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12 août 2023 6 12 /08 /août /2023 08:28
Fernand Iveton et Hélène Ksiazek

Fernand Iveton et Hélène Ksiazek

La mer à Bab-el-Oued face au cimetière chrétien Saint Eugène Alger, où est enterré Fernand Iveton

La mer à Bab-el-Oued face au cimetière chrétien Saint Eugène Alger, où est enterré Fernand Iveton

Histoires d'Algérie - Fernand Iveton: militant communiste algérien décapité pour l'exemple en février 1957
Histoires d'Algérie - Fernand Iveton: militant communiste algérien décapité pour l'exemple en février 1957

« Ce matin ils ont osé

Ils ont osé vous assassiner

C’était un matin clair

Aussi doux que les autres

Où vous aviez envie de vivre et de chanter

Vivre était votre droit

Vous l’avez refusé

Pour que par votre sang d’autres soient libérés. »

Ce poème bouleversant est d'Annie Steiner, membre du réseau FLN d’Alger, condamné à cinq ans de réclusion et emprisonné en même temps que Iveton. Il a été écrit le soir de l'exécution de Fernand Iveton, 30 ans, et de deux camarades indépendantistes algériens condamnés à mort. C'est le 11 février 1957.

Née le 7 février 1928 à Marengo, la famille d'Annie Steiner était originaire de Florence (Italie). Le papa directeur d’hôpital. La maman enseignante. Une famille aisée qui lui permit de faire des études supérieures. Diplômée de droit, mariée à l’architecte suisse Rudolf Steiner, elle s’engage à 20 ans dans la Résistance algérienne. Européenne d’origine, elle a combattu pour l’indépendance de son pays, l’Algérie. Arrêtée en 1956, elle fera six prisons : Barberousse, Maison Carrée, Blida, la Petite Roquette à Paris, Rennes et Pau. Cette héroïne est restée d’une grande simplicité et d’une grande gentillesse. De sa cellule dans la prison de Barberousse, elle assista au supplice de Fernand Iveton, Ahmed Lakhnèche et de Mohamed Ouenouri.

Guillotiné le 11 février 1957, Fernand Iveton est le seul Européen exécuté par la justice de l’État français pendant la guerre d'Algérie. France-Soir, pour commenter son décès, le qualifiera de "tueur", et Paris-Presse de "terroriste".

Deux jours après sa décapitation, un de ses avocats, communiste algérien comme Iveton, Albert Smadja, sera arrêté et transféré au camp de Lodi afin de "faire taire ceux qui peuvent dénoncer la répression, entrer en contact avec les militants arrêtés, soutenir leurs familles, leurs proches, se mettre au travers de l'accusation dans les procès" (voir le Camp de Lodi par Nathalie Funès): il ne sera libéré que deux ans plus tard.

Plaisante justice qu'une guerre coloniale borde...

L'écrivain Joseph Andras, né en 1984, a publié en 2016 un premier roman centré sur les derniers mois de la vie de l'ouvrier et militant communiste algérien Fernand Iveton et son amour avec Hélène Ksiazek. Ce livre au si beau titre, "De nos frères blessés", est court (145 pages aux éditions Barzakh, il est aussi publié chez Actes Sud et il a obtenu le Goncourt du Premier roman) est intense, profondément émouvant, touchant des vérités politiques, humaines et littéraires. C'est comme l'écrit son éditeur à juste titre "un texte habité, un fulgurant exercice d'admiration dans les angles morts du récit national". Si le roman relate l’interrogatoire, la détention, le procès d’Iveton, il évoque également l’enfance de Fernand dans son pays, l’Algérie, et s’attarde sur sa rencontre avec sa compagne, Hélène Ksiazek, une jeune femme fille née en Pologne, rencontrée à Paris mais ayant passé sa jeunesse dans un village de la Marne, qui le suivit en Algérie.  Car avant d’être le héros ou le terroriste que l’opinion publique verra en lui, Fernand fut simplement un homme, un idéaliste qui aima sa terre, sa femme, ses amis, la vie – et la liberté, qu’il espéra pour tous les frères humains.

Joseph Andras s'est beaucoup appuyé sur sa documentation sur le travail de Jean-Luc Enaudi, dans un livre préfacé par Pierre Vidal Naquet: Pour l’exemple, l’affaire Fernand Iveton : enquête (L'Harmattan, 1986).

En 2020, Hélier Cisterne a adapté ce livre au cinéma avec Vincent Lacoste et Vicky Krieps, réalisant un film poignant et intense lui aussi.

En vacances en Algérie cet été, je suis allé me recueillir sur la tombe de Fernand Iveton au cimetière Saint-Eugène de Bologhine, et sur celle de son ami communiste du quartier Clos-Salembier, Henri Maillot, tué après le combat et alors qu'il était désarmé par l'armée française quelques mois plus tôt dans le maquis, à 24 ans (Henri, arrêté vivant par les soldats du 504 BT dans son maquis: après l'avoir battu, on lui dit qu'il pouvait s'en aller, il savait qu'il n'en était rien, il marcha à reculons et hurla "Vive le Parti communiste", avant d'être abattu par une rafale... Son cadavre fut transporté en ville sur le capot d'un engin blindé, les cheveux teints au henné, de faux papiers en poche), tombe qui se trouve au magnifique cimetière chrétien d'El Madania (ex-Bru) au-dessus du quartier de Belcourt (Belouizad). J'étais avec notre camarade Aouicha Beckhti, que notre amie et camarade Christine Prunaud, ex-sénatrice communiste des Côtes d'Armor, grande amie de l'Algérie, m'a donné la chance de connaître, comme d'autres militant.e.s communistes, de gauche, féministes, de son réseau d'ami.e.s algérien.ne.s. Aouicha est une ancienne militante du PAGS (Parti communiste algérien), avocate très connue, défenseuse des droits des femmes, du progrès humain, des idéaux internationalistes et communistes, et de la laïcité, avec qui nous avons aussi rendu hommage à Juliette et Georges Acampora, décédés il y a quelques années, et dont les tombes sont également au cimetière "européen" de Saint-Eugène (Georges, qui fut capitaine des pompiers de Bab-el-Oued (également condamné à mort pendant la guerre d'Algerie même si la peine n'a pas été exécutée). Georges et Juliette Acampora furent des amis proches et des camarades de lutte d'Iveton. Avec Aouicha Bechkti nous avons été aussi devant l'ancienne prison Barberousse au dessus de la Casbah où Iveton a été guillotiné avec ses camarades de lutte algérien: Mohamed Ben Ziane Lakhnèche et Ali Ben Khiar Ouennour.

Le responsable du cimetière, fils de résistant algérien condamné à mort lui aussi, nous montra la plaque avec la photo d'Iveton et celle de ses grands-parents qu'il avait rapatrié dans son bureau.
 

 
Photo de Fernand Iveton sur sa tombe au cimetière Saint Eugène de Bologhine

Photo de Fernand Iveton sur sa tombe au cimetière Saint Eugène de Bologhine

Photos des grands-parents de Fernand Iveton sur sa tombe

Photos des grands-parents de Fernand Iveton sur sa tombe

Histoires d'Algérie - Fernand Iveton: militant communiste algérien décapité pour l'exemple en février 1957
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Histoires d'Algérie - Fernand Iveton: militant communiste algérien décapité pour l'exemple en février 1957
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Un témoin raconta, lors d'une cérémonie d'hommage à Fernand Iveton organisé par les communistes algériens au cimetière Saint Eugène de Bologhine:

