les perquisitions et les rafles.

Ce 3 novembre, le tout premier homme politique dénoncé est François Mitterrand. Normal, lorsqu’on sait que l’homme était alors ministre de l’Intérieur et que, « l’Algérie étant la France », il avait ces « départements » sous son autorité. L’envoi de trois compagnies de CRS, de gardes mobiles, l’appel à trois bataillons de parachutistes (déjà…) sont dénoncés avec véhémence. Dès ce second jour de l’insurrection, les expressions « véritables mesures de guerre », « mise en état de siège » et « terreur » sont utilisées par le quotidien communiste. Pourquoi cette mobilisation, demande-t-il, si « le calme le plus complet règne dans l’ensemble des populations » (communiqué du ministre) ? Ce premier article se conclut par la demande du respect des « légitimes aspirations du peuple algérien à la liberté ».

Liberté ? Indépendance ?

Mais ce n’est pas tout. La direction du PCF a-t-elle senti qu’une période nouvelle commençait ? Toujours est-il que, le même jour, le journal publie un article, plus long, de Léon Feix, membre du bureau politique. Lorsqu’on connaît la centralisation qui régnait alors au sein du Parti, on peut affirmer sans crainte que cet article (donc écrit le 2 novembre) a bénéficié de l’imprimatur du bureau politique. Feix s’attaque au mythe des « trois départements français », qualifié de « slogan ridicule, uniquement destiné à camoufler la réalité coloniale, et d’ailleurs démenti chaque jour par les faits ». Le ministre de l’Intérieur est, de nouveau, épinglé : « M. Mitterrand n’a pas dit un mot de ce que désire par-dessus tout l’immense majorité des Algériens : la fin du régime colonial. » Élargissant son raisonnement à tout le Maghreb (rappelons que le Maroc et la Tunisie étaient alors toujours sous domination française), il concluait : « La seule solution – nous ne cessons de le répéter –, c’est de faire droit aux légitimes revendications à la liberté des peuples tunisien, marocain et algérien. » Liberté, donc, et pas « indépendance ». Le mot apparaîtra pourtant, de façon furtive, dans la bouche de Jacques Duclos, lors d’un meeting, le 5 novembre (l’Humanité, 6 novembre) : « Un vent de liberté et d’indépendance souffle de plus en plus fort dans les pays soumis à la domination des colonialistes, comme en ont témoigné et en témoignent notamment les événements de Tunisie, du Maroc et ceux d’Algérie. » Il faudra encore plus d’une année pour que ce mot réapparaisse, même si le mot d’ordre marquant des manifestations fut toujours « Paix en Algérie ».

TEL QUEL. Dans l’Humanité du 3 novembre 1954 par Léon Feix « Le ministre de l’Intérieur vient de faire un voyage en Algérie. Il a beaucoup parlé. Il a souligné “la primauté de l’économique et du social dans l’œuvre à accomplir en Algérie”. C’est là chose courante pour tous ceux qui considèrent l’Algérie comme “trois départements français”. Mais les Algériens, quelles que soient leur idéologie et leur origine, savent qu’il s’agit là d’un slogan ridicule, uniquement destiné à camoufler la réalité coloniale, et d’ailleurs démenti chaque jour par les faits. En niant qu’il existe en Algérie un problème politique, le ministre de l’Intérieur ne pouvait pas ignorer qu’il prenait exactement la position de ses prédécesseurs, position condamnée à la fois par l’ensemble des partis algériens et par bon nombre d’habitants de l’Algérie d’origine européenne, honnêtes ou simplement sensés. »

A lire aussi, si cela vous tente, un compte rendu de lecture du manuscrit inachevé de Camus sur son enfance algérienne, publié de manière posthume, plusieurs décennies après sa mort tragique dans un accident de voiture:

Conseil de lecture: "Le premier homme" d'Albert Camus

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15 août 2016 1 15 /08 /août /2016 06:03
Aragon, un destin français, tome 1 Le temps des rêves (1897-1939)- Editions de la Martinière, 2012- 29,90€

Aragon, un destin français, tome 1 Le temps des rêves (1897-1939)- Editions de la Martinière, 2012- 29,90€

Aragon, un destin français : tome II. L'Atlantide (1939-1982), éditions de La Martinière, 2013, 29,90€

Aragon, un destin français : tome II. L'Atlantide (1939-1982), éditions de La Martinière, 2013, 29,90€

Pierre Juquin sera l'invité de l'université d'été du PCF à Angers le vendredi 26 août pour un débat avec Alain Hayot et Guillaume Roubaud-Quashie sur la politique culturelle du Parti Communiste (retour sur le comité central d'Argenteuil).

Né en 1930 à Clermont-Ferrand, Pierre Juquin fut député communiste de l'Essonne, porte-parole du Parti avant d'entrer en dissidence et de le quitter en 87. Candidat aux Présidentielles de 88 sous l'étiquette PSU/LCR (un peu plus de 2%).

Pierre Juquin "J’ai voulu tenter de réfléchir sur la logique de cette vie"

ENTRETIEN RÉALISÉ PAR ALAIN NICOLAS

LUNDI, 24 DÉCEMBRE, 2012

L'HUMANITÉ

Pour Pierre Juquin, le parcours de Louis Aragon est celui d’un homme qui, de bout en bout, est resté lui-même. Haine de la guerre, du colonialisme, détestation de la bourgeoisie et de son asservissement à l’argent ont construit son œuvre et sa vie.

Le premier volume d’Aragon, un destin français vient de paraître(l’Humanité du 20 décembre). Nous avons rencontré son auteur, Pierre Juquin, qui revient dans cet entretien sur quelques-uns des points qui font de cet ouvrage un apport essentiel dans la connaissance de l’écrivain, du militant politique, de l’homme.

D’où vient ce projet de biographie d’Aragon ?

Pierre Juquin. Il y a dix ans, un éditeur m’avait demandé un livre sur Aragon et la politique. Après avoir commencé à travailler, je me suis rendu compte que le sujet était passionnant mais mal posé. Aragon a une richesse qui dépasse largement toute dimension politique. J’ai cependant travaillé dans les fonds d’archives, rencontré beaucoup de monde, accumulé beaucoup de matériaux avant de renoncer. Aragon, c’est un Himalaya. Il y a un an, mon éditeur actuel m’a proposé d’écrire une biographie « de la manière qui me conviendrait ». Je me suis dit que je voulais montrer le personnage et l’œuvre dans toute leur complexité, leurs contradictions, en les mettant en perspective. J’ai voulu non une biographie habituelle, « à l’américaine », strictement chronologique, où ne manque pas un bouton de guêtre, mais tenter de réfléchir sur la logique de cette vie. Et c’était aussi, pour moi, une façon de payer une dette à quelqu’un qui m’a beaucoup apporté. Plus j’ai avancé dans cette vie et cette œuvre, dans leur cohérence, plus j’ai pensé que je ne recherchais pas avec nostalgie le passé que j’avais en partie vécu, mais au contraire, que j’essayais de trouver chez lui ce qu’il appelle dans la Semaine sainte des graines d’avenir.

Aujourd’hui, on a tendance à s’attacher aux contradictions dans la vie, l’engagement, l’œuvre d’Aragon. Ce livre met plutôt en avant les cohérences.

Pierre Juquin. Il est vrai que les contradictions sautent aux yeux. On se pose souvent de nos jours la question, comment cet Aragon, qui a connu ce qui se passait en URSS, et qui en a souffert, comment a-t-il pu jusqu’au bout rester fidèle aux communistes. Il y a bien sûr des aspects affectifs. Mais il faut comprendre que son engagement dans le Parti communiste, à l’âge de trente ans, est un acte mûrement réfléchi, le fruit d’un processus de maturation très long, en fait une dizaine d’années. Il repose sur une pensée construite, avec des constantes qui la structurent. C’est pourquoi j’ai tenté d’étudier les rapports d’Aragon à la philosophie. C’était un philosophe. Peu de gens le savent. Il a étudié non seulement Hegel, ce qui était à la mode, mais Einstein, Freud, et surtout Marx. En examinant les travaux des chercheurs sur Aragon, j’ai été surpris de voir qu’aucune étude ne s’attache aux rapports entre Aragon et le marxisme.

Le contexte, c’est aussi une situation familiale difficile, dont on a beaucoup parlé, et sur laquelle vous apportez des éléments nouveaux.

Pierre Juquin. Il reste encore pas mal à découvrir sur la généalogie d’Aragon. Il n’existe pas d’acte de naissance d’Aragon. On ne sait pas s’il est né à Paris où dans le Var, dans la famille de sa mère, dont on ignore l’âge exact. Mais ce qui est intéressant, c’est ce qu’il fait de cette filiation déniée, de ces mensonges. Selon les critères d’aujourd’hui il aurait dû être un « enfant à problèmes », en échec scolaire. Or il réagit par la culture, non seulement comme acquis, mais aussi comme la création : « Le monde à bas, je le bâtis plus beau », dit un de ses premiers vers. Il gardera ce trait jusqu’au bout. En 1956, il répond au choc de la révélation des crimes de Staline, qui l’a effondré, par des salves de chefs-d’œuvre.

Les rapports d’Aragon et du Parti communiste sont compliqués dès le début.

Pierre Juquin. Il a créé un mythe, que le Parti a repris. Il a pris sa carte le jour des Rois en 1927, ce qui est vrai, mais il a assisté à quelques réunions de cellules et est reparti courir l’Europe en compagnie de Nancy Cunard. C’est en 1930 qu’après une crise terrible, il se retrouve définitivement au Parti communiste. C’est au retour de la conférence internationale des écrivains révolutionnaires de Kharkov où il s’était fait inviter en passant par-dessus toutes les règles du Parti. Il a d’ailleurs été exclu six mois, avant d’être réintégré avec des excuses, et, en même temps, cela ouvre une crise dans ses relations avec les surréalistes, qui ira jusqu’à la rupture. Il est donc très isolé et doit à Maurice Thorez et Paul Vaillant-Couturier d’être réellement intégré dans le travail avec les communistes.

Cela montre que les spéculations habituelles sur les « périodes » dans la vie d’Aragon sont assez hasardeuses.

Pierre Juquin. Scolairement, on peut toujours couper en tranches une œuvre, une vie. Mais ce n’est pas très intéressant. J’ai essayé, par des chapitres que j’appelle transversaux, « Barrès », « Dieu » « Marx », de dégager des grandes coupes, de montrer les continuités, les grandes tendances qui font que, d’un bout à l’autre, Aragon reste lui-même. On peut les énumérer : la haine de la guerre, du colonialisme, la détestation de la bourgeoisie, de ses mensonges, de son asservissement à la marchandise, à l’argent, et l’idée, à laquelle il n’est venu que progressivement, lentement – il lui a fallu une dizaine d’années – qu’à l’est de l’Europe, un événement s’était produit qui était intéressant historiquement mais aussi sur le plan de la pensée, du romantisme, valable pour toute l’humanité. Charles Dobzynski le rappelait, jusqu’au dernier souffle, il y a cru, contrairement à ce que beaucoup ont dit.

En retour, qu’est-ce qu’Aragon a apporté aux communistes, en dehors du prestige de sa célébrité ?

Pierre Juquin. Quelque chose qu’on a du mal à comprendre aujourd’hui, où l’influence des écrivains a beaucoup diminué. Aragon a développé le sens de la gratuité. C’est lui qui a écrit : « Je réclame dans ce monde-là la place de la poésie », contre toute la société de la marchandise. Et il a donné au Parti communiste une vraie politique culturelle, dès 1936, avec la Maison de la culture. Avant Vilar, avant Malraux, et trente ans avant le Comité central d’Argenteuil. Le premier ministre de la Culture qu’a eu la France, c’est Aragon.

En guise de mise en appétit par rapport à la lecture des Deux volumes de Aragon, un destin français, voici des extraits d'un compte rendu de lecture et une présentation de Robert Duguet sur un blog d'extrême-gauche (http://www.gauchemip.org/spip.php?article4204)

Origine sociale. Premières influences. Guerre et mouvement dadaïste. Du surréalisme à l’engagement communiste (janvier 1927). Période stalinienne. L’amitié… l’amour. Le réalisme prolétarien. Vers les fronts populaires. La question de l’Espagne. Dirigeant du journal « Ce Soir ». La maison de la culture. Le pacte germano-soviétique. Retour sur la création littéraire. Quelques éléments de réflexion personnelle.

Compte rendu du premier tome

En guise d’introduction 2

Jean Ferrat, paroles extraites de la chanson Le Bilan

« C’est un autre avenir qu’il faut qu’on réinvente

Sans idole ou modèle pas à pas humblement

Sans vérité tracée sans lendemains qui chantent

Un bonheur inventé définitivement

Un avenir naissant d’un peu moins de souffrance

Avec nos yeux ouverts et grands sur le réel

Un avenir conduit par notre vigilance

Envers tous les pouvoirs de la terre et du ciel

Au nom de l’idéal qui nous faisait combattre

Et qui nous pousse encore à nous battre aujourd’hui »

D’abord approché par un éditeur pour traiter des rapports d’Aragon et de la politique, Pierre Juquin après avoir travaillé quelques mois sur la question, commença par renoncer au projet, tant le chapeau lui semblait trop grand. Il le dit en toute franchise dans une interview. Puis il décida d’y revenir tant le sujet le passionnait et décida de s’embarquer dans l’aventure. C’est pour la période 1897-1939 un ouvrage de 800 pages, qui nous dresse le portrait du personnage dans toute sa complexité. Le poète Jean Ristat, exécutaire testamentaire des plus grands poèmes de la Résistance, du « Roman Inachevé », du « Fou d’Elsa », lui avait dit lors de la conception du projet : « Pierre, dis-tout ! » Je pense qu’il l’a fait sans complaisance, soulignant les contradictions du personnage, examinant les choix faits par Aragon aussi bien dans la période surréaliste que stalinienne, et vérifiant constamment ses sources. Un livre d’une grande honnêteté intellectuelle, qui n’est pas sans que Pierre Juquin lui-même tire son bilan de sa propre histoire.

Aragon fut un grand écrivain et un acteur important dans ce que Pierre Juquin appelle le « communisme historique ». La critique littéraire ou le biographe universitaire a forcément une conception limitée s’il n’envisage que l’objet littéraire, ou s’il considère l’action politique comme un dérivatif de l’œuvre. J’ai toujours trouvé étonnant de voir comment les textes politiques ou les discours parlementaires de Victor Hugo aient été traités comme des scories secondaires par les historiens de la littérature. On ne peut pas séparer l’écrivain et l’homme d’action.

Pierre Juquin a joué un rôle important dans l’histoire du PCF : député de la 3ème circonscription de l’Essonne de 1967 à 1968, puis de 1973 à 1981. Membre de la direction de son parti de 1964 à 1984. Son porte-parole de 1982 à 1984, il en sera exclu en 1987 après s’être présenté comme candidat dissident à la présidentielle de 1988, soutenu alors par le PSU, la LCR, la Fédération pour la gauche alternative et une minorité de militants de SOS-Racisme. Malgré les nombreux comités Juquin le score est maigre, 2,1%. Il poursuivra sa réflexion sur la crise du « communisme historique », tout en restant attaché à redéfinir une perspective rouge et verte pour la gauche. Il appartient à cette génération de rares cadres issus du PCF, qui n’ont renoncé ni à la perspective communiste ni à poser la question de la recomposition de la gauche sur un nouvel axe politique. Il soutient aujourd’hui le Front de Gauche.

