


Ce procès à largement été condamné à l'international par de nombreux observateurs, notamment le sénateur communiste Jean Claude Lefort et l'avocate Gisèle Halimi.
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Yolande Mukagasana, née au Rwanda le 6 septembre 19541, est une infirmière et écrivaine rwandaise de langue française. Sa famille a été assassinée durant le génocide des Tutsis au Rwanda et, depuis lors, elle se consacre à faire connaître le génocide, à rendre aux victimes leur honneur et à militer pour une coexistence pacifique.
La faillite morale, politique et militaire de la France
Par Yolande Mukagasana Écrivaine, survivante du génocide contre les Tutsis, chercheuse indépendante sur le génocide
L'Humanité, lundi 19 avril
J’ai lu avec attention la tribune d’Alain Juppé publiée dans le journal daté du 7 avril 2021, jour de la commémoration du génocide contre les Tutsis. Texte désolant. Car, même lorsqu’il fait des efforts de contrition, Alain Juppé semble inaccessible à la souffrance des victimes.
D’entrée de jeu, que fait sans ambages l’ancien patron du Quai d’Orsay ? Saluer en préambule la mémoire de toutes les victimes du génocide ? C’est au-dessus de ses forces : Juppé préfère rendre hommage exclusivement à l’ancien président de la Cour constitutionnelle. Simple maladresse d’un storytelling concocté dans un cabinet de communication, ou mépris instinctif de toutes les autres victimes du génocide ? Provocation ou signes annonciateurs d’un mal plus grave : la maladie de la mémoire ?
« Nous n’avons pas compris que le génocide ne pouvait supporter des demi-mesures », affirme ensuite Juppé. Début d’un demi mea culpa, ou nouvelle tentative de réécrire l’histoire du génocide en atténuant la faillite morale, politique et militaire de la France au Rwanda mise en lumière par le rapport Duclerc ?
Car, qu’est-il reproché à la France au Rwanda avant, pendant et après le génocide ? Ce qu’elle a fait ou ce qu’elle n’a pas fait ? Ses demi-mesures ou plutôt son engagement ? La timidité de sa politique ou son soutien des auteurs du génocide ? Car, qui s’est chargée de la formation de la garde présidentielle ? Qui entraînait les forces de la gendarmerie ? Qui, durant quatre longues années, a fourni armes, munitions et conseils au gouvernement, qui préparait le génocide ?
Les mots ont un sens : parler de demi-mesure, c’est insinuer que ne serait regrettable, tout compte fait, non pas le compagnonnage avec les tueurs, mais la tiédeur d’une politique trop timorée. Donc, sous-entendue bonne, au fond.
Nous autres, victimes du génocide, nous nous souvenons de tout.
Puis, il y a ces trous de mémoire assez prodigieux de Juppé. Rien, pas un mot de regret sur la réception, le 27 avril 1994, du ministre des Affaires étrangères du gouvernement génocidaire, Jérôme Bicamumpaka, et de son directeur des affaires politiques, l’idéologue extrémiste Jean-Bosco Barayagwiza.
Rien non plus sur le refus d’arrêter les suspects du génocide, et cette note du Quai d’Orsay datée du 15 juillet 1994 : « Si, comme il est probable, certains membres du gouvernement sont déjà présents dans la zone, il est souhaitable de les en faire partir dans les plus brefs délais : leur présence ne sera pas longtemps cachée ; nous n’aurons pas la possibilité de les remettre aux Nations unies, qui n’ont à ce stade créé qu’une commission d’enquête sur le génocide, sans pouvoir de contrainte de type policier. Nous risquons aussi, dès la formation d’un nouveau gouvernement par le FPR, d’être invités à remettre les intéressés aux nouvelles autorités. Mieux vaut prévenir ce risque en faisant partir les intéressés… »
Juppé a peut-être des problèmes de mémoire, mais nous autres, victimes du génocide, nous nous souvenons de tout, y compris de ce qui s’est passé après le génocide.
Alain Juppé a menti en connaissance de cause. Froidement. Avec méthode, détermination et acharnement.
Qui oubliera les appels récurrents, répétitifs, agressifs de Juppé, lors des commémorations du génocide, à défendre l’honneur de la France contre tous ceux qui demandaient la vérité sur l’implication de l’État français au Rwanda, tous accusés au passage de tentative de falsification de l’histoire ?
Le fait est que ces appels indécents et annuels ont alimenté le discours négationniste en jetant le soupçon sur la parole des victimes. Des années durant, Alain Juppé a menti en connaissance de cause. Froidement. Avec méthode, détermination et acharnement.
Sa vie n’a pas été bouleversée par le génocide. Par contre, celle de nombreux Rwandais en a été chamboulée. La vérité est que, si la France ne s’était pas engagée auprès du gouvernement raciste de Habyarimana à partir de 1990, je ne serais pas aujourd’hui, comme beaucoup d’autres Rwandais, seule au monde.
La France a soutenu ceux qui ont tué les miens avant, pendant et après le génocide.
L’année du génocide, j’étais une femme comblée, j’avais une famille, j’avais 40 ans, et soudain, ma vie a été brisée : je suis devenue une survivante et en grande partie à cause des décisions prises par Juppé et d’autres grands messieurs qui détenaient les rênes du pouvoir en France.
Si la France ne s’était pas engagée au Rwanda, j’aurais encore aujourd’hui mes enfants auprès de moi, ainsi que le reste de ma famille, je serais entourée de mes amis. Si la France ne s’était pas engagée en 1990 aux côtés des assassins de ma famille, je serais grand-mère aujourd’hui comme les autres femmes de mon âge.
La France a soutenu ceux qui ont tué les miens avant, pendant et après le génocide. Et Juppé était le chef de la diplomatie française. Aurait-il déjà oublié tout cela ? Aurait-il oublié que le gouvernement génocidaire a été formé à l’ambassade de France à Kigali ? Aurait-il oublié que la France a évacué les génocidaires en laissant les victimes à la merci de leurs bourreaux, y compris les employés de la mission de coopération française ?
L’homme semble dans son propos heureux que le rapport Duclert n’ait pas prononcé le mot complicité. Et là, je ne peux m’empêcher de m’interroger : l’ancien ministre des Affaires étrangères et actuel membre du Conseil constitutionnel serait-il à ce point incapable de faire la différence entre un rapport élaboré par des historiens et un rapport rédigé par des juges ? L’histoire advient et ensuite le droit passe, tôt ou tard.
Avec son demi-mea culpa tordu, Juppé vient de perdre, une fois de plus, l’occasion de se taire lors d’une journée consacrée à la mémoire des rescapés. Oui, il faut évidemment avancer vers une réconciliation entre la France et le Rwanda. Mais cette réconciliation ne saurait être fondée sur des demi-vérités, mais sur l’acceptation de ce qui s’est passé.
Au Rwanda, on trouve encore de grands génocidaires qui ont parfois sauvé un enfant tutsi. Et que répondent-ils lorsqu’on leur demande la raison de leur geste ? Que c’était par mesure de précaution : en cas de victoire du FPR, ils pourraient ainsi se présenter devant tout le monde en affirmant qu’ils n’avaient pas tué les Tutsis puisqu’ils en avaient sauvé un.
Après la remise du rapport de la commission dirigée par Vincent Duclert sur le rôle effectif de la France au Rwanda, entre 1990 et 1994, de nombreuses questions subsistent. Pour en débattre : les historiens Sébastien Jahan et Alain Gabet, et Yolande Mukagasana, écrivaine, survivante du génocide contre les Tutsis et chercheuse indépendante.
Par Sébastien Jahan et Alain Gabet Historiens
Le 26 mars, la commission dirigée par Vincent Duclert a rendu son rapport au président Macron sur le rôle joué par la France dans le génocide tutsi au Rwanda en 1994. Cette somme d’un millier de pages a été saluée comme une étape essentielle vers la reconnaissance par l’État français de ses fautes.
Mais les critiques qui ont été exprimées doivent également être entendues comme une opportunité pour ouvrir plus largement le champ de conscientisation de notre passé postcolonial et du potentiel mortifère de notre système politique.
Commençons par les acquis incontestables de ce travail. Le rapport conclut à la « responsabilité lourde et accablante » des autorités françaises de l’époque, loin du travail euphémisant de la mission d’information parlementaire de 1998.
Ce texte tord le cou aux théories négationnistes et complotistes qui ont fleuri sur les tombes des plus de 800 000 victimes du génocide.
Le rapport déconstruit en effet les mécanismes qui ont conduit la France à se compromettre toujours plus avec un régime en voie de radicalisation extrême, dont il n’était pas possible de ne pas voir le plan génocidaire. Le dépouillement minutieux des archives permet de pointer les responsables de cette dérive et apporte des pistes d’explications intéressantes pour comprendre la focalisation hexagonale sur cette ancienne colonie belge longtemps hors des « pays du champ ».
Ce texte, qui a valeur officielle, tord le cou aux théories négationnistes et complotistes qui ont fleuri sur les tombes des plus de 800 000 victimes du génocide. Ainsi, la thèse du « double génocide » est définitivement enterrée et le rapport confirme par ailleurs qu’il n’existe aucun début de preuve que le FPR (Front patriotique rwandais) soit responsable de l’attentat contre Habyarimana.
