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2 mars 2021 2 02 /03 /mars /2021 08:03
Appel franco-allemand contre l’utilisation d’armes explosives en zones peuplées (L'Humanité, 1er Mars 2021)
Armes explosives. Pierre Laurent : « La majorité des victimes demeurent des civils »
Lundi 1 Mars 2021 - L'Humanité

À l’ONU, les négociations contre les bombardements en zones peuplées reprennent le 3 mars. Pierre Laurent (PCF), le député Matthias Höhn (Die Linke) et Handicap International ont pris l’initiative d’un appel. Entretien.

 

Pierre Laurent Vice-président du Sénat

Les tractations diplomatiques sur l’élaboration d’un accord international contre les armes explosives (EWIPA) vont reprendre sous l’égide de l’Organisation des Nations unies à partir de mercredi. Plusieurs gouvernements dont la France s’y opposent.

Quel est le but de l’initiative franco-­allemande sur les armes explosives ?

Pierre Laurent Nous lançons, avec 150 parlementaires des deux pays, un appel contre l’utilisation d’armes explosives à large rayon d’impact dans les zones peuplées. Car l’ambassadeur permanent de l’Irlande auprès des Nations unies, Michael Gaffey, porte le texte et mène les discussions avec la participation de 80 États. L’objectif est d’adopter une importante déclaration politique limitant leurs usages. Mais plusieurs gouvernements, dont la France, se mobilisent pour limiter la portée de ce texte. Pourtant, ces armes provoquent des dégâts considérables et durables sur les civils qui sont niés par les pays qui les vendent et qui les utilisent. Les gouvernements s’abritent derrière l’argument qu’ils respectent les conditions d’utilisation en limitant les objectifs aux cibles militaires.

De quel type d’armes s’agit-il ?

Pierre Laurent Tous les modèles d’armement qui permettent de projeter en zones peuplées : avions, artillerie, drones. L’objet de cette campagne est de contester la thèse des utilisateurs qui mettent en avant leur précision et l’impact limité à la seule cible militaire. En vérité, la destruction qu’elles provoquent dans les zones d’habitations touchent les civils et les infrastructures qui leur permettent de vivre. Les habitants qui ont survécu aux bombardements quittent les lieux pour survivre car les infrastructures (réseaux d’eau et d’électricité, écoles, hôpitaux, ponts…) sont détruites. L’ONG néerlandaise PAX a démontré qu’en 2019 92 % des morts dans les lieux de conflits où ses armes explosives avaient été employées sont des civils. Cette enquête invalide le récit officiel qui consiste à mettre en avant leur précision.

Qu’attendez-vous de la déclaration ?

Pierre Laurent L’Irlande, qui mène la négociation avec l’appui du secrétaire général de l’ONU, veut obtenir une déclaration reconnaissant l’impact de ces armes et en limiter l’usage. D’autres pays, dont la France, qui tente de mobiliser ceux de l’Otan, veulent la rendre inopérante. Un nombre considérable d’enquêtes documentées ont été menées par des ONG regroupées au sein d’un réseau planétaire contre les armes explosives (PAX, Airwars, Handicap International…), et démontrent qu’en Syrie, en Irak, au Yémen, la majorité des victimes demeurent des civils parce que ces armes sont utilisées dans des zones urbaines. Il s’agit donc d’empêcher leur utilisation et d’obliger les États qui s’en servent à reconnaître leurs dégâts. Les pays qui les emploient refusent d’admettre les ravages sur les civils, donc ne leur portent pas assistance. Il faut changer les règles de leur maniement pour les rendre si contraignantes que leur ­recours devienne impossible.

Pourquoi une initiative commune avec Die Linke ?

Pierre Laurent Face à l’opposition du gouvernement français, Michael Gaffey, en charge des négociations, a appelé la société civile et les parlementaires à faire entendre leur voix dans les pays concernés. Nous avons donc pris l’initiative, avec Matthias Höhn, de Die Linke, en lien avec les associations, qu’une mobilisation franco-allemande pourrait favoriser une déclaration ambitieuse. En France, avec Jean-Paul Lecoq (PCF) à l’Assemblée, André Vallini au Sénat (PS), Hubert Julien-Laferrière (Génération.s), nous avons interpellé les parlementaires français afin qu’ils soutiennent notre démarche.

Appel franco-allemand contre l’utilisation d’armes explosives en zones peuplées
Lundi 1 Mars 2021
 

Les armes explosives en zones peuplées (Ewipa) blessent et tuent des dizaines de milliers de civils chaque année dans le monde – qu’elles soient utilisées par des acteurs étatiques ou non étatiques. Les souffrances humaines et les dommages aux infrastructures essentielles et à l’environnement persistent des décennies après la fin des combats.

Nous reconnaissons l’implication de nos gouvernements dans les négociations internationales en cours sur une déclaration politique contre l’utilisation d’Ewipa. En raison de la pandémie de Covid-19, les consultations ont été ajournées. Cependant, les souffrances des civils touchés par les armes explosives se poursuivent.

En tant que députés et sénateurs des parlements français et allemand, nous pensons qu’il est impératif que la communauté internationale élabore de nouvelles normes solides qui protègent les civils et leurs infrastructures. La déclaration politique ne doit pas relativiser les effets humanitaires évidents et bien documentés de l’utilisation d’Ewipa. Elle devrait reconnaître, en particulier, que l’utilisation d’armes explosives à large rayon d’impact en zones peuplées cause systématiquement des victimes civiles et doit donc être évitée à l’avenir, comme le demandent le secrétaire général des Nations unies et le Comité international de la Croix-Rouge. Une déclaration doit également contenir des dispositions strictes sur l’assistance aux victimes.

Nous exhortons nos gouvernements à prôner courageusement une telle déclaration politique contre l’utilisation d’armes explosives en zones peuplées et à inclure les initiatives de la société civile dans les négociations.

Parmis les 210 signataires

◆ Au Parlement

Pierre Laurent (PCF)

André Vallini (PS)

Hubert Julien-Laferrière (Génération.s)

Éliane Assassi (PCF)

Clémentine Autain (FI)

Delphine Batho (Génération Écologie)

Esther Benbassa (EELV)

Marie-George Buffet (PCF)

André Chassaigne (PCF)

Jennifer De Temmerman (Libertés et Territoires)

Elsa Faucillon (PCF)

Olivier Faure (PS)

Fabien Gay (PCF)

Guillaume Gontard (EELV)

Fabien Gouttefarde (LaREM)

Brahim Hammouche (Modem)

Michel Larive (FI)

Serge Letchimy (PS)

Marie-Noëlle Lienemann (GRS)

Matthieu Orphelin (non inscrit)

Nathalie Porte (LR)

Fabien Roussel (PCF)

Sophie Taillé-Polian (Génération.s)

Boris Vallaud (PS)

◆ Au Bundestag

Matthias Höhn (Die Linke)

Katja Keul (L’Alliance 90 / Les Verts)

Karl-Heinz Brunner (SPD)

Aydan Özoğuz (SPD)

Doris Achelwilm (Die Linke)

Bela Bach (SPD)

Lisa Badum (L’Alliance 90/Les Verts)

Simone Barrientos (Die Linke)

Daniela De Ridder (SPD)

Diether Dehm (Die Linke)

Yasmin Fahimi (SPD)

Stefan Gelbhaar (L’Alliance 90/Les Verts)

Gregor Gysi (Die Linke)

Heike Hänsel (Die Linke)

Barbara Hendricks (SPD)

Uwe Kekeritz (L’Alliance 90/Les Verts)

Amira Mohamed Ali (Die Linke)

Martin Patzelt (CDU/CSU)

Margit Stumpp (L’Alliance 90/Les Verts)

Kathrin Vogler (Die Linke)

Gülistan Yüksel (SPD)

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1 mars 2021 1 01 /03 /mars /2021 09:00
L'Italie: un laboratoire? - par Patrick Le Hyaric (L'Humanité Dimanche, 25 février 2021)

L’éditorial de L’Humanité Dimanche du 25 février 2021 – par Patrick Le Hyaric.

L’Italie vient de basculer vers un scénario inédit : un gouvernement dit « d’union nationale » dirigé par Mario Draghi pour utiliser les 209 milliards d’euros du plan de relance européen. Voici donc, à la manœuvre, l’apôtre des marchés financiers, lequel fit ses classes sous les lambris dorés de la banque états-unienne Goldmann Sachs alors que celle-ci s’illustrait en inondant les marchés de créances toxiques qui allaient déclencher la crise de 2008. Il a également maquillé les comptes d’Etats européens. Et le voilà installé à la tête de la troisième puissance européenne à la demande des industriels et des banquiers avec l’ardent soutien de Mme Merkel et de M. Macron.

