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27 février 2021 6 27 /02 /février /2021 08:28
Niger: Uranium, Cocaïne, néo-colonialisme et Présidentielles - Analyses de L'Humanité, Marc de Miramon et Rosa Moussaoui
Niger. La malédiction de l’uranium et de la cocaïne
Mardi 23 Février 2021 - L'Humanité

Principale richesse du territoire, l’exploitation du minerai indispensable au fonctionnement des centrales nucléaires a laissé la place aux nouvelles routes de la drogue. Ce pays parmi les plus pauvres au monde, qui votait dimanche pour désigner le successeur du président sortant Mahamadou Issoufou, connaît une véritable descente aux enfers.

 

Le Niger, l’un des pays les plus pauvres du monde, votait dimanche pour désigner le successeur de Mahamadou Issoufou. Officiellement, le scrutin ne risque pas d’être remis en question par la communauté internationale, France en tête, soucieuse de confirmer la victoire annoncée de Mohamed Bazoum, dauphin désigné d’Issoufou. Tout juste le vote a-t-il été endeuillé par l’assassinat de quelques membres de la Commission électorale nationale indépendante (Céni), tués dans l’attaque de leur véhicule ou par l’explosion d’une mine dans la région de Tillabéri (ouest), proche du Mali.

Des embuscades attribuées à Boko Haram et aux différentes factions djihadistes, à l’instar de l’ersatz africain de l’« État islamique », qui sévissent dans la région. Mais, pour comprendre la descente aux enfers sécuritaire du Niger et de l’ensemble de la zone sahélienne, qui se pare aujourd’hui du drapeau d’un islam salafiste importé de la péninsule Arabique, il faut remonter à l’indépendance du pays en 1958.

Des mines cruciales pour la France

Enclavé et ponctué d’immenses zones désertiques, le Niger n’a alors qu’une principale monnaie d’échange sur le marché international : ses considérables réserves d’uranium, minerai essentiel à une industrie civile et militaire alors en plein boom, le nucléaire. Pour la France, le pays revêt une importance stratégique cruciale. Paris ayant besoin des mines nigériennes pour faire tourner ses centrales et fabriquer les ogives atomiques nécessaires à son rang de grande puissance siégeant au Conseil de sécurité des Nations unies.

Grâce au combustible extrait dans le Sahel, et conformément au plan défini par le premier ministre français Pierre Messmer en 1974, le Niger devient la pierre angulaire de la politique d’indépendance énergétique de la France, qui passe par le faible coût de l’uranium sur les marchés internationaux, tandis que la volatilité du prix des hydrocarbures, pétrole en tête, provoque un authentique séisme géopolitique. C’est la fin de l’or noir bon marché, et les économies capitalistes découvrent leur vulnérabilité face au précieux liquide qui irrigue les veines de l’économie mondiale.

Les routes de la contrebande

Les pays émergents, Inde et Chine en tête, développent avec un appétit frénétique leur propre infrastructure nucléaire, à peine refroidis par la catastrophe industrielle de Tchernobyl, en Ukraine, en 1986, en attendant celle de Fukushima, au Japon en 2011. La France, qui bénéficiait de tarifs préférentiels de l’uranium extrait des mines au Niger, voit le gouvernement de Niamey renégocier ses contrats. La demande internationale explose, et les populations touareg du nord, là où se situent les immenses gisements d’Arlit ou d’Imouraren, font parler les armes pour exiger la part d’une rente intégralement captée par le gouvernement central.

Nous sommes au milieu de la décennie 2000, et la géopolitique mondiale a basculé avec les attentats terroristes du 11 septembre 2001. Les groupes armés touareg, qui essaiment dans le nord du Niger et enlèvent sporadiquement soldats de l’armée régulière comme salariés du groupe français Areva, demeurent largement sous la coupe du colonel Kadhafi en Libye, avant que sa chute en 2011 ne les précipite définitivement dans les bras des pétromonarchies du Golfe. Tandis que les routes de la contrebande au Sahel commencent à être inondées par la cocaïne en provenance d’Amérique du Sud, laquelle pénètre sur le continent africain grâce à la Guinée-Bissau, un État failli dont la situation géographique – une constellation de petites îles dans son littoral – favorise la discrétion des livraisons de poudre blanche.

En dépit de la présence militaire française, garantie par l’opération « Serval » en 2013 (devenue « Barkhane » en 2015), et celle des États-Unis, via la principale base de drones implantée dans le Sahel, le Niger a vu une partie de son appareil d’État contaminé par un grand banditisme repeint aux couleurs du djihad. De quelques dizaines de kilos saisis à la fin des années 1980, la cocaïne ou l’héroïne interceptée au Niger bat chaque année des records, comme en témoigne une unique saisie opérée dans la nuit du 9 au 10 mars 2019. En plus des 800 kilos de cocaïne dissimulés dans un camion immatriculé au Sénégal, la police bissau-guinéenne met aux arrêts quatre suspects, dont Mohamed Sidy Ahmed, qui jouit du titre de conseiller spécial du président de l’Assemblée nationale du Niger.

 

Déstabilisation du Sahel

« La drogue avait pour destination Gao », une des principales métropoles du nord du Mali libérée par l’armée française en 2013, commente alors le directeur adjoint de la police judiciaire de la Guinée-Bissau, offrant une démonstration supplémentaire que l’une des principales causes de la déstabilisation du Sahel, soit l’explosion du trafic de drogue, n’a guère été entravée par l’intervention militaire française. Le vainqueur attendu de l’élection présidentielle Mohamed Bazoum, ex-ministre de l’Intérieur, a sans surprise fait de la sécurité et de la lutte contre les nouvelles routes des stupéfiants la pierre angulaire de son futur mandat, avec l’éducation et la démographie, dans un pays où l’explosion des naissances va provoquer la hausse de population la plus vertigineuse du continent africain. Un défi d’autant plus crucial qu’une partie de la drogue, dont le très accessible Tramadol (environ 2 euros le comprimé), inonde désormais le marché local.

Au Niger, Mohamed Bazoum célèbre la victoire de la « continuité»
Jeudi 25 Février 2021 - L'Humanité

Le dauphin désigné de Mahamadou Issoufou, le chef d’État sortant, est donné vainqueur du second tour de l’élection présidentielle. Au cœur d’une zone sahélienne instable, il sera confronté à des défis sociaux et sécuritaires colossaux.

 

Dans une histoire émaillée de coups d’État depuis l’indépendance, pour la première fois depuis trente ans, un président nigérien passera sans heurts le témoin à son successeur. Il faut dire que Mahamadou Issoufou a choisi comme dauphin un fidèle parmi les fidèles : mardi soir, la Commission électorale nationale indépendante a donné Mohamed Bazoum vainqueur du second tour de l’élection présidentielle, avec 55,75 % des voix, selon des résultats provisoires qui doivent encore être confirmés par la Cour constitutionnelle. Avant même cette annonce, l’opposition avait déjà dénoncé un « hold-up électoral », exigeant que soit suspendue la publication des résultats. Mercredi 24 février, depuis son fief de Zinder, dans le sud-est, son candidat, Mahamane Ousmane, a revendiqué la victoire, assurant que la compilation des procès-verbaux en sa possession lui donnait « 50,3 % des voix ». L’opposition, qui dénonce des fraudes et des menaces sur ses délégués, assure avoir constaté, dans certaines circonscriptions, des taux de participation dépassant les 100 %, « avec un score de 99 % en faveur du candidat du pouvoir ».

Menace constante des groupes islamistes armés

Bazoum, lui, se réjouit de la victoire de la « continuité », loue la « sagesse » de son adversaire et souhaite que tous deux regardent « dans la même direction ». Pilier de l’appareil du Parti nigérien pour la démocratie et le socialisme (qu’il a fondé avec Issoufou), ce professeur de philosophie, issu de la minorité arabe, ancien marxiste converti à la social-démocratie, a joué en coulisses, ces dix dernières années, un rôle clé au cœur du pouvoir comme dans les relations avec les puissances étrangères. Comme ministre de l’Intérieur, puis comme ministre d’État après la réélection d’Issoufou en 2016, il s’est trouvé en première ligne de l’inextricable défi sécuritaire posé dans ce pays en proie à l’activisme des groupes islamistes armés, depuis les innombrables produits dérivés d’al-Qaida au Maghreb islamique jusqu’à la secte nigériane Boko Haram, qui n’ont cessé d’étendre, ces dernières années, l’aire de leurs attaques. Bazoum prend la tête du Niger au pire moment, alors que l’échec du déploiement militaire français dans le Sahel est manifeste, avec l’enlisement de l’opération « Barkhane » et l’impossible passage de relais aux armées de la région, dépassées par l’insaisissable guérilla djihadiste – des « métastases du cancer terroriste », dit-il.

42 % de la population vit dans l’extrême pauvreté

Dans le onzième pays le plus pauvre du monde, où le géant français Orano (ex-Areva) exploite depuis un demi-siècle des gisements d’uranium en dictant ses conditions, le nouveau président jure de faire des infrastructures, de l’éducation, de l’accès aux soins, de la protection sociale et du contrôle des naissances ses priorités. Il parie, pour financer de telles politiques, sur la rente promise par la montée en puissance de l’exploitation pétrolière, avec le début prévu des exportations d’hydrocarbures en 2022. Une ressource qui pourrait encore aiguiser d’obscurs appétits, dans le sillage des scandales politico-financiers qui ont secoué l’ère Issoufou.

Le nouveau chef d’État, dont le nom n’est pas cité dans les affaires de détournements de fonds publics ayant éclaboussé les mandats de son prédécesseur, promet « des audits » dans les institutions publiques pour mettre un terme aux « pratiques de corruption qui décrédibilisent la démocratie ». Dans une zone instable, avec 24 % des jeunes au chômage et près de 42 % de la population vivant dans l’extrême pauvreté, Bazoum, au pouvoir, devra, très vite, dégager d’autres horizons que celui de la « continuité ».

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25 février 2021 4 25 /02 /février /2021 06:57
Jean Hatzfeld à la rencontre des Justes au Rwanda - par Muriel Steinmetz, L'Humanité, 25 février 2021
Jean Hatzfeld à la rencontre des Justes au Rwanda - par Muriel Steinmetz, L'Humanité, 25 février 2021
Jean Hatzfeld à la rencontre des Justes au Rwanda - par Muriel Steinmetz, L'Humanité, 25 février 2021
Jean Hatzfeld à la rencontre des Justes au Rwanda
Jeudi 25 Février 2021
Poursuivant son analyse du génocide, l’écrivain donne la parole, dans un livre de grande valeur éthique, aux rares Hutus qui ont sauvé la vie de Tutsis au péril de la leur.
 
Après Dans le nu de la vie (2000) , récits de quatorze rescapés du génocide des Tutsis au Rwanda, et Une saison de machettes (2003), paroles de dix tueurs, le grand reporter Jean Hatzfeld publiait la Stratégie des antilopes (2007), où il évoquait la cohabitation sur les collines des victimes et des bourreaux, libérés après avoir purgé de lourdes peines. Depuis 1998, il se rend au Rwanda plusieurs fois par an.

