Une députée HDP a interpellé le ministre des Affaires étrangères turc sur les disparitions dans les zones occupées par Ankara en Syrie. Certaines auraient été transférées en Libye.
Députée du Parti démocratique des peuples (HDP) au Parlement turc, Tulay Hatimogullari vient d’interpeller le ministre des Affaires étrangères, Mevlüt Çavusoglu. Plusieurs articles et témoignages récents font état de centaines de femmes et de filles kurdes qui auraient été enlevées dans le nord de la Syrie par des milices pro-Turcs et emmenées en Libye pour y être vendues comme esclaves sexuelles. « Enquêtez-vous sur les allégations selon lesquelles des filles et des femmes d’Afrin ont été envoyées en Libye comme esclaves ? Votre ministère est-il au courant des agressions sexuelles dans les camps et les prisons d’Afrin ? Allez-vous prendre les mesures nécessaires pour faire face à ces violations des droits ? Allez-vous mener des activités coordonnées avec les organisations internationales à cet égard ? » a demandé la parlementaire malgré les menaces qui pèsent sur les élus du HDP et dont certains sont emprisonnés, comme Selahattin Demirtas. Au total, plus de 1 000 femmes et filles seraient portées disparues uniquement à Afrin depuis l’invasion turque au printemps 2018.
Les mineures sont les principales victimes
Fin décembre, Sky News Arabia a publié des témoignages selon lesquels « le viol, la captivité et l’oppression des femmes kurdes à Afrin sont perpétrés avec la connaissance et l’approbation de la Turquie, où des dizaines de femmes, en particulier des mineures, sont tuées (…). Elles sont extorquées financièrement, violées et soumises à la violence et aux abus (…) ».
C’était au milieu du mois d’août. Salwa Ahmed Shasho, 14 ans, se trouvait devant sa maison située dans une bourgade du canton d’Afrin, en Syrie, occupé par l’armée turque et ses supplétifs islamistes. C’est alors qu’ont surgi des hommes armés, membres de Jaych al-Nokhba (l’Armée de l’élite), qui ont emmené cette jeune Kurde à leur quartier général, dans le village d’Amara. Les voisins ayant assisté à l’enlèvement ont prévenu la « police militaire » créée par l’occupant dont le rôle est non pas de protéger les populations mais de gérer, voire d’apaiser les tensions permanentes entre les groupes armés responsables d’exactions, de pillages, de kidnapping, de vols et de viols. D’ailleurs, pour emmener Salwa Ahmed Shasho d’Afrin à leur QG, les djihadistes ont dû passer deux postes de contrôle tenus par les services secrets turcs.
La jeune fille a néanmoins pu être libérée près de 24 heures après. Selon un journaliste d’ Afrinpost, une publication qui documente avec courage ce qui se passe dans cette zone, après le retour de Salwa à son domicile, totalement bouleversée psychologiquement, ne cessant de répéter : « Je ne veux pas aller en Libye », indiquant que les ravisseurs avaient l’intention d’envoyer cette jeune femme en Libye pour la vendre à des marchands qataris comme « esclave sexuelle ». Rien de malheureusement surprenant lorsqu’on se souvient du sort réservé aux femmes yézidies du Sinjar par les djihadistes de l’organisation dite de l’« État islamique ». Or, les milices supplétives qui sévissent dans les zones syriennes occupées par l’armée turque sont constituées en grande partie d’anciens combattants de Daech et/ou d’al-Qaida (le Front al-Nosra, devenu Hayat Tahrir al-Cham, qui contrôle la province d’Idleb).
Un hôpital encombré de cadavres de personnes kidnappées
Parmi les multiples histoires qui brisent l’horreur quotidienne que vivent les femmes d’Afrin, celle-ci. Il n’y a pas si longtemps, un groupe armé affilié à la milice Sultan Murad a enlevé une petite fille qui n’avait même pas 13 ans. L’Organisation des droits de l’homme d’Afrin – qui travaille dans des conditions extrêmement difficiles – a affirmé qu’elle avait été victime de violences sexuelles de la part de ces miliciens et qu’elle avait été transférée à l’hôpital après avoir été exposée à ce crime odieux, et qu’elle avait depuis disparu, malgré les questions répétées de sa famille à son sujet.
Le directeur de cette même ONG, Ibrahim Sheikho, qui a pu recueillir le témoignage de femmes qui ont fui, insiste : « Les fugitifs d’Afrin parlent de l’hôpital d’Afrin encombré de cadavres de femmes kidnappées, accusées d’être des terroristes et d’avoir menacé la sécurité de l’État turc, y compris des enfants. »
Des milliers pour la justice
Sakine Cansiz, 54 ans, une des fondatrices du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), Fidan Dogan, 28 ans, et Leyla Soylemez, 24 ans, ont été tuées le 9 janvier 2013 en plein Paris. Plus de 5 000 personnes, parmi lesquelles de nombreux élus du PCF, ont défilé samedi pour réclamer justice pour ces trois militantes kurdes dans cette affaire jamais jugée. « Nous dénonçons un assassinat politique et aussi un féminicide. On essaie de nous faire oublier ce crime inacceptable qui s’est passé en France », dénonce Yekbun Eksen, membre du Conseil démocratique kurde en France.
Après la naissance du Congrès national africain, en 1912, la création du Parti communiste, en 1921, a été d’une importance décisive pour l’évolution du mouvement de libération et la conception d’une société non raciale.
C’est un départ tristement banal : l’arrivée des Néerlandais en 1652 sur les rives sud-africaines, suivis des Britanniques à la fin du XVIIIe siècle, va bouleverser le cône sud de l’Afrique avec son lot de pillage des richesses, d’esclavagisme, de ségrégation sociale et raciale. La colonisation est en marche, avec son lot habituel de guerres entre les premiers colons blancs, les Afrikaners, et les Britanniques, aussi bien qu’avec les tribus indigènes. En 1867, des diamants sont découverts à Kimberley. En 1886, à Witwatersrand, c’est de l’or. De quoi attiser toutes les convoitises. Mais pour exploiter toutes ces richesses, les colons blancs ont besoin de main-d’œuvre. Seulement voilà, au début du XXe siècle, sous l’impulsion des leaders traditionnels, les populations se mettent à vouloir racheter massivement les terres dont elles avaient été spoliées pour s’y installer.
Des mouvements de protestation voient le jour dans différentes provinces. Des mouvements qui ouvrent la voie à une prise de conscience politique de plus en plus marquée. Le 8 janvier 1912, une poignée d’hommes – des chefs traditionnels, des représentants d’associations et de différentes églises – se retrouvent à Bloemfontein pour unifier les mouvements. Ce jour-là naît une organisation, le South African Native National Congress (SANNC, le Congrès national des indigènes sud-africains), qui se transformera rapidement en African National Congress (ANC, Congrès national africain).
L’Union sud-africaine, créée en 1910, adopte une série de lois en 1913, soit trente-cinq ans avant l’avènement de l’apartheid, qui va rendre impossible la vie des populations noires. C’est le Land’Act, qui interdit aux Noirs d’acheter, de louer ou d’utiliser des terres, excepté dans les réserves où on les a parqués. Il ne restait alors plus à ces gens qu’une solution : se faire embaucher dans les mines ! À la fin des années 1910, l’ANC soutient les mouvements sociaux qui éclatent, notamment la grève des mineurs africains en 1920.
Un lien constitutif de la lutte contre l’apartheid
C’est alors que se produit un événement politique qui aura des répercussions sur les orientations de l’ANC et sur la lutte de libération. Le 30 juillet 1921, est créé, au Cap, le Parti communiste d’Afrique du Sud (CPSA, qui se transformera dans les années 1950, alors clandestin, en Parti communiste sud-africain, SACP). Le coup de tonnerre résonne dans tout le pays. Des décennies plus tard, Jacob Zuma, alors président de l’ANC, le reconnaîtra : « Nous devons marquer ce fait historique : le SACP a été le premier parti ou mouvement non racial en Afrique du Sud. Ainsi, l’ANC doit au Parti l’un de ses principes et de ses caractères les plus chéris et les plus importants, qui est d’être non racial. » Déjà, en 1924, une résolution du Parti communiste soulignait « l’importance majeure d’une organisation de masse pour la classe ouvrière dont les problèmes ne peuvent être résolus que par un front uni de tous les travailleurs, quelle que soit leur couleur ». Une résolution qui a pavé le chemin d’un travail commun, pendant des années, entre l’ANC et le SACP.
Ce lien entre les deux organisations, pas si évident au départ, est pourtant constitutif de la lutte contre l’apartheid qui va se développer à partir de 1948. Quelques années auparavant, en 1944, une organisation de jeunesse est créée au sein de l’ANC, dont les leaders se nomment Nelson Mandela, Walter Sisulu et Oliver Tambo. Leurs idées sont basées sur le nationalisme africain. À ce moment-là, Mandela, notamment, ne voit aucune nécessité d’un travail avec les Blancs et encore moins avec les communistes. Il évoluera. Oliver Tambo, qui dirigea l’ANC de 1967 à 1991, l’a expliqué : « La relation entre l’ANC et le SACP n’est pas un accident de l’histoire, ni un développement naturel et inévitable. » Le même Tambo qui, au milieu des années 1940, s’était prononcé pour l’expulsion des communistes de l’ANC. Mais, après le bannissement du Parti communiste en 1950, il change d’appréciation : « Avant 1950, on avait le sentiment qu’il y avait deux camps (…). Mais après 1950, nous étions tous ensemble. ». En réalité, les communistes se mettent totalement à la disposition du mouvement de libération, y compris au détriment de leur propre organisation qui n’est pas de masse. Les cadres travaillent au sein de l’ANC au plus haut niveau, y compris au sein de la branche armée, Umkhonto we Sizwe (la Lance de la nation, créée par Mandela et Joe Slovo). Le dernier chef des MK (les combattants armés) n’est autre que Chris Hani, secrétaire général du SACP, assassiné en 1993. Selon Mandela, Hani « soulignait toujours le fait que sa conversion au marxisme avait approfondi sa perspective non raciale ».
Un bel hommage et une alliance qui se poursuit encore aujourd’hui, non sans tension ces dernières années. Aujourd’hui, le SACP se renforce et envisage sereinement de présenter, dans un futur pas si lointain, ses propres listes aux élections. Pas dans une rupture avec l’ANC, mais dans une nouvelle construction historique.
JOE SLOVO , secrétaire général du Parti communiste d'Afrique du Sud
Joe Slovo, né en 1926 à en Lituanie et mort à 68 ans en 1995 à Johannesburg. Il a été chef du Parti communiste sud-africain (South African Communist Party, SACP), et membre du Congrès national africain (African National Congress, ANC).
"Pour les Sud-Africains puritains et calvinistes , ce juif athée avait tout du traître : cosmopolite , communiste et , surtout , blanc ayant pris fait et cause pour la dignité des Noirs . Il était à peine mieux connu de ses partisans . Beaucoup d'entre eux furent surpris à son retour au pays , après un exil de près de trente ans , de voir apparaître un blanc sous ce nom de Slovo à la consonance vaguement africaine. " ( Le Monde )
" Joe Slovo ( Yossel Mashel Slovo , de son véritable nom ) était né en 1926 , dans une modeste famille juive de Lituanie . Il arrive en Afrique du Sud à l'âge de neuf ans . Etudiant en droit , puis avocat , il adhère au Parti communiste dès les années 40 , après un bref détour par l'armée sud-africaine qui lutte en Afrique du Nord contre les troupes de l'Axe . De retour à Johannesburg , il épouse , en 1949 , Ruth First , fille du trésorier du Parti communiste sud-africain (SACP).
L'Etat n'est guère tendre pour ceux qui s'opposent à la mise en place de l'apartheid , politique officielle de l'Afrique du Sud depuis la victoire du Parti national (NP) aux élections de 1948. Joe Slovo court de procès en procès , comme avocat , et bientôt comme inculpé , membre dirigeant du Parti communiste , puis des organisations que lui et ses amis animent pour résister à l'étouffement politique qui gagne le pays .
