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15 novembre 2023 3 15 /11 /novembre /2023 07:13
C’est Gaza qu’on assassine !  - par Patrick Le Hyaric, L'Humanité, 14 novembre 2023

À l’abominable carnage du Hamas répond depuis plus d’un mois, au centuple, le carnage de l’armée d’occupation israélienne. Comble de la folie ! Elle transforme les hôpitaux en morgue, les écoles en lieux de terreur pour des enfants innocents placés au cœur de l’offensive guerrière du pouvoir d’extrême droite de Tel-Aviv. Les réalités sont glaçantes : destruction de plus de la moitié des habitations, contraction d’au moins 4 % en un mois des territoires palestiniens, arrestations de paysans et de travailleurs en Cisjordanie, répression féroce contre des travailleurs palestiniens employés en Israël, 11 000 civils tués dont la moitié est des enfants, déplacement de centaines de milliers d’habitants, économie étranglée par la pression israélienne. Et, le gouvernement radicalisé qui siège à Tel-Aviv n’a que faire des organisations internationales de solidarité telles que Médecins sans frontières, la Croix-Rouge ou des agences de l’Onu. Il n’hésite pas à tuer ses représentants et à les chasser de l’enclave car elles se font l’écho des massacres qu’interdit le droit à la guerre.

Ce sont les interventions et les révélations de ces Organisations non gouvernementales (ONG) qui, combinées au mouvement populaire de solidarité, digne, responsable, dans notre pays et en Europe ont conduit le président de la République à franchir le pas de la dénonciation de ces crimes et à exprimer pour la première fois, le 11 novembre, la demande d’un cessez-le-feu. Cette évolution est importante et peut constituer un point d’appui, bien au-delà de la France. Nous, nous en félicitons. Il est à cette heure le seul chef d’État des pays dit du « G7 » à parler ainsi. Le choix pour cette expression de La BBC n’est pas anodin.
Refusant absolument que d’autres chefs de gouvernement ou d’État de l’Occident capitaliste ne lui emboîtent le pas, Benjamin Netanyahu lui a brutalement répondu et, dès le lendemain, selon les services du président d’Israël, M. Herzog, Emmanuel Macron a cru bon de devoir tempérer en réaffirmant son « soutien sans équivoque » au gouvernement israélien.

Une course de vitesse est désormais engagée entre les partisans de la paix et de la solution à deux États, et le pouvoir colonialiste de Tel-Aviv. Cela se joue dans la mobilisation des peuples et des travailleurs par-delà les frontières ; car les intérêts en jeu sont immenses pour le grand capital international.

Pour sa part, en réitérant son opposition catégorique au cessez-le-feu, le président nord-américain encourage et soutient de toutes ses forces la puissance occupante israélienne. Le porte-parole de la Maison-Blanche pour la sécurité nationale a été jusqu’à confirmer que les États-Unis n’avaient pas de « ligne rouge » quant au nombre de victimes civiles à Gaza. C’est d’autant plus ignoble que cette stratégie n’a jusque-là aucunement permis de libérer les otages. Les seules libérations (d’otages binationaux étasuniens) intervenues ont été le fait de négociations par l’entremise probable du Qatar.

À l’hôpital Al-Shifa, refuge de milliers de citoyens palestiniens, il semblerait que, le 12 novembre, ce soit un missile expérimental lanceur de lames Hellfire R9X nord-américain qui a provoqué une mare de sang, tailladé et conduit à l’amputation de membres de nombreux blessés palestiniens, présents dans les locaux au moment du bombardement.

On peut désormais émettre l’hypothèse que les dirigeants israéliens et étasuniens poursuivent d’autres objectifs que la seule libération des otages et l’éradication du Hamas dont il est nécessaire de rappeler qu’il est leur « idiot utile » depuis plusieurs décennies.

La destruction des hôpitaux pour accélérer encore les déplacements des citoyens qui s’y abritent, ainsi que le personnel médical et les patients, la coupure en deux de l’enclave de Gaza accompagnée de la volonté de raser totalement Gaza-City, le faux-semblant des corridors dits « humanitaires » pour accélérer les mouvements de population et pousser les civils à la rue pour s’y entasser ou dans des abris de fortune au sud, sans eau, sans électricité, sans nourriture : toutes ces actions militaires sont conformes au document du ministère israélien du renseignement daté du 13 octobre dernier, révélé par le journal The Financial Times : préparer l’expulsion des Gazaouis hors de Gaza.

Ce que confirme le journal The Times of Israël qui présente ce document comme un appel « au transfert de la population civile dans des villes de tentes dans le nord du Sinaï et, dans un deuxième temps, à la construction de villes permanentes ». Le chercheur et spécialiste des enjeux du Moyen-Orient, Michael Young, membre du groupe de réflexions Carnegie Middle East Center, ajoute que l’ancien chef du Conseil national de sécurité israélien, Giora Eiland, a appelé, dans un article sur le site Ynet, à « créer des conditions pour que la vie à Gaza devienne insoutenable » et à provoquer « une crise humanitaire » pour que la « totalité de la population parte soit vers l’Égypte soit vers les pays du Golfe ».

Le Financial Times a également révélé que M. Netanyahu a « tenté de convaincre des dirigeants européens de faire pression sur l’Égypte pour qu’elle accepte d’accueillir des réfugiés de Gaza ». La France, l’Allemagne et le Royaume-Uni auraient repoussé cette demande. Ces informations permettent de mieux comprendre les visées du Premier ministre israélien lorsqu’il affirme que son pays doit reprendre pour un temps indéfini la sécurité de la bande de Gaza. Dès lors que ; en parallèle, la répression et la colonisation s’amplifient en Cisjordanie, c’est à la fois Gaza qu’on assassine et l’accélération par le pouvoir Israélien de l’enterrement du projet d’État palestinien.

Oui, une course de vitesse est donc engagée pour obtenir le cessez-le-feu, la libération des otages et amplifier les débats et les actions pour que le projet maintes fois réaffirmé par l’Onu et par de nombreux gouvernements soit mis en œuvre : un État israélien dont la sécurité est garantie, aux côtés d’un vrai État palestinien viable sur les bases définies en 1967.

Cela implique de penser pour la Palestine au chemin permettant au peuple de se doter d’institutions démocratiques et donc d’élections parlementaires et présidentielle. Celles-ci ne peuvent se tenir qu’avec la fin de l’occupation et de la décolonisation et la libération des prisonniers politiques au premier rang desquels Marwan Barghouti parce qu’il est capable de fédérer toutes les factions palestiniennes. C’est ce que refuse évidemment le pouvoir israélien.

Au nom même de la paix, de la sécurité pour le peuple israélien, de la liberté pour le peuple palestinien, il est d’intérêt général d’amplifier les mobilisations populaires et d’obtenir de nouveaux actes concrets de la part du président français et des services de la diplomatie européenne. Ainsi, et ainsi seulement, pourrons-nous nous réclamer à juste titre des principes de notre République : Liberté. Égalité. Fraternité.

Bien loin des salmigondis qu’on nous sert à longueur d’antennes et d’opérations politiciennes au moment même où droite, macronistes et extrême droite communient au Sénat dans la confection d’une loi d’essence raciste. Bien loin aussi de la saturation de l’espace public, toute la semaine dernière, au moyen de propos tendant à accréditer l’idée que tout immigrant serait un délinquant ou un terroriste. Bien loin donc desdits principes de la République brandis désormais comme un chiffon percé.

Cette offensive guerrière devra aussi être resituée dans le cadre des poly-crises qui secouent le monde dont les turbulences économiques à venir ne sont pas des moindres. Le projet du pouvoir israélien et des milieux d’affaires qui le soutiennent est bien de réaliser ce que l’on appelle le « grand Israël », afin d’étendre la sphère de domination et de rentabilité de leurs grandes entreprises en surexploitant les travailleurs israéliens et palestiniens. Ajoutons qu’au large de Gaza, se trouve l’une des plus importantes réserves gazières au monde.

De leur côté, les États-Unis considèrent Israël comme une base avancée de leurs intérêts au Proche et au Moyen-Orient. Ils soutiennent ardemment le gouvernement d’extrême droite israélienne, tout en essayant de refréner certaines de ses ardeurs militaristes face au mouvement de réprobation mondiale qui se développe et à la puissance des actions, aux États-Unis mêmes, contre l’injustice et le viol du droit international.

