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5 janvier 2022 3 05 /01 /janvier /2022 06:28
La France des héritiers -  Le Dossier de L'Humanité, 4 Janvier 2022

Éditorial de Maurice Ulrich dans L'Humanité. La note

Mardi 4 Janvier 2022

« Mon pauvre argent, on m’a privé de toi ; et puisque tu m’es enlevé, j’ai perdu mon support, ma consolation, ma joie : tout est fini pour moi, et je n’ai plus que faire au monde. » On a l’impression de lire un copier-coller de cette tirade d’Harpagon, chez Molière, avec les articles parus la semaine passée dans la presse de droite au sujet de l’héritage et des droits de succession. Une simple note du Conseil d’analyse économique, organisme consultatif auprès du premier ministre, évoquant l’éventualité d’une timide réforme des droits de succession a fait l’effet d’un séisme, avec mouvements de panique. Que révèle « la haine de l’héritage », écrivait un chroniqueur du Figaro pour qui « ce n’est pas seulement piétiner le droit de propriété sur les biens gagnés de haute lutte après tant et tant de prélèvements », c’est plus largement, au total, « l’euthanasie de la famille ». On a le droit de trouver ça cocasse dans le journal qui se réclame de Beaumarchais avec cette citation à sa une, « sans la liberté de blâmer il n’est pas d’éloge flatteur », mais oublie cette adresse de Figaro lui-même au comte Almaviva, « vous vous êtes donné la peine de naître et rien de plus ».

Spoliation, furie égalitaire… En vérité, de quoi parle-t-on ? De la petite maison de famille arrachée aux enfants, du livret A vidé par l’État ? Ou des plus hauts patrimoines, qui, au-delà de 10 millions d’euros, sont à 90 % des portefeuilles financiers et ont progressé plus vite que le PIB depuis les années 1980-1990 ? Cela quand le revenu moyen des 1 % les plus aisés a progressé de 100 % (en sus de l’inflation) et celui des 0,1 % les plus aisés de 150 %, contre à peine 25 % pour le reste de la population (soit moins de 1 % par an). C’est pourtant sans vergogne que des députés LR, avec Éric Ciotti, proposaient il y a quelques mois la suppression totale des droits de succession…

Mais que les plus inquiets toutefois se rassurent. Que ce soit avec l’extrême droite, la droite ou Emmanuel Macron, la note par qui le scandale arrive restera dans les tiroirs.

Le retour de la France des héritiers : ces pratiques qui bloquent l'ascenseur social
Mardi 4 Janvier 2022 - L'Humanité

En France, les 10 % les plus riches s’accaparent 60 % du patrimoine total. Les niches fiscales liées aux héritages leur permettent de se transmettre ce grisbi de génération en génération. Des économistes et institutions appellent à une réforme de la fiscalité sur les successions.

Sortez vos capes, gants et hauts-de-forme ou vos robes à corset : la Belle Époque est de retour. Ce n’est pas la mode vestimentaire du moment qui le suggère, mais les économistes comme les institutions qui scrutent les évolutions de notre société. Aujourd’hui comme au début du XXe siècle, la France appartient aux héritiers rentiers.

Si le siècle dernier avait corrigé le tir, notamment grâce à l’ascenseur social des Trente Glorieuses, la fin des années 1970 a sonné le retour du patrimoine financier et immobilier comme facteur majeur de structuration de classe, bien plus que les revenus (salaires et revenus du travail).

Une monopolisation des richesses devenue par trop évidente

Ce patrimoine qui pèse de plus en plus lourd – de 300 % du revenu national en 1970, il en représentait 600 % en 2020 – a été progressivement capté par quelques-uns. « En France, les 10 % les plus riches possèdent 60 % du patrimoine total net », soulignait le Rapport 2022 sur les inégalités mondiales, publié en décembre par l’Observatoire des inégalités mondiales.

Cette monopolisation des richesses est devenue à ce point dérangeante que des institutions peu révolutionnaires comme l’OCDE, France Stratégie ou des économistes orthodoxes qui parlent à l’oreille de Macron, tels le prix Nobel Jean Tirole ou l’ex-directeur des études du FMI Olivier Blanchard, s’en inquiètent et appellent à une nouvelle fiscalité des successions et des héritages. Histoire de débloquer un ascenseur social coincé aux étages supérieurs.

1 % des héritiers reçoivent en moyenne 4,2 millions d’euros nets de droits

« Il devient indispensable d’avoir hérité pour accéder au sommet de la distribution des niveaux de vie », analyse Camille Landais, coauteur du rapport Repenser l’héritage, publié par le Conseil d’analyse économique (CAE) il y a quinze jours. De fait, quand la moitié des Français héritent de 70 000 euros tout au long de leur vie (il s’agit d’une moyenne, nombre d’entre eux n’hériteront de rien du tout), moins de 10 % récupéreront plus de 500 000 euros de patrimoine.