En 1960 , les émeutes de Sharpeville marquent le tournant vers la lutte armée. Dans son autobiographie , Nelson Mandela révèle que le Parti communiste interdit n'y était pas favorable , persuadé que la « voie démocratique » n'était pas encore totalement bouchée . Quoi qu'il en soit , l'organisation militaire de l'ANC , "Umkhonto we Sizwe" ( le Fer de lance de la nation ), est fondée . Joe Slovo , aux côtés de Nelson Mandela , en est l'un des dirigeants ( np : ce dernier sera arrêté en aout 62 au retour d'un périple africain puis d'un séjours à la frontière algéro-marocaine où il a reçu une courte formation militaire de la part de cadres FLN , il est aussi fait mention d'un autre entraînement militaire reçu en Ethiopie ; quant à Slovo , il est passé dans la clandestinité et quitte le pays en juin 1963 .)
Le parcours de Joe Slovo est alors peu connu . On le reverra dans plusieurs capitales d'Afrique où il dirige les activités militaires de l'ANC et où le traquent les services sud-africains. En 1982 , à Maputo , sa femme , Ruth First ( np : membre du PCSA , journaliste , anthropologue , chercheuse sud-africaine , connue pour son engagement dans la lutte contre l'apartheid . Ses parents , Julius et Mathilda First , immigrés juifs arrivés de Lituanie en 1906 furent membres fondateurs du Parti communiste sud-africain ) , est tuée par l'explosion d'un colis piégé qui lui était destiné ." ( Le Monde )
( Le colis en question fut un envoi des Services secrets de Pretoria ... )
" Slovo reste partisan , pendant toutes ces années , d'un lien fort avec l'Union soviétique." ( Wikipédia )
" En 1985 , Joe Slovo devient le premier Blanc à faire partie de la direction nationale de l'ANC , poste qu'il cumule alors avec celui de chef d'état-major d'Umkhonto we Sizwe et celui de membre du conseil politico-militaire . Un an plus tard , il devient secrétaire général du Parti communiste sud-africain .
Cette période marque le début des tractations secrètes entre l'organisation nationaliste et les émissaires les plus éclairés de l'Afrique du Sud blanche . Là encore , le rôle exact de Joe Slovo reste à établir . Revenu d'exil en 1990 , membre de la délégation qui négocie avec le gouvernement , il est celui qui , à Durban , un an plus tard , au congrès de l'ANC , propose un partage du pouvoir avec la minorité blanche . Durant le 49e congrès de l'ANC à Bloemfontein ( décembre 1994 ) , Nelson Mandela , rendant hommage à la « clairvoyance » de Joe Slovo , avait laissé entendre que cette perspective n'avait pas été facilement acceptée . Amaigri , profondément marqué par le cancer ( qui l'emportera le 6 janvier 1995 ) , celui qui , entretemps , était devenu ministre du logement du premier gouvernement multiracial reçut l'ovation des congressistes .
« Jamais je n'ai regretté d'avoir pris le chemin de la lutte », déclara-t-il simplement. "
( Le Monde )
Selon le professeur d’histoire contemporaine au King’s College de Londres et à l’université Paris-I Panthéon-Sorbonne, la crise du Covid-19 bouleverse les équilibres mondiaux. Il rappelle que, jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, les Empires Qing en Chine et moghol en Inde produisaient à eux seuls plus de la moitié de la richesse mondiale. Et invite à une solidarité internationale plus que jamais nécessaire. Entretien.
En tant qu’historien de la mondialisation, quels enseignements tirez-vous de la pandémie de Covid-19 ?
Pierre Singaravélou Il est toujours extrêmement périlleux de tirer des enseignements des événements récents. A fortiori s’agissant de cette séquence où les confinements se succèdent sans que les gouvernements soient guidés par une doctrine cohérente et clairement lisible. On peut toutefois affirmer que la pandémie de Covid-19 est en elle-même la démonstration spectaculaire que nous vivons dans un monde entièrement globalisé pour le pire et – espérons-le – pour le meilleur. Le virus se joue en effet des frontières nationales, frappant tous les pays de la planète à l’exception de quelques îles telles les Samoa américaines, qui se sont totalement coupées du reste du monde. Cette crise sanitaire révèle sans aucun doute les travers d’une mondialisation économique où la division internationale du travail a induit la pénurie catastrophique de certains produits essentiels (médicaments, matériel médical, etc.), dans les pays occidentaux totalement dépendants de la Chine. Face à cette situation inédite, le plus frappant est l’impensé que la crise révèle : l’impensé des dirigeants sur la mondialisation, même chez les « gagnants » de la globalisation. Ils oscillent entre repli souverainiste et solutions néolibérales très classiques, mais peinent à prendre la mesure de ce sujet, donc à inventer le fameux « monde d’après » qui a été brièvement promis au début de la pandémie. Ainsi sont peu discutées dans le débat public les solutions en termes de solidarité globale.
La mondialisation peut-elle aussi rendre possible cette coopération internationale ?
Pierre Singaravélou À partir du milieu du XIXe siècle, les processus de construction nationale, de repli nationaliste et de mondialisation ne cessent de s’entretenir mutuellement, notamment dans le domaine sanitaire. La propagation plus rapide des épidémies conduit les États à coordonner leurs efforts dans la mise en place de contrôles et de quarantaines afin de ne pas nuire à l’essor du commerce. C’est ainsi qu’est organisée à Paris, en 1851, la première conférence sanitaire internationale pour lutter contre le choléra, la peste et la fièvre jaune. Aujourd’hui, la compétition entre les États autour du vaccin contre le Covid-19 semble féroce. Certains pays comme les États européens promeuvent une approche multilatérale de la santé publique, tandis que d’autres comme les États-Unis défendent une conception plus sécuritaire et isolationniste, conduisant le président Trump à interrompre en avril 2020 le financement états-unien de l’OMS. Mais, en réalité, les nouveaux vaccins anti-Covid résultent de différentes formes de coopération internationale, à l’image du BioNTech, compagnie allemande fondée par des chercheurs d’origine turque et associée à la multinationale états-unienne Pfizer. Demandons-nous quel pays aujourd’hui peut concevoir et produire seul un tel vaccin ? Cette solidarité internationale s’avère plus que jamais nécessaire. Et la crise actuelle suscite déjà de nouvelles formes de coopération comme le programme Access to Covid-19 Tools, développé par la Commission européenne. Dans ce contexte, il semble préoccupant qu’une fraction de la gauche française abandonne l’internationalisme – en remettant en question, par exemple, la circulation des personnes – pour des raisons purement électoralistes.
Cette pandémie révèle-t-elle des changements dans le rapport de forces à l’échelle du monde ?
Pierre Singaravélou En mettant au jour les faiblesses des puissances européennes et des États-Unis, la pandémie symbolise de manière spectaculaire la fermeture de la parenthèse de la domination occidentale du monde débutée il y a seulement deux siècles. Du point de vue des dirigeants asiatiques, il s’agit d’un simple rétablissement de l’ordre ancien, car, jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, les Empires Qing en Chine et moghol en Inde produisaient à eux seuls plus de la moitié de la richesse mondiale. À la suite de la réponse sanitaire très inadaptée des États-Unis et des pays européens, totalement désorganisés pendant les premiers mois de l’épidémie, l’Occident ne constitue plus le modèle en matière sanitaire, scientifique, technologique et industrielle, aux yeux du reste du monde. En revanche, des pays un peu partout ailleurs se sont illustrés par leur inventivité ou leur efficacité. Ainsi, Taïwan, qui a réagi très tôt, en imposant masques et tests, a évité le confinement et compte le plus faible nombre de morts du Covid-19 : 1 décès pour 3 350 000 personnes, contre 1 mort du Covid-19 sur 990 États-Uniens. La Corée du Sud est le premier pays à comprendre la nécessité de tester toute sa population, en raison du grand nombre de cas asymptomatiques. À l’autre bout du monde, le Liberia, grâce à son expérience face à l’épidémie d’Ebola en 2014, a mis en place des mesures efficaces de test et d’identification des cas contacts. Cette pandémie invite sans doute pour la première fois les États-Uniens et les Européens à abandonner leur obsolète complexe de supériorité et à prendre concrètement conscience – avec humilité – de la reconfiguration des équilibres mondiaux.
Ce retour de l’Asie sur le devant de la scène peut-il être symbolisé par un objet, le masque prophylactique, auquel est consacré le dernier article du Magasin du monde, l’ouvrage que vous avez codirigé avec Sylvain Venayre ?
Pierre Singaravélou L’usage du masque prophylactique, si présent dorénavant dans notre vie quotidienne, se généralise en effet pour la première fois en Chine, à l’occasion de la peste de Mandchourie en 1911. Des médecins chinois, comme le docteur Wu, jouent alors un rôle décisif dans sa popularisation. La santé publique japonaise fait ensuite du port du masque un de ses chevaux de bataille dès la grippe espagnole de 1918-1920. Le masque devient ainsi progressivement un objet commun en Asie orientale et du Sud-Est pour lutter contre les maladies transmissibles par voies respiratoires, puis pour se protéger de la pollution de l’air. Aujourd’hui, comme le rappelle l’historien Frédéric Vagneron, la production de la majorité des masques chirurgicaux, à partir de matériaux de l’industrie chimique comme le polypropylène, est localisée en Chine. Laquelle produit désormais la plupart des objets en plastique – gilets jaunes, planches de surf, smartphones, sex-toys – consommés dans le monde.
Peut-on comparer la crise sanitaire actuelle avec d’autres événements du passé ?
Pierre Singaravélou Le coup d’arrêt des circulations transnationales, la dimension globale du confinement et le ralentissement de l’économie qu’ils entraînent sont inédits. En revanche, le monde a été confronté à des pandémies bien plus dévastatrices d’un point de vue sanitaire. Songeons à la grippe espagnole en 1918-1920, dont l’ampleur et les conséquences démographiques – près de 50 millions de victimes – ont longtemps été sous-estimées… Seules quelques îles y échappèrent, à l’instar des Samoas américaines, déjà ! Les deux épidémies possèdent plusieurs points communs : des remèdes improbables voient le jour (rhum pour la grippe et chloroquine pour le Covid) ; on ne meurt pas de la maladie elle-même mais d’une surinfection bactérienne dans le cas de la grippe espagnole et de la réaction immunitaire dans celui du Covid-19. Mais, à la différence du Covid-19, la grippe espagnole frappe principalement des hommes jeunes et robustes là où la pandémie actuelle tue surtout les plus âgés et les plus fragiles.
Vous enseignez en France et en Grande-Bretagne, quelles différences d’approche et de réponse face à la pandémie avez-vous observées ?
Pierre Singaravélou La pandémie semble révéler ou confirmer des habitus nationaux. En dépit de leur proximité idéologique, les deux gouvernements français et britannique ont adopté, ces derniers mois, des politiques publiques différentes qui s’inscrivent dans des traditions bien distinctes. Au Royaume-Uni, en vertu d’une culture libérale qui fait consensus, il n’a jamais été question d’instaurer l’obligation du masque dans la rue et un système très contraignant d’attestations de déplacement. Les magnifiques parcs londoniens n’ont jamais été fermés et les habitants ont échappé au couvre-feu. Libre à chaque Britannique asymptomatique de se faire dépister avec un test antigénique pour la somme extravagante de 70 à 250 euros, alors que le système public de santé français permet à tous d’y accéder gratuitement dans les pharmacies. En revanche, la stratégie vaccinale des deux pays ne correspond pas à cette différence d’approche : Grande-Bretagne « libérale » vs France « dirigiste ». Le 30 décembre 2020, on comptait près d’un million de personnes vaccinées au Royaume-Uni contre seulement 330 personnes en France. La dégradation rapide de la situation sanitaire en Angleterre et le respect des processus de validation, ainsi qu’un déficit de volonté politique en France semblent tempérer ici les habitus nationaux.
Un rapport parlementaire remis le 16 décembre par Marie-George Buffet alerte sur les conséquences de la crise sanitaire pour les jeunes gens. Que constatez-vous chez les étudiants ?
Pierre Singaravélou Cette crise sanitaire décuple la précarité préexistante des étudiantes et étudiants, dont 20 % vivaient déjà en dessous du seuil de pauvreté avant le confinement : ils sont les grands oubliés du gouvernement. Les universités n’intéressent pas les élites politiques et économiques françaises qui n’en sont pas issues et qui prennent soin de ne pas y envoyer leurs enfants. Pourtant, les établissements universitaires accueillent la majorité des jeunes de ce pays et la quasi-totalité des enfants d’ouvriers et d’employés qui accèdent à l’enseignement supérieur. De plus en plus d’étudiants sombrent dans la pauvreté avec la disparition des petits boulots (restauration, bar, hôtellerie, baby-sitting, etc.). Nous fermons collectivement les yeux devant leurs problèmes concrets : extrême isolement, fermeture des restaurants universitaires à tarification sociale, absence d’espace de travail, manque d’équipement informatique personnel et de forfait Internet pour suivre l’enseignement à distance. On constate que les étudiants qui officient dans les secteurs de première nécessité subissent un accroissement de la charge de travail.Nombre d’entre eux ont arrêté leurs études au cours des deux premiers confinements. Il y a urgence : le sort de la jeunesse de notre pays, étudiante ou pas, devrait être la priorité absolue du gouvernement parallèlement à la lutte contre la pandémie.
