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23 juin 2017 5 23 /06 /juin /2017 06:12
Georges Marchais Humanité Dimanche - octobre 1971

Georges Marchais Humanité Dimanche - octobre 1971

Georges Marchais: clin d'oeil à l'ami Georges, l'homme à la cigarette et au regard rieur (1920-1997)
Georges Marchais: clin d'oeil à l'ami Georges, l'homme à la cigarette et au regard rieur (1920-1997)
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23 juin 2017 5 23 /06 /juin /2017 06:00
Notre Jeunesse, revue mensuelle de la jeunesse républicaine de France - avril 1945: numéro spécial 11e congrès de la fédération des jeunesses communistes de France
Notre Jeunesse, revue mensuelle de la jeunesse républicaine de France - avril 1945: numéro spécial 11e congrès de la fédération des jeunesses communistes de France
Notre Jeunesse, revue mensuelle de la jeunesse républicaine de France - avril 1945: numéro spécial 11e congrès de la fédération des jeunesses communistes de France
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19 juin 2017 1 19 /06 /juin /2017 14:17
Celticismes: les gaulois et nous! - par Francis Favereau (Skol Vreizh)

 

A lire de toute urgence chez Skol Vreizh, 25 euros...

FAVEREAU Francis


Enfin du neuf sur le gaulois !


Pendant des siècles, on a considéré que la langue gauloise, qui n’avait plus de locuteur,

avait disparu à jamais.


Faute de providentielle pierre de Rosette ou de texte conséquent en langue gauloise

l’affaire semblait entendue.


Cependant les inscriptions sur des poteries antiques, des gloses de manuscrits du haut Moyen

Age constituaient des indices qui ont orienté les recherches de quelques éminents

médiévistes et linguistes. Georges Dottin, François Falc’hun, Léon Fleuriot ont souligné la

proche parenté du gaulois avec les langues celtiques contemporaines (dites néoceltiques :

irlandais, gallois et breton armoricain) ; ils ont relevé de nombreuses traces du gaulois

dans le lexique des langues d’Europe occidentale, en particulier dans le français, ainsi que

dans la toponymie de plusieurs régions de France.


Pierre-Yves Lambert, Xavier Delamarre, poursuivant ces recherches, confirment les

hypothèses de leurs prédécesseurs.


Ce livre érudit de Francis Favereau séduira les amateurs de langues anciennes et celtiques

mais également toutes les personnes intéressées par l’origine des toponymes et patronymes

de Bretagne et de France.

384 p. ; 16 X 21 cm, couv. souple, intérieur : imp. bichromie, cahier couleurs.

 

 
  
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19 juin 2017 1 19 /06 /juin /2017 05:00
Patrimoine religieux de la région de Morlaix: Skol Vreizh - La dynastie des Beaumanoir: une étude historique et technique de l'architecte Christian Millet (Le Télégramme - 19 juin 2017)

Le « style Beaumanoir » a marqué profondément et durablement le paysage des édifices religieux du pays de Morlaix. Christian Millet, passionné d'histoire, de patrimoine et d'architecture consacre un ouvrage à cette dynastie de maîtres d'oeuvre au temps de la duchesse Anne. 

Paolig Combot, président de Skol Vreizh, a confié que la nouvelle publication des éditions morlaisienne, la « 72e de la fameuse collection bleue », était très attendue par le public, amateur ou non d'architecture et de culture bretonnes. Christian Millet, passionné d'histoire, de patrimoine et d'architecture, vient de publier « Les Beaumanoir, une dynastie de maîtres d'oeuvre au temps de la duchesse Anne », ouvrage référence sur le modèle Beaumanoir, cette famille qui, devenue morlaisienne, a marqué profondément et durablement de son style architectural le paysage des édifices religieux du pays de Morlaix.