Ainsi, les dirigeants américains ont dû affirmer qu’ils étaient contre un nouveau blocus et une réduction du territoire de Gaza. Cependant, les USA font un retour en force au Proche-Orient avec notamment l’envoi de deux groupes de combat depuis leurs porte-avions et sous-marin nucléaire. Leur aviation de combat a bombardé, jeudi 9 novembre puis le 12 novembre des forces des corps des Gardiens de la révolution islamique d’Iran en Syrie. Le centre United State Naval Institute qualifie ce déploiement de « plus grande masse de navires américains dans la région depuis des décennies ».

Ces combats géopolitiques et géo-économiques replacent la Méditerranée au cœur de considérables enjeux mondiaux.

D’abord la cause palestinienne élargit encore les fractures entre l’Occident capitaliste emmené par les États-Unis et ce que l’on appelle désormais « le Sud global », en raison du constant « deux poids-deux mesures » dans l’application ou le non-respect du droit international.

Ensuite, à la guerre en Ukraine avec ses conséquences au Levant s’ajoutent les tensions entre la Turquie et la Grèce ainsi qu’avec Chypre, les effets des guerres en Irak, en Afghanistan et en Syrie, et les tensions à la frontière israélo-libanaise. L’Iran joue, depuis belle lurette, sa partition pour reconstituer son influence impériale, comme la Turquie d’Erdogan songe à l’Empire Ottoman ou la Russie de Poutine à l’Eurasie. Des tensions nouvelles et dramatiques extensions de la guerre doivent être empêchées par l’action unie des peuples et des gouvernements en soutien à L’Onu dont c’est la mission. La paix doit être inscrite à l’ordre du jour de l’agenda de grandes mobilisations internationales.

La cause palestinienne est donc une première grande question pour la sécurité d’Israël, une condition de la stabilisation de la région qui devrait être dénucléarisée, et pour la paix mondiale. Les forces de paix, les forces démocratiques et celles qui promeuvent le droit international doivent s’unir sur cet impérieux objectif.

Tous les peuples du monde, tous les travailleurs du monde en paient déjà un lourd prix. Les Palestiniens d’abord, les Israéliens dont l’économie risque d’être exsangue dans quelques semaines, le peuple nord-américain qui paie les efforts de guerre de son gouvernement en pression sur les rémunérations et remises en cause du projet de sécurité sociale, les peuples européens qui voient transférer de considérables sommes des budgets d’éducation et de santé vers l’armement alors que l’inflation les appauvrit chaque jour un peu plus.

Les peuples et les travailleurs du monde entier n’ont strictement rien à attendre de quelque visée impériale que ce soit, dont l’objectif est de permettre l’élargissement des sphères de domination des capitalismes nationaux. Ensemble, ils doivent s’unir, non pas derrière les droites et les extrêmes droits qui en sont les gardes du corps et les mandataires mais pour obtenir la justice et la paix. 

Insistons ! Il ne s’agit pas ici d’une guerre de civilisation ni d’une guerre de religion, mais d’une guerre coloniale dont la victime est le peuple palestinien et, au-delà, notre humanité commune.

Tout être sensible, tout démocrate, tout citoyen du monde ne peut donc laisser assassiner les enfants de Gaza ni, donc, le projet national palestinien qui devra se réaliser en même temps que l’accès des Israéliens à une vie meilleure, plus sûre, dans un espace fraternel, solidaire et enfin en paix.

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11 novembre 2023 6 11 /11 /novembre /2023 06:37

 

 

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8 novembre 2023 3 08 /11 /novembre /2023 07:53
« Ici, la mort est partout » : témoignages dans l'enfer de Gaza - L'Humanité, 6 novembre 2023

Alors que l’armée israélienne bombarde depuis un mois et sans relâche la bande de Gaza, les victimes civiles se comptent par milliers. Dans les rues dévastées, au milieu des gravats, les Gazaouis vivent terrifiés. Reportage sur place, de trois journalistes palestiniens.

Bande de Gaza, correspondance particulière.

Chaque matin, lorsque l’on vit à Gaza, le réveil se fait au son des bombardements. Les enfants crient, à chaque frappe, les voisins hurlent et, sous les décombres, à proximité, des cadavres. Des survivants aussi. La puanteur des corps en décomposition, coincés sous les gravats, est insupportable.

On entend des appels à l’aide. Un scénario quotidien. Il n’existe aucun endroit sûr à Gaza. Les bombardements aveugles ne distinguent pas les jeunes des vieux, les enfants des adultes, les hommes des femmes.

Au milieu d’une rue dévastée par les missiles israéliens, une femme raconte ainsi ce moment où, après une frappe brutale, elle a cru à un sursis miraculeux lorsque l’assourdissant fracas s’est tu, et qu’elle s’est sentie physiquement intacte.

Mais ce répit s’est transformé en un spectacle d’effroi. Quand, dans un geste instinctif, elle a cherché à retirer les gravats qui recouvraient son enfant, la main qu’elle tenait dans la sienne était détachée du corps de son fils de 4 ans. 

Cette scène n’est pas une horreur isolée. C’est une réalité quotidienne. Ici, chaque habitant est conscient d’être une cible potentielle dans cette tragédie qui se répète.

Cette femme incarne les innombrables victimes, cette multitude silencieuse dont la douleur est souvent réduite à un chiffre, une statistique dans le décompte macabre de ce qu’on appelle la guerre. Mais, à Gaza, peut-on parler de guerre lorsqu’il s’agit essentiellement d’attaques contre les civils ?

Avant de perdre ses quatre enfants, Susanne « vivait dans la joie »

Susanne a 31 ans. Elle vit à Jabaliya, le plus grand des huit camps de réfugiés de la bande de Gaza, créé en 1948 et où résident 59 574 personnes. Malgré la petite taille des habitations, l’étroitesse des couloirs et des rues, elle raconte que, dans sa modeste maison de 75 mètres carrés, elle vivait dans la joie. Avec son mari, chauffeur de profession, avec Mohammed, Khaled, Amjad et Abeer, ses quatre enfants.

Depuis toujours, Susanne chérissait cette maison. Elle représentait l’espoir de retourner un jour dans celle de ses grands-parents, à Jaffa, d’où ils ont été expulsés en 1948. « Je me levais chaque matin à six heures pour réveiller mes enfants, préparer leur petit déjeuner, puis les accompagner à l’école », explique-t-elle.

Mais, depuis le début de l’agression israélienne, elle avait confiné ses petits dans une pièce pour qu’ils restent ensemble, pour les rassurer, pour qu’ils ne craignent pas les bombardements, répétés et cruels, qui touchent toutes les zones de Gaza.

Le monde de Qamar a disparu

Dans la province de Khan Younès, nous nous rendons à Khuzaa, non loin de la frontière est de la bande de Gaza. Qamar, 19 ans, y habitait avec sa famille. Étudiante en génie logiciel, la jeune femme était très enthousiaste à l’idée d’entamer une nouvelle année universitaire, lui permettant de se spécialiser en intelligence artificielle à l’université de Palestine. « Je m’étais acheté de nouveaux vêtements, de nouvelles chaussures aussi », raconte-t-elle dans un maigre sourire.

Pour l’occasion, son père lui avait offert le tout nouvel ordinateur portable dont elle avait « toujours rêvé ». Une dépense importante pour cet ouvrier du bâtiment qui a toujours eu du mal à subvenir aux besoins de ses six enfants. Mais l’aînée à l’université…

Qamar parle de Khuzaa comme d’un paradis sur terre, avec ses vastes espaces verts. Elle aimait se promener dans la campagne avec ses amies, respirer l’air pur, loin de la pollution des usines et des voitures. Elle ferme les yeux. Ce monde a disparu. Cinq jours après le début de la guerre, son père a pris la décision de quitter la maison pour trouver refuge dans la partie ouest de la province de Khan Younès.

Sans proches sur place, la famille de Qamar s’est rendue dans un établissement scolaire de l’UNRWA (l’agence de l’ONU pour les réfugiés palestiniens), l’école primaire pour garçons Ahmed Abdel Aziz, juste à côté de l’hôpital Nasser. « Jamais je n’aurais imaginé devoir cohabiter avec des milliers de personnes dans une école d’à peine 900 mètres carrés », raconte-t-elle en pleurant.