Tout cela, des journalistes, des chercheurs et des associations l’ont dit depuis longtemps, mais le rapport en apporte la confirmation à partir de sources qui étaient cruciales et inaccessibles : les archives des corps de l’État en charge du dossier rwandais. Mais, reconnaissons-le : si c’est la boîte des fautes françaises que le rapport Duclert ouvre, alors il ne faut surtout pas la refermer sur ces acquis.
Le texte de la commission Duclert n’est, en effet, pas exempt de lacunes. Nous en retiendrons trois.
On peut se demander ce qui distingue l’« aveuglement » de la complicité.
La première porte sur les conclusions et l’usage du terme « aveuglement », préféré à celui de « complicité ». En évitant ce dernier mot, il est possible que les membres de la commission aient répondu, consciemment ou non, à une commande politique. Il semble clair, en effet, que ce rapport, voulu par le président et chef des armées, n’ait pu franchir une telle ligne rouge, sauf à provoquer une crise majeure avec l’institution militaire.
Lorsque Vincent Duclert dit qu’il n’y a pas complicité, si on entend par là un partage de l’intention génocidaire, il est difficile de lui donner tort. Toutefois, à la lecture de certaines pages du rapport, on peut se demander ce qui distingue l’« aveuglement » de la complicité. Cette dernière, en outre, selon la jurisprudence des tribunaux pénaux internationaux (TPI), n’a pas besoin de se manifester par l’aide directe et intentionnelle d’un tiers pour être qualifiée, ce qui laisse donc la porte ouverte à d’éventuelles suites judiciaires.
La deuxième limite du rapport tient à sa critique inachevée des institutions. Des pages saisissantes et d’une indéniable rigueur analytique mettent en évidence l’existence d’une chaîne de commandement parallèle, par laquelle François Mitterrand ou son chef d’état-major particulier faisaient transmettre les ordres sur le terrain, ce qui leur permettait de mettre en application, sans obstacle, des idées inspirées d’une vision passéiste et raciste de la société et de la géopolitique des Grands Lacs.
D’autres passages montrent aussi que certains, dans l’appareil d’État, ont tenté de s’opposer à ce que le rapport considère comme des « dérives institutionnelles » graves. Mais ne faudrait-il pas s’inquiéter plutôt de l’impuissance de ces rouages importants de l’État à contrecarrer l’obsession présidentielle ? Que dire de ces institutions qui permettent à un homme et à son entourage de décider que la défense d’un pré carré contre des ennemis fantasmés compte plus qu’un génocide ?
La troisième limite permet de mettre le point précédent en perspective. Elle tient moins au contenu du rapport qu’à son périmètre initial, tel qu’il a été défini par le président Macron. La période choisie (1990-1994) focalise en effet l’attention sur le contexte étroit dans lequel s’intègre le génocide : les relations entre la France et le gouvernement du Rwanda au moment du conflit qui oppose ce dernier à la rébellion du Front patriotique rwandais (FPR).
Il faut être conscient de tout ce que l’opacité mitterrandienne dans la gestion de l’affaire rwandaise doit à la Françafrique.
Replacer le génocide des Tutsis dans le temps long des relations franco-rwandaises permet de comprendre que l’assistance militaire au profit d’une dictature aux fondements racistes s’est mise en place sous le septennat de Valéry Giscard d’Estaing et que le soutien aux génocidaires s’est de fait poursuivi avec Jacques Chirac, le dernier dirigeant occidental à lâcher Mobutu et ses alliés hutus radicaux qui rêvaient de prendre leur revanche sur le FPR.
Il faut donc être conscient de tout ce que l’opacité mitterrandienne dans la gestion de l’affaire rwandaise doit à la Françafrique, la politique souterraine visant à maintenir les anciennes colonies africaines dans l’aire d’influence de la France. Comme le rappelle l’ association Survie, le rôle de la France au Rwanda est bel et bien l’aboutissement monstrueux d’une pratique criminelle inscrite dans les gènes de la V e République .
Une future commission fera peut-être un jour le bilan de ces années de complicité de la France avec d’autres régimes assassins. Toutefois, et pour terminer sur une note positive, remarquons que le rapport Duclert aura sans doute des effets bénéfiques à court terme. En invalidant ce qui fut trop longtemps la version officielle de l’État, il proclame la légitimité de l’histoire à se saisir de ce sujet de recherche, pavant ainsi la route à de nouveaux travaux universitaires.
En soulevant la chape du déni, il apaise aussi la douleur et l’incompréhension des rescapés de cette immense tragédie qui espèrent maintenant non seulement des gestes symboliques forts, mais aussi que justice leur soit rendue.
A l'époque, l'Humanité avait été un des rares quotidiens français à ne pas désinformer sur le génocide des tutsis par le pouvoir extrémiste hutu et la responsabilité de la France de Mitterrand, Balladur, Léotard et Juppé:
"Un guide rwandais montrant une photo de l'armée française à Bisesero durant le génocide. © Thomas Cantaloube/Mediapart Des documents militaires inédits, dont Mediapart et France Inter ont pris connaissance, montrent que l’armée française a laissé se perpétrer en connaissance de cause des massacres contre la minorité tutsie pendant le génocide au Rwanda en 1994, alors même que sa mission confiée par les Nations unies était de les empêcher. Ces documents sont aujourd'hui entre les mains de la justice."
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L’humanité est une. Tant que le coronavirus circulera en un coin de notre planète, nul être humain ne sera à l’abri, qu’il soit vacciné ou non. C’est la leçon qu’on peut tirer de l’émergence du variant brésilien. Là-bas, le président d’extrême droite Jair Bolsonaro a décidé de laisser le sort de ses citoyens à la main libre du virus. Résultat : celui-ci s’est répandu comme la poudre et a muté, contaminant des gens censés être immunisés par une précédente infection. Le jour viendra, si le virus continue de trouver des hôtes en abondance, où celui-ci évoluera au point de rendre obsolètes les sérums existants. Pour les dirigeants des pays occidentaux où la campagne d’immunisation devrait s’achever avant la fin de l’année, penser s’en sortir à bon compte en vaccinant ici, mais en laissant le virus faire des ravages au sud, c’est s’exposer à un retour de boomerang.
La bataille de la production de vaccins doit être gagnée. Si on laisse une poignée de multinationales et start-up l’organiser, jamais la pénurie ne sera vaincue. L’Inde et l’Afrique du Sud proposent depuis l’an passé d’activer une disposition de l’Organisation mondiale du commerce qui permet à un État d’exiger une levée des brevets sur les vaccins en cas de « situation d’urgence nationale ». Qui peut nier qu’on soit dans une telle situation ? Pour l’heure, les riches pays du Nord, Union européenne en tête, font obstacle. Depuis novembre, une initiative citoyenne européenne « Pas de profits sur la pandémie », soutenue par des partis et personnalités de gauche, par les principaux syndicats et de nombreuses ONG, cherche à recueillir un million de signatures pour demander à la Commission européenne qu’elle lève la protection intellectuelle sur les sérums et médicaments nécessaires pour lutter contre le fléau. L’idée fait son chemin. 170 ex-chefs d’État et de gouvernement ou prix Nobel viennent d’inviter le président américain, Joe Biden, à lever les brevets. Nous ne serons protégés que lorsque l’ensemble de l’humanité, plus de 7,8 milliards d’hommes et femmes, le sera.
« Pas de profit sur la pandémie ». Des États du Sud, qui en font la demande à l’Organisation mondiale du commerce, aux citoyens du Nord, qui interpellent l’Union européenne, la demande d’une suspension des règles de propriété intellectuelle devient un impératif. Retour sur une bataille pour faire du vaccin un bien public mondial.
La vaccination peut faire des miracles. L’an dernier, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a pu déclarer l’Afrique libre de la poliomyélite sauvage, une maladie très invalidante. Cette éradication a été possible grâce à une vaste campagne de vaccination. Si elle avait été menée avec les critères actuels, elle aurait coûté les yeux de la tête.
On doit le sérum contre la polio à Jonas Salk, virologiste états-unien, qui a fait le choix de ne pas déposer de brevet. « Peut-on breveter le soleil ? » avait-il alors ironisé. Son vaccin fonctionnait avec un virus affaibli. Depuis, des centaines de millions d’enfants et adultes ont été protégés par sa découverte.
Et si on faisait la même chose avec les vaccins contre le Covid-19 ? La question est plus que légitime. Quelques firmes vont engranger de juteux profits grâce à la pandémie. En février, Pfizer se prédisait une marge de 4 milliards de dollars (3,35 milliards d’euros) grâce à son vaccin. Pour les autres multinationales ou laboratoires, les chiffres sont similaires, bien qu’ils aient bénéficié d’immenses fonds publics pour financer leurs recherches.
Cette soif de profits pose souci. L’Europe, mais aussi les pays du Sud peinent à protéger leur population, car les détenteurs de brevets sont incapables de fournir des doses de vaccin en quantité suffisante, ne disposant pas des capacités de production nécessaires.