Voilà ce que, dans un premier temps, on a colporté : alors qu’il briguait un troisième mandat [1] au nom du Mouvement vers le socialisme (MAS), Evo Morales a été déclaré vainqueur au premier tour de l’élection présidentielle d’octobre 2019 ; l’opposition a dénoncé une fraude immédiatement confirmée par l’Organisation des Etats américains (OEA). Tandis qu’éclataient de violentes manifestations et des affrontements entre partisans et détracteurs du chef de l’Etat, celui-ci, lâché par la police et l’armée, a finalement « démissionné » avant de « s’enfuir » au Mexique, puis en Argentine, en compagnie de son vice-président Álvaro García Linera. Des démissions en cascade ayant créé un vide de pouvoir à la tête de l’Etat, la deuxième vice-présidente (de droite) du Sénat Jeanine Añez a prêté serment, sans quorum (mais avec la bénédiction des militaires), le MAS ne s’étant pas joint à la session du Parlement.
Suite à ces événements, les gauches bolivienne et latino-américaines ont clamé dans le désert en dénonçant un coup d’Etat. L’usine à dénigrement tournait alors à plein régime, mettant fondamentalement en cause les errements d’Evo Morales et de son parti. Pourtant, des études menées par des chercheurs d’organismes et universités étrangères indépendants confirmèrent rapidement que les rapports ayant conduit aux accusations de trucage de votes étaient faux. N’en déplaise à l‘OEA, à Washington, à l’Union européenne et à leurs associés, Morales, en 2019, avait bel et bien été réélu [2].
Cette affirmation fit généralement hausser les épaules. Disons… jusqu’au 18 octobre 2020. Ce dimanche, « surprenant tout le monde (…) aucun sondage, aucune analyse (n’ayant) prévu un tel scénario [3] », Luis Arce, candidat du MAS et dauphin de l’ancien chef de l’Etat, remporta la nouvelle élection présidentielle, dès le premier tour, avec plus de 55 % des voix ! A l’issue des législatives, le MAS retrouvait la majorité absolue dans les deux chambres du Parlement, onze mois après avoir été chassé du pouvoir, soi-disant à cause de « ses dérives et de son mépris de la démocratie ».
Sale temps pour certains érudits. Tel qui, à l’extrême gauche (Patrick Guillaudat), travaillait l’opinion, de concert avec la meute, au moment de la curée – « La fraude est inexcusable car, outre l’usurpation démocratique qu’elle représente, elle est en grande partie la source de nouveaux malheurs qui risquent de s’abattre sur le peuple bolivien » – effectue un triple saut périlleux pour tenter de retomber sur ses pieds et dans le sens du vent : « Le coup d’Etat a réussi sur la base de fausses informations propagées par l’OEA, relayées et amplifiées par les médias [4]. » Des médias qui, dans ce cas précis, ont le dos large, mais qu’on ne se croira pas obligé de défendre ici. Du Times étatsunien – « Comment l’ambition d’Evo Morales a contribué à sa chute » (11/11/19) – aux français Le Monde – « Les erreurs d’Evo Morales » (15/11/19) – ou Le Point – « L’effondrement du mythe Evo Morales » (19/11/19) –, nul n’a évoqué ni dénoncé l’existence d’un « coup d’Etat ».
A quelques jours de l’élection d’octobre 2020, à laquelle l’ex-chef de l’Etat, réfugié en Argentine, ne peut participer, Le Monde en rajoute encore une couche en évoquant « l’icône déchue » : « La chute de la maison Morales » (4-5/10/20). Quand Luis Arce l’emporte, le quotidien du soir, pris à contrepied, cherche une porte de sortie : « En Bolivie, le MAS a survécu à Evo Morales et il a gagné sans lui » (27/10/20).
S’il fallait résumer l’ambiance, on se référerait à un couple médiatique particulièrement à la mode : Pablo Stefanoni (argentin) et Fernando Molina (bolivien). Ni l’un ni l’autre ne soutiennent explicitement la droite et encore moins l’extrême droite. Toutefois, le premier a inventé l’expression « national-stalinisme » pour qualifier le Venezuela bolivarien ; le second a repris l’expression pour l’appliquer à la Bolivie, l’explicitant ainsi : « (…) un anti-impérialisme stéréotypé, enclin à des théories de conspiration fantaisistes, peu attaché à la démocratie et avec une tendance à organiser des purges internes [5]. » Stefanoni préfère les mots « crise », « chute », « fantasmes de la gauche », « caudillisme » (d’Evo Morales) au terme coup d’Etat. En janvier 2020, alors que la gauche bolivienne réclame à grands cris le départ d’Añez et des élections, Molina peaufine son argumentation : « Les illusions sur un "miracle électoral", que nourrit Morales en exil, sont vaines. Les difficultés que connaît aujourd’hui son mouvement se répéteront tout au long de la campagne. La défaite du MAS est profonde et sera durable (et elle est en partie due aux erreurs personnelles de Morales, ce qu’il ferait bien d’accepter) [6] ».
On pourrait se contenter de pouffer devant une capacité d’analyse si cruellement démentie par les faits. Toutefois, si nous nous attardons ici sur les duettistes Stefanoni et Molina, c’est qu’on retrouve leurs articles, omniprésents, signés conjointement ou individuellement, dans (entre autres !) Nueva Sociedad (liée à la social-démocratie allemande [7]), Médiapart (publication « attrape-tout »), Attac et le Centre tricontinental (alter-mondialisme raisonnablement « intégré »), Le Monde et El País (chiens de garde du système) et… A l’Encontre (extrême gauche post-trotskiste). Une unanimité symptomatique du confusionnisme idéologique et du brouillage politique de l’époque.
Contre toute attente, le MAS revient au pouvoir. Le gouvernement de facto ayant été par trop caricatural, chacun, soudain, affecte de s’en féliciter. Mais la petite musique demeure : si la droite et l’extrême-droite ont un temps mis la Bolivie cul par-dessus tête, c’est du fait de la gestion « caudilliste » de Morales. Lequel, désormais, ferait bien de s’effacer définitivement.
Un mouvement politique est une organisation humaine avec ses hauts et ses bas, ses temps forts, ses temps faibles et ses pauses. Et qui donc commet des erreurs, subit naturellement une érosion au fil du temps. Ce qui mérite d’être questionné, mais ne vaut pas obligatoirement condamnation définitive. Ainsi, à l’évidence, Evo Morales lui-même se fourvoie quand, fin octobre 2019, il accepte que le verdict de l’OEA – totalement inféodée à Washington – sur l’existence ou non d’une fraude soit « contraignant ». Lorsque le piège se referme, l’absence de résistance des forces populaires peut de même et légitimement interpeller. « Il est clair que nous n’étions pas préparés à un tel coup d’Etat, ni au sein du gouvernement national ni depuis les organisations sociales, admettra Luis Arce, en mars 2020. Le divorce qui existait entre les bases et les dirigeants des organisations sociales a été évident, au point que les dirigeants ont été dépassés par les bases [8]. »
Réfugié pendant onze mois dans l’ambassade du Mexique, Hugo Moldiz, avocat, universitaire et ministre de l’Intérieur de Morales en 2015, y analysera les faiblesses du mouvement : « Premièrement, la négligence du travail politico-idéologique, causée par la surcharge de la gestion ; deuxièmement, la confortable délégation au Président et aux dirigeants de l’Etat d’activités et de tâches qui auraient dû être effectuées par les membres d’un bloc populaire démobilisé et de plus en plus apathique ; troisièmement, l’affaiblissement des relations entre la direction et sa base sociale, avec des contacts de moins en moins étroits et fréquents ; quatrièmement, la capacité de contre-offensive quasi inexistante sur le terrain communicationnel, crucial, mais largement dominé par les ennemis du processus [9]. »
Critiques légitimes, autocritique nécessaire, qu’on pourrait développer plus amplement. Et dont la nécessité, d’ailleurs, n’échappait pas dans les plus hautes sphères du pouvoir. Lorsque, en décembre 2016, le vice-président García Linera annonça qu’il ne postulerait pas à la réélection, il expliqua ainsi sa décision : « Je vais terminer un cycle à la vice-présidence et je sens que je peux contribuer à d’autres niveaux que je considère déficients dans ce projet historique, où des problèmes apparaissent... Fondamentalement dans la formation politique (…) En bref, je veux me consacrer maintenant à la formation de nouveaux dirigeants politiques et sociaux [10]. » Soumis à une forte pression, il revint sur cette décision un peu plus tard. Toutefois, une approche raisonnée de la réalité politique bolivienne incite à appréhender celle-ci dans toute sa complexité si l’on entend en juger les acteurs, à commencer par les gouvernants.
Pour l’avoir déjà explicitée, on ne reviendra pas ici sur la manipulation sophistiquée qui a fait perdre de très peu à Evo Morales (51 % des suffrages) le référendum de février 2016 visant à réformer la Constitution pour lui permettre de se représenter en 2019 [11]. En revanche, ce qui suivit mérite d’être rappelé. En cherchant une « solution alternative légale » pour contourner ce « non » reposant sur une « fake news » , le chef de l’Etat obéit-il alors à une obsession de s’éterniser au pouvoir, malgré l’avis des mouvements sociaux ?
Questionné, García Linera est récemment revenu sur cet épisode controversé [12] : « Lorsque la décision est prise quant à la suite à donner au référendum, ce n’est pas un décret présidentiel qui ordonne à Evo de se représenter, mais une grande réunion des organisations sociales, qui a lieu dans le Département de Santa Cruz, à Montero. Une option consistait à rechercher d’autres dirigeants et, de fait, plusieurs noms commençaient déjà à émerger. Mais d’autres ont dit “non, nous devons chercher une sorte de consultation juridique”. Il y a eu un débat intense pendant trois jours et, à la fin de cette assemblée du MAS, qui comprenait des directions de syndicats, de corporations et de paysans, il a été décidé d’avancer dans cette direction. On craignait que, si Evo ne se représentait pas, il en résulterait une sorte d’explosion [du nombre] de nouveaux leaders, avec les risques de division, comme cela a déjà été le cas dans des grands partis, y compris au sein de la gauche. Quand le chef principal n’est plus là, par exemple Marcelo Quiroga Santa Cruz avec le Parti socialiste, alors apparaissent les PS1, PS2, PS3, PS4 et PS5 [13]. »
C’est bel et bien une majorité des secteurs sociaux présents au sein du MAS qui a poussé Evo Morales à se représenter et qui a cherché une voie constitutionnelle pour l’habiliter en tant que candidat – et non la « dérive monarchique vers un mandat à vie » d’un « caudillo », comme fantasma, avec bien d’autres, Libération (19/2/2016). Le parti considéra n’avoir de chance de remporter les élections qu’avec son leader historique comme candidat, lui seul pouvant garantir que les forces sociales demeureraient unies.
« Unies » ? Au plus fort de la crise de 2019, on a beaucoup glosé sur le fait que la direction de la Centrale ouvrière bolivienne (COB) a, comme les militaires et l’Eglise, « conseillé » au chef de l’Etat de démissionner. Secrétaire exécutif de la Confédération syndicale des travailleurs paysans de Bolivie (CSUTCB), le leader aymara Nelson Condori alla plus loin en déclarant : « Evo Morales ne fait plus partie de la Bolivie (…) La justice le jugera pour tout ce qu’il a fait. » Cela valut à Condori d’être désavoué par une grande partie de sa base, mais ce n’est pas ce que l’on retint.