Elle se souvient des enfants qui courent partout, des hommes qui s’affairent, des femmes, tentant de ranger les quelques sacs emportés à la hâte. Et tout le monde, qui cherche de l’eau. Qamar partageait là une petite salle de 20 mètres carrés avec son père, sa mère, ses cinq jeunes frères et sœurs, ainsi qu’un autre couple et leurs deux enfants.

Devant la salle de bains commune, il fallait patienter des heures. Attendre son tour. Un soir, alors qu’ils étaient tous réunis peu de temps avant le coucher du soleil, un bruit puissant a retenti. Les bombardements étaient si proches de l’école que Qamar a vu les éclats d’obus tomber sur le bâtiment. Lorsqu’elle en parle, la peur, encore, envahit ses yeux. Elle pleure. Puis se souvient de son ordinateur portable, qu’elle n’a pas pu emporter en quittant sa maison. Elle ne sait pas si celle-ci est encore debout.

Le docteur Nahed Abou Taima manque de tout

Le docteur Nahed Abou Taima, directeur de l’hôpital médical Nasser à Khan Younès, ne sait plus où donner de la tête. Les dépouilles des morts et les blessés arrivent en nombre, sans discontinuer. Parmi eux, beaucoup de femmes, beaucoup d’enfants.

La place manque et les équipes médicales installent les patients à même le sol. Ces scènes dramatiques rappellent les précédentes guerres menées par Israël contre Gaza. « Il y a une grave pénurie de fournitures, en particulier pour les cas les plus graves. L’armée d’occupation cible les hôpitaux », souligne Nahed Abou Taima.

« Nous manquons de médicaments, pour les soins intensifs et les opérations. L’aide qui nous est parvenue ne répond pas aux besoins. Cet hôpital fonctionne avec l’énergie d’un générateur mais le carburant n’entre plus dans la bande de Gaza depuis le début de l’agression. Si nous n’avons plus de carburant, les blessés, les personnes en soins intensifs et les bébés prématurés dans les pouponnières sont condamnés à mort. »

En tout, plus d’une quinzaine d’hôpitaux ont fermé leurs portes dans la bande de Gaza, faute de carburant pour alimenter les générateurs. Sans électricité, un hôpital devient une fosse commune.

Nozha pensait « partir pour seulement quelques jours »

Des centaines de milliers de personnes ont fui le nord, comme elles le pouvaient. En voiture, en charrette tirée par des ânes.. Peu importe. « On ne pouvait plus rester. On pensait que chaque minute serait notre dernière », confie Nozha Abou Zahir, la cinquantaine passée.

Elle est arrivée de Beit Lahia, une localité à l’extrême nord de la bande de Gaza, quasiment limitrophe d’Erez, le point de passage avec Israël. Sa maison a été bombardée. Alors, avec une autre famille dont les trois enfants souffrent tous d’hypoglycémie et ont besoin de soins, elle s’est dirigée vers le camp de Khan Younès.

Elle a pris la route avec ses sept filles. Son aînée est la mère d’un enfant qui souffre de problèmes sanguins. À Gaza, les maladies sont fréquentes, notamment à cause de l’eau. Nozha Abou Zahir vit aujourd’hui dans une petite maison, d’environ 50 mètres carrés, avec cinq autres familles. « Nous pensions partir pour quelques jours. Nous sommes là depuis des semaines, sans le minimum nécessaire. Les enfants dorment à même le sol, les adultes se reposent à tour de rôle, il n’y a ni électricité ni gaz. Il n’y a pas d’eau non plus. »

Pour Asmahan, les repas se font de plus en plus rares

Asmahan Al Haddad fait partie des centaines de milliers de déplacés. Elle aussi vient de Beit Lahia. À 49 ans, le visage compressé par un foulard, elle raconte les bombardements et dénonce : « Ils ont utilisé du phosphore blanc. Ça partait en gerbes et ça retombait comme des petites pastilles incandescentes », raconte-t-elle en faisant de grands gestes. « Nous sommes partis avec la peur au ventre, les routes n’étaient pas sûres. »

En dépit du danger, avec son mari et ses sept enfants, Asmahan Al Haddad a traversé quasiment toute la bande de Gaza pour rejoindre Khan Younès. La famille a réussi à trouver une maison, détruite en partie par les bombardements mais dans laquelle elle s’est installée. « On utilise de l’eau impropre, pour boire ou pour manger. On cuisine avec ce que l’on trouve dehors pour faire du feu. C’est dur, insalubre et mes enfants ont attrapé des maladies », raconte-t-elle.

Soudain, son mari l’appelle. Malgré toutes ses tentatives, il n’a pas trouvé de nourriture, « les marchés sont fermés et les boulangeries endommagées. » Ici, les personnes âgées et les jeunes ne mangent que tous les deux ou trois jours, une seule fois.

Pour les adultes en bonne santé, les repas sont de plus en plus rares. Ils ne réclament pas une trêve humanitaire, mais un cessez-le-feu et la fin du blocus implacable instauré depuis dix-sept ans. Pour que dans le camp de Jabaliya, Mohammed, Khaled, Amjad et Abeer puissent courir sans crainte d’être abattus. Pour que Qamar puisse reprendre ses études et réaliser ses rêves. Pour que Nozha Abou Zahir et Asmahan Al Haddad n’aient pas peur d’apprendre la mort de leurs proches. Pour que Susanne n’ait jamais à revivre son cauchemar.

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7 novembre 2023 2 07 /11 /novembre /2023 06:49
Guerre Israël-Hamas : « C’est une décision stratégique du pouvoir israélien de laisser Gaza au Hamas », assure Charles Enderlin - L'Humanité, 2 novembre 2023
Guerre Israël-Hamas : « C’est une décision stratégique du pouvoir israélien de laisser Gaza au Hamas », assure Charles Enderlin

L’ancien journaliste, spécialiste du Proche Orient, Charles Enderlin, retrace l’histoire de l’émergence du Hamas à Gaza et du rôle du gouvernement de Benyamin Netanyahou. « Ce qui est arrivé le 7 octobre, c’est l’échec d’une stratégie », estime-t-il.

Vous avez écrit sur les millénaristes et l’émergence du Hamas favorisée par les gouvernements israéliens. Comment analysez-vous les attaques du 7 octobre ?

Tout est lié. Ce qui est arrivé le 7 octobre, c’est l’échec d’une stratégie, d’une vision, d’une politique et d’une idéologie. Quand une nation subit une surprise stratégique de cette ampleur, cela signifie que tous les échelons non seulement du pouvoir mais aussi de la société sont concernés. Selon moi, c’est la conséquence de la stratégie menée par Israël envers les Palestiniens depuis 2005 et le retrait unilatéral des colonies de Gaza décidée par Ariel Sharon.

La communauté internationale applaudissait, croyant qu’il s’agissait d’un pas vers la paix. Ce n’était pas le cas. J’étais alors dans le bureau du négociateur palestinien Saeb Erekat qui suppliait au téléphone le bureau du premier ministre israélien, Ehoud Olmert – Sharon était déjà dans le coma –, de laisser Mahmoud Abbas déployer à Gaza un bataillon de policiers palestiniens formés en Jordanie par les Américains et les Jordaniens, avec l’accord des services israéliens.

Il s’agissait de renforcer la police et les services de sécurité de l’Autorité autonome. La réponse a été non. Le retrait s’est fait en laissant la police d’Abbas en position d’infériorité face au Hamas. Ensuite, sont venues les élections législatives palestiniennes : le renseignement militaire, le Shin Bet et même la CIA disaient aux Israéliens : « Il ne faut pas laisser le Hamas présenter des candidats aux élections, car ils risquent de les remporter. Ces élections s’inscrivent dans le cadre du processus d’Oslo, donc on ne peut pas laisser le Hamas qui veut le détruire y entrer. » Mais le Hamas a présenté des candidats et a remporté les élections comme prévu.

Ensuite, en 2007, le Hamas lance un coup de force à Gaza, passe à l’assaut des institutions de l’autorité autonome, tue 120 combattants du Fatah. Les généraux israéliens vont voir le premier ministre et lui disent : « On veut envoyer trois hélicoptères de combat pour soutenir le Fatah, l’Autorité palestinienne. » Là aussi, la réponse a été négative. La direction israélienne avait décidé de laisser le Hamas contrôler Gaza. À ce moment-là, en Cisjordanie, la police palestinienne et l’armée israélienne avaient repris leur coordination.

Est-ce à ce moment-là que débute ce « pas de deux » entre le Hamas et le gouvernement israélien ?