Pourtant, les usines de leurs concurrents, qui n’ont pas découvert le précieux sérum, ne tournent pas à plein et pourraient être utilisées à bon escient. Tout cela dépend, bien sûr, du bon vouloir des détenteurs de brevets, qui autorisent, ou non, leurs concurrents à produire le vaccin, moyennant rémunération. Le hic est que, bien que s’appuyant sur la recherche publique sur les ARN messager, ce sont des entreprises privées qui ont développé un vaccin. En France, l’Institut Pasteur a échoué.
D’autres équipes de chercheurs ont trouvé un vaccin, comme celle constituée par le virologue Kalle Saksela, en Finlande. Ils ont trouvé un sérum nasal, testé sur les animaux, qui était presque finalisé en mai. Mais, faute de financements, les tests sur les humains n’ont pas encore été lancés et ne le seront que prochainement. Seule l’Académie des sciences de Finlande a participé au tour de table. La découverte aurait pourtant un avantage : sa facilité d’administration.
Cet exemple est assez unique. Partout dans le monde, une autre option est avancée : la levée temporaire des brevets. Une proposition en ce sens est sur la table de l’Organisation mondiale du commerce, faite par l’Afrique du Sud et l’Inde, le 2 octobre 2020. Elle est « sponsorisée » par 57 États, et soutenue par une majorité de membres.
Les pays occidentaux, où se trouvent les sièges des multinationales du médicament, font de l’obstruction. Les pays du Sud ne sont pas les seuls à exiger une levée des brevets. Des centaines d’ONG, partis politiques et syndicats demandent, en Europe, une décision en ce sens, face à l’incapacité des multinationales et start-up à relever le défi de la bataille de la production.
Une initiative citoyenne européenne – « Pas de profit sur la pandémie » – est portée notamment par le groupe la Gauche (ex-GUE/NGL) au Parlement européen, des ONG, des syndicats et des partis. Elle vise à collecter un million de signatures pour exiger que la Commission européenne présente une législation faisant la transparence sur l’utilisation des fonds publics par les multinationales, mais surtout à permettre une dérogation temporaire aux brevets sur les vaccins afin d’accélérer leur production.
Les progressistes, sionistes et non sionistes, ont joué un rôle central dans la construction du pays. Auteur de l’Échec d’une utopie. Une histoire des gauches en Israël, l’historien évoque un nécessaire mouvement judéo-arabe qui dépasserait la question du sionisme pour faire barrage à la droite et aux religieux.
Alors que la scène politique israélienne est dominée par Benyamin Netanyahou et ses alliés religieux et d’extrême droite, le livre de Thomas Vescovi se concentre sur la gauche israélienne. À la lumière de l’histoire, le chercheur dresse quelques pistes d’avenir.
Thomas Vescovi Je parle de l’utopie du sionisme de gauche. Dès son origine, le sionisme avait plusieurs tendances. Celle qui était de gauche, qui s’appelait également le sionisme travailliste, avait pour ambition de fonder un État pour les juifs, mais sur des bases socialistes ou socialisantes. J’ai voulu proposer une histoire de ce sionisme de gauche en prenant en compte toute cette gauche juive en Palestine qui n’était pas sioniste, qui a essayé de s’extirper de son statut de colon pour essayer de proposer une société qui serait à la fois juive et arabe. Je conclus à l’échec de cette utopie parce que, si la gauche sioniste a bien fondé Israël en 1948 et qu’elle a été pendant les trois premières décennies du pays majoritaire à la Knesset, aujourd’hui Israël est un État profondément marqué par une hégémonie des nationalistes et des religieux, de la droite.
Thomas Vescovi Le sionisme de gauche parvient à se créer par le fait que, à l’époque, en Europe, les juifs sont victimes d’un antisémitisme assez ancré dans les sociétés, notamment en Europe de l’Est. Les mouvements politiques qui vont essayer justement de libérer les juifs de cet antisémitisme sont souvent issus de la tradition socialiste ou marxiste. L’idée est de dire que les juifs, en Europe, ne pourront jamais être libres tant que l’antisémitisme sera présent. Contrairement aux marxistes, pour le mouvement sioniste, cet antisémitisme n’est pas lié à une conjoncture, mais à une mentalité des sociétés qui sera très dure à combattre. Dès lors, l’idée des sionistes est de proposer une émigration sur une autre terre, qui va être la Palestine. Là-bas, les juifs pourront alors mener leur révolution socialiste, en étant libres et en sécurité. Dans les premières décennies du sionisme, il y aura des combats politiques entre les différentes tendances du sionisme. Pour les sionistes travaillistes, l’état de fait permettra d’obtenir un État. Si le soutien diplomatique était important, ce qui l’était encore plus, c’était d’être sur le terrain, d’intégrer les populations qui arrivaient en Palestine. La gauche sioniste va s’appuyer sur des structures comme la confédération syndicale Histadrout et des partis politiques qui vont s’unir entre eux et fonder les piliers sionistes en Palestine, dominée par la gauche. À cet égard, le kibboutz a été un symbole de la gauche sioniste. Il y avait là les deux branches du sionisme travailliste : la formation politique et la formation défensive, militaire. C’est pour cela qu’en 1948, les principaux généraux israéliens qui mènent la première guerre israélo-arabe sont tous issus du mouvement kibboutz.
Thomas Vescovi L’objectif pour moi était d’expliquer qu’on ne peut pas faire une histoire des gauches en Israël sans prendre en compte ces deux champs, la gauche sioniste et la gauche non sioniste. Cette dernière est d’abord issue de militants qui vont venir en Palestine avec parfois cet esprit de sionisme travailliste. Ils pensaient pouvoir mener à bien cette révolution des juifs. Mais, en arrivant sur le territoire palestinien, ils se sont aperçus d’une contradiction profonde. Si on est vraiment socialiste, marxiste, la manière dont on se comporte avec la population locale, palestinienne, n’est pas juste. Leur volonté n’est pas de créer des alliances sur la base de groupes communautaires, mais des alliances de classes sociales. Ce qui va dynamiser cette gauche non sioniste, c’est, dès 1917, la révolution russe puis, en 1919, la création du Komintern, l’Internationale communiste. C’est ce qui va permettre à cette gauche qui commence à se poser des questions sur le projet sioniste d’avoir un espace pour exprimer ses critiques. On a ainsi la création du premier Parti communiste en Palestine, qui deviendra plus tard le Maki. Dans ce cercle, on a vraiment l’idée de vouloir créer les bases d’une alliance politique entre Arabes et juifs en Palestine. Et la volonté de montrer aux sionistes de gauche qu’ils se trompent. Cette gauche non sioniste n’a jamais été très influente, n’a jamais eu beaucoup de pouvoirs décisionnels. Mais elle avait cette force de mobilisation parce qu’elle avançait un discours complètement hétérodoxe. Au sein du Parti communiste israélien et de la gauche non sioniste, il y a cette idée de militer côte à côte, d’essayer de comprendre les aspirations de chacun. Ça a parfois provoqué des divisions, notamment lorsque l’URSS s’est ralliée à la partition de la Palestine, en 1947. Les juifs communistes estimant que si l’URSS le soutient, c’est que le projet est plutôt progressiste. Ce qui n’était pas l’avis des Arabes communistes.
Thomas Vescovi Ces militants se sentent profondément habitants du pays, mais ils considèrent que la société telle qu’elle est doit changer. Beaucoup de militants antisionistes israéliens ont quitté le pays depuis les années 2000. Ils considèrent qu’on ne pourra plus changer les choses. Mais, ceux qui sont encore là-bas pensent qu’ils font partie du problème. Ils se sentent presque responsables de ce que la gauche israélienne fait et a fait au peuple palestinien. Dans ce cadre, leur terrain de lutte, c’est bien le terrain proche-oriental. Il est intéressant de voir comment ils font pour essayer de s’extirper de leur statut de colons. Avant la création d’Israël, il était très compliqué, pour les membres de cette gauche non sioniste d’avoir des Palestiniens dans leurs rangs. Parce qu’ils étaient vus comme des colons. Ils vont arriver parfois à se faire entendre et comprendre. Il reste que, jusqu’à aujourd’hui, c’est au sein de cette gauche non sioniste que réside l’offre politique la plus originale. C’est ce que j’essaie de démontrer dans le livre, avec plusieurs exemples. Et notamment la dynamique, depuis deux ans, autour de la Liste unie, dirigée par le communiste Ayman Odeh. Mais je pourrais parler aussi du militantisme de cette gauche non sioniste qui, au lendemain de la guerre des Six-Jours, s’est battue contre la colonisation et a forcé la gauche sioniste à revoir sa manière d’appréhender les choses. Au point d’être une petite dynamique du grand camp de la paix, qui va amener la gauche sioniste à se prononcer pour une solution à deux États. Il y a un lien direct entre une gauche non sioniste minoritaire mais ultra-active et qui va progressivement réussir à amener cette gauche sioniste à se repenser, à revoir ses méthodes. Aujourd’hui, dans cette gauche-là, il y a plutôt une rupture : une gauche sioniste qui tend davantage vers le centre, notamment les travaillistes. Et une gauche non sioniste, dynamique, mais qui malheureusement n’a pas de relais au sein de cette gauche sioniste.
Thomas Vescovi L’objectif central des travaillistes n’était pas la création d’un État palestinien indépendant, mais d’abord de négocier une séparation à l’amiable. Ils avaient comme ambition d’essayer de donner une autonomie aux Palestiniens et, surtout, de séparer les deux sociétés dans le cadre de négociations. Uri Avnery (ancien député, animateur de Gush Shalom – NDLR) expliquait que la gauche sioniste s’était fourvoyée pour deux raisons. D’abord, elle était persuadée que l’arrivée au pouvoir d’Yitzhak Rabin suffisait, la paix allait arriver. Ils avaient cette illusion justement parce qu’ils avaient une totale ignorance du quotidien des Palestiniens. Parce que la gauche sioniste est incapable de comprendre son statut d’occupant et de colon. Ils avaient l’impression qu’en 1993, négociaient deux peuples qui pouvaient parler d’égal à égal. C’est pourquoi, en 2000, lorsque la seconde Intifada éclate, le camp de la paix a été dans une complète incompréhension des événements.
Thomas Vescovi Israël a favorisé une espèce de paix économique. Aux yeux des Israéliens, tous les Palestiniens qui continuent à lutter sont perçus comme des ultraradicaux qui ne veulent pas la paix. La séparation forcée ayant été mise en place, la question palestinienne n’existe plus. Mais, en Israël même, les Palestiniens, qui représentent 18 % de l’électorat, ne sont pas à égalité avec les juifs. L’idée centrale de la Liste unie (Parti communiste et Arabes – NDLR) est de créer un nouvel espace politique. Ayman Odeh estimait que, si la gauche sioniste voulait faire barrage à l’extrême droite et aux religieux, elle devait obligatoirement se tourner vers ceux que représentaient sa liste. Pour Odeh, il fallait dès lors participer à des négociations, mais la stratégie a échoué. Netanyahou l’a bien vu, lors du dernier scrutin, ce mois-ci. Il s’est tourné vers les quatre députés islamistes qui ont quitté la Liste unie en arguant qu’il fallait dépasser le clivage droite-gauche en Israël et qu’il était prêt à prendre des mesures pour les Arabes israéliens à condition d’être soutenu.
Thomas Vescovi Au sein du Parti travailliste et du Meretz, la gauche sioniste, on a des dynamiques différentes. Chez les travaillistes, il y a l’idée qu’en ayant un projet social, on a de meilleurs résultats qu’en se fourvoyant vers le centre. Le Meretz commence à comprendre qu’il ne pourra pas survivre sans soutien au sein des Palestiniens. Si les travaillistes continuent à présenter un programme social, tout en acceptant la colonisation et en refusant de discuter avec Ayman Odeh et les Palestiniens d’Israël, ils devront alors accepter de n’être plus qu’une variable d’ajustement gouvernementale seulement bonne, après les élections, à soutenir le centre. Parce que la question principale aujourd’hui est de savoir si on va vers un État religieux ou non. Et le centre apparaît comme en défense du laïc. Une des priorités politiques du camp progressiste, c’est la défense d’un État où les tenants d’un judaïsme différent, libéral, pourraient s’exprimer. Là où on a l’impression que les religieux, notamment avec Netanyahou, ont plus de pouvoir. En 1949, il y avait 71 députés issus des gauches sioniste et non sioniste. En 2021, il y a 72 députés sur 120 qui viennent de la droite. Donc, la gauche sioniste doit, mathématiquement, se tourner vers les Palestiniens. Au sein de la gauche non sioniste, il sera intéressant de voir comment Ayman Odeh pourra proposer une autre solution. Mais il est à craindre que l’effritement ne se poursuive, s’il n’y a pas plus de convergence et de synergie entre ces deux gauches, au profit d’un mouvement judéo-arabe ou arabo-juif qui dépasserait la question du sionisme. C’est, à mon sens, la seule façon de faire survivre en Israël un camp progressiste et de gauche.
Chercheur indépendant en histoire contemporaine, Thomas Vescovi se penche sur les gauches israéliennes dans son dernier ouvrage. Il remonte aux sources du mouvement sioniste, analyse les débats qui ont eu cours et s’intéresse à la gauche non sioniste, voire antisioniste, notamment au Parti communiste israélien (qui regroupe juifs et Palestiniens) pour essayer de comprendre ce qui pourrait sortir Israël de l’ornière où il se trouve et chercher des pistes à travers l’histoire.
Le résultat final du scrutin législatif du 23 mars en Israël - le quatrième en deux ans - donne 30 sièges au Likud de Benyamin Netanyahu, soit 6 de moins que lors de l'élection précédente en mars 2020. Procédant à de savants calculs de différentes combinaisons, le quotidien Haaretz - ainsi que plusieurs autres journaux, avec des proportions légèrement différentes - estime que le bloc "pro-Netanyahu" ne rassemble que 52 sièges tandis que les "anti" affirmés à ce jour seraient au nombre de 57 avec à leur tête le "grand nouveau champion" le parti Yesh Atid avec 17 sièges, lequel ne pourrait rassembler que 45 soutiens selon les décomptes à l'issue des consultations du président israélien, Reuven Rivlin.
Dans ce contexte, et pour parer à toute éventualité, le fils aîné de Netanyahu, Yair a commencé à "twitter" sur l'air de Trump de "l'élection volée". Toutefois, s'il est un fait que le Premier ministre sortant n'a pas, pour le moment, de majorité gouvernementale, il est autant vrai que l'"opposition" qui brille par son caractère hétéroclite et même antagonique est loin de pouvoir s'unir autour d'un quelconque objectif commun si ce n'est, peut-être, de se débarrasser de Netanyahu.
L'apparence de ce scrutin, telle qu'elle est présentée généralement, est donc qu'il s'agissait d'un vote pour ou contre Netanyahu d'où, dit-on, avec une « absence de clivage gauche-droite », puisque l'on retrouve dans l’ « opposition » des partis de centre gauche comme Yesh Atid (ce qui reste de vague héritage du mouvement dit des tentes de 2011), de centre comme Kahol Lavan (Bleu-Blanc de Benny Ganz), des travaillistes, de la Liste jointe - à laquelle participe le Parti communiste israélien -, la Liste arabe unie - islamiste -, l'extrême droite nationaliste Ysrael Beiteinu et la droite religieuse comme le Shas.
Cette apparence recouvre, en fait, d'une chape de silence et d'occultation la question fondamentale de l'occupation de la Cisjordanie et de Jérusalem-Est et de l'emprisonnement de la Bande de Gaza. En l'absence de situation conflictuelle active susceptible d'inquiéter la population, le sort qu'il faudrait réserver aux territoires occupés n'a pas été un enjeu. La bantoustanisation de la Cisjordanie avec son cortège de crimes de guerre quotidiens, de spoliations de terres et d'exaction des colons n'a pas eu d'incidence sur le choix de vote de la très grande majorité des électeurs. C'est sur la négation de cette question existentielle - tant pour les Palestiniens que pour les Israéliens - que le courant politique dominant a en quelque sorte fabriqué une « réalité alternative », virtuelle, sur laquelle Netanyahu vogue avec la désagrégation de la conscience politique de la grande masse des Israéliens. « Il me semble que nous avons perdu la boussole morale qui était avec nous depuis l’indépendance de l’État jusqu’à aujourd’hui. La boussole des principes et valeurs fondamentales que nous nous sommes engagés à défendre » avait déclaré Reuven Rivlin le 12 octobre dernier dans un discours à la Knesset.
Et c'est dans ce contexte de cécité collective dominante que le chef du Likud et ses acolytes d'autres formations se partagent le pouvoir depuis près de vingt ans qu'ils considèrent comme étant leur propriété de droit divin.
De ce fait, Netanyahu peut se targuer de plusieurs « succès ».
Il est ainsi parvenu à briser l'élan de l'un des plus sérieux espoirs de retrouver des projets d'avenir viables qu'incarne la Liste jointe, dirigée par le communiste Ayman Odeh, en ce sens qu'elle est l'expression progressiste d'une aspiration à la citoyenneté, à l'égalité de droits, des habitants palestiniens et juifs de l’État d'Israël.
Dès sa proclamation en 1948, les dirigeants de cet État ont systématiquement fait en sorte que cette exigence reconnue dans le document fondateur, ne soit pas mise en pratique dans la réalité. Les villes à majorité palestinienne ont été systématiquement victimes de sous-investissements de toutes sortes tant dans les domaines économiques, sociaux, politiques et notamment de sécurité publique. La révolte des communautés arabes (20 % de la population d'Israël) contre la multiplication des agressions et des assassinats, mais aussi, dans le même temps, leur aspiration à la citoyenneté à part entière avaient permis à la Liste jointe d'obtenir 15 sièges lors du scrutin du 2 mars 2020, la plaçant ainsi en troisième position à la Knesset et en capacité d'influer sur le processus législatif.
Ce qui était totalement insupportable pour la droite hégémonique.