Je crois que c’est un atout qu’une biographie d’Aragon soit écrite par un homme politique qui, partant de sa grande culture littéraire et du lien vivant qu’il a eu avec Aragon, parle d’un drame du XXème siècle, qui aura été autant le sien que celui d’Aragon, à des époques bien sûr différentes. Le PCF de l’époque des grands procès staliniens et de la ligne sectaire dite « classe contre classe » de la 3ème Internationale est bien différent de celui de la période 1968-1984, date où Pierre Juquin joue un rôle de premier plan dans l’histoire récente du PCF et où il côtoie très régulièrement Louis Aragon.

Notre auteur écrit pour justifier son projet :

« On peut lire son œuvre de cent façons différentes. Je l’envisagerai sous le point de vue de l’histoire. En sachant que c’est un acteur et un témoin majeur, mais O combien complexe et multiple, et qu’il serait fou de vouloir le mettre en équation. Mais la littérature vit dans le monde. L’air qu’elle respire est l’air du temps. On ne peut l’abstraire de la vie sociale »

Ce livre fait jaillir, comme en son temps l’ouvrage de Maurice Nadeau « Histoire du Surréalisme », tout un faisceau de questions concernant le surréalisme, la création artistique, son rapport à la lutte pour le socialisme et à l’émancipation de la pensée mais aussi, à travers la destinée d’Aragon les zones d’ombre, durant cette décennie 1930-1940 où il va être « minuit dans le siècle », pour reprendre ici le titre du célèbre roman du militant anarchiste Victor Serge contre le stalinisme.

L’origine sociale

« les adultes s’étant arrangés entre eux, ont, pendant vingt ans, manipulé Aragon à leurs fins propres »

Il est le fils naturel d’une personnalité influente de la 3ème République, Louis Andrieux. Il grandira dans un milieu bourgeois, aisé et cultivé :

« quels enfants vers 1905, vivent dans ce confort, se déplacent en voiture avec cocher, bénéficient d’une préceptrice, accèdent de plain-pied à la culture à la culture classique et contemporaine ? Le « parrain » - père, péremptoire et directif, homme considérable de la 3ème république, éduque à sa manière. »

Le « Parain », c’est évidemment son père biologique et celle qu’il appellera sa grande sœur est en fait sa propre mère. Cette vérité cachée à l’enfant ne lui sera révélée par cette dernière que le jour même de son départ pour le front en 1914, sur le quai de gare où les soldats embarquaient. L’enfance et la jeunesse de Louis Aragon seront marquées par ce mensonge imposé par le père, pour des raisons de respectabilité bourgeoise utiles à l’accomplissement de sa carrière politique. Toute sa vie Aragon, marqué par cette enfance dans le mensonge, brouillera les pistes et la chronologie : Pierre Juquin soulignera cet élément propre à comprendre l’écriture d’Aragon, le « mentir-vrai ». Mentir, pour découvrir la vérité.

Louis Andrieux est un notable classique de la 3ème république, ses éclats oratoires le situent à gauche du radicalisme. Il participera par exemple au congrès mondial de la Libre Pensée à Rome en 1905, se prononcera pour une loi d’amnistie partielle des communards ou sera un défenseur de la laïcité et de la loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat. En revanche anticollectiviste ardent, ses prises de position se déporteront parfois très à droite, dès qu’il s’agit d’affronter la question sociale.

Aragon dira cette chose étonnante :

« Tu sais que je n’avais jamais permis, ni à Elsa, ni à elle (Marguerite sa mère) de se rencontrer. Elles ne se sont jamais vues. C’était une mesure de salut public… Je les aimais bien toutes les deux, mais toutes les deux étaient incapables d’être bien entre elles… Alors bon, toutes les deux ont toujours gémi à ce sujet, mais enfin elles ont accepté mon diktat. »

Fils d’un franc maçon, radical et libre penseur, il recevra, à l’écart des enfants de l’école de l’égalité républicaine, une éducation élitiste – précepteur privé -, avant le lycée catholique, puis entreprend des études de médecine, à l’ombre tutélaire de Claude Bernard, initiateur de la médecine expérimentale.

Les premières influences

Comme quelques-uns des plus grands écrivains que notre XXème siècle a connus, Aragon a été marqué par Maurice Barrès, dont le nom et l’œuvre ont été aujourd’hui beaucoup oublié. Individualiste farouche et partisan dans la création littéraire du « culte du moi », Barrès défend le retour au terroir et à la région. Puis les événements vont le précipiter vers des positions de droite extrême : « réclamant [il s’agit de Barrès] avant 1914 une guerre « régénératrice » et chantre durant les quatre ans d’hostilités de « l’union sacrée ». Aragon a forgé sa pensée littéraire dans le nationalisme. »

« Il reste que le barrésisme aragonien, approuvé ou toléré par Maurice Thorez, (qui lui-même après la Libération cite Barrès dans un discours sur les francs-tireurs), nous pose question sur un certain discours du PCF pendant la résistance et la guerre froide. Comme il est heureux qu’Aragon ait accueilli dans son adolescence d’autres influences que celle de Barrès ! Romain Rolland par exemple… Mais, dieux, que cet homme est complexe : »

Il reste néanmoins que, malgré les ruptures du surréalisme avec les auteurs qui ont justifié la grande boucherie de la première guerre mondiale, les positions du PCF durant la résistance et la guerre froide, le ramèneront aux influences pour le moins réactionnaires de sa jeunesse.

Sur son éducation catholique, alors qu’il s’est longuement expliqué sur les influences léguées par son milieu social, il ne dit quasiment rien de la perte de la foi religieuse. Il adhérera au début de son engagement politique en 1924 à une organisation anticléricale de libres penseurs, en rupture avec la fédération historique de la Libre Pensée qui était dirigée par des militants socialistes.

La guerre et le mouvement dadaïste :

Pierre Juquin revient sur quelques idées reçues concernant le départ au front des soldats « la fleur au fusil ». Il souligne qu’il n’y a pas eu de véritable montée nationaliste dans le pays, l’assassinat de Jaurès n’a pas suscité de réaction sociale dans le pays et les promesses du temps de paix de faire la guerre à la guerre, par la grève générale internationale, se sont estompées comme rideau de fumée.

Aragon écrira :

« Parce que cette guerre-là on voyait trop de quoi elle était faite. C’était une guerre des vieux, pour des raisons qui avaient exalté les vieux, qui ne touchaient pas les jeunes, et c’étaient les jeunes qui la faisaient pour les vieux… dépourvus que nous étions de toute idéologie cohérente »

Puis la rencontre avec André Breton au front, l’un et l’autre sont médecins auxiliaires. Breton dira en toute honnêteté :

« dans les milieux qui pouvaient être les nôtres, les événements de signification politique comme les congrès de Zimmerwald et de Kienthal avaient fait peu d’impression et la révolution bolchévique était bien loin d’avoir été appréhendée pour ce qu’elle était… Ce qu’il est convenu d’appeler la conscience sociale parmi nous n’existait pas. »

Breton et Aragon feront cette guerre, en la haïssant, mais ils la feront à la place qu’ils considéraient être la leur. Pour Aragon avec intrépidité : il demande à monter au front dans un secteur particulièrement chaud et trois fois il sera enterré vivant à cause des obus qui éclatent à proximité, alors qu’il va chercher des blessés. Il est même décoré par la hiérarchie militaire. Au val de Grâce Breton est chargé du secteur dit des « fous », c’est-à-dire les soldats que les atrocités du front ont rendus littéralement « fous ». Une fois les « fous » enfermés le soir, Breton et Aragon prennent la garde dans le couloir et lisent à tue-tête Lautréamont, tandis que les « fous » hurlent ou gémissent.

Après l’armistice, le gouvernement, comptant des ministres socialistes et l’Etat-major veulent occuper immédiatement l’Alsace-Lorraine à cause de la contagion révolutionnaire venue d’Allemagne, c’est la première révolution prolétarienne après la chute du Kaiser. Juquin ajoute :

« On l’ignore trop – l’histoire officielle l’a occulté – que, entre le 8 et le 22 novembre 1918, des conseils de soldats et d’ouvriers ont été constitués dans les villes d’Alsace par des marins, principalement alsaciens, venus des ports de Kiel et de Wilhelmhafen, où ils avaient été mobilisés en tant que ressortissants allemands et où ils s’étaient mutinés contre la guerre. Animés d’un sentiment révolutionnaire, ces alsaciens ont proclamés à Strasbourg une république socialiste, non pour garder l’Alsace dans le giron de l’Allemagne impérialiste vaincue, mais en vue de la soustraire au capitalisme français et de la maintenir dans une Allemagne qui serait révolutionnaire et internationaliste… »

Aragon qui séjournera 6 mois en Alsace-Moselle passera totalement à côté de ces réalités politiques, de même qu’André Breton, en revanche il lira à fond la poésie allemande, notamment Rainer Maria Rilke, et s’intéressera aux mouvements artistiques qui alors fleurissaient outre Rhin. Du reste, ces processus révolutionnaires seront totalement cachés, niés par l’histoire officielle.

On ne comprend pas Dada, puis ensuite le mouvement surréaliste, sa révolte sauvage contre toutes les autres formes littéraires et artistiques de la société bourgeoise, si on ne revient pas à ce qu’a vécu cette génération de jeunes gens fauchée dans la fleur de l’âge. Qui ne resitue pas la création artistique dans ce contexte d’irruption des forces de mort dans la civilisation, ne peut comprendre le dadaïsme, puis le surréalisme qui lui succèdera. En fait il n’est pas exactement sorti de la guerre : l’intuition artistique précédera les faits ; à partir de 1905 des tendances vont se manifester dans l’art contre la société capitaliste qui se révèleront pleinement après la guerre. La Suisse fut une terre d’exil accueillante : les révolutionnaires ou démocrates qui s’y étaient réfugiés – entre autres un certain Lénine - voisinaient avec les tendances nouvelles de l’art. Dada parait à Zürich en 1916.

« A contre-courant des frontières et des haines nationalistes, leur mouvement s’ouvre aux quatre vents de l’Europe, et même à d’autres continents. Tzara, professionnel de la communication avant l’heure, fait acquérir à Dada une audience internationale. Tous les écrivains pacifistes réfugiés en Suisse ne vont pas à Dada. Mais tous les dadaïstes sont pacifistes et internationalistes. »

« La saison Dada proprement dite d’Aragon ne dure guère plus d’un an. Mais elle est capitale. Sans Dada, Aragon n’aurait sans doute pas dépassé – en tout cas pas si vite et pas si radicalement – le statut classique du littérateur, fut-il novateur. Il sort de Dada transformé. »

Du surréalisme à l’engagement communiste :

Jusqu’en 1925, le groupe surréaliste français restera très impressionné par le mouvement anarchiste. On a oublié aujourd’hui l’influence et la surface que ce courant occupait dans le mouvement ouvrier français, notamment sa composante ouvrière anarcho-syndicaliste, qui passera en majorité au communisme. Toutefois Aragon reste individualiste, il reprochera même aux anarchistes d’entrer dans le jeu de la politique officielle. C’est aussi l’époque où il considère la révolution russe comme un vague coup d’état et où il parlera de « Moscou la gâteuse ». Sur le plan de la création littéraire, c’est le moment de l’écriture des « Champs magnétiques », signés Breton et Soupault , reposant sur le procédé de l’écriture automatique. Aragon dira en 1968 :

« Ainsi surgit ce texte incomparable, qu’il nous faut bien tenir aujourd’hui, comme j’en eus le pressentiment avant même qu’il eût été achevé, pour le moment à l’ombre de ce siècle où tourne toute l’histoire de l’écriture, non point le livre par quoi voulait Stéphane Mallarmé que finit le monde, mais celui par quoi tout commence. »

Le surréalisme, dans sa démarche artistique propre, rencontre cette découverte, celle-ci élaborée par les voies de la science médicale et paramédicale, à savoir la naissance de la psychanalyse freudienne :

« L’écriture automatique, les rêves et les sommeils, avec d’autres exercices pratiqués par les surréalistes, conduisent le poète à cette « hypothèse » : il existerait une « matière mentale », jusque-là inconnue, qui affleurerait à la conscience dans des conditions particulières, parfois spontanées, ici provoquées. Il n’y aurait pas rupture entre conscient et inconscient, mais la conscience ne serait qu’une province du psychisme humain… »

Raillé et condamné par ses amis surréalistes lors de son ralliement à une conception réaliste du roman en particulier, Aragon n’abandonnera jamais « cette découverte essentielle du surréalisme qu’est le travail du merveilleux au fond du réel. » Au contraire du romantisme allemand qui cherche à détourner l’homme du monde capitaliste moderne, en recréant des conditions de vie préindustrielle, à l’image de Picasso ou d’Apollinaire, il cherche le merveilleux poétique dans le monde actuel.

Mais que sait alors Aragon du marxisme, à peu près rien. En 1968 il livrera dans ses entretiens avec Dominique Arban qu’André Breton « était au départ beaucoup plus près que lui » du communisme et qu’en 1926 il lui reprochait « vivement de ne pas lire les auteurs soviétiques, de ne pas donner plus d’importance à la lecture de Lénine ou de Trotski, ou de Zinoviev, ou de Boukharine » entre lesquels « ni lui, ni moi, ne faisions grande différence, étant fort peu au courant de ce qui se passait en URSS. »

Le mouvement des surréalistes vers le communisme se matérialisera sérieusement lors de la guerre du Riff en octobre 1925, intervention qualifiée de coloniale au Maroc par le PCF. L’Internationale Communiste vient de modifier singulièrement son orientation mondiale : au début de 1924 le présidium assimile la social-démocratie au fascisme et interdit aux PC de s’allier avec les organisations socialistes. C’est le début de la stratégie « classe contre classe ». En France Albert Treint déclare que « l’ennemi principal est le bloc des gauches ».

Début 1924, le groupe surréaliste se rapproche de la revue « Clarté », mouvance s’inspirant des conceptions pacifistes d’Henri Barbusse et se définissant comme « revue de culture prolétarienne », elle soutient le PCF. La mort d’Anatole France fin 1924 donne lieu à une offensive conjointe des deux mouvements contre cet écrivain nourri de classicisme, dont les positions politiques depuis le début du siècle étaient pour le moins éminemment progressistes. Pierre Juquin a raison de le souligner, j’y ajouterai le réquisitoire d’une centaine de pages écrit sur la loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat, qui est sans doute le plus beau texte d’explication et de justification de la dite loi et des conséquences historiques qui en découleront. Mais c’est ainsi, France qui venait d’adhérer au PCF, devient la bête noire des surréalistes et de Clarté.

Assez brutalement du reste Aragon et Breton, qui sont de fait les dirigeants du groupe, infléchissent leur politique vers un ralliement doctrinaire à « la dictature du prolétariat ». Face au refus d’Antonin Artaud par exemple de se rallier au communisme, Breton dira sur la question de l’exclure du groupe surréaliste : « Oui, mais j’entends que les exclusions qui seront prononcées ce soir soient vraiment effectives, c’est-à-dire que sous aucun prétexte, personne de nous ne serre plus la main au personnage exclu. » Froid dans le dos ! Aragon est sur la même ligne d’intransigeance doctrinale, alors qu’à la même époque il entretient avec Drieu La Rochelle des complicités pour le moins troublantes et dont on sait où ce dernier aboutira quelques années plus tard. En fait les deux membres du groupe surréaliste les plus politisés, à savoir Aragon et Breton, sont dans l’ignorance totale de ce qui se discute à Moscou et du drame qui commence à s’y jouer.

La période stalinienne

En 1926 l’Internationale Communiste demande de mettre sur pied une Fédération Internationale des Ecrivains Révolutionnaires. Un congrès mondial des écrivains se prépare qui se tiendra à Kharkov. Dès 1920 Lénine avait condamné la littérature dite prolétarienne, ainsi que les principaux dirigeants d’Octobre, dont naturellement Trotsky. La ligne de préparation du congrès de Kharkov est globalement sur l’orientation du réalisme prolétarien.

En fait bien qu’Aragon soit intervenu pour défendre le mouvement surréaliste, selon le témoignage de Georges Sadoul, les komintériens vont les caractériser comme des intellectuels petits bourgeois et désavouer le manifeste intitulé « position politique du surréalisme ». Au retour de Kharkov, et bien qu’Aragon fasse valoir son point de vue, les divergences se creusent entre les deux principaux tenors du groupe français, Breton et lui. D’autant que la question du roman avait déjà commencé à creuser le fossé : Breton remet en cause le genre romanesque, or Aragon évolue vers cette forme d’expression littéraire.

Aragon évolue vers une forme de réalisme social, tandis que sur le terrain de la poésie, ses textes sont de plus en plus dictés par l’événement politique direct, dans des formes qui ne sont pas sans rappeler les textes du poète russe Maiakosvki. Bien évidemment on est très loin de l’esthétique de Breton, de Desnos, d’Eluard même : la part du rêve, de la mémoire, de l’insolite du surréalisme s’estompe au profit d’une littérature de propagande. Le poème « Front rouge » qui valut à l’auteur quelques déboires avec la justice disait :

« Descendez le flics,

Camarade,

Descendez les flics…

… Ils ne trouveront pas le remède habituel

Et tomberont aux mains de émeutiers qui

Les colleront au mur

Feu sur Léon Blum

Feu sur Boncourt Frossard Déat

Feu sur les ours savants de la social-démocratie… »

Ou ce « Prélude au Temps des Cerises » de l’automne 1931 :

« Je chante le guépéou qui se forme

En France à l’heure qu’il est

Je chante le guépéou nécessaire de France… »

En 1975 Aragon dira : « Vous me direz que j’étais fou, eh bien oui, j’étais fou, au point d’être fier de ma folie ». Phrase terrible ; une génération d’hommes a fait des choses folles, et pas seulement sur le terrain de la littérature.

L’amitié… l’amour :

Pierre Juquin consacre un chapitre à la rupture avec André Breton, non pas sur les principes qui ont imposés cette rupture, cela il l’a analysé précédemment, mais sur la blessure terrible qui marquera les deux hommes et dont il rend témoignage dans la discussion que lui, Pierre Juquin a eu avec Aragon. Il écrit :

« Dans mon oreille, le vibrato perdure

Et, mon petit, il y avait André… »

« André… »

La blessure est là à jamais :

« Je n’ai jamais rien fait de ma vie qui m’ait coûté plus cher. Rompre ainsi avec l’ami de toute ma jeunesse ne m’a pas seulement été affreux pour quelques jours. C’est une blessure que je me suis faite, et qui ne s’est jamais cicatrisée. »

Dans une lettre inédite à Romain Rolland, Aragon écrira :

« J’ai toujours considéré cette rupture comme un grand malheur […] je n’ai jamais attaqué Breton ni ceux des surréalistes qui avaient été mes camarades. Ceux qui, au nom du surréalisme, m’ont harcelé d’attaques, je ne leur ai jamais rendu la pareille […] Les traces du surréalisme sont bien plus importantes qu’il ne semble dans mes romans. »

C’est le moment de la découverte des grands textes marxistes, notamment « l’Antidürhing » et « l’Origine de la Famille, de la Propriété privée et de l’Etat ». Engels écrit :

« Le mariage conjugal n’entre […]point dans l’histoire comme la réconciliation de l’homme et de la femme, et bien moins encore comme la forme suprême du mariage. Au contraire, il apparaît comme l’assujettissement d’une sexe par l’autre, comme la proclamation d’un conflit des deux sexes, inconnu jusque dans toute la préhistoire […] La première opposition de classe qui se manifeste dans l’histoire coïncide avec l’antagonisme entre l’homme et la femme dans le mariage conjugal, et la première oppression de classe, avec l’oppression du sexe féminin par le sexe masculin. »

Et plus loin :

« …Nous marchons maintenant à une révolution sociale dans laquelle les fondements économiques actuels de la monogamie disparaîtront, tout aussi sûrement que ceux de son complément, la prostitution. »

Pour les surréalistes qui revendiquaient l’amour libre et la haine de la famille bourgeoise, la découverte du marxisme qui concerne alors essentiellement Aragon et Breton, ne pouvait être que le complément, la justification théorique de leur esthétique.

La relation d’Aragon avec Elsa Triolet, si elle intervient au moment de son engagement dans le PCF, a souvent été dénoncée par ses anciens amis surréalistes comme une défense et illustration du mariage bourgeois. Les choses sont un peu plus compliquées. Aragon a connu avant Elsa une vie sexuellement très agitée, et le poème mis en musique par Ferré « Est-ce ainsi que les hommes vivent », où il est question de la fréquentation des prostituées et « des hoquets du pianola », n’est pas qu’un effet de style poétique. Notamment les sorties avec son ami Drieu la Rochelle. Avant Elsa, il y eut aussi, Nancy, une bourgeoise émerveillée par le surréalisme, avec qui le poète vécut une relation passionnée durant deux ans. Puis Elsa, mais Nancy restera dans l’ombre de sa vie juqu’à sa disparition. Nul doute qu’Aragon vécut avec Elsa une relation d’exception, mais les poèmes chantant la femme, épouse et amante, et particulier les textes mis en musique par Ferré et Ferrat, traduisent une sacralisation embellissant quelque peu la réalité. Juquin parle des nombreux conflits qui ont traversé la vie du couple Elsa et Louis, cette dernière se plaignant de son absence de disponibilité et d’attention à son égard ; à plusieurs reprises ils prirent des distances l’un avec l’autre : ce qui somme toutes traverse le plus souvent la vie des couples engagés. Elsa a été celle qui eut sur Aragon, notamment pour la création romanesque, une influence importante. Néanmoins, c’est un couple réussi, en ce sens qu’il est fondé par un idéal de vie commun.

Aragon défendra un idéal féminin qui commence pour lui avec le combat pour l’émancipation sociale de l’espèce humaine, le communisme. Ainsi écrira-t-il à propos de Clara Zetkin, militante allemande de la gauche social-démocrate puis de la Ligue Spartakiste, féministe :

« Elle est simplement à un haut degré d’achèvement le nouveau type de femme qui n’a plus rien à voir avec cette poupée, dont l’asservissement, la prostitution et l’oisiveté ont fait la base des chansons et des poèmes à travers toutes les sociétés humaines, jusqu’à aujourd’hui. Elle est la femme de demain, ou même, osons le dire : elle est la femme d’aujourd’hui. L’égale […] Maintenant ici commence la nouvelle romance. Ici finit le roman de la chevalerie. Ici pour la première fois dans le monde la place est faite pour un véritable amour. Celui qui n’est pas souillé par la hiérarchie de l’homme et de la femme, par la sordide histoire des robes et des baisers, par la domination d’argent de l’homme sur la femme ou de la femme sur l’homme. La femme des temps modernes est née, c’est elle que je chante, et c’est elle que je chanterai… »

Le réalisme prolétarien :

En 1932 Aragon passera un an à Moscou, comme permanent de l’Internationale Communiste. Juquin commente : « rien de plus normal pour les militants de l’époque. » Il se conduit alors comme un vrai stalinien, qui prétend protéger l’organisation internationale des écrivains de l’entrisme des ennemis de classe. Juquin traduit sa position dans les termes suivants : « renforcer notre lutte contre les ennemis acharnés de notre organisation qui sous le label usurpé de littérature prolétarienne essaient d’introduire clandestinement dans les rangs du prolétariat l’idéologie social-fasciste et trotskiste… » Froid dans le dos ! La présence à Moscou, la normalisation de l’Union des écrivains, Aragon suit un itinéraire qui le mènera là où il veut aller : représenter la politique du parti dans les affaires culturelles. L’union des écrivains ayant perdu énormément de membres, ceux qui restent sont des fonctionnaires de l’appareil : Staline en personne présidera une commission de cinq membres chargée de reconstruire une Union des écrivains soviétiques, d’où sortira le concept de « réalisme socialiste ». Pour Aragon, tout est bon, même le ralliement aux thèses du réalisme socialiste, avec lequel du reste il prendra assez rapidement des distances. Il va se construire son petit réalisme social. Aragon n’est pas un fonctionnaire du guépeou, il reste d’abord un grand écrivain. Mais ajoute l’auteur :

« Il veut enfin être reconnu par le monde communiste ! Pouvoir participer à la grande histoire ! C’est au nom du rêve qu’il accepte la bêtise du moment. Combien d’autres ont fait ce pari ! »

Vers les fronts populaires :

Lorsqu’il rentre d’URSS, il devient journaliste à l’Humanité. A ce titre il est chargé de couvrir les événements du 6 février 1934, où les ligues d’extrême droite marchent sur le Palais-Bourbon. La riposte ouvrière s’organise, mais le PCF est toujours sur la même ligne :

« Bien sûr les communistes française disputent la rue aux fascistes, mais à l’instar de leurs camarades allemands devant Hitler ils dénoncent en même temps les « chefs » socialistes, « qui ont - écrit Cachin – largement contribué à fasciser la France capitaliste sous le couvert d’une politique de gauche ».

La manifestation ouvrière fait éclater les services d’ordre respectifs du PCF et de la SFIO qui marchaient l’un contre l’autre. Ce soir-là le Front Populaire venait de naître.

Aragon n’est pas seulement journaliste à l’Humanité, il joue un rôle dans la direction de l’AEAR, l’association des écrivains et sa revue Commune. Celle-ci recrute des intellectuels de haut niveau, Barbusse, Vildrac et Jean Richard Bloch, pratiquement tous les surréalistes et une grande partie des écrivains prolétariens. L’auteur écrit : « un grand corps, composé d’intellectuels, ne peut vivre dans le sectarisme. » Des distances sont prises assez rapidement avec la conception du « petit père des peuples », réduisant le rôle de l’écrivain, « ingénieur des âmes », à un rôle de propagandiste de la cause prolétarienne, du grand parti soviétique et de son chef génial. Le 21 mars 1933, l’association avait organisé une réunion publique, salle du Grand Orient à Paris, sur le mot d’ordre : « contre le fascisme en Allemagne, contre l’impérialisme français. » 2000 participants sous la présidence d’André Gide et en présence de Romain Rolland. L’aspiration est à l’unité de front contre le fascisme. En avril 1934, l’Internationale abandonne l’orientation « classe contre classe », qui consiste essentiellement à refuser toute unité d’action avec les partis socialistes, pour s’orienter vers une unité d’action antifasciste.

La question de l’Espagne :

Présent en octobre 1936 à Barcelone, au cœur de la guerre civile et de la résistance à Franco, il se permet de justifier la présence de l’URSS au comité de non-intervention devant une assistance qui vibre de colère à son encontre. Il déclarera : « eh bien, s’il fallait choisir entre la perte de l’URSS et celle de l’Espagne », il serait « pour que survive ce grand pays en qui se résume l’espoir du monde entier, l’espoir des peuples ». Il ajoute : « Je le leur disais, et si douloureux que ce fut, je ne pouvais hésiter à choisir, et que périsse l’Espagne, et vous tous ! mais survive le grand pays de l’avenir ! » Froid dans le dos ! On flaire déjà le pacte germano-soviétique ! Puis revenu en France, il partira en guerre contre la politique de Blum de non-intervention. La politique de Staline et de son appareil international contre la révolution espagnole, il n’en discerne guère les tenants et aboutissants. Juquin écrit :

« Dans cette situation, lui et les autres – sauf les anarchistes et encore ! – regardent l’URSS comme la réserve et le point d’appui. Il sont bien loin d’appréhender toute la partie d’échecs qui se noue, dans un nœud d’hypocrisie. Il n’ont pas idée – du moins au début, pour ce qui est d’Aragon – de la complexité tactique de la politique soviétique. Cette problématique sera encore plus grave après le pacte germano-soviétique de l’automne 1939 ».

A l’Est s’ouvrent les grands procès staliniens qui solderont la liquidation de toute la génération d’Octobre, les compagnons de Lénine, assortie d’une hystérie antitrotskyste : si l’association révolutionnaire des écrivains français ne « peut vivre dans le sectarisme », cela n’empêchera pas Aragon d’y combattre le trotskysme en son sein. Pierre Juquin écrit :

« Le stalinisme a fait partie de sa vie. Koltsov, Louppol et les autres, il a peut-être douté en secret du bien-fondé de leur condamnation ? Au vrai, rien ne le prouve. Car Aragon a cru, soutenu, comme beaucoup d’autres, que les procès staliniens étaient justes… »

Et précédemment :

« Surtout, voyez-vous, on ne revient pas aisément du monde stalinien. Comment désoblitérer sa conscience ? Comment restituer ce passé si longtemps mystifié ? Et comment écrire pareil désastre ? Comment transformer l’erreur, la douleur, la honte en savoirs ? Croyez-vous facile, voire possible, un récit clair et net quand tant de choses dépassent l’entendement ? Aragon abdique - t’il in extremis son devoir de tout dire ? Il n’y arrive pas. L’illusion a aveuglé l’homme de quarante ans ; la désillusion sidère le vieil homme. Son travail de mémoire peut-il être autre chose qu’interminable ? Que voulez-vous, cette histoire terrifiante du stalinisme, c’est SA déchirure… »

Dirigeant du journal « Ce Soir » :

Le 10 août 1936 Thorez est chargé de d’étudier les possibilités d’éditer un journal du soir. Aragon s’y collera. Il s’agit de créer un journal qui ne soit pas l’organe d’un parti politique mais un journal populaire de gauche. La femme du poète Jean Richard Bloch écrira à Romain Rolland :

« Il faut veiller soigneusement à ce que le journal ne prenne pas à leur insu [d’Aragon et de son mari] une allure politiquement trop marquée. Ce n’est pas le plus facile. Et pourtant toutes les compétences sont d’accord : il n’y a pas actuellement de public pour un journal vraiment de gauche. A l’Humanité comme au Populaire ils avaient tâté le terrain, évalué le nombre de lecteurs que pourrait rassembler une Humanité ou un Populaire du soir. Leurs conclusions ont été identiques. Et quand Jean a été voir Léon Blum, celui-ci a beaucoup encouragé leur projet, le croyant susceptible de réussir dès lors où le nouveau journal ne serait pas activement et ostensiblement Front Populaire. »

En mars 1939, Ce Soir tirera à 250 000 exemplaires, ce qui est très important pour l’époque. La ligne politique : l’antifascisme avant tout. On y retrouve la stratégie du PCF du Front Français : gagner la petite bourgeoisie à l’antifascisme. Globalement le pari sera tenu : la « grande nuit des innocents » organisée le 4 juin 1937 au profit des enfants d’Espagne, montrera l’ampleur du rassemblement réalisé.