Fernand Iveton & Hélène Ksiazek / Juliette & Georgio Accompora… Le pull de Fernand
" Il avait froid le camarade en ce début du mois de février 1957 dans le quartier des condamnés à mort de la prison de Barberousse à ALGER ! Sa femme (Juliette) est venue te voir, car c’était ton jour de parloir Juliette, afin de lui transmettre à travers Georgio ,son compagnon de cellule, un pull qui puisse le tenir au chaud…
À la porte de la prison voulant faire la chaîne pour voir ton amour GEORGIO, les femmes présentes sur les lieux t’avaient alors demandée de ne pas rentrer ce jour-là !
Étonnée et angoissée tu avais foncé vers la porte et là on t’informa que FERNAND IVETON a été guillotiné à l’aube, avec ses compagnons Mohamed OUENNOURI et MOHAMED LAKHNECHE.
La terre avait tremblé sous tes pieds, et tu avais éclaté en sanglots, alors les femmes t’avaient dit : "Surtout pas devant eux ! Ne pleure pas devant "l’isstiaamar", le colonialisme..."
Ils les ont guillotinés à l’aube !..
En sanglots tu te présentas au parloir devant GEORGIO qui te répéta la même chose «Ne pleure pas, veux-tu faire plaisir aux gardiens ? Ressaisis toi, oui, à l’aube ils ont exécuté Fernand Iveton et les deux frères ! Surtout ne pleure pas !"
Le couffin a été remis et le pull d’IVETON c’est GEORGIO qui l’a mis jusqu’à la fin, jusqu’à ce qu’il tombe en lambeaux ! ... "
Fernand, dont le père, fils de l'assistance publique, était militant communiste et syndicaliste lui aussi, employé aux Gaz d'Algérie, révoqué par le régime de Vichy, tandis que sa mère, Incarnation, était d'origine espagnole, était ouvrier tourneur à l’usine à gaz du Hamma de l'EGA à Alger où il était délégué syndical affilié à la CGT puis à l'Union générale des syndicats algériens (UGSA). En 1955, il adhère au Parti communiste algérien interdit, le PCA, qui a majoritairement suivi la voie de la défense du combat pour l'indépendance au moyen de la lutte clandestine et armée, et d'un rapprochement avec le FLN, après maints débats internes, la voie du terrorisme n'étant pas celle privilégiée par les communistes, encore moins quand il s'attaque aux civils. Il y milite au côté aux côtés notamment d'Abdelkader Guerroudj, Georges Acampora, Yahia Briki, Félix Colozzi,  Mohamed Hachelaf, et bien d'autres. Le 1er juillet 1956, il adhère au FLN, à titre individuel, avec nombre de ses camarades, tout en restant bien sûr communiste. 
Il se propose, en , pour réaliser un sabotage à l'aide d'une bombe dans l’usine à gaz du Hamma où il travaille. C'est Jacqueline Guerroudj qui lui remet la bombe fabriquée par Abderrahmane Taleb. Iveton ne veut faire que des dégâts matériels et la bombe doit exploser après le départ des employés de l'usine à gaz, dans une remise où Iveton l'a placée.

L’objectif est un sabotage purement matériel qui a pour but de provoquer une panne d'électricité à Alger et Iveton prend des précautions afin que l'explosion n'occasionne pas de victime. Il a demandé que la bombe soit réglée pour exploser après le départ des ouvriers, en fonction de quoi un premier réglage a été prévu pour 18h30. Iveton a jugé que la marge est insuffisante, au cas où des ouvriers s’attarderaient pour des raisons imprévisibles, et il a demandé que la bombe soit réglée pour exploser à 19 h30.

Iveton est repéré par un contremaître de l'usine, Oriol, qui se méfie de lui et l'a vu entrer dans le local avec son sac de plage et en ressortir les mains vides. Oriol prévient son chef, Carrio, et ils pénètrent tous les deux dans le local désaffecté où ils entendent le bruit de la minuterie de la bombe. Iveton est arrêté à 16 h 20. La bombe est désamorcée par les militaires. Il n'y a ni dégâts, ni victimes.

Du 14 au , Fernand Iveton est torturé au commissariat central d'Alger au moyen de décharges électriques sur le corps et du supplice de l'eau. Les policiers ayant trouvé sur lui un papier (écrit par Abderrahmane Taleb) donnant des indications sur l'heure d'explosion des deux bombes veulent lui faire avouer de toute urgence les noms de ses complices — dont il ignore l'identité —, afin de retrouver la deuxième bombe. N'en pouvant plus, Iveton donne les noms de deux autres membres de son groupe, qui, informés de son arrestation, ont en principe eu le temps de prendre la fuite.

En vertu des pouvoirs spéciaux, il est jugé par un tribunal militaire et il est condamné à mort pour « tentative de destruction d'édifice à l'aide d'explosifs », le , à l'issue d'une journée d'audience. C'est le président Roynard, rouage de la machine repressive de l'Etat français, qui lui lit son acte de condamnation à mort.

Joseph Andras décrit bien l'atmosphère de haine qui a entouré ce procès "spécial" et "expéditif": l'attentat du Milk Bar de la rue d'Isly venait d'avoir lieu, les colons européens étaient sur les dents, et réclamaient la mort du "traître".

Au président du tribunal qui lui lit l'acte d'accusation et qui lui signifie qu'il encourt la peine de mort, sauf à pouvoir invoquer des circonstances atténuantes, Iveton déclare, c'est cité par Joseph Andras dans De nos frères blessés:

"Oui je suis un militant communiste. J'ai décidé cela parce que je me considérais comme algérien et que je n'étais pas insensible à la lutte que mène le peuple algérien. Il n'est pas juste, aurait-on dit, que les Français se tiennent en dehors de la lutte. J'aime la France, j'aime beaucoup la France, j'aime énormément la France, mais ce que je n'aime pas, ce sont les colonialistes. C'est pourquoi j'ai accepté."

Sifflets et exclamations dans le public. Le président lui demande s'il comptait au sein de sa cellule militante agir par tous les moyens.

Fernand Iveton répond: "Pas tous. Il y a plusieurs formes de passage à l'action. Dans l'esprit de notre groupe, il n'était pas question de détruire par tous les moyens; il n'était pas question d'attentat à la vie d'un individu. Nous étions décidés à attirer l'attention du gouvernement français sur le nombre croissant de combattants qui luttent pour qu'il y ait plus de bonheur social sur cette terre d'Algérie"

On fait état de ses liens d'amitié avec le "traître" Henri Maillot, militant communiste qui a transporté un camion d'armes volées alors qu'il était aspirant intégré dans un bataillon de l'armée française afin d'armer la rebellion. Le président lui demande s'il avait songé aux dégâts que sa bombe eût pu commettre si elle n'avait pas été découverte à temps. Iveton répond: 

"Elle n'aurait fait tomber qu'une ou deux cloisons. Je n'aurais jamais accepté, même sous la contrainte, de faire une action qui puisse entraîner la mort. Je suis sincère dans mes idées politiques et je pensais que mon action pouvait prouver que tous les Européens d'Algérie ne sont pas anti-Arabes, parce qu'il y a ce fossé qui se creuse de plus en plus"

Le pourvoi d'Iveton devant le tribunal de cassation militaire est rejeté le .

N'ayant pas tué, Iveton croit à sa grâce plaidée par l'avocat communiste de la CGT Joë Nordmann (agent de liaison du PC clandestin pendant la Résistance) qui s'est joint aux avocats commis d'office, Albert Smadja (communiste également) et Charles Laînné (chrétien libéral). Mais son recours est refusé le par le président de la République, René Coty après avis défavorable du garde des Sceaux de l’époque, François Mitterrand et du président du Conseil, Guy Mollet, deux socialistes responsables de l'escalade répressive en Algérie. Il est guillotiné le , à 5h10, dans la cour de la prison de Barberousse à Alger par le bourreau d'Alger, Maurice Meysonnier, assisté de son fils, Fernand Meyssonnier. Le bourreau sera exécuté par le FLN par la suite. Avec lui, deux militants nationalistes, Mohamed Ben Ziane Lakhnèche et Ali Ben Khiar Ouennouri, dits « Ali Chaflala » et « P’tit Maroc », sont également décapités.

Fernand Iveton est le seul "européen" (lui se considérait avant tout "algérien") parmi les 198 prisonniers politiques guillotinés par la guerre d'Algérie. Me Albert Smadja, son avocat commis d'office, témoin de l'exécution, rapporte qu'avant de mourir Fernand Iveton déclara :

" La vie d’un homme, la mienne, compte peu. Ce qui compte, c’est l’Algérie, son avenir. Et l’Algérie sera libre demain. Je suis persuadé que l'amitié entre Français et Algériens se ressoudera. "

Ismaël Dupont - 12 août 2023

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11 août 2023 5 11 /08 /août /2023 09:58
Histoires d'Algérie: Colette Grégoire dite Anna Greki, poétesse, communiste, militante de l'indépendance: l'amour et la rage au coeur
Histoires d'Algérie: Colette Grégoire dite Anna Greki, poétesse, communiste, militante de l'indépendance: l'amour et la rage au coeur
Abderrahmane Djelfaoui a écrit en 2016 un très beau livre sensible et poétique, érudit et passionné, publié à Alger aux éditions Casbah Éditions, sur Anna Gréki: "Anna Gréki, Les mots d'amour, les mots de guerre".
 
Militante communiste, Anna Gréki s'engage dans le combat pour l'indépendance algérienne qu'elle soutient avant même le début de la guerre d'Algérie.
 
Ce poème dur et splendide évoque ses semaines de tortures, ceux que les paras lui infligent Villa Sesini, au bout du boulevard Bru, sur les hauteurs d'Alger, et celles qu'on inflige à ses camarades. Elle a été arrêtée en mars 1957 à 26 ans, en pleine répression militaire féroce de la bataille d'Alger (3000 disparus, des dizaines de milliers de torturés par les paras et l'Armée française), cinq semaines après la décapitation de Fernand Iveton, le voisin et l'ami du jeune Henri Maillot, communiste lui aussi, tué les armes à la main pour défendre la liberté de l'Algérie.  
 