Jouant à fond la démagogie selon laquelle il comprenait les colères des Palestiniens d’Israël et qu'il leur viendrait en aide, Netanyahu - l'année précédente, il avait hurlé au "coup de force arabe dans les bureaux de vote" - a courtisé les fractions les plus conservatrices de la communauté. Il a conforté Mansour Abbas et sa Liste arabe unie dans son choix de rompre son alliance avec la Liste unie pour se lancer, seul, dans la compétition électorale. Le numéro 2 de ce dernier, l'ex-maire de Sakhim, Mazen Ghanayim a affirmé que sa formation était prête à agir pour tout ce qui était bon pour sa clientèle et que son mouvement était prêt à s'allier avec quiconque allait dans le sens de l'amélioration des conditions de vie de son « public » et ceci même au niveau gouvernemental. Comme les partis ultra-orthodoxes juifs, pour qui la halakha doit être la loi suprême pour les Juifs, les chefs de la Liste arabe affirment que leur objectif est la mise en pratique de la charia par les Arabes. Ce courant existe de longue date : il se rattache directement à la mouvance des Frères musulmans (dont le Qatar est actuellement le protecteur) et s'appuie sur les éléments les plus traditionalistes et patriarcaux de la communauté palestinienne d'Israël. Mais son succès relatif repose également sur la colère de la communauté palestinienne contre les inégalités dont elle est victime.
Il semble en outre qu'une fraction de la jeunesse palestinienne peu politisée a voté pour la Liste arabe. Les accords Abraham de relations diplomatiques avec des monarchies du Golfe ont créé l'illusion d'une porte qui s'ouvrait enfin sur un monde arabe rêvé et interdit jusqu'à présent. Le vote contre ces accords par la Liste jointe a été exploité contre elle par Mansour Abbas.
Ceci étant, il est un fait, qu'à la faveur d'un revirement électoraliste, Netanyahu (qui s'est fait appeler "Abu Yair" - père de Yair - lors de sa tournée chez les communautés bédouines du Negev) a fait définitivement sauter un tabou non-dit - une bataille déjà menée avec succès lors du scrutin de l'an dernier par la Liste jointe - la négation par l'isolement politique du droit des Palestiniens d’Israël à une citoyenneté à part entière comme leurs compatriotes juifs. Mais il l'a fait de la pire manière en faisant élire quatre députés islamistes et en faisant croire à Mansour Abbas qu'il pourrait prétendre être un "faiseur de rois" au même titre que d'autres politiciens chasseurs de faveurs.
La "réussite" majeure de Netanyahu, en sa qualité de parrain du fondamentalisme intégriste juif, est d'avoir fait entrer dans la Knesset l’extrême droite raciste, antiféministe, anti-LGBT et fascisante juive en lui permettant d'obtenir 6 sièges (avec un septième au sein de sa propre liste, celui attribué à Ofir Sofer), ceci d'ailleurs au détriment des partis religieux "traditionnels" dont au moins 10% d'électeurs - habituellement captifs - jeunes ont "choisi la liberté". Ce faisant, cette nouvelle ultra-droite, dont l'idéologie est générée par le trumpisme - et largement financée par des structures libertariennes comme la fondation des frères Koch -, est devenue hégémonique dans l'opinion publique. Et dans un même mouvement "populiste", la culture politique des colons en Palestine occupée est devenue dominante et est agréée par la majorité de la société israélienne, soit 70% des électeurs. Dans ce sens, on peut d'ailleurs estimer que Netanyahu et consorts ont participé au parachèvement d'un processus enclenché par la conquête et l'occupation des territoires palestiniens et arabe lors de la guerre de 1967. Leur annexion définitive avec un statut d'apartheid pour les Palestiniens, est devenue une évidence "normale".
La "nouvelle" alliance comprenant des héritiers de l'organisation Kach se nomme désormais « le parti du sionisme religieux ». Prônant le suprémacisme juif et la déportation des Palestiniens, non seulement des territoires occupés mais aussi d'Israël - "la terre des Juifs de la Méditerranée au Jourdain" - ses chefs ont fêté leur succès d'une manière tonitruante. Itamar Ben Gvir l'un des deux chefs de l'alliance avec Bezalel Smotrich, est un disciple du rabbin Meïr Kahana, fondateur du parti raciste Kach. Cette formation avait été classée "terroriste" en Israël comme aux États-Unis après l'assassinat en 1994 de 29 Palestiniens dans le lieu saint juif et musulman, dit le "Tombeau d'Abraham", à Hébron, par l'un de ses disciples, Baruch Goldstein que Ben Gvir n'hésite pas à qualifier de "héros". En France, elle se manifeste sous le nom de Ligue de défense juive (LDJ).
Dès avant l'annonce des premiers résultats, Ben Gvir a proclamé que Netanyahu avait besoin de sa présence au gouvernement et qu'il souhaitait être le ministre de la Défense « de la Galilée et du Negev » - c'est-à-dire des régions essentiellement habitées par des Palestiniens d’Israël. Une fois élu, il a affirmé qu'il expulserait « uniquement » les Arabes « déloyaux » - autrement dit tous ceux qui ne feraient pas allégeance en prêtant serment à « l’État-nation juif » - tout en laissant entendre que l'on pourrait transformer ces zones en bantoustans puisque son objectif était de « protéger les résidents des zones périphériques qui souffrent d’une recrudescence non traitée de la criminalité arabe ». Il a été entendu : mercredi soir ses nervis ont vandalisé des dizaines de voitures de Palestiniens d’Israël à Kfar Qassem et "tagué" le slogan "l'expulsion ou la mort". Ce même 7 avril, à la veille de la commémoration mémorielle de la Shoah, s'adressant à la Knesset au député de la Liste jointe Ahmad Tibi, Bezalel Smotrich a affirmé : « Un vrai musulman doit savoir que la Terre d’Israël appartient au peuple juif, et (...) les Arabes comme vous qui ne le reconnaissent pas ne resteront pas ici. » « Du bist ein Rassist [Tu es un raciste] », lui a répondu Ahmad Tibi.
« Il n'y a plus de question palestinienne » est devenu un mot d'ordre largement popularisé. Et c'est là la troisième performance de Netanyahu. Dans l'immédiat, il projette ainsi de faire légaliser les « avant-postes » coloniaux en Cisjordanie. Il s'agit d'implantations, souvent construits en dur, de colonies que des sionistes religieux installent sur des terres appartenant à des Palestiniens qu'ils terrorisent sous le regard indulgent et complice des troupes d'occupation. Cette manière de reprendre de plus belle le processus d'annexion rampante est l'un des objectifs que Netanyahu va vendre aux partis qu'il courtise en échange d'une majorité à la Knesset. Ce qui, malheureusement, va de soi désormais pour l'opinion israélienne majoritaire, d'autant que les grands partis du « centre-gauche », trop couards de perdre des voix, sont restés totalement muets quant à la recherche d'une solution de paix et, éventuellement, de la coexistence de deux États. Un thème uniquement déployé par la Liste jointe qui s'est battue sur ces deux fronts intrinsèquement liés : la défense et la promotion des droits des Palestiniens d’Israël et celle de la fin de l'occupation des terres palestiniennes.
Pour les commentateurs reconnus médiatiquement, Netanyahu, par sa stratégie tous azimuts a participé à une sorte d’érosion (et de multiplication du nombre, treize actuellement) des partis à la Knesset - y compris le sien, en dégât collatéral - afin de ne pas avoir d'adversaire sérieux et, de ce fait, de pouvoir demeurer Premier ministre. Pour lui, il s'agit d'une obligation incontournable pour ne pas tomber dans la déchéance judiciaire du fait de multiples accusations de corruption. Ceci étant, la décomposition en un État illibéral - précurseur d'un État fasciste selon Haaretz - de ce qu'il est aujourd’hui encore, de bon ton d'appeler la démocratie israélienne, est bien en marche.
Le président Rivlin a désigné, mardi 6 avril, Netanyahu pour tenter de former un gouvernement. Ce faisant, ce personnage issu du Likud, accorde à « Bibi » quoi qu'on en dise, 28 jours de liberté d'initiative, auxquels il pourra ajouter deux semaines de plus. Le Premier ministre sortant est d'autant plus dangereux qu'il se sent en difficulté, alerte Haaretz : « Nous découvrirons un Netanyahu que nous n'avons jamais vu auparavant ; plus désespéré et dangereux que jamais, sans qu'on ait rien pour le maintenir sous contrôle. »
C'est ainsi que le bruit court que Netanyahu pourrait se faire nommer président de l’État par la Knesset. En effet, il se murmure à Tel Aviv que cette manœuvre - le mandat de 7 ans de Rivlin s'achève cet été - permettrait de lui ouvrir une "porte de sortie" tout en s'en débarrassant. Certains élèvent contre ce projet l'objection que « ce serait donner une bien piètre image d'Israël au reste du monde' », au point que le groupe travailliste (7 députés) vient de déposer un projet de loi pour contrer cette hypothèse. « Mais est-ce une préoccupation accessible aux fanatiques aveuglés majoritaires à la Knesset ? », répond-t-on.
Les semaines qui viennent vont être l'occasion d'un spectacle d’âpres et souvent sordides marchandages pour rassembler une majorité autour de Netanyahu. Le cas échéant, le premier acte du "roi d’Israël" sera de mettre fin à l'indépendance des juges suprêmes - à l'instar de ses collègues polonais et hongrois, Mateusz Morawiecki et Viktor Orban - afin de pouvoir se couvrir de l'immunité, en faisant voter une législation autorisant la Knesset à casser une décision de justice. Si Netanyahu échoue, ce sera le tour de Yair Lapid, le chef du deuxième parti de la Knesset, Yesh Atid. Il est déjà quasiment certain qu'il ne pourra pas rassembler une majorité face à l'arrogance de la droite extrémiste.
Ira-t-on alors vers un cinquième scrutin législatif ? Une coalition autour de Netanyahu serait-elle impensable ? comme croit pouvoir l'affirmer le Times of Israel en remarquant cependant : « Ajoutez à ce cauchemar ingouvernable le fait que cette nouvelle coalition comprend l’extrémiste kahaniste Itamar Ben Gvir et le militant anti-LGBT Avi Maoz, (du parti ultra-religeux Noam - ndr), deux représentants de la frange la plus radicale de la droite de la vie politique israélienne que Netanyahu a contribué à faire entrer au Parlement, et la « victoire » commence à ressembler à une déroute. »
Michel Muller
membre du Collectif Palestine du PCF
Le 6 avril dernier, lors de la prestation d’allégeance à l’État et à la Knesset, quatre des six députés de la Liste unie (Joint List) ont pris l'engagement solennel, en lieu et place du serment habituel, d'agir contre l'occupation, l'apartheid et le racisme. La parlementaire Aida Touma-Suleiman, de Hadash (Parti communiste d'Israël) a ainsi fait le serment suivant : « Je m’engage à combattre l’occupation ». Ofer Cassif également membre du Hadash a quant à lui déclaré : « Je m’engage à lutter contre le racisme et les racistes. » Les quatre élus ont été expulsés de la Knesset par la police. Ils sont sous la menace de lourdes sanctions, y compris d'être contraints au silence.
Trois jours plus tard, Ofer Cassif, "le seul député juif de la Liste unie", précise la presse de Jérusalem, participait à la manifestation organisée chaque vendredi à Jérusalem-Est contre l'expulsion de leur logement de familles palestiniennes au profit de colons, dans le quartier de Sheikh Jarrah.
Agressé par des policiers réprimant la manifestation, alors qu'il leur avait indiqué qu'il était membre de la Knesset, Ofer Cassif a été violemment frappé et jeté à terre où les coups n'ont pas cessé. "Dans un clip, on peut voir un officier mettre un genou sur le visage de Cassif alors qu’il est au sol" constate le Times of Jerusalem. « Un policier m’a donné un coup de poing au visage et a cassé mes lunettes. Ils m’ont traîné sur le sol et même lorsque j’étais allongé sur le sol, ils ont continué à me frapper. Deux policiers m’ont insulté et n’ont pas laissé l’ambulancier qui était là s’approcher de moi. », a indiqué Ofer Kassif en constatant : « Ce n’est pas la violence contre un député qui est le problème principal ici, c’est la brutalité policière continue contre tous les manifestants ». Sa collègue, Aida Touma-Sliman, a fait observer que la police avait le « feu vert » du gouvernement pour agir violemment. « Ofer a été attaqué par le même gouvernement et la même police qui tentent agressivement d’imposer le régime de l’occupation et des colons à Jérusalem-Est », a-t-elle précisé.
Michel Muller
membre du collectif Palestine du PCF
Journée internationale des prisonniers politiques - Liberté pour les prisonniers et les prisonnières politiques palestinien·es
Aujourd’hui, 4450 hommes, femmes, enfants, prisonnier·es politiques palestinien·nes sont détenu·es dans les geôles israéliennes.
Parmi eux, 140 enfants (moins de 18 ans), privés de scolarité ; 10 députés (membres du conseil législatif palestinien) privés de leur droit d’exercer leur mandat ; 26 journalistes pour avoir exercé leur droit à informer ; 440 sont en détention administrative (dont des enfants), c’est-à-dire emprisonnés sans inculpation ni jugement, 1 à 6 mois renouvelables indéfiniment.
Ainsi, la députée et militante féministe Khalida Jarrar a été condamnée à 2 ans de prison après avoir attendu son jugement pendant 16 mois. Marwan Barghouti, également député, condamné par les tribunaux d’occupation à 5 fois la perpétuité et emprisonné depuis 19 ans.
Les arrestations sont violentes et on lieu très souvent lors de raids nocturnes par des soldats lourdement armés.
Il s’agit d’une parodie de justice, d’une justice d’occupation. En Cisjordanie, les procédures sont militaires. Ce sont des tribunaux et des cours d’appels composés de militaires israéliens qui siègent au sein de 25 prisons ou centres de détention pour juger les Palestiniens.
Depuis 1967, près d’un million de palestiniens et de palestiniennes ont été emprisonné·es par les autorités militaires israéliennes. Ce chiffre illustre la politique de répression du peuple palestinien par les autorités israéliennes. Les arrestations et l’emprisonnement de masse sont une pratique systémique, pièces maitresses de l’occupation de la Palestine et du régime d’apartheid israélien. Il s’agit d’une attaque contre toute la société palestinienne.
Les conditions de détention sont indignes, les tortures lors des interrogatoires, la négligence et la maltraitance médicales sont d’usage courant.
Toutes ces pratiques violent le droit international des droits humains et le droit humanitaire de la guerre : Déclaration Universelle des droits de l’homme, IVème convention de Genève, Convention Internationale relative aux Droits de l’Enfant (C.I.D.E.).
En ce 17 avril, journée internationale de solidarité avec les prisonniers politiques palestiniens,
L’AFPS dénonce la violation du droit international par l’État d’Israël.
L’AFPS demande que la France prenne les mesures qui s’imposent pour faire pression sur l’État d’Israël afin qu’il cesse cette politique illégales et indigne.
Aux côtés des défenseurs des droits humains palestiniens, nous demandons la libération de tous les prisonniers et toutes les prisonnières politiques palestinien·nes !
Le Bureau National de l'AFPS
Le 16 avril 2021
Rappel: deux conférences en ligne ce week-end sur ce sujet
- ce samedi 17 avril à 15h à l'initiative du réseau Barghouthi des villes françaises ayant pour citoyen d'honneur un prisonnier palestinien
https://www.france-palestine.org/Visioconference-Solidarite-avec-les-prisonniers-politiques-palestiniens
- ce dimanche 18 avril à 17h, à l'appel de la campagne pour la libération immédiate des enfants palestiniens prisonniers d’Israël (dont l’AFPS est membre)
https://www.france-palestine.org/Webinaire-sur-la-situation-des-enfants-palestiniens-emprisonnes-par-Israel
17 avril, journée internationale de solidarité avec les prisonniers palestiniens:
ils sont 4450 enfermés dans les geôles israéliennes, parmi eux, 140 enfants, 37 femmes et 440 détenus administratifs. La crise sanitaire n’a pas ralenti les arrestations puisque depuis septembre 2020, ce sont 100 Palestiniens de plus qui sont dans cette situation insoluble, ce type de détention de 6 mois, sans procès, pouvant être renouvelé à l’infini.
Alors qu’au moins 140 prisonniers auraient contracté le virus depuis le début de la pandémie, le gouvernement israélien par la voix du ministre de la Sécurité publique, Amir Ohana, a enjoint l’administration pénitentiaire d’attendre pour vacciner les détenus palestiniens. Il a fallu la pression d’ONG et de la justice pour qu’il fasse machine arrière.
La question des prisonniers et de leur libération sans conditions reste un acte central des revendications palestiniennes. Selon les derniers sondages du Palestinian Center for Policy and Survey Research, Marwan Barghouti, incarcéré depuis 19 ans et condamné à 5 peines à perpétuité, est même donné vainqueur des prochaines élections qui pourraient se dérouler à l’été.
C’est parce que le PCF soutient les droits du peuple palestinien que nous avons choisi ce moment pour lancer notre premier bulletin « Pour une paix juste et durable ».
La période ne permettant pas les rencontres dans le réel, il nous a paru utile de partager au moins virtuellement des éléments d’analyse de notre collectif sur l’actualité palestinienne et israélienne, les communiqués mais aussi des choix de lectures, de vidéos…
Il a été élaboré par le collectif de travail « Pour une paix juste et durable » qui se réunit depuis une dizaine d’année. N’hésitez pas à le partager !
Pour s’inscrire, contactez-nous par mail : collectif-palestine@pcf.fr
Mathilde Caroly
responsable du collectif Palestine du PCF
Le gouvernement d’Israël bafoue les droits fondamentaux du peuple palestiniens. Il bénéficie du soutien inconditionnel des États-Unis (seule la résolution 2334 (2016) ne s’est pas vu opposée un véto) et aussi du silence complaisant de l’Europe.
Sous la présidence de Donald Trump les exactions se sont accélérées
Aujourd’hui Joe Biden est au pouvoir à Washington, à l’initiative de quatre anciens hauts responsables israéliens : Zehava Galon, ancienne dirigeante du parti de gauche Meretz ; Avraham Burg, ancien président de la Knesset et ancien député travailliste ; Naomi Chazan, ancienne présidente du New Israel Fund et ancienne députée Meretz ; et Michael Ben-Yair, ancien procureur général, une tribune a été proposée aux parlementaires européens (tribune en français).
« L’annexion se déroule sous nos yeux : la colonisation et les démolitions de maisons palestiniennes s’accélèrent et l’Europe doit prendre des actions immédiates et concrètes pour que cessent ces pratiques destructrices, en travaillant avec l’administration Biden », a déclaré Avraham Burg, ancien président de la Knesset, à l’AFP.