Ce n’est pas un pas de deux, c’est la décision stratégique du pouvoir israélien de laisser Gaza au Hamas pour bloquer toute possibilité d’accord avec les Palestiniens. Séparer Gaza de la Cisjordanie. Sur le fond, et contrairement à ce qui s’est raconté, le Hamas et le Fatah sont ennemis : ils se sont affrontés à Gaza lorsque le Cheikh Yassine, le fondateur de l’Union islamique à Gaza, a développé, dès la fin des années soixante, son mouvement, construisant de nouvelles mosquées, attaquant les éléments de gauche, tuant des professeurs considérés comme communistes, incendiant les cafés où l’on buvait encore de la bière…

À quelle époque ont eu lieu ces événements ?

La Moujamaa Al-Islami – l’Union islamique – a vu le jour en 70, dans le camp de réfugiés Chati et s’est développée très vite avec la bénédiction des autorités militaires. En septembre 1973, accompagné par le général gouverneur de Gaza, le Cheikh Yassine a inauguré le bâtiment de l’Union islamique. Il s’agissait en fait du siège des Frères musulmans à Gaza. La première intifada débute en décembre 1987 : on voit partout des drapeaux palestiniens, des portraits d’Arafat, et les religieux de l’Union islamique se tiennent d’abord tranquilles pour la plus grande satisfaction des militaires qui, dans un rapport, estiment qu’« ils sont formidables »…

Huit mois plus tard, ils découvrent que la Moujamaa Al-Islami s’est transformée en Hamas, le mouvement de résistance islamique, opposé à l’existence d’Israël. Sa branche armée, le commando Ezzedine Al-Qassam, attaque les forces israéliennes. Mais revenons en 2009, Netanyahou revient au pouvoir, et décide de poursuivre la politique menée par ses prédécesseurs, à savoir laisser Gaza au Hamas. Mais il faut lui donner les moyens de gouverner… et donc assurer son financement.

Vous vous êtes exprimé très récemment à ce sujet, une enquête a également été publiée par le quotidien israélien Haaretz… Comment se déroulait ce financement ?

Cela fait des années que je l’explique. Un jet privé venant du Qatar arrivait à l’aéroport Ben Gourion, un émissaire descendait avec des valises pleines de dollars, puis un convoi de la police israélienne l’accompagnait depuis le tarmac jusqu’à l’entrée de Gaza. Les valises étaient remises au Hamas, puis l’émissaire revenait et repartait dans l’avion. Je ne sais pas si ce sont des cadeaux du Qatar au Hamas ou s’ils étaient faits pour le compte d’Israël. Sur un temps long, cela représente des milliards.

S’il est difficile de déterminer l’origine de ce financement, est-il certain qu’il bénéficiait de l’assentiment d’Israël ?

Complètement. Pour autoriser l’arrivée d’un jet privé avec des dollars en liquide pour le Hamas, il faut l’autorisation du premier ministre de l’État d’Israël, de Netanyahou qui en 2019 expliquait aux députés du Likoud : « Qui veut empêcher la création d’un État palestinien, doit soutenir le renforcement du Hamas et le transfert de fonds au Hamas ».

Pendant les derniers mois, avez-vous décelé des signes annonciateurs des massacres du 7 octobre du côté du Hamas ? Quid du gouvernement de Benyamin Netanyahou ?

Dès la formation du gouvernement Netanyahou fin décembre 2022, j’ai eu le sentiment, que cette coalition ultranationaliste, orthodoxe et messianique, menait à une catastrophe. C’est le thème du Libelle que je publie au Seuil, Israël, l’agonie d’une démocratie. J’avais le sentiment que tôt ou tard, l’affaire palestinienne allait exploser, je croyais que cela arrivera en Cisjordanie. Il faut dire que le programme gouvernemental proclame d’emblée : « Le peuple juif a un droit exclusif et inaliénable sur la terre d’Israël. Le gouvernement développera l’implantation partout, y compris en Judée-Samarie (la Cisjordanie). »

Dès le 4 janvier, le ministre de la Justice, Yariv Levin, a présenté le projet de refonte judiciaire destiné à émasculer le pouvoir de la Cour suprême, le seul contre-pouvoir. Surtout Benyamin Netanyahou, pour réaliser le changement de régime, a fait entrer dans sa coalition les colons les plus radicaux, les plus racistes. Ils sont sur la même ligne idéologique que lui, persuadés que le peuple palestinien est une création factice du monde arabe pour détruire Israël. Il l’a écrit dans son livre programme, publié en 1993, Une place au sein des nations. C’est l’idéologie de son père, l’historien Benzion.

Pour le comprendre, il faut remonter aux années vingt et 30, au bouillonnement d’idées au sein de la communauté juive de Palestine. L’affrontement entre la vision d’un sionisme travailliste de David Ben Gourion et le sionisme nationaliste de Vladimir Jabotinsky, opposé à l’idée d’un judaïsme universaliste et au socialisme. Au sein de son mouvement, Jabotinsky faisait face à une opposition encore plus à droite. Néo fascistes, ils faisaient l’apologie de Mussolini. Le père de Netanyahou était très proche de ces groupes-là. Historien, il avait une vision profondément pessimiste de l’Histoire : « Le peuple juif a toujours été menacé de génocide : par les Égyptiens, les Persans, etc. Et aujourd’hui, ce sont les Arabes. »

Élu de justesse en 1996, Benyamin Netanyahou, qui, en 1995 et 1994, présidait de gigantesques manifestations où on scandait « à mort Arafat » et « à mort Rabin », a été obligé, sous la pression du président américain Bill Clinton, de serrer la main d’Arafat et d’accepter un retrait partiel de Hébron. La droite et les sionistes religieux ne lui ont pas pardonné cette concession. Il a perdu les élections en 1999.

Dix ans plus tard, il est de retour au pouvoir dans un environnement entièrement différent : Arafat n’est plus là, l’Autorité palestinienne a été laminée par la seconde intifada. Certes il y a Obama qui demande l’arrêt de la colonisation, mais le sionisme religieux, les colons sont passés à l’offensive. Après le retrait de Gaza en 2005, ils ont redéfini leurs objectifs : « Notre ennemi, c’est l’Israël séculier, les tribunaux, les médias. » Avec leurs valeurs messianiques, ils se lancent et infiltrent tous les instruments du pouvoir, trouvent de l’argent, créent des think tanks, par exemple Kohelet, qui va devenir une organisation centrale dans la galaxie sioniste religieuse. Ils aideront Netanyahou à faire voter, en 2018, la loi qui qualifie Israël d’État-nation du peuple juif et qui discrimine les non-juifs.

C’est la montée en puissance du messianisme que vous avez décrit dans votre ouvrage ?

Tout à fait, avec une première édition en 2013, « L’irrésistible ascension du messianisme juif ». À l’époque on me disait que ce n’était pas important, qu’ils étaient minoritaires ! Le livre est réédité, et mis à jour. Il vient de paraître, cette fois avec le sous-titre « Au nom du temple : l’arrivée au pouvoir des messianiques juifs ».

Précisément, qu’est-ce qui a changé depuis dix ans ?

Leur infiltration dans toutes les strates du pouvoir. Netanyahou les y a fait entrer comme ses alliés. Le gouvernement actuel compte des gens comme Bezalel Smotrich, Avi Maoz qui est un illuminé intégriste homophobe et raciste, qui ne veut pas de femmes en politique ni à l’armée, Orit Strook qui habite une colonie à l’intérieur d’Hébron. Ou encore Itamar Ben Gvir, le kahaniste ouvertement raciste

Je raconte dans mon livre comment Netanyahou durant la campagne électorale de 2022, convoque chez lui, à Césarée, Ben Gvir, et lui explique au bord de la piscine : « Si tu veux entrer au gouvernement et devenir ministre de la Sécurité intérieure, tu vas enlever la photo de Baruch Goldstein (le terroriste juif qui assassina 29 Palestiniens à Hébron en 1994, N.D.L.R.) de ton salon. Et tu dis à tes supporters d’arrêter de crier morts aux Arabes, qu’ils crient plutôt morts aux terroristes. »

Et Ben Gvir, considéré comme un dangereux activiste radical, devient ministre de la Sécurité intérieure, qu’il a renommée Sécurité nationale. Une de ses premières décisions a été de réduire le temps des douches chaudes pour les détenus palestiniens : on croit rêver. Tout ce beau monde, avec leurs entourages de personnalités plus extrémistes les unes que les autres, est entré au gouvernement grâce à Netanyahou.

