Laurent Baudry, de l'association La Minoterie/À pleine voix, Daniel Fleury, journaliste du web magazine Kedistan et Naz Öke, journaliste fondatrice de Kedistan.
Les toiles originales de Zehra Dogan, artiste et journaliste kurde de 28 ans emprisonnée en Turquie, sont exposées à partir de ce week-end à Traon-Nevez, au Dourduff-en-Mer. C'est la première date d'une tournée internationale de ces oeuvres fortes et sans filtre, témoignage de la souffrance et de la résistance du peuple kurde. Expo, débats, et projections jusqu'au 21 janvier.
L'exposition « Les yeux grands ouverts » est co-organisée dans le pays de Morlaix par le Plourinois Laurent Baudry, de l'association La Minoterie/À pleine voix (lire ci-dessous) et Naz Öke et Daniel Fleury, journalistes à Kedistan, un site d'information basé à Angers qui traite de la Turquie et du Moyen-Orient. C'est en 2016, à l'occasion du Festival de cinéma de Douarnenez, qu'ils se sont tous les trois rencontrés, et qu'est ainsi né le projet.
« Invitée absente » du festival de cinéma de Douarnenez
Zehra Dogan, fondatrice de l'agence féministe Jinha (qui signifie « femme et information »), militante citoyenne qui se bat pour retrouver ses racines et sa culture kurde, était alors l'invitée du festival. Finalement, la jeune femme y sera « l'invitée d'honneur absente », car incarcérée le 21 juillet 2016 dans son pays, la Turquie, à cause de la publication d'un dessin et de la photo d'une enfant qui déplorait par quelques mots sur une feuille blanche : « On tire sur nous, laissez-nous retourner à l'école ».
Des toiles fortes et audacieuses
Elle passe alors 141 jours de détention provisoire dans la prison des femmes du village de Mardin. Une incarcération pendant laquelle les geôliers autorisent Zehra, diplômée des Beaux-Arts, à s'exprimer par la peinture. Elle se lance alors dans toute une série de portraits sur les femmes en milieu carcéral, des peintures audacieuses de corps très dénudés, qui échappent au filtre de la censure et donneront lieu à une première exposition, sobrement intitulée « 141 », dans un supermarché désaffecté d'une petite ville turque. La journaliste Naz Öke se prend d'affection pour la jeune femme et son combat pour la culture kurde, touchée par « la tendresse énorme qui découle de ses personnages ».
Elle se rapproche de Laurence Loutre-Barbier, une éditrice lyonnaise de livres d'arts pour concevoir bénévolement un livre sur Zehra, et une exposition itinérante et internationale de ses oeuvres.
Deux ans, 9 mois et 22 jours
Sa peine effectuée, Zehra Dogan est temporairement libre, et se cache à Istanbul en attendant sa condamnation définitive. Une période prolifique pendant laquelle elle peint énormément pour parler des massacres auxquels elle assiste. Laurence Loutre-Barbier en profite pour se rendre en Turquie et parvient à exfiltrer illégalement, cachées dans un rouleau, une cinquantaine de ses toiles ainsi que les textes rédigés par la jeune Kurde, pour les ramener en France. Le 12 juin 2017, le jour même où Naz Öke travaillait à photographier en studio les toiles pour le livre, elle apprend que Zerah Dogan, condamnée à deux ans, 9 mois et 22 jours d'emprisonnement, vient d'être arrêtée. Dans la prison de haute sécurité de Diyarbakir, plus question de loisirs. Zehra réalise alors que toutes les solutions alternatives pour dessiner sont sous sa main. Elle continue de peindre, en cachette, sur des journaux ou papiers d'emballage, en utilisant du bout des doigts le jaune du curcuma, le rouge du sang des femmes... La plupart des dessins sont détruits par ses gardiens mais elle parvient à correspondre avec Naz Öke dont elle reçoit parfois les lettres.
Vente aux enchères des toiles
En prison, elle poursuit son combat par des lectures, débats avec ses codétenues dont elle rédige les récits de vie. Témoignage de ces leçons d'existence, les toiles de Zehra présentées à Traon-Nevez s'exposeront ensuite à Paris, Londres et New York. Des reproductions seront vendues aux enchères le dimanche 21 janvier, au profit des enfants de prisonniers et des familles dont les villes ont été rasées. Laurent Baudry lance d'ailleurs un appel aux artistes locaux qui voudraient eux aussi mettre leurs créations aux enchères.
Renseignements
Contact et programme complet des rencontres sur kedistan.fr
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