Rien de bien nouveau, en réalité. En 2005, le dirigeant de la COB, Jaime Solares, s’opposait déjà à Morales – qualifié de « traître » – en évoquant une « révolution ouvrière-paysanne, c’est-à-dire la prise du pouvoir par l’insurrection populaire » et non dans le cadre des élections à venir. Même opposition à l’époque au sein de la Fédération des conseils de quartier (Fejuve) et la Centrale ouvrière régionale (COR) d’El Alto ou au Conseil des Ayllus et Markas du Qollasuyo (Conamaq).Leader du Mouvement indigène pachakuti (MIP) et de la CSUTCB, l’aymara radical Felipe Quispe, le « mallku » (condor en aymara), commentait ainsi pour sa part les trois semaines de manifestations sociales ayant poussé le président néolibéral Carlos Mesa à la démission : « Le peuple a triomphé. On a acculé Mesa et le MAS, qui avait pactisé avec lui. »
Le peuple triompha, de fait, quelques mois plus tard. Mais en élisant « Evo » (comme l’appellent familièrement ses partisans) avec 53,72 % des suffrages, Quispe n’en recueillant que 2,21 % (ce qui entraîna la disparition de son parti).
En janvier 2013, après avoir rallié Morales, la direction de la COB effectuera un nouveau 180° en annonçant la création d’un nouvel instrument politique, concurrent du MAS : « Les travailleurs ont vu que le gouvernement commet beaucoup d’erreurs et a une mauvaise gestion », déclara alors le secrétaire exécutif du syndicat Juan Carlos Trujillo. Deux ans auparavant, avait eu lieu la « fameuse » crise du TIPNIS – l’opposition à la construction d’une route à travers le parc national du même nom, pour désenclaver la région. A cette occasion, le Conamaq, la Confédération des peuples indigènes de Bolivie (CIDOB) et une fois de plus la COB s’opposèrent au pouvoir. Parmi bien d’autres, la CSUTCB cette fois l’appuya. Il n’empêche : « Sa base se retourne contre Evo Morales », put-on lire ici et là (et même quasiment partout).
Lors de l’élection présidentielle qui suivit, le 12 octobre 2014, le président si unanimement contesté fut réélu au premier tour avec… 61,36 % des voix ! Au nom de l’éphémère Parti vert bolivien (PVB), le leader des manifestations en défense du TIPNIS (enfant chéri des ONG européennes et des défenseurs « radicaux » de l’environnement), Fernando Vargas, obtint… 2,79 % des suffrages et aucun siège au Parlement.
Détail à l’intention de ces « écolos anti-Evo », très intransigeants mais parfois un peu distraits : le 7 juillet 2020, Janine Añez, la « présidente » portée au pouvoir par la droite la plus raciste et réactionnaire, a récompensé leur protégé Vargas en le nommant directeur du Fonds de développement indigène (dépendant du ministère du Développement rural et des terres) ; au même moment, Añez autorisait l’introduction en Bolivie de nouveaux OGM de maïs, de canne à sucre, de coton, de blé et de soja. Sans parler des plus de trente morts, huit cents blessés et 1 500 détenus de façon illégale (en utilisant la figure de « détention préventive »), imputables à la répression qu’elle avait déclenchée. Ce qui, manifestement, ne troubla guère l’« écologiste » Vargas.
On pourrait multiplier les exemples des conflits et fractures qui ont jalonné ces quinze dernières années, pourtant globalement riches de succès. Ils ramènent à une vérité première : le MAS n’est pas un parti au sens classique du terme, mais, de son vrai nom MAS-IPSP (Instrument politique pour la souveraineté des peuples), un mouvement politico-social surgi de l’action populaire collective. Depuis sa naissance, les tensions, horizontales, entre dirigeants, et verticales, à l’égard du pouvoir, ont été une constante à l’intérieur du mouvement. Capable de s’unir en temps de crise, ce vaste torrent contestataire se caractérise par une très grande fragmentation. « Divisions territoriales, idéologiques, religieuses, de classe », nous expliquait déjà l’intellectuel et ex-guérillero García Linera en 2005, quelques semaines avant que Morales ne devienne le premier président indigène du pays et que lui-même n’intègre la vice-présidence [14]. A certains moments, ce mouvement construit des unités territoriales, locales, autour de thèmes très quotidiens – eau, électricité, énergie [15]. En période de tension, cela se transforme en force et en actions collectives, qui, au plus fort de la confrontation, s’articulent en mouvement de masse. Avant de sombrer à nouveau dans la division une fois l’objectif commun atteint [16]. »
De premier ou de second rang, les organisations font régulièrement monter les enchères, liant leurs appuis ou leurs volte-face non aux problèmes de fond, mais à la satisfaction de revendications corporatistes et aux quotas de pouvoir qu’elles entendent obtenir, avec (ou, s’il le faut, contre) le MAS, au Congrès. « Quand votre frère est président, certains secteurs manifestent une ambition exagérée, commentera Morales. Certains revendiquent des choses qui ne sont pas souhaitables pour les autres secteurs sociaux. Ils ne pensent pas à la Bolivie, mais seulement à leur secteur ou à une fraction de citoyens. (…) Les mêmes mouvements sociaux nous ont dit, lors de réunions, qu’ils ne venaient pas pour discuter et élaborer les politiques, mais pour obtenir la distribution de projets et de travaux. Ils ne voulaient pas de débat idéologique [17]… »
Quoi qu’on en pense, le grand mérite d’« Evo », devenu l’incarnation d’un peuple qui se redresse, le symbole des populations indigènes, des mineurs, paysans et « cocaleros », est d’avoir été le ciment unifiant ce bloc et le maintenant au pouvoir pendant quinze années, pour le plus grand profit – ce qui n’a rien de secondaire – des déshérités. Un exploit dans un pays aussi difficilement gouvernable que la Bolivie (plus de 180 coups d’Etat depuis l’indépendance en 1825). Une configuration particulière dont il faut tenir compte pour comprendre le déroulement des événements postérieurs au coup d’Etat.
Novembre 2019. L’extrême droite multiplie ses appels incendiaires. Des « masistas » (partisans, militants ou dirigeants du MAS) sont pris en otage. Pour protéger leur intégrité ou celle de leurs familles, les plus inquiétés démissionnent – Adriana Salvatierra (présidente du Sénat), Victor Borda (président de l’Assemblée), César Navarro (ministre des Mines), des maires, des députés, etc. Evo et García Linera s’exilent au Mexique (comme Luis Arce, jusqu’à janvier 2020). Añez s’empare du pouvoir. Cinq ministres, « poids lourds » du MAS, doivent se réfugier dans l’ambassade du Mexique [18]. Il y a déjà des morts et des blessés.
Enchevêtrement d’enjeux et d’intérêts : alors que le cœur politique du « masismo » se trouve considérablement affaibli, un dur débat s’engage entre, semble-t-il, « idéalistes » et « réalistes » à la tête du mouvement. Avec un clair avantage pour les seconds, dans un premier temps.
Le 14 novembre, les législateurs du MAS encore présents et toujours majoritaires élisent Eva Copa présidente du Sénat et Sergio Choque à la tête de la Chambre des députés. Choque déclare immédiatement : « La Bolivie a besoin de paix, nous ne pouvons pas continuer à nous maltraiter les uns les autres, nous travaillerons toujours en accord avec la constitution politique de l’Etat. » De leur côté, les nouveaux maîtres du pays annoncent le début de conversations avec le MAS « pour sortir de l’affrontement ». De fait, et alors que, dans la rue, une dure répression s’abat sur les protestataires, la COB et une fraction des mouvements sociaux, encouragées par l’ONU et l’Union européenne, signent un « accord de pacification » avec les putschistes. Le Sénat vote à l’unanimité une loi d’urgence qui permet de convoquer de nouvelles élections – avec le MAS, mais sans Morales et García Linera, ostensiblement lâchés. Lors de la promulgation du texte, Eva Copa se laisse photographier aux côtés de la présidente autoproclamée, la légitimant de fait. Et c’est ensemble que les deux parties désignent de nouvelles autorités électorales (pendant que les anciennes sont pourchassées et arrêtées).
S’opposant au ministre de l’Intérieur Arturo Murillo, qui annonce des poursuites contre Morales et l’ex-ministre de la présidence Juan Ramón Quintana pour « terrorisme et sédition », les députés réclament une loi assurant l’immunité de l’ex-chef de l’Etat et de ses fonctionnaires. Depuis le Sénat qu’elle dirige, Eva Copa s’en démarque ostensiblement : « Nous n’avons jamais réclamé une loi d’immunité, je pense qu’il y a eu une mauvaise interprétation à ce sujet. (...) Les personnes qui ont enfreint la loi devront être punies en conséquence, qu’elles soient d’un côté ou de l’autre. (...) L’enjeu est de mettre de côté les positions, ni le gouvernement de transition ni nous ne pouvons-nous montrer intransigeants [19]. Pour la petite histoire, Copa n’appartient pas au cercle rapproché d’Evo Morales et en garde une certaine amertume, qu’elle exprimera à l’occasion. Tout comme elle multiplie publiquement les critiques à l’égard de la direction de son propre parti (ce dont la presse de droite fait fort logiquement ses choux gras).
D’autres voix s’élèvent au sein du MAS, elles aussi pour le moins surprenantes. Fin décembre, le député Tito Veizaga appelle les anciens ministres d’Evo Morales – menacés et pourchassés par Murillo – à assumer leurs responsabilités : « Ils doivent faire face à la justice, car tôt ou tard, ils devront l’affronter. » Sénateur, Efraín Chambi reprend lui aussi le discours de la droite en affirmant que les ex-juges du Tribunal suprême électoral (TSE) – arbitrairement emprisonnés – ont trahi la confiance des mouvements sociaux : « Ils doivent être jugés car ils ont joué avec la vie démocratique du pays. »
A l’inverse, celle qui a précédé Eva Copa à la tête du Sénat, a démissionné le 14 novembre, mais demeure sénatrice, Adriana Salvatierra, manifeste une totale solidarité à l’égard des siens : « Je ne suis pas d’accord pour appeler cette administration transitoire "gouvernement". Nous ne pouvons pas reconnaître en cette occupation un gouvernement car, en plus de continuer à s’appuyer sur les chars [militaires], ils prennent des décisions structurelles alors qu’ils ne sont pas qualifiés pour cela. »
Dans son camp, certains clouent Salvatierra au pilori – à commencer par su « hermana » (sœur) Eva Copa. D’autres l’accusent de « désertion ». D’après la Constitution, c’est le ou la président(e) du Sénat qui assume le pouvoir en l’absence du chef de l’Etat. En démissionnant après le départ de Morales (comme l’ont fait son premier vice-président, Rubén Medinace, et le président de la Chambre des députés Victor Borja), Salvatierra aurait imprudemment laissé la voie libre à Añez, deuxième vice-présidente du Sénat, qui a sauté sur l’occasion. « Ma démission, verbale, n’a pas été prise pour des raisons personnelles, mais pour des raisons politiques, conjointement avec le président Evo Morales et Álvaro García Linera », se défend Salvatierra. Pour elle, succéder à « Evo », « forcé à démissionner par la violence », n’aurait pas été seulement un acte illégitime et inconstitutionnel, mais « une déloyauté » et « un acte de trahison complice du coup d’Etat [20] ».
Il apparaît de plus en plus clairement que s’opposent au sein du MAS un courant qu’on dira « orthodoxe » et une aile plus conciliatrice à l’égard du pouvoir de facto. Pour les uns, « les parlementaires qui dansent sur la musique voulue par les putschistes ont perdu leur dignité. (...) Ils se sont fixés comme objectif central de prolonger leur mandat et de tirer le meilleur parti de leur pouvoir éphémère, dans leur propre intérêt [21]. » Pour les autres, tel le vice-président « masista » du Sénat, Omar Aguilar, « il ne reste heureusement sur le banc des sénateurs du MAS que deux ou trois partisans de la ligne dure, ceux qui pensent que seule leur opinion compte, ceux qui croient qu’ils continueront à imposer leurs critères aux autres. Dans l’amplitude démocratique interne [du parti], je crois qu’Evo Morales et certains dirigeants doivent comprendre que nous ne sommes pas dans la ligne de la confrontation. »
Tandis que les uns courbent le dos et que les autres s’écharpent à fleurets à peine mouchetés, la base, pleine de fureur, se ronge les poings, cherchant par quel moyen elle pourrait lutter. L’absence des leaders de premier rang et d’un parti monolithique, pour ne pas dire vertical, dirigeant la résistance, l’a laissée désemparée et paralysée. Dès le 25 novembre, elle a toutefois frémi une première fois quand Andrónico Rodríguez, proche d’ « Evo » et principal dirigeant des « cocaleros » du Tropique de Cochabamba, le fief de l’ex-président, a harangué les foules d’El Alto (l’immense urbanisation populaire qui surplombe La Paz). Exigeant le départ d’Añez, Rodríguez a affirmé haut et fort que Morales demeurait le président de tous les Boliviens (il n’avait, constitutionnellement, pas encore terminé son mandat). Deux jours plus tard, un document signé par les organisations sociales ayant refusé de dialoguer avec les putschistes [22] ratifiera leur « appui moral et matériel » à Morales, exigera la libération des prisonniers politiques et appellera la COB à rectifier sa position.