A la présidence de la Banque centrale européenne, il épongeait l’écroulement financier qu’il avait contribué à créer pour offrir des débouchés au capital en manque d’investissements lucratifs tout en exigeant des peuples privatisations et sacrifices sociaux, non sans avoir dépecé la Grèce au nom de la « stabilité monétaire ». Nous avons ici le prototype de ceux qui sont présentés comme les représentants d’une « élite apolitique » par ceux qui veulent cacher qu’il s’agit d’un valet du capital.

La grande nouveauté du scénario italien tient à un renversement des données d’un débat initié depuis plus d’une décennie, dans lequel, à la faveur de l’affaiblissement des partis communistes, les structurations politiques ont été déportées des enjeux des antagonismes de classe vers l’invention de catégories nouvelles : d’un côté les « européistes », représentants des « élites », de l’autre des « populistes » de droite ou de gauche censés être les opposants des premiers. Sous couvert de « gouvernement technique », l’alliance scellée sous l’égide de l’ancien président de la BCE réunit le Parti démocrate, la droite de Forza Italia, les populistes du Mouvement cinq étoiles et l’extrême droite de la Ligue du Nord. Autrement dit les représentants « des élites » et « les populistes » de toutes tendances font gouvernement ensemble.

On aura noté les cris unanimes des forces se réclamant du consensus libéral pour célébrer cette « entente » au nom d’un intérêt supérieur que l‘on voudrait faire passer pour l’intérêt général. Mais l’intérêt supérieur, ici, n’est autre que celui du grand capital européen qui compte bien faire du cas italien un cas d’école pour tous les pays européens. Car l’union nationale est la condition pour faire accepter aux peuples des « réformes » imposées par la Commission européenne. Cette « réconciliation nationale » s’opère ainsi sous les auspices du marché capitaliste et d’un nouveau degré de « financiarisation » de l’économie. Mais surtout sur le dos des travailleurs qui sont une fois de plus appelés à servir de monnaie d’échange contre les lignes de crédit de la Banque centrale européenne. Par ricochet, la voie est ainsi ouverte aux néofascistes du parti Fratelli d’Italia pour incarner l’opposition à ce consensus bruxellois droitier, mais sur des bases précisément et ouvertement… fascistes.

Le discours d’investiture de Mario Draghi en dit long sur la nature de ce consensus : une dose de xénophobie pour complaire à la Ligue du nord, une autre d’écologie pour satisfaire le Mouvement cinq étoiles, une autre encore de baisse de la fiscalité sur le capital pour neutraliser la droite berlusconienne, et enfin une ode à l’Union européenne pour s’accorder les faveurs du Parti démocrate. Le tout agrémenté d’un serment de fidélité à l’Alliance atlantique.

Les représentants des classes dominantes considèrent à juste titre qu’elles ne disposent plus de majorité populaire pour progresser vers l’étape nouvelle que réclame le système capitaliste pour son déploiement. Ils travaillent à l’alliance des anciens partis sociaux-démocrates et des forces baptisées populistes de droite ou de gauche pour tenter de s’assurer la majorité sociale et politique qui leur échappe, pour ainsi éviter toute forme de contestation trop radicale. Les mouvements sociaux discontinuent et celui des Gilets jaunes avec le soutien massif qu’ils ont reçu, comme la sourde protestation qui se répand sur les enjeux de santé fait cogiter en haut lieu et bien au-delà de la France. Ceci au prix d’une inquiétante redéfinition du champ politique qui se déporte toujours plus vers la droite et tend à gommer toute expression anticapitaliste. L’ingestion par le pouvoir macroniste et la droite des thèses de l’extrême droite en France, spectaculaire ces derniers jours, laisse augurer une nouvelle recomposition politique si ceux qui ont intérêt à un changement de politique et de société ne se lèvent pas. Entre des pans entiers d’électorat socialiste conquis en 2017 et neutralisés depuis, et M. Darmanin qui braconne sans vergogne sur les terres idéologiques de l’extrême droite, l’arc macroniste n’est en effet pas si éloigné de celui de M. Draghi. Avec, une fois encore, les réformes structurelles contre les retraites, la propriété publique et la Sécurité sociale pour viatique.

On observera dans l’actualité italienne la grande faiblesse de la force communiste. Celle se réclamant du populisme de gauche, qui, en refusant de s’organiser sur une base solide de classe et recourant à des raccourcis souvent outranciers, se trouvent finalement ballotée par le vent politique. Jusqu’à se fondre dans un gouvernement au service des puissances financières.

Ceci nous oblige à réagir. Les forces libérales, instruites par le succès de Trump et des extrêmes droites européennes, sont en train de pactiser avec ces dernières pour défricher le terrain d’une offensive redoublée contre les droits sociaux et démocratiques. Avec pour notable conséquence un glissement considérable du débat public vers l’extrême droite. La séquence xénophobe orchestrée par le pouvoir la semaine dernière — entre le rapprochement Darmanin/Le Pen, la loi séparatisme, la polémique sur Trappes puis sur un prétendu « islamo-gauchisme » l’illustre parfaitement.

Cette opération d’envergure a pour principale fonction de rendre invisible le durcissement de la lutte de classes, les désastres sociaux, la corruption de l’industrie pharmaceutique, la misère galopante et les mauvais coups en préparation contre le monde du travail, la jeunesse et les familles populaires sous prétexte des dettes contractées par l’Etat pour faire face aux conséquences de la pandémie.

Sans l’organisation d’une résistance contre la dé-civilisation capitaliste, sans force ni visée communiste rassembleuse sur un projet de civilisation nouvelle, la stratégie adoptée par les forces capitalistes risque d’entraîner notre continent vers de très sombres lendemains. Travailler à l’union populaire pour des changements de politique et de société relève d’une urgente nécessité.

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27 février 2021 6 27 /02 /février /2021 08:28
Niger: Uranium, Cocaïne, néo-colonialisme et Présidentielles - Analyses de L'Humanité, Marc de Miramon et Rosa Moussaoui
Niger. La malédiction de l’uranium et de la cocaïne
Mardi 23 Février 2021 - L'Humanité

Principale richesse du territoire, l’exploitation du minerai indispensable au fonctionnement des centrales nucléaires a laissé la place aux nouvelles routes de la drogue. Ce pays parmi les plus pauvres au monde, qui votait dimanche pour désigner le successeur du président sortant Mahamadou Issoufou, connaît une véritable descente aux enfers.

 

Le Niger, l’un des pays les plus pauvres du monde, votait dimanche pour désigner le successeur de Mahamadou Issoufou. Officiellement, le scrutin ne risque pas d’être remis en question par la communauté internationale, France en tête, soucieuse de confirmer la victoire annoncée de Mohamed Bazoum, dauphin désigné d’Issoufou. Tout juste le vote a-t-il été endeuillé par l’assassinat de quelques membres de la Commission électorale nationale indépendante (Céni), tués dans l’attaque de leur véhicule ou par l’explosion d’une mine dans la région de Tillabéri (ouest), proche du Mali.

Des embuscades attribuées à Boko Haram et aux différentes factions djihadistes, à l’instar de l’ersatz africain de l’« État islamique », qui sévissent dans la région. Mais, pour comprendre la descente aux enfers sécuritaire du Niger et de l’ensemble de la zone sahélienne, qui se pare aujourd’hui du drapeau d’un islam salafiste importé de la péninsule Arabique, il faut remonter à l’indépendance du pays en 1958.

Des mines cruciales pour la France

Enclavé et ponctué d’immenses zones désertiques, le Niger n’a alors qu’une principale monnaie d’échange sur le marché international : ses considérables réserves d’uranium, minerai essentiel à une industrie civile et militaire alors en plein boom, le nucléaire. Pour la France, le pays revêt une importance stratégique cruciale. Paris ayant besoin des mines nigériennes pour faire tourner ses centrales et fabriquer les ogives atomiques nécessaires à son rang de grande puissance siégeant au Conseil de sécurité des Nations unies.

Grâce au combustible extrait dans le Sahel, et conformément au plan défini par le premier ministre français Pierre Messmer en 1974, le Niger devient la pierre angulaire de la politique d’indépendance énergétique de la France, qui passe par le faible coût de l’uranium sur les marchés internationaux, tandis que la volatilité du prix des hydrocarbures, pétrole en tête, provoque un authentique séisme géopolitique. C’est la fin de l’or noir bon marché, et les économies capitalistes découvrent leur vulnérabilité face au précieux liquide qui irrigue les veines de l’économie mondiale.

