La page Trump est tournée, même si son niveau était très haut dans l'électorat malgré la brutalité et la bouffonnerie du personnage, son racisme, son homophobie et son machisme, son ignorance crasse du reste du monde, sa déification de tout ce que le capitalisme contient de plus vulgaire et dégueulasse. C'est la fin d'un cauchemar démocratique. En même temps, même si le pire a été évité, nous n'avons pas d'illusion sur Joe Biden et les intérêts qu'il représente. Comme l'écrit la journaliste de la rubrique Monde de L'Humanité Rosa Moussaoui: "Joe Biden a voté pour les deux invasions de l’Irak, est hostile au financement public de l’accès à l’IVG, maintiendra l’ambassade US à Jérusalem, perpétuera la guerre froide de Trump avec la Chine et la Russie, etc."
Mais parmi les bonnes nouvelles de ces élections américaines, il y a la réélection à New-York de Julia Salazar. Elle fait partie, avec Alexandria Ocasio-Cortez, Ilhan Omar, Ayanna Presley, Rachida Tlaib, Cori Bush, de la trentaine de sénatrices et sénateurs de la gauche du parti démocrate se revendiquant parfois socialistes au sens vrai terme (c'est le cas de Julia Salazar), issus de la classe ouvrière et de la diversité, des mouvements associatifs, féministes et anti-racistes. Julia Salazar, sénatrice de Brooklyn, ouvertement marxiste, défendant bec et ongle un système de santé public, universel, gratuit, base sur les principes de la sécurité sociale. Elle était présente en interview aux débats de la dernière fête de l'Humanité et avait donné une interview au journal L'Humanité en septembre 2020.
L'élection de 28 "représentants" très à gauche et porteurs de propositions progressistes fortes et qui gagnent dans le peuple étasunien comme le salaire à 15 dollars, une sécurité sociale, un accès pour tous à l'éducation, est un point d'appui pour poursuivre la reconstruction d'une gauche digne de ce nom aux Etats-Unis et porteuse de l'idée de biens communs et de l'égalité des droits.
L’élue et militante socialiste de New York souligne combien l’accès universel aux soins constitue aujourd’hui un enjeu décisif et s’inquiète du manque d’ambition de Joe Biden sur ce point. Elle a été interviewée lors de la Fête de l’Humanité.
Julia Salazar Sénatrice démocrate de l’État de New York
Julia Salazar, 29 ans, fait partie du mouvement de jeunes militants et élus qui bousculent l’establishment du parti démocrate. Membre des démocrates socialistes d’Amérique (DSA), elle revendique ouvertement une « position marxiste ».
Dans le contexte de pandémie avec un nombre record de victimes, votre succès à New York n’est-il pas dû à vos propositions pour une couverture santé universelle ?
Julia Salazar C’est une des raisons majeures. Dans le district où je suis élue, la souffrance des gens est exacerbée. Même des personnes de centre-gauche qui ne partagent pas notre engagement socialiste au sein du parti démocrate reconnaissent maintenant que notre système de santé à but lucratif est un échec patent. Le Covid-19 a révélé des fractures béantes dans notre société. Ce n’est pas un hasard si les New-Yorkais noirs, latinos ou immigrés meurent à un rythme bien plus élevé que les blancs. Notre système de santé est pris en flagrant délit de racisme. De plus, comme le chômage a explosé pour atteindre des niveaux comparables à celui de la grande dépression, des milliers de salariés ont perdu en même temps que leur emploi la couverture santé incluse dans leur contrat de travail. Ainsi s’est accru le nombre de personnes qui ont renoncé à aller chez le médecin, ou même à se faire tester. (…) Les hôpitaux publics sont gravement sous-financés. On a même coupé dans les subventions qu’ils touchent de l’État ou de la fédération pour soigner les plus démunis (dispositif d’assistance Medicaid). Il nous faut un système universel où l’accès aux soins ne soit plus réservé aux seules personnes ayant un emploi et des revenus suffisamment importants. Dans ce système, des millions de gens sont exclus en fonction de leur statut. Qu’ils soient immigrés, chômeurs ou précaires.
La plateforme de campagne de Joe Biden vous paraît-elle à la hauteur ?
Julia Salazar Des dossiers comme le Medicare for All, l’accès aux soins universel, que nous considérions comme nos lignes rouges, n’ont pas été respectés dans la plateforme électorale du candidat Biden. Et je suis très inquiète qu’une nouvelle fois, comme en 2016, cela réduise la crédibilité du candidat démocrate. Les dirigeants du parti sont si éloignés de la réalité et des souffrances que vivent les gens.
Néanmoins vous soutenez Biden ?
Julia Salazar Je voterai pour lui. Car je suis persuadée que notre combat pour un système de santé public avec accès aux soins universel, mais aussi la gratuité des études ou encore l’augmentation du Smic et des salaires, pourra se mener dans de meilleures conditions si nous avons un président démocrate et parvenons à nous débarrasser de Trump. Mais je crains que la fuite du candidat devant ces enjeux qui émergent pourtant de façon si forte et urgente aujourd’hui ne fasse une nouvelle fois bondir l’abstention chez ceux qui souffrent le plus. Dans mon propre entourage, bien des personnes restent peu convaincues de se déplacer dans les bureaux de vote début novembre. Je suis persuadée qu’elles ont tort, qu’il n’y aurait rien de pire qu’une nouvelle victoire de Trump. Et je m’efforce de les convaincre. Mais je ne suis pas sûre d’être entendue, tant est important le niveau de défiance à l’égard des « élites » démocrates.
Sébastien Natroll
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