Du dedans ou du dehors, beaucoup souhaitaient réduire l’ancien président au silence… Le MAS de la résistance réagit sans ambiguïté : il désigne « Evo » directeur de campagne pour les prochaines élections. Depuis Buenos Aires, où il reçoit en permanence représentants et dirigeants du MAS et communique avec ceux qui ne peuvent se déplacer, celui-ci va jouer un rôle capital dans le choix des candidats de sa formation politique pour le scrutin auquel, pour la première fois en vingt ans, il ne pourra participer. Cinq noms circulent, avancés par les uns et les autres : Diego Pary (ambassadeur auprès de l’OEA de 2011 à 2018, ministre des Affaires étrangères en 2018 et 2019) ; David Choquehuanca (ministre des Affaires étrangères de 2006 à 2017) ; Luis Arce (qui, à l’Economie depuis 2006, a mis en musique la sortie du modèle néolibéral) [23] ; Adriana Salvatierra et Andrónico Rodríguez. Tous des fidèles de Morales (même si Choquahuanca prend ses distances à l’occasion). Et c’est Morales qui, le 19 janvier, au nom du pragmatisme, entérine la décision en faveur d’Arce, au terme d’un très long débat.
Au sein du Pacte d’unité (soutien électoral du MAS), un pan des mouvements de l’altiplano ainsi que la COB avaient fait le choix de Choquehuanca, d’origine aymara. Fort classiquement, le dénouement provoque des remous (à arrière-fond indigéniste, cette fois) : « Lors de la réunion nationale, Choquehuanca a reçu le soutien des organisations sociales de sept départements, mais, malheureusement, aujourd’hui, nous avons la surprise de voir un frère indigène [« Evo »] soutenir un frère Q’ara [blanc], s’indigne Alvaro Mollinedo, dirigeant paysan de la Fédération Tupac Katari. Comment peut-il y avoir une telle trahison ? »
Au terme d’une réunion à El Alto, le Pacte d’unité acceptera finalement le binôme Arce – Choquehuanca, ce dernier donnant de sa personne pour convaincre les réticents : « La droite veut nous diviser et fera la fête si nous nous divisons (…) Nous ne devons pas penser à nous-même ni à notre secteur, il faut penser à la Bolivie. » Comme Morales en son temps est devenu « Evo », Luis Arce devient « Lucho » ; auréolé de ses succès à l’Economie, il devra rallier une part notable des classes moyennes et des secteurs urbains modérés. Candidat à la vice-présidence, Choquehuanca rassemblera de son côté les secteurs populaires et indigènes.
Répression, persécution des dirigeants populaires, restauration conservatrice, scandales de corruption, gestion calamiteuse du Covid, élections sans cesse repoussées [24]…
Quand, sur le terrain, et dans un premier temps, le MAS a perdu l’initiative politique, les secteurs indigènes aymara et quechua ainsi que les organisations rurales se sont spontanément mobilisés. Les forces populaires urbaines se joignent à la résistance à El Alto, La Paz, Cochabamba, Santa Cruz, etc. Débordant et leurs dirigeants et les législateurs, tous vont jouer un rôle clé dans la remise en ordre de marche du Pacte d’unité et conséquemment du parti. Les dirigeants de la COB, comme souvent, se complaisent dans l’ambiguïté. S’ils réclament l’organisation d’élections, ils se gardent bien d’appuyer le MAS, pour éviter les représailles de la clique au pouvoir. Ce qui ne va pas sans contestations internes. Dirigeant de la Fédération syndicale des travailleurs des mines (FSTM), membre de la COB, Orlando Gutiérrez prend clairement position : « Nous avons vécu quatorze ans de gouvernement avec notre camarade Evo Morales. Nous avons vraiment eu des problèmes avec lui, des différences, et même quelques mobilisations sporadiques. Avec ce coup d’Etat, ils nous ont surpris. (…) Mais les gens sont actifs. Nous allons gagner les élections (…) Je peux imaginer ce que ce sera d’accueillir Evo à l’aéroport d’El Alto. »
Evo Morales vu par le médiocre quotidien de droite équatorien El Universo.
En juillet et surtout août, les manifestations contre le régime autoritaire s’intensifient. Pacte d’unité et COB appellent au blocage du pays. Figure historique de la contestation radicale, le « mallku » Felipe Quispe (77 ans) les rejoint. Depuis Washington, le secrétaire général de l’OEA, Luis Almagro, condamne le mouvement (accusé d’empêcher le déplacement des ambulances et le transport de l’oxygène nécessaire à la lutte contre le Covid-19). A La Paz, la honteuse Assemblée permanente des droits de l’homme (APDH) en fait autant. On ne parlera pas de surprise. Elle a très activement participé à la longue campagne menée contre Morales, a hurlé à la fraude avec les « ultras » et a appuyé le coup d’Etat [25].
L’exaspération s’amplifiant de jour en jour, sur les plus de cent barrages installés dans le pays, la revendication évolue. A l’exigence des élections (prévues pour le 6 septembre, à ce moment) se substitue le mot d’ordre « Démission immédiate d’Añez ». « C’est fini, on ne peut plus attendre, il faut la coincer, elle et ce clown de [ministre de l’Intérieur] Murillo, jusqu’à ce qu’ils tombent », harangue le « mallku », présent sur tous les fronts.
Là encore, l’expérience politique et le sens stratégique d’« Evo » vont infléchir les événements. Alors que le pouvoir lance de nouvelles poursuites contre lui pour « génocide » et « terrorisme », en l’accusant d’être l’organisateur de cette paralysie du pays, il calme le jeu depuis Buenos Aires : « Les dirigeants et les bases sociales mobilisés doivent faire un choix responsable entre la démission d’Áñez, qui retardera encore notre retour à la démocratie, et des élections anticipées garanties par les Nations unies. » Compte tenu de l’ampleur des mobilisations, Añez, à ce moment, pouvait tomber. La situation très incertaine en découlant – à commencer par la réaction des militaires – risquait de remettre en cause l’organisation du scrutin. La mise en place d’un gouvernement de transition posait tout autant de problèmes. Constitutionnellement, aurait succédé à la « cheffe d’Etat » démissionnaire ou renversée, la… présidente du Sénat, Eva Copa. Chargée de gérer la pandémie et surtout l’inévitable chaos créé par l’extrême droite, amenant le MAS à faire campagne (si tant est qu’il y en ait une) dans les pires conditions…
Comme il l’avait fait en 2005, Morales, le supposé « caudillo » autoritaire, freine les mobilisations susceptibles de déraper en début de guerre civile et joue à fond la carte de la démocratie. Déjà, le 22 janvier, à Buenos Aires, en présence d’Arce et Choquehuanca, il avait déclaré : « Je suis convaincu que ce n’est qu’une question de temps.Nous allons revenir au gouvernement, mais pas avec des balles, avec la conscience du peuple, avec son vote, pacifiquement, démocratiquement. »
Paradoxalement, et sur le coup, Morales sauve sans doute… Añez. Mais son autorité et son « leadership » sont entendus : priorité est donnée aux élections dont le MAS, sondage après sondage, est largement favori. Malgré les réticences des radicaux et de la COB, qui finalement se rallie, le blocage du pays est suspendu. A condition toutefois qu’Añez garantisse l’organisation du scrutin tant attendu – ce que, sous la pression, elle fait en ce mois d’août, en fixant la date du 18 octobre, « sans report possible ». Avec le dénouement que l’on connaît (la victoire du MAS étant trop large pour pouvoir être contestée).
En 2005, l’élection du binôme Morales (l’Indien) et García Linera (l’intellectuel) avait été qualifiée d’alliance « de la cravate et du poncho ». Quinze années plus tard, on peut reprendre la même expression s’agissant du duo Arce – Choquehuanca. Toutefois, la redoutable épreuve de coup d’Etat et de ses prolongements ont violemment secoué le bloc populaire, ses alliés et ses représentants. Pour le meilleur et pour le pire, au demeurant… A ceux qui n’en auraient jamais pris conscience, on précisera que gouverner la Bolivie, même quand on le fait depuis « la gauche », est un sport de combat.
Beaucoup exigent que des têtes tombent. Pour eux, le « parti bleu » (le MAS) doit se renouveler. En ce sens, la CSUTCB et la Confédération des femmes paysannes Bartolina Sisa (CMCBS, également nommée Bartolinas) appellent à la non reconduction de la majorité des députés et sénateurs, beaucoup s’étant contentés de « chauffer les sièges » du Congrès et ayant rompu le lien avec leurs bases.
Appel entendu, accepté et exécuté. Organisées en même temps que la présidentielle, les élections d’octobre 2020 marqueront une rénovation totale des législateurs « masistas » ; les nouveaux élus serontissus pour la plupart des organisations sociales. On notera au passage que, droite et gauche confondues, le pourcentage des femmes au Parlement atteindra 51,9 % (55,5 % au Sénat, 46,9 % à la Chambre des députés). Ce grâce à l’article 33 de la Loi des organisations politiques, établissant le principe de parité, approuvée en 2018, sous la présidence d’« Evo » – régulièrement accusé de « machisme » (ce qui évite de prononcer le mot « Indien ») par ses opposantes de la moyenne bourgeoisie.
L’heure est venue de faire les comptes. Selon un scénario archi-habituel, chacun de ceux qui l’ont soutenu pendant la campagne vient présenter la note au président élu, « el hermano » Arce. Tous ont été « loyaux dans les moments difficiles ». Moyennant quoi, la direction régionale d’El Alto revendique au moins cinq ministères (travail, justice, eau, culture et affaires étrangères) ; la COB en exige quatre (travail, hydrocarbures, mines et santé) ; les Bartolinas n’en réclament qu’un (les Femmes). « Cela fait penser que votre vote, votre soutien, n’étaient pas gratuits, s’agace le député sortant Edwin Rodríguez ; cette vieille pratique est celle que nous voulons changer dans le pays. » Arce, de son côté, doit mettre les points sur les i : « Je me suis réuni avec plusieurs organisations sociales et j’ai calculé qu’il me faudrait 149 ministères [car] elles m’en réclament toutes un. Ce qui est sûr c’est que que nous allons être très austères ; je ne pense pas que nous ayons l’argent pour avoir 149 ministères et satisfaire toutes les organisations qui nous en ont demandé [26]. »
Dans un autre registre, pour de bonnes raisons – la rénovation du personnel politique – ou de beaucoup moins nobles objectifs – la satisfaction des egos et des ambitions – une faction du MAS mène une bruyante offensive contre les « anciens » et les « dinosaures » de l’entourage de Morales, estimant son tour venu d’accéder aux plus hautes fonctions. Député (sortant), Henry Cabrera s’en prend aux ex-ministres d’ « Evo » réfugiés dans l’ambassade du Mexique et à ceux qui se sont exilés : « Nous n’en voulons plus car ils s’échappent et se réfugient alors que les camarades du MAS restent ici. » Président de la Chambre (lui aussi sortant), Sergio Choque fulmine lorsque Quintana (ex-ministre de la Présidence), depuis l’ambassade du Mexique, s’exprime dans les médias : ceux qui se sont cachés « comme des rats et des autruches », peste Choque, ne pourront faire partie du nouveau cabinet. Même Morales n’échappe pas à l’ire de certains contestataires.
« Evo » : l’ennemi numéro un de la dictature (et des Etats-Unis avec qui les liens diplomatiques ont été renoués). Pendant ses onze mois de pouvoir, le gouvernement Añez a tout fait pour le criminaliser. Ex-ministre de l’Intérieur, Carlos Romero raconte comment, quand qu’il était emprisonné, entre le 17 janvier et le 18 juin 2020, il a reçu la visite de deux vice-ministres de Murillo lui assurant que s’il impliquait Morales dans un fait criminel, qu’il soit personnel ou politique, on saurait se montrer indulgent avec lui. Ancien gouverneur du Beni, Alex Ferrier rapporte qu’il a été torturé dans le pénitencier de Chonchocoro (La Paz), en août, pour l’obliger à impliquer l’ancien chef de l’Etat dans une affaire de pédophilie.