À cela il faut ajouter les ultraorthodoxes. Ils veulent garantir l’autonomie de leur communauté : pas d’armée, pas de travail, mais un financement de l’État. Dans les mois qui ont suivi la formation de ce gouvernement, on a assisté à un véritable pillage du budget de l’État. Des milliards sont allés dans les écoles talmudiques. D’un coup, Israël, pays high-tech, se retrouve avec des histoires moyenâgeuses…

Ce gouvernement a été très contesté par ce que l’on appelle le « mouvement pro-démocratie » ? Pensez-vous que celui-ci puisse avoir un avenir après les attaques du Hamas et la guerre actuelle ?

Je n’ai jamais vu les Israéliens manifester de la sorte contre le gouvernement. Le mouvement est gigantesque et bien vivant. Des milliers de volontaires remplacent le pouvoir là où il est absent. Car les choses se passent dans un désordre inimaginable dans ce pays censé être une grande start-up nation. Qu’il s’agisse d’évacuations de populations des zones de front, ou de la logistique et du transport des centaines de milliers de réservistes.

À Gaza, la situation est catastrophique, croyez-vous qu’il existe un risque de « seconde Nakba » ?

Non, il n’y aura pas d’expulsions de Palestiniens de Gaza. D’abord parce que l’Égypte n’en veut pas, et n’en a jamais voulu. Même avant 1967, lorsque Gaza était tenue par l’armée égyptienne, les Palestiniens n’avaient pas le droit d’aller en Égypte, ni même dans le Sinaï. Ce qui se passe à Gaza aujourd’hui est une tragédie épouvantable pour les Palestiniens, mais pas une nouvelle Nakba.

Dans ce cas, quel est l’objectif de Benyamin Netanyahou et de son gouvernement ?

L’objectif est simple : Israël vient de subir la plus grande défaite militaire depuis sa création et ne peut pas accepter l’existence à sa frontière d’une organisation capable de commettre de tels massacres. La mission confiée à l’armée est donc la destruction des capacités militaires du Hamas. Se pose la question des 222 otages israéliens, mais aussi des étrangers, auxquels s’ajoutent entre 100 et 200 disparus. Cela risque d’être bien pire si une intervention terrestre a lieu… Comment la société israélienne réagirait ? Il y aura une intervention terrestre, c’est sûr. La colère, la peur, la rage des Israéliens est immense. Les pertes palestiniennes sont déjà terribles. Cette guerre déclenchée par les massacres commis par le Hamas mène à des bains de sang comme la région n’en a pas connu depuis longtemps.

Venons-en à la Cisjordanie. Alors que tous les regards sont braqués sur Gaza, une centaine de Palestiniens y ont été tués depuis le 7 octobre. Quel regard portez-vous sur la situation ?

Les colons, et les plus radicaux d’entre eux, profitent de l’absence de l’armée qui maintenait un semblant d’ordre, pour attaquer des agriculteurs palestiniens, détruire des maisons. Il faut suivre la situation de très près, et ce serait peut-être le moment pour la communauté internationale et les Européens de s’exprimer et de condamner ces attaques de colons. Leur silence est scandaleux.

 

Pensez-vous qu’à un moment la société israélienne va demander des comptes à Netanyahou ?

Je l’espère ! Et je le crois, oui. Je vois autour de moi des gens qui étaient favorables à « Bibi » il y a un an et qui sont violemment contre aujourd’hui, dans un électorat plutôt séfarade, de classe moyenne. Les Israéliens lui reprochent la catastrophe, la gestion qui y a conduit, l’argent qui est allé là où il ne devait pas, dans les colonies, chez les orthodoxes, le non-développement de secteurs entiers du territoire, la corruption, l’impréparation militaire, l’échec de la défense passive… On a installé une barrière pour un milliard de dollars et elle a tenu dix minutes. Selon les sondages, si des élections avaient lieu, ce gouvernement serait totalement ratiboisé. Mais « Bibi » fait tout pour rester au pouvoir, et prépare l’après-guerre par toutes sortes de combines.

 

 
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7 novembre 2023 2 07 /11 /novembre /2023 06:42
Israël-Palestine : « Une occupation pacifique et démocratique, ça n’existe pas », pour l'historien Henry Laurens

Professeur au Collège de France, Henry Laurens explique pourquoi l’attaque perpétrée par le Hamas le 7 octobre s’inscrit dans l’histoire longue du conflit israélo-palestinien, tout en marquant une rupture sans précédent.

Henry Laurens, interviewé par Scarlett Bain, L'Humanité - 6 novembre 2023

Historien, auteur de cinq volumes de référence sur la Question de Palestine1, Henry Laurens livre son analyse sur le conflit en cours. Depuis 2003, il occupe au Collège de France la chaire d’histoire contemporaine du monde arabe.

Bien loin de la lecture clivante du conflit qui inonde en ce moment les débats dans les grands médias et sur les réseaux sociaux, le spécialiste du Proche-Orient prend la distance nécessaire pour porter une analyse d’une limpidité déconcertante sur les conséquences de cet événement pour Israël et les positions des pays occidentaux. L’historien depuis longtemps se dit pessimiste sur l’issue du conflit israélo-palestinien ; il explique pourquoi.

Comment analysez-vous les événements qui se déroulent au Proche-Orient depuis le 7 octobre ?

Les hommes du Hamas qui ont attaqué les villes limitrophes de la bande de Gaza et les kibboutz sont dans leur grande majorité les descendants des Palestiniens qui ont été chassés de ces zones en 1948-1949. Ce moment est connu dans l’histoire sous le nom de la Nakba ( « catastrophe » en français – N.D.L.R.). Quand l’armée israélienne a conquis cette partie de la Palestine, elle a ordonné des expulsions massives.

D’autre part, le conflit en cours renvoie à l’échec, et non pas à la victoire, d’Israël lors de la guerre des Six-Jours (1967). Pour Israël, c’était censé être la dernière des guerres, celle qui lui donnerait la sécurité et en même temps les acquisitions de territoire. Dans les faits 1967 a conditionné l’occupation et par là une violence permanente. Il n’y a pas d’occupation pacifique et démocratique, cela n’existe pas.

Assistons-nous à une rupture dans l’histoire d’Israël ?

L’attaque du 7 octobre marque en un certain sens l’échec du projet sioniste. La garantie de sécurité des juifs vole en éclats. Le discours était de dire : si nous avions eu durant la Seconde Guerre mondiale l’armée d’aujourd’hui, la Shoah ne se serait pas produite. Or, la dimension du choc vient justement rappeler l’extermination des juifs pour les intéressés. L’attaque meurtrière du Hamas montre qu’Israël n’est pas en sécurité et que son insécurité se répercute en Occident sur l’ensemble des communautés de la diaspora.

D’autre part, depuis les années 1960, Israël était perçu comme un atout pour l’Occident dans le Moyen-Orient. Cette idée s’écroule aujourd’hui. Les pays occidentaux sont obligés de lui apporter une aide économique et militaire. Il devient une charge. Son conflit avec la Palestine menace les intérêts occidentaux dans l’espace du Moyen-Orient. Donc, là aussi, il y a un échec de la politique israélienne sur plusieurs décennies.

À quel moment apparaît finalement le Hamas dans l’histoire palestinienne ?

Israël à la fin des années 1960 et au début des années 1970 a brutalement éliminé la résistance menée dans la bande de Gaza par les marxistes-léninistes du Front populaire de libération de la Palestine (FPLP). Ensuite pour contrer le Fatah, il a encouragé le développement des activités des Frères musulmans.

À leur grande surprise, les islamistes se sont retournés contre eux et le Hamas a été créé à partir des Frères musulmans au moment de la première intifada (1987-1993). En 1988, celui-ci se lance dans l’action politique avec le projet de restaurer la Palestine dans sa totalité.

Avez-vous recours au qualificatif terroriste pour parler du Hamas ?

Avec des juristes, j’ai codirigé l’ouvrage collectif Terrorismes. Histoire et droit (CNRS, 2010), sur l’emploi de ce terme en général. La question est de savoir s’il s’agit d’une méthode ou d’une essence. Souvent les terroristes justifient leurs actes comme un dernier recours.