Le « style Beaumanoir »


L'étude réalisée par Christian Millet sur cette famille de maîtres d'oeuvre active et influente de la fin du XVe jusqu'à celle du XVIe siècle, permet de mieux comprendre pourquoi et comment églises et chapelles ont été construites selon le style Beaumanoir, ou Beaumaner puisqu'ils avaient bretonnisé leur patronyme. De tailleurs de pierre, ils sont devenus bâtisseurs et architectes, signe d'une réussite sociale et leurs marques de fabrique que sont les clochers, les tour-clochers, les porches-sud surmontés d'une chambre forte ainsi que les chevets très particuliers placés derrière le choeur, ont contribué à une importante notoriété en termes de qualité architecturale. Le livre, fort documenté et enrichi de nombreux plans et photographies, permet aussi de découvrir qui étaient les commanditaires de ces édifices religieux. 

Pratique 
« Les Beaumanoir », éditions Skol Vreizh, 41 quai de Léon à Morlaix.
 

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17 juin 2017 6 17 /06 /juin /2017 06:24
Les communistes et la résistance: 17 juin 1940: la reconnaissance de l'appel de Charles Tillon
Les communistes et la résistance: 17 juin 1940: la reconnaissance de l'appel de Charles Tillon

Lu sur la page Facebook de Robert Clément: 

17 juin 1940 : la reconnaissance de l'appel de Charles Tillon

Charles Tillon, membre du Comité Central depuis 1932 et organisateur de la résistance des communistes à travers les FTP, lance un appel à la résistance depuis Gradignan, le 17 juin 1940.

Cet appel est intéressant pour de multiples raisons.
 

Cet appel a été lancé depuis le territoire national et invite à la résistance sur le sol français tous ceux qui refusent le « fascisme hitlérien », dans le droit fil de la stratégie du Front populaire pour laquelle le PCF s'était battu.

Il se distingue des deux autres appels connus à ce jour. Il se différencie de l'appel de Thorez et Duclos daté du 10 juillet 1940, qui est conforme à la ligne de la IIIème Internationale.

Celui-ci réduisait la guerre en cours à un affrontement inter-impérialiste et ne permettait pas de cerner la spécificité du phénomène fasciste.

Il est également différent de celui du général de Gaulle, qui lance son appel depuis Londres et qui demande aux Français présents en Angleterre de se rassembler autour de lui, et aux autres de le rejoindre.

Il faut rappeler que cet appel a fait l'objet d'une triple négation.

D'abord, de l'Etat français, qui préfère privilégier l'appel de De Gaulle, du 18 juin 1940. Du PCF lui-même, car si cet appel était reconnu, il « annulerait » celui de Duclos et Thorez. Et enfin de tous les anticommunistes qui affirment que les communistes ne sont entrés en résistance qu'en juin 1941, lorsque le pacte germano-soviétique est rompu.

Mais derrière ce genre d'accusations, c'est le rapport même des communistes au peuple français de l'époque qui est questionné et de leur engagement contre la montée du fascisme dans les années 30 et pour l'Espagne républicaine. L'appel de Charles Tillon permet de lever toute ambiguïté. Il prouve que l'engagement des communistes s'est fait indépendamment des directives de la IIIème Internationale. Il faut souligner que cet appel a rencontré un certain écho. Les kiosquiers de Bordeaux l'insèrent clandestinement dans les journaux locaux et parvient même jusqu'aux Chantiers navals de Saint-Nazaire.
Le combat pour cette reconnaissance est crucial dans un contexte où la droite la plus réactionnaire reprend le flambeau de la virulente campagne anticommuniste d'après-guerre dans le but de briser tout espoir de transformation sociale. Nous devons faire en sorte que cet appel soit connu et reconnu par tous, dans l'intérêt de l'histoire de notre parti et de celle de notre pays. Nous devons faire en sorte qu'une plaque soit posée sur ce bâtiment pour qu'elle rappelle à tous que cet appel a existé.
 