Deux questions se posent désormais – aussi bien en Bolivie qu’à l’étranger. Quel rôle jouera demain « Evo » alors que son ex-ministre, Arce, est devenu président ? Qui gouvernera, le nouveau chef de l’Etat ou son « encombrant mentor » ? Et quand ce dernier reviendra-t-il dans son pays ? « Le plus rapidement possible », a déjà répondu Morales au lendemain de la victoire de « Lucho ».
En porte-parole de la droite la plus rance, la présidente de l’Assemblée permanente des droits humains de Bolivie (APDH), l’ex-religieuse espagnole Amparo Carvajal, s’insurge : l’ancien président « ne peut revenir comme un héros », de très graves accusations pesant sur lui. Le gouvernement de facto ne l’accuse-t-il pas de « génocide, terrorisme, sédition, fraude électorale » et même de « viol de mineure » ? « Il devra se défendre devant la justice », si d’aventure il ose rentrer.
Fort logiquement, le Porte-parole du MAS Sebastián Michel déclare qu’ « Evo » ne peut revenir tant qu’Añez et son âme damnée Murillo seront au pouvoir, Arce n’occupant sa fonction qu’à partir du 8 novembre 2020 : « En ce moment, il ne peut pas revenir, il ne dispose pas des garanties fondamentales, il n’y a pas de procédure régulière (...) Une fois que les garanties seront rétablies, il pourra rentrer librement. » Président sortant de la Chambre des députés, Sergio Choque opine, sans enthousiasme démesuré : « Evo Morales a parfaitement le droit de rentrer au pays. » Approche quelque peu différente et hautaine, et qui en surprend plus d’un, d’Eva Copa, pour quelques semaines encore présidente du Sénat : « Nous ne pensons pas que ce soit le bon moment, il y a d’autres problèmes à résoudre et nous, avec Luis [Arce], et en tant qu’Assemblée, nous avons d’autres tâches à achever. » Peu amène, la déclaration contribue à répandre et accréditer l’idée que, au sein du MAS, « Evo » n’est vraiment pas le bienvenu.
Interprétation erronée.
Le 9 novembre, dans le cadre d’une cérémonie chargée d’émotion et du symbolisme politique de la « Patria Grande » (la Grande patrie) [27], le président de centre gauche Alberto Fernández accompagne celui qu’il a protégé sur le pont qui relie La Quiaca (nord de l’Argentine) à Villazon (sud de la Bolivie). Après avoir chaudement remercié son hôte – « Une partie de ma vie reste pour toujours en Argentine » – et évoqué Néstor Kirchner en soulignant que « le combat se poursuit contre l’impérialisme », « Evo » entreprend un épique périple d’un millier de kilomètres au milieu d’une double haie de compatriotes qui pleurent, l’ovationnent et clament à l’unisson : « Evo n’est pas seul ! ». Deux jours plus tard, sur l’aéroport de Chimoré (département de Cochabamba), d’où il s’est envolé un an plus tôt pour l’exil, plusieurs centaines de milliers de Boliviens – peut-être même un million – lui réservent un accueil triomphal. Quelques jours plus tard, à Cochabamba, le MAS réélit unanimement « Evo » à la tête du parti.
Chimoré, le retour
Un détail (qui n’en est pas un) : Luis Arce a été investi à La Paz le 8 novembre, au milieu de l’effervescence et de l’enthousiasme populaire. Pour ne pas risquer de faire de l’ombre à cette intronisation et la parasiter par son propre retour éclatant, « Evo » a choisi de ne rentrer que le lendemain.
Depuis longtemps déjà, Morales a précisé qu’il n’aspire pas à faire partie de l’équipe ministérielle d’Arce. Ce n’est pas suffisant. Rumeurs et médias fournissent une vision des événements bien plus intéressante : l’ancien chef de l’Etat va utiliser son successeur et les nouveaux dirigeants « comme des marionnettes ». Pressé de questions insidieuses, Arce répond fort légitimement ce que rétorque tout chef d’Etat nouvellement élu confronté à ce genre de situation : « Lui c’est lui, moi c’est moi. » « Nous voulons être un MAS version 2.0, précise-t-il, en faisant de la place aux professionnels engagés afin qu’ils puissent contribuer aux changements possibles, non seulement au sein du cabinet mais aussi dans la vie politique (…) Le plus important est de poursuivre le processus de changement qu’a dirigé le “compañero” Evo. »
A ceux qui, au sein du MAS ou du mouvement social, et au nom de l’indispensable « rénovation », continuent à mener campagne pour exclure ses anciens proches collaborateurs de tout poste de responsabilité, Morales rétorque de son côté : « Je crois que quelques “compañeros” se trompent. Ils disent non à l’entourage d’Evo, mais les proches d’Evo qui ont duré le plus longtemps sont Lucho Arce et David Choquehuanca ! Le troisième était Juan Ramón [Quintana] et Roberto Aguilar [ancien ministre de l’Education]. (…) Il y a quelques problèmes internes. Une confusion. (…) D’après mon expérience, il faut combiner entre les fondateurs, les anciennes autorités et davantage d’opportunités pour les nouvelles générations. »
On voudrait opposer Arce et Morales. On aimerait les voir s’affronter. Chacun d’entre eux joue le jeu institutionnel et respecte l’autre. Le 9 novembre, en toute indépendance, Arce nomme les seize ministres qui vont l’accompagner dans sa gestion. Des jeunes au profil technique issus du MAS. Ministre de la Présidence, Marianela Prada a été sa cheffe de cabinet lorsqu’il dirigeait l’Economie. Désormais à la tête de ce ministère stratégique, Marcelo Montenegro, a déjà travaillé avec lui. Un avocat connu pour avoir défendu les victimes du néolibéral Sanchez de Lozada dirigera les Affaires étrangères : Rogelio Mayta. Segundina Flores, dirigeante des Bartolinas, prend la tête du ministère de la Culture (qu’avait supprimé Añez !). Autre référent du Pacte d’unité, le dirigeant paysan Juan Villca, homme fort de la CSUTCB, devient vice-ministre de la Coordination avec les mouvements sociaux…
Ceux qui, unanimes à droite, plus bruyants que nombreux à gauche, souhaitaient l’éradication du pan historique du « masismo » vont toutefois devoir déchanter. Le nouveau titulaire de la Défense, Edmundo Novillo, appartient à la vieille garde d’« Evo ». Considéré comme le « dauphin » de ce dernier, le jeune Andrónico Rodríguez est élu président du Sénat. Parmi les fidèles, Freddy Mamani présidera la Chambre des députés ; Diego Pary représentera la Bolivie à l’OEA ; Wilfredo Chávez, avocat de Morales, devient procureur général de la Nation après avoir fait partie de la commission du MAS chargée d’organiser avec Añez une « transition ordonnée »…
Pour autant, a précisé le porte-parole de la présidence Jorge Richter, très peu ont été recommandés et encore moins imposés par « Evo » : « Il y a eu des gens, parce que la politique fonctionne aussi de cette façon, qui ont rapidement cherché un “parrain” pour obtenir une place au sein de l’Etat, et les gens qui sont venus voir “el señor” Evo Morales ont eu en réponse qu’il laisse Arce et Choquehuanca construire leur cabinet, et que ce cabinet est de la responsabilité de ceux qui gouvernent, alors très peu, très peu, ont pu être recommandés [28]. »
Lors du retour triomphal d’ « Evo » à Chimoré, son ex-ministre de l’Intérieur, Carlos Romero, avait, pour déminer le terrain, envisagé les rôles de chacun : « Le binôme qui dirige le gouvernement est un binôme légitime, qui a gagné par son propre mérite la présidence et la vice-présidence de l’Etat. Mais la direction politique et stratégique du processus appartient à Evo Morales. » Lequel, effectivement, en leader de l’instrument politique, convoque un « ampliado » (réunion élargie) des mouvements sociaux pour commencer à préparer les élections des gouverneurs et des maires de mars 2021. Le 21 novembre, à Cochabamba, Arce et Choquehuanca assistent à l’événement présidé par « Evo ». Sous les ovations, ancien et actuel chefs de l’Etat, qui se retrouvent pour la première fois, échangent sans retenue le traditionnel « abrazo ». Aux dirigeants et militants, Morales lance la consigne : « L’une de nos tâches, pour défendre notre processus de changement et protéger notre président Lucho, est de gagner autant de gouvernorats et de mairies que possible dans toute la Bolivie (...) Nous devons gagner au moins sept gouvernorats sur les neuf existant et au moins 300 mairies, ce qui sera le meilleur blindage pour défendre notre processus de changement. » L’expression, désormais, reviendra régulièrement dans sa bouche : « protéger “Lucho” ».
Evo et Arce (Cochabamba)
Contrairement à ce que certains craignent (et que d’autres espèrent ardemment !), Arce ne sera manifestement pas un Lenín Moreno – ce président équatorien qui, en renouant avec la doxa néolibérale, les milieux financiers, les multinationales et l’alignement sur Washington, a trahi à la fois son prédécesseur Rafael Correa et ceux qui l’ont élu sur sa promesse de poursuivre la « révolution citoyenne ». En quelques semaines, les premières mesures du nouveau chef de l’Etat bolivien donnent le ton. Un « Bon contre la faim » destiné à quatre millions de personnes – avec un intérêt particulier pour les zones rurales, abandonnées par le gouvernement de facto – est mis en place pour atténuer les effets économiques de la pandémie. Avec le même objectif, le Parlement approuve la Loi 033 qui crée un impôt sur les grandes fortunes. Une semaine auparavant, avait été abrogé le Décret 4232 qui, depuis mai, autorisait de nouveaux OGM.
Sur le plan diplomatique, retour aux sources. Le nouveau gouvernement rétablit les relations diplomatiques avec le Venezuela et Cuba, expulse de l’ambassade vénézuélienne, qu’ils avaient investi avec la complicité des putschistes, les représentants du président fantoche Juan Guaido. Les rapports avec le Mexique, l’Argentine et le Nicaragua se dégèlent tout naturellement. La Paz annonce qu’elle réintègre l’Alliance bolivarienne pour les peuples de notre Amérique (ALBA), dont s’était retiré le pouvoir illégitime, et qu’elle reprend sa participation à l’Union des nations sud-américaine (Unasur) et la Communauté des Etats latino-américains et Caraïbes (Celac), qu’Añez, sur instruction des Etats-Unis, avait choisi de dédaigner.
Le renforcement du MAS et son articulation avec les organisations sociales constituent un facteur clé pour la réussite d’Arce. C’est en chef de parti élu par les siens qu’« Evo » s’attaque à la tâche. Dans les conditions habituelles... c’est-à-dire parfois chaotiques. La nomination des ministres a déjà donné lieu aux multiples contestations des secteurs (surtout populaires) s’estimant non représentés, ou pas assez, au gouvernement. Le choix des candidats pour les élections des maires et gouverneurs de mars 2021 débouche sur des empoignades encore plus rudes. Pour la mairie de la seule urbanisation d’El Alto, entre ex-ministres, ex-parlementaires, dirigeants et militants, seize pré-candidats du MAS se manifestent – dont Sergio Choque et Eva Copa, que leur rôle après le « golpe » a sortis de l’anonymat.
A l’occasion de ce début de campagne, quelques masques vont tomber définitivement. Dont celui de Copa. Le 9 décembre, en évoquant sur Radio Fides la « transition constitutionnelle forcée » de 2019, celle-ci a enchanté la presse conservatrice engagée dans une campagne destinée à nier qu’il y ait eu un coup d’Etat. Soumise à de virulentes critiques, Copa reviendra ultérieurement sur cette déclaration. Elle est présente et ne dit mot lorsque, le 26 décembre, en présence des cinq pré-candidats finalistes, dont elle fait partie, la direction nationale du MAS annonce le choix, par consensus, de l’ex-dirigeant paysan Zacarías Maquera, plus connu sous le nom de Ratuki (« rapide » en aymara), pour postuler à El Alto. Moins de vingt-quatre heures plus tard, soutenue par une « direction régionale parallèle du MAS » (apparue en septembre) et un « Grand quartier général du peuple alteño », Copa annonce qu’elle se présentera, envers et contre tout, pour le compte de Jallala, une formation politique sans positionnement idéologique clairement affirmé. Actrice de la « pacification » et de la « cohabitation » pendant le régime Añez, elle y retrouve – attelage d’egos plus que de raison – le promoteur radical de l’insurrection, le « mallku » Felipe Quispe, qui lui postule au poste de gouverneur de La Paz.