Il y parle souvent avec les mêmes personnes et retranscrit des dialogues qu’en France il couche par écrit, ce qui l’amène à de nouvelles questions, qu’il note avant de repartir là-bas. Là où tout se tait signe son retour, en 2019, sur ces collines de Nyamata, pour donner voix aux rares Hutus qui, au péril de leur vie, ont sauvé des Tutsis du génocide. Une brève présentation nous plonge dans le contexte de la rencontre, puis le témoin raconte. Parfois, sa voix s’échappe ou se mêle à d’autres, dûment identifiées. La folie génocidaire a duré du 11 avril 1994, à 11 heures, au 14 mai à 14 heures, tous les jours « même le dimanche», de 8 à 15 heures. Les horaires ne « différaient pas tellement de ceux des travaux agricoles ». On « coupait » du Tutsi à « s’en casser les bras ». À Nyamata, 51 000 Tutsis sur une population d’environ 59 000 ont été massacrés. Au total, 800 000 et plus ont péri en moins de cent jours dans le pays. Les tueurs y allaient « en rangs chantants ».

Les sauveurs ne bénéficient d’aucune vraie reconnaissance

Le geste de la poignée de sauveurs « imperméables aux déchaînements de haine », qui choisirent le bien plutôt que le mal, était donc d’une infinie richesse à préserver dans ce livre à haute valeur éthique. Ceux qui sont pourtant appelés là-bas « abarinzi w’igihango », gardiens du pacte de sang, ou parfois les Justes, comme le furent ceux qui cachèrent les juifs pendant la Seconde Guerre mondiale, demeurent peu diserts et ne bénéficient d’aucune vraie reconnaissance. Beaucoup sont morts, abattus par les tueurs. Autour d’eux, partout, la méfiance. Pour les Tutsis, il reste difficile d’ « inviter un Hutu dans les souvenirs de deuil». Le soupçon demeure. Quant aux Hutus, ces Justes suscitent en eux de l’embarras, voire un sentiment de trahison, ou pire, un double inversé insupportable. Ne renvoient-ils pas aux génocidaires (si nombreux puisque « huit à neuf victimes sur dix » ont été tuées « à la main » par des civils : cultivateurs, fonctionnaires, enseignants, commerçants, même un vicaire et un pasteur) l’image de ce qu’ils auraient pu être sans l’avoir été.

Jean Hatzfeld s’interroge : l’espace de repli a-t-il manqué pour que puisse s’organiser une contre-offensive, de la part de « personnalités moins soumises à la force du communautarisme ethnique » ? Face à ces questions qui le cisaillent, le voilà doublement attentif à ces « très rares épisodes de sauvetage ou de mains tendues». Il y a celui qui cache pendant trois jours des Tutsis, malgré les menaces des « interahamwes » (milices extrémistes hutues). Cette mère qui apporte de la « bouillie aux fuyards des marais ». Cet homme qui choisit d’être fusillé à côté de son épouse. Cet autre qui dissimule un « petit avoisinant et son papa tutsi ». Jean-Marie Vianney Setakwe a caché trois Tutsis dans ses champs de sorgho. « J’ai refusé la mort chez moi, j’ai choisi la traîtrise ethnique. » Son épouse, Espérance Uwizeye, elle aussi est une Juste. Le militaire prénommé Silas préviendra les habitants d’une « expédition très risquante » avant de participer au « sauvetage » d’une jeune femme qui comptera pour lui. Joseph Nsengiyomva a caché deux familles qu’il a dispersées dans la brousse au péril de sa vie. « Aucune parole ethnique ne l’a jamais accroché. Il m’a dit qu’il avait épousé une Tutsie sans même y penser », témoigne Sylvie Umubyeyi. Voilà un homme qui a donné la « priorité à son courage ou sa compassion ». «Partout, à Nyamata, on remarquait des bosses de terre mal tassées. » « On savait ce qui se trouvait dessous. » « Le trou de chez Eustache », nom du dernier chapitre, en comptait 70. Des enfants y avaient été jetés vivants. « Ce s trous perpétuent le sentiment de dégoût qui imprègne sans fin la narration de ce génocide. »

Jean Hatzfeld à la rencontre des Justes au Rwanda - par Muriel Steinmetz, L'Humanité, 25 février 2021
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21 février 2021 7 21 /02 /février /2021 06:47

 

 

Les contrats signés par la Commission européenne, que nous publions, montrent comment cette dernière s’est pliée aux demandes des firmes pharmaceutiques. Dans les trois contrats rendus publics, tous les passages cruciaux pour les bénéfices et la protection du monopole des laboratoires ont été censurés. Une clause est très claire en revanche : tout effet indésirable des vaccins relève de la seule responsabilité des Etats membres... DÉCRYPTAGE.

Dans toute sa carrière, lui, il en a vu des vertes et des pas mûres. Cette fois, pourtant, il n’en revient pas. « Plus j’avance dans ma lecture des contrats entre les industries pharmaceutiques et la Commission européenne, plus je comprends pourquoi les entreprises se sont senties très à l’aise au moment de les signer  », confie ce bon connaisseur du secteur à Bruxelles, bien introduit également à l’Agence européenne du médicament (AEM). À l’examen, c’est évident, et le caviardage vient souligner encore le parfum global, entremêlant la privatisation des profits, camouflée sous les traits noirs, et la socialisation des pertes qui, elle, apparaît en clair (voir en fac-similé le contrat signé entre Sanofi-GSK et l'UE).

À ce jour, après avoir renâclé pendant des mois, campées sur l’argument du « secret des affaires », puis permis aux eurodéputés d’en consulter des versions tronquées dans une pièce surveillée, avec interdiction d’enregistrer, photographier ou prendre des notes, les institutions européennes ont fini par se résoudre, ces dernières semaines, à publier officiellement quelques-uns des contrats, avec l’aval des groupes pharmaceutiques eux-mêmes. Pour l’heure, seuls trois contrats de préachat de vaccins, sur huit au total, signés par l’UE avec des multinationales engagées dans la course aux vaccins, sont officiellement accessibles au grand public : CureVac, AstraZeneca et Sanofi-GSK. Un quatrième, celui conclu avec le groupe américain Johnson & Johnson, ne circule pas encore, mais ça ne devrait pas tarder, promet-on à Bruxelles. En revanche, Moderna et Pfizer-BioNTech, les deux producteurs des premiers vaccins arrivés sur le marché – largement plus chers que les autres – refusent toujours de lever le moindre coin du voile sur leurs arrangements avec l’UE.

 

Les États tenus d’indemniser en cas d’effets secondaires indésirables

Prix des matières premières et du sérum dans sa globalité, organisation des chaînes de production, délais de livraison… Dans les trois contrats rendus publics, tous les passages cruciaux pour les bénéfices et la protection du monopole de Big Pharma ont été censurés. Dans l’accord avec CureVac, par exemple, tout le circuit de fabrication qui doit compter un bon paquet de sous-traitants est totalement dissimulé sur plus de trois pages. Dans celui avec Sanofi et GSK, l’UE s’engage à participer, pour un montant passé sous silence, à l’augmentation des capacités de production d’un éventuel vaccin et des dispositions sont prévues en cas d’abandon du projet, mais elles sont également placées sous le sceau de la confidentialité, alors que le retard important dans la mise au point du sérum rend plus concrète aujourd’hui cette éventualité… Dans le contrat avec AstraZeneca, outre les tarifs, c’est le circuit de distribution qui demeure opaque et on a pu voir combien, avec la pénurie qui dure depuis la fin janvier dans l’Union européenne, mais pas du tout au Royaume-Uni, la question est importante. Dans le contrat, la multinationale anglo-suédoise s’engage à «  faire tous les efforts possibles  » pour fournir son vaccin aux pays européens. Une clause dont la portée est pour le moins douteuse puisque, d’après Reuters, pour ne pas piocher dans la production de ses fournisseurs britanniques, l’industriel envisage – comble du cynisme – de réconcilier Union européenne et Royaume-Uni en allant chercher les stocks promis aux pays les plus riches chez son fabricant indien, le Serum Institute of India, qui devait plutôt participer à la distribution dans les pays du Sud.

Sur le maintien des privilèges liés à la propriété intellectuelle (lire aussi cet article sur le sujet) comme sur le transfert aux États de toute responsabilité en cas d’effets indésirables suite à la vaccination, les contrats signés par les multinationales et Bruxelles sont, là, bien plus transparents. Alors que l’université d’Oxford, dont les chercheurs ont mis au point le vaccin, souhaitait dans un premier temps, avant une intervention de Bill Gates, l’offrir au monde entier (lire notre édition du 3 février), l’UE «  reconnaît » AstraZeneca comme «  seul détenteur des droits de propriété intellectuelle générés pendant le développement, la fabrication et la distribution » du produit. La même approche vaut pour CureVac et Sanofi-GSK. Sur le deuxième point, la Commission a strictement respecté la consigne donnée par le lobby Vaccines Europe qui, au nom des «  risques si élevés pris par les fabricants  », exigeait une protection juridique de l’UE en cas d’incident après l’injection d’un vaccin (lire notre article du 1er décembre).

Dans les trois contrats publics, Bruxelles s’engage à prendre en charge les frais éventuels. «  La Commission et chaque État membre reconnaissent que l’utilisation des produits va intervenir dans des conditions épidémiques qui requièrent cette utilisation et que l’administration du produit va, en conséquence, être conduite sous la seule responsabilité de chaque État membre  », précise par exemple le contrat avec CureVac. C’est encore plus exhaustif pour AstraZeneca : les États seront tenus de prendre en charge les éventuelles indemnisations «  dans tous les cas  », lit-on, «  que le défaut provienne de la distribution, de l’utilisation, des essais cliniques, de la production, de l’emballage, de la prescription et autres dans sa juridiction  ». «  Tout ça va beaucoup plus loin que tout ce qui avait été dit ces derniers mois  », déplore, accablé, un animateur de la campagne pour l’accès aux médicaments de Médecins sans frontières.

 

Demande d’enquête sur le manque de transparence

L’opacité meurt, la transparence tarde à apparaître et, dans ce clair-obscur, surgissent les ennuis pour la Commission européenne. Après la fronde ouverte au Parlement européen, l’étau se resserre, car, avec la faible lumière commençant à balayer certains contrats, ce sont les conditions de leurs signatures qui sont de plus en plus interrogées. Alors que les autres participants sont restés anonymes, l’UE a intégré, dans son équipe de négociation avec les multinationales, Richard Bergström, ex-patron du principal lobby pharmaceutique européen, l’European Federation of Pharmaceutical Industries and Associations (Efpia). Un acteur qui, en l’occurrence, a été extrêmement présent dans toute la phase puisque, d’après un décompte réalisé par l ’Humanité à partir du registre des rendez-vous officiels des commissaires européens ou de membres de leurs cabinets, ses représentants ont été auditionnés 34 fois au plus haut niveau – dont 15 fois par la commissaire à la Santé, Stella Kyriakides, et 8 fois par le commissaire à l’Industrie, Thierry Breton –, à Bruxelles, depuis le début de la pandémie au printemps 2020.

C’est dans ce contexte très marqué par les intérêts privés que le Corporate Europe Observatory (CEO), la vaillante ONG spécialisée notamment dans la traque des conflits d’intérêts au sein des institutions européennes, réclame, via les plateformes censées assurer la transparence des décisions publiques de l’UE, la publication des procès-verbaux des discussions entre la Commission et l’industrie pharmaceutique. En janvier, le groupe a réussi à convaincre la médiatrice européenne Emily O’Reilly, chargée de contrôler les institutions à Bruxelles, d’ouvrir une enquête sur le « manque de transparence » en matière de contrats avec les producteurs de vaccins.

La Commission devait répondre à son interpellation en fin de semaine dernière, mais, d’après les services de la médiatrice, elle a loupé le coche. «  La transparence autour des négociations aurait permis un débat public et un contrôle parlementaire, plaide le CEO. Les faiblesses dans l’approche de l’UE auraient ainsi été mises en évidence avant qu’il ne soit trop tard pour les corriger. La transparence, qui plus est, aurait également considérablement renforcé les négociateurs de l’UE face à Big Pharma, avec une opinion publique qui, sans aucun doute, aurait soutenu les tentatives de contraindre les entreprises pharmaceutiques à faire des vaccins un bien public mondial, en contrepartie des fonds publics qui leur ont été généreusement accordés. »

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21 février 2021 7 21 /02 /février /2021 06:35

Plusieurs organisations non gouvernementales demandent l’arrêt des livraisons d’armes de Paris à Riyad. Elles se heurtent à une fin de non-recevoir malgré les crimes de guerre documentés. ENTRETIEN.

BENOÎT MURACCIOLE

Président de l’ONG Action sécurité éthique républicaines

 

 

Au mois de décembre, vous avez publié un rapport dans lequel vous parlez de crimes contre l’humanité au Yémen. Qu’en est-il ?

BENOÎT MURACCIOLE Nous avons fait un travail de recoupement avec les rapports des experts des Nations unies (c’est-à-dire adoubés par l’ONU et les membres permanents du Conseil de sécurité, dont la France). Ces rapports évoquaient de possibles crimes de guerre au Yémen. Et lorsque nous avons étudié les descriptions de ces crimes de guerre, nous nous sommes aperçus qu’elles avaient un caractère systématique et répété et qu’on rentrait, de ce point de vue, dans la qualification de crimes contre l’humanité. Cela n’arrivait pas de façon fortuite mais après deux, trois ans de guerre et malgré toutes les demandes et interventions des experts des Nations unies aussi bien que du Conseil de sécurité auprès des parties pour respecter le droit international.

 

En quoi la France serait-elle complice ?

BENOÎT MURACCIOLE La France est engagée dans plus d’une centaine de traités liés aux droits de l’homme, à commencer par la charte des Nations unies. Et parce que la France est partie du traité sur le commerce des armes (TCA). L’article 6 du TCA précise que lorsque des États ont connaissance de graves violations du droit international, de la convention de Genève de 1949, de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité, ils doivent stopper les exportations d’armes. On n’est pas dans une évaluation du risque mais dans une potentialité du risque. Le paragraphe 2 de ce même article précise que si le transfert lui-même représente une violation des engagements internationaux du pays, ce transfert doit cesser.

Votre association, Aser, ainsi que d’autres organisations non gouvernementales (ONG) ont interpellé le gouvernement français. Quelles ont été les réponses ?

BENOÎT MURACCIOLE Je travaille sur ces questions depuis plus de vingt ans avec les différents ministères. Nous les avons interpellés sur ce dossier précis des armes utilisées au Yémen. Nous n’avions pas de réponses mais des discussions. À partir du moment où nous avons saisi le tribunal administratif, en 2018, les ministères et l’Élysée ont cessé tout dialogue avec nous. C’est une immense preuve de faiblesse. Aujourd’hui, nous sommes devant le Conseil d’État. Nous avons gagné en première instance devant le tribunal administratif puis un renvoi en appel. Mais l’essentiel est que nous soyons devant le Conseil d’État avec Action des chrétiens pour l’abolition de la torture, Action contre la faim, Médecins du monde, Salam for Yemen, Stop Fuelling War et Sherpa.

 

L’attitude de la France répond-elle à des préoccupations politiques ? Économiques ? Les deux à la fois ?

BENOÎT MURACCIOLE Les sommes engagées sont à la fois importantes et dérisoires. Depuis le début de l’intervention militaire de la coalition dirigée par l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, les exportations et les transferts d’armes de la France vers l’Arabie saoudite ont augmenté et se montent à un peu plus de 6 milliards d’euros. Mais en termes de nuisance dans un pays c’est épouvantable. 400 000 enfants yéménites vont mourir si la situation ne change pas. Les programmes humanitaires sont sous-­financés. On est dans une situation terrifiante pour le peuple yéménite mais, malgré cela, la France continue et a même augmenté ses exportations. Il faut d’ailleurs dire un mot sur l’Égypte, partie prenante de la coalition militaire. Elle est aussi à un peu plus de 6 milliards d’euros de commandes de matériel militaire. Mais l’Égypte ne paie pas. Il n’y a aucune preuve que la commande de missiles Mistral a été payée, pas plus que celle des avions Rafale, malgré nos demandes. Et pourtant, ça continue. On voit donc bien que ce n’est pas uniquement une question financière. En tout cas en apparence.

 

On a l’impression que les Français n’ont aucun moyen de contrôle et de décision. Est-ce une réalité ?

BENOÎT MURACCIOLE Un rapport d’information avait été présenté par deux députés, en 2018, sur le contrôle des exportations d’armement. Si ce rapport parle de la nécessité d’un contrôle parlementaire, ce n’est pas pour un rendu public mais pour préserver le secret. On balade les parlementaires et les citoyens français. Au nom du peuple français, se font des choses qui sont à l’inverse des valeurs de la France… Les États-Unis, l’Italie et l’Australie ont annoncé leur intention de suspendre l’acheminement d’armes au Yémen. Si Biden agit ainsi, c’est parce que Bernie Sanders et la gauche américaine se sont battus, sous Trump, et ont obtenu à trois reprises qu’un vote soit organisé sur la suspension de ces exportations d’armes à cause des crimes de guerre perpétrés au Yémen. Aujourd’hui, le gouvernement français ne peut pas dire qu’il ne sait pas. De fait, la question de sa complicité se pose.

 

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20 février 2021 6 20 /02 /février /2021 06:31

Alors que les États-Unis et l’Italie ont suspendu leurs livraisons d’armes à Riyad, Paris reste muet et fait la sourde oreille aux demandes d’arrêt de cette coopération. Comme si l’argent n’avait pas l’odeur des cadavres yéménites.

« Cette guerre doit cesser. » En évoquant le Yémen lors de son premier discours de politique étrangère prononcé le 4 février, le nouveau président états-unien, Joe Biden, n’y est pas allé par quatre chemins. « Nous renforçons nos efforts diplomatiques pour mettre fin à la guerre au Yémen, une guerre qui a créé une catastrophe humanitaire et stratégique », a-t-il déclaré. « Cette guerre doit cesser », a-t-il martelé. « Et pour souligner notre détermination, nous mettons fin à tout soutien américain aux opérations offensives dans la guerre au Yémen, y compris aux ventes d’armes. » L’onde de choc s’est rapidement propagée de Washington à Riyad, ébranlant très certainement quelques certitudes au palais du roi Salmane et plus encore dans celui du prince héritier à la morgue jusque-là affichée, Mohammed, plus connu sous le nom de MBS (pour Ben Salmane). Sur sa lancée, l’hôte de la Maison-Blanche annonçait qu’il retirait le mouvement des Houthis de la liste des organisations terroristes. La désignation sur la liste noire, décidée in extremis par l’administration Trump, était décriée par les organisations humanitaires car elle risquait d’entraver l’acheminement de l’aide dans les vastes territoires contrôlés par les Houthis.

 

« Créer les préconditions à la paix »

Quelques jours auparavant, l’Italie créait la surprise en révoquant les autorisations d’exportation de missiles et de bombes à l’Arabie saoudite et aux Émirats arabes unis. Le ministre des Affaires étrangères d’alors, Luigi Di Maio, ajoutait même : « Nous considérons que c’est un devoir, un message clair de paix qui arrive de notre pays. » L’ONG italienne le Réseau pour la paix et le désarmement s’en félicitait. Cette décision du gouvernement italien « met un terme une fois pour toutes à la possibilité que des milliers d’engins explosifs fabriqués en Italie puissent toucher des structures civiles, faire des victimes parmi la population ou puissent contribuer à aggraver la situation humanitaire déjà grave dans ce pays ». Et d’ajouter : « Le seul arrêt de la fourniture de missiles et bombes aériennes à l’Arabie saoudite et aux Émirats arabes unis ne peut pas faire cesser la guerre au Yémen et soulager les souffrances d’une population épuisée par le conflit, la famine et les maladies, mais constitue un pas nécessaire pour créer les préconditions à la paix. »

 

80 % de la population a un besoin urgent d’aide humanitaire

En France, en revanche, le gouvernement joue la grande muette. Des ONG auraient pourtant bien aimé s’exprimer et se féliciter, à l’instar de leurs homologues états-uniennes ou transalpines. Ainsi l’association Aser (Action sécurité éthique républicaines), membre du Réseau d’action international sur les armes légères et accréditée aux Nations unies, a, depuis longtemps, tiré le signal d’alarme.

En décembre dernier, elle a publié un rapport intitulé « Crimes contre l’humanité au Yémen » qui montre comment les pays de la coalition dirigée par l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis – comprenant également l’Égypte, dont le président Al Sissi a été reçu à Paris – n’ont cessé de cibler les civils et les biens à caractère civil depuis mars 2015. Et ce malgré les appels répétés du Conseil de sécurité des Nations unies.

Icon Quote Le fait que des armes de précision soient utilisées lors des raids aériens de la coalition indique que les décès de civils et la destruction de biens civils qui en ont découlé (...) étaient bel et bien volontaires.RAPPORT ASER

80 % de la population a un besoin urgent d’aide humanitaire, avec plus de 230 000 morts selon le rapport du programme national des Nations unies pour le développement, dont plus de 140 000 enfants, fin 2019. Vingt millions de Yéménites dépendent aujourd’hui de l’aide humanitaire au quotidien, soit les deux tiers de la population. Un Yéménite sur huit est réfugié dans son propre pays dans les conditions que l’on imagine. Selon Jean-Nicolas Beuze, responsable de l’agence de l’ONU pour les réfugiés (HCR) à Sanaa, interrogé par France 24, « entre 80 et 90 % des denrées alimentaires de base telles que le riz et la farine sont importées. Or, cet acheminement est très fragile car le conflit est actif et plusieurs millions de personnes sont exposées au risque de famine. L’accès à la santé est très mauvais, 50 % des centres de soins ont été détruits dans les affrontements, avec des risques épidémiques, notamment de choléra. Enfin, l’embargo sur le fuel imposé par la coalition internationale dans le Nord génère d’énormes problèmes logistiques ». Une réalité terrible qui ne doit rien à une catastrophe naturelle. « Le fait que des armes de précision soient utilisées lors des raids aériens de la coalition indique que les décès de civils et la destruction de biens civils qui en ont découlé ne relèvent pas d’une simple négligence due à un manque de précaution, mais étaient bel et bien volontaires », souligne le rapport d’Aser.