Avec la rage au cœur - Anna Gréki (1931-1966)
 
Je ne sais plus aimer qu'avec la rage au cœur
C'est ma manière d'avoir du cœur à revendre
C'est ma manière d'avoir raison des douleurs
C'est ma manière de faire flamber des cendres
A force de coups de cœur à force de rage
La seule façon loyale qui me ménage
Une route réfléchie au bord du naufrage
Avec son pesant d'or de joie et de détresse
Ces lèvres de ta bouche ma double richesse
A fond de cale à fleur de peau à l'abordage
Ma science se déroule comme des cordages
Judicieux où l'acier brûle ces méduses
Secrètes que j'ai draguées au fin fond du large
Là où le ciel aigu coupe au rasoir la terre
Là où les hommes nus n'ont plus besoin d'excuses
Pour rire déployés sous un ciel tortionnaire
Ils m'ont dit des paroles à rentrer sous terre
Mais je n'en tairai rien car il y a mieux à faire
Que de fermer les yeux quand on ouvre son ventre
Je ne sais plus aimer qu'avec la rage au cœur
Avec la rage au cœur aimer comme on se bat
Je suis impitoyable comme un cerveau neuf
Qui sait se satisfaire de ses certitudes
Dans la main que je prends je ne vois que la main
Dont la poignée ne vaut pas plus cher que la mienne
C'est bien suffisant pour que j'en aie gratitude
De quel droit exiger par exemple du jasmin
Qu'il soit plus que parfum étoile plus que fleur
De quel droit exiger que le corps qui m'étreint
Plante en moi sa douceur à jamais à jamais
Et que je te sois chère parce que je t'aimais
Plus souvent qu'a mon tour parce que je suis jeune
Je jette l'ancre dans ma mémoire et j'ai peur
Quand de mes amis l'ombre me descend au cœur
Quand de mes amis absents je vois le visage
Qui s'ouvre à la place de mes yeux - je suis jeune
Ce qui n'est pas une excuse mais un devoir
Exigeant un devoir poignant à ne pas croire
Qu'il fasse si doux ce soir au bord de la plage
Prise au défaut de ton épaule - à ne pas croire...
Dressée comme un roseau dans ma langue les cris
De mes amis coupent la quiétude meurtrie
Pour toujours - dans ma langue et dans tous les replis
De la nuit luisante - je ne sais plus aimer
Qu'avec cette plaie au cœur qu'avec cette plaie
Dans ma mémoire rassemblée comme un filet
Grenade désamorcée la nuit lourde roule
Sous ses lauriers-roses là où la mer fermente
Avec des odeurs de goudron chaud dans la houle
Je pense aux amis morts sans qu'on les ait aimés
Eux que l'on a jugés avant de les entendre
Je pense aux amis qui furent assassinés
A cause de l'amour qu'ils savaient prodiguer
Je ne sais plus aimer qu'avec la rage au cœur
A la saignée des bras les oiseaux viennent boire"
 
Nul ne sait, du fond de sa cellule, comme Anna Gréki évoquer l'irréalité ordinaire de la guerre d'Algérie:
 
"... C'est la guerre
Le ciel mousseux d'hélicoptères
Saute à la dynamite
La terre chaude jaillit et glisse
En coulée de miel
Le long des éclats de faïence bleue
Du ciel blanc
Les bruits d'hélices
Ont remplacé les bruits d'abeilles...
Les Aurès frémissent
Sous la caresse
Des postes émetteurs clandestons
Le souffle de la liberté
Se propageant par ondes électriques
Vibre comme le pelage orageux d'un fauve
Ivre d'un oxygène soudain..."
 

Colette Grégoire, dite Anna Gréki, est née le 14 mars 1931 à Batna région rurale continentale où ses parents étaient instituteurs, à 60 km de là, à Menéa, un petit village menant à l'oasis de Biskra. Son père est de gauche modéré, républicain, radical-socialiste. Ses parents sont volontaires pour aller enseigner dans les Aurès et son enfance sera éblouie par son amitié avec les Berbères des Aurès et ces paysages.

"... Aucune des maisons n'avait besoin de porte

Puisque les visages s'ouvraient dans les visages

Et les voisins épars simplement voisinaient

La nuit n'existait pas puisque l'on y dormait...

Mon enfance et les délices

Naquirent là

A Menaâ - commune mixte Arris

Et mes passions après vingt ans

Sont les fruits de leurs prédilections

Du temps où les oiseaux tombés des nids

Tombaient aussi des mains de Nedjaï

Jusqu'au fond de mes yeux chaouïa"

Elle est élevée au milieu d'une communauté berbère chaoui et se trouve très tôt confrontée à la misère des algériens.
Elle passe son enfance à Menaâ et effectue ses études primaires à Collo, secondaires à Skikda (Philippeville) et Annaba.
Elle prépare sa licence de lettres en Métropole.
Poursuivant ses études de lettres modernes à la Sorbonne, elle fait connaissance de l’étudiant Ahmed Inal, originaire de Tlemcen et membre du Parti communiste algérien.
En 1955, elle interrompt ses études et rentre en Algérie avec lui pour participer activement au combat pour l’indépendance et enseigne comme institutrice.
Ahmed Inal, né le 24 juillet 1931, professeur au collège de Slane, l'amoureux de Colette Grégoire, est tué par l’armée française le 20 octobre 1956 dans les maquis de Tlemcen, à Slissen : « Vivant plus que vivant au cœur de ma mémoire et de mon cœur … » a écrit Anna dans l’un des poèmes dédiés à sa mémoire.
 
Anna Gréki lui dédiera cinq poèmes bouleversants, dont celui-ci:
 
Pour Ahmed Inal
 
(...) Vivant plus que vivant
Tu es l'eau pure où je me baigne
Dans la Ville des ources
Que je ne connais pas
Et je cherche à jamais tes lèvres
Baiser secret et son pistil
Vivant plus que vivant
Avec ton corps qui brille
Aux quatre coins de la douleur
Éparpillé déchiqueté torturé
Saignant sur la terre orange
Où nous sommes nés"
 
Pour Ahmed Ilal
 
"(...)Tout est un ordre
L'or bleu de tes veines dans mes regards
à la cime des montagnes couveuses
dans l'air dur patient comme un lézard
je suis le chemin droit des nébuleuses
dans les bois qui se dévorent
Tu marches dans mes yeux pour que je me repose
et la fatigue nue se blesse à ton silence
Tu fais chanter la terre enfouie dans ma mémoire
quand de la poitrine je découpe l'espace
millénaire. En partant j'implante ta présence
l'ancre de ta bonté au plus profond des haines
C'est droit d'asile dans ton cœur et je dispose
de toi comme on ouvre ses veines"
 
("Enracinement", Algérie Capitale Alger) 
 
Devenue à son tour, par conviction, institutrice à Annaba (Bône) puis à Alger, elle milite au Parti Communiste algérien.
 
Membre actif des "Combattants de la Libération", elle sera arrêtée par les parachutistes de Massu en 1957, elle est torturée puis emprisonnée à la prison civile d'Alger, transférée au camp de transit de Beni Messous en 1958, et ensuite expulsée d'Algérie (sans doute parce qu'elle était française).
 
Colette, dure sa longue détention à la villa Sesini puis à la prison Barberousse au-dessus de la Casbah et de Bab-el-Oued à Alger, ne sera que l'une des quarante femmes entassées dans le dortoir 3 du quartier des femmes.
 
Il y a les militantes communistes, dont: 
 
- Eliette Loup, 23 ans, fille d'un riche colon de Birtouta, dans la Mitidja, étudiante en économie et travaillant pour la rédaction du journal communiste destiné aux appelés du contingent, arrêtée le 2 avril 1957 par les paras et conduite à la villa Sesini pour y être torturée par le capitaine Faulques et ses sbires
 
- Claudine Lacascade, l'amie d'Anna Greki, institutrice venue de métropole
 
Mais aussi Lucette Puycervère, Colette Chouraqui, Lucie Coscas, Nelly Poro, Annick Pailler-Castel.
 
Parmi le groupe des catholiques engagées pour l'Algérie indépendante: Nelly Forget, Denise Walbert, Eliane Gautron.
 
Il y a aussi les "djamilattes" du FLN: Djamila Bouhired, la future compagne de Jacques Vergès, son avocat, Djamila Bouazza, Nassima Heblal et Zahia Kharfallah, comédienne, poétesse, et animatrice de radio condamnée à mort. Rejetant toute demande de grâce, Zahia Kharfallah écrira de prison à son avocat le 1er juillet 1958:
 
"Je suis une prisonnière de guerre et l'armée à laquelle j'appartiens est déjà victorieuse. C'est elle qui doit me libérer ou me venger si je meurs assassinée. En face des tortionnaires de la villa Susini, des incendiaires des mechtas, je me sens, par ailleurs, à jamais innocente..."
 