« tout le monde se revendique antiterroriste : Bachar Al Assad, Abdel Fattah Al Sissi, Benyamin Netanyahou. Et même Gérald Darmanin, cela en dit long sur la question. »

Henry Laurens

L’usage du terme permet de mettre hors la loi ceux qui ont commis ces actes, mais aussi les causes qu’ils défendent. L’antiterrorisme généralement tue beaucoup plus que le terrorisme. La différence dans l’usage de la violence entre un État et un mouvement terroriste réside dans le fait suivant : le mouvement terroriste tue au maximum de sa puissance de feu. Tandis qu’un État tue plus qu’un mouvement terroriste mais pas au maximum de sa puissance de feu.

Ainsi, dans la mesure où l’État ne fait pas autant de morts qu’il en serait capable, il s’estime moral. Par ailleurs maintenant tout le monde se revendique antiterroriste : Bachar Al Assad est antiterroriste, Abdel Fattah Al Sissi est antiterroriste, Benyamin Netanyahou est antiterroriste. Et même Gérald Darmanin, cela en dit long sur la question.

Quels sont les objectifs de l’armée israélienne et comment qualifierez-vous sa stratégie militaire ?

Les objectifs sont officiellement revendiqués. Ils doivent répondre selon le gouvernement israélien au tragique choc traumatique du 7 octobre. Il y a d’une part la volonté de se venger et d’autre part la volonté d’éradiquer le Hamas. Pour les atteindre, l’armée israélienne perpétue l’héritage de Golda Meir.

Dès 1947, cette figure sioniste du Parti travailliste posait ce principe : pour dissuader les Arabes d’attaquer, s’ils nous font du mal, il faut leur faire beaucoup plus de mal. Le concept appliqué, c’est donc celui de la dissuasion fondée sur la disproportion.

Un exemple : lors de l’attentat de Munich (1972), alors que Golda Meir était première ministre, 11 Israéliens sont tués ; en réaction elle ordonne des bombardements au Liban qui tuent plus de 500 Palestiniens. Cette stratégie de la dissuasion par la disproportion, couplée à l’objectif d’éradiquer le Hamas, peut mener à la destruction totale de Gaza.

Quel regard portez-vous sur ces débats qui relèvent du pire cynisme sur la question du prix des vies israéliennes et palestiniennes ?

Elle relève des jeux mémoriels de résonance, qui prennent toujours des dimensions terrifiantes. Cette situation est connue depuis la seconde intifada. L’image de l’enfant du ghetto de Varsovie a été annulée par celle de l’enfant arabe tué en 2001.

Donc, si vous prenez le discours d’aujourd’hui, il y a d’un côté ceux qui accusent Israël d’avoir déjà tué plusieurs milliers d’enfants et de l’autre ceux qui les taxent d’antisémitisme. Au-delà de ce jeu de renvoi, il y a l’effacement du paradigme du combattant au profit du paradigme de la victime.

De fait, nous assistons aujourd’hui à une guerre de propagande qui se passe notamment sur les réseaux sociaux. Des cadavres d’enfants israéliens et palestiniens sont en permanence exposés. Ce changement de paradigme amène au concept terrible de la concurrence des victimes entre différents groupes humains qui voudraient avoir la primauté du discours victimaire.

Comment expliquer que la question palestinienne était en sourdine dans les pays occidentaux ces dernières décennies ?

Ils redécouvrent brusquement qu’il y a un problème parce qu’ils l’avaient mis sous le tapis par impuissance. Ils se contentaient parfois de rappeler la solution à deux États. Henri Queuille, qui était président du Conseil sous la IVe République, avait cette formule qui résume la situation : « Il n’est pas de problème qu’une absence de solution ne finisse par résoudre. »

« Emmanuel Macron comme Joe Biden clament qu’il faut rouvrir les négociations. Mais, dans le même temps, ils n’utilisent pas deux mots-clés : occupation et colonisation »

Henry Laurens

Alors aujourd’hui Emmanuel Macron, Joe Biden et un certain nombre d’autres dirigeants clament qu’il faut rouvrir les négociations. Mais, dans le même temps, ils n’utilisent pas deux mots-clés : occupation et colonisation. Or, tant qu’ils n’utilisent pas ces termes, nous pouvons très largement douter, non pas de leur sincérité, ils savent que c’est nécessaire, mais de leur efficacité. Elle sera inopérante s’ils n’abordent pas ces deux questions fondamentales.

Pourquoi ne mentionnent-ils jamais ces questions d’occupation et de colonisation ?

D’une part, parce qu’ils savent que c’est là le problème essentiel et que toutes les négociations ont échoué sur ces points. D’autre part, la résolution du conflit ne pourrait éventuellement avoir lieu qu’en exerçant de très fortes pressions sur Israël. Ce qui n’est pas de l’ordre du pensable.

Ensuite, ces occultations relèvent surtout du fait que la question israélienne est une question très largement de politique intérieure dans le monde occidental. Aux États-Unis, il y a une identification avec Israël. Les Palestiniens sont en quelque sorte l’équivalent des Peaux-Rouges ou des Mexicains. Et puis, il y a le côté biblique. Cette culture est très puissante, en particulier dans la « Bible Belt », c’est-à-dire dans le sud des États-Unis. Pour ces Américains, il n’y a pas d’Arabes dans la Bible, même si c’est faux.

Qu’en est-il de la position des autorités françaises ?

En France, la question israélienne est aussi une question de politique intérieure. Il y a l’héritage de la Shoah et le clivage qui se dresse entre sa mémoire et la colonisation. La gauche française est ainsi dans le clivage de 1956. Avec un Parti socialiste qui s’est inscrit dans la lignée SFIO de Guy Mollet. Et une gauche, du Parti communiste à la France insoumise, qui s’inscrit dans la lignée historique des partisans de l’indépendance de l’Algérie.

À droite, l’héritage gaulliste favorable aux Palestiniens a été abandonné. Les représentants ne sont plus dans la lignée de Charles de Gaulle, Georges Pompidou ou encore de Jacques Chirac. Pompidou par exemple affirmait sans détour : Israël doit abandonner les territoires occupés parce que maintenir l’occupation le conduirait au suicide.

D’autre part, le fait que ce soit une question de politique intérieure basée sur une histoire traumatique a des conséquences jusqu’au sommet de l’État. Emmanuel Macron condamne ainsi les bombardements russes sur les villes ukrainiennes comme des crimes de guerre mais ne le fait pas aujourd’hui pour ceux israéliens sur Gaza.

Selon vous, est-ce encore possible de critiquer la politique et le gouvernement de Netanyahou sans être taxé d’antisémitisme ?

Aujourd’hui, il y a une confusion entretenue autour de l’antisémitisme. La dernière mode, c’est de le définir comme la haine d’Israël. Alors, soit derrière Israël c’est le peuple juif qui est désigné, et dans ce cas il n’y a pas de doute sur la nature antisémite du propos. Soit il s’agit de critiquer l’État d’Israël et donc le mouvement sioniste.

Du point de vue du droit, il est tout à fait légal d’être hostile à une force politique. Au même titre que certains ont le droit d’être anticommunistes ou anticapitalistes. Mais, au-delà de l’Occident, il faut avoir à l’esprit que, pour ceux qui subissent l’occupation et la colonisation, cette situation ne provoque pas un amour effréné.

Si les Palestiniens avaient été colonisés par des Esquimaux, ils seraient anti-Esquimaux. La réalité pour eux est la suivante : il y a des gens venus de l’extérieur, qui les colonisent et qui les refoulent. Ils ne sont pas spontanément antisémites, mais ils sont contre ceux qui les mettent dans cette situation, quelles que soient leurs origines.

Vous revendiquez depuis longtemps une vision très pessimiste par rapport à la résolution du conflit…

Oui, depuis très longtemps je ne crois plus à la solution des deux États. Pourquoi ? Parce que c’est un jeu à somme nulle. Le progrès de l’un se fait forcément au détriment de l’autre. Celui qui possède plus n’a aucune raison de céder.

Alors, pour compenser, on a entretenu une illusion économique : payer les Palestiniens pour qu’ils se taisent, et qu’ils acceptent leur perte. Mais apparemment ils n’ont pas accepté et continuent de perdre du territoire.

Or, comme la colonisation s’accroît, Israël perd aussi la possibilité de nouer un accord de paix. Il est condamné à rester en permanence une puissance occupante. Le général de Gaulle le rappelait : l’occupation provoque de la résistance que d’autres appellent terrorisme.