Quant au « top 1 % des héritiers, il recevra en moyenne plus de 4,2 millions d’euros nets de droits. Et le top 0,1 %, environ 13 millions », souligne l’étude du CAE. Autrement dit, « le top 1 % des héritiers peut désormais obtenir, par une simple vie de rentier, un niveau de vie supérieur à celui obtenu par le top 1 % des ’’travailleurs’’ ». De quoi enterrer le mythe du « premier de cordée » et de la méritocratie.

Tigre de papier et niches fiscales

En ces temps de creusement des inégalités sociales, de renchérissement des dépenses du quotidien et d’aspiration des première ou deuxième lignes comme des premiers de corvée à des augmentations de salaires, l’opulence des rentiers relève du scandale alors que la transmission de ces fortunes n’est que faiblement taxée. Elles n’ont rapporté que 12,5 milliards d’euros en 2015, soit 0,56 % du PIB, alors que le flux total des transmissions patrimoniales annuelles pèse 15 % du PIB.

Tout semble avoir été fait pour que l’administration fiscale ne s’intéresse pas au sujet. Celle-ci ne possède d’ailleurs pas de données fiables. D’autre part, comme l’explique Camille Landais, « nous pouvons avoir l’illusion d’une progressivité de la taxation des successions, mais c’est un tigre de papier. Dans la réalité, plus les patrimoines sont importants, mieux leurs titulaires connaissent les niches qui permettent d’échapper à leur imposition. Si bien que les plus gros transmetteurs ne sont taxés en moyenne qu’à hauteur de 10 % ».

Les ficelles de l’optimisation

Parmi les niches fiscales, citons l’assurance-vie (17,5 milliards répartis entre 45 000 bénéficiaires seulement) ; les pactes Dutreil, qui exonèrent à 50 % la transmission des biens professionnels représentant plus de 60 % du patrimoine des 0,001 % les plus fortunés ; la donation en nue-propriété avec réserve d’usufruit (2 à 3 milliards de manque à gagner pour le fisc) ; ou l’effacement des plus-values latentes à la succession.

À ces mesures de sous-évaluation de l’assiette de la taxation des héritages s’ajoutent les autres ficelles de l’optimisation d’héritage. Par exemple, planifier rapporte gros : trois donations de 100 000 euros au cours d’une vie ajoutées à un héritage de 200 000 au décès de chacun des deux parents coûtent moins cher en droits de succession qu’un héritage de 700 000 euros versé d’un coup au décès des ascendants.

Imposer à des taux croissants

Sur tous ces biais, les rapports précédemment cités appellent à revenir dessus. Avec un leitmotiv : assurer une réelle progressivité de la taxation des héritages fondée sur le bénéficiaire tout au long de sa vie. « Les transmissions d’un montant total élevé pourraient être imposées à des taux croissants, tout en permettant aux nombreux parents de la classe moyenne de transmettre un patrimoine plus modeste à leurs enfants en franchise d’impôts », note la commission Tirole- Blanchard. Ce qui contribuerait à améliorer la mauvaise image de cette fiscalité, vue comme « une double imposition de l’épargne de parents qui ont “travaillé dur” et qui souhaitaient aider leurs enfants ».

Selon les scénarios proposés par le rapport du CAE, ces mesures dégageraient entre 9 et 19 milliards d’euros. Qu’en faire ? De la baisse d’impôts indirects ou directs à la réduction de la dette publique, l’abondement des mécanismes de solidarité et d’égalité des chances jusqu’au financement d’un capital garanti de 120 000 euros pour tous dès 18 ans, comme le proposait l’économiste Thomas Piketty, les projets ne manquent pas. Ils relèvent tous d’un projet de société dont les candidats à l’élection présidentielle ont la possibilité de s’emparer.

Le PCF juge indispensable de « renforcer la fiscalité et la rendre plus progressive  », comme l’explique l’économiste communiste, Denis Durand. En tenant compte de deux paramètres : « Le montant de la succession ou de la donation, mais aussi les ressources du bénéficiaire. » « Il peut parfois arriver que des gens héritent mais ne soient pas en mesure de payer les droits », précise-t-il. « On croit que les inégalités sont le fait des revenus, souligne également Denis Durand, mais elles sont le produit des inégalités d e patrimoine. »

Selon le PCF, il s’agit donc de mettre les plus hauts patrimoines plus fortement à contribution, et tout au long de la vie. Les communistes proposent notamment le rétablissement et le triplement de l’ISF pour y parvenir. « Mais, prévient l’économiste, il faudra aussi changer l a façon dont sont produites les richesses. »

Extrait de l'article de Diego Chauvet - "Droits de succession : la gauche affiche sa volonté de réformer" - L'Humanité, 4 janvier 2022

La France des héritiers -  Le Dossier de L'Humanité, 4 Janvier 2022
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