La maison de la culture

En juillet 1937 le dirigeant Vaillant Couturier salue le deuxième congrès des écrivains pour la défense de la culture ; dans la direction du PCF, on prend des libertés avec le dogme du réalisme socialiste. Ce dirigeant explique : « nous proclamons l’individu […] restez des écrivains. Nous ne vous demandons pas de devenir des partisans, des enrôlés. » Thorez martelle « unir ! unir ! unir ! » Aragon va s’imposer comme la cheville ouvrière de l’union du monde intellectuel. Pierre Juquin souligne :

« Parmi celle qui autorisent la publication de leur nom, on relève les écrivains Roger Martin du Gard, Georges Bernanos, Jean Paulhan, Tristan Tzara, Robert Desnos ; les plasticiens Fernand Léger, Jean Lurçat, Jacques Lipishitz, Albert Marquet ; les compositeurs Georges Auric, Arthur Honegger, Maurice Jaubert, André Jolivet, Charles Koechlin, Olivier Messiaen ; des architectes et des décorateurs, comme Le Corbusier, Pierre Chareau, Charlotte Perriand ; des professeurs à la Sorbonne, au collège de France, à polytechnique ; Irène et Frédéric Joliot-Curie, prix Nobel de Chimie ; des magistrats et des avocats ; des ingénieurs ; de nombreux médecins dont le psychanalyste Lacan et le professeur Robert Debré… beaucoup de ces intellectuels se retrouveront dans la résistance ».

Avec l’agression de l’Italie fasciste contre l’Ethiopie, le réseau s’élargit et se radicalise dans la lutte antifasciste. De nombreuses associations le rejoignent es-qualité. Pour Juquin, « c’est le plus grand rassemblement durable d’intellectuels qui ait jamais été réalisé en France jusqu’à ce jour. Tous reliés par le ciment : l’antibarbarie. » Aragon écrase la pédale de l’accélérateur vers les intellectuels chrétiens, alors qu’en 1933 la revue Commune était plutôt sur la ligne d’un laïcisme classique. L’auteur écrit : « en juin 1935, ses appels téléphoniques horripilent le philosophe chrétien Emmanuel Mounier… quatre ou cinq fois par semaine… »

Le pacte germano-soviétique :

Le pacte germano-soviétique fait apparaître les premières fissures dans l’union des intellectuels. Romain Rolland qui avait adjuré Léon Blum de renoncer à la non-intervention, alors que les troupes de Franco sont sur le point de prendre Madrid, démissionne des Amis de l’URSS avec le pacte. Puis André Gide qui s’envole pour l’URSS et y rejoint le couple Elsa et Louis. Ce dernier consigne ses réflexions dans un livre qui deviendra célèbre. L’auteur écrit :

« Pourtant Retour d’URSS est, à tout prendre asses anodin, et il contient beaucoup d’éloges à l’endroit du peuple russe et de la révolution. Les Retouches au Retour, publiées quelques mois après (juin 1937), sont beaucoup plus virulentes. Elle fixent, en somme, pour longtemps les grandes lignes de l’anticommunisme occidental. Des critiques y touchent souvent juste. Mais la fracture est profonde. »

Albert Camus qui a 23 ans met en place une maison de la culture à Alger, mais sa rupture rapide avec le parti, met un terme rapidement à l’opération.

Giono évolue vers un retour à la terre, ou cette nostalgie est-elle peut être sa propre nature. « Giono condamne t’il seulement la société capitaliste ? ou toute société industrialisée – l’URSS par exemple ? De là au futur maréchalisme agraire… » En 1938 il signe un texte avec le philosophe Alain dans la Flèche, journal aux sympathies fascistes.

Céline publie « Le Voyage au bout de la nuit » en 1932. Les intellectuels de gauche, dont Aragon y salue un grand livre. Néanmoins Paul Nizan, l’intellectuel communiste qui refusera plus tard le pacte germano-soviétique, reconnaît dans ce roman « une œuvre considérable, d’une force et d’une ampleur à laquelle ne nous habitue pas les nains se bien frisés de la littérature bourgeoise. Mais Céline n’est pas parmi nous […] Cette révolte pure peut le mener n’importe où, parmi nous, contre nous ou nulle part. » On connaît la suite. Aragon dira en 1965 :

« J’étais passé chez Denoël un éditeur en marge, mais qui avait à mes yeux le mérite de découvrir un écrivain dont le premier livre, avait été refusé par je ne sais combien d’éditeurs parisiens. Je parle de Louis Ferdinand Céline et du Voyage au bout de la Nuit, livre dont le comportement de son auteur par la suite ne retire rien à mes yeux. Vous savez peut être qu’il a été traduit en russe par Elsa. »

Les 73 députés communistes, un socialiste et un homme de droite ont voté contre les accords de Munich. Aragon applique toujours la ligne du regroupement de toutes les forces contre le fascisme. Au centre il y a l’ouverture à « l’humanisme chrétien traditionnel ». Maurice Thorez a donné « le signal de l’armistice des luttes religieuses […] en face de ceux qui n’ont pour loi que l’or, la force et la guerre, qu’ils croient au Fils de l’Homme, ou à l’Homme lui-même, tous les hommes sont vraiment frères […] Humanisme chrétien, humanisme socialiste sont en face du monstre qui est le baal des temps modernes : le fascisme. Ils fondent la communauté de l’avenir. » Et Juquin d’ajouter : « Aragon commence à mythifier Maurice Thorez, préconisateur du Front français. »

Après la victoire de Franco, il dénonce les premiers camps de concentration français. Il se rend au col du Perthus où passent les derniers soldats républicains vaincus. Il écrit pour l’Humanité des textes bouleversants. L’année 1938 il voit des espions partout. Il encaisse tout : la liquidation du POUM et les procès de Moscou. Le 12 décembre 1938, Aragon dénonce « le front unique de la provocation où se réunissent les gardes blancs russes, les trotskistes, les réactionnaires de chez nous… » Il met dans le même sac les agents hitlériens et le POUM. L’auteur ajoute :

« on explique pas tout encore une fois, et surtout on excuse pas en invoquant les circonstances. Mais comme elles pèsent lourd ! Malgré ces erreurs terribles, la ligne générale est claire : Aragon veut un front français. Il en sortira après l’effondrement de 1940, le rassemblement de la résistance.

Cette chose demeure : on ne pourra pas parler d’œuvres complètes d’Aragon, et on donnera de lui une idée fausse, même sur le plan littéraire, tant qu’on n’aura pas republié intégralement ses articles politiques. »

Le 2 mai 1939, Paul Nizan défend le point de vue d’une entente entre les démocraties occidentales et l’URSS contre Hiltler. Le 24 mai Ce Soir annonce que Hitler « a dû capituler et venir humblement promettre à Moscou, malgré son idéologie, de ne pas se livrer à une agression contre la puissante Union Soviétique. » Aragon écrit : « la guerre a reculé hier. » Les justifications données par Staline à Dimitrov, chef de l’International, sont pitoyables :

« Une guerre a lieu entre deux groupes de pays capitalistes […] pour le partage du monde, pour régner sur le monde. Nous n’avons rien contre le fait qu’ils se combattent un bon coup, qu’ils s’affaiblissent l’un l’autre. Cela ne serait pas si mal si, grâce à l’Allemagne, la situation des pays capitalistes les plus riches était ébranlée, (en particulier l’Angleterre). Hitler, sans le comprendre, ni le vouloir lui-même, ébranle, sape le système capitaliste. » Quant à la Pologne : « Dans les conditions actuelles, la destruction de cet état signifierait qu’il y a un état fasciste de moins. » Aragon approuve le procès du maréchal Thoukhatchevsky, au moment où le dictateur du Kremlin liquide les cadres de l’Armée rouge, prix de son accord avec les nazis. Plus tard on apprendra que Staline fit liquider tout l’appareil militaire de la défense polonaise à Khatyn. Juquin commente :

« En renonçant à la ligne antifasciste, le chef du Kremlin revient, en fait, à la politique antérieure, celle de l’époque « classe contre classe ». Quelle faute, que de mettre sur le même plan l’Etat nazi et les autres états capitalistes. » et plus loin : « plus grave encore, impardonnable : Staline a livré aux nazis des communistes allemands réfugiés en URSS. » Et Aragon dans cette tourmente : « …il ne remettra jamais en question son inspiration des premiers jours sur le pacte germano-soviétique. »

En 1949 dans une réunion de l’Union des intellectuels, issue de la résistance, il déclarera encore :

« […] devant le pacte germano-soviétique, j’ai été un des très rares hommes de France qui ait dit ce qu’il pensait, qui ne s’en soit jamais dédit et qui puisse dire qu’il est encore derrière chaque mot que j’ai écrit dans mes articles des 24 et 25 août 1939, saluant le droit de l’Union Soviétique à signer avec ses voisins les pactes de non-agressions nécessaire à sa sécurité. »

Retour sur la création littéraire :

A l’époque nombre de militants ou cadres communistes ont soit quitté le parti – comme Nizan – soit ont fait le gros dos avant de pouvoir passer à la résistance contre le fascisme. Mais Aragon, droit dans ses bottes pour le pacte ! Néanmoins au niveau d’une activité journalistique débordante il continue son travail de rassembleur des intellectuels contre le fascisme. Cette intense période d’action militante le voit devenu sec sur le plan de la création littéraire. Pierre Juquin écrit ceci, du reste aux antipodes du réalisme prolétarien :

« La poésie a besoin de silence, d’attente, d’écoute, même au milieu des rafales et du raffut. Certes Aragon ne sera jamais pour reprendre l’expression du poète Alain Bosquet, « un poète d’eau douce ». Mais toute poésie ne peut venir que d’une disposition intime de l’âme, d’une poussée intérieure et d’une cristallisation formelle. Eh bien ! pendant plusieurs années, le chant ne jaillit pas chez Aragon. Après Hourra l’Oural, qui est loin de le satisfaire, Aragon pioche, cherche la clé. Anne, ma sœur, cela ne vient pas. Comment allier l’action et la création ».

Je me permets d’ajouter, je pense que Pierre Juquin ne serait pas en divergence avec moi, au fond de la mauvaise conscience d’Aragon demeure le cher visage d’André Breton. Celui qui disait : « la poésie est étrangère à la lecture du journal à haute voix. » Ou encore dans le poème « sur la route de San Romano » :

« La poésie se fait dans un lit comme l’amour

Ses draps défaits sont l’aurore des choses… »

La poésie de l’engagement est mauvaise, le meilleur d’Aragon ne sera pas là, comme le meilleur de Hugo n’est pas dans les envolées épiques ou didactiques. Dans la citation qui précède, Juquin donne une définition fort juste de la poésie, elle est du reste plus proche de la conception de Breton que d’Aragon, du moins en 1939.

Aragon a 42 ans au moment de la déclaration de guerre. L’auteur conclut : « Comment va-t-il traverser la seconde guerre mondiale ? Comment va-t-il vivre, obstinément fidèle, la grandeur et le déclin de cette Atlantide, le communisme historique ? Aux espoirs et aux tragédies de la deuxième moitié du XXème siècle le « plus grand poète français » répondra par des salves de chefs d’œuvres. »

« Son travail de mémoire peut-il être autre chose qu’interminable ? Que voulez-vous, cette histoire terrifiante du stalinisme, c’est SA déchirure… »

C’est aussi la déchirure de Pierre Juquin : on ne peut que rendre hommage à cet effort fait sur soi-même, même si nous pensons qu’il ne va pas jusqu’au bout sur la question de la fonction historique du stalinisme, mais chacun a son chemin. Et Pierre Juquin est resté fidèle à la grande idée enracinée dans la réalité sociale du salariat moderne, s’émanciper du système économique barbare dans lequel nous vivons encore.

(1) Aragon, un destin français (1897-1940)

Editions de la Martinière, novembre 2013.

2) Compte rendu du deuxième tome

Hommage à Ferrat

Le prélude au deuxième tome de la biographie d’Aragon est en fait un hommage appuyé au chanteur Jean Ferrat, qui nous a quitté il y a maintenant deux ans. Pour moi qui chante les poètes depuis que j’ai l’âge d’homme, la poésie se juge essentiellement comme poésie lorsqu’elle se chante. Et Aragon se chante d’emblée. Lorsque Ferré réalisa le premier 33 tours entièrement consacré aux poèmes d’Aragon en 1964, il disait : « derrière les paroles d’Aragon, il y avait une mélodie que j’ai tout de suite trouvé. » Juquin écrit : « Ferrat a fait descendre dans la rue le plus grand poète français du XXème siècle.

Une poésie savante est devenue poésie de tout le monde… A la mairie, et parfois dans les églises, les mariés écoutent Que serais-je sans toi. On chante Aragon-Ferrat aux réunions de famille, au bal de l’amour, au départ des manifs, les cœurs battant, parfois aux enterrements. Une partie de notre histoire et de notre culture communes est transmise par l’art le plus immédiatement populaire, vivant et éternel, tant qu’il y aura des hommes ». Et plus loin : « cesser de chanter les chansons à texte ce serait mourir un peu, perdre son âme, ses rêves et sa raison. »

Au cœur de la drôle de guerre…

A la fin du volume 1, nous avions quitté Aragon le 30 août 1939. Le voilà plongé pour la deuxième fois dans une guerre mondiale. Les positions du PCF contre l’agression de l’Allemagne nazie, qu’il confirme en votant les crédits militaires demandés par Daladier, vont se télescoper avec le pacte germano-soviétique que Staline va imposer comme de coûtume à l’Internationale Communiste. Les PC doivent renoncer aux mots d’ordre de front populaire et dénoncer leur propre gouvernement « impérialiste ». C’est un coup terrible pour les militants et les cadres du mouvement communiste. Dès le 28 septembre Aragon demande à être affecté à une unité combattante, ce qui ne correspond guère à la ligne officielle. Juquin écrit :

« Pour Aragon, il ne faut pas conclure la paix avec Hitler, le pacte germano-soviétique n’est qu’un palliatif, et la guerre contre l’URSS se prépare. Voilà une analyse assez différente de celle qu’est sensé propager le parti. Mais c’est probablement la pensée dominante de nombreux communistes français. » A 42 ans il reprend du service sur la ligne de front comme médecin auxiliaire. On pensera ce qu’on veut de ses positions politiques, mais le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il fera démonstration d’un grand courage physique. Ainsi le témoignage d’un officier rescapé, Guy de Rothschild :

« C’est à ce moment-là que je vis Aragon, médecin auxiliaire de la division. Il me dit qu’il avait reçu mission d’aller récupérer des blessés laissés sur le terrain et de les ramener au centre hospitalier. Ceci consistait à aller tout droit sous le feu de l’ennemi, totalement exposé, sans aucune défense, sans aucun abri, pour récupérer des gens qui d’ailleurs étaient irrécupérables et qui étaient déjà vraisemblablement prisonniers. Je lui ai expliqué qu’il ne pouvait pas le faire. Il m’a dit qu’il avait reçu instruction de le faire. J’ai été obligé de lui donner l’ordre militaire de ne pas aller à une mort certaine, d’ailleurs sans bénéfice pour quiconque. Naturellement il s’est incliné devant cet ordre, mais il a fallu que j’insiste de façon catégorique. »

