Ils privatisent même le chômage! (un dossier Politis – 16 au 22 janvier 2013)
L'ensemble de l'assurance chômage (Unedic et Pôle emploi), un des piliers de la protection sociale, est en danger. La négociation entre patronat et syndicats autour d'une nouvelle convention Unedic pour 2014-2017 débute le 17 janvier. Elle se déroulera sur deux mois pour décider du sort de l'indemnisation des chômeurs, du financement de l'assurance chômage et de Pôle Emploi, établissement public chargé de l'accompagnement et du placement des demandeurs d'emploi ainsi que de leur indemnisation. Face à l'explosion du chômage et de la précarité, le gouvernement laisse s'organiser une privatisation du service public de l'emploi. Les moyens donnés à l'Unedic, qui accuse un lourd déficit, et à Pôle Emploi sont dérisoires. Il n'est plus question d'égalité d'accès à la recherche d'emploi sur les territoires. Nous révélons ainsi que Pôle Emploi consacre plus d'un milliard d'euros à l'externalisation de ses missions d'intérêt général à des entreprises privées. Lesquelles proposent de coûteux programme d'accompagnement à l'emploi et d'insertion professionnelle, mais aussi des services aux entreprises en cours de restructuration qui veulent se débarrasser de leurs salariés.
L'opérateur public est engagé dans une réforme qui ne satisfait ni les agents, ni les demandeurs d'emploi, ni les entreprises. Les propos de François Hollande lors de ses vœux, ciblant les coûts sociaux du « pacte de responsabilité » proposé au Medef, ne sont pas faits pour rassurer. Il faut « moins de contraintes sur les activités » a notamment déclaré le président de la République. Or, le financement des allocations-chômage est, pour le Medef, une de ces « contraintes ». C'est donc le sort de l'assurance chômage qui se joue dans les prochains mois.
Thierry Brun
Le marché du non-emploi
Les moyens manquent pour Pôle emploi et le système d'assurance chômage. Conséquence, de plus en plus de prestations sont sous-traitées au secteur privé, coûteux et peu efficace.
« Lors de son rendez-vous, je dis au chômeur que je n'ai pas le temps de le recevoir et je lui propose de rencontrer un cabinet privé. Je vais donc faire une lettre de commande et prendre contact avec ce cabinet. Le rendez-vous sera facturé 800 euros à Pôle emploi. En cas de retour à l'emploi de plus de trois mois, six mois ou CDI, une prime sera versée », raconte Jean-Charles Steyger, conseiller à l'emploi à Nantes et délégué national du SNU Pôle emploi. Les entreprises concernées par ce genre de prestations sont des mastodontes comme Altedia, Sodie, Ingeus, Manpower, Randstad, des opérateurs privés spécialisés dans le reclassement, l'accompagnement de chômeurs et l'intérim...
En outre, les démarches du demandeur passent non seulement par Pôle-emploi.fr mais aussi par les sites internet de recherche d'emploi comme Indeed, Leboncoin, Monster, Cadremploi, Meteojob, Doyoubuzz, etc. Ces entreprises se taillent la part du lion dans le marché des prestations de services aux chômeurs...
De nombreuses prestations de Pôle emploi ne relèvent plus de sa mission d'égalité d'accès aux droits des chômeurs. « Ils n'attendent rien de Pôle emploi. C'est une machine à décourager les sans-emploi. Tout est fait pour qu'ils ne viennent plus en agence », avoue amèrement Jean-Charles Steyger. Pour compléter ce sombre tableau du service public de l'emploi, les compagnies d'assurance, comme Axa, ainsi que les industriels de différents secteurs, comme l'industrie automobile, ont investi le vaste marché de l'assurance chômage en proposant des assurances « perte d'emploi » aux chefs d'entreprise, aux artisans et surtout aux salariés aux revenus confortables.
Les assureurs privés présentent leur offre comme une complémentaire à l'assurance chômage pilotée par l'Unedic, organisme géré par le patronat et les syndicats, qui contribue en grande partie au financement de Pôle emploi. « Axa a même été chargé d'étudier la privatisation de l'assurance chômage », s'inquiète un syndicaliste à Pôle emploi...
Alors que le nombre de demandeurs d'emplois a bondi, les opérateurs privés cherchent à capter la manne de plusieurs dizaines de milliards d'euros et de protection des assurés contre le chômage. Car rien ne va plus au sein de l'Unedic, qui détermine le niveau d'indemnisation des chômeurs. Ses prévisions confirment « l'échec de la convention d'assurance chômage 2011-2013 », accusent les associations de chômeurs. Le déficit annuel de l'assurance chômage atteindrait 5,6 milliards d'euros en 2014, portant la dette à 24,1 milliards d'euros.
Le système est en train d'exploser du fait de la crise économique et de l'augmentation du nombre de demandeurs inscrits à Pôle emploi. Or, sur les 5,2 millions inscrits (y compris les Dom) fin novembre 2013, « seulement 40% sont indemnisés, pour des durées manifestement trop courtes puisque 41% des arrêts d'indemnisation sont motivés par une fin de droit et non par une reprise d'emploi (31%), même précaire » déplore l'association Agir ensemble contre le chômage (AC).
« La France brade les services aux chômeurs. On est dans le low cost pour les entreprises et pour les chômeurs », s'indigne Jean-Charles Steyger... « Nous vivons au quotidien la transformation du service public de l'emploi en enfer kafkaïen: 10000 radiations de plus entre septembre et octobre 2013 », lance le Mouvement national des chômeurs et précaires (MNCP).
Pôle emploi, qui a lancé fin 2013 une consultation sur le recours aux opérateurs de placement de chômeurs, ne voit aucun inconvénient à la privatisation rampante. « La mobilisation des opérateurs privés dans un contexte de forte montée du chômage constitue pour Pôle emploi un moyen d'adaptation de ses capacités à la conjoncture », avoue même avec un certain cynisme la direction de Pôle Emploi, dans une note interne datée de novembre 2013, que Politis s'est procurée ».
« Il faudrait prévenir qu'à Pôle emploi on n'offre pas du travail, on accompagne les demandeurs d'emploi. Seuls 15% des recrutements des entreprises se font par Pôle emploi, service public national! Si encore les entreprises étaient obligées d'y déposer leurs offres » Mais cette obligation a été levée sous la présidence de Jacques Chirac. Un tiers seulement des offres passeraient par Pôle emploi. Ce qui laisse un boulevard au secteur privé.
« Pôle emploi fait des économies sur tout, même sur le papier: des lettres de radiation, par exemple, partent par la Poste. Elles sont violentes, les gens ne les loupent pas. Mais les convocations se font via le site de Pôle emploi. Or, un mail ça se rate » (Jacques, ancien conseilleur « service relation client à Pôle Emploi)