 

Macron cherche à se faire une place sur la scène internationale

Ce qui ne semble toujours pas émouvoir les dirigeants français. Et pour cause. Selon l’Institut international de recherche pour la paix de Stockholm (Sipri) le 9 mars 2020, la France a occupé la 3e position sur ce marché entre 2015 et 2019, représentant ainsi 7,9 % des parts du marché mondial de vente d’armement. Une place que, visiblement, Emmanuel Macron et ses ministres rêvent de renforcer en gagnant une place sur le podium de l’économie de la mort. Il est vrai que l’actuel ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, alors qu’il était ministre de la Défense sous François Hollande, se vantait d’avoir participé à l’augmentation du PIB de la France grâce aux contrats d’armement passés. Il faut croire que de l’armée à la diplomatie il n’y a qu’un pas. « Le secteur de l’industrie de défense est un secteur très important (…) pour la technologie française (…) et pour notre économie, pour nos emplois », expliquait benoîtement la ministre des Armées Florence Parly en juin 2019 sur RTL. Ce qui lui permettait d’asséner, tout en reconnaissant l’existence de victimes civiles : « Je n’ai aucune information me permettant d’assurer que ces victimes civiles le sont du fait des armes françaises. »

 

Pour Paris, les liens avec Riyad seraient donc à préserver et à développer envers et contre tous. Fût-ce au prix de vies humaines. Qu’il s’agisse du journaliste saoudien Jamal Khashoggi, démembré par des sbires de MBS dans une arrière-salle de l’ambassade d’Arabie saoudite à Istanbul, ou de centaines de milliers de Yéménites dont personne ne saura jamais le nom ni même qu’ils ont eu une existence. Les raisons de cette noce sans fin entre la France et l’Arabie saoudite ont de multiples racines. Parmi elles, la promesse qui aurait été faite de confier à la France le développement d’un nouveau site touristique au nord-ouest de l’Arabie, sur un ancien site nabatéen, Al-Ula. Un projet estimé entre 50 et 100 milliards de dollars. Et puis bien sûr, il y a les considérations géostratégiques. La France possède aux Émirats arabes unis sa seule base militaire dans le Golfe, qui lui permet d’être aux avant-postes face à la « menace iranienne » et donc de pouvoir être considérée comme un acteur incontournable dans ces sables assez mouvants. Emmanuel Macron, qui cherche à se faire une place sur la scène internationale malgré un certain nombre d’échecs (Sahel, Liban, Libye, Méditerranée orientale), joue ainsi le poids des armes et le soutien sans faille à l’Arabie saoudite, premier exportateur mondial de pétrole. À sa décharge, on peut penser que le geste fort de Joe Biden n’est certainement pas dépourvu de toute vision stratégique. Il vient ainsi d’approuver une vente d’armes de près de 200 millions de dollars à l’Égypte, pays membre de la coalition dirigée par les Saoudiens. On comprend mieux, cependant, pourquoi, contrairement à d’autres pays, les citoyens en France n’ont aucun droit de regard et encore moins de décision sur les contrats d’armement et sur le déploiement des troupes à l’étranger. Pendant la guerre, le business continue, dit le vieil adage. Et c’est encore plus juteux.

 

« La France viole ses engagements internationaux »

« Depuis quelques mois, des mesures spectaculaires de limitation ou de cessation de ventes d’armes à la coalition des pays du Golfe engagés dans la guerre au Yémen se multiplient », remarque Pascal Torre, en charge du Maghreb et du Moyen-Orient pour le PCF. « Ces initiatives laissent de marbre Paris. Cette posture est totalement assumée par Emmanuel Macron, qui affirme que ces armes ne servent pas à tuer des civils. Or, l’usage d’armes françaises dans les atrocités et les crimes de guerre commis contre les populations civiles yéménites est largement documenté. Les autorités accordent des licences d’exportation à des entreprises comme Dassault Aviatio n, MBDA France ou Thales, qui sont directement impliquées dans ces massacres. Ainsi, la France viole ses engagements internationaux et s’expose à des sanctions au titre du traité sur le commerce des armes, qu’elle a ratifié », dit-il. « Il serait temps que la France, troisième vendeur d’armes au monde derrière les États-Unis et la Russie, prenne des initiatives significatives en termes de désarmement, confortant ainsi les premières mesures restrictives déjà adoptées par quelques pays. » Et le dirigeant communiste d’enfoncer le clou : « Paris doit lever l’opacité qui prévaut sur le commerce des armes et cesser immédiatement ses livraisons à ces pays. »

 

 

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18 février 2021 4 18 /02 /février /2021 09:44

 

Le président turc refuse de négocier et maintient Öcalan en prison. Il préfère une guerre totale contre les Kurdes pour éradiquer le PKK.

Vingt-deux ans ! Vingt-deux ans qu’Abdullah Öcalan est en captivité dans une geôle turque. Et pas n’importe laquelle. Il est enfermé sur l’île-prison d’Imrali, au large d’Istanbul, par le régime turc. Au cours des dix dernières années, le leader kurde, fondateur du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), n’a été autorisé à recevoir que quelques visites de sa famille et de ses avocats, au mépris de toutes les conventions internationales et européennes des droits humains. Et ce, malgré plusieurs rapports du Comité pour la prévention de la torture du Conseil de l’Europe (CPT).

Comme encouragée par la complaisance et le silence de l’Union européenne, Ankara amplifie la répression contre les Kurdes et tous ceux qui défendent leur cause, comme c’est le cas du Parti démocratique des peuples (HDP). En mars 2015, la logique de guerre du président turc, Recep Tayyip Erdogan, l’a amené à rompre brutalement les pourparlers engagés fin 2012 avec Öcalan et le mouvement kurde, anéantissant les espoirs de paix que le processus avait pourtant fait naître au sein des populations. Il a étouffé l’opposition d’une main de fer, tout en lançant son armée, l’une des plus puissantes de l’Otan, contre les villes et les villages kurdes. Certains ont été détruits, les arrestations se sont multipliées, des maires ont été déchus de leurs fonctions.

Une guerre anti-Kurdes qui n’a pas de frontières, puisque les troupes turques sont entrées au Kurdistan syrien, laissant la voie libre aux exactions de leurs supplétifs islamistes. Les mêmes qui avaient tenté de s’emparer de la ville de Kobané en 2014. Personne n’a d’ailleurs oublié que les djihadistes sont arrivés en Syrie en transitant sans problème par la même Turquie. Le journaliste Can Dündar avait même été condamné parce qu’il avait révélé, photos à l’appui, l’aide apportée par les services de renseignements turcs, le MIT, dans l’approvisionnement en armes des troupes de l’organisation dite de l’« État islamique », Daech. À Afrin et à Serekaniyé, un nettoyage ethnique est en cours. Les témoignages recueillis dans les camps de déplacés sont terribles, exécutions sommaires et pillages quotidiens. La même armée est maintenant déployée au nord de l’Irak pour éradiquer les bases arrière du PKK. Des combats ont lieu, les bombardements se multiplient et la situation peut dégénérer à tout instant.

L’attaque frontale menée l’est en réalité contre la philosophie politique développée par Öcalan, qui a directement inspiré le système démocratique alternatif mis en place au Rojava. Celui-ci est basé sur la démocratie directe, l’égalité des genres, le pluralisme et la coexistence entre les différents groupes ethniques et religieux. Comme le disait Nelson Mandela : « Seuls les hommes libres peuvent négocier. » C’est sans doute pourquoi Erdogan maintient Öcalan en prison. P. B.

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17 février 2021 3 17 /02 /février /2021 09:42

Agit Polat, porte-parole du Conseil démocratique kurde en France, revient sur les conditions de détention d’Abdullah Öcalan et la nécessité de le libérer pour résoudre le conflit avec la Turquie. Entretien.

En Turquie, en Irak, en Syrie et en Iran, la question du droit des Kurdes se pose avec de plus en plus d’acuité. De la réponse apportée à ces revendications dépend en partie le sort du Moyen-Orient. Comment les différences ethniques, culturelles, cultuelles et de genre peuvent-elles devenir une chance pour la région ? Öcalan a, depuis longtemps, développé un projet original. Il est incarcéré mais reste une des clés essentielles pour la paix.

Quelles sont les conditions de détention d’Abdullah Öcalan ?

 

AGIT POLAT Abdullah Öcalan a été enlevé le 15 février 1999 à Nairobi, au Kenya, à l’issue d’un complot international, avant d’être incarcéré dans la prison de haute sécurité située sur l’île d’Imrali, en plein milieu de la mer de Marmara, au large d’Istanbul. Pendant les quinze premières années de détention, Öcalan a été le seul détenu de cette prison, qui avait été entièrement aménagée dans le cadre d’un système carcéral conçu spécialement pour lui. La conception de la prison a été développée par des architectes militaires de l’Otan. Dans le régime carcéral d’Imrali, la télévision et le téléphone sont interdits, les journaux sont minutieusement contrôlés et découpés avant d’être remis au détenu, de façon à en retirer tous les articles traitant de sujets politiques ou relatifs aux Kurdes. Öcalan dispose d’une petite radio très souvent brouillée durant la diffusion des émissions d’information.

L’objectif est de le déstabiliser mentalement, de l’empêcher d’analyser les évolutions géopolitiques et géostratégiques, parce que la profondeur et la pertinence de ses analyses, ses perspectives, ses prévisions nuisent aux intérêts stratégiques de l’État turc. Même si le large mouvement de grève de la faim mené par plusieurs milliers de prisonniers politiques kurdes en 2019 a ouvert une brèche de courte durée dans l’isolement d’ Öcalan, lui permettant quelques rencontres avec ses avocats, l’isolement carcéral total persiste. Depuis plusieurs mois, on est sans aucune nouvelle de lui, aucune information n’est donnée par les autorités turques sur sa situation.

Que représente-t-il pour les peuples kurdes ?

AGIT POLAT À la différence des autres leaders kurdes, Öcalan a la particularité d’avoir développé une conscience nationale chez les Kurdes des quatre parties du Kurdistan. Après une série de massacres et de persécutions, les Kurdes, en tant que nation, avaient pratiquement perdu la notion d’identité ethnique.

Lire aussi : Kurdistan. La Turquie à la manœuvre pour éliminer les Kurdes d’Irak

Dans les années 1970, parler en kurde, prononcer le mot kurde, célébrer le Newroz (premier jour du printemps et Nouvel An kurde – NDLR) ou bien parler tout simplement d’un problème kurde était inimaginable en Turquie. La répression des dernières rébellions kurdes avait été effroyable, au point que personne n’osait parler d’un Kurdistan ou bien de la question kurde. En ce sens, le mouvement lancé par Öcalan a éveillé les consciences. C’est ainsi que le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) a entrepris une lutte armée, face à la répression et aux massacres dont les Kurdes étaient victimes, tout comme les Arméniens, les Grecs pontiques, les Assyro-Chaldéens et d’autres minorités.

C’est à la suite de cette lutte que le peuple kurde a pu s’émanciper et atteindre une liberté partielle. En d’autres termes, Öcalan a fait renaître le peuple kurde de ses cendres. C’est pourquoi il y a un lien très fort entre le peuple kurde et leur leader Öcalan. Parfois, l’admiration du peuple kurde pour Öcalan est mal interprétée par ceux qui ne connaissent pas l’arrière-plan de cet attachement et pensent qu’il s’agit d’un culte de la personnalité, alors que c’est tout simplement l’expression de la gratitude d’un peuple envers son leader.

En poursuivant son offensive contre les positions du PKK dans les montagnes irakiennes, que recherche Erdogan ?

AGIT POLAT Comme au nord de la Syrie, le PKK reste toujours un prétexte pour l’invasion du Kurdistan irakien par la Turquie. Cette dernière cherche à s’implanter dans le nord de l’Irak, avec la collaboration totale du Parti démocratique du Kurdistan (PDK) dirigé par la famille Barzani, dans l’objectif d’annexer le Kurdistan irakien, ceci afin de rétablir les frontières de l’Empire ottoman. Le problème de la Turquie n’est pas le PKK, mais les Kurdes.

« Les Kurdes sont aujourd’hui le seul peuple qui lutte contre la barbarie de la Turquie. »

Dans le passé, lors des différents massacres commis par la Turquie contre les Kurdes, le PKK n’existait pas. Les Kurdes et le PKK, qui incarne le plus grand mouvement de résistance de ce peuple, représentent un problème existentiel pour la Turquie. Car la République de Turquie a été fondée sur la négation des peuples qui vivaient sur ses terres. Les Kurdes sont aujourd’hui le seul peuple qui lutte contre la barbarie de la Turquie. C’est pourquoi leur existence représente une menace stratégique pour la Turquie.

 

Comment jugez-vous l’attitude de l’Union européenne vis-à-vis de la question kurde ? N’y a-t-il pas un double langage entre le soutien affiché aux Forces démocratiques syriennes au Rojava et l’inscription du PKK sur la liste des organisations terroristes ?

AGIT POLAT L’Union européenne n’a pas de politique claire concernant la résolution de la question kurde. Elle préfère adopter une approche distincte pour chaque partie du Kurdistan. Par exemple, elle prétend soutenir les Kurdes de Syrie, elle envoie des délégations dans le nord de la Syrie pour rencontrer l’administration autonome mise en place dans cette région, mais elle ne reconnaît pas officiellement cette administration sur le plan international. En Turquie, cette même Union européenne apporte un soutien très mitigé au Parti démocratique des peuples (HDP, dont l’un des leaders, Selahattin Demirtas, est actuellement emprisonné, de même que Figen Yüksekdag, ex-coprésidente de cette formation et plusieurs députés – NDLR). Cependant, elle appuie ouvertement le gouvernement régional du Kurdistan en Irak. Mais le problème, en Irak, est que la population locale ne cautionne pas vraiment ce gouvernement soutenu par l’Europe. En Iran, les Kurdes sont les plus grands oubliés de l’Europe, malgré l’exécution par pendaison de centaines d’entre eux par le régime iranien.

Tout ceci, tout ce silence, ainsi que cette approche ambiguë nous montre que l’Europe n’a pas une politique visant la résolution de la question kurde. La question kurde est instrumentalisée par certains gouvernements européens, et en particulier par certains ministères, afin d’exercer une pression contre la Turquie, ou bien permettre de marchander plus facilement avec la Turquie. Il y a en Europe certains lobbies qui ne souhaitent pas que la question kurde soit résolue, car d’une part la guerre contribue toujours aux intérêts des lobbies d’armement, et d’autre part la question kurde reste le principal sujet de chantage contre la Turquie.

Donc, résoudre cette question ne servirait pas les intérêts des « diplomates ». Quand bien même les États en question savent pertinemment que le PKK n’est pas une organisation terroriste, et malgré les décisions de justice en faveur du PKK, celui-ci continue d’être inscrit sur la liste des organisations terroristes de l’Union européenne.

 

En quoi la libération d’Öcalan pourrait-elle être porteuse d’espoir pour les Kurdes ?

AGIT POLAT La libération du leader kurde Abdullah Öcalan ne revient pas seulement à la libération d’un leader kurde, elle signifie aussi la résolution de la question kurde. L’action d’Abdullah Öcalan au cours des dernières années a démontré son rôle de conciliateur entre Turcs et Kurdes, un rôle indispensable à une paix durable et légitime. La libération du représentant kurde serait une contribution essentielle à la résolution du conflit. Poursuivre le régime d’isolement imposé à Öcalan revient à se fourvoyer dans le traitement militaire de la question kurde. Pour que des négociations substantielles puissent commencer, Öcalan doit être libéré !

 

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16 février 2021 2 16 /02 /février /2021 09:28

 

Huit ans après le début de l’expédition militaire au Mali, l’engrenage de la violence se poursuit. De l’opération Serval (2013) à la force Barkhane (2014), en dépit de quelques succès tactiques, la stratégie française est dans une impasse. Le bilan est lourd : 51 soldats français tués, 10 milliards d’euros engloutis, et toujours pas de solution en vue. Pire encore : l’influence des entrepreneurs de la violence s’est étendue à d’autres pays du Sahel avec des milliers de victimes civiles et militaires, des millions de réfugiés, une hausse de la pauvreté…

 

 

Une situation qui pèse sur une opinion plus réticente aujourd’hui. Depuis 8 ans, les gouvernements successifs répètent que nous sommes au Mali pour longtemps, afin d’éviter des attentats sur notre sol quand bien même aucun n’a eu de lien avec des groupes armés du Sahel. Il n’empêche, l’armée française est enlisée et le « pour longtemps » ne suffit plus à convaincre.

M.Macron lors du G5 Sahel au Tchad les 15 et 16 février, devrait faire quelques annonces, dont une baisse des effectifs militaires, actuellement officiellement de 5 100 hommes. Il espère partager le fardeau et sortir d’un bourbier qui s’étend. Des groupes terroristes menacent d’élargir leurs actions vers le Golfe de Guinée. Pour rompre l’isolement de la France au Sahel, et réduire la voilure afin de se recentrer sur d’autres régions potentiellement conflictuelles, il compte sur le renfort de la maigre force d’unités européennes Takuba d’appui à l’armée malienne.

Mais pour obtenir quels résultats ? Aucune des causes qui ont conduit à la déstabilisation du Mali et de la sous-région n’a été traitée. On demande à l’armée française de régler un problème qui ne se solutionnera pas sur le plan militaire. Car c’est une guerre asymétrique, et nous n’avons pas tiré les leçons des échecs passés, de l’Afghanistan ou de l’Irak. Dans ces pays, le dangereux concept néoconservateur de « guerre contre le terrorisme » ne vise pas à résoudre les conflits, mais à déstabiliser, remodeler, dominer et piller les territoires. C’est un mode de gouvernance ultra capitaliste qui - contrairement aux objectifs affichés - entretient des monstres et étend l’hydre de l’obscurantisme. Le Sahel est sur cette pente, accentuée par le détonateur de la guerre déstabilisatrice de Sarkozy contre la Libye en 2011. Rappelons que l’état-major en 2013 poussait les feux de la guerre sur fond de discussions budgétaires dans le cadre du Livre blanc de la défense. Rappelons également les erreurs, les jeux troubles avec le Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA), révélateurs d’une méconnaissance du Mali ou, pire, d’une prétention à vouloir façonner le pays pour des intérêts moins avouables.

L’État français, pompier pyromane, quel qu’ait été l’accueil des troupes françaises au Mali en 2013, est perçu comme une force occupante. D’autant que nous sommes l’ancienne puissance coloniale qui tient encore les cordons de la bourse à travers ses multinationales et la monnaie (franc CFA ou projet ECO).

Huit ans après, le mal est fait et il faut d’urgence changer de politique si l’on veut trouver une issue dans l’intérêt des peuples. Cela passe par un bilan de notre intervention, en regardant avec lucidité l’échec fracassant de 60 ans d’interventions et de coopérations militaires avec les pays sahéliens, et en analysant l’ensemble des causes du désastre.

Car le conflit se déroule sur fond de trafic d’armes, de drogues, de banditisme, et de diffusion en Afrique d’un islam politique intégriste, dont le salafisme, avec la complicité des pétro-dictatures du Golfe. L’aggravation des conditions de vie des populations dans la sous-région, et l’absence de perspective pour de nombreux jeunes, constituent un terreau favorable à l’expansion de l’obscurantisme et de la criminalité.

Le Mali est classé 184e sur 187 pour le développement humain par le PNUD. Comme de nombreux pays africains, il a été victime de la stratégie de surendettement et des plans d’ajustement structurel qui ont broyé les services publics et conduit à des États faillis et corrompus. Le bilan de décennies de néocolonialisme et de libéralisme mêlés est effroyable. Comment espérer alors que ce chaos n’engendre pas violences et conflits ?

Sécuriser les conditions de vie est une des clefs. C’est ce qui a été fait dans une France et une Europe en ruine au sortir de la guerre. Il faut permettre aux Maliens de décider, de reconstruire l’État, des services publics, avec des solutions africaines. La réappropriation des richesses du sol et du sous-sol, la lutte contre les flux financiers illicites peut permettre le développement de systèmes d’éducation, de santé avec une protection sociale solidaire.

Sur le plan de la sécurité, la réponse ne pourra être que multilatérale, avec l’Union africaine. La mission des Nations unies doit être renforcée avec un mandat robuste permettant la protection des populations, avec l’objectif de passer la main aux forces africaines. Les dispositions de l'accord de paix d'Alger doivent être révisées, notamment celles qui risquent de saper les fondements même d'un État central.

Comme l’ont demandé les sénateurs communistes en séance mardi 8 février : la France devrait porter ces choix politiques et mettre en place un agenda précis du départ de ses troupes jalonné de mesures permettant à l’État malien de recouvrer l’intégralité de la souveraineté sur son territoire et aux populations d’améliorer leurs conditions de vie.

Dominique Josse
Collectif Afrique du PCF

 

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15 février 2021 1 15 /02 /février /2021 09:27

 

Manque de transparence, failles dans les contrats... Alors que l’UE est critiquée pour sa stratégie d’achats groupés de vaccins, chiffrés en milliards d'euros, Mediapart a reconstitué ces mois de négociations hors normes entre capitales, Commission européenne et labos.

Mi-décembre, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, paradait encore, persuadée que « l’heure de l'Europe » était venue, à l’approche du début de la campagne de distribution des vaccins sur le continent. Un mois plus tard, la machine s’est enrayée. Opacité, retards, contrats biaisés en faveur de l’industrie... Les critiques se sont multipliées sur la stratégie d’achat groupé de vaccins portée par la Commission.

Mediapart s’est entretenu avec une vingtaine de personnes pour reconstituer ces négociations hors normes entre laboratoires, Commission bruxelloise et États membres : dix mois au cours desquels se sont jouées les suites de la pandémie sur le continent, mais aussi la crédibilité de l’Europe politique.

  • Acte 1 : Les États et la Commission se cherchent (printemps-été 2020) – « Les firmes pharmaceutiques ont toujours un coup d’avance »

Mars 2020. L’Europe panique. En pleine pandémie, les États se battent pour des masques et des respirateurs, alors que les frontières se ferment. La Commission européenne souhaite passer, au nom des États membres, des marchés publics conjoints pour les équipements de protection. Masques, blouses, lunettes, mais aussi ventilateurs, respirateurs. Mais la procédure traîne et les capitales se fournissent essentiellement par des canaux nationaux. L’Union n’a su contrer qu’à la marge les stratégies de repli national.

Ce semi-échec refroidit les esprits de certains États au moment de se lancer, quelques semaines plus tard, dans l’achat groupé de vaccins. « La lenteur des achats groupés de masques a clairement suscité des doutes sur l’approche commune », assure une source européenne proche des négociations.

Pourtant, dans l’entourage d'Ursula von der Leyen, on veut très tôt imaginer une solution centralisée, estampillée « Berlaymont », du nom du siège de l’exécutif bruxellois, pour développer et produire le futur vaccin, que l’on n’ose alors qu’à peine espérer. « Mais cela n’allait pas de soi pour la Commission d’aller négocier avec le grand marigot du capitalisme international, car elle n’était pas outillée pour ça », lâche un diplomate. « L’UE n’a pas de compétence en matière de vaccins. La santé est le pré carré des États. Ce qui veut dire qu’elle n’a pas d’argent, et pas non plus les experts pour négocier correctement », insiste une autre source au sein de la Commission.

L’exécutif bruxellois n’est pas « outillé », mais il a envie de se faire une place. « Cette idée de lancer des achats groupés était certes évoquée à la Commission, mais elle a aussi été amenée par des industriels qui ont contacté la présidente Ursula von der Leyen, affirme une source proche des négociations à Bruxelles. Le défi humain et industriel qui les attendait était énorme et ils avaient besoin d’argent public pour soutenir les investissements. Aux États-Unis, le président envisageait de restreindre les exportations. Certains industriels voulaient pouvoir produire pour l’Europe et le reste du monde, ce qu’ils craignaient de ne pas pouvoir faire depuis les États-Unis. Mais attention, ils entamaient aussi des négociations parallèles directement avec les États. »

Aux États-Unis, Donald Trump réunit les grandes entreprises pharmaceutiques dès le 2 mars et envisage d’acheter au prix fort l’exclusivité du vaccin développé par Curevac, la start-up allemande. L’électrochoc trumpien secoue les dirigeants de ce côté-ci de l’Atlantique. Le 16 mars, Curevac est reçu par Ursula von der Leyen et reçoit 80 millions d’euros de la Banque européenne d’investissement (BEI).

Avril 2020. Les équipes d’Ursula von der Leyen et de Stella Kyriakides, la commissaire en charge de la santé, se mettent à consulter des acteurs de la production de vaccins. Parmi eux, les industriels de « Vaccines Europe » et la Fédération internationale des fabricants et associations pharmaceutiques. L’exécutif bruxellois verse 100 millions d’euros au Cepi, la coalition pour les innovations en matière de préparation aux épidémies, un réseau financé par des États et des fondations, dont celle de Bill et Melinda Gates. Au total, 547 millions d’euros sont déboursés au premier semestre pour la recherche contre le Covid-19 – dépistages, traitements, vaccins. Soit sous la forme de subventions, soit sous la forme de prêts octroyés par la Banque européenne d’investissement.

Le 13 mai 2020, Paul Hudson, PDG du fleuron français Sanofi, choque les opinions publiques en Europe en annonçant que les États-Unis bénéficieront des premières doses de vaccins contre le Covid-19 fabriquées sur le sol américain. Et ce, en remerciant la Maison Blanche pour son aide financière. « Ne laissez pas l’Europe se laisser distancer »lance-t-il alors.

Message reçu cinq sur cinq par quatre pays européens. Pile un mois plus tard, le 13 juin, l’« Alliance inclusive pour le vaccin » composée de la France, de l’Allemagne, de l’Italie et des Pays-Bas se détache du reste des 27 États membres. Elle signe avec AstraZeneca un accord de principe, sorte de pré-contrat de pré-commandes groupées de vaccins. Résumé de la situation, vue d’un proche du dossier à Bruxelles : « Entre avril et juin, on a assisté à une petite course entre la Commission qui tâtait le terrain avant de proposer une stratégie d’achats groupés et les États membres convaincus que le niveau national, ou en petits groupe d’États, était le meilleur niveau pour négocier. »

À l’époque, le laboratoire anglo-suédois fait miroiter une abondance de doses express. La Française Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État chargée de l’industrie, assure que « cela permettra de garantir l’accès [au vaccin] à nos concitoyens, avec plusieurs dizaines de millions de doses devant être livrées avant la fin de l’année 2020 »

En réalité, les premières doses devraient être administrées en France ce samedi. Et la Haute Autorité de santé table sur une délivrance de seulement10 millions de doses en France au premier trimestre 2021, compte tenu des retards annoncés par AstraZeneca.

« Les firmes pharmaceutiques ont toujours un coup d’avance, dénonce Olivier Maguet, responsable de la mission prix des médicaments de Médecins du monde. C’est une partie de billard à trois bandes. Elles savent jouer sur les indignations nationales pour mettre les pouvoirs publics sous pression. Cela fait partie de leur stratégie de commercialisation. »

« AstraZeneca a débuté une sorte de chantage pour que l’Europe signe au plus vite alors qu’à l’époque il ne disposait d’aucune assurance que son vaccin allait fonctionner », renchérit Yannis Natsis, représentant de l’ONG European Public Health Alliance (EPHA). Cette initiative des quatre pays force la main à la Commission européenne. Pour éviter la division, celle-ci prend le relais avec une arme de poids, financière, et donc rassembleuse : l’instrument d’aide d’urgence.

Le 17 juin, la Commission présente enfin sa stratégie, avalisée par tous les États membres. L’alliance des quatre met au “pot commun” son pré-contrat avec AstraZeneca. Les arguments favorables à une approche commune d’achats groupés et anticipés sont alors percutants. Cette politique commune permettra d’éviter la course aux vaccins entre États membres. La puissance de négociation sera plus forte à 27. Les petits États pourront bénéficier aussi vite que les autres des futurs vaccins. Et les prix seront bas.

Au Parlement, cette idée d’une stratégie commune est saluée par un large éventail politique. « Le plan était formidable sur le papier, mais il s’est heurté au mur de la réalité », commente-t-on au sein même de la Commission.

Dans le détail, l’enveloppe exceptionnelle de 2,9 milliards d’euros permet de verser, en une fois ou par tranches, à chaque laboratoire signataire une aide destinée à l’inciter à commencer à produire ses vaccins. En échange, et avant même de savoir s’ils sont sûrs et efficaces, les États obtiennent la garantie qu’ils pourront acheter des doses de vaccin, à des tarifs supposément préférentiels.

Avant toute autorisation de mise sur le marché, des millions d’euros sont ainsi empochés par chaque fabricant. Et une fois l'autorisation de mise sur le marché obtenue, chaque État membre paiera un tarif fixé par dose.

« L’initiative d’achats groupés part d’une bonne idée, reconnaît Yannis Natsis. Quand on voit aujourd’hui à quel point les pays se battent entre eux pour obtenir des vaccins, je n’ose même pas imaginer quel aurait été le sort des petits pays si 27 contrats différents avaient été établis. La Grèce, par exemple, aurait payé beaucoup plus cher et attendrait beaucoup plus longtemps la livraison de ses doses. »

  • Acte 2 : Le temps des contrats (automne 2020) – « C'est incroyable qu'il y ait tant de secrets »

Les négociations commencent en juin, tambour battant, avec huit groupes pharmaceutiques. Pour les encadrer, la Commission met en place un comité de pilotage composé d’un représentant issu des administrations compétentes de chaque État membre. Ils sont censés recevoir régulièrement des informations de l’équipe de négociation.

Au pilotage, Sandra Gallina, une fonctionnaire de la Commission européenne autour de laquelle gravite une petite équipe de négociateurs, dont des représentants de sept États membres – les quatre de l’alliance inclusive des vaccins, auxquels s’ajoutent des experts polonais, espagnol et suédois. Sandra Gallina a fait l’essentiel de sa carrière au sein de la Direction générale du commerce. Elle est rompue aux négociations internationales, ayant dirigé les discussions pour le très controversé traité de libre-échange avec les pays du Mercosur.

Dès le départ, les négociations sont peu transparentes. On ne connaît pas l’identité des négociateurs. Et les contrats signés ne sont pas rendus publics. Pendant des mois, la Commission ne s’inquiète pas de cette opacité. « Quand vous faites un appel d’offres, vous ne publiez pas les offres, c’est la base… Vous n’allez pas dire vos prix aux concurrents », s’agace une fonctionnaire de la Commission. Mais, comme de nombreux eurodéputés ces dernières semaines, Viviana Galli, coordinatrice de l’Alliance européenne pour une recherche responsable et des médicaments abordables, un réseau d’ONG, dénonce « l’opacité des négociations, car les entreprises ont utilisé de l’argent public ». Et d’insister : « Il semble dès lors incroyable qu’il y ait tant de secrets. Qu’il soit si difficile de divulguer des informations. Cela mine la confiance du public. »

La Commission européenne signe le contrat avec AstraZeneca le 27 août 2020. Sanofi est le deuxième laboratoire sur lequel l’Europe mise, le 18 septembre… L’influence française, critiquée par les Allemands, paie : à l’époque, le candidat vaccin de Sanofi était pourtant déjà en retard et s’annonçait moins prometteur que celui de ses concurrents (lire aussi Vaccin: le coup de bluff de Sanofi, à la traîne).

Côté français, on réfute aujourd’hui tout favoritisme envers Sanofi : « Il n’y a pas eu de préférence nationale, mais une stratégie de diversification nationale. On est toujours partis de l’idée qu’il fallait un panier de vaccins. Et quand les Allemands nous disent qu’on aurait mis un plafond [à 300 millions de doses pour un vaccin, afin de favoriser en retour Sanofi – ndlr], cela se contredit facilement, puisqu’il a été commandé plus de 400 millions de doses à CureVac. »

L’Europe signe ensuite avec l’Américain Johnson & Johnson le 7 octobre. La Haute Autorité de santé s’attend à son autorisation sur le Vieux Continent d’ici à la fin février, début mars 2021. L'enjeu est à chaque fois de taille : AstraZeneca a pu faire valoir que les Britanniques avaient signé trois mois avant et étaient donc servis plus tôt.

Il faut attendre le 11 novembre 2020 pour que la Commission européenne paraphe enfin un accord avec un fabricant de vaccins à ARN messager, la technologie qui s’avère la plus efficace et la plus rapide à développer.