Les routes de la contrebande

Les pays émergents, Inde et Chine en tête, développent avec un appétit frénétique leur propre infrastructure nucléaire, à peine refroidis par la catastrophe industrielle de Tchernobyl, en Ukraine, en 1986, en attendant celle de Fukushima, au Japon en 2011. La France, qui bénéficiait de tarifs préférentiels de l’uranium extrait des mines au Niger, voit le gouvernement de Niamey renégocier ses contrats. La demande internationale explose, et les populations touareg du nord, là où se situent les immenses gisements d’Arlit ou d’Imouraren, font parler les armes pour exiger la part d’une rente intégralement captée par le gouvernement central.

Nous sommes au milieu de la décennie 2000, et la géopolitique mondiale a basculé avec les attentats terroristes du 11 septembre 2001. Les groupes armés touareg, qui essaiment dans le nord du Niger et enlèvent sporadiquement soldats de l’armée régulière comme salariés du groupe français Areva, demeurent largement sous la coupe du colonel Kadhafi en Libye, avant que sa chute en 2011 ne les précipite définitivement dans les bras des pétromonarchies du Golfe. Tandis que les routes de la contrebande au Sahel commencent à être inondées par la cocaïne en provenance d’Amérique du Sud, laquelle pénètre sur le continent africain grâce à la Guinée-Bissau, un État failli dont la situation géographique – une constellation de petites îles dans son littoral – favorise la discrétion des livraisons de poudre blanche.

En dépit de la présence militaire française, garantie par l’opération « Serval » en 2013 (devenue « Barkhane » en 2015), et celle des États-Unis, via la principale base de drones implantée dans le Sahel, le Niger a vu une partie de son appareil d’État contaminé par un grand banditisme repeint aux couleurs du djihad. De quelques dizaines de kilos saisis à la fin des années 1980, la cocaïne ou l’héroïne interceptée au Niger bat chaque année des records, comme en témoigne une unique saisie opérée dans la nuit du 9 au 10 mars 2019. En plus des 800 kilos de cocaïne dissimulés dans un camion immatriculé au Sénégal, la police bissau-guinéenne met aux arrêts quatre suspects, dont Mohamed Sidy Ahmed, qui jouit du titre de conseiller spécial du président de l’Assemblée nationale du Niger.

 

Déstabilisation du Sahel

« La drogue avait pour destination Gao », une des principales métropoles du nord du Mali libérée par l’armée française en 2013, commente alors le directeur adjoint de la police judiciaire de la Guinée-Bissau, offrant une démonstration supplémentaire que l’une des principales causes de la déstabilisation du Sahel, soit l’explosion du trafic de drogue, n’a guère été entravée par l’intervention militaire française. Le vainqueur attendu de l’élection présidentielle Mohamed Bazoum, ex-ministre de l’Intérieur, a sans surprise fait de la sécurité et de la lutte contre les nouvelles routes des stupéfiants la pierre angulaire de son futur mandat, avec l’éducation et la démographie, dans un pays où l’explosion des naissances va provoquer la hausse de population la plus vertigineuse du continent africain. Un défi d’autant plus crucial qu’une partie de la drogue, dont le très accessible Tramadol (environ 2 euros le comprimé), inonde désormais le marché local.

Au Niger, Mohamed Bazoum célèbre la victoire de la « continuité»
Jeudi 25 Février 2021 - L'Humanité

Le dauphin désigné de Mahamadou Issoufou, le chef d’État sortant, est donné vainqueur du second tour de l’élection présidentielle. Au cœur d’une zone sahélienne instable, il sera confronté à des défis sociaux et sécuritaires colossaux.

 

Dans une histoire émaillée de coups d’État depuis l’indépendance, pour la première fois depuis trente ans, un président nigérien passera sans heurts le témoin à son successeur. Il faut dire que Mahamadou Issoufou a choisi comme dauphin un fidèle parmi les fidèles : mardi soir, la Commission électorale nationale indépendante a donné Mohamed Bazoum vainqueur du second tour de l’élection présidentielle, avec 55,75 % des voix, selon des résultats provisoires qui doivent encore être confirmés par la Cour constitutionnelle. Avant même cette annonce, l’opposition avait déjà dénoncé un « hold-up électoral », exigeant que soit suspendue la publication des résultats. Mercredi 24 février, depuis son fief de Zinder, dans le sud-est, son candidat, Mahamane Ousmane, a revendiqué la victoire, assurant que la compilation des procès-verbaux en sa possession lui donnait « 50,3 % des voix ». L’opposition, qui dénonce des fraudes et des menaces sur ses délégués, assure avoir constaté, dans certaines circonscriptions, des taux de participation dépassant les 100 %, « avec un score de 99 % en faveur du candidat du pouvoir ».

Menace constante des groupes islamistes armés

Bazoum, lui, se réjouit de la victoire de la « continuité », loue la « sagesse » de son adversaire et souhaite que tous deux regardent « dans la même direction ». Pilier de l’appareil du Parti nigérien pour la démocratie et le socialisme (qu’il a fondé avec Issoufou), ce professeur de philosophie, issu de la minorité arabe, ancien marxiste converti à la social-démocratie, a joué en coulisses, ces dix dernières années, un rôle clé au cœur du pouvoir comme dans les relations avec les puissances étrangères. Comme ministre de l’Intérieur, puis comme ministre d’État après la réélection d’Issoufou en 2016, il s’est trouvé en première ligne de l’inextricable défi sécuritaire posé dans ce pays en proie à l’activisme des groupes islamistes armés, depuis les innombrables produits dérivés d’al-Qaida au Maghreb islamique jusqu’à la secte nigériane Boko Haram, qui n’ont cessé d’étendre, ces dernières années, l’aire de leurs attaques. Bazoum prend la tête du Niger au pire moment, alors que l’échec du déploiement militaire français dans le Sahel est manifeste, avec l’enlisement de l’opération « Barkhane » et l’impossible passage de relais aux armées de la région, dépassées par l’insaisissable guérilla djihadiste – des « métastases du cancer terroriste », dit-il.

42 % de la population vit dans l’extrême pauvreté

Dans le onzième pays le plus pauvre du monde, où le géant français Orano (ex-Areva) exploite depuis un demi-siècle des gisements d’uranium en dictant ses conditions, le nouveau président jure de faire des infrastructures, de l’éducation, de l’accès aux soins, de la protection sociale et du contrôle des naissances ses priorités. Il parie, pour financer de telles politiques, sur la rente promise par la montée en puissance de l’exploitation pétrolière, avec le début prévu des exportations d’hydrocarbures en 2022. Une ressource qui pourrait encore aiguiser d’obscurs appétits, dans le sillage des scandales politico-financiers qui ont secoué l’ère Issoufou.

Le nouveau chef d’État, dont le nom n’est pas cité dans les affaires de détournements de fonds publics ayant éclaboussé les mandats de son prédécesseur, promet « des audits » dans les institutions publiques pour mettre un terme aux « pratiques de corruption qui décrédibilisent la démocratie ». Dans une zone instable, avec 24 % des jeunes au chômage et près de 42 % de la population vivant dans l’extrême pauvreté, Bazoum, au pouvoir, devra, très vite, dégager d’autres horizons que celui de la « continuité ».

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25 février 2021 4 25 /02 /février /2021 06:57
Jean Hatzfeld à la rencontre des Justes au Rwanda - par Muriel Steinmetz, L'Humanité, 25 février 2021
Jean Hatzfeld à la rencontre des Justes au Rwanda - par Muriel Steinmetz, L'Humanité, 25 février 2021
Jean Hatzfeld à la rencontre des Justes au Rwanda - par Muriel Steinmetz, L'Humanité, 25 février 2021
Jean Hatzfeld à la rencontre des Justes au Rwanda
Jeudi 25 Février 2021
Poursuivant son analyse du génocide, l’écrivain donne la parole, dans un livre de grande valeur éthique, aux rares Hutus qui ont sauvé la vie de Tutsis au péril de la leur.
 
Après Dans le nu de la vie (2000) , récits de quatorze rescapés du génocide des Tutsis au Rwanda, et Une saison de machettes (2003), paroles de dix tueurs, le grand reporter Jean Hatzfeld publiait la Stratégie des antilopes (2007), où il évoquait la cohabitation sur les collines des victimes et des bourreaux, libérés après avoir purgé de lourdes peines. Depuis 1998, il se rend au Rwanda plusieurs fois par an.