Pour répondre à cette sollicitation, 442 députés et sénateurs de 22 pays d’Europe ont signé la lettre, envoyée dans la nuit de dimanche à lundi à Josep Borrell, haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, et aux ministères des Affaires étrangères des 28 pays européens.
Le PCF rappelle qu’il existe un moyen de pression légitime : la suspension de l’Accord d’association entre l’Union européenne et l’État d’Israël tant que celui-ci n’en respectera pas l’article 2. Cet article précise que l’ action de l’Union (…) repose (...) sur l’universalité et l’indivisibilité des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, le respect de la dignité humaine, les principes d’égalité et de solidarité, et le respect des principes de la charte des Nations Unies et du droit international », et qu’elle « s’efforce » de développer ses relations avec les pays tiers « qui partagent » ces principes.
Nathalie L'Hopitault
membre du collectif Palestine du PCF
Chargé d’études à l’Observatoire des armements et auteur d’un rapport sur le contrôle des ventes de matériel militaire, Tony Fortin décrypte le retard institutionnel français et montre comment chez nos voisins le travail démocratique progresse. Entretien.
Tony Fortin Effectivement, ce débat demeure faible, à l’exception de quelques indignations conjoncturelles dès qu’on constate que des armes sont massivement utilisées pour commettre des massacres ou dans le cadre de conflits dans lesquels la France joue un rôle prépondérant, tels que le Yémen, le Rwanda ou la guerre du Golfe. Dans les années 1970-1980, déjà, les médias dénonçaient les ventes d’armes de la France à l’Afrique du Sud de l’apartheid. Pourtant, ces initiatives peinent à déclencher un véritable travail du Parlement sur le sujet. Pourquoi ? Parce qu’il y a une place prépondérante de l’outil militaire pour maintenir le rang de la France dans le monde, que l’on n’arrive pas à remettre en question.
Il y a aussi le problème de la concentration des pouvoirs entre les mains du président de la République, qui l’autorise à vendre des armes ou déclencher des guerres. Un relatif consensus existe au sein de la classe politique pour maintenir ces outils de puissance. À cela s’ajoute la faiblesse du Parlement en France, qui est sans cesse dévalorisé par l’exécutif, lequel ne lui donne pas les attributs nécessaires à un véritable contrôle.
Les députés n’ont pas accès aux informations qui sont disponibles dans d’autres pays de l’Union européenne, comme les quantités de matériel livré ou les notifications de refus lorsque des exportations ne sont finalement pas autorisées. Et quand les parlementaires posent une question au gouvernement, on leur oppose une fin de non-recevoir, ce qui est inimaginable ailleurs dans l’Union européenne. Il y a vingt ans, les autres pays de l’Union étaient pourtant au même niveau que nous. Ils ont progressé, contrairement à nous.
Tony Fortin Il y a plusieurs aspects, notamment la question de l’emploi dans les sociétés d’armement ; cette idée que, dans une période de crise, il est nécessaire de maintenir l’emploi dans ce secteur, avec des syndicats puissants et des partis politiques sensibles à cette question. Ce qu’on oublie de dire, c’est que les exportations d’armes, c’est juste 1,3 % du total de nos exportations. Or, on pourrait tout à fait faire le choix de reconvertir les sociétés d’armement vers d’autres secteurs et de maintenir l’emploi. C’est une question de choix politique.
De temps en temps, un rapport parlementaire est rédigé et préconise des solutions pour lutter contre cette opacité, mais, lorsque nous sollicitons des députés pour leur mise en œuvre, on fait face à un blocage. Autre exemple, nous avons détecté une prison secrète sur le site de Total au Yémen, et cela fait des semaines que nous demandons en vain l’audition à l’Assemblée nationale de Patrick Pouyanné, le PDG du groupe.
Tony Fortin Oui, même s’il ne faut pas non plus idéaliser ce qui se passe à l’étranger, parce que ce n’est pas un simple changement institutionnel qui va tout résoudre : la politique est aussi construite par chacun de nous, par les mobilisations sociales et parlementaires. Ces vingt dernières années, il y a eu des améliorations dans un certain nombre d’États de l’Union européenne, tels que le Royaume-Uni, les Pays-Bas ou l’Allemagne, sur lesquels notre dernier rapport s’est concentré de manière exhaustive, même si nous aurions pu également nous pencher sur les cas de la Suède et de l’Italie, où il y a eu aussi des progrès. Ces trois pays, qui avaient une transparence quasi nulle au début des années 2000, font maintenant preuve de toute la transparence nécessaire sur les contrats d’armement, les types et les quantités de matériel, les refus d’exportation, etc.
En France, c’est aux citoyens ou aux parlementaires de dénoncer l’État lorsqu’il a livré tel ou tel type d’armement suspect.
Au-delà de l’accès à l’information, il y a également des dispositifs qui permettent d’enclencher une surveillance par les parlementaires. Par exemple, en Allemagne ou aux Pays-Bas, ces derniers sont informés sous quinze jours des nouvelles licences d’exportation d’armements qui sont délivrées par l’État. En cas de licence litigieuse, ils sont en capacité de créer un débat en amont, avant même que le matériel ne soit exporté. Cela a transformé les pratiques politiques, mais, en France, c’est aux citoyens ou aux parlementaires de dénoncer l’État lorsqu’il a livré tel ou tel type d’armement suspect.
Au Royaume-Uni, il existe une commission parlementaire dédiée qui mène des enquêtes sur les ventes d’armes britanniques. Par exemple, le débat sur la guerre au Yémen a eu lieu de manière très approfondie dès 2016. Ces « comités », comme on les appelle outre-Manche, ont conclu à la nécessité de suspendre les ventes d’armes à l’Arabie saoudite. Le débat parlementaire et démocratique est donc porteur de changement. Il y a eu des suspensions de livraison concernant la guerre au Yémen en Suède, en Norvège, en Italie ou en Allemagne, qui sont encore une fois la concrétisation de ces avancées démocratiques.
On peut également souligner le travail réalisé sur les ventes d’armes légères en Allemagne, pays qui a pendant longtemps été le quatrième exportateur mondial de ce type d’armement, et qui a abouti à un accord de gouvernement interdisant les ventes à des pays tiers en dehors de l’Union européenne. On a aussi l’annulation d’un contrat de vente de chars à l’Arabie saoudite en 2013, toujours en Allemagne, ou de chars Leopard à l’Indonésie par les Pays-Bas en 2012.
Il faut mettre en place cette commission d’enquête parlementaire permanente sur les ventes d’armes, qui aurait accès aux données classées secret-défense sur les contrats.
Tony Fortin Il faut mettre en place cette commission d’enquête parlementaire permanente sur les ventes d’armes, qui aurait accès aux données classées secret-défense sur les contrats. Cela permettrait un suivi régulier et de fond, sinon on va rester sur des indignations sélectives sans pouvoir agir en amont, lorsque les contrats sont négociés et décidés. Les parlementaires ne se substituent pas forcément à l’exécutif ; en restant pragmatique, on sait que ça va être compliqué. Mais le Parlement doit au moins jouer son rôle d’alerte et s’imposer comme une réelle voix indépendante.
Dans un document interne au gouvernement, révélé par l’ONG Disclose, un service de Matignon s’oppose clairement à un contrôle plus démocratique des exportations d’armement et cherche à mettre sous cloche les députés. Un enjeu pourtant brûlant depuis qu'a été révélé que des armes françaises ont été utilisées par l’Arabie saoudite dans la guerre au Yémen, y compris contre des populations civiles.
Qu’importe l’éthique, pourvu qu’il y ait la vente. Les exigences de transparence liées aux exportations d’armes ne semblent pas préoccuper la France, à en croire une note gouvernementale révélée par l’ONG Disclose, cette semaine. Ce document, rédigé par le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), service rattaché à Matignon, s’oppose aux propositions du rapport signé par les députés Jacques Maire (LaREM) et Michèle Tabarot (LR). Publié le 17 novembre, il vise à doter le Parlement d’un contrôle plus démocratique des exportations d’armements. L’intérêt est principalement de savoir quel usage est fait par les puissances étrangères de ces achats. Une question particulièrement brûlante en 2019, lorsqu’il a été révélé que des armes françaises ont été utilisées par l’Arabie saoudite dans la guerre au Yémen, y compris contre des populations civiles, selon les rapports de plusieurs ONG. Ce qui contrevient au traité de l’ONU sur le commerce des armes, exigeant notamment qu’elles ne puissent servir à « des attaques dirigées contre des civils ou d’autres crimes de guerre ».
C’est donc pour éviter cela que le rapport de Jacques Maire et Michèle Tabarot propose la création d’une commission parlementaire spécifiquement dédiée à cette question. Mais, pour la SGDSN, le risque serait que « les clients » soient « soumis à une politisation accrue des décisions » qui nuirait aux affaires. Or, c’est bien pour prendre en compte des considérations politiques, à savoir ne pas vendre des armes pour des usages disproportionnés de la force, qu’une exigence de transparence est défendue. « Cette note semble indiquer que le gouvernement fait passer les intérêts financiers liés aux exploitations d’armes avant la protection des vies humaines, comme s’il s’agissait d’un banal commerce », dénoncent 13 ONG, dont Amnesty International.