Colette Grégoire n'est condamnée à un an de prison avec sursis que le 5 novembre 1958, assigné à résidence surveillée au camp de Beni Messous. La durée de sa période préventive a excédé celle de sa condamnation.
Le 17 novembre 1958, Colette reçoit une notification de libération avec obligation de quitter son Algérie natale sous cinq jours.
En prison, Colette écrit des poèmes, discute littérature avec ses co-détenues, fait même un exposé sur Proust et les clochers de Matinville.
Suite à sa libération de détention, Colette Grégoire travaille comme institutrice à Avignon de 1959 à 1961.
En décembre 1960, la revue "Action poétique" publie un numéro spécial sur la guerre d'Algérie (6000 exemplaires) où des poèmes de Colette Grégoire dédiés à Raymonde Peschard (Les nuits le jour) et Jacqueline Gueroudj (L'espoir) sont présents auprès de poèmes et textes de Guillevic, Lanza del Vasto, Pierre Seghers, Antoine Vitez, etc.
 
Colette Grégoire épouse Jean-Claude Melki en 1960 puis gagne Tunis où vit son mari et où sera publié son premier recueil : « Algérie, Capitale Alger ».
Rentrée en Algérie à l’indépendance en 1962, elle signe ses poèmes « Anna Gréki », contraction de son nom « Grégoire » et de celui de son mari « Melki».
Elle devient membre de la première Union des écrivains algériens, fondée le 28 octobre 1963.
Elle s’enthousiasme pour la construction d’une Algérie « démocratique populaire et socialiste », mais déplore rapidement le virage autoritaire du régime.
Son recueil Algérie, Capitale Alger, préfacé par Mostefa Lacheraf, est publié à Tunis et Paris en juillet 1963.
Obtenant sa licence en 1965 Anna Gréki est nommée professeure de français au lycée Abdelkader d’Alger.
Elle prend alors nettement position dans les débats qui sont menés autour des orientations révolutionnaires de la littérature.
Elle prépare simultanément une étude sur les voyages en Orient de Lamartine, Flaubert et Nerval et commence l’écriture d’un roman.
Elle décède tragiquement à 35 ans au cours de son accouchement à Alger le 6 janvier 1966, elle laisse un second recueil : « Temps forts » qui sera publié par "Présence africaine".
 
"Même en hiver le jour n’était qu’un verger doux
Quand le col du Guerza s’engorgeait sous la neige
Les grenades n’étaient alors que des fruits - seule
Leur peau de cuir saignait sous les gourmandises
On se cachait dans le maquis crépu pour rire
Seulement. Les fusils ne fouillaient que gibier.
Et si la montagne granitique sautait
A la dynamite, c’était l’instituteur
Mon père creusant la route à sa Citroën.
Aucune des maisons n’avait besoin de portes
Puisque les visages s’ouvraient dans les visages.
Et les voisins épars, simplement voisinaient.
La nuit n’existait pas puisque l’on y dormait.
C’était dans les Aurès..."
 
Extrait de "Même en hiver"...
 
Dans ses 21 ans, Colette Grégoire manifestait sa conscience de sa responsabilité humaine et sociale de poète, dans un poème resté inédit:
 
" La poésie remet les choses en place
 
Je n'écris pas pour moi, mais pour tous
Je dis "je", mais c'est nous qu'il faut lire
J'écris pour "réaliser" une situation
de fait, pour rendre à la vie ce
qui est son dû.
J'essaie d'être le porte-parole honnête
de chacune, pour rendre conscient
ce qui existe dans chacune
pour établir des rapports réels entre
l'homme et son pays.
Je traduits un état de fait
J'essaye de dire les racines de l'homme
avec son pays et le monde
J'ai appris à voir, à comprendre
J'ai le privilège de dépoussiérer une
langue - peu importe ce qu'elle est -
et je l'utilise pour révéler un certain mouvement
un certain rythme, certains rapports
de l'homme avec la situation; la
révolution algérienne - j'essaie de la dire
Toute poésie est révolution
elle traduit les apparences
et va au fait.
Je commande aux objets par la vertu d'un mot
Je vois je dis et le futur sera ce que 
J'ordonne " (1952)
 
Dans un poème inédit de 1952, cité par Abderrahmane Djelfaoui, de la même veine, que La poésie remet les choses en place, Anna Gréki écrit:
 
"(...) je ne marchande pas mon amour
Je ne vends pas je dis la vérité
Qui n'est pas faite de pain béni et d'eau fraîche
Mais de franche lutte avec mes camarades
D'intelligence de corps avec mes camarades
Nous savons la valeur de la violence
Nous voilà durs avec nous-mêmes durs
Car nous savons le prix de la tendresse
Et qu'elle se gagne et qu'elle se paie"
 
 
Dans Algérie Capitale Alger publié en 1963, Anna Gréki met en exergue ces vers du poète espagnol Miguel Hernandez:
 
"Les vents du peuple me portent,
les vents du peuple me traînent,
répandent partout mon cœur
et me soufflent dans la gorge"
 
***
J’habite une ville… - Anna Greki (1931-1966)
J’habite une ville si candide
Qu'on l'appelle Alger la Blanche
Ses maisons chaulées sont suspendues
En cascade en pain de sucre
En coquilles d'oeufs brisés
En lait de lumière solaire
En éblouissante lessive passée au bleu
En plein milieu
De tout le bleu
D'une pomme bleue
Je tourne sur moi-même
Et je bats ce sucre bleu du ciel
Et je bats cette neige bleue du ciel
Bâtis sur des îles battues qui furent mille
Ville audacieuse Ville démarrée
Ville au large rapide à l'aventure
On l'appelle El Djezaïr
Comme un navire
De la compagnie Charles le Borgne
 
***
Par-delà les murs clos
Par-delà les murs clos comme des poings fermés
à travers les barreaux ceinturant le soleil
nos pensées sont verticales et nos espoirs
L'avenir lové au coeur monte vers le ciel
comme des bras levés en signe d'adieu
des bras dressés enracinés dans la lumière
en signe d'appel d'amour de reviens ma vie
Je vous serre contre ma poitrine mes soeurs
bâtisseuses de liberté et de tendresse
et je vous dis à demain car nous le savons
L'avenir est pour demain
L'avenir est pour bientôt
***
JUSTE AU-DESSUS DU SILENCE
Je parle bas tout juste au-dessus du silence
Pour que même l'autre oreille n"entende pas
La terre dort à ciel ouvert et dans ma tête
se prolonge avec des rigueurs d'asphodèles
J'ai repeuplé quelques déserts beaucoup marché
Alors je gis dans ma fatigue et dans ma joie
Ces varechs jetés par les lames des étés
Dans des pays des morceaux de moi font semence
et donnent-surgeons de ma tendresse-de tels
Oasis que les jours sont des vergers en fête
Ou l'homme boit une vigueur amniotique
Le bonheur tombe dans le domaine public
 
 
 
 
Histoires d'Algérie: Colette Grégoire dite Anna Greki, poétesse, communiste, militante de l'indépendance: l'amour et la rage au coeur
Histoires d'Algérie: Colette Grégoire dite Anna Greki, poétesse, communiste, militante de l'indépendance: l'amour et la rage au coeur
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10 août 2023 4 10 /08 /août /2023 07:10
Gilles Perrault, une plume rouge contre l’« infâme »

L’écrivain Gilles Perrault est décédé à l’âge de 92 ans. Luttant contre les injustices de son temps, son intervention contre la peine de mort avec le Pull-over rouge en 1978 fait époque.Jérôme Skalski

Signant des articles dans le Nouveau Candide, journal hebdomadaire gaulliste, entre 1961 et 1963, Gilles Perrault avait, dès sa jeunesse, placé sa plume sous l’égide de celle du Voltaire des grandes causes. Sous l’égide car, pour reprendre l’expression du documentaire que Thierry Durand lui a consacré, Gilles Perrault n’a eu de cesse, comme celui qui entendait écraser « l’infâme », de concevoir son écriture « comme une arme ».

Comme ceux de l’auteur de Candide dans l’affaire Calas ou l’affaire Sirven, contre l’intolérance et le fanatisme religieux, ses grands combats auront marqué des moments de rupture dans le consensus intellectuel d’une époque. Comme le bouclier d’Athéna, la déesse de la justice et de la raison, il prit des coups et en rendit quelquefois outre mesure. Se déplaçant de droite à gauche et jusqu’à l’extrême gauche sur l’échiquier de l’engagement politique, il tint cependant parole à l’esprit de sa jeunesse, mettant en joue en particulier la peine de mort, avec son enquête romancée le Pull-over rouge, en 1978.