Le chaos de la capitulation

Après la capitulation de Vichy, le travail littéraire et politique reprend. C’est tout d’abord le contact avec Pierre Seghers, qui anime une revue « poésie 40 », avec Jean Richard Bloch. A l’automne 40, Elsa et Louis font le choix de rester en France, alors qu’ils sont sollicités par des écrivains et intellectuels pour partir aux Etats-Unis. Ils s’installent en zone sud. Dans une lettre à Lili Brik, compagne du poète Maïakovski, Elsa Triolet écrira : « Nous écrivions énormément. S’il n’y avait pas eu l’écriture, je crois bien que je me serais donné la mort, tellement par moments c’était dur et pénible. Je me suis prise de passion pour cette activité, elle me remplace les amis, la jeunesse et bien d’autres choses encore qui manquent dans la vie. Quant à Aragocha [surnom qu’elle donnait à Aragon], il est devenu tout à fait célèbre, pendant ces années il a sorti deux romans et plusieurs livres de poésie (légalement et dans la clandestinité). Les résistants l’estiment et l’aiment, ils ne font que lire ses vers, il est reçu par le public des nôtres comme était reçu Maïakovski. Il écrit de mieux en mieux… »

Le 11 juillet l’Etat français remplace « la gueuse », la République, après qu’une majorité de députés ait voté les plein pouvoirs au maréchal. Juquin écrit : « Très difficile aujourd’hui de comprendre, de reconnaître même cette réalité que l’historien américain Robert Paxton a appelé les « charmes redoutables du Maréchal ». Sans doute ce souvenir gêne t’il encore des français. Une autre vision, plus flatteuse, a recouvert comme une marée, à la Libération, le triste continent pétainiste de 1940. » Un véritable chaos s’installe dans le pays et nombre de grands intellectuels saluent, du moins les premiers mois, le régime de Vichy : Valéry, Gide, Claudel, Giono, Pourrat. Si Paulhan s’engage d’emblée dans un mouvement de résistance, c’est quasiment en pensant que le régime nazi est installé pour des dizaines d’années… Aragon choisit la voie de la résistance. Toutefois Juquin met un bémol : « Il prépare non un soulèvement révolutionnaire, impossible, contre la classe dirigeante française, mais à la fois l’opposition à la « Révolution Nationale » et la lutte contre les nazis. »

Au même moment, soit le 18 juin 40, Duclos au nom de la direction du PCF, tente de négocier avec l’ambassadeur allemand Otto Abetz, la reparution légale de « l’Humanité ». Aragon s’attirera les foudres de Marty et de Tréand, c’est-à-dire la fraction la plus engagée dans la ligne stalinienne ; la parution d’une poème « les Lilas et les Roses » que Paulhan avait fait publier dans Le Figaro, servira de prétexte. S’adresser aux intellectuels pour résister

Au début de 1941 la direction clandestine du PCF se pose la question de l’organisation des intellectuels. Celle-ci est placée sous la responsabilité de Danielle Casanova et Georges Politzer. La ligne éditoriale de « la pensée libre » initiée par Politzer est globalement sur une ligne sectaire. Un article de celui-ci après la mort de Bergson accuse l’idéalisme philosophique bergsonien « d’avoir créé un terrain propice pour la pénétration des idées qui ont servi directement à la préparation idéologique du fascisme. » Bergson portant l’étoile jaune et préparant idéologiquement le fascisme, c’est la même chose que la social-démocratie, sœur jumelle du fascisme.

Aragon critique sévèrement l’initiative. Une rencontre entre Casanova, Politzer et Aragon aura lieu, où notre auteur défendra fermement son point de vue qu’il résumera ultérieurement ainsi : « Considérant que ce qui se faisait dans le domaine des intellectuels était faux pour cette raison que cela ne correspondait pas aux besoins de la lutte contre l’occupant. Notamment parce qu’on éditait une revue philosophique qui s’appelait « la pensée libre » qui avait cru bon de continuer la lutte contre Bergson. Je ne suis pas un bergsonien, mais Bergson, à cette époque, qui comme vous le savez était juif, portait l’étoile jaune à Paris. Si nous avions continué ce qui était alors entrepris, considérant comme notre principal ennemi un homme persécuté par l’occupant, qui aurait compris ce que nous disions ? Personne… J’ai proposé la création d’un journal correspondant mieux aux positions communes de l’ensemble des intellectuels français. La chose décidée, « la pensée libre » abandonnée, nous avons mis en rapport Jean Paulhan, aujourd’hui de l’Académie Française, avec un ami commun, à lui et à moi, beaucoup plus jeune que nous, Jacques Decour, pour faire ensemble ce nouveau journal « Les Lettres Françaises ». Mais Decour a été fusillé par les allemands, le premier numéro n’a pu sortir. Le journal a été retardé d’un an et a ensuite paru sous la direction de Claude Morgan de 1942 à 1943. »

Ce qui l’a opposé à Politzer, c’est une méfiance à l’égard d’une revue composée exclusivement d’intellectuels organiques du PCF, lui rappelant trop bien la période ultra-gauche des années 1930. En 1941 le PCF fait le choix stratégique du Front National, concrètement de l’alliance entre partis ouvriers et partis bourgeois dans la lutte contre le nazisme. La ligne que défendra Aragon pour rassembler les intellectuels est déjà conforme à ce que sera l’orientation de Maurice Thorez. Dès lors le rassemblement des écrivains se fait sur la ligne de l’alliance entre les deux cultures : « Celui qui croyait au ciel et celui qui n’y croyait pas… » Dans le noyau qui constitue l’organisation de résistance des écrivains, on trouvera à côté des intellectuels du PCF, Mauriac et le père Maydieu. L’organisation sera décimée en février 1942 : Politzer, Danielle Casanova et Jacques Decour tombent. Elsa et Louis sont les seuls rescapés en zone sud.

L’alliance avec le catholicisme social et le Conseil National des Ecrivains (CNE)

Dans le dernier trimestre de 1941 les courants inspirés par le catholicisme social se regroupent. En particulier la revue « Jeune France », animée par Pierre Schaeffer, proche d’Emmanuel Mounier qui vient de publier « Esprit ». Ils organisent des rencontres d’intellectuels. A cette époque le ton est plutôt maréchaliste : ils se déclarent « pour la Révolution Nationale et le redressement de la France », mais d’ores et déjà Mounier appelle à empêcher « la victoire spirituelle du nazisme sur la victoire française. » Fin 1941 la revue « Esprit » est interdite. Juquin écrit : « Encore une fois l’intelligence politique d’Aragon : compte tenu de ce qu’est notre histoire et de ce qu’est la société française de 1940, il va construire le rassemblement des intellectuels autour d’un axe communiste-chrétien. Il joue des ambiguïtés et des contradictions qu’il décèle précocement dans des sphères pétainistes ; il ne désespère pas de faire évoluer des individus, fussent-ils imbibés de maurrasisme, à partir des valeurs humanistes et du patriotisme… » En mai 1942, un texte d’Aragon, transmis par Emmanuel d’Astier de la Vigerie, portant sur les martyrs de Châteaubriants sera lu à la radio de Londres. Aragon et Elsa multiplient les déplacements et les rencontres d’intellectuels en zone sud, non sans être soigneusement pistés par les policiers de Vichy : Villeneuve les Avignon où résident les Seghers est une plaque tournante.

En mars 1943 le Front National est créé comme mouvement spécifique de résistance, alors que dans le même temps le PCF négocie avec De Gaulle pour la formation du CNR (Conseil National de la Résistance). N’ayant comme mandat officiel que de s’occuper des écrivains, Aragon n’en fait qu’à sa tête et inscrit sa démarche dans un regroupement des intellectuels. La direction du PCF se laisse forcer la main. Un dénommé Jean Bruller, en contact avec des écrivains comme Jean Richard Bloc, André Maurois, Jules Romains, prend le pseudonyme de Vercors et fonde les éditions de minuit. Son livre « Le Silence de la Mer » connaît un succès immense. En 1943, Aragon en organisera sa diffusion sous le manteau.

Paul Eluard entre au Conseil National des Ecrivains en formation, puis Sartre, malgré ses différents avec la direction du PCF, qui lève le veto. Aragon se bat pour que le Conseil reste indépendant du Front National, puisque nombre d’intellectuels appartiennent à d’autres organisations de résistance. En septembre 1943, les deux comités d’écrivains du sud et du nord s’unifient sous le sigle CNE (Comité National des Ecrivains). En septembre 1943 le couple Aragon s’installe à Saint Donat, c’est là que le PCF leur a trouvé un hébergement d’où ils pourront continuer leur travail.

Poésie, rime et nation

Le recueil « le Crève-cœur » va connaître un véritable retentissement national. Plus tard Aragon dira : « … la poésie, pour toutes sortes de raisons, ne serait-ce que parce qu’elle peut se restreindre à de petites dimensions, pouvait servir à lutter contre la guerre. Je me suis dit aussi que cette poésie ne pouvait pas être une poésie d’avant-garde, car, alors, à qui se serait-elle adressée ? Il s’agissait ici de s’adresser à tout le monde, qu’on puisse facilement entrer dans cette poésie, qu’elle touche le cœur des gens et le retourne, quels que soient ces gens… » Il n’aura de cesse dans ces années de condamner l’attitude et la poésie de Paul Valéry ; contre celui « qui croit tout réductible à des recettes », Aragon ne sépare jamais le contenu de la forme.

Le séjour à Saint Donant plonge aussi le poète dans le patrimoine de la culture occitane. Il remonte aux origines de la poésie de langue française, il écrit : « née de Provence, la poésie française, au contact des imaginations celtiques, donna en Chrétien de Troyes la plus haute figure de l’art de trouver (référence au trobar, c’est-à-dire le troubadour, étymologiquement celui qui trouve), le poète parfait, qui réunit la grandeur du romancier à la force du chanteur. » Aragon c’est le retour de la rime ; il avait déjà écrit en préface à un recueil en 1940 un texte sur la rime. Ici il écrit : « Pour la première fois dans une langue vulgaire (pas le latin), la rime organise la forme poétique. Cette innovation, éloignant la poésie de la latinité, la nationalise (même si la nation occitane est une nation sans état). Mettre l’accent sur la rime, c’est mettre en évidence la naissance de la nation française… »

La résistance est le moment où le poète, et au-delà un peuple, se ressaisit de son propre patrimoine culturel contre la barbarie. Il écrira plus tard : « L’essentiel de notre poésie médiévale, presque toujours politique, aussi bien dans la chanson de geste que dans les fabliaux, Le roman de Renard, Rutebeuf, Villon… ce sont les origines nationales du réalisme en poésie. » La forêt fabuleuse de Brocéliande devient image de la France de 1942 et des premiers maquis.

La monarchie capétienne, dans son combat contre une occupation anglo-angevine qui occupe l’équivalent de 35 départements actuels, s’appuient sur les couches populaires pour vaincre. La bataille de Bouvines en 1214 fonde cette union, et par la même trace le sillon de la nation en construction.

Le communisme national

Le parti et la ligne thorézienne du communisme national, la politique du front français, la main tendue aux chrétiens, la défense de la forme républicaine de l’Etat permet à Aragon de retrouver ses bases. Pour lui le mouvement ouvrier sous la forme du communisme continue la nation. Juquin souligne que la hiérarchie catholique soutient le gouvernement de Vichy, il écrit : « Le 10 juillet 1940, la quasi-totalité des parlementaires présents à Vichy qui se reconnaissent catholique ont voté les pleins pouvoirs à Pétain. La très grande majorité des évêques se rallient au maréchal et appellent à soutenir son régime, reconnu par le Vatican, comme elle ne l’a jamais fait envers aucune forme de gouvernement de puis la monarchie. » Toutefois on fera les comptes à la Libération : il y aura des catholiques dans tous les mouvements de résistance.

Le 29 août 1941 le lieutenant de vaisseau Henri Louis Honoré, comte d’Estienne d’Orves, militant chrétien résistant est fusillé avec deux militants communistes. Un hommage est rendu à la BBC qui émeut de nombreux auditeurs. A Lyon une réunion d’intellectuels fonde « Temps Nouveau », une revue qui regroupe toute la fine fleur du catholicisme social dans le sillage d’Emmanuel Mounier : la ligne générale, démontrer que le nazisme et le christianisme sont incompatibles. Du côté des intellectuels catholiques qui ont soutenu Pétain, certains et non des moindres prennent leurs distances. Pour Mauriac c’est évident quasiment depuis le début. Claudel lit avec émotion en 1942 « les Yeux d’Elsa » et le « Crève-cœur », Aragon a connaissance de la lettre que ce dernier envoie au grand rabbin, Isaac Schwartz, dénonçant les traitements infligés aux juifs. Aragon écrit durant l’été 42 « La Rose et de Réséda » : « Celui qui croyait au ciel/ Et celui qui n’y croyait pas. » L’axe chrétiens-communistes est posé. Juquin commente : « Dans la société largement déchristianisée du XXIème siècle, il devient difficile de comprendre pourquoi l’alliance avec les chrétiens fonde la stratégie de résistance d’Aragon, et, je l’ai dit, pourquoi les références chrétiennes tiennent une grande place dans son œuvre à partir de 1940. Mais l’histoire a-t-elle dit son dernier mot ? »

Défaite de Drieu la Rochelle et de la collaboration chez les intellectuels

La NRF s’enfonce dans la collaboration, notamment avec le sale travail fait par Drieu La Rochelle ; Aragon, tout en réglant ses comptes avec Drieu crée un autre pôle de rassemblement. Ce dernier s’enferre en flétrissant l’alliance des catholiques avec les communistes. Sa colère dissimule mal qu’il a perdu la partie, il écrira : « Presque toute l’intelligence française, presque tout le lyrisme français est contre nous. Et puis après ? » Drieu démissionne en juin 1943 et la revue se saborde. La voie est ouverte pour que le monde littéraire, à l’exclusion des fascistes et des irréductibles de la collaboration, s’unifie autour du CNE et des Lettres Françaises. C’est une victoire littéraire et politique. C’est environ 50000 personnes qui rejoindront l’organisation. Début 1944 tous les groupements précisent leur affiliation en résistance. Aragon modifie son orientation et fait adopter le principe de l’adhésion collective au Front National. L’heure du débarquement approchant, à partir de février 1944, la milice, les cours martiales, la Wehrmacht engagent des actions de grande ampleur contre les maquis. Aragon poussera les professions médicales à former des comités sanitaires d’aide aux maquis.

