Le rédacteur en chef de l'Humanité, mort prématurément en 1937, incarne le renouveau et le déploiement de son journal dans cette période d'intense actualité politique et culturelle.
"Le corps de Vaillant a traversé Paris au milieu d'une foule formidable qu'on a reculé à évaluer", écrit Aragon de l'enterrement de son ami, un jour d'octobre 1937.
"Les fleuristes de Paris, ce jour-là, ont manqué de fleurs".
Près d'un million de personnes ont accompagné le rédacteur en chef de l'Humanité jusqu'au cimetière du Père-Lachaise parce qu'elles voyaient en lui une des grandes incarnations du Front Populaire, sa plume quand L'Humanité frôle alors les 400 000 exemplaires, un tribun passionné qui soulève les publics, un maire qui révolutionne Villejuif, sa ville de banlieue, un homme de culture qui anime l'effervescence à l'heure du mariage "du pain et des roses".
Il est de ces révolutionnaires sortis des tranchées qui ont fondé le Parti communiste, à Tours, en décembre 1920. Rien ne prédisposait cet élève du lycée Janson-de-Sailly, grandi au coeur du 16e arrondissement et de ses aises, baigné d'un milieu artiste, un peu snob et portant monocle, à éprouver ce qu'il nomme "une frénésie de se lever". La grande boucherie de 14-18, le catéchisme de pensée imprimé par l'armée et les intellectuels de guerre, les mutineries de 1917 écrasées dans le sang ont allumé en lui un feu inextinguible.
"Combien faudra t-il de trains rouges/ comment il en faudra de nombreux encore/ pour guérir tout le mal sonore/ fait par les clairons des trains tricolores" écrit-il.
Pourtant, dans le Parti communiste naissant, son enthousiasme a été douché par le sectarisme des premiers âges, les renvois à la base, les doigts impérieux pointés sur sa copie.
Très vite, il écrit dans l'Humanité, explorant "Moscou la rouge", la Chine de "la Condition humaine de Malraux", l'Espagne de 1934. "Voir le monde et le changer", c'est sa devise. Il la garde même quand il est démis de ses responsabilités en 1928 par le secrétariat du Parti qui lui reproche des conceptions journalistes "trop ouvertes". Mais lui ne rompt pas, il écrit toujours, parfois un livre, parfois des poèmes, fait des passages par la case prison pour avoir attaqué Mussolini et le fascisme pour lesquels le gouvernement d'alors a des complaisances - il peint dans sa cellule...
Très vite, une complicité se noue avec un jeune dirigeant communiste, employé d'une compagnie minière, assoiffé de culture et d'une grande chaleur humaine, Maurice Thorez. Lorsque celui-ci prend la tête du PCF et bouscule les étroitesses par des articles retentissants dans L'Humanité, Paul Vaillant-Couturier trouve l'espace pour se déployer pleinement, réunir ses multiples talents, ses passions, son sens aigu de la presse. Peu à peu, il devient l'animateur incontestable du journal, l'ouvre aux bouleversements de son temps, aux problèmes de société, aux sports, relève le défi de la radio qui rentre désormais dans les familles. Il est aussi celui qui relie les gens de culture, les surréalistes et les auteurs classiques, les plus grands cinéastes et le théâtre d'agit-prop, les architectes les plus innovants et les peintres.
La revue Commune qu'il a créée en est un creuset qui même Jean Cassou et René Crevel, André Gide et André Malraux, Romain Rolland et Jules Romain, Louis Guilloux et Louis Aragon, Henri Barbusse et Jean-Richard Bloch.
Vaillant renifle les talents et leur offre libre cours. C'est le cas d'Aragon qu'il a protégé à l'Humanité. Les intellectuels doivent-être des "bousculeurs", affirme t-il, lui qui pousse des comédiens amateurs à fonder le groupe Octobre et leur conseille un certain Jacques Prévert...
Il sympathise avec l'aviateur Mermoz, pourtant penchant vers la droite extrême, parce qu'il pousse plus loin les progrès humains. Il aime passionnément la vie, la brûle même lui qui lance "le communisme n'est ni le temple du clergyman ni le bureau du sédentaire". Il roule toute la nuit pour une partie de chasse en Ardèche ou pour y pêcher la truite et revient à temps la nuit suivante pour cueillir à la sortie des rotatives son journal encore gras de son encre.
Alors que Thorez marie le drapeau rouge et le drapeau tricolore, la Marseillaise et l'Internationale, Vaillant s'attache à montrer combien le communisme est la continuation de la France, sa quintessence même. Il l'écrit avec brio, multipliant les références culturelles, et démontrant qu'il n'a pas de son pays la conception d'une identité étriquée, mais qu'il le voit comme la somme des alluvions qu'ont laissée les remous de l'histoire, des grands courants de la pensée du monde qui ont alimenté la fécondité nationale. Il l'unit à la grande cause universelle qu'il a toujours recherchée.
L'exact opposé de ce qu'il dénonce puissamment, dans les colonnes de l'Humanité, en la montée du fascisme. Ce dimanche d'octobre, tandis que paraissait son dernier éditorial et qu'il meurt à la chasse près de Rambouillet, Paul Vaillant-Couturier est devenu, avec Thorez, l'autre figure communiste du Front Populaire. C'est ce que signifie à son dernier cortège la foule immense des Parisiens.
Patrick Apel-Muller
Dans le numéro spécial de l'Humanité : 1936, le Front Populaire. Quand le peuple s'en mêle.
A vendre 8€ chez les (bons) marchands de journaux, un numéro fait d'articles historiques remarquables.
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