Fiction, reportage, enquête

Né Jacques Peyroles en 1931, à Paris, dans une famille d’avocats, Gilles Perrault fait des études à l’Institut d’études politiques de Paris et exerce la profession d’avocat pendant cinq ans, avant de prendre son envol. Sa première vocation d’écrivain se manifeste avec une série de romans policiers qu’il signe dans la collection « La chouette » – toujours Minerve –, sous un pseudonyme approchant celui qu’on lui connaît. Il effectue son service militaire au 8e régiment de parachutistes coloniaux en Algérie, expérience qui lui fournira la matière à son premier essai à succès, les Parachutistes, en 1961. La même année, il quitte Paris et découvre Sainte-Marie-du-Mont, dans le Cotentin, village qu’il a quitté ce jeudi 3 août 2023. En 1964, il publie le Secret du jour J, prix du Comité d’action de la Résistance. Ses trois passions d’écriture sont fixées : la fiction romanesque, le reportage d’investigation, l’enquête historique. S’ensuivent une cinquantaine d’années d’écriture tempérée seulement par l’avancée de l’âge. Jalonnant celle-ci, des ouvrages clés. En 1965, l’Orchestre rouge, roman adapté au cinéma par Jacques Rouffio, sorti en 1989, raconte l’histoire d’un réseau d’espionnage soviétique antinazi pendant la Seconde Guerre mondiale. En 1978, le Pull-over rouge, enquête sur l’affaire Christian Ranucci, défraye la chronique et fait s’exacerber le débat sur la légitimité de la peine de mort en France. En 1990, son essai Notre ami le roi décrit le régime de torture du roi du Maroc Hassan II et participe à la campagne qui aboutira à la libération d’Abraham Serfaty l’année suivante.

De solides amitiés

Ses engagements – pour l’abolition de la dette du tiers-monde, contre la guerre du Golfe, contre la collaboration et le Front national… – lui valent de solides inimitiés et un certain nombre de procès. Ils lui valent aussi des amitiés. En janvier 1997, il est élu vice-président de la Société des amis de l’Humanité. Après son Dictionnaire amoureux de la Résistance (2014), Grand-père (2016) et la Justice expliquée à ma petite-fille (2017), il signe son dernier ouvrage en 2020, la Croisade du loup solitaire. Un étrange « loup solitaire » cependant que Gilles Perrault, qui n’eut de cesse de faire combat commun et en commun contre toute sorte de meutes.

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15 juillet 2023 6 15 /07 /juillet /2023 07:24
Romancière, traductrice, éditrice, et maître de conférence, Laura Alcoba a vécu en Argentine jusqu'à l'âge de 10 ans. Elle a publié aux éditions Gallimard "Manèges: Petite histoire argentine" (2007), "Jardin blanc", "Les passagers de l'Anna C.", "Le bleu des abeilles" (2013), et en 2023, "Les rives de la mer douce" au Mercure de France

Romancière, traductrice, éditrice, et maître de conférence, Laura Alcoba a vécu en Argentine jusqu'à l'âge de 10 ans. Elle a publié aux éditions Gallimard "Manèges: Petite histoire argentine" (2007), "Jardin blanc", "Les passagers de l'Anna C.", "Le bleu des abeilles" (2013), et en 2023, "Les rives de la mer douce" au Mercure de France

Retour sur les années noires contre la répression de la gauche argentine - Manèges, Le bleu des abeilles de Laura Alcoba - La casa de los conejos de Valeria Selinger

J'ai eu la chance de rencontrer Laura Alcoba et Valéria Selinger aux rencontres littéraires "Les échappées du livre" à Avranches.

Début juin, elles étaient toutes deux invitées également au festival de Moguériec.

Laura Alcoba s'est fait connaître avec un premier roman d'une grande beauté "Manèges", sous-titré "Petite histoire argentine" où elle nous raconte ses mois de clandestinité quand elle était enfant, à 7-8 ans, avec sa mère, militante montonera à La Plata, en 1975, sous la menace du régime et des hommes des commandos de l'AAA, la Alianza Anticomunista Argentina qui enlèvent, torturent et tuent les militants de gauche, les Montoneros, les militants de l'extrême-gauche, les communistes. Les Montoneros étaient une organisation politique argentine péroniste de gauche, influencée par le christianisme social au départ, qui dût rentrer dans la clandestinité et fut contrainte de pratiquer la lutte armée entre 1970 et 1979.

L'émotion de la remémoration est partout présente, et traitée avec beaucoup de pudeur, de grâce et de subtilité: dans les visites en prison à son père, militant montonero lui aussi, arrêté et prisonnier politique, avec qui, après une fouille humiliante qui met à nu, elle converse dans un langage des signes complice, mise en joue par les militaires qui pointent les fusils et mitraillettes sur leurs visages. Un père qui ne sortira de prison que 6 ans plus tard, en 1981. Dans le portrait de la rayonnante Diana, enceinte de Clara Anahi, qui sera vraisemblablement kidnappée par les militaires pour être adoptée après l'exécution de sa mère, si solaire et courageuse, et de son père quelques mois plus tard. Dans le rappel de la douleur des grands-parents, contraints de cacher leur petite-fille pour éviter les mouchardages des voisins. Dans la souffrance de la mère, dont le visage s'affiche dans les journaux du régime, qui la présentent comme une "ennemie publique n°1". Dans l'évocation de la relation de la petite fille avec l'Ingénieur, qui construit la cachette où elle logée l'imprimerie clandestine des Montoneros pour laquelle travaille la mère de Laura, dans la maison des Lapins, une planque de la périphérie de la Plata, cet Ingénieur qui sera à l'origine de l'extermination du groupe de militants montoneros de "La Casa de los conejos", soit qu'il l'ait infiltré, soit qu'il ait été torturé et l'ait "donné", l'interprétation que retient le magnifique film inspiré de "Manèges" de Valeria Selinger, elle même, comme Laura Alcoba, née en Argentine (où ses parents étaient des militants des Jeunesses communistes) et vivant à Paris, "La Casa de los conejos", réalisé en 2020. 

"Manèges" se lit d'une traite, en quelques heures: il nous replonge dans la noirceur des années de plomb latino-américaines où les Américains, Kissinger et Nixon au premier chef, la CIA, ont organisé l'opération CONDOR pour financer tous les mouvements violents d'extrême-droite qui pourraient lutter contre la contagion communiste en Amérique du sud, dans leur chasse gardée, après la révolution cubaine, transformant le Chili, l'Argentine, la Bolivie, le Paraguay, le Brésil, l'Uruguay, en lieu de chasse ouverte à l'encontre des militants progressistes et marxistes et en enfer carcéral. En Argentine, il y eu au moins 10 000 victimes et disparus de la dictature de Videla et des répressions anticommunistes et progressistes qui l'ont précédée du temps d'Isabel Peron. Au Chili, le coup d'Etat de Pinochet et l'affreuse répression qui s'ensuivit fit au moins 6000 victimes. 

Dans Le bleu des abeilles, au titre inspiré d'une lecture commune de la jeune fille de dix ans, exilée au Blanc-Mesnil, et de son père - La Vie des abeilles de Maurice Maeterlinck - Laura Alcoba, aujourd'hui auteure de plus de 5 romans, traductrice de romancières argentines (notamment le très beau "Les Vilaines" de Camila Sosa Villada, ou encore Selva Almada: "Sous la grande roue", "Après l'orage"), maître de conférence, nous raconte dans un superbe récit progressant par petites touches et anecdotes évocatrices  son arrivée en France, plusieurs mois après l'exil de sa mère, sa relation épistolaire à son père, encore en prison, et son adaptation à l'exil, à la banlieue parisienne, et à l'école primaire Jacques-Decour, ainsi que sa découverte émerveillée et merveilleuse de la langue française. 

On ne saurait trop recommander la lecture des romans de Laura Alcoba et le film de Valéria Selinger, par ailleurs autrice de documentaires sociaux, "La Maison des lapins" (ou "Casa de los conejos"), adaptant "Manèges", qui fut un immense succès en Argentine, plusieurs fois réimprimé, avec une jeune actrice magnifique, un merveilleux film sur l'enfance, la résistance, avec la peur en  toile de fond, et en bande originale la très belle musique du frère de Diana, tuée le 24 novembre 1976 avec 8 militants montoneros dans la "Casa de los conejos" accueillant l'imprimerie du journal des montoneros attaquée par l'armée au mortier.

Ismaël Dupont

Genre : DramePays d'origine : Argentine, France, EspagneDurée : 1 h 34 minRéalisateur : Valeria SelingerScénariste : Valeria SelingerProducteurs : Oscar Marcos Azar, Luis Ángel Bellaba, Arnaud Boland, Cathy Coopman, Carlos Martínez, Susana Rizzuti, Valeria Selinger  Synopsis : Laura n’a que huit ans mais elle sait déjà que pour survivre elle doit se taire. Même ses grands-parents doivent ignorer son nouveau nom et l’adresse de l’élevage de lapins qui sert de couverture à l’imprimerie clandestine où elle se cache avec sa mère et d’autres militants qui luttent contre la dictature et tentent d’échapper aux escadrons de la mort qui les recherchent.