Pratiquer avec De Gaulle une politique loyale, se rallier à Maurice Thorez

La fin de la guerre le voit prendre position clairement contre une mainmise américaine qui influencerait la formation du gouvernement de la France, de ce point de vue il soutient la politique gaulliste tout en préservant l’union nationale qui garantira la place entière des communistes dans la vie de la nation. Enfin un hommage appuyé à Maurice Thorez, dont l’Humanité du 27 Août 1944 demande le retour, où il écrit : « …C’est en pensant à lui (Maurice Thorez) que j’ai écrit les poèmes du « Crève-Cœur » pour dire les malheurs de la patrie. En pensant à lui que j’ai quatre ans lutté à ma manière contre les barbares qui courbaient mon pays. Et je voudrais que le général De Gaulle à qui je m’adresse ici respectueusement m’entendit. La France ne sera pour moi tout à fait libérée que le jour où la dernière trace allemande lavée sur notre sol j’aurai le droit de serrer la main de Maurice Thorez à Paris. »

Le 27 septembre 1944 Louis et Elsa retrouvent leur appartement parisien et il reprend immédiatement la direction de « Ce Soir ». Le couple est salué de partout dans les premières semaines qui suivent la Libération. Très vite Aragon sera attaqué sur différents fronts par la droite, les socialistes et les trotskystes. Le climat de la Libération laissait place à des courants qui mettaient ouvertement en cause le capitalisme. Le journal « Combat » titre « De la résistance à la révolution ». D’Astier de la Vigerie dira à Crémieux : « nous voulions non seulement gagner une guerre, mais aussi mettre fin aux situations qui permettent les guerres. » Qu’en est-il du PCF ? Juquin fait référence aux archives présidentielles russes et un entretien Staline-Thorez, la veille de son retour en France. La ligne du Kremlin est claire : rechercher de larges alliances, ne pas défier De Gaulle et pratiquer avec lui une politique loyale. Thorez acquiescera et il appliquera. Vingt ans plus tard Charles De Gaulle dira à son ministre Peyrefitte : « Si je n’avais pas tendu la main aux communistes, y compris Thorez – bien qu’il ait mérité le poteau -, nous n’aurions pas évité la formation des milices, nous n’aurions pas réussi l’amalgame des combattants de l’intérieur et de l’extérieur. » Et d’ajouter : « Si Thorez n’avait pas appelé les travailleurs à retrousser leurs manches, nous n’aurions pas relevé nos ruines comme nous l’avons fait. » Dans cette période il n’y a aucune faille entre Aragon et la direction thorézienne du parti. Avec un certain toupet il défendra même la légende thorézienne, ce dernier serait resté sur le sol français jusqu’en 1943 ; il écrira même : « De 1939 à 1943, il était à Paris. Voilà le fait. Il n’a quitté Paris, d’où il commandait sa grande armée antifasciste, que lorsqu’il fut question de la dissolution de la IIIème Internationale. Alors il se rendit à Moscou pour aider à cet acte qu’il jugeait profitable à la poursuite de la guerre, à l’unité des Alliés, à l’intérêt français. Il fallait sa signature au bas du document qui allait consacrer une décision aux conséquences incalculables. Il n’hésita pas. Tout le reste est légende et mensonge. » Juquin ajoute : « tout de même ! ». En effet cela faisait trois ans et demi qu’il résidait en URSS.

Dans l’article du 15 décembre 1944, Aragon énumère les quatre maladies qui minent la nation : l’antisémitisme, l’anticléricalisme, l’antimilitarisme et l’anticommunisme. Nous reviendrons sur cette question dans notre conclusion. Même Juquin couvre le procédé qui est un amalgame : mettre l’anticléricalisme et l’anticommunisme sur le même plan que l’antisémitisme et l’antimilitarisme ! Sur ce plan, Aragon défend la normalisation thorézienne du parti. Ce dernier sort de la guerre avec 800 000 adhérents « composé dans sa masse de nouveaux venus dont la seule expérience a été celle des FTP et des mois de rêves et de désordres qui suivent la Libération, ne se manœuvre pas comme un régiment. » Et pourtant ! La ligne thorézienne passe dans le parti : « une seule nation, une seule police, une seule armée. » J’ajouterai que le mandat défini avec Staline qui a par ailleurs rencontré De Gaulle à l’hiver 1943 a été fidèlement appliqué. La ligne maintenant c’est produire d’abord et revendiquer ensuite. Les mineurs s’étaient libérés par leur propre insurrection voient une CGT les appeler à produire pour reconstruire l’économie française. Thorez déclare : « produire, produire et encore produire, faire du charbon, c’est aujourd’hui la forme la plus élevée de votre devoir de classe, de votre devoir de français. » Et finalement Pierre Juquin entérine : « mais sans cet engagement, la France aurait-elle connu ensuite les trente glorieuses. » Aragon obtient du PCF mandat de constituer une direction des intellectuels communistes, car les adhésions affluent. En janvier 1945, il est chargé d’assurer une permanence des écrivains membres à laquelle le secrétariat sera représenté. Mais il ne rentrera pas au Comité Central, du moins pas dans la période de l’après résistance.

Après la Libération le front se fissure

Le front des intellectuels dans lequel Aragon a joué un rôle majeur pendant la guerre va progressivement se fissurer : c’est d’abord Mauriac, qui sur les pressions de De Gaulle quitte la direction du CNE. Puis Malraux qui combat la perspective de l’unification des mouvements de résistance. Une fraction de la jeunesse intellectuelle va se tourner vers Saint Germain des Prés et l’existentialisme : ce mouvement philosophique proclame la liberté du sujet. C’est le temps où Henry Miller, interdit aux Etats-Unis, connaît en France un succès de librairie. Juquin écrit : « Aragon – Elsa peut être encore davantage - voit dans cet engouement une menace de démoralisation des jeunes français. Le couple croit trouver dans la promotion fulgurante de l’existentialisme une manifestation de ce péril. » Aragon est en rivalité avec Sartre. L’auteur écrit : « Leur rivalité crève les yeux. Le « poète de la nation » aurait aimé entrainer la jeunesse intellectuelle. Il a assez largement perdu cette bataille. Les Etats-Unis, obnubilés par le communisme, ont eu intérêts à ce que Sartre gagnât. Peut-il supporter le magistère de son cadet ? Sartre représente cette « petite gauche », souvent mâtinée de trotskisme, que Thorez et Aragon haïssent… En juillet 1947, Sartre écrit dans « les Temps Modernes » que « la politique du communisme stalinien est incompatible avec l’exercice honnête du métier d’écrivain. » Dans « Qu’est-ce que la Littérature ? »(1947), il assure que les intellectuels doivent se « joindre au prolétariat pour construire une société sans classe », mais sans « rejoindre les chiens de garde du PC » Du côté des artistes et écrivains se réclamant du surréalisme et du trotskisme, on rejette le patriote. Benjamin Péret publie le « Déshonneur des Poètes ». Maurice Nadeau son « Histoire du Surréalisme ». Les attaques pleuvent contre Aragon. Inquiétudes sur les rapports du communisme et de la jeunesse

Malgré le résultat électoral de 1946 où le PCF est au plus haut score de son histoire, Aragon est inquiet des rapports du communisme avec la jeunesse. Sur la question de l’art Garaudy défend qu’il n’y a pas « d’esthétique du parti communisme ». Toutefois Thorez lui réplique : le 27 novembre dans une réunion de cadres sélectionnés sur le volet, le secrétaire général ne défend pas la même chose : « (le parti) choisira toujours entre les écoles qui sont (porteuses) du mouvement de l’avenir et celles qui sont le reflet du passé… Nous maintenons dans le domaine artistique, que le PC prend position pour le réalisme. » Dans la même conférence et pour le première fois la question du passage au socialisme « par un chemin différent de celui de l’URSS » est tracée.

Une stratégie démocratique, sur une base qui ne serait pas « un programme communiste, mais à la limite le programme de tous les français. » Sans suites… Venu défendre avec Thorez à Valence un candidat du PCF en mauvaise posture, Aragon fait un long discours sur son itinéraire : la révolte surréaliste et la révolution e 1917 qui marqua sa génération. Il déclare : « quand l’homme est jeune encore, il est possible de la sauver, il est possible de l’amener à une activité utile. Il faut craindre que ne se perdent des forces humaines appréciables parce qu’on ne sait pas parler aux jeunes gens. » Puis il parle de la période de 1930 à 1939, puis de la guerre, il dit avoir été transformé de « fond en comble » par son parti. La phrase de Thorez lorsqu’il l’interroge au moment de l’entrée en guerre : « tu vas être soldat. A l’armée, fais ton devoir ! »

L’épuration chez les intellectuels

Sur la question de l’épuration, on le charge principalement d’avoir été l’exécuteur des basses œuvres dans le domaine qui était le sien. Sa ligne c’est une distinction entre les traitres indiscutables et les inconscients. Sur ce plan là Mauriac fut infiniment plus intraitable. Le CNE va publier plusieurs listes, la dernière de 165 noms : il ne s’agit pas de les poursuivre judiciairement mais de les déclarer indignes et de s’engager à ne rien publier à leurs côtés. Les procès judiciaires s’ouvriront en octobre 1944, quatre écrivains seront condamnés à mort, dont Robert Brasillach. Aragon va passer pour le Fouquier-Tinville, alors qu’une fraction du CNE au nom d’une opposition politique, se prépare à quitter l’organisation. Aragon lui est allé repêcher Colette, Cocteau, Pierre Benoit, l’éditeur Denoël ou encore le chanteur Maurice Chevallier.

La guerre froide et la liberté de l’art

L’année 1947 voit les PC évincés des exécutifs occidentaux. En France, la tendance syndicale regroupée autour du journal « Force Ouvrière » fait scission de la CGT. Un programme de redressement économique européen rendu public par le secrétaire d’Etat américain Georges C.Marshal commence à s’appliquer. Avec la naissance du Kominform (Bureau d’Information des Partis Communistes) Staline et le gouvernement soviétique retournent à la ligne dite « classe contre classe ». Le 6 novembre, après une réunion des 9 PC du Kominform à laquelle Thorez ne participe pas, un tract international distribué à des millions d’exemplaire déclare : « il faut isoler le parti américain et son aile dirigeante, le PS » Il dénonce la collusion Blum-De Gaulle. Deux revues littéraires soviétiques sont condamnées. Des écrivains, dont la poétesse Anna Akhmatova, sont chassés de l’Union des écrivains. Le PC yougoslave entre en rébellion. Lors d’un voyage à l’Est en 1948, Elsa se souvient d’une polémique avec les yougoslaves qui n’acceptaient pas la ligne thorézienne et considéraient que la résistance ouvrière devait garder les armes et les tourner l’heure venue contre la bourgeoisie. Aragon s’en prend au vice-président de l’académie des arts qui met en cause Cézanne et l’impressionnisme.

La critique soviétique aux ordres démolit Picasso, son art étant caractérisé de « dégénéré ». Aragon s’insurge : la critique utilise les termes de Hitler… Juquin écrit : « ce comportement d’Aragon à partir du début de la guerre froide ne pose énigme qu’à ceux qui ne voit pas qu’il joue un jeu double. Je ne dis pas un double jeu. A la fois contre les « ennemis » externes, porteurs de l’américanisme et du danger de guerre, et contre les blocages internes… combien de textes ambigus va-t-il écrire de 1947 à 1954 ! Et quelle image cela donne t’il de lui !

Quoiqu’il fasse, il est vrai, la droite, les trotskistes l’insulteront… » A l’Est le stalinisme promeut des croutes, des navets et des « romans bas de plafond ». Et Aragon défend une certaine conception de l’art et des artistes de talent vilipendés par Moscou.

L’année 48 voit des grèves très dures se dérouler chez les gueules noires. Une plainte de Jules Moch, ministre de l’intérieur, contre le directeur de « Ce Soir » aboutit à sa déchéance des droits civiques pour 10 ans : le jugement sera cassé malgré une procédure en appel de Jules Moch en 1950.

Le charlatan Lyssenko

Survient la même année l’affaire Lyssenko, ce technicien d’agrobiologie, qui prétendait faire pousser des champs de blé en hiver. Ce pseudo-scientifique s’oppose aux découvertes de la génétique mondiale qui est alors en pleine expansion. Peu importe, Lyssenko a le soutien de l’appareil stalinien, les planificateurs soviétiques vont imposer son point de vue aux agriculteurs et aux éleveurs : ce sera une catastrophe pour l’agriculture soviétique. L’Humanité du 15 novembre 1948 publie une lettre de Thorez qui affirme que Lyssenko « a révolutionné la biologie ». Et Laurent Casanova dans une réunion d’intellectuels communistes d’intervenir sur les rapports science et politique : « Y a-t-il deux sciences ? Oui ! Il y a une science prolétarienne fondamentalement contradictoire avec la science bourgeoise. » Le 6 décembre 1950, Aragon parle à la mutualité dans le même sens ; Juquin commente : « Qu’allait-il faire dans cette galère ? »

Crises au CNE

Dans les différentes affaires qui marquent la période de la guerre froide, Aragon défendra toujours le point de vue de son parti : l’affaire Kravchenko, cet ancien haut fonctionnaire soviétique qui passe à l’Ouest et publie « J’ai choisi la liberté », où il met en cause le régime soviétique ; l’appel de David Rousset à ses anciens camarades de déportation pour dénoncer les camps staliniens ; la constitution du Rassemblement Démocratique Révolutionnaire avec des trotskyste et le soutien de Sartre… Puis la rupture de Tito avec l’URSS ; Moscou se déchainera contre Tito, agent de l’impérialisme. Enfin les procès de Prague, notamment celui de Slansky, de plus mâtinés d’antisémitisme, auront des conséquences désastreuses sur le CNE : les lettres de démission afflueront, notamment celles des anciens résistants. Aux yeux de l’opinion le CNE est considéré comme une officine pro-soviétique. Juquin écrira : « grâce à l’habilité et à la ténacité d’Aragon et d’Elsa, il a survécu Mais il s’est affaibli. C’est l’un des effets dramatiques de la guerre froide. »

Le mouvement de la paix

Le 7 août 1945 les américains utilisent l’arme nucléaire sur la ville japonaise d’Hiroshima. Pour les communistes c’est l’expression du fait, qu’à peine une guerre finie, la perspective d’un troisième conflit mondial se profile. Le couple, tout en menant autour d’une nouvelle société d’édition dont il est responsable un travail d’encouragement des jeunes poètes, s’engage dans la construction du mouvement de la paix. Cinq cents intellectuels de quarante-cinq pays se rencontrent en Pologne dans un congrès des intellectuels pour la paix. Moscou utilisera largement le mouvement de la paix au profit de sa politique internationale, néanmoins ce sera une des rares réussites des partis communistes durant la période de la guerre froide. Aragon se prononce pour l’ouverture du mouvement à tous ceux qui combattent effectivement pour la paix. Cela fait l’objet d’une polémique avec les soviétiques : Aragon veut ouvrir la maison au mouvement des Citoyens du Monde de l’américain Gary Davis. Le 28 avril 1949, mille huit cent délégués se rencontrent durant quatre jours à Pleyel. Après l’annonce par le président Truman de fabrication de la bombe H, le PCF lance une campagne de signature sans précédent avec l’appel de Stockholm. L’installation du secrétariat permanent du Conseil mondial de la paix étant interdite par le gouvernement français, celui-ci doit s’établir à Prague, où il débarque au beau milieu du procès Slansky, London… Où est le vrai Aragon, celui qui refuse l’exclusion de la délégation yougoslave, du fait des positions antistalinienne de Tito, ou celui qui à la tribune défend les positions de Staline et du gouvernement soviétique ?

Le roman réaliste

Le roman Aurélien n’a pas été très apprécié après la Libération, par les communistes bien sûr, mais plus largement par tous ceux qui avaient participé à la Résistance. L’histoire de ces jeunes bourgeois choque, Daix dira à Aragon : « comment avez-vous pu écrire cela de 1941 à 1943 ? dans pareil temps n’y avait-il pas mieux à faire ? »

L’ouvrage inachevé qui suivra « les Communistes » n’a pas bonne presse. Il passe pour une œuvre de propagande. Ce roman n’a pas été écrit sur commande de la direction du parti. Aragon a commencé cette œuvre dans la période de Saint-Donat, cela procédait pour lui d’une volonté, dresser la fresque sociale de cette période et du combat des communistes : « l’âpre lutte de classe qui succède à la Résistance, (lutte qui au vrai s’est sournoisement manifestée au sein de la résistance elle-même, malgré l’union nationale, entre 1942 et 1944) ». Et de continuer à justifier à travers cette œuvre le réalisme en littérature : « il combat l’idée que le roman, genre majeur créé par la bourgeoisie européenne du temps de son ascension, doive nécessairement décliner et disparaître avec elle. » Et d’en remettre une couche avec le réalisme socialiste : « les écrivains soviétiques – qui représentent une société tout à fait différente de la société française – se réclament « d’un réalisme particulier, le réalisme socialiste ». C’est-à-dire qu’ils éclairent « la représentation fidèle de la réalité […] par la perspective du socialisme ». Trop de romanciers français ne comprennent pas la nécessité de prendre parti pour cette perspective. » Aragon est inquiet devant la prolifération de traductions françaises des romans américains et de ceux qui en France les imitent.