  1. La Question de Palestine, d’Henry Laurens, cinq tomes, Fayard.

 

 

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5 novembre 2023 7 05 /11 /novembre /2023 18:38
300 personnes à la manifestation du samedi 4 novembre pour un cessez-le-feu à Gaza à Morlaix (Photos de Jean-Luc Le Calvez)
300 personnes à la manifestation du samedi 4 novembre pour un cessez-le-feu à Gaza à Morlaix (Photos de Jean-Luc Le Calvez)
300 personnes à la manifestation du samedi 4 novembre pour un cessez-le-feu à Gaza à Morlaix (Photos de Jean-Luc Le Calvez)
300 personnes à la manifestation du samedi 4 novembre pour un cessez-le-feu à Gaza à Morlaix (Photos de Jean-Luc Le Calvez)
300 personnes à la manifestation du samedi 4 novembre pour un cessez-le-feu à Gaza à Morlaix (Photos de Jean-Luc Le Calvez)
300 personnes à la manifestation du samedi 4 novembre pour un cessez-le-feu à Gaza à Morlaix (Photos de Jean-Luc Le Calvez)
300 personnes à la manifestation du samedi 4 novembre pour un cessez-le-feu à Gaza à Morlaix (Photos de Jean-Luc Le Calvez)
300 personnes à la manifestation du samedi 4 novembre pour un cessez-le-feu à Gaza à Morlaix (Photos de Jean-Luc Le Calvez)
300 personnes à la manifestation du samedi 4 novembre pour un cessez-le-feu à Gaza à Morlaix (Photos de Jean-Luc Le Calvez)
300 personnes à la manifestation du samedi 4 novembre pour un cessez-le-feu à Gaza à Morlaix (Photos de Jean-Luc Le Calvez)
300 personnes à la manifestation du samedi 4 novembre pour un cessez-le-feu à Gaza à Morlaix (Photos de Jean-Luc Le Calvez)
300 personnes à la manifestation du samedi 4 novembre pour un cessez-le-feu à Gaza à Morlaix (Photos de Jean-Luc Le Calvez)
300 personnes à la manifestation du samedi 4 novembre pour un cessez-le-feu à Gaza à Morlaix (Photos de Jean-Luc Le Calvez)
300 personnes à la manifestation du samedi 4 novembre pour un cessez-le-feu à Gaza à Morlaix (Photos de Jean-Luc Le Calvez)

Manif pour un cessez-le-feu immédiat à Gaza et la fin des massacres. Nos camarades du PCF Morlaix étaient présents dans la manifestation le samedi 4 novembre qui a réuni 300 personnes. Photos de Jean-Luc Le Calvez.

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5 novembre 2023 7 05 /11 /novembre /2023 17:42
Arrêt immédiat des bombardements et des massacres à Gaza - Pour une paix juste et durable au Proche-Orient. Nouvelle manifestation à Brest le mercredi 8 novembre 2023 à 18h
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27 octobre 2023 5 27 /10 /octobre /2023 08:01
Manifestations pour un cessez-le-feu à Gaza, une paix juste et durable entre Palestiniens et Israéliens à Quimper et à Brest ce samedi 28 octobre à 14h30

Pour un cessez-le-feu immédiat, et une paix juste et durable en Israël et Palestine.

 Rassemblons-nous très nombreux le samedi 28 octobre à 14h30

 place Saint-Corentin à Quimper

Ce texte commun sera lu au départ place Saint-Corentin au nom des 17 organisations appelant à la manifestation :

AFPS, ACAT Quimper-Cornouaille, ARAC, ATTAC, CNT 29, Comité de jumelage Douarnenez-Rashidiyé, Ensemble !, FSU, Jeunesses communistes 29, LDH, LFI, Mouvement de la Paix, NPA, PCF, PG, Solidaires, Union locale CGT de Quimper

Manifestations pour un cessez-le-feu à Gaza, une paix juste et durable entre Palestiniens et Israéliens à Quimper et à Brest ce samedi 28 octobre à 14h30

Après l’interdiction de la manifestation prévue le 21 octobre, nous avons eu confirmation que cette manifestation du 28 octobre à BREST, place de la Liberté à 14h30, est autorisée.

COMMUNIQUE

Des événements dramatiques se déroulent au Proche-Orient, Israël et Palestine, depuis le 7 octobre. Déjà des milliers de morts et blessés, notamment dans la bande de Gaza soumise à d’intenses bombardements israéliens depuis 20 jours 1. Les civils paient un prix très lourd.

Attachés au droit international, nous condamnons tous les actes visant les populations civiles et nous demandons un cessez-le-feu immédiat.

En France, comme à Brest, des manifestations de soutien au peuple palestinien ont été interdites par le ministre de l’Intérieur. Atteinte évidente à la liberté d’expression et de manifester, pourtant inscrites dans le droit français.

POUR UNE PAIX JUSTE AU PROCHE-ORIENT

POUR L’ARRET IMMEDIAT DES BOMBARDEMENTS ET DES MASSACRES

POUR LE RESPECT DU DROIT INTERNATIONAL ET DU DROIT HUMANITAIRE

POUR LA LIBERTÉ D’EXPRESSION ET DE MANIFESTATION

Les signataires appellent à un rassemblement suivi d’une manifestation

à Brest samedi 28 octobre à 14 h 30, place de la Liberté

Association France Palestine Solidarité, CGT Brest, France insoumise, Fédération syndicale unitaire, Gauche éco-socialiste, Ligue des Droits de l’Homme, Mouvement de la Paix, Mouvement des Jeunes Communistes français, Mouvement contre le Racisme et pour l’Amitié entre les Peuples, Nouveau Parti anticapitaliste, Parti communiste français, Solidaires 29, Union communiste libertaire, Union démocratique bretonne, Union pirate, Université européenne de la Paix

 

1 A ce jour 1 400 morts et environ 5 600 blessés israéliens suite à l’attaque du Hamas le 7 octobre ;

au moins 7000 morts palestiniens et plus de 3000 enfants tués et plus de 20 000 blessés (sources : RFI et le Monde)

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26 octobre 2023 4 26 /10 /octobre /2023 16:35
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26 octobre 2023 4 26 /10 /octobre /2023 04:56
Rassemblement pour Gaza et le peuple palestinien sous les bombes à Morlaix ce 25 octobre - Lecture de la lettre à Macron de l'écrivaine libanaise Dominique Eddé
Rassemblement pour Gaza et le peuple palestinien sous les bombes à Morlaix ce 25 octobre - Lecture de la lettre à Macron de l'écrivaine libanaise Dominique Eddé
Rassemblement pour Gaza et le peuple palestinien sous les bombes à Morlaix ce 25 octobre - Lecture de la lettre à Macron de l'écrivaine libanaise Dominique Eddé
Rassemblement pour Gaza et le peuple palestinien sous les bombes à Morlaix ce 25 octobre - Lecture de la lettre à Macron de l'écrivaine libanaise Dominique Eddé
Beaucoup de monde et d'émotion au rassemblement pour un cessez-le-feu immédiat à Gaza devant le kiosque à Morlaix. Des prises de parole fortes et une commune détermination à peser sur notre gouvernement et notre président pour qu'il pèse pour l'arrêt des massacres et l'affirmation d'une paix entre Israéliens et Palestiniens fondée sur la justice.
 