Genre : DramePays d'origine : Argentine, France, EspagneDurée : 1 h 34 minRéalisateur : Valeria SelingerScénariste : Valeria SelingerProducteurs : Oscar Marcos Azar, Luis Ángel Bellaba, Arnaud Boland, Cathy Coopman, Carlos Martínez, Susana Rizzuti, Valeria Selinger Synopsis : Laura n’a que huit ans mais elle sait déjà que pour survivre elle doit se taire. Même ses grands-parents doivent ignorer son nouveau nom et l’adresse de l’élevage de lapins qui sert de couverture à l’imprimerie clandestine où elle se cache avec sa mère et d’autres militants qui luttent contre la dictature et tentent d’échapper aux escadrons de la mort qui les recherchent.

Retour sur les années noires contre la répression de la gauche argentine - Manèges, Le bleu des abeilles de Laura Alcoba - La casa de los conejos de Valeria Selinger
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15 juillet 2023 6 15 /07 /juillet /2023 06:53
Milan Kundera, la légèreté de l’art du roman - Muriel Steinmetz, L'Humanité, 13 juillet 2023
Milan Kundera, la légèreté de l’art du roman

Disparition Né à Brno, en Tchécoslovaquie, l’écrivain est mort à Paris, à l’âge de 94 ans. Entré de son vivant dans « la Pléiade », il affirmait avec force que pour « être libre et déjouer l’autorité, il faut en rire ».

Publié le
Jeudi 13 juillet 2023

Milan Kundera s’est éteint le 11 juillet, à Paris. Il avait 94 ans. Il a été l’auteur de dix-sept romans mémorables dont, d’abord, La vie est ailleurs (prix Médicis étranger en 1973), la Plaisanterie et l’Insoutenable Légèreté de l’être, en 1984, après quoi il décida de ne plus apparaître dans les ­-médias grand public.

Il naît le 1er avril 1929, à Brno, capitale de la Moravie, en Tchécoslovaquie, à 130 km de Vienne. De la mère, on ne saura pas grand-chose. Le père, Ludvik, élève du compositeur Leos Janacek, est un excellent pianiste, futur recteur de l’Académie de musique de Brno après la guerre. Dans l’appartement de la rue Littré, près de Montparnasse, où Kundera a longtemps vécu avec son épouse Véra, trônaient sur son bureau, outre une photo du grand écrivain autrichien Hermann Broch (1886-1951), son maître en littérature, un portrait de son père et un autre de Janacek. La musique fut pour Milan Kundera un élément capital. Il jouait du piano.

Après ses études secondaires à Brno, il en vient, à partir de 1948, à la littérature et à l’esthétique à Prague et aborde la « théorie du roman », avant de se tourner en cours d’année vers l’audiovisuel, à la Famu, faculté de cinéma. Inscrit au Parti communiste en 1947, il est, depuis ses 16 ans, un militant enthousiaste. Il acquiesce au « coup de Prague » organisé par Moscou. L’année d’avant était sorti son premier texte, dédié à son professeur de piano, Pavel Haas, dont il épousera brièvement la fille. En 1950, en raison d’un acte considéré comme délictueux, il est exclu du Parti communiste. Cela donnera la Plaisanterie, dont Ludvik, le personnage principal, a des ennuis pour avoir écrit « Vive Trotski ! » sur une carte postale.

« Rendre à la littérature sa qualité et sa dignité »

À la même époque, il rencontre Véra Hrabankova, de six ans sa cadette, qui joue au théâtre avant de devenir une vedette du petit écran. Kundera achève ses études en 1952 et réintègre le Parti en 1956, avant l’exclusion définitive en 1970, à la suite de ses prises de position publiques.

Durant les années 1960, il choisit le roman. Il est un intellectuel encore proche du Parti. Ses premières œuvres littéraires datent de ces années-là. En juin 1967, il inaugure le IVe congrès des écrivains tchécoslovaques. Sa contribution s’intitule : « Rendre à la littérature sa qualité et sa dignité ». Les écrivains d’alors marquent avec force leur désaccord envers la ligne politique des dirigeants du Parti. Kundera en tête. Il a déjà achevé la Plaisanterie. Le livre est « à l’observation » dans les bureaux de la censure. Contre toute attente, il paraît en avril 1967. L’année suivante, alors que le printemps de Prague bat son plein, Kundera est même distingué par le Parti. À Paris, Gallimard prépare sa traduction pour l’automne 1968. Aragon se charge de la préface, admirative, chaleureuse. Dans cette atmosphère de liberté neuve, Kundera compose Risibles amours, recueil de nouvelles sur les relations intimes sous le prisme d’une parole dysfonctionnelle, sans oublier les questions d’identité et d’authenticité (les faits se changent en leur contraire).

Dans la nuit du 20 au 21 août, les chars soviétiques entrent dans Prague. Après une réhabilitation au sein du Parti au temps de la déstalinisation (1956), il perd son poste d’enseignant. Ses livres, introuvables en librairies, disparaissent des rayons des bibliothèques. Période de vaches maigres, évoquée dans  le Livre du rire et de l’oubli.

Il continue d’écrire et c’est La vie est ailleurs, publié pour la première fois à Paris. Il s’y penche avec ironie sur le « stupide âge lyrique », à travers la figure de Jaromil, jeune poète, son double, qu’il suit de sa naissance jusqu’à sa mort précoce à 20 ans. Jaromil est un Rimbaud pris au piège de la révolution. Ce roman tient lieu de catharsis pour Kundera, qui s’y confronte à son passé de militant et à son être d’artiste. Le couple Véra-Kundera est alors mis sur écoute. Filatures, courriers interceptés, ouverts…

Une méditation sur le monde de l’écrit envahi par les images

Le 20 juillet 1975, ils quittent la Tchécoslovaquie en Renault 5. Direction la France avec une autorisation de séjour de « 730 jours ». Il a 46 ans. Elle a 39 ans. À l’arrière du véhicule : des caisses de livres, à l’avant, des vinyles. Ils s’installent à Rennes . Kundera y est professeur invité en littérature comparée (son cours porte sur « Kafka, ses interprètes, le roman et l’Europe centrale ») jusqu’en 1979, année où il est élu à l’École des hautes études en sciences sociales et où la nationalité tchécoslovaque lui est ­retirée. Mitterrand lui octroie la nationalité française deux ans plus tard. Il reste sous surveillance de la StB, les services de renseignements tchécoslovaques.

Il s’installe à Paris, rue Littré avec Véra. Il s’épuise à écrire ses cours, phrase par phrase, en français sans pouvoir improviser, ce qu’il aime pourtant. Il enseigne Hermann Broch, Kafka, Musil, Dostoïevski… Il développe et approfondit les idées qui donneront lieu à ses essais sur l’Art du roman puis aux Testaments trahis… La langue française maîtrisée, il se lance dans la correction des traductions de ses livres, tous entièrement revus par ses soins. En 1982, il achève l’Insoutenable Légèreté de l’être. Une adaptation en a été tirée pour le cinéma, réalisée par Philip Kaufman et Jean-Claude Carrière. Il a écrit en 1981 une pièce en trois actes Jacques et son maître en hommage à Diderot, mise en scène par Jacques Lassalle. En 1990, ce sera l’Immortalité, méditation sur le monde de l’écrit envahi par les images. En 1993, il achève la Lenteur, sa première œuvre écrite en français. Viendront ensuite l’Identité et l’Ignorance.

En mars 2011, Kundera, en deux volumes, est dans « la Pléiade », accédant de son vivant à l’illustre collection. Il avait mis comme condition sine qua non qu’elle ne comporte aucune note, préface, commentaire ni appareil critique. Il a encore écrit la Fête de l’insignifiance. En 2019, l’ambassade de la République tchèque en France lui restituait sa citoyenneté initiale. Il aimait ce vers de son compatriote romantique, le poète Karel Macha (1810-1836) : « Un sourire léger à la bouche, une tristesse profonde au cœur ».

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23 juin 2023 5 23 /06 /juin /2023 05:17
René Vautier dans le Finistère - Le témoignage de Piero Rainero
René Vautier, le porteur de drapeau à droite, en 1945. Le scout de Quimper a effectué de nombreuses "missions", l'année où il préparait son bac: c'était lui qui représentait le clan des Eclaireurs lors des cérémonies officielles (collection René Vautier - repris par Philippe Chapleau et l'équipe du livre "Des enfants dans la Résistance", Ouest-France)

René Vautier, le porteur de drapeau à droite, en 1945. Le scout de Quimper a effectué de nombreuses "missions", l'année où il préparait son bac: c'était lui qui représentait le clan des Eclaireurs lors des cérémonies officielles (collection René Vautier - repris par Philippe Chapleau et l'équipe du livre "Des enfants dans la Résistance", Ouest-France)

Beaucoup de choses sont dites et écrites concernant les rapports du cinéaste anticolonialiste René Vautier avec le Parti Communiste Français. Je veux donner mon témoignage portant sur plus de 40 ans de rencontres, d’échanges, d’amitié.