En l’occurrence, avec le binôme germano-américain Pfizer-BioNTech, deux jours après l’annonce des résultats surprenants d’efficacité de son sérum. Vient ensuite le tour de CureVac, associé depuis avec son compatriote allemand, le géant Bayer, le 19 novembre : le tandem espère acheminer ses premières doses à la mi-2021. Enfin, dernier contrat en date, celui signé avec l’Américain Moderna, le 25 novembre, après la communication de résultats d’efficacité proches de 95 %.

L’Europe a-t-elle misé trop tard sur les bons chevaux ? À Bruxelles, on met en avant deux points de tension qui ont ralenti les négociations, notamment avec les firmes américaines, mais qui auraient permis à la Commission européenne d’en sortir gagnante. D’abord, la question de la responsabilité des laboratoires et donc celle de possibles effets secondaires.

Pour Clemens Martin Auer, spécialiste autrichien de la santé publique, qui co-préside le groupe de pilotage de la stratégie vaccinale, « la question de la responsabilité a été discutée assez tard dans les négociations. Les avocats des entreprises sont arrivés, spécialement les Américains. Ils avaient comme idée qu’il nous fallait abandonner la régulation européenne (la directive sur les produits défectueux de 1985), ce qui était impossible ».

Les contrats signés avec les États-Unis et la Grande-Bretagne les exonéreraient de toute responsabilité en cas de survenue d’effets secondaires ou de défauts de qualité non visibles lors des essais cliniques, sauf faute délibérée, avec impossibilité de les poursuivre en justice pour les citoyens. Les Européens ont pris le temps de négocier l'enjeu de ces responsabilités, en espérant pouvoir obtenir mieux.

En réalité, les deux contrats signés par la Commission européenne, dont des versions expurgées ont été rendues publiques, laissent apparaître entre deux longs passages noircis pour des raisons de « confidentialité », que les États membres participants s’engagent « à indemniser et dégager de toute responsabilité » le laboratoire en cas de recours de tiers.

Ce qui est prévu, c’est qu’une fois l’autorisation de mise sur le marché obtenue, « l’État prend en charge l’indemnisation des effets secondaires graves sauf si la faute du laboratoire est établie », traduit Antoine Béguin, avocat spécialisé en responsabilité médicale. Si le fabricant a sciemment menti aux pouvoirs publics ou s’il est prouvé qu’un défaut de production connu du laboratoire, mais camouflé, engendre un effet indésirable, donc seulement dans ces cas exceptionnels, la responsabilité pénale peut être engagée et le laboratoire amené à indemniser les victimes qui le poursuivraient.

Pour l'eurodéputé du parti Écolo belge Philippe Lamberts, lui aussi sceptique sur le volet responsabilité des contrats, les compagnies pharmaceutiques sont identiques aux banques lors de la crise de l'euro à partir de 2009 : « Nous avons des labos “too big to fail” [trop grands pour faire faillite – ndlr]. Si on les exempte de leurs responsabilités, la situation devient la suivante : on privatise les bénéfices [pour les laboratoires], mais on socialise les pertes [prises en charge par les États]. Comme pendant la crise financière. »

Peter Liese, un eurodéputé conservateur allemand, renchérit: « Négocier avec l'industrie c'est comme prendre un médicament très fort. On en a besoin, mais il y a des effets secondaires. Les effets secondaires, c'est toute la difficulté avec AstraZeneca, en particulier sur la responsabilité ».

Deuxième paramètre sensible, les prix négociés par l’Europe, a priori plus avantageux que ceux acceptés par les États-Unis, le Royaume-Uni ou Israël, des pays par ailleurs mieux servis. Selon Jaume Vidal, conseiller politique à Health Action International, ONG qui milite pour l’accès à tous aux traitements, « encore heureux que les laboratoires reconnaissent un minimum l’investissement public qui les a aidés au financement de la recherche et au développement de leur vaccin et que cela soit compensé un minimum par un prix de vente moins élevé. Sans parler des économies d’échelle que l’Europe peut mettre en avant compte tenu des volumes commandés ».

La secrétaire d’État au budget belge, fière de cet apparent succès, les avait même publiés sur Twitter, avant de les effacer.

 

Là encore, ce constat est à nuancer. Pour AstraZeneca, le montant s’élève à 1,78 euro la piqûre ; multipliée par les 300 millions de doses initiales pré-réservées, l’addition réglée par les États atteint alors 534 millions d’euros. Or Mediapart a pris connaissance du montant global dû à AstraZeneca grâce à une autre bourde : le 29 janvier, une version expurgée du contrat passé avec le laboratoire britannico-suédois est publiée sur le site de la Commission européenne. Sauf qu'une simple manipulation de bureautique a permis de lire quand même une partie des passages noircis initialement pour des raisons de « confidentialité ».

Le média espagnol Civio, notamment, a publié cette version davantage transparente du texte. Le montant global du contrat, chiffre sensible voulu secret, apparaît alors : 870 millions d’euros, ce qui correspond aux 534 millions d’euros, additionnés à l’argent versé par la Commission européenne via son instrument d’aide d’urgence. En l’occurrence, 336 millions d’euros pour AstraZeneca.

Parmi les sommes distribuées par la Commission européenne aux différents fabricants de vaccins, c’est a priori le montant le plus bas, puisque c’est aussi le vaccin le moins cher. Parfois présenté comme un acompte ou une avance, il s’agit en réalité d’un chèque encaissé totalement ou en partie avant même que l’autorisation de mise sur le marché soit accordée.

Une fois le sésame obtenu et le produit en vente, le prix affiché par les États de 1,78 euro pour le vaccin d'AstraZeneca se situe en réalité à 2,90 euros.

Les parties grisées du contrat rendues lisibles par cette fuite révèlent aussi que ce montant de 870 millions d’euros pourrait être revu à la hausse de plus de 20 % si AstraZeneca justifiait que les coûts de production s’avéraient finalement plus élevés que prévu. Une souplesse supplémentaire tue jusqu’alors.

  • Acte 3 : La guerre des doses (hiver 2021) – « La fin de la lune de miel »

À mesure que les mois passent, la zizanie s’installe entre les États membres. « Jusqu'à la fin novembre, les États membres et la Commission connaissent une période de lune de miel. On met en avant les pré-commandes de plus de deux milliards de doses, bien plus que ce qu’il faut pour vacciner l’ensemble de la population. Puis la crainte de la rareté apparaît et les voix discordantes commencent à se faire entendre, notamment du côté allemand », retrace Yannis Natsis, représentant de l’ONG EPHA.

Certains États membres se rallient à l’option « BioNTech » assez tardivement. Le vaccin est cher et difficile à stocker, tout comme celui de Moderna, qui utilise la même technologie de l’ARN messager. La France, l’Allemagne, le Danemark rachètent les doses prévues dans l’achat groupé européen à des pays qui n’en veulent pas. À l’instar de la Pologne ou des Pays-Bas, qui préfèrent miser sur AstraZeneca.

 

 

Une page du contrat entre AstaZeneca et la Commission, rendu public le 29 janvier, avec certains passages et noms biffés.

La stratégie européenne stipule noir sur blanc que les États ne sont pas autorisés à négocier séparément. Pourtant, on découvre début janvier que Berlin a signé un pré-contrat parallèle de 30 millions de doses supplémentaires avec BioNTech et Pfizer, suscitant l’embarras au Berlaymont et des réactions outrées en France. L’incident se tasse vite. « Des garanties ont été données que ces doses ne seront distribuées qu’après toutes celles du stock européen. Elles n’auront donc aucun impact sur les autres », assure un diplomate. Quant à la Hongrie, elle entame des négociations avec la Russie et la Chine.

Dès décembre, l’Allemagne reproche à l’agence européenne du médicament un processus trop lent d’approbation des vaccins, craignant de voir, déjà, les Britanniques vaccinés aux dépens des Européens. Le 21, le vaccin de Pfizer-BioNTech est finalement autorisé. Ursula von der Leyen se transforme en Mère Noël, en ravissant les chefs d’État européens qui ne demandaient pas mieux qu’un premier vaccin au pied du sapin. Mais déjà, elle peine à synchroniser les agendas nationaux.

Certains États ne sont pas prêts à lancer leur campagne de vaccination le même jour, symbole d’union, le 27 décembre. Alors on insiste devant les caméras sur ceux qui le sont. Les visages des premiers vaccinés sont médiatisés, de Mauricette en France à Alicja en Pologne, en passant par Rosario en Espagne. Avec l’arrivée des premiers sérums, la guerre des doses est déclarée. Aujourd’hui, près de 58 % de la population a reçu en Israël une première piqure, 10 % aux États-Unis, 14 % au Royaume-Uni et… Moins de 3 % en Europe, même si certains pays européens avancent plus vite que le Royaume-Uni sur la seconde piqûre.

AstraZeneca se montre vite incapable de délivrer les doses promises. L’entreprise anglo-suédoise s’était engagée à délivrer 80 millions de doses au premier trimestre 2021. En janvier, Paul Soriot, le patron d’AstraZeneca annonce que des problèmes dans la chaîne de production le forcent à revoir, à la baisse, sa distribution de doses à l’UE. Une dégringolade : le chiffre descend à 31 millions de doses, avant de remonter à 40 millions. Soit 50 % de moins qu’annoncé, alors que l’entreprise, dans le même temps, honore le contrat qu’elle a signé avec le Royaume-Uni, grâce aux mêmes usines...

Le symbole d’une faiblesse européenne lors des négociations. C’est du moins ce qu’affirme Viviana Galli : « La Commission a été plutôt naïve dans ses négociations, donnant beaucoup de marges de manœuvre aux entreprises. Il n’y a pas de clauses dans ces contrats qui rendent les entreprises responsables en cas de défaut de production, alors que cette production est en grande partie financée par de l’argent public, il n’y a pas de contrepartie. »

 

 

Une page du contrat entre AstaZeneca et la Commission, rendu public le 29 janvier, avec certains passages et noms biffés.

Une source européenne confie aujourd’hui à Mediapart que l’« une des erreurs a été de ne pas davantage creuser pour savoir ce que contenait le contrat entre AstraZeneca et le Royaume-Uni car il semble que l’entreprise se sente davantage liée à ce contrat qu’à celui signé avec l’Union européenne ».

En janvier, AstraZeneca évoque des difficultés techniques sur son site de production de Seneffe, en Belgique. À Bruxelles, la rumeur bruisse que les doses qui manquaient en décembre au Royaume-Uni ont été importées depuis ce même site de Seneffe. « Il y a d’énormes problèmes de production chez AstraZeneca, résume Clemens Martin Auer. Et surtout un management très faible. Ils ont signé un contrat qui, selon moi, est très clair. Il leur faut produire 300 millions de doses. Quand ont-ils commencé à préparer la chaîne de production ? Ils ont signé très tard le contrat avec le producteur belge [Novasep, alors propriétaire de l’usine Henogen, à Seneffe, signe avec Astra Zeneca un contrat le 12 novembre – ndlr]. Certainement trop tard. Si le management signe trop tard, on peut être sûr que la production n’arrivera pas à temps. »

« Je n’ai jamais vu la Commission européenne en position aussi faible qu’aujourd’hui avec cet échec des pré-achats groupés de vaccins, avance Jaume Vidal, de l’ONG HAI. Pour preuve, les négociations parallèles menées par l’Allemagne. Cela m’étonne que personne n’ait démissionné. »

Le 29 janvier, la Commission européenne, sous pression notamment de Berlin, présente son « mécanisme de transparence et d’autorisation des exportations de vaccins ». Chaque exportation d’un vaccin contre le Covid-19 hors de l’UE devra d’abord être soumise à une autorisation. La transparence devra également être faite s'agissant des exportations des trois mois précédents.Le but est clair, même si la Commission n’emploie pas ces termes : empêcher que des doses promises à l’Europe soient transportées, sans autorisation, dans certains autres pays, dont le Royaume-Uni. Avec une question sous-jacente : Où sont les doses promises ? « La Commission a imaginé ce mécanisme car il n’y avait rien dans les contrats qui pouvait être utilisé contre les entreprises qui ne respectent pas leurs engagements », regrette Viviana Galli.