François Rippe, président de l'AFPS pays de Morlaix, a notamment lu cette tribune puissante de Dominique Eddé, écrivaine libanaise, parue dans "L'Humanité", tribune adressée au président Macron:
 
" Monsieur le Président,
C'est d'un lieu ruiné, abusé, manipulé de toutes parts, que je vous adresse cette lettre. Il se pourrait qu’à l’heure actuelle, notre expérience de l'impuissance et de la défaite ne soit pas inutile à ceux qui, comme vous, affrontent des équations explosives et les limites de leur toute puissance.
Je vous écris parce que la France est membre du Conseil de sécurité de l'ONU et que la sécurité du monde est en danger. Je vous écris au nom de la paix.
L’horreur qu’endurent en ce moment les Gazaouis, avec l’aval d’une grande partie du monde, est une abomination. Elle résume la défaite sans nom de notre histoire moderne. La vôtre et la nôtre. Le Liban, l’Irak, la Syrie sont sous terre. La Palestine est déchirée, trouée, déchiquetée selon un plan parfaitement clair : son annexion. Il suffit pour s’en convaincre de regarder les cartes.
Le massacre par le Hamas de centaines de civils israéliens, le 7 octobre dernier, n’est pas un acte de guerre. C'est une ignominie. Il n'est pas de mots pour en dire l'étendue. Si les arabes ou les musulmans tardent, pour nombre d’entre eux, à en dénoncer la barbarie, c’est que leur histoire récente est jonchée de carnages, toutes confessions confondues, et que leur trop plein d’humiliation et d’impotence a fini par épuiser leur réserve d’indignation ; par les enfermer dans le ressentiment. Leur mémoire est hantée par les massacres, longtemps ignorés, commis par des Israéliens sur des civils palestiniens pour s’emparer de leurs terres. Je pense à Deir Yassin en 1948, à Kfar Qassem en 1956. Ils ont par ailleurs la conviction – je la partage – que l’implantation d’Israël dans la région et la brutalité des moyens employés pour assurer sa domination et sa sécurité ont très largement contribué au démembrement, à l’effondrement général. Le colonialisme, la politique de répression violente et le régime d’apartheid de ce pays sont des faits indéniables. S’entêter dans le déni, c’est entretenir le feu dans les cerveaux des uns et le leurre dans les cerveaux des autres. Nous savons tous par ailleurs que l’islamisme incendiaire s’est largement nourri de cette plaie ouverte qui ne s’appelle pas pour rien « la Terre sainte ». Je vous rappelle au passage que le Hezbollah est né au Liban au lendemain de l’occupation israélienne, en 1982, et que les désastreuses guerres du Golfe ont donné un coup d’accélérateur fatal au fanatisme religieux dans la région.
Qu’une bonne partie des Israéliens reste traumatisée par l’abomination de la Shoah et qu’il faille en tenir compte, cela va de soi. Que vous soyez occupé à prévenir les actes antisémites en France, cela aussi est une évidence. Mais que vous en arriviez au point de ne plus rien entendre de ce qui se vit ailleurs et autrement, de nier une souffrance au prétexte d’en soigner une autre, cela ne contribue pas à pacifier. Cela revient à censurer, diviser, boucher l’horizon. Combien de temps encore allez-vous, ainsi que les autorités allemandes, continuer à puiser dans la peur du peuple juif un remède à votre culpabilité ? Elle n’est plus tolérable cette logique qui consiste à s’acquitter d’un passé odieux en en faisant porter le poids à ceux qui n’y sont pour rien. Écoutez plutôt les dissidents israéliens qui, eux, entretiennent l’honneur. Ils sont nombreux à vous alerter, depuis Israël et les États-Unis.
Commencez, vous les Européens, par exiger l’arrêt immédiat des bombardements de Gaza. Vous n'affaiblirez pas le Hamas ni ne protégerez les Israéliens en laissant la guerre se poursuivre. Usez de votre voix non pas seulement pour un aménagement de corridors humanitaires dans le sillage de la politique américaine, mais pour un appel à la paix ! La souffrance endurée, une décennie après l’autre, par les Palestiniens n’est plus soutenable. Cessez d’accorder votre blanc-seing à la politique israélienne qui emmène tout le monde dans le mur, ses citoyens inclus. La reconnaissance, par les États-Unis, en 2018, de Jérusalem capitale d’Israël ne vous a pas fait broncher. Ce n’était pas qu’une insulte à l’histoire, c’était une bombe. Votre mission était de défendre le bon sens que prônait Germaine Tillion « Une Jérusalem internationale, ouverte aux trois monothéismes. » Vous avez avalisé, cette même année, l’adoption par la Knesset de la loi fondamentale définissant Israël comme « l’État-Nation du peuple juif ». Avez-vous songé un instant, en vous taisant, aux vingt et un pour cent d'Israéliens non juifs ? L’année suivante, vous avez pour votre part, Monsieur le Président, annoncé que « l’antisionisme est une des formes modernes de l’antisémitisme. » La boucle était bouclée. D’une formule, vous avez mis une croix sur toutes les nuances. Vous avez feint d’ignorer que, d’Isaac Breuer à Albert Einstein, un grand nombre de penseurs juifs étaient antisionistes. Vous avez nié tous ceux d’entre nous qui se battent pour faire reculer l’antisémitisme sans laisser tomber les Palestiniens. Vous passez outre le long chemin que nous avons fait, du côté dit « antisioniste », pour changer de vocabulaire, pour reconnaître Israël, pour vouloir un avenir qui reprenne en compte les belles heures d'un passé partagé. Les flots de haine qui circulent sur les réseaux sociaux, à l’égard des uns comme des autres, n’exigent-ils pas du responsable que vous êtes un surcroît de vigilance dans l’emploi des mots, la construction des phrases ? À propos de paix, Monsieur le Président, l’absence de ce mot dans votre bouche, au lendemain du 7 octobre, nous a sidérés. Que cherchons-nous d’autre qu’elle au moment où la planète flirte avec le vide ?
Les accords d’Abraham ont porté le mépris, l’arrogance capitaliste et la mauvaise foi politique à leur comble. Est-il acceptable de réduire la culture arabe et islamique à des contrats juteux assortis – avec le concours passif de la France – d’accords de paix gérés comme des affaires immobilières ? Le projet sioniste est dans une impasse. Aider les Israéliens à en sortir demande un immense effort d’imagination et d’empathie qui est le contraire de la complaisance aveuglée. Assurer la sécurité du peuple israélien c’est l’aider à penser l’avenir, à l’anticiper, et non pas le fixer une fois pour toutes à l’endroit de votre bonne conscience, l’œil collé au rétroviseur. Ici, au Liban, nous avons échoué à faire en sorte que vivre et vivre ensemble ne soient qu’une et même chose. Par notre faute ? En partie, oui. Mais pas seulement. Loin de là. Ce projet était l’inverse du projet israélien qui n’a cessé de manœuvrer pour le rendre impossible, pour prouver la faillite de la coexistence, pour encourager la fragmentation communautaire, les ghettos. À présent que toute cette partie du monde est au fond du trou, n’est-il pas temps de décider de tout faire autrement ? Seule une réinvention radicale de son histoire peut rétablir de l’horizon.
En attendant, la situation dégénère de jour en jour : il n’y a plus de place pour les postures indignées et les déclarations humanitaires. Nous voulons des actes. Revenez aux règles élémentaires du droit international. Demandez l’application, pour commencer, des résolutions de l’ONU. La mise en demeure des islamistes passe par celle des autorités israéliennes. Cessez de soutenir le nationalisme religieux d'un côté et de le fustiger de l'autre. Combattez les deux. Rompez cette atmosphère malsaine qui donne aux Français de religion musulmane le sentiment d’être en trop s’ils ne sont pas muets.
Écoutez Nelson Mandela, admiré de tous à bon compte : « Nous savons parfaitement que notre liberté est incomplète sans celle des Palestiniens, » disait-il sans détour. Il savait, lui, qu’on ne fabrique que de la haine sur les bases de l’humiliation. On traitait d’animaux les noirs d’Afrique du Sud. Les juifs aussi étaient traités d’animaux par les nazis. Est-il pensable que personne, parmi vous, n’ait publiquement dénoncé l’emploi de ce mot par un ministre israélien au sujet du peuple palestinien ? N’est-il pas temps d’aider les mémoires à communiquer, de les entendre, de chercher à comprendre là où ça coince, là où ça fait mal, plutôt que de céder aux affects primaires et de renforcer les verrous ? Et si la douleur immense qu’éprouve chaque habitant de cette région pouvait être le déclic d’un début de volonté commune de tout faire autrement ? Et si l’on comprenait soudain, à force d’épuisement, qu’il suffit d’un rien pour faire la paix, tout comme il suffit d’un rien pour déclencher la guerre ? Ce « rien » nécessaire à la paix, êtes-vous sûrs d’en avoir fait le tour ? Je connais beaucoup d’Israéliens qui rêvent, comme moi, d’un mouvement de reconnaissance, d’un retour à la raison, d’une vie commune. Nous ne sommes qu’une minorité ? Quelle était la proportion des résistants français lors de l’occupation ? N’enterrez pas ce mouvement. Encouragez-le. Ne cédez pas à la fusion morbide de la phobie et de la peur. Ce n’est plus seulement de la liberté de tous qu’il s’agit désormais. C’est d’un minimum d’équilibre et de clarté politique en dehors desquels c’est la sécurité mondiale qui risque d’être dynamitée."
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