Je fis la connaissance de René Vautier en 1972, alors que j’étais l’un des responsables des Jeunesses communistes du Finistère. Il nous avait sollicités pour apporter notre soutien à la diffusion de son film « Avoir 20 ans dans les Aurès » qui venait de sortir et déclenchait la colère de ceux qui n’avaient pas accepté l’indépendance algérienne.

Ce film, qui reçut le prestigieux Prix de la Critique Internationale du Cinéma à Cannes, était l'objet de manifestations violentes de la part de nostalgiques des guerres coloniales.

Les JC participèrent avec enthousiasme, avec le concours de militants de la JOC, à sa popularisation.

Le 1er janvier 1973, René Vautier engagea une grève de la faim dans les locaux de l'UPCB (Union de Production Cinématographique de Bretagne) qu'il avait créée et dont le siège était situé à Plomelin près de Quimper dans le Finistère.

Il voulait ainsi protester contre la censure dont était l'objet le film documentaire de son ami Jacques Panigel, « Octobre à Paris », qui témoignait du massacre des Algériens le 17 octobre 1961 à Paris par la police agissant sous les ordres du Préfet Maurice Papon ; plus de 300 morts et disparus selon le FLN.

Dès le 2 janvier il téléphona au siège de la fédération du PCF du Sud-Finistère à Quimper pour me faire part de sa décision, et de sa détermination, me demandant d'en informer Roland Leroy, alors responsable de la politique culturelle à la direction nationale du PCF.

Le jour même, j'avertis le secrétaire de la fédération communiste du Sud-Finistère, Paul le Gall, qui prit aussitôt contact  avec Roland Leroy.

Roland Leroy nous demanda de faire savoir à René qu'il avait le plein soutien du PCF dans sa dénonciation de la censure, et de lui transmettre ses amitiés.

Il souhaitait aussi que nous assurions  un contact amical permanent avec lui.

Ce contact fut établi par Jean-François Hamon, alors secrétaire de la section de Quimper du PCF et moi-même. C'est ainsi que nous nous rendîmes le jour même à Plomelin pour assurer René Vautier du soutien et de l'amitié des communistes.

Il apprécia particulièrement cette démarche, nous disant : « Je sais que je peux compter sur le parti ». 

Plusieurs fois par semaine, tout au long de sa grève de la faim, Jean-François et moi allèrent donc le rencontrer. Nos échanges étaient parfois brefs, il était souvent entouré de beaucoup de monde, mais il arrivait que nous puissions, lorsqu'il était seul, parler plus longtemps ensemble ; de cinéma, de ses films, de la censure, de son passé de jeune lycéen résistant à Quimper, de son soutien à la résistance algérienne, « avec des  copains du coin comme Michel Mazéas »

Michel Mazéas, élu maire de Douarnenez en 1971, me raconta plus tard qu'il recevait à l’époque de la guerre d’Algérie des lettres sur lesquelles étaient dessinées des cercueils portant son nom. Si ces missives étaient courageusement anonymes, leur contenu signait l'identité de leurs auteurs : l'extrême-droite et les terroristes de l'OAS.

 

René aimait aussi à évoquer la projection mouvementée en décembre 1950, « en première mondiale » , de son film anticolonialiste « Afrique 50 » au gymnase municipal de Quimper rue Jean Jaurès, dans une salle archi-comble, avec le concours de plusieurs organisations de jeunesse  - JC, JOC, Scouts de France - sous la protection des militants communistes. « On avait prévu une seule projection mais comme la salle était trop petite pour accueillir tout le monde on en fit 2 dans la même soirée » rapportait-il. Il nous apprit aussi que le commentaire du film devait être porté par le grand comédien Gérard Philippe mais que des contraintes de tournage ne lui permirent pas d' y participer .

« Afrique 50 », réalisé sur commande de la Ligue Française de l'Enseignement, qui prit ensuite ses distances, avait été, dès sa sortie,  interdit de diffusion en France et valut à son réalisateur d'être condamné à 1 an de prison. Le ministre de la France d’Outremer était alors François Mitterrand.

Le film n'obtint son visa de distribution qu'en 1996.

J'ai entendu par la suite plusieurs communistes quimpérois, Jean le Berre, Louise Tymen, Étienne Perchec, qui avaient participé à cette « première mondiale », raconter le déferlement de violence ce soir-là d’une poignée de parachutistes de la caserne de la ville qui voulaient empêcher la diffusion du film.

Mais force était restée à la démocratie et à la liberté d'information.

Nos visites à René se faisaient d'abord dans les locaux de l'UPCB à Plomelin puis au siège d'une association d'artisans à Quimper, située rue de la Fontaine, où il avait souhaité poursuivre son mouvement.

Parmi les proches qui l'entouraient il y avait Nicole et Félix le Garrec, très attentionnés, ainsi que son frère Jean avec qui Jean-François et moi eurent plusieurs échanges.

Alors que les jours passaient nous constations combien son organisme s'affaiblissait, il s'amaigrissait, il nous dit un jour souffrir de crampes à l'estomac, mais il restait toujours déterminé, allongé sur un lit de camp, des bouteilles d'eau posées près de lui. Son état était tel que Nicole et Félix le Garrec voulaient le faire hospitaliser.

Paul le Gall informa Roland Leroy de sa santé qui se dégradait.

Roland lui dit alors son inquiétude car il connaissait  bien René Vautier, son courage et sa détermination : « René a encore trop de choses à créer, il ne doit pas se laisser partir, le monde de la culture et du cinéma ont besoin d'un homme de cette qualité. » 

Jean-François et moi en firent part dans la journée à René, Jean Vautier était présent. Il y fut très sensible et nous dit: « Ces gens là ne me feront pas crever, je vais gagner»

Quelques jours plus tard, le Ministre de la culture, Jacques Duhamel, dans un courrier au député de Quimper, Marc Bécam, écrivit que « les critères politiques n'entreraient plus en ligne de compte dans les décisions de la commission de contrôle du cinéma. »

René Vautier arrêta alors sa grève de la faim , elle avait duré 31 jours, et « Octobre à Paris » obtint peu après son visa d'exploitation.

René fut accueilli, au terme de cette épreuve, chez des amis dans une villa proche de Quimper, au bord de la mer à l'Ile-Tudy, où nous lui rendions visite, et où il reprit très rapidement des forces.

A partir de cet évènement nos relations devinrent plus fréquentes et des liens d'amitiés se nouèrent entre nous.

J’ai toujours les lettres qu'il m'adressait alors.

René répondait toujours présent à nos sollicitations, pour un débat, une conférence, une projection, un appel, une pétition à signer où à écrire, un conseil, une demande d'information.

En décembre 1979 avec 6 autres militants communistes je fus traduit devant le tribunal  de Quimper, pour avoir avec de nombreux amis stoppé des trains afin de défendre les lignes et gares de proximité de Bretagne sud. Nous étions poursuivis au titre d'une loi de 1942 édictée pour réprimer les résistants.

René Vautier fut l'un des témoins cités par les avocats de la défense, Roland Weyl et Claude Larzul.

Il déclara sa surprise de voir traîner devant un tribunal en application d'une loi de Pétain, « un collabo condamné à mort », des jeunes qui avaient manifesté pacifiquement dans une gare alors que ses amis résistants avaient été décorés pour avoir fait sauter des trains ! Il ponctua son propos, tourné vers nous, en disant : « vous devriez être remerciés et félicités », provoquant l'ire du Procureur de la République.

Il fut également le président de mon comité de soutien lorsque je fus candidat aux élections législatives en 1988 et en 1993 dans la 1ère circonscription du Finistère.

Quelques années plus tard, alors que j’étais engagé dans des missions de solidarité aux côtés du peuple palestinien, en Israël, au Liban et en Palestine occupée, il avait évoqué le projet d'un film sur la situation dans les camps de réfugiés. Il était enthousiasmé par cette idée. Mais sa santé ne lui permit pas de la réaliser.

René Vautier s'est éteint le 4 janvier 2015 à Cancale des suites d'une maladie implacable. Il me fut demandé de prononcer une allocution lors de ses obsèques, le 8 janvier, à la Maison Funéraire de Saint-Malo. Un témoignage d'amitié de Pierre Laurent, secrétaire national du PCF, empêché d'être présent, fut lu lors de la cérémonie. L'Ambassadeur de la République Algérienne en France M. Amar Bendjama lut des messages du Président Abdelaziz Bouteflika ainsi que du Ministre des Moudjahidines, M. Tayeb Zitouni.