S’il ne fait pas la sottise de condamner les écrivains qui ont fait d’autres choix que le siens et qui sont de grands écrivains, il critique le cadre étroit du monde qu’ils campent. Ainsi « le Grand Meaulnes » d’Alain Fournier ; Aragon écrit : « [Meaulnes] n’a pas besoin de songer au gagne-pain, car il est le fils d’une veuve riche, il a tout l’argent qu’il veut… il n’a pas à toucher à la réalité de l’origine de cette fortune… » Juquin écrit : « Après Barrès, Aragon veut refaire le roman de « l’énergie nationale ». Où la puiser aujourd’hui cette énergie ? La bourgeoisie est en décadence. « Les Communistes » propose l’image d’une relève des classes : la classe ouvrière devient le grand gisement d’énergie française. » Dans la réunion de « la Grange aux Belles » du 17 juin 1949 qui fait salle comble, il subit les attaques de Lecoeur et du courant de fait qui défend l’orientation dite « classe contre classe ». Pour lui le roman « les Communistes » n’est pas écrit pour les communistes. Il interrompt son travail deux ans après, précisément parce qu’on « le louait d’avoir écrit autre chose que ce qu’il avait voulu écrire ». Son projet était de situer le combat des communistes dans la nation et donc de décrire par le détail le mouvement des classes sociales dans la nation et le rôle qu’y occupait le mouvement communiste. Aragon s’en prendra à la critique interne du parti en expliquant : « Il y a chez nous un certain byzantinisme, un byzantinisme paradoxal : constamment les livres qui sont publiés autour de nous par les nôtres […], ne sont jamais assez bons pour nous et nous gardons pour eux les foudres que nous ne faisons pas tomber sur les livres de l’ennemi. La critique de bouche à oreille, à l’intérieur du parti et autour du parti, progressivement, fait tomber les tirages de tout écrivain communiste ou sympathisant communiste. »

10 octobre 1950, Maurice Thorez est frappé d’hémiplégie ; transporté en URSS, il y restera 29 mois. Profitant de cette absence la fraction de la direction dite « classe contre classe » organise la manifestation de rue la plus violente de toute l’histoire du PCF, contre la politique américaine en Corée du nord. Six heures de combats de rue. Duclos est emprisonné à la Santé. Marty et Lecoeur mènent la danse contre les libertés intellectuelles au sein du parti, donc contre Aragon en particulier : « Le poète n’est plus l’enfant chéri à qui l’on pardonne beaucoup, mais l’écrivain bourgeois… Il passe du statut de pupille et d’ami du secrétaire général à celui d’intellectuel surveillé. » Puis, cerise sur le gâteau, imposer aux scientifiques du parti les inepties de Lyssenko. Avec Thorez sur la touche, Aragon craignait ces dérives. Au milieu de l’année 1952 , l’URSS tourne sur la politique étrangère, signe avant-coureur de la « coexistence pacifique », les Lecoeur-Billoux doivent s’aligner. Un créneau est à nouveau ouvert pour le mouvement de la paix. Mais en marge de la réunion international de Vienne se joue un drame en coulisse. Elsa Triolet brigue un poste au bureau mondial du Mouvement de la Paix. Un responsable soviétique fait comprendre que cette promotion ne sera pas possible : « Staline lui-même s’y opposerait… Elle est juive n’est ce pas ? » Ce sera pour Aragon un choc psychologique considérable.

La mort de Staline

Lorsque Staline meurt et que la nouvelle est annoncée par Jacques Duclos le 6 mars 1953 à une conférence nationale du PCF, il faut resituer les choses dans le contexte de l’époque : n’importe quel honnête homme aujourd’hui considère Staline comme un bourreau et un assassin. La République française met ses drapeaux en berne en référence au rôle joué par l’Armée Rouge dans la guerre et au « parti des fusillés »… Aragon demande à Picasso pour « Les Lettres Françaises » un portrait de Staline. Picasso fait du Picasso au fusain.

L’affaire provoque une violente polémique dans les rangs communistes et Lecoeur (encore lui) mène la charge : on vient de toucher à la statue de marbre du grand Staline. Le secrétariat du parti condamne Aragon d’avoir publié l’œuvre de Picasso. De Moscou Thorez envoie un télégramme « ordonnant à Lecoeur de cesser immédiatement ce débat ridicule qui compromettait nos relations avec les intellectuels. » Juquin écrit : « l’affaire du portrait a été davantage qu’une péripétie dans un parcours de plus de cinquante années. Pour Aragon ceci est le dilemme : Thorez débarqué, un autre Lecoeur à sa place ? Pour rien au monde ! Le parti est enclin, hélas ! à revenir aux vieux démons du mouvement ouvrier français. » Pièce d’anthologie de la poésie dite prolétarienne, Aragon écrit un texte lorsque Thorez rentre d’URSS , intitulé « Il revient ! » :

« Il revient les vélos sur les chemins des villes Se parlent rapprochant leur nickel ébloui… »

Le nickel des vélos du prolétariat, saluant Maurice retour de Moscou, diable ! sous la plume d’un grand poète !

La guerre d’Algérie

La question de l’Algérie va poser un choix aux intellectuels : Aragon connaît et soutient un certain nombre d’écrivains arabes pour qui la question de l’indépendance nationale se pose. Dès janvier 1955, Mauriac et Bourdet de l’Express, dénoncent la torture. Le journal Alger Républicain dirigé par Henri Alleg, proche du PC, est interdit. Ce dernier sera torturé par l’armée. Le 5 novembre 1954, un certain François Mitterand déclare que la seule négociation c’est la guerre. Guy Mollet reçu avec des tomates à Alger, le 12 mars le PC sur pression de Thorez et en contradiction avec la base du parti fait voter les « pouvoirs spéciaux » à l’assemblée. La SFIO s’enfonce dans la politique colonialiste. Malgré les divergences qu’il a avec l’écrivain d’origine kabyle Jean Amrouche, Aragon approuve ce que ce dernier écrit dans un article quasiment programmatique du Monde du 11 janvier 1958 : « … Le Français pense l’universel comme une extension des caractères français, et par réduction à ces caractères de toute réalité étrangère. Il demeure sous le charme d’une mythologie qui lui rend malaisé de reconnaître l’autre, quel qu’il soit, comme autre » (« La France comme mythe et réalité. De quelques vérités amères. »)

Aragon ne sera pas signataire de l’appel des 121 de septembre 1960 pour le droit à l’insoumission ; toutefois le 13 octobre il publiera dans « les Lettres Françaises » sa lettre de démission de l’Association des écrivains combattants, au motif qu’elle vient d’approuver les poursuites engagées contre les signataires : « Votre texte – écrit-il – est un encouragement à la poursuite d’une guerre perdue où de jeunes français tombent tous les jours pour des intérêts qui ne sont pas les leurs. »

Le rapport Khrouchtchev et la déstalinisation

Début 1956 c’est le début du dégel à l’Est : sept cent mille fonctionnaires de l’appareil d’état sont limogés. Lors du congrès des écrivains les protestations commencent à fuser. Mais le parti français sous la direction de Thorez est loin de relayer ce qui se passe dans le parti soviétique. Mieux les thoréziens disent que globalement depuis 1945 le PCF a fonctionné de manière globalement démocratique, en utilisant le courant dit « classe contre classe » comme repoussoir. La direction met le rapport Khrouchtchev dénonçant les crimes de Staline sous le coude, qui transitant par la Pologne finit par être publié par Le Monde en juin 1956. Juquin écrit : « En 1956, Aragon ne peut pas voir que Thorez verrouille les portes de la déstalinisation. Tellement prompt à saisir les tours et détours, comment aurait-il la moindre illusion sur les procédés de Jeannette Vermeersch ? Maurice et Jeannette sont attaquables. Des communistes imputent à faute à Thorez le culte qui a entouré sa personne pendant la guerre froide… Et le voici qui prête la main à Thorez, entre dans le jeu du couple Maurice-Jeannette ! » Au lendemain de la publication du rapport l’ex-communiste Jean Pierre Chabrol raconte qu’il est dans un état d’effondrement moral total. Le virage du 20ème congrès ne sera pris en France que 5 ans plus tard, en 1961.

Retour à la poésie

Les années qui suivent la mort de Staline et le commencement du dégel sont un temps où Aragon fait retour sur lui-même et Juquin écrit : « le drame du stalinisme pose à l’individu communiste une question d’identité… cette tragédie, va-t-elle, sans fin, pour toutes les générations recommencer ? » La réponse c’est le chant, c’est le temps de l’écriture du « Roman inachevé », loin du tract politique versifié chantant Maurice et le reste, Aragon est alors pleinement le grand poète qui traduit par l’émotion poétique les drames de son siècle. Dans une conférence à la Mutualité durant cette période il dira : « Je n’ai pas toujours été l’homme que je suis ... Je connais des gens qui sont nés avec la vérité dans leur berceau, qui ne sont jamais trompés, qui n’ont pas eu à avancer d’un pas de toute leur vie, puisqu’ils étaient arrivés quand ils avaient la morve au nez. Ils savent ce qui est bien, ils l’ont toujours su. Ils ont pour les autres la sévérité et le mépris que leur confère l’assurance triomphale d’avoir raison. Je ne leur ressemble pas. La vérité ne m’a pas été révélée à mon baptême, je ne la tiens ni de mon père, ni de la classe de ma famille. Ce que j’ai appris m’a coûté cher, ce que j’ai acquis je l’ai appris à mes dépens. Je n’ai pas une seule certitude qui ne me soit venue autrement que par le doute, l’angoisse la sueur, la douleur de l’expérience. Aussi ai-je le respect de ceux qui ne savent pas, de ceux qui cherchent, qui tâtonnent, qui se heurtent. Ceux à qui la vérité est facile, spontanée, bien entendu j’ai pour eux une certaine admiration, mais, je l’avoue, peu d’intérêt. Quand ils mourront, qu’on écrive donc sur leur tombe : il a toujours eu raison… c’est ce qu’ils méritent et rien de plus. »

Troublante affaire Manouchian

Un chapitre est consacré à l’affaire du groupe Manouchian. Troublante affaire ! Ce militant internationaliste d’origine arménienne se verra confié par le parti la section arménienne de la MOI (section des FTP regroupant la main d’œuvre immigrée). Sous sa responsabilité le responsable nazi Otto Titter organisateur du STO est exécuté à Paris. Manouchian et ses camarades, tous des militants étrangers, souvent juifs, fuyant la répression nazie se sont placée sous la protection du mouvement ouvrier communiste. Juquin écrit :

« Dans sa poésie de la résistance, Aragon a entendu Jeanne filer, Roland sonner le cor. Il a senti le souffle de l’an II… Mais la triste vérité le poursuit : il n’a pas chanté Manouchian, à l’égal de Péri ou de Politzer ! Pourquoi ce criant oubli ? Du communisme national il ne démordra jamais. Mais qu’est ce que la nation ? En a-t-il une vision assez large, assez juste, sans chauvinisme ? Aragon souffre. Il s’interroge. Il aurait dû. Il invente cette expression superbe : « Français de préférence »

« Non de naissance… Diversement motivés, les étrangers résistants ont choisi la France, celle des droits de l’homme et la Commune de Paris, qui s’oppose à la France de l’exclusion et du racisme. » Dans la lettre d’adieu à sa femme Mélinée, dont Aragon a repris dans son poème « La guerre et ce qui s’en suivit » l’essentiel du contenu, Manouchian termine par : « Je pardonne à tous ceux qui m’ont fait du mal ou qui ont voulu me faire du mal, sauf à celui qui nous a trahis pour racheter sa peau et ceux qui nous ont vendus. »

Le groupe Manouchian sera largement occulté de la mémoire officielle de la résistance, gaulliste bien entendu, mais aussi du PCF.

Aragon et Ferré, la mise en musique

Le chanteur Léo Ferré tombé sous le charme du recueil « Le Roman Inachevé » mettra en musique dix poèmes, dont la célèbre « Affiche rouge ».

Pour Aragon commence une autre histoire, celle de la mise en chanson de ses textes. Plus tard Ferrat… Les paroles chantées gagneront un public très large. J’ajoute sur ce point, en plus de ce qu’en dit Pierre Juquin, que le poète n’aura pas vis-à-vis de la chanson, du moins la chanson à texte, les discours auxquels les écrivains et l’université nous ont habitué, la chanson art mineur. Pierre Seghers disait, point de vue fréquent chez les poètes, que la chanson n’était que la petite sœur de la poésie. Il écrira dans un article intitulé « Léo Ferré et la mise en chanson » :

« La mise en chanson d’un poème est à mes yeux la forme supérieure de la critique poétique […] C’est ici une critique créatrice, elle recrée le poème […] Ne me dites pas qu’elle le déforme, elle lui donne une autre vitesse, un poids différent et voilà que « ça chante » ! […] Même si ce n’est pas tout à fait ce que j’ai voulu dire, c’est une ombre dansante, un reflet fantastique, et j’aime ce théâtre qui est fait de moi. »

La Hongrie et l’écrasement de l’insurrection

Novembre 1959, les blindés soviétiques écrasent l’insurrection de Budapest. Lors du Comité Central du PCF qui suit, Aragon déclare : « …vous êtes les seuls à avoir compris précisément que, si l’armée soviétique n’était pas entrée en action en Hongrie, c’était la porte ouverte à faire de la Hongrie une place d’armes qui ne pourrait servir en définitive qu’à la Wehrmacht, à l’Allemagne restaurée comme puissance militaire et gendarme de l’Europe. » Pierre Juquin ajoute : « Cette allocution nous glace… » En Italie le PCI perd 400 000 membres.

Dans la mouvance des compagnons de route en France, le doute s’installe. La CGT, pourtant à l’époque dirigée par un membre du CC, Benoit Frachon, laisse les fédérations juger. La FNDIR, associations d’anciens déportés, proteste. Le CNE fronde. Aragon intervient en 1957 pour le poète hongrois Tardos, emprisonné après l’insurrection. Libéré et exilé en France, il lui ouvrira « les Lettres Françaises ».

Vercors n’excuse pas l’intervention soviétique. Et Aragon d’ajouter, lui qui vient au CC du PCF d’approuver les soviétiques : « Je connais quelques hommes au cercle Pétofi. » Surprenant quand on sait que ce cercle d’écrivains et d’intellectuels hongrois a joué un rôle important dans le déclenchement de l’insurrection. Un appel à Kadar, homme de l’appareil mis en place par les soviétiques à la tête du gouvernement hongrois, demande : « …de réserver l’avenir et de garantir, quelles qu’aient pu être, dans ces événements, leur attitude et leur conception du devoir patriotique, la vie, la liberté physique et les intérêts moraux des écrivains et intellectuels hongrois porteurs d’une part de la culture humaine… » Aragon subit la charge d’une partie de l’intelligentsia française, dont Breton, qui lui reproche, même s’il a sauvé un certain nombre d’écrivains hongrois, de ne pas avoir désavoué l’intervention soviétique.

En avril 1957 Elsa publie dans « Les Lettres françaises » et dans la collection blanche de Gallimard un conte philosophique « Le Monument », dans lequel elle dresse un portrait imaginaire d’un secrétaire général de parti d’une démocratie populaire imaginée. L’accueil de l’Humanité et de Thorez lui-même est glacial. Le bureau politique met en cause les initiatives d’Aragon pour sauver les écrivains hongrois sans que la direction ne soit informée et désapprouve le roman d’Elsa qui montre le parti comme incompétent sur les questions concernant les intellectuels.

Le parti joue Aragon pour faire face aux critiques des intellectuels

Le 28 septembre 1958 la Vème république est promulguée, le PCF perd la quasi-totalité de don groupe parlementaire (146 à 10). En pleine déroute électorale Aragon publie « La Semaine Sainte ». Après la douche froide, le 11 décembre 1958 lors du comité central, Roger Garaudy fait applaudir à tout rompre Aragon pour ce chef d’œuvre qui à la fois s’inscrit dans la tradition du roman classique du XXème siècle et en même temps montre que l’acteur social fondamental est le peuple incarnant aujourd’hui la continuité de la nation française. La nation et le réalisme. Pierre Juquin note : « Seulement à partir de 1956, après le rapport Khrouchtchev, de semaine en semaine, les relevés de décisions du secrétariat du partir font état de difficultés avec des intellectuels communistes notoires. Face à la fronde (qui ne cessera plus), Aragon n’est-il pas providentiel ? Sa fidélité est indiscutable. Comme il donne des raisons de rester et d’espérer !... »

Histoire de l’URSS

En 1959 Aragon commence son histoire de l’URSS avec l’aide officielle du PC : la direction détache auprès de lui un journaliste spécialiste de politique étrangère, Pierre Hentgès, l’autre assistant est Antoine Vitez. Histoire essentiellement politique qui se limite aux éléments donnés par le début de la déstalinisation et le rapport Khrouchtchev. Pierre Juquin écrit : « Il est facile aujourd’hui de débusquer les insuffisances de ce livre, au fil du développement des connaissances. Sa grande faiblesse, commune aux ouvrages de tout bord de ce temps-là, c’est l’absence de recours aux archives. Et pour cause ! Elles sont alors inaccessibles. » Néanmoins les informations limitées données par les sources soviétiques bouleverse les militants communistes, la direction thorézienne les ayant occultées pendant longtemps. Juquin reconnaît que l’image qu’Aragon donne de Lénine, et surtout de Trotsky, est totalement issue de l’historiographie stalinienne. Aragon présuppose que l’ URSS est une société en transition vers le socialisme. La critique de Trotsky contre la théorie du socialisme dans un seul pays, il la condamne comme une utopie dangereuse.

Liberté pour les écrivains à l’Est

Le 7 décembre 1962, Les Lettres Françaises sous la signature d’Elsa titrent « Pour l’amour de l’avenir ». Elle présente la nouvelle de Soljenitsyne « Une journée d’Ivan Denissovitch ». Elle écrit : fallait-il « revenir sur le grand désastre que l’Union soviétique a vécu pendant un quart de siècle ? » Elle qualifie la période stalinienne « d’aberration collective » et d’ « individus dangereux » ceux qui voudraient revenir à cette période. Le langage est très dur pour l’époque. Le 8 septembre 1965 l’écrivain Siniavski et son ami le poète Iouli Daniel sont condamnés aux camps de travail pour avoir fait publier leurs œuvres à l’étranger sous des pseudonymes. Une partie du mouvement communiste européen exprime sa désapprobation. Aragon prend position dans un appel public contre ce procès et Waldeck Rochet le soutiendra. Malgré les positions des soviétiques qui demandent à Aragon de cesser de s’occuper de littérature soviétique, un pas a été franchi dans le mouvement communiste.

La crise de l’UEC

A partir de 1965, le souffle de 1968 est en gestation dans la jeunesse, les débats qui animent l’UEC (Union des Etudiants Communistes) donnent du fil à retorde à la direction du parti. La question de la déstalinisation et du rapport Khrouchtchev est diversement interprétée, les uns – futurs maoïstes – estimeront qu’il s’agit d’un révisionnisme de droite, les autres évolueront autour d’Alain Krivine vers le trotskysme. Dans la discussion avec deux responsables de l’UEC, Deleage et Forner, qui viennent le voir chez lui, Aragon leur dit de ne pas s’isoler, « on n’a jamais raison contre le parti… Continuez votre combat d’idées… Mais vous ne gagneriez rien à un affrontement. Soumettez-vous. » Pierre Juquin qui fut membre à l’époque de la direction de l’UEC écrit aujourd’hui :

« Les étudiants de l’UEC sont les enfants de la catastrophe annoncée du communisme historique. Pour quelle espérance reste t’il place ? Certes Khrouchtchev est au faite de son pouvoir, mais le monde soviétique se lézarde. Ces jeunes gens cherchent dans le brouillard. Se raccrochent à ceci ou à cela, du côté de Rome, du côté de Pékin. Ils adressent un cri – ultime - à Thorez, à Aragon, à leurs aînés, à moi, tous responsables communistes. Aragon le perçoit, mais ne juge pas efficace une rupture et mise sur la réussite de Khrouchtchev et sur l’évolution en cours de la pensée thorézienne pour avancer sans rompre. Mais la longue résistance de Thorez à la déstalinisation a retardé la mutation du parti et affaibli ses capacités de réflexion.

L’institution renâcle aux questions qui la gênent le plus : celles qui portent sur elle-même… La révolte étudiante – celle d’une partie de l’UEC, celle, beaucoup plus ample, de mai 68 – a-t-elle été pour le communisme historique un chant du coq ou le chant du cygne ? Il eût fallu tendre l’oreille. Scruter. Sonder. Soupeser. Supposer. Et vite répondre. L’histoire lui mordait la nuque, mais le parti communiste est passé à côté. Peut-être n’eût-il pas réussi à inverser la tendance mondiale. Mais il devait essayer. » Durant les événements de mai 68, Aragon qui a alors déjà 70 ans, « s’amène seul au boul’mich » pour rencontrer les étudiants : échec, le courant ne passe plus. La jeunesse regarde ailleurs et la perspective d’un gouvernement d’union des forces de gauche qu’Aragon défendra au sein de la direction ne la concerne pas.

La polémique avec Althusser

A partir de 1961, Roger Garaudy organise des « Semaines de la Pensée marxiste », où des communistes confrontent leur pensée avec celle de non-marxistes, existentialistes et surtout chrétiens : c’est la continuité du « Celui qui croyait au ciel/ Et celui qui n’y croyait pas ».

Mais la polémique va se développer avec Louis Althusser, qui considère que ce dernier liquide l’héritage marxiste, ce dernier évoluant vers le maoïsme. Aragon s’insurge : « […] les égarements ou les crimes ne peuvent pas trouver place naturelle dans le marxisme […] ils en sont dénaturation, trahison, détournement. […] » Et défendant Garaudy, il ajoute : « Il ne s’agit pas d’une révision du marxisme, mais au contraire de sa restitution. » 1965, Mitterrand a mis en ballotage le général De Gaulle à l’élection présidentielle. Aragon rappelle son engagement pour l’union de la gauche et son soutien à la politique de Waldek Rochet, en écartant la surenchère gauchiste. En janvier 1966, il refuse de participer à une réunion de philosophes communistes convoquée par le parti : il s’en explique, le soutien à la candidature de Mitterand n’est pas conjoncturelle, elle s’inscrit dans une démarche de passage au socialisme par les voies pacifiques, sans guerre civile ni dictature. Ce qui signifie pour le poète rejeter « la conception du parti unique, avec ce que cela implique, l’alliance avec le PS et tous les autres partis démocratiques qui l’accepteront pour le passage au socialisme, sa construction et son maintien… » Il faut de plus prendre en compte depuis l’ouverture du concile Vatican II sous le pontificat de Jean XXIII que l’Eglise s’ouvre à nouveau à la question sociale. Il faut donc gagner une majorité de français à un programme commun de la gauche, intégrant l’ouverture aux « gaullistes », De Gaulle est encore au pouvoir. Sur la question de la création, Aragon s’oppose à Althusser : « Il y a dans toute œuvre d’art une part irréductible aux données. » Il rejette le déterminisme intégral. Enfin il considère qu’après 1965 ce qui domine est la question politique, la direction du parti doit avoir les mains libres pour travailler à un rassemblement majoritaire. Avec le cercle qui va donner dans le maoïsme, Aragon craint un mouvement dans la jeunesse intellectuelle qui va justifier les crimes du stalinisme. Juquin ajoute : « Il redoute que la parti ne retombe dans les ornières qui lui ont fait tant de mal. Il n’a pas tort, puisque cela se produira partiellement, en 1977, après cinq années de programme commun de la gauche ». Après 1968, les composantes maoïstes vont reprendre le mot d’ordre « classe contre classe ».

La succession de Thorez

Thorez meurt le 12 juillet 1964. Du 23 juillet au 16 août, sur trois numéros des « Lettres Françaises » Aragon lui rend hommage. Il dénonce, dans la période d’absence du leader, les tentations chez certains dirigeants de revenir à la période honnie. Pleins feux sur la ligne de l’union de la gauche et le rassemblement majoritaire ! Ce qui induit un soutien incontestable à la ligne défendue par Waldek Rochet. Il souligne l’ouverture d’esprit du dirigeant à la littérature et à l’art. Waldek Rochet continuera Thorez. Il rejettera l’idée du parti unique et esquissera « les bases économiques et politiques d’un programme commun avec le parti socialiste et les « partis démocratiques », soutient l’opposition de De Gaulle à la guerre américaine dans le sud-est pacifique, rejette les thèses aventuristes du parti communiste chinois sur la guerre nucléaire… »

Sur la guerre américaine contre le Vietnam, au cours de laquelle il sera utilisé plus d’explosifs que durant la seconde guerre mondiale, à la demande de la direction du parti, Aragon rédige avec Pierre Juquin un appel à tous les intellectuels. En quelques heures il rassemble un arc qui va des marxistes à Mauriac, Jankélévitch ou Sartre.

Le printemps de Prague

Dans « Les Lettres Françaises » de juillet 1967, il publie « un certain Teige », poète surréaliste tchèque victime du stalinisme et discerne les signes d’un cours nouveau en Tchécoslovaquie. Durant l’été 1968, il se déchaine contre les soviétiques, cette fois Waldek et la direction rament dans le même sens. Elsa épingle les « nazis de Moscou ».

L’écrivain « Nourrissier fait partie des témoins qui attestent que Louis se serait tué si les instances communistes françaises n’avaient pas condamné l’action soviétique. » La direction du parti désapprouve l’intervention de Moscou à Prague. L’éditorial du 28 août 1968 rapporte ces mots du directeur du journal : « J’écoute des bruits lointains, c’est toute ma vie, ce qu’elle fut, qui est en cause… » Un communiqué du 4 septembre à la une intitulé « la Vérité vaincra » dit ceci : « Dans un vieux pays colonial comme le nôtre, trop longtemps, […] nous avons vécu le mot de Marx qu’un peuple qui en opprime un autre n’est pas un peuple libre […] Frères de Tchécoslovaquie, nous soutenons votre lutte pour sauvegarder à votre patrie un avenir et un socialisme digne d’elle. »

Aragon apporte à Gallimard le manuscrit de « La Plaisanterie » de Kundera ; ce roman publié en septembre est préfacé par le poète qui écrit : « Je me refuse à croire qu’il va se faire là-bas un biafra de l’esprit ». En février 1969 « les Lettres Françaises » défendent le livre de London « l’Aveu », alors que « l’Humanité » l’a démoli. Courant 1972 « Les Lettres Françaises » sont en faillite. Fin 1969 tous les abonnements contractés par les soviétiques sont annulés, décision naturellement politique. Il est vrai que la vieille garde stalinienne était irritée par le journal, même s’il ne déplaisait pas à la partie de la direction fermement attachée à la ligne d’ouverture et à l’union de la gauche. Le dernier numéro, sous le titre « Comment meurt un Journal » parait le 11 octobre 1972.

Aragon sous Georges Marchais

Sollicité par Georges Marchais pour appuyer sa candidature à la députation dans sa circonscription d’Ivry sur Seine, Aragon fait un long discours dans une réunion publique : de la révolution d’Octobre au congrès de Tours, du Front populaire à la Résistance, de la lutte contre les guerres coloniales au programme d’union de la gauche, le réquisitoire d’Aragon publié intégralement dans ce tome est en fait une défense et illustration de la ligne d’ouverture et de combat pour un rassemblement majoritaire. Aragon craint dans Marchais un retour à la ligne ouvriériste. Ce qui se produira en 1977. Décembre 1978 devant un parterre d’intellectuels, Marchais défend « le bilan globalement positif » de l’URSS et des démocraties populaires.

Comme critique cinématographique, Aragon défend Godard et la nouvelle vague. Comme critique d’art, dans la tradition des Diderot, Baudelaire, Zola, Apollinaire, dans ses « Ecrits sur l’Art moderne » il aborde l’œuvre de plus de cinquante peintres et sculpteurs. Jusqu’à la fin de sa vie il interviendra en faveur d’écrivains ou artistes menacés par la répression, aussi bien d’avoir fait attribuer le prix Lénine au poète grec Yannis Titsos ou d’intervenir en faveur de Serguei Paradjanov, auteur des « Chevaux de Feu », incarcéré durant quatre ans en URSS. 1980, il sera vice-président d’un comité de défense des libertés et des droits de l’homme en France et dans le monde, décision prise par la direction du PCF avant la campagne de 1981.

Aragon meurt le 24 décembre 1982. Alors qu’une partie du gouvernement y était favorable, dont le premier ministre Pierre Mauroy, Mitterand refusera les obsèques nationales.. Louis Aragon sera inhumé sur le petit tertre du moulin de Villeneuve, aux côtés d’Elsa.

Le Fou d’Elsa

L’ouvrage de Juquin s’achève sur une analyse du poème « Le Fou d’Elsa » qui peut être relu aujourd’hui comme s’il s’adressait au XXIème siècle. Alors que nous sommes confrontés aux théories réactionnaires d’Huttington du « choc des civilisations », ce poème magnifie l’Andalousie du XIème siècle, au sein de laquelle régnait une coexistence interconfessionnelle. Et Aragon d’expliquer dans un entretien avec Crémieux : « … Il est étrange de penser que nous autres, hommes du XXème siècle, quand de France nous regardons les pays musulmans, nous les regardons encore avec des préjugés chrétiens, persuadés sans le savoir même, de la supériorité du christianisme – et je dis même pour ceux d’entre nous qui ne s’en réclament plus – sur l’islamisme […] C’est sans doute par les événements d’Afrique du Nord que j’ai compris mes ignorances, le manque de culture, qui ne m’était pas propre d’ailleurs… Le « Fou d’Elsa », ce testament à nous légué avant l’heure, est un poème de la fraternité et du métissage. »

« Il a dit ô femme et s’achève

Ainsi la vie ainsi le rêve

Et soit sur la place de grève

Ou dans le lit accoutumé

Heureux celui qui meurt d’aimer. »

Robert Duguet

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