Sans règles du jeu institutionnelles vraiment claires, une majorité de décisions ont été prises de façon concertée avec la base, d’autres ont donné lieu à des contestations allant jusqu’à la rupture. En effet, l’intérêt général ne concordant jamais avec ceux de tous les membres de l’ « instrument politique », des frictions, parfois extrêmes, ont lieu à Chuquisaca, Potosí, Cochabamba, Santa Cruz. Dans cette dernière ville, une faction depuis longtemps hostile tente par tous les moyens d’éliminer la candidature d’Adriana Salvatierra – laquelle, finalement, se verra choisie pour postuler à la mairie. Partout où les candidats déplaisent à telle ou telle organisation de base, qui considère représenter « le tout », est dénoncé un « dedazo » – la désignation autoritaire du candidat à un poste par le ou les leaders, au mépris de la démocratie. Régulièrement mis en cause, Morales s’en défend : « Il n’y a pas de “dedazo” ; ce que nous faisons, c’est soutenir, réfléchir, pour qu’il y ait des candidats de consensus. Ce n’est pas facile ; il faut comprendre que le MAS est le mouvement politique le plus important [de Bolivie] ; après la victoire du 18 octobre, tout le monde se sent gagnant et veut être candidat. » « Evo » a toutefois été plus direct lorsque le MAS a exclu Eva Copa après sa désertion : « Là où il y a de la conviction, il n’y a pas de dispute, là où il y a de l’ambition, il y a beaucoup de combats. Pourquoi de l’ambition ? Parce que nous manquons encore de formation idéologique, c’est la faiblesse que nous avons (…). »
Pour reprendre l’analyse de l’historien et ex-consul de Bolivie en Argentine, Antonio Abal Oña, il existe trois centres de pouvoir dans le pays : « Tous trois sont absolument légitimes. D’abord, le gouvernement dirigé par Luis Arce et Choquehuanca : c’est l’exécutif qui gouverne le pays. D’autre part, le Pacte d’unité, les organisations les plus puissantes du mouvement ouvrier bolivien, principalement des peuples indigènes, qui ont démontré leur pouvoir avec les blocus du mois d’août. Enfin, nous avons le Mouvement vers le socialisme en tant que structure politique et, à sa tête, Evo Morales, qui, nous ne devons pas l’oublier, en est le président. Les statuts lui accordent la prérogative de définir les candidats en cas de controverses [29]. »
Peut-être faudra-t-il, comme le suggère le président du Sénat Andrónico Rodríguez, souvent présenté comme l’« héritier » d’« Evo », promouvoir des primaires au sein du MAS, en raison de sa taille et du nombre de ses militants : « Nous avons une portée nationale, une présence territoriale, nous sommes le plus grand mouvement du pays et il est très compliqué de prendre des décisions politiques. »
Pour l’heure, fonctionnant par réflexe au lieu de faire travailler leur matière grise, ceux qui n’apprécient guère Morales utilisent ces péripéties pour ânonner leur mot préféré : « caudillo ». Il ne s’agit pas de ça. Sa popularité ne doit rien au hasard. « Evo Morales est notre référent le plus important de ces vingt dernières années, celui qui définit qu’il est possible d’obtenir ce que nous avons conquis depuis les plus humbles fronts du pays, considère Adriana Salvatierra. Il est notre directeur de campagne et le président du parti. Son expérience est très importante, non seulement en termes politiques et électoraux, mais aussi parce qu’il a été à la tête de l’Etat ces dernières années, et que personne, comme lui, n’a une lecture aussi approfondie du pays, du travail qui a été fait, de la petite école qui a été inaugurée, de son budget, du nombre de bénéficiaires de telle subvention. C’est la réalité de l’Etat dans une tête et, j’insiste, c’est sans aucun doute le leadership le plus important que nous ayons eu ces dernières années. »
Le faire tomber avait deux objectifs : détruire symboliquement toute une époque, celle ou avec les Chávez, Castro, Correa, Kirchner, « Lula », Rousseff, Zelaya, Lugo, Mujica, Ortega, il a changé la face de l’Amérique latine, au nom de la Patria Grande ; en finir avec l’expérience tentée et réussie en Bolivie. Echec total. Le MAS est toujours au pouvoir. Sans en faire un « homme providentiel », concept obsolète et dangereux, son peuple n’a pas lâché son ancien président. Et ce, pour une bonne raison : « Evo, et dans mon cas infiniment moins en termes de leadership, nous venons de l’organisation populaire, analyse García Linera. Avant de devenir des gouvernants, nous avons eu vingt ou trente ans de travail de base, d’organisation, de formation politique, c’est ce que nous savons faire, c’est vraiment de là que nous venons, c’est notre être, notre être politique. Et le fait que nous devions maintenant y revenir est presque évident. En vérité, c’est là que se construisent les leaderships. Le leadership d’Evo n’a pas été construit à partir de l’Etat. C’est une erreur que la droite a commise : "Le leadership d’Evo dépend de l’Etat, s’il n’y a pas de ressources publiques, il n’y a plus de MAS". »
D’après son ex-ministre Quintana, le rôle de Morales sera « de diriger et de renforcer la MAS, de l’articuler avec les organisations sociales et de se consacrer à la formation des cadres » tout en conseillant, « gentiment, en familier, compte tenu de son expérience, le gouvernement [30]. »
De mauvais augure pour ceux qui s’imaginaient que, dans la grande tradition, l’ex-chef de l’etat annoncerait son retrait de la vie publique pour retourner « faire du fric dans le privé ».
[1] Etant intervenue avant l’adoption de la Constitution, sa première élection n’est pas prise en compte.
[13] Homme politique et écrivain, Marcelo Quiroga Santa Cruz (1931-1980) a joué un rôle important dans la nationalisation des biens de la Bolivian Gulf Oil Company en tant que ministre de l’Energie et des hydrocarbures, dans le gouvernement du général Alfredo Ovando (1969-1970). Fondateur du Parti socialiste en 1971, il a été assassiné en 1980 par des paramilitaires durant la dictature de Luis García Mesa (1980-1981).
[14] Théoricien du réveil identitaire indigène comme moteur des mouvements sociaux, García Lineraa participé à l’Armée de Guérilla Tupac Katari avant d’être arrêté en 1992 et de passer cinq ans en prison sans être jugé.
[15] Référence à la Guerre de l’eau (2000), à la Guerre du Gaz et au renversement du président ultralibéral Gonzalo Sánchez de Lozada (2003) ainsi qu’à la démission « sous la pression » du néolibéral Carlos Mesa (2005).
[16] Maurice Lemoine, « Puissant et fragmenté, le mouvement social bolivien », Le Monde diplomatique, novembre 2005.
[22] Entre autres : Confederación Sindical de Mujeres de Comunidades Interculturales de Bolivia (CSMCIB) ; Coordinadora de las Seis federaciones del Trópico de Cochabamba ; Distrito 8 de la Junta de Vecinos de El Alto ; Federación Sindical Interculturales Productores Agroforestales de El Chore-San Juan-Campo Víbora ; Coordinadora Andina de Organizaciones Indígenas…
[23] Le PIB a atteint des chiffres record de croissance – jusqu’à 6 % – et la pauvreté est passée de 60 % à 37 %.
[25] L’APDH est la correspondante et l’informatrice en Bolivie d’Amnesty International (AI), de Human Right Watch (HRW) et de la Fédération internationale des droits de l’Homme (FIDH). De ce fait, et à une exception près – lorsque Añez a signé un décret d’impunité pour les militaires qu’elle envoyait réprimer –, ces trois multinationales sont demeurées particulièrement discrètes pendant le coup d’Etat et la période qui a suivi.
Lauren Ashcraft : « Un président suprémaciste blanc qui manipule les masses »
Vendredi 8 Janvier 2021 - L'Humanité
La militante socialiste états-unienne Lauren Ashcraft dénonce un déni de mémoire historique rendant possibles des événements tels que l’incursion dans le parlement, mercredi 6 janvier, à Washington. Entretien.
Quels sont vos sentiments sur ce qui s’est passé au Capitole ?
Lauren Ashcraft Malheureusement, voir des terroristes d’extrême droite prendre d’assaut le Capitole, mercredi, ne m’a pas surprise. Mais cela m’a fait peur.
Selon vous, le « trumpisme » et ses méthodes populistes d’extrême droite vont-ils survivre une fois que Trump aura quitté le pouvoir ?
Lauren Ashcraft Je pense malheureusement que le trumpisme est un symptôme de quelque chose de terriblement ancré dans notre culture et ce depuis la naissance des États-Unis. Si vous pensez à la façon dont nos terres ont été volées aux peuples indigènes, dont notre économie a été construite sur le dos de personnes réduites en esclavage, dont nos parents se souviennent des écoles ségréguées en fonction de la couleur de la peau et dont notre système éducatif a été gravement sous-financé, nous avons eu la recette parfaite pour qu’un président suprémaciste blanc manipule les masses.
Pensez-vous que la démocratie américaine est malade ?
Lauren AshcraftNotre démocratie n’est pas seulement malade. La version idéalisée de la manière dont nous pensons que notre « démocratie » fonctionne n’a jamais existé. Les entreprises financent la plupart de nos dirigeants fédéraux et ce sont elles qui dictent leurs programmes et leurs agendas. Mélangez cela à une éducation propagandiste et des millions d’Américains pensent qu’il est normal de renoncer à un traitement médical parce qu’ils ne sont pas assurés. Parce que notre système de santé est construit pour le profit.
Selon vous, que doit faire le camp progressiste face à une extrême droite qui a recours à l’action extralégale ?
Lauren Ashcraft Tous ceux qui nous regardent devraient avoir peur et décider ensemble que la violence et la suprématie blanche ne sont pas la solution. Progresser en tant que nation nous demande de comprendre que nous, Américains de la classe ouvrière, avons plus en commun que le contraire. Ensemble, nous devrions évincer les dirigeants qui tirent profit de nos souffrances. Nous avons vu des candidats incroyablement populaires se faire élire récemment. Cela s’est produit grâce à une organisation et à un travail acharné, et cela peut continuer à se produire ! Je sais qu’il peut y avoir beaucoup de luttes intestines et de désaccords sur la manière dont nous allons apporter le changement dont nous avons besoin. La chose la plus importante à faire est de rester unis contre le fascisme. Nous sommes dans le même bateau et nous devons nous organiser et continuer à rassembler le plus de personnes possible afin qu’elles se tiennent à nos côtés pour gagner.
Depuis des jours Israël est présenté comme un modèle en matière de taux de vaccination de sa population contre le Covid-19. À de rares exceptions près, la réalité de cette politique de vaccination n’est pas détaillée. De plus, le statut de « puissance occupante » de cet État n’est que très rarement abordé.
On ne peut pourtant pas ignorer qu’Israël est depuis 1967 selon le droit international une puissance occupante, et doit par conséquent remplir les obligations définies par la quatrième Convention de Genève.
Comme le rappelle un appel initié par des organisations palestiniennes et israéliennes auquel l’AFPS s’est associée, « l’article 56 de la quatrième Convention de Genève prévoit expressément que l’occupant a le devoir de veiller à la santé publique dans le territoire occupé, "notamment en adoptant et en appliquant les mesures prophylactiques et préventives nécessaires pour combattre la propagation des maladies contagieuses et des épidémies". Ce devoir comprend le soutien à l’achat et à la distribution de vaccins à la population palestinienne sous son contrôle. »
Le comportement d’Israël a été fortement dénoncé l’année dernière quand, puissance occupante, elle a détruit des centres de santé mis en œuvre par des Palestiniens à Jérusalem ou à Hébron, quand elle arrêtait des volontaires qui désinfectaient les rues de Jérusalem-Est, quand elle laissait les prisonniers politiques palestiniens dans une situation sanitaire qui empêchait tout geste barrière et toute protection contre l’épidémie.
Des déclarations du ministre israélien de la sécurité publique, Amir Ohana, le 24 décembre 2020, qui donnaient instruction aux services compétents de ne pas vacciner les « prisonniers de sécurité », visaient de fait les prisonniers politiques palestiniens. Elles contredisaient les règles de priorité dans l’ordre de vaccination qui incluent en particulier les personnes âgées de plus de 60 ans. Les mauvaises conditions de santé de ces prisonniers auraient dû en faire des personnes à vacciner prioritairement. À ce jour, malgré les protestations engendrées suite à ces déclarations révoltantes et un léger embarras des autorités israéliennes, les prisonniers politiques palestiniens n’ont reçu aucune vaccination.