Un hommage fut rendu à René Vautier par la direction nationale du PCF, place du Colonel Fabien à Paris, les 25 et 26 mars 2016 avec la participation de l'historien Alain Ruscio, de Jean Salem (le fils d'Henri Alleg), de Dominique Noguères de la LDH, de plusieurs cinéastes. Je fus invité à témoigner lors de cet hommage sur le parcours en Bretagne de René Vautier.

René Vautier, avant d’être le cinéaste mondialement connu, avait été un jeune élève du Lycée la Tour d'Auvergne à Quimper, résistant à 15 ans.

Il avait participé, dès décembre 1940, avec son groupe des Éclaireurs de France à de nombreux actes de résistance aux nazis et à leurs collaborateurs : aide à l'évasion d'aviateurs tombés dans la région, sabotages (rail, lignes téléphoniques et électriques...), renseignements divers (notamment sur la localisation précise des blockhaus du mur de l'Atlantique).

La ville de Quimper, pour rendre hommage à ces jeunes résistants, dont René et son frère aîné Jean, a érigé  en 2008 une stèle à proximité du lieu où ils avaient étudié.

À noter que le Clan des Éclaireurs de Quimper est la seule unité scout à avoir été décorée de la Croix de guerre.

En octobre 2011 René Vautier avait fait don aux archives de la ville de Quimper de divers documents cinématographiques dont l'un de ses films : « Et le mot frère, et le mot camarade » inspiré d'un poème de Paul Eluard.

 

Piero Rainero.

22 / 06 / 2023

 

Lire aussi:

Un témoignage exceptionnel de René Vautier: une enfance héroïque - avoir 13-16 ans dans la Résistance à Quimper (Des enfants dans la Résistance, Philippe Chapleau, Ouest-France)

Disparition de René Vautier, cinéaste militant communiste et anti-colonialiste: article du Monde

1920-2020: 100 ans d'engagements communistes en Finistère: 7/ René Vautier (1928-2015)

 

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18 juin 2023 7 18 /06 /juin /2023 19:27

Une joie de découvrir ensemble la magnifique exposition Bansky aux Capucins à Brest avec Philippe Rio, maire de Grigny, la ville de la genèse de cette exposition avec la Constellation et la modeste collection Bansky de Beru, et un groupe d'une quinzaine de camarades communistes finistériens.

Le PCF BREST a fait un don de 500 euros à SOS Méditerranée à l'issue de la visite accompagnée de l'exposition de la star anglaise du street art engagé, une star paradoxale puisqu'on ne connait d'elle que ses oeuvres!

Parce que la solidarité avec les réfugiés et exilés est un devoir politique et moral, parce qu'on ne peut que voir la mort de notre idée de la civilisation et d'une Europe humaniste dans ces centaines de personnes qui meurent chaque année en Méditerranée à cause de la politique répressive et anti immigration de nombre d'États européens (avec des degrés dans l'abjection), et du business des passeurs qui profitent de la misère, parce qu'il faut aider ceux qui sauvent des vies, il faut aider SOS Méditerranée. Bravo aux concepteurs de cette exposition engagée et citoyenne du grand artiste anglais mondialement connu d'avoir ainsi associé les associations solidaires à cette exposition et merci à nos guides et médiatrices pour cette exposition gratuite encore visible jusqu'au 25 juin 2023!

PCF Finistère - Visite de l'exposition Banksy avec Philippe Rio, président de la Coopérative des élu.e.s communistes et maire de Grigny, ce dimanche 18 juin
PCF Finistère - Visite de l'exposition Banksy avec Philippe Rio, président de la Coopérative des élu.e.s communistes et maire de Grigny, ce dimanche 18 juin
PCF Finistère - Visite de l'exposition Banksy avec Philippe Rio, président de la Coopérative des élu.e.s communistes et maire de Grigny, ce dimanche 18 juin
PCF Finistère - Visite de l'exposition Banksy avec Philippe Rio, président de la Coopérative des élu.e.s communistes et maire de Grigny, ce dimanche 18 juin
PCF Finistère - Visite de l'exposition Banksy avec Philippe Rio, président de la Coopérative des élu.e.s communistes et maire de Grigny, ce dimanche 18 juin
PCF Finistère - Visite de l'exposition Banksy avec Philippe Rio, président de la Coopérative des élu.e.s communistes et maire de Grigny, ce dimanche 18 juin
PCF Finistère - Visite de l'exposition Banksy avec Philippe Rio, président de la Coopérative des élu.e.s communistes et maire de Grigny, ce dimanche 18 juin
PCF Finistère - Visite de l'exposition Banksy avec Philippe Rio, président de la Coopérative des élu.e.s communistes et maire de Grigny, ce dimanche 18 juin
PCF Finistère - Visite de l'exposition Banksy avec Philippe Rio, président de la Coopérative des élu.e.s communistes et maire de Grigny, ce dimanche 18 juin
PCF Finistère - Visite de l'exposition Banksy avec Philippe Rio, président de la Coopérative des élu.e.s communistes et maire de Grigny, ce dimanche 18 juin
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3 juin 2023 6 03 /06 /juin /2023 13:28
Samedi 10 juin, 11h - en dédicace à la Librairie Les Déferlantes,Camille Damiano et Samir Boukhalfa, auteurs de la BD sur la ligne Morlaix-Roscoff, "Le Fer et la Terre"

Samir Boukhalfa et Camille Damiano, jeunes architectes, auteurs de la BD sur le passé et l'avenir de la ligne ferroviaire Morlaix-Roscoff, fruit de neuf mois d'enquête - "Le Fer et la Terre" (120 pages, 10€) - imprimée avec l'appui du Collectif pour la ligne Morlaix-Roscoff, seront en dédicace à la librairie Les Déferlantes de Morlaix le samedi 10 juin à partir de 11h.

Avant la rencontre-débat prévue à Saint-Pol-de-Léon, à l'espace Ti Kastellyz, à 14h30 ce même samedi 10 juin.

Venez nombreux vous procurer la bande dessinée dont se sera le premier jour de publication, et la faire dédicacer.

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3 juin 2023 6 03 /06 /juin /2023 06:33
Fest-Noz de l'école alternative des Monts d'Arrée ce samedi 3 juin à Plounéour-Menez
Des élèves et des enseignants de l’École alternative des monts d’Arrée préparent activement le fest-noz du samedi 3 juin. samedi prochain (Le Télégramme)

Des élèves et des enseignants de l’École alternative des monts d’Arrée préparent activement le fest-noz du samedi 3 juin. samedi prochain (Le Télégramme)

À Plounéour-Ménez, l’École alternative des monts d’Arrée propose un fest-noz samedi 3 juin
 

Le Télégramme 31 mai 2023

Basée a Pleyber-Christ, l’École alternative des Monts d’Arrée est gérée par l’association Les Utopistes en action. Elle s’implique afin d’accueillir dans les meilleures conditions des personnes exilées, notamment des jeunes. Dans la perspective de leur entrée en scolarisation ou en formation, une équipe de bénévoles travaille avec eux l’apprentissage du français, l’alphabétisation, la remise à niveau et même des cours de breton.

L’association organise, ce samedi 3 juin 2023, à partir de 21 h un fest-noz au lieu dit l’Ile. Le prix d’entrée est fixé à 6 €.

Il sera possible de se restaurer autour du stand de crêpes et de galettes mais aussi de découvrir les œuvres créées par les jeunes élèves de l’école. Côté programmation musicale, plusieurs groupes et couples e succéderont sur scène : Baliski, Sandra Chalençon et Anna Suignard-Bouliou, Yann Coadou et Dominique Moigne, Axel Landeau et Marie Verveur, Guy Pensec et Jean Billion, Tri an Ifern.

Pratique

Fest-noz à 21 h à l’Ile, entrée 6 € ; Contact : eadma@orange.fr ou tél. 06 02 29 27 18

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23 mai 2023 2 23 /05 /mai /2023 17:03
« LES MAUVAIS JOURS FINIRONT » par le Théâtre de La Corniche le VENDREDI 16 JUIN,  à 18H à la MJC de Morlaix

« LES MAUVAIS JOURS FINIRONT »
par le Théâtre de La Corniche
le VENDREDI 16 JUIN,  à 18H

entrée sur participation libre, au chapeau

Ce spectacle est une chronique en chansons de la Commune de Paris, événement historique dont nous avons fêté le 150e anniversaire en 2021. Vous trouverez ci-joint le dépliant élaboré par la Compagnie avec davantage de contenu.

Rappelons nous que les événements de la Commune de Paris ont été une des premières expériences sociales et politiques de laïcisation des institutions.

Le théâtre de la Corniche revisite ces 72 journées du printemps 1871 et les replace dans le contexte historique par l’évocation de deux paroliers, acteur ou témoin des événements : Jean Baptiste Clément, l'auteur du Temps des Cerises et membre du Conseil de la Commune, et Jules Jouy, le « poète chourineur »

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