Dans cette note, destinée à l’Élysée, Matignon et aux ministères des Armées, des Affaires étrangères et de l’Économie, la SGDSN avance un autre argument pour empêcher le contrôle parlementaire : « Sous couvert d’un objectif d’une plus grande transparence et d’un meilleur dialogue entre les pouvoirs exécutif et législatif, l’objectif semble bien de contraindre la politique du gouvernement en matière d’exportation. » Une phrase limpide, qui laisse penser qu’en cas de contrôle certaines ventes pourraient être annulées… « La main sur le cœur, l’exécutif nous dit qu’il respecte le droit international. Mais pourquoi dans ce cas-là serait-il réticent à ce qu’il y ait un regard extérieur sur ces ventes et pourquoi y opposer des arguments économiques ? » questionne André Chassaigne, chef de file des députés PCF.
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La SGDSN explique même que ce contrôle sur l’usage des armes vendues serait impossible, ces informations étant soumises au secret-défense. « C’est un peu facile pour l’exécutif de se cacher derrière cet argument pour empêcher les parlementaires d’agir. Il faut lever le secret-défense lorsque c’est nécessaire, notamment sur cette question, pour s’assurer que la France respecte les traités qui l’engagent », rétorque le député FI Bastien Lachaud. « On peut comprendre que ce secret existe, mais pourquoi ne pas imaginer que les députés qui siégeraient dans cette commission soient soumis à une obligation de réserve, comme cela arrive dans d’autres domaines ? » abonde André Chassaigne.
Pour empêcher que la proposition aboutisse, la SGDSN propose au gouvernement une stratégie, quitte à bafouer la séparation des pouvoirs : « Il convient de confirmer, avec les principaux responsables de l’Assemblée nationale, qu’ils s’y opposeront », préconise la note. Pour Bastien Lachaud, cette porosité entre l’exécutif et le législatif aurait déjà été à l’œuvre dès l’écriture du rapport parlementaire : « J’ai du mal à penser qu’un député de la majorité comme Jacques Maire ait pu rédiger un rapport, que les députés LaREM l’aient voté, sans qu’il y ait au moins un accord global avec le gouvernement. »
Ce rapport devait-il servir la communication de la Macronie, pour paraître publiquement pour transparence, mais, en sous-main, empêcher qu’elle ne se mette en place ? Une stratégie qui semble se confirmer dans la note de la SGDSN, qui préconise sans vergogne « d’adopter une position ouverte sur les propositions de renforcement de l’information du Parlement ». Tout en les torpillant.
Lundi, en marge de la visite controversée du président égyptien Abdel Fattah Al Sissi, Emmanuel Macron déclarait : « Je ne conditionnerai pas notre coopération en matière de défense comme en matière économique à ces désaccords » sur les droits de l’homme. Troisième plus gros vendeur d’armes au monde, la France a pour principaux clients, entre 2010 et 2019, l’Inde, le Qatar, l’Égypte et les Émirats arabes unis.
Enzo de Gregorio et le mouvement des Jeunes Communistes du Finistère ont écrit aux maires d'un certain nombre de communes du département pour qu'ils s'engagent pour la libération du leader palestinien embastillé Marwan Barghouti en donnant par exemple un nom de rue à ce Parlementaire palestinien très populaire emprisonné depuis 2002 par Israël.
Le Télégramme du jour.
En prison depuis dix-neuf ans, le dirigeant du Fatah est donné vainqueur à la présidentielle en cas de candidature. Pour les législatives, cette figure palestinienne soutient une liste dissidente.
Face à l’effritement de son pouvoir, la colère dans les villes et les camps de réfugiés, tant en Cisjordanie qu’à Gaza, et l’illégitimité qui le gagne (la dernière élection présidentielle palestinienne s’est déroulée en mars 2005 et les législatives en janvier 2006), le président palestinien, Mahmoud Abbas, se devait de réagir.
Mi-janvier, il a annoncé que le scrutin parlementaire se tiendrait le 22 mai, la présidentielle le 31 juillet et le renouvellement du Conseil national palestinien, la plus haute instance décisionnelle de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), le 31 août. Une décision attendue avec impatience : plus de 93 % des Palestiniens en âge de voter se sont inscrits pour pouvoir le faire.
La Commission électorale centrale palestinienne (PCEC) a fait savoir que 36 listes de candidats avaient été enregistrées pour ce scrutin à la proportionnelle intégrale où au moins deux femmes doivent être parmi les dix premiers et représenter 26 % de l’ensemble. La surprise est venue de Marwan Barghouti, la figure politique palestinienne la plus populaire.
Condamné à cinq peines de prison à perpétuité et à quarante ans de prison au cours d’un procès totalement illégal puisqu’il était député et a été enlevé en territoire palestinien par l’armée d’occupation en avril 2002, Marwan Barghouti n’a pas cessé de lutter. Malgré ses 19 ans d’emprisonnement, il a gardé la détermination des premiers jours. Le journal israélien Haaretz va même jusqu’à le décrire comme « l’homme qui pourrait mener son peuple à l’indépendance ».
Bien que membre du Fatah, il a décidé de soutenir une liste baptisée « Liberté », qui sera dirigée par Nasser Al Kidwa, neveu de Yasser Arafat, ancien ministre des Affaires étrangères, et dont la figure numéro 2 ne sera autre que Fadwa Barghouti, son épouse. « Nous espérons que cette liste mènera à la démocratie, a déclaré cette dernière. Nous avons enregistré cette liste et nous espérons qu’elle réussira. »
Si Marwan Barghouti s’engage derrière une liste classée comme indépendante et ne soutient pas celle de son parti, dont il est membre du comité central (mais des rumeurs disent qu’il vient d’être exclu de la formation historique, comme c’est officiellement le cas pour Nasser Al Kidwa), c’est parce que les discussions avec Mahmoud Abbas sur la constitution d’une liste large, incluant des Fatawis (membres du Fatah) et des personnalités reconnues pour leur intégrité, n’ont pas abouti.
À l’heure où la corruption gangrène le Fatah et où cette formation est engluée dans une cogestion de l’occupation via l’Autorité palestinienne et les accords de coopération sécuritaire avec Israël, il fallait donner un signal aux Palestiniens de Cisjordanie et de Gaza.
D’autant que le Hamas entend bien tirer les marrons du feu et que Mohammed Dahlan, ancienne figure du Fatah, parti aux Émirats arabes unis, devenu homme lige des monarchies du Golfe, entend bien redistribuer les cartes. Les formations de gauche partent désunies. Les communistes du Parti du peuple palestinien (PPP), avec Fadwa Khader en tête, dirigeront une liste formée avec le Fida. Mais le Front populaire de libération de la Palestine (FPLP) fera cavalier seul.
Selon le Palestinian Center for Policy and Survey Research, qui a effectué un sondage récemment, la participation électorale serait de 79 %. Le Hamas obtiendrait 27 % des suffrages, contre 24 % au Fatah, 20 % à « Liberté », soutenue par Barghouti, et 7 % à la liste « Avenir » de Dahlan. Dans cet affrontement de mastodontes, les partis de gauche sont crédités de peu de voix. Mais tous les regards se portent également vers la présidentielle.
L’argumentaire du Fatah contre la liste où figure Fadwa Barghouti est sans surprise : la multiplication des listes favoriserait le Hamas.
Marwan Barghouti candidat écraserait ses adversaires avec 22 % des voix, contre 14 % à Ismaël Haniyeh, du Hamas, 9 % à Mahmoud Abbas et 7 % à Dahlan. Depuis plusieurs semaines maintenant, Nasser Al Kidwa a fait savoir qu’il soutiendrait la candidature de Marwan Barghouti « sans réserve et avec force ».
L’argumentaire du Fatah contre la liste où figure Fadwa Barghouti est sans surprise : la multiplication des listes favoriserait le Hamas. Si l’on en croit les sondages et d’un point de vue purement arithmétique, c’est vrai.
En termes politiques, il en va tout autrement. Nombreux sont les Palestiniens toujours attachés au Fatah en tant qu’organisation fondée par Yasser Arafat et au rôle historique évident mais peu enclins à voter pour lui au vu des figures le représentant : du vieillissant Mahmoud Abbas, 85 ans, aux jeunes (ou moins jeunes) loups qui veulent se partager une poule aux œufs d’or sans aucune initiative nouvelle capable de redonner un sens à la lutte du mouvement national contre l’occupation et la colonisation. Alors que Marwan Barghouti représente bien ce combat aux yeux des Palestiniens. La liste qu’il soutient pourrait aussi éviter une hémorragie de voix vers le Hamas.
D’ici aux élections, tout peut encore bouger. Mahmoud Abbas et ses partisans vont sans doute tenter d’intégrer la liste « Liberté » dans la leur. À quelles conditions ? C’est la question. Mais déjà ils brandissent une possible annulation de la tenue du scrutin si Israël ne permet pas aux Palestiniens de Jérusalem-Est de participer aux élections.
Une condition réelle mais qui apparaît comme une ultime manœuvre de la part d’un clan au pouvoir prêt à s’entendre avec le Hamas plutôt qu’à écouter les revendications des Palestiniens. Ces derniers ont hâte de s’exprimer et attendent un signal de mobilisation et d’encouragement pour renforcer la résistance populaire.