À Jérusalem-Est, territoire palestinien occupé et annexé illégalement par Israël, trois centres de vaccination ont été ouverts et les Palestiniens titulaires d’un permis de résidence peuvent s’y rendre. Cependant plusieurs centaines de milliers de Palestiniens de Jérusalem vivent reclus de l’autre côté du mur de séparation érigé par Israël. Ces quartiers ne bénéficient d’aucun service public et leurs habitants sont de facto dans l’impossibilité de recevoir le vaccin.
Dans le même temps, en territoire palestinien occupé, les colons qui vivent illégalement sur les terres volées aux Palestiniens bénéficient de la campagne de vaccination israélienne.
En ce qui concerne la Cisjordanie et la Bande de Gaza, territoires également occupés, rien : aucune campagne de vaccination n’est engagée et une hypothétique campagne de vaccination est tributaire de l’aide internationale dans un avenir indéterminé. Le droit international – et dans le cas présent la quatrième convention de Genève – est comme à l’accoutumée totalement ignoré et bafoué par Israël.
L’occupation, la colonisation, le blocus de Gaza ont mis l’économie et le système de santé palestiniens à genoux. Les Palestiniens se trouvent livrés à eux-mêmes et privés de la protection de la vaccination. Cette situation est absolument inacceptable.
Israël se doit d’apporter les fournitures et services nécessaires aux Palestiniens vivant sous occupation militaire. Cela ne doit plus être différé. Cette obligation doit lui être rappelée avec la plus grande fermeté. C’est ce que l’AFPS, aux côtés des ONG palestiniennes, demande instamment aux autorités françaises et européennes de faire.
Le Bureau national de l'Association France Palestine Solidarité 6 janvier 2021
Donald Trump a donc fait hier ce qu'il avait menacé de faire tout au long de la campagne électorale présidentielle américaine : lancer à l'assaut des institutions américaines, et dans les rues du pays, ses troupes fanatisées et assoiffées de violence pour plonger le pays dans la tourmente. S'attaquer à un Parlement relève d'une atteinte grave à la démocratie, même quand celle-ci est affaiblie par la domination de puissances financières.
Trump qui dit incarner "le parti de la loi et de l'ordre" se révèle chaque jour un peu plus, s'il est encore possible, tel qu'en lui-même : dictatorial et ardent militant de la haine et de l'obscurantisme.
Donald Trump a appliqué à son propre pays ses méthodes de milices fascistes et de gangster qu'il avait jusqu'ici réservées aux pays et peuples dont il nie les souverainetés nationales.
A coup de mensonges éhontés et de manipulations, il a non seulement mobilisé 70 millions d'électeurs au cours du scrutin de novembre dernier mais réveillé les réseaux néofascistes de son pays et du monde.
Ces faits sont d'une grande gravité, pour le peuple étasunien mais aussi bien au-delà, alors que les mouvements les plus réactionnaires et néo-fascistes à travers la planète s'appuient sur les méthodes et les théories politiques de Trump pour nourrir et légitimer leurs actions dans de nombreux pays.
L'heure est donc à soutenir et travailler avec les forces progressistes étasuniennes, qui ont largement contribué à écarter Trump de la Maison blanche et qui seront les plus déterminées à obtenir de véritables changements politiques aux Etats-Unis.
Le PCF exprime ainsi sa plus totale solidarité avec les forces de gauche et progressistes américaines, dont le Parti communiste des Etats-Unis (CP-USA), les militant-e-s DSA au sein du Parti démocrate, les syndicalistes, l'ensemble du mouvement #blacklivesmatter.
Avec elles, il entend faire grandir ce mouvement international en faveur de la libération des peuples de tous les impérialismes, de l'émancipation des individus, de la justice sociale, de l'égalité et de la démocratie, partout à travers le monde.
Fabien Roussel, secrétaire national du PCF, députée du Nord,
Cette étudiante en mathématiques prend les rênes de la capitale de l’État du Kérala, Thiruvananthapuram. Soit la plus jeune maire au monde d’une ville de cette importance.
Il y a décidément quelque chose de frondeur chez les femmes kéralaises. Dans une société extrêmement politisée, qui enregistre les meilleurs taux d’alphabétisation de toute l’Inde, c’est une étudiante en mathématiques de 21 ans qui prend les rênes de la capitale de l’État, Thiruvananthapuram. Soit la plus jeune maire au monde d’une ville de cette importance. Désignée lundi par le conseil municipal à la tête de la ville de 750 000 habitants, Arya Rajendran a de qui tenir. Son père, électricien, et sa mère, employée d’une société d’assurances publique, militent tous deux au Parti communiste d’Inde (marxiste). « Mon père a toujours dit sa fierté d’appartenir à la classe ouvrière. C’est pourquoi je suis devenue membre de ce mouvement qui représente les ouvriers, les paysans et les gens ordinaires (…) sans parti pris de caste ou de religion », dit-elle dans un coup bien senti contre la politique suprémaciste hindoue du premier ministre Narendra Modi. Présidente du Balasangam (Jeunes communistes) du Kerala, elle milite également à la Fédération des étudiants de l’Inde et assure vouloir poursuivre ses études malgré ses responsabilités. L’axe principal de sa campagne fut celui de l’hygiène et de l’accès aux soins : « Même pendant le Covid-19, les gens avaient peur de se rendre à l’hôpital. Je veux offrir de meilleurs soins pour tous. Et je pense que ma candidature est un signe d’espoir pour tous les jeunes Indiens. » Et pour que, dans une Inde en chemin vers le fascisme, le mantra de « plus grande démocratie du monde » relève d’une réalité effective.
Accord de Brexit: les paradis fiscaux ont de beaux jours devant eux ! (Fabien Roussel - PCF)
Alors que la pêche a occupé une grande partie des négociations pour trouver un accord de sortie de la Grande-Bretagne de l'Union européenne, bizarrement, la finance a été ignorée. Le projet des financiers anglo saxon d'avoir un super paradis fiscal aux portes de l'Union européenne demeure !
Dés l'accord signé, Boris Johnson a meme annoncé dans un quotidien anglais son intention de multiplier les ports francs, à taxation ultra légère pour concurrencer les ports européens !
Il faut dire que depuis plusieurs années La City et plusieurs capitales européennes se livrent une concurrence sans merci pour attirer les capitaux en proposant les meilleurs schémas d'optimisation fiscale.
A ce jeu, La City était déjà très bien placée: elle est la première place financière mondiale sur le marché des capitaux. 7000 milliards de dollars y sont échangés chaque jour ! Et la place londonienne réalise 60% de toutes les opérations liées aux marchés européens des capitaux.
Mais c'est surtout un paradis fiscal bien connu des fonds d'investissements et de toutes les grandes multinationales qui y délocalisent leurs bénéfices, afin d'éviter de payer les impôts là où ils sont installés.
La City sert en effet de passerelle pour transférer ces bénéfices dans les îles britanniques telles que les Caïmans ou encore Jersey, située à quelques encablures des côtes françaises. Ces juridictions britanniques sont des paradis fiscaux notoirement connus. Les Îles Britanniques accueillent 6000 milliards d'actifs en leur proposant un taux d'imposition moyen sur les bénéfices à 1,73%.
Avec ou sans accord, le Brexit a ouvert une guerre entre paradis fiscaux, entre la City et les pays de l'Union à taux d'imposition quasi nul tel que le Luxembourg, l'Irlande ou les Pays Bas.
Et plus rien ni personne n'empêchera maintenant La City d'adopter ses propres règles fiscales, même si les milieux financiers doivent pour cela ouvrir une succursale au sein de l'Union européenne .
Dans cette guerre, les grands perdants seront les peuples : la fraude et l'optimisation fiscales coûtent 80 à 100 milliards d'euros au budget de la France, tous les ans et près de 1000 milliards d'euros aux pays de l'Union européenne. A l'heure de la lutte contre la pandémie, cette guerre au « moins disant fiscale » est indécente, scandaleuse. Elle
devrait susciter l'indignation générale.
Sur les 1500 pages de l'accord de Brexit, il aurait pu y avoir quelques propositions pour attraper des gros poissons de la finance qui privent les pays de l'Union européenne de plusieurs centaines de milliards d'euros d'impôts par an.
Il est urgent d'établir des règles fiscales identiques dans tous les pays de l'Union européenne et de mettre des filets de sécurité à la circulation des bénéfices réalisés dans nos pays. L'imposition à la source des bénéfices de ces multinationales reste à ce jour la meilleure solution, comme nous l'avons formulée dans une Proposition de loi déposée en 2019. Une occasion de régler ces pratiques malhonnêtes vient d'être manquée dans les négociations autour du Brexit. L'exigence des peuples pour une vraie justice fiscale en Europe n'a pourtant jamais été aussi forte.
L'argent existe et il coule même à flots pour une minorité qui fait tout pour échapper aux impôts. Ayons le courage de s'attaquer à ce fléau. C'est comme cela que nous pourrons répondre aux besoins humains, financer nos services publics et relever le défi écologique.
Fabien Roussel, secrétaire national du PCF et député du Nord,
Accord UE-Royaume Uni : un Brexit pour le business, pas pour les travailleurs, ni pour les peuples
Après deux élections législatives, trois crises gouvernementales en Grande-Bretagne et 4 ans et demi de tractations laborieuses et souvent opaques, la volonté majoritaire et souveraine du peuple britannique à quitter l'UE qui s'est exprimée en juin 2016 sera donc effective le 31 décembre prochain, date de la fin de la période de transition.
L'accord qui vient d'être annoncé évite une sortie sèche du Royaume-Uni de l'espace communautaire, ce qui aurait signifié une crise majeure, entre autres, pour la pêche et pour les accords de paix en Irlande.
Mais ce même accord scelle un Brexit négocié entre les conservateurs anglais et les bourgeoisies européennes pour le plus grand bénéfice du libre-échange et du capital. Les faibles normes sociales et environnementales européennes, qui sont déjà trop élevées pour la bourgeoisie britannique, ne pèsent que peu de choses face aux dispositions de ce qui n'est ni plus, ni moins qu'un accord de libre-échange gigantesque entre la 6e puissance économique mondiale, qui a déjà signé de tels accords avec des états tiers et s'apprête à en signer d'autres, et l'Union Européenne, qui tout au long des
négociations a placé le maintien des règles du marché intérieur communautaire au-dessus de toute autre considération. D'après les éléments révélés ce matin par la presse britannique, le dispositif « d'équivalence » entre les règles européennes et britanniques est réduit à sa portion congrue et les règles qui vont dans ce sens sont soumises à un arbitrage « indépendant ». Il n'y a rien dans l'accord pour empêcher la transformation de la City en véritable paradis fiscal.
Tout cela va avoir des conséquences graves à la fois pour les travailleurs et les peuples européens d'une part et pour les peuples du Royaume-Uni d'autre part, qu'ils aient ou non voté pour le Brexit, et qui sont frappés par une explosion de la pauvreté du fait des politiques austéritaires des gouvernements successifs. Il ne s'agit donc pas d'un « compromis », mais d'un accord entre les conservateurs britanniques en pleine dérive droitière et les classes dirigeantes européennes.
Cet accord a aussi des impacts négatifs pour les activités de pêche et cela touche notamment les régions de Bretagne, Normandie et Hauts-de-France. Le gouvernement français doit prendre toutes les mesures qui s'imposent pour que les pêcheurs ne paient pas le prix du Brexit.
Le PCF réaffirme sa solidarité avec les forces de gauche politiques et syndicales britanniques qui luttent contre les nouvelles régressions sociales, environnementales et démocratiques que les conservateurs britanniques cherchent à imposer. Il réitère également au Sinn Féin irlandais qu'il se tient à ses côtés pour la défense des droits
nationaux du peuple irlandais et de l'intégralité des dispositions de l'Accord de paix de 1998.
Le Brexit marque la faillite de la construction capitaliste de l'UE.
Plus que jamais, il est urgent d'en finir avec les règles et les traités européens néolibéraux, pour aller vers une Europe à géométrie choisie respectant les souverainetés démocratiques des peuples et des nations et offrant un cadre à une association et une coopération mutuellement bénéfiques entre elles.
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Favoriser l'expression des idées de transformation sociale du parti communiste.
Entretenir la mémoire des débats et des luttes de la gauche sociale.
Communiquer avec les habitants de la région de Morlaix.