La Commission doit alors faire face aux critiques de ceux qui dénoncent un « protectionnisme vaccinal ». Mais ce n’est pas tout. Dans la précipitation, la Commission a inclus dans le texte la référence à un article sur la frontière irlandaise, au risque de rouvrir le dossier le plus sensible des négociations sur le Brexit. Le passage sera finalement effacé et Ursula von der Leyen assumera « la pleine responsabilité » de cette erreur.

Mais l’incident laisse des traces. Il est considéré comme le révélateur d’une Commission européenne qui agit en vase clos, à toute allure, sans concertation, autour d’un petit cercle proche de la présidente. Le règlement sur le contrôle des exportations a, par exemple, été adopté par la seule Commission, selon une procédure d’urgence.

Pour une source diplomatique au sein d’un État membre, cet épisode est le symptôme d’un problème profond : « Les représentants officiels des États membres, les ambassadeurs, ont été complètement mis à l’écart. Nous n’avons même pas été informés de l’intention de la Commission d’adopter ce règlement. Des membres du comité de pilotage, eux, ont été consultés. Mais il s’agit d’experts issus des administrations en charge de la santé. Ils ne sont pas outillés pour de telles discussions politiques. Ce comité de pilotage est devenu une vraie boîte noire qui crée une profonde frustration. »

Pour Marc Botenga, eurodéputé belge du Parti des travailleurs de Belgique (PTB, gauche radicale), l’idée de négocier collectivement était, sur le papier, « une bonne idée, car à 27, les États européens sont plus forts face aux géants de l’industrie pharmaceutique. Mais cela ne se traduit pas du tout dans les résultats, dans la qualité des contrats signés ». Selon ce député communiste, il est temps que les institutions européennes musclent le jeu face au ‘’big pharma’’, « non pas avec des contrôles des exportations qui pourraient finalement pénaliser les citoyens anglais, mais en cassant les brevets, en imposant, par exemple des licences d'office, permettant à d’autres entreprises de produire le vaccin à moindre coût ».

Le 27 janvier, surprise : dans une lettre adressée à des dirigeants de l’UE, le président du Conseil européen, le libéral belge Charles Michel, à l’opposé de Marc Botenga sur le spectre politique belge, estime nécessaire une « action robuste » pour sécuriser les livraisons de vaccins. Il n’exclut pas de dégainer l’article 122 des traités. Cette disposition particulièrement vague prévoit « des mesures appropriées à la situation économique si de graves difficultés surviennent dans l’approvisionnement de certains produits ».

« Le régulateur pourrait envisager, comme mesure exceptionnelle et de dernier recours, de considérer les vaccins comme des biens communs, explique un officiel européen. La puissance publique a beaucoup financé la production, pourquoi n’envisagerait-on pas de rendre ces brevets publics ? Vu la situation, il faut sortir du cadre habituel de réflexion. » L’idée, jusqu’à présent, ne fait pas beaucoup d’émules au sein de l’exécutif. Il y a peu de chances qu’elle soit au programme de la task force sur la production de vaccins Covid-19, dirigée par Thierry Breton, en place depuis jeudi. Le commissaire français à l’industrie a déjà fait savoir que le rachat de brevets ne permettrait pas « d’aller plus vite ».

 

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14 février 2021 7 14 /02 /février /2021 08:42
Alexandrie, août 2018 (photo Ismaël Dupont)

Alexandrie, août 2018 (photo Ismaël Dupont)

Égypte. "Al Sissi règne en maître absolu et se croit indélogeable"
Samedi 13 Février 2021

Dix années après le soulèvement sur la place Tahrir qui fit tomber le régime du général Moubarak, l’auteur égyptien Alaa El Aswany parle d’un pays mis sous une chape de plomb par le dictateur Al Sissi. Il ne perd pas pour autant l’espoir de revoir fleurir la révolution. Entretien

 
Dix années après, quel est votre sentiment sur la révolution égyptienne ?

Alaa El Aswany Cela peut paraître surprenant, mais disons que je garde mon optimisme. Je pense que l’on a seulement besoin de temps. La situation est certes catastrophique aujourd’hui en Égypte, la dictature est pire que jamais, mais il n’en faut pas moins tenir bon et garder espoir. L’histoire nous enseigne que la révolution finit toujours par triompher.

Je pense souvent au cas de la France, à toutes les étapes traversées. Prenons un raccourci pour aller vite, citons Napoléon Bonaparte devenu empereur, le retour de la famille royale, l’instauration au final de la République. Je pense qu’un pouvoir totalitaire rencontre, à un moment ou un autre, ses limites. Rien n’est joué, il ne faut pas céder.

Justement, dans quel état se trouve aujourd’hui l’opposition ?

Alaa El Aswany Soyons clairs. Dans le contexte actuel, nul ne peut se permettre de s’exprimer librement et bien rares sont ceux qui prennent ce risque. Al Sissi règne en maître absolu. Il est convaincu qu’il est absolument indélogeable. Il attribue le soulèvement historique sur la place Tahrir à quelques largesses qui étaient alors accordées sous Moubarak. Il faut reconnaître qu’en ce temps-là il y avait des fenêtres, petites certes, mais réelles. Le maréchal au pouvoir a installé une chape de plomb sur la société, tout est verrouillé.

Que sont devenus les jeunes qui avaient lancé le mouvement Tamarrod ?

Alaa El Aswany Ceux qui ne végètent pas en prison sont en exil. Ceux qui sont encore en Égypte vivent sous une menace permanente, quasi contraints à la clandestinité. Le moindre souffle d’expression libre est aussitôt réprimé. La police continue à traquer les anciens, ceux qui avaient courageusement occupé la rue pour faire tomber le régime de Moubarak et qui avaient ensuite résisté aux islamistes, lesquels avaient raflé la mise. Nul n’échappe à cette répression, même les citoyens qui ont abandonné toute activité politique. La méthode appliquée est implacable, elle est supposée prévenir tout soulèvement de quelque nature que ce soit.

Quel est finalement le secret d’Al Sissi ?

Alaa El Aswany Il n’y a pas de secret. C’est la force absolue, la répression totale ! Quand il ne tombe pas, l’ancien régime se comporte comme un tigre blessé, il n’a plus confiance en lui, il devient dangereux, il soigne sa blessure en attaquant tout le monde.

Qu’en est-il de l’opposition sur les réseaux sociaux ?

Alaa El Aswany Oui, il y a effectivement des citoyens qui continuent à s’exprimer, à dénoncer sur les réseaux sociaux. Ceci, quand ils parviennent toutefois à échapper à la surveillance finement organisée sur la Toile. Mais, dans la réalité, c’est à mon sens tout le peuple égyptien qui constitue l’opposition à Al Sissi. La raison à cela est simple. Les gens ne sont pas seulement privés de liberté de parole, des millions de citoyens souffrent aussi de l’injustice sociale et la vie est de plus en plus chère. Le maréchal, quant à lui, ne s’intéresse qu’aux riches, ne travaille que dans leurs seuls intérêts. On ne peut parler d’opposition structurée, le dictateur a fait table rase. Il y a certes les islamistes, mais pour moi ce n’est pas une opposition, c’est seulement l’autre versant de la dictature qui attend son tour.

Les islamistes demeurent-ils influents au point d’inquiéter le pouvoir ?

Alaa El Aswany L’histoire récente de l’Égypte est marquée par ce cycle d’alternance entre le pouvoir dictatorial et les islamistes. Tout comme en 1952, le premier utilise les seconds pour faire barrage aux forces démocratiques, s’ensuit une alliance, puis un conflit, puis des arrangements… Ce qui s’est passé en 2011 entre les islamistes et l’armée est la parfaite réplique de ce qui s’est produit en 1952. Le président Nasser avait tissé des liens avec les Frères musulmans pour neutraliser les démocrates avant de se retourner contre eux.

Que pensez-vous du soutien de la France et des pays occidentaux à Al Sissi ?

Alaa El Aswany Pour ma part, je fais une distinction entre les gouvernements et les peuples. S’agissant de la France, par exemple, ce n’est pas l’attitude du président qui est déterminante à mes yeux. Les intellectuels et les gens ordinaires qui comprennent notre situation nous soutiennent sans réserve. Il est évident que les gouvernements cherchent avant tout leurs intérêts économiques, militaires, géopolitiques… ils font peu de cas des principes. Ils avaient soutenu Moubarak, Kadhafi, Saddam… Voyez comment ils en parlent aujourd’hui. Les Français prennent la juste mesure de ce que vivent les Égyptiens sous la coupe d’Al Sissi, je n’ai aucun doute à ce sujet. Les peuples occidentaux ont toujours soutenu notre cause.

Est-ce que l’Égypte vous manque et restera-t-elle toujours votre source d’inspiration ?

Alaa El Aswany Oui, c’est sûr que l’Égypte me manque, mais la dictature ne me manque pas. Je me contrains à l’exil tant qu’il n’y a pas d’éclaircie… C’est mon pays, mais je ne peux pas y vivre en étant interdit d’écriture, je ne peux pas supporter l’idée de me taire pour faire plaisir au pouvoir. On dit toujours que l’Égypte n’est pas une patrie dans laquelle on vit, mais une patrie qui vit en nous… C’est une image qui résume l’attachement à notre pays.

Quel est le sujet de votre prochain roman ?

Alaa El Aswany Je viens de le commencer, ça se passe à Alexandrie pendant les années 1960. Les Égyptiens d’origine européenne qui avaient vécu à Alexandrie pendant des siècles se rendent compte qu’ils ne sont pas traités comme Égyptiens à cause de la dictature militaire et ils sont obligés de quitter leur ville. Cette tranche d’histoire m’a inspiré.

 

Lire aussi:

Alaa El Aswany, grand écrivain égyptien : Je dirai encore ce que je pense, je n'ai pas peur du maréchal Sissi (entretien avec Muriel Steinmetz, L'Humanité - 26 avril 2019)

A lire - J'ai couru vers le Nil - de Alaa El Aswany: le roman des illusions perdues de la révolution egyptienne

Égypte. Al Sissi règne en maître absolu et se croit indélogeable - entretien avec Alaa El Aswany - Nadjib Touaibia, Samedi 13 Février 2021
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