Il y parle souvent avec les mêmes personnes et retranscrit des dialogues qu’en France il couche par écrit, ce qui l’amène à de nouvelles questions, qu’il note avant de repartir là-bas. Là où tout se tait signe son retour, en 2019, sur ces collines de Nyamata, pour donner voix aux rares Hutus qui, au péril de leur vie, ont sauvé des Tutsis du génocide. Une brève présentation nous plonge dans le contexte de la rencontre, puis le témoin raconte. Parfois, sa voix s’échappe ou se mêle à d’autres, dûment identifiées. La folie génocidaire a duré du 11 avril 1994, à 11 heures, au 14 mai à 14 heures, tous les jours « même le dimanche», de 8 à 15 heures. Les horaires ne « différaient pas tellement de ceux des travaux agricoles ». On « coupait » du Tutsi à « s’en casser les bras ». À Nyamata, 51 000 Tutsis sur une population d’environ 59 000 ont été massacrés. Au total, 800 000 et plus ont péri en moins de cent jours dans le pays. Les tueurs y allaient « en rangs chantants ».

Les sauveurs ne bénéficient d’aucune vraie reconnaissance

Le geste de la poignée de sauveurs « imperméables aux déchaînements de haine », qui choisirent le bien plutôt que le mal, était donc d’une infinie richesse à préserver dans ce livre à haute valeur éthique. Ceux qui sont pourtant appelés là-bas « abarinzi w’igihango », gardiens du pacte de sang, ou parfois les Justes, comme le furent ceux qui cachèrent les juifs pendant la Seconde Guerre mondiale, demeurent peu diserts et ne bénéficient d’aucune vraie reconnaissance. Beaucoup sont morts, abattus par les tueurs. Autour d’eux, partout, la méfiance. Pour les Tutsis, il reste difficile d’ « inviter un Hutu dans les souvenirs de deuil». Le soupçon demeure. Quant aux Hutus, ces Justes suscitent en eux de l’embarras, voire un sentiment de trahison, ou pire, un double inversé insupportable. Ne renvoient-ils pas aux génocidaires (si nombreux puisque « huit à neuf victimes sur dix » ont été tuées « à la main » par des civils : cultivateurs, fonctionnaires, enseignants, commerçants, même un vicaire et un pasteur) l’image de ce qu’ils auraient pu être sans l’avoir été.

Jean Hatzfeld s’interroge : l’espace de repli a-t-il manqué pour que puisse s’organiser une contre-offensive, de la part de « personnalités moins soumises à la force du communautarisme ethnique » ? Face à ces questions qui le cisaillent, le voilà doublement attentif à ces « très rares épisodes de sauvetage ou de mains tendues». Il y a celui qui cache pendant trois jours des Tutsis, malgré les menaces des « interahamwes » (milices extrémistes hutues). Cette mère qui apporte de la « bouillie aux fuyards des marais ». Cet homme qui choisit d’être fusillé à côté de son épouse. Cet autre qui dissimule un « petit avoisinant et son papa tutsi ». Jean-Marie Vianney Setakwe a caché trois Tutsis dans ses champs de sorgho. « J’ai refusé la mort chez moi, j’ai choisi la traîtrise ethnique. » Son épouse, Espérance Uwizeye, elle aussi est une Juste. Le militaire prénommé Silas préviendra les habitants d’une « expédition très risquante » avant de participer au « sauvetage » d’une jeune femme qui comptera pour lui. Joseph Nsengiyomva a caché deux familles qu’il a dispersées dans la brousse au péril de sa vie. « Aucune parole ethnique ne l’a jamais accroché. Il m’a dit qu’il avait épousé une Tutsie sans même y penser », témoigne Sylvie Umubyeyi. Voilà un homme qui a donné la « priorité à son courage ou sa compassion ». «Partout, à Nyamata, on remarquait des bosses de terre mal tassées. » « On savait ce qui se trouvait dessous. » « Le trou de chez Eustache », nom du dernier chapitre, en comptait 70. Des enfants y avaient été jetés vivants. « Ce s trous perpétuent le sentiment de dégoût qui imprègne sans fin la narration de ce génocide. »

Jean Hatzfeld à la rencontre des Justes au Rwanda - par Muriel Steinmetz, L'Humanité, 25 février 2021
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21 février 2021 7 21 /02 /février /2021 06:47

 

 

Les contrats signés par la Commission européenne, que nous publions, montrent comment cette dernière s’est pliée aux demandes des firmes pharmaceutiques. Dans les trois contrats rendus publics, tous les passages cruciaux pour les bénéfices et la protection du monopole des laboratoires ont été censurés. Une clause est très claire en revanche : tout effet indésirable des vaccins relève de la seule responsabilité des Etats membres... DÉCRYPTAGE.

Dans toute sa carrière, lui, il en a vu des vertes et des pas mûres. Cette fois, pourtant, il n’en revient pas. « Plus j’avance dans ma lecture des contrats entre les industries pharmaceutiques et la Commission européenne, plus je comprends pourquoi les entreprises se sont senties très à l’aise au moment de les signer  », confie ce bon connaisseur du secteur à Bruxelles, bien introduit également à l’Agence européenne du médicament (AEM). À l’examen, c’est évident, et le caviardage vient souligner encore le parfum global, entremêlant la privatisation des profits, camouflée sous les traits noirs, et la socialisation des pertes qui, elle, apparaît en clair (voir en fac-similé le contrat signé entre Sanofi-GSK et l'UE).

À ce jour, après avoir renâclé pendant des mois, campées sur l’argument du « secret des affaires », puis permis aux eurodéputés d’en consulter des versions tronquées dans une pièce surveillée, avec interdiction d’enregistrer, photographier ou prendre des notes, les institutions européennes ont fini par se résoudre, ces dernières semaines, à publier officiellement quelques-uns des contrats, avec l’aval des groupes pharmaceutiques eux-mêmes. Pour l’heure, seuls trois contrats de préachat de vaccins, sur huit au total, signés par l’UE avec des multinationales engagées dans la course aux vaccins, sont officiellement accessibles au grand public : CureVac, AstraZeneca et Sanofi-GSK. Un quatrième, celui conclu avec le groupe américain Johnson & Johnson, ne circule pas encore, mais ça ne devrait pas tarder, promet-on à Bruxelles. En revanche, Moderna et Pfizer-BioNTech, les deux producteurs des premiers vaccins arrivés sur le marché – largement plus chers que les autres – refusent toujours de lever le moindre coin du voile sur leurs arrangements avec l’UE.

 

Les États tenus d’indemniser en cas d’effets secondaires indésirables

Prix des matières premières et du sérum dans sa globalité, organisation des chaînes de production, délais de livraison… Dans les trois contrats rendus publics, tous les passages cruciaux pour les bénéfices et la protection du monopole de Big Pharma ont été censurés. Dans l’accord avec CureVac, par exemple, tout le circuit de fabrication qui doit compter un bon paquet de sous-traitants est totalement dissimulé sur plus de trois pages. Dans celui avec Sanofi et GSK, l’UE s’engage à participer, pour un montant passé sous silence, à l’augmentation des capacités de production d’un éventuel vaccin et des dispositions sont prévues en cas d’abandon du projet, mais elles sont également placées sous le sceau de la confidentialité, alors que le retard important dans la mise au point du sérum rend plus concrète aujourd’hui cette éventualité… Dans le contrat avec AstraZeneca, outre les tarifs, c’est le circuit de distribution qui demeure opaque et on a pu voir combien, avec la pénurie qui dure depuis la fin janvier dans l’Union européenne, mais pas du tout au Royaume-Uni, la question est importante. Dans le contrat, la multinationale anglo-suédoise s’engage à «  faire tous les efforts possibles  » pour fournir son vaccin aux pays européens. Une clause dont la portée est pour le moins douteuse puisque, d’après Reuters, pour ne pas piocher dans la production de ses fournisseurs britanniques, l’industriel envisage – comble du cynisme – de réconcilier Union européenne et Royaume-Uni en allant chercher les stocks promis aux pays les plus riches chez son fabricant indien, le Serum Institute of India, qui devait plutôt participer à la distribution dans les pays du Sud.

Sur le maintien des privilèges liés à la propriété intellectuelle (lire aussi cet article sur le sujet) comme sur le transfert aux États de toute responsabilité en cas d’effets indésirables suite à la vaccination, les contrats signés par les multinationales et Bruxelles sont, là, bien plus transparents. Alors que l’université d’Oxford, dont les chercheurs ont mis au point le vaccin, souhaitait dans un premier temps, avant une intervention de Bill Gates, l’offrir au monde entier (lire notre édition du 3 février), l’UE «  reconnaît » AstraZeneca comme «  seul détenteur des droits de propriété intellectuelle générés pendant le développement, la fabrication et la distribution » du produit. La même approche vaut pour CureVac et Sanofi-GSK. Sur le deuxième point, la Commission a strictement respecté la consigne donnée par le lobby Vaccines Europe qui, au nom des «  risques si élevés pris par les fabricants  », exigeait une protection juridique de l’UE en cas d’incident après l’injection d’un vaccin (lire notre article du 1er décembre).

Dans les trois contrats publics, Bruxelles s’engage à prendre en charge les frais éventuels. «  La Commission et chaque État membre reconnaissent que l’utilisation des produits va intervenir dans des conditions épidémiques qui requièrent cette utilisation et que l’administration du produit va, en conséquence, être conduite sous la seule responsabilité de chaque État membre  », précise par exemple le contrat avec CureVac. C’est encore plus exhaustif pour AstraZeneca : les États seront tenus de prendre en charge les éventuelles indemnisations «  dans tous les cas  », lit-on, «  que le défaut provienne de la distribution, de l’utilisation, des essais cliniques, de la production, de l’emballage, de la prescription et autres dans sa juridiction  ». «  Tout ça va beaucoup plus loin que tout ce qui avait été dit ces derniers mois  », déplore, accablé, un animateur de la campagne pour l’accès aux médicaments de Médecins sans frontières.

 

Demande d’enquête sur le manque de transparence

L’opacité meurt, la transparence tarde à apparaître et, dans ce clair-obscur, surgissent les ennuis pour la Commission européenne. Après la fronde ouverte au Parlement européen, l’étau se resserre, car, avec la faible lumière commençant à balayer certains contrats, ce sont les conditions de leurs signatures qui sont de plus en plus interrogées. Alors que les autres participants sont restés anonymes, l’UE a intégré, dans son équipe de négociation avec les multinationales, Richard Bergström, ex-patron du principal lobby pharmaceutique européen, l’European Federation of Pharmaceutical Industries and Associations (Efpia). Un acteur qui, en l’occurrence, a été extrêmement présent dans toute la phase puisque, d’après un décompte réalisé par l ’Humanité à partir du registre des rendez-vous officiels des commissaires européens ou de membres de leurs cabinets, ses représentants ont été auditionnés 34 fois au plus haut niveau – dont 15 fois par la commissaire à la Santé, Stella Kyriakides, et 8 fois par le commissaire à l’Industrie, Thierry Breton –, à Bruxelles, depuis le début de la pandémie au printemps 2020.

C’est dans ce contexte très marqué par les intérêts privés que le Corporate Europe Observatory (CEO), la vaillante ONG spécialisée notamment dans la traque des conflits d’intérêts au sein des institutions européennes, réclame, via les plateformes censées assurer la transparence des décisions publiques de l’UE, la publication des procès-verbaux des discussions entre la Commission et l’industrie pharmaceutique. En janvier, le groupe a réussi à convaincre la médiatrice européenne Emily O’Reilly, chargée de contrôler les institutions à Bruxelles, d’ouvrir une enquête sur le « manque de transparence » en matière de contrats avec les producteurs de vaccins.

La Commission devait répondre à son interpellation en fin de semaine dernière, mais, d’après les services de la médiatrice, elle a loupé le coche. «  La transparence autour des négociations aurait permis un débat public et un contrôle parlementaire, plaide le CEO. Les faiblesses dans l’approche de l’UE auraient ainsi été mises en évidence avant qu’il ne soit trop tard pour les corriger. La transparence, qui plus est, aurait également considérablement renforcé les négociateurs de l’UE face à Big Pharma, avec une opinion publique qui, sans aucun doute, aurait soutenu les tentatives de contraindre les entreprises pharmaceutiques à faire des vaccins un bien public mondial, en contrepartie des fonds publics qui leur ont été généreusement accordés. »

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21 février 2021 7 21 /02 /février /2021 06:35

Plusieurs organisations non gouvernementales demandent l’arrêt des livraisons d’armes de Paris à Riyad. Elles se heurtent à une fin de non-recevoir malgré les crimes de guerre documentés. ENTRETIEN.

BENOÎT MURACCIOLE

Président de l’ONG Action sécurité éthique républicaines

 

 

Au mois de décembre, vous avez publié un rapport dans lequel vous parlez de crimes contre l’humanité au Yémen. Qu’en est-il ?

BENOÎT MURACCIOLE Nous avons fait un travail de recoupement avec les rapports des experts des Nations unies (c’est-à-dire adoubés par l’ONU et les membres permanents du Conseil de sécurité, dont la France). Ces rapports évoquaient de possibles crimes de guerre au Yémen. Et lorsque nous avons étudié les descriptions de ces crimes de guerre, nous nous sommes aperçus qu’elles avaient un caractère systématique et répété et qu’on rentrait, de ce point de vue, dans la qualification de crimes contre l’humanité. Cela n’arrivait pas de façon fortuite mais après deux, trois ans de guerre et malgré toutes les demandes et interventions des experts des Nations unies aussi bien que du Conseil de sécurité auprès des parties pour respecter le droit international.

 

En quoi la France serait-elle complice ?

BENOÎT MURACCIOLE La France est engagée dans plus d’une centaine de traités liés aux droits de l’homme, à commencer par la charte des Nations unies. Et parce que la France est partie du traité sur le commerce des armes (TCA). L’article 6 du TCA précise que lorsque des États ont connaissance de graves violations du droit international, de la convention de Genève de 1949, de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité, ils doivent stopper les exportations d’armes. On n’est pas dans une évaluation du risque mais dans une potentialité du risque. Le paragraphe 2 de ce même article précise que si le transfert lui-même représente une violation des engagements internationaux du pays, ce transfert doit cesser.

Votre association, Aser, ainsi que d’autres organisations non gouvernementales (ONG) ont interpellé le gouvernement français. Quelles ont été les réponses ?

BENOÎT MURACCIOLE Je travaille sur ces questions depuis plus de vingt ans avec les différents ministères. Nous les avons interpellés sur ce dossier précis des armes utilisées au Yémen. Nous n’avions pas de réponses mais des discussions. À partir du moment où nous avons saisi le tribunal administratif, en 2018, les ministères et l’Élysée ont cessé tout dialogue avec nous. C’est une immense preuve de faiblesse. Aujourd’hui, nous sommes devant le Conseil d’État. Nous avons gagné en première instance devant le tribunal administratif puis un renvoi en appel. Mais l’essentiel est que nous soyons devant le Conseil d’État avec Action des chrétiens pour l’abolition de la torture, Action contre la faim, Médecins du monde, Salam for Yemen, Stop Fuelling War et Sherpa.

 

L’attitude de la France répond-elle à des préoccupations politiques ? Économiques ? Les deux à la fois ?

BENOÎT MURACCIOLE Les sommes engagées sont à la fois importantes et dérisoires. Depuis le début de l’intervention militaire de la coalition dirigée par l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, les exportations et les transferts d’armes de la France vers l’Arabie saoudite ont augmenté et se montent à un peu plus de 6 milliards d’euros. Mais en termes de nuisance dans un pays c’est épouvantable. 400 000 enfants yéménites vont mourir si la situation ne change pas. Les programmes humanitaires sont sous-­financés. On est dans une situation terrifiante pour le peuple yéménite mais, malgré cela, la France continue et a même augmenté ses exportations. Il faut d’ailleurs dire un mot sur l’Égypte, partie prenante de la coalition militaire. Elle est aussi à un peu plus de 6 milliards d’euros de commandes de matériel militaire. Mais l’Égypte ne paie pas. Il n’y a aucune preuve que la commande de missiles Mistral a été payée, pas plus que celle des avions Rafale, malgré nos demandes. Et pourtant, ça continue. On voit donc bien que ce n’est pas uniquement une question financière. En tout cas en apparence.

 

On a l’impression que les Français n’ont aucun moyen de contrôle et de décision. Est-ce une réalité ?

BENOÎT MURACCIOLE Un rapport d’information avait été présenté par deux députés, en 2018, sur le contrôle des exportations d’armement. Si ce rapport parle de la nécessité d’un contrôle parlementaire, ce n’est pas pour un rendu public mais pour préserver le secret. On balade les parlementaires et les citoyens français. Au nom du peuple français, se font des choses qui sont à l’inverse des valeurs de la France… Les États-Unis, l’Italie et l’Australie ont annoncé leur intention de suspendre l’acheminement d’armes au Yémen. Si Biden agit ainsi, c’est parce que Bernie Sanders et la gauche américaine se sont battus, sous Trump, et ont obtenu à trois reprises qu’un vote soit organisé sur la suspension de ces exportations d’armes à cause des crimes de guerre perpétrés au Yémen. Aujourd’hui, le gouvernement français ne peut pas dire qu’il ne sait pas. De fait, la question de sa complicité se pose.

 

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20 février 2021 6 20 /02 /février /2021 06:31

Alors que les États-Unis et l’Italie ont suspendu leurs livraisons d’armes à Riyad, Paris reste muet et fait la sourde oreille aux demandes d’arrêt de cette coopération. Comme si l’argent n’avait pas l’odeur des cadavres yéménites.

« Cette guerre doit cesser. » En évoquant le Yémen lors de son premier discours de politique étrangère prononcé le 4 février, le nouveau président états-unien, Joe Biden, n’y est pas allé par quatre chemins. « Nous renforçons nos efforts diplomatiques pour mettre fin à la guerre au Yémen, une guerre qui a créé une catastrophe humanitaire et stratégique », a-t-il déclaré. « Cette guerre doit cesser », a-t-il martelé. « Et pour souligner notre détermination, nous mettons fin à tout soutien américain aux opérations offensives dans la guerre au Yémen, y compris aux ventes d’armes. » L’onde de choc s’est rapidement propagée de Washington à Riyad, ébranlant très certainement quelques certitudes au palais du roi Salmane et plus encore dans celui du prince héritier à la morgue jusque-là affichée, Mohammed, plus connu sous le nom de MBS (pour Ben Salmane). Sur sa lancée, l’hôte de la Maison-Blanche annonçait qu’il retirait le mouvement des Houthis de la liste des organisations terroristes. La désignation sur la liste noire, décidée in extremis par l’administration Trump, était décriée par les organisations humanitaires car elle risquait d’entraver l’acheminement de l’aide dans les vastes territoires contrôlés par les Houthis.

 

« Créer les préconditions à la paix »

Quelques jours auparavant, l’Italie créait la surprise en révoquant les autorisations d’exportation de missiles et de bombes à l’Arabie saoudite et aux Émirats arabes unis. Le ministre des Affaires étrangères d’alors, Luigi Di Maio, ajoutait même : « Nous considérons que c’est un devoir, un message clair de paix qui arrive de notre pays. » L’ONG italienne le Réseau pour la paix et le désarmement s’en félicitait. Cette décision du gouvernement italien « met un terme une fois pour toutes à la possibilité que des milliers d’engins explosifs fabriqués en Italie puissent toucher des structures civiles, faire des victimes parmi la population ou puissent contribuer à aggraver la situation humanitaire déjà grave dans ce pays ». Et d’ajouter : « Le seul arrêt de la fourniture de missiles et bombes aériennes à l’Arabie saoudite et aux Émirats arabes unis ne peut pas faire cesser la guerre au Yémen et soulager les souffrances d’une population épuisée par le conflit, la famine et les maladies, mais constitue un pas nécessaire pour créer les préconditions à la paix. »

 

80 % de la population a un besoin urgent d’aide humanitaire

En France, en revanche, le gouvernement joue la grande muette. Des ONG auraient pourtant bien aimé s’exprimer et se féliciter, à l’instar de leurs homologues états-uniennes ou transalpines. Ainsi l’association Aser (Action sécurité éthique républicaines), membre du Réseau d’action international sur les armes légères et accréditée aux Nations unies, a, depuis longtemps, tiré le signal d’alarme.

En décembre dernier, elle a publié un rapport intitulé « Crimes contre l’humanité au Yémen » qui montre comment les pays de la coalition dirigée par l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis – comprenant également l’Égypte, dont le président Al Sissi a été reçu à Paris – n’ont cessé de cibler les civils et les biens à caractère civil depuis mars 2015. Et ce malgré les appels répétés du Conseil de sécurité des Nations unies.

Icon Quote Le fait que des armes de précision soient utilisées lors des raids aériens de la coalition indique que les décès de civils et la destruction de biens civils qui en ont découlé (...) étaient bel et bien volontaires.RAPPORT ASER

80 % de la population a un besoin urgent d’aide humanitaire, avec plus de 230 000 morts selon le rapport du programme national des Nations unies pour le développement, dont plus de 140 000 enfants, fin 2019. Vingt millions de Yéménites dépendent aujourd’hui de l’aide humanitaire au quotidien, soit les deux tiers de la population. Un Yéménite sur huit est réfugié dans son propre pays dans les conditions que l’on imagine. Selon Jean-Nicolas Beuze, responsable de l’agence de l’ONU pour les réfugiés (HCR) à Sanaa, interrogé par France 24, « entre 80 et 90 % des denrées alimentaires de base telles que le riz et la farine sont importées. Or, cet acheminement est très fragile car le conflit est actif et plusieurs millions de personnes sont exposées au risque de famine. L’accès à la santé est très mauvais, 50 % des centres de soins ont été détruits dans les affrontements, avec des risques épidémiques, notamment de choléra. Enfin, l’embargo sur le fuel imposé par la coalition internationale dans le Nord génère d’énormes problèmes logistiques ». Une réalité terrible qui ne doit rien à une catastrophe naturelle. « Le fait que des armes de précision soient utilisées lors des raids aériens de la coalition indique que les décès de civils et la destruction de biens civils qui en ont découlé ne relèvent pas d’une simple négligence due à un manque de précaution, mais étaient bel et bien volontaires », souligne le rapport d’Aser.

 

Macron cherche à se faire une place sur la scène internationale

Ce qui ne semble toujours pas émouvoir les dirigeants français. Et pour cause. Selon l’Institut international de recherche pour la paix de Stockholm (Sipri) le 9 mars 2020, la France a occupé la 3e position sur ce marché entre 2015 et 2019, représentant ainsi 7,9 % des parts du marché mondial de vente d’armement. Une place que, visiblement, Emmanuel Macron et ses ministres rêvent de renforcer en gagnant une place sur le podium de l’économie de la mort. Il est vrai que l’actuel ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, alors qu’il était ministre de la Défense sous François Hollande, se vantait d’avoir participé à l’augmentation du PIB de la France grâce aux contrats d’armement passés. Il faut croire que de l’armée à la diplomatie il n’y a qu’un pas. « Le secteur de l’industrie de défense est un secteur très important (…) pour la technologie française (…) et pour notre économie, pour nos emplois », expliquait benoîtement la ministre des Armées Florence Parly en juin 2019 sur RTL. Ce qui lui permettait d’asséner, tout en reconnaissant l’existence de victimes civiles : « Je n’ai aucune information me permettant d’assurer que ces victimes civiles le sont du fait des armes françaises. »

 

Pour Paris, les liens avec Riyad seraient donc à préserver et à développer envers et contre tous. Fût-ce au prix de vies humaines. Qu’il s’agisse du journaliste saoudien Jamal Khashoggi, démembré par des sbires de MBS dans une arrière-salle de l’ambassade d’Arabie saoudite à Istanbul, ou de centaines de milliers de Yéménites dont personne ne saura jamais le nom ni même qu’ils ont eu une existence. Les raisons de cette noce sans fin entre la France et l’Arabie saoudite ont de multiples racines. Parmi elles, la promesse qui aurait été faite de confier à la France le développement d’un nouveau site touristique au nord-ouest de l’Arabie, sur un ancien site nabatéen, Al-Ula. Un projet estimé entre 50 et 100 milliards de dollars. Et puis bien sûr, il y a les considérations géostratégiques. La France possède aux Émirats arabes unis sa seule base militaire dans le Golfe, qui lui permet d’être aux avant-postes face à la « menace iranienne » et donc de pouvoir être considérée comme un acteur incontournable dans ces sables assez mouvants. Emmanuel Macron, qui cherche à se faire une place sur la scène internationale malgré un certain nombre d’échecs (Sahel, Liban, Libye, Méditerranée orientale), joue ainsi le poids des armes et le soutien sans faille à l’Arabie saoudite, premier exportateur mondial de pétrole. À sa décharge, on peut penser que le geste fort de Joe Biden n’est certainement pas dépourvu de toute vision stratégique. Il vient ainsi d’approuver une vente d’armes de près de 200 millions de dollars à l’Égypte, pays membre de la coalition dirigée par les Saoudiens. On comprend mieux, cependant, pourquoi, contrairement à d’autres pays, les citoyens en France n’ont aucun droit de regard et encore moins de décision sur les contrats d’armement et sur le déploiement des troupes à l’étranger. Pendant la guerre, le business continue, dit le vieil adage. Et c’est encore plus juteux.