 

L’appel :


"Les gouvernements bourgeois ont livré à Hitler et à Mussolini : l’Espagne, l’Autriche, l’Albanie et la Tchécoslovaquie... Et maintenant, ils livrent la France.
Ils ont tout trahi.
Après avoir livré les armées du Nord et de l’Est, après avoir livré Paris, ses usines, ses ouvriers, ils jugent pouvoir, avec le concours de Hitler, livrer le pays entier au fascisme.
Mais le peuple français ne veut pas de la misère de l’esclavage du fascisme.
Pas plus qu’il n’a voulu de la guerre des capitalistes.
Il est le nombre : uni, il sera la force.
Pour l’arrestation immédiate des traîtres
Pour un gouvernement populaire s’appuyant sur les masses, libérant les travailleurs, établissant la légalité du parti communiste, luttant contre le fascisme hitlérien et les 200 familles, s’entendant avec l’URSS pour une paix équitable, luttant pour l’indépendance nationale et prenant des mesures contre les organisations fascistes.
Peuple des usines, des champs, des magasins, des bureaux, commerçants, artisans et intellectuels, soldats, marins, aviateurs encore sous les armes, UNISSEZ VOUS DANS L’ACTION!"


Charles Tillon, Gradignan, 17 juin 1940


Antoine Porcu présente le texte de cet appel et en explique le sens dans L’Humanité: 
 

« L’appel de Charles Tillon est un appel à la résistance sur le territoire national, tandis que celui du général de Gaulle s’adresse d’abord aux français présents en Angleterre pour leur demander de se rassembler autour de lui. Par ailleurs, l’appel de Charles Tillon est explicitement lancé au nom de la lutte contre le fascisme.
Cela le différencie également de l’appel de Thorez et Duclos du 10 juillet 1940, conforme à la ligne de la IIIe Internationale. Celle-ci réduisait la guerre en cours à un affrontement anti-impérialiste. Cela ne permettait pas de cerner la spécificité du phénomène fasciste. À l’inverse, Charles Tillon en appelle au rassemblement du peuple dans l’action contre le « fascisme hitlérien », dans le droit fil de la stratégie du Front Populaire pour laquelle Maurice Thorez s’était lui-même battu.
Depuis la Libération, la propagande anticommuniste affirme que les communistes ne sont entrés en résistance qu’en juin 1941, lorsque l’Union soviétique est attaquée par les nazis. C’est une parfaite falsification. D’ailleurs, l’importance de ce texte a été appréciée par la direction clandestine du Parti Communiste, laquelle intègre Charles Tillon, à la demande de Benoît Frachon. Mais derrière ce genre d ‘accusation, c’est le rapport même des communistes au peuple français de l’époque qui est questionné. L’appel de Charles Tillon permet de lever toute ambiguïté. Il prouve que l’engagement des communistes s’est fait indépendamment des directives de la IIIe Internationale.
Car cet appel n’est pas une initiative purement personnelle. Lorsqu’il le rédige, Charles Tillon est mandaté par le Comité central pour réorganiser le parti communiste dans tout le Sud-Ouest de la France. Son appel y rencontre un certain écho. Les kiosquiers de Bordeaux l’insèrent dans les journaux. Il parvient même jusqu’aux chantiers navals de Saint-Nazaire. Le Parti communiste français a été traversé par de nombreuses et dramatiques contradictions. Mais il a toujours été avant tout un collectif de femmes et d’hommes mobilisés pour l’émancipation humaine. Le combat pour cette reconnaissance est crucial dans un contexte où la droite la plus réactionnaire reprend le flambeau de la virulente campagne anticommuniste d’après-guerre dans le but de briser tout espoir de transformation sociale. »
Antoine Porcu (1) dans un entretien donné à « l’Humanité » du 4 mars 2006

 

Lire aussi sur les mêmes sujets:

1978: Charles Tillon revient sur sa traversée du siècle et ses engagements avec Michel Kerninon dans la revue "Bretagnes" n°8 : "Désenchaîner l'espérance"

Onfray falsifie l'histoire: les communistes n'auraient parait-il commencé à résister qu'après l'invasion de l'URSS: Léon Landini, ancien résistant FTP-MOI, remet les pendules à l'heure

Les communistes français dans la résistance avant l'invasion de l'URSS en juin 1941: relisons Albert Ouzoulias et ses "Bataillons de la jeunesse"

Résistance et répression des communistes brestois de 1939 à 1943 (à partir des souvenirs et des enquêtes d'Eugène Kerbaul, résistant communiste)

 

 

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6 juin 2017 2 06 /06 /juin /2017 19:54
Hommage à Jorge Semprun, disparu le 7 juin 2011

Jorge Semprun, disparu le 7 juin 2011 (lu sur l'excellente page facebook de Robert Clément)


Jorge Semprun était l’un des intellectuels emblématiques de son temps. Sa vie, ses convictions, son engagement ont rayonné en France, en Espagne et en Europe.
Jorge Semprun meurt le 7 juin 2011. En un éclair, l’histoire du siècle dernier a resurgi. La machine à remonter le temps s’accélère tant la figure de cet homme au parcours incroyable – exilé à douze ans, résistant à dix-sept ans, déporté à Buchenwald, militant et dirigeant communiste clandestin dans l’Espagne franquiste, écrivain prolixe, ministre de la Culture sous le gouvernement de Gonzalez – restera à jamais scellée aux tourmentes dramatiques du XXe siècle.
Buchenwald, matricule 44904. 
Tout commence avec la guerre d’Espagne. En 1936, le coup d’État franquiste contraint sa famille à l’exil. Jorge Semprun s’installe à Paris où il s’inscrit au lycée Henri-IV. En 1942, il entre en résistance contre l’occupant nazi au sein de la MOI (Main-d’œuvre immigrée). Arrêté, torturé, il est déporté le 29 janvier 1944 à Buchenwald. Il sera le matricule 44904 et portera, agrafé à son pyjama, le triangle rouge des prisonniers communistes. Ce n’est qu’en 1992, lorsqu’il retourne pour la première fois sur les lieux, qu’il comprend qu’il ne doit sa survie qu’à la supercherie d’un prisonnier allemand qui écrira « stukateur » sur sa fiche en lieu et place de « student ». Maçon plutôt qu’étudiant. Le 11 avril 1945, après « ces deux ans d’éternité glaciale, d’intolérable mort » (dans l’Écriture ou la vie), il revient à la vie, survivant parmi les autres survivants. Retour à Paris. Il se lance dans l’écriture, fréquente assidûment les milieux intellectuels de Saint-Germain, mais rien ne vient. « Il me faudrait plusieurs vies pour raconter toute cette mort », écrit-il. La mort le hante. Il veut vivre. Alors il lâche tout, ses amitiés, son confort, ses angoisses, ses tentatives d’écriture, et il retourne en Espagne où il devient clandestin. Il aura plusieurs identités, plusieurs adresses, et un seul objectif : coordonner la résistance anti - franquiste de l’intérieur quand la plupart de ses camarades sont morts, prisonniers ou en exil. En 1952, Federico Sanchez, pseudonyme qui a donné le titre d’un de ses ouvrages, devient permanent du PCE. Élu au comité central en 1954, il se voit confier des missions auprès de Dolorès Ibarruri, alors exilée à Moscou, puis aux côtés de Santiago Carrillo, en France. Lorsque ce dernier est élu secrétaire général du PCE en 1962, il s’empresse d’ôter toutes ses responsabilités à Semprun jusqu’à l’exclure, en 1964. La rupture est violente, totale. Semprun dénonce les dérives staliniennes de la direction en exil. La sanction sera sans appel.
Semprun revient à l’écriture. Vingt ans ont passé depuis ce 11 avril 1945 où il franchissait la grille de Buchenwald. En 1963, paraît le Grand voyage, où il évoque le compartiment à bestiaux qui le conduit avec plus de cent compagnons au camp. En 1969, il publie la Deuxième Mort de Ramon Mercader, qui obtiendra le prix Femina. Dès lors, il ne cessera d’écrire. Parmi ses très nombreux ouvrages, citons Autobiographie de Federico Sanchez (1977), Quel Beau Dimanche ! (1980) et, bien sûr, l’Écriture ou la vie (1994). Écriture mémorielle et documentaire dont on suit le cheminement, les allers-retours dans le temps, dans l’histoire pour retrouver des sensations, des images, des odeurs, des couleurs. Une œuvre majeure qui fait écho à celle de son alter ego Primo Lévi. Un livre rendu possible par son retour à Buchenwald en 1992, quarante-sept ans après sa libération. Il n’a jamais cessé d’y retourner. En avril 2010, il avait l’intuition qu’il ne reverrait probablement plus cette colline de l’Ettersberg qui dominait le camp. « Comment dire le souvenir de l’odeur de la chair brûlée ? Comment en parler ? Comparer ? L’obscénité de la comparaison ? J’ai à vif dans ma tête l’odeur la plus importante d’un camp de concentration. Et je ne peux pas l’expliquer. Et cette odeur s’évaporera avec moi comme elle s’est déjà évaporée avec d’autres », confie-t-il cette année-là.
Un combattant inlassable de la liberté
À sa mort, tous les amoureux de la liberté se sentent orphelins. On se souviendra de sa belle silhouette, de son sourire ravageur, de son regard perçant et chaleureux, et de cet accent unique qui faisait résonner un français au phrasé élégant et érudit. Sa droiture, sa noblesse, son combat pour l’humanité et la liberté sont indissociables de l’homme. Européen convaincu, il pensait que l’Europe se construirait sur les ruines de Buchenwald. Pour que l’horreur ne se répète pas. Lui qui aimait le cinéma (il a écrit plusieurs scénarios pour Costa-Gavras, Yves Boisset, Joseph Losey ou encore Alain Resnais) avait témoigné, dans le documentaire de José Luis Penafuerte, les Chemins de la mémoire. On le voit aux côtés de Marcos Ana, poète, grande figure de la résistance communiste au franquisme. Dos à la caméra, ils observent les pelleteuses détruisant l’emblématique prison madrilène de Carabanchel. Des gravats jetés rageusement sur la mémoire et l’histoire de ce pays. Dans ce Madrid qu’il aimait tant, dans ces villes d’Europe qu’il a arpentées, Athènes, Lisbonne, Istanbul, des jeunes gens ont, en 2011, redressé la tête.

Jorge Semprun

Jorge Semprun

Jorge Semprun: une personnalité d'exception et un grand écrivain dans le tumulte du XXe siècle

 

Et cet hommage, que j'avais rédigé il y a quelques mois, le 8 décembre 2016:

"Jorge Semprun, une personnalité d'exception et un grand écrivain dans le tumulte du XXe siècle" (Ismaël Dupont) 

" Mémorialistes et chroniqueurs n'ont pas coutume d'entremêler tendresses, confidences et débâcles du corps à l'évocation de leurs hauts faits. Les romanciers, eux, c'est leur travail, depuis Fabrice à Waterloo. Semprun croise les rubriques et donne une dimension romanesque à l'évènement réel. Il privatise l'Histoire tout en historicisant sa vie. La mémoire, on le sait, est un drôle de réfrigérateur: elle fait fondre les grandes lignes et conserve les détails au frais... Avec sa mosaïque en pointillé, Semprun annexe l'histoire à la mémoire".

Quelques lignes très justes de Regis Debray en avant-propos d'Exercices de survie, le dernier livre, publié à titre posthume, de Jorge Semprun, énorme romancier, grand intellectuel, dont le vécu aura épousé les tragédies, les espoirs et les désillusions du siècle: la guerre d'Espagne, la Résistance, Buchenwald et l'univers concentrationnaire nazi, le Communisme et son action clandestine en Espagne, le retour à la démocratie après le franquisme en Espagne.

Il faut lire et relire Jorge Semprun, le Marcel Proust de la mémoire douloureuse du XXe siