L’écrivain Gilles Perrault est décédé à l’âge de 92 ans. Luttant contre les injustices de son temps, son intervention contre la peine de mort avec le Pull-over rouge en 1978 fait époque.Jérôme Skalski
Signant des articles dans le Nouveau Candide, journal hebdomadaire gaulliste, entre 1961 et 1963, Gilles Perrault avait, dès sa jeunesse, placé sa plume sous l’égide de celle du Voltaire des grandes causes. Sous l’égide car, pour reprendre l’expression du documentaire que Thierry Durand lui a consacré, Gilles Perrault n’a eu de cesse, comme celui qui entendait écraser « l’infâme », de concevoir son écriture « comme une arme ».
Comme ceux de l’auteur de Candide dans l’affaire Calas ou l’affaire Sirven, contre l’intolérance et le fanatisme religieux, ses grands combats auront marqué des moments de rupture dans le consensus intellectuel d’une époque. Comme le bouclier d’Athéna, la déesse de la justice et de la raison, il prit des coups et en rendit quelquefois outre mesure. Se déplaçant de droite à gauche et jusqu’à l’extrême gauche sur l’échiquier de l’engagement politique, il tint cependant parole à l’esprit de sa jeunesse, mettant en joue en particulier la peine de mort, avec son enquête romancée le Pull-over rouge, en 1978.
Fiction, reportage, enquête
Né Jacques Peyroles en 1931, à Paris, dans une famille d’avocats, Gilles Perrault fait des études à l’Institut d’études politiques de Paris et exerce la profession d’avocat pendant cinq ans, avant de prendre son envol. Sa première vocation d’écrivain se manifeste avec une série de romans policiers qu’il signe dans la collection « La chouette » – toujours Minerve –, sous un pseudonyme approchant celui qu’on lui connaît. Il effectue son service militaire au 8e régiment de parachutistes coloniaux en Algérie, expérience qui lui fournira la matière à son premier essai à succès, les Parachutistes, en 1961. La même année, il quitte Paris et découvre Sainte-Marie-du-Mont, dans le Cotentin, village qu’il a quitté ce jeudi 3 août 2023. En 1964, il publie le Secret du jour J, prix du Comité d’action de la Résistance. Ses trois passions d’écriture sont fixées : la fiction romanesque, le reportage d’investigation, l’enquête historique. S’ensuivent une cinquantaine d’années d’écriture tempérée seulement par l’avancée de l’âge. Jalonnant celle-ci, des ouvrages clés. En 1965, l’Orchestre rouge, roman adapté au cinéma par Jacques Rouffio, sorti en 1989, raconte l’histoire d’un réseau d’espionnage soviétique antinazi pendant la Seconde Guerre mondiale. En 1978, le Pull-over rouge, enquête sur l’affaire Christian Ranucci, défraye la chronique et fait s’exacerber le débat sur la légitimité de la peine de mort en France. En 1990, son essai Notre ami le roi décrit le régime de torture du roi du Maroc Hassan II et participe à la campagne qui aboutira à la libération d’Abraham Serfaty l’année suivante.
De solides amitiés
Ses engagements – pour l’abolition de la dette du tiers-monde, contre la guerre du Golfe, contre la collaboration et le Front national… – lui valent de solides inimitiés et un certain nombre de procès. Ils lui valent aussi des amitiés. En janvier 1997, il est élu vice-président de la Société des amis de l’Humanité. Après son Dictionnaire amoureux de la Résistance (2014), Grand-père (2016) et la Justice expliquée à ma petite-fille (2017), il signe son dernier ouvrage en 2020, la Croisade du loup solitaire. Un étrange « loup solitaire » cependant que Gilles Perrault, qui n’eut de cesse de faire combat commun et en commun contre toute sorte de meutes.