 

« La France viole ses engagements internationaux »

« Depuis quelques mois, des mesures spectaculaires de limitation ou de cessation de ventes d’armes à la coalition des pays du Golfe engagés dans la guerre au Yémen se multiplient », remarque Pascal Torre, en charge du Maghreb et du Moyen-Orient pour le PCF. « Ces initiatives laissent de marbre Paris. Cette posture est totalement assumée par Emmanuel Macron, qui affirme que ces armes ne servent pas à tuer des civils. Or, l’usage d’armes françaises dans les atrocités et les crimes de guerre commis contre les populations civiles yéménites est largement documenté. Les autorités accordent des licences d’exportation à des entreprises comme Dassault Aviatio n, MBDA France ou Thales, qui sont directement impliquées dans ces massacres. Ainsi, la France viole ses engagements internationaux et s’expose à des sanctions au titre du traité sur le commerce des armes, qu’elle a ratifié », dit-il. « Il serait temps que la France, troisième vendeur d’armes au monde derrière les États-Unis et la Russie, prenne des initiatives significatives en termes de désarmement, confortant ainsi les premières mesures restrictives déjà adoptées par quelques pays. » Et le dirigeant communiste d’enfoncer le clou : « Paris doit lever l’opacité qui prévaut sur le commerce des armes et cesser immédiatement ses livraisons à ces pays. »

 

 

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18 février 2021 4 18 /02 /février /2021 09:44

 

Le président turc refuse de négocier et maintient Öcalan en prison. Il préfère une guerre totale contre les Kurdes pour éradiquer le PKK.

Vingt-deux ans ! Vingt-deux ans qu’Abdullah Öcalan est en captivité dans une geôle turque. Et pas n’importe laquelle. Il est enfermé sur l’île-prison d’Imrali, au large d’Istanbul, par le régime turc. Au cours des dix dernières années, le leader kurde, fondateur du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), n’a été autorisé à recevoir que quelques visites de sa famille et de ses avocats, au mépris de toutes les conventions internationales et européennes des droits humains. Et ce, malgré plusieurs rapports du Comité pour la prévention de la torture du Conseil de l’Europe (CPT).

Comme encouragée par la complaisance et le silence de l’Union européenne, Ankara amplifie la répression contre les Kurdes et tous ceux qui défendent leur cause, comme c’est le cas du Parti démocratique des peuples (HDP). En mars 2015, la logique de guerre du président turc, Recep Tayyip Erdogan, l’a amené à rompre brutalement les pourparlers engagés fin 2012 avec Öcalan et le mouvement kurde, anéantissant les espoirs de paix que le processus avait pourtant fait naître au sein des populations. Il a étouffé l’opposition d’une main de fer, tout en lançant son armée, l’une des plus puissantes de l’Otan, contre les villes et les villages kurdes. Certains ont été détruits, les arrestations se sont multipliées, des maires ont été déchus de leurs fonctions.

Une guerre anti-Kurdes qui n’a pas de frontières, puisque les troupes turques sont entrées au Kurdistan syrien, laissant la voie libre aux exactions de leurs supplétifs islamistes. Les mêmes qui avaient tenté de s’emparer de la ville de Kobané en 2014. Personne n’a d’ailleurs oublié que les djihadistes sont arrivés en Syrie en transitant sans problème par la même Turquie. Le journaliste Can Dündar avait même été condamné parce qu’il avait révélé, photos à l’appui, l’aide apportée par les services de renseignements turcs, le MIT, dans l’approvisionnement en armes des troupes de l’organisation dite de l’« État islamique », Daech. À Afrin et à Serekaniyé, un nettoyage ethnique est en cours. Les témoignages recueillis dans les camps de déplacés sont terribles, exécutions sommaires et pillages quotidiens. La même armée est maintenant déployée au nord de l’Irak pour éradiquer les bases arrière du PKK. Des combats ont lieu, les bombardements se multiplient et la situation peut dégénérer à tout instant.

L’attaque frontale menée l’est en réalité contre la philosophie politique développée par Öcalan, qui a directement inspiré le système démocratique alternatif mis en place au Rojava. Celui-ci est basé sur la démocratie directe, l’égalité des genres, le pluralisme et la coexistence entre les différents groupes ethniques et religieux. Comme le disait Nelson Mandela : « Seuls les hommes libres peuvent négocier. » C’est sans doute pourquoi Erdogan maintient Öcalan en prison. P. B.

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17 février 2021 3 17 /02 /février /2021 09:42

Agit Polat, porte-parole du Conseil démocratique kurde en France, revient sur les conditions de détention d’Abdullah Öcalan et la nécessité de le libérer pour résoudre le conflit avec la Turquie. Entretien.

En Turquie, en Irak, en Syrie et en Iran, la question du droit des Kurdes se pose avec de plus en plus d’acuité. De la réponse apportée à ces revendications dépend en partie le sort du Moyen-Orient. Comment les différences ethniques, culturelles, cultuelles et de genre peuvent-elles devenir une chance pour la région ? Öcalan a, depuis longtemps, développé un projet original. Il est incarcéré mais reste une des clés essentielles pour la paix.

Quelles sont les conditions de détention d’Abdullah Öcalan ?

 

AGIT POLAT Abdullah Öcalan a été enlevé le 15 février 1999 à Nairobi, au Kenya, à l’issue d’un complot international, avant d’être incarcéré dans la prison de haute sécurité située sur l’île d’Imrali, en plein milieu de la mer de Marmara, au large d’Istanbul. Pendant les quinze premières années de détention, Öcalan a été le seul détenu de cette prison, qui avait été entièrement aménagée dans le cadre d’un système carcéral conçu spécialement pour lui. La conception de la prison a été développée par des architectes militaires de l’Otan. Dans le régime carcéral d’Imrali, la télévision et le téléphone sont interdits, les journaux sont minutieusement contrôlés et découpés avant d’être remis au détenu, de façon à en retirer tous les articles traitant de sujets politiques ou relatifs aux Kurdes. Öcalan dispose d’une petite radio très souvent brouillée durant la diffusion des émissions d’information.

L’objectif est de le déstabiliser mentalement, de l’empêcher d’analyser les évolutions géopolitiques et géostratégiques, parce que la profondeur et la pertinence de ses analyses, ses perspectives, ses prévisions nuisent aux intérêts stratégiques de l’État turc. Même si le large mouvement de grève de la faim mené par plusieurs milliers de prisonniers politiques kurdes en 2019 a ouvert une brèche de courte durée dans l’isolement d’ Öcalan, lui permettant quelques rencontres avec ses avocats, l’isolement carcéral total persiste. Depuis plusieurs mois, on est sans aucune nouvelle de lui, aucune information n’est donnée par les autorités turques sur sa situation.

Que représente-t-il pour les peuples kurdes ?

AGIT POLAT À la différence des autres leaders kurdes, Öcalan a la particularité d’avoir développé une conscience nationale chez les Kurdes des quatre parties du Kurdistan. Après une série de massacres et de persécutions, les Kurdes, en tant que nation, avaient pratiquement perdu la notion d’identité ethnique.

Lire aussi : Kurdistan. La Turquie à la manœuvre pour éliminer les Kurdes d’Irak

Dans les années 1970, parler en kurde, prononcer le mot kurde, célébrer le Newroz (premier jour du printemps et Nouvel An kurde – NDLR) ou bien parler tout simplement d’un problème kurde était inimaginable en Turquie. La répression des dernières rébellions kurdes avait été effroyable, au point que personne n’osait parler d’un Kurdistan ou bien de la question kurde. En ce sens, le mouvement lancé par Öcalan a éveillé les consciences. C’est ainsi que le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) a entrepris une lutte armée, face à la répression et aux massacres dont les Kurdes étaient victimes, tout comme les Arméniens, les Grecs pontiques, les Assyro-Chaldéens et d’autres minorités.

C’est à la suite de cette lutte que le peuple kurde a pu s’émanciper et atteindre une liberté partielle. En d’autres termes, Öcalan a fait renaître le peuple kurde de ses cendres. C’est pourquoi il y a un lien très fort entre le peuple kurde et leur leader Öcalan. Parfois, l’admiration du peuple kurde pour Öcalan est mal interprétée par ceux qui ne connaissent pas l’arrière-plan de cet attachement et pensent qu’il s’agit d’un culte de la personnalité, alors que c’est tout simplement l’expression de la gratitude d’un peuple envers son leader.

En poursuivant son offensive contre les positions du PKK dans les montagnes irakiennes, que recherche Erdogan ?

AGIT POLAT Comme au nord de la Syrie, le PKK reste toujours un prétexte pour l’invasion du Kurdistan irakien par la Turquie. Cette dernière cherche à s’implanter dans le nord de l’Irak, avec la collaboration totale du Parti démocratique du Kurdistan (PDK) dirigé par la famille Barzani, dans l’objectif d’annexer le Kurdistan irakien, ceci afin de rétablir les frontières de l’Empire ottoman. Le problème de la Turquie n’est pas le PKK, mais les Kurdes.

« Les Kurdes sont aujourd’hui le seul peuple qui lutte contre la barbarie de la Turquie. »

Dans le passé, lors des différents massacres commis par la Turquie contre les Kurdes, le PKK n’existait pas. Les Kurdes et le PKK, qui incarne le plus grand mouvement de résistance de ce peuple, représentent un problème existentiel pour la Turquie. Car la République de Turquie a été fondée sur la négation des peuples qui vivaient sur ses terres. Les Kurdes sont aujourd’hui le seul peuple qui lutte contre la barbarie de la Turquie. C’est pourquoi leur existence représente une menace stratégique pour la Turquie.

 

Comment jugez-vous l’attitude de l’Union européenne vis-à-vis de la question kurde ? N’y a-t-il pas un double langage entre le soutien affiché aux Forces démocratiques syriennes au Rojava et l’inscription du PKK sur la liste des organisations terroristes ?

AGIT POLAT L’Union européenne n’a pas de politique claire concernant la résolution de la question kurde. Elle préfère adopter une approche distincte pour chaque partie du Kurdistan. Par exemple, elle prétend soutenir les Kurdes de Syrie, elle envoie des délégations dans le nord de la Syrie pour rencontrer l’administration autonome mise en place dans cette région, mais elle ne reconnaît pas officiellement cette administration sur le plan international. En Turquie, cette même Union européenne apporte un soutien très mitigé au Parti démocratique des peuples (HDP, dont l’un des leaders, Selahattin Demirtas, est actuellement emprisonné, de même que Figen Yüksekdag, ex-coprésidente de cette formation et plusieurs députés – NDLR). Cependant, elle appuie ouvertement le gouvernement régional du Kurdistan en Irak. Mais le problème, en Irak, est que la population locale ne cautionne pas vraiment ce gouvernement soutenu par l’Europe. En Iran, les Kurdes sont les plus grands oubliés de l’Europe, malgré l’exécution par pendaison de centaines d’entre eux par le régime iranien.

Tout ceci, tout ce silence, ainsi que cette approche ambiguë nous montre que l’Europe n’a pas une politique visant la résolution de la question kurde. La question kurde est instrumentalisée par certains gouvernements européens, et en particulier par certains ministères, afin d’exercer une pression contre la Turquie, ou bien permettre de marchander plus facilement avec la Turquie. Il y a en Europe certains lobbies qui ne souhaitent pas que la question kurde soit résolue, car d’une part la guerre contribue toujours aux intérêts des lobbies d’armement, et d’autre part la question kurde reste le principal sujet de chantage contre la Turquie.

Donc, résoudre cette question ne servirait pas les intérêts des « diplomates ». Quand bien même les États en question savent pertinemment que le PKK n’est pas une organisation terroriste, et malgré les décisions de justice en faveur du PKK, celui-ci continue d’être inscrit sur la liste des organisations terroristes de l’Union européenne.

 

En quoi la libération d’Öcalan pourrait-elle être porteuse d’espoir pour les Kurdes ?

AGIT POLAT La libération du leader kurde Abdullah Öcalan ne revient pas seulement à la libération d’un leader kurde, elle signifie aussi la résolution de la question kurde. L’action d’Abdullah Öcalan au cours des dernières années a démontré son rôle de conciliateur entre Turcs et Kurdes, un rôle indispensable à une paix durable et légitime. La libération du représentant kurde serait une contribution essentielle à la résolution du conflit. Poursuivre le régime d’isolement imposé à Öcalan revient à se fourvoyer dans le traitement militaire de la question kurde. Pour que des négociations substantielles puissent commencer, Öcalan doit être libéré !

 

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16 février 2021 2 16 /02 /février /2021 09:28

 

Huit ans après le début de l’expédition militaire au Mali, l’engrenage de la violence se poursuit. De l’opération Serval (2013) à la force Barkhane (2014), en dépit de quelques succès tactiques, la stratégie française est dans une impasse. Le bilan est lourd : 51 soldats français tués, 10 milliards d’euros engloutis, et toujours pas de solution en vue. Pire encore : l’influence des entrepreneurs de la violence s’est étendue à d’autres pays du Sahel avec des milliers de victimes civiles et militaires, des millions de réfugiés, une hausse de la pauvreté…

 

 

Une situation qui pèse sur une opinion plus réticente aujourd’hui. Depuis 8 ans, les gouvernements successifs répètent que nous sommes au Mali pour longtemps, afin d’éviter des attentats sur notre sol quand bien même aucun n’a eu de lien avec des groupes armés du Sahel. Il n’empêche, l’armée française est enlisée et le « pour longtemps » ne suffit plus à convaincre.

M.Macron lors du G5 Sahel au Tchad les 15 et 16 février, devrait faire quelques annonces, dont une baisse des effectifs militaires, actuellement officiellement de 5 100 hommes. Il espère partager le fardeau et sortir d’un bourbier qui s’étend. Des groupes terroristes menacent d’élargir leurs actions vers le Golfe de Guinée. Pour rompre l’isolement de la France au Sahel, et réduire la voilure afin de se recentrer sur d’autres régions potentiellement conflictuelles, il compte sur le renfort de la maigre force d’unités européennes Takuba d’appui à l’armée malienne.

Mais pour obtenir quels résultats ? Aucune des causes qui ont conduit à la déstabilisation du Mali et de la sous-région n’a été traitée. On demande à l’armée française de régler un problème qui ne se solutionnera pas sur le plan militaire. Car c’est une guerre asymétrique, et nous n’avons pas tiré les leçons des échecs passés, de l’Afghanistan ou de l’Irak. Dans ces pays, le dangereux concept néoconservateur de « guerre contre le terrorisme » ne vise pas à résoudre les conflits, mais à déstabiliser, remodeler, dominer et piller les territoires. C’est un mode de gouvernance ultra capitaliste qui - contrairement aux objectifs affichés - entretient des monstres et étend l’hydre de l’obscurantisme. Le Sahel est sur cette pente, accentuée par le détonateur de la guerre déstabilisatrice de Sarkozy contre la Libye en 2011. Rappelons que l’état-major en 2013 poussait les feux de la guerre sur fond de discussions budgétaires dans le cadre du Livre blanc de la défense. Rappelons également les erreurs, les jeux troubles avec le Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA), révélateurs d’une méconnaissance du Mali ou, pire, d’une prétention à vouloir façonner le pays pour des intérêts moins avouables.

L’État français, pompier pyromane, quel qu’ait été l’accueil des troupes françaises au Mali en 2013, est perçu comme une force occupante. D’autant que nous sommes l’ancienne puissance coloniale qui tient encore les cordons de la bourse à travers ses multinationales et la monnaie (franc CFA ou projet ECO).

Huit ans après, le mal est fait et il faut d’urgence changer de politique si l’on veut trouver une issue dans l’intérêt des peuples. Cela passe par un bilan de notre intervention, en regardant avec lucidité l’échec fracassant de 60 ans d’interventions et de coopérations militaires avec les pays sahéliens, et en analysant l’ensemble des causes du désastre.

Car le conflit se déroule sur fond de trafic d’armes, de drogues, de banditisme, et de diffusion en Afrique d’un islam politique intégriste, dont le salafisme, avec la complicité des pétro-dictatures du Golfe. L’aggravation des conditions de vie des populations dans la sous-région, et l’absence de perspective pour de nombreux jeunes, constituent un terreau favorable à l’expansion de l’obscurantisme et de la criminalité.

Le Mali est classé 184e sur 187 pour le développement humain par le PNUD. Comme de nombreux pays africains, il a été victime de la stratégie de surendettement et des plans d’ajustement structurel qui ont broyé les services publics et conduit à des États faillis et corrompus. Le bilan de décennies de néocolonialisme et de libéralisme mêlés est effroyable. Comment espérer alors que ce chaos n’engendre pas violences et conflits ?

Sécuriser les conditions de vie est une des clefs. C’est ce qui a été fait dans une France et une Europe en ruine au sortir de la guerre. Il faut permettre aux Maliens de décider, de reconstruire l’État, des services publics, avec des solutions africaines. La réappropriation des richesses du sol et du sous-sol, la lutte contre les flux financiers illicites peut permettre le développement de systèmes d’éducation, de santé avec une protection sociale solidaire.

Sur le plan de la sécurité, la réponse ne pourra être que multilatérale, avec l’Union africaine. La mission des Nations unies doit être renforcée avec un mandat robuste permettant la protection des populations, avec l’objectif de passer la main aux forces africaines. Les dispositions de l'accord de paix d'Alger doivent être révisées, notamment celles qui risquent de saper les fondements même d'un État central.

Comme l’ont demandé les sénateurs communistes en séance mardi 8 février : la France devrait porter ces choix politiques et mettre en place un agenda précis du départ de ses troupes jalonné de mesures permettant à l’État malien de recouvrer l’intégralité de la souveraineté sur son territoire et aux populations d’améliorer leurs conditions de vie.

Dominique Josse
Collectif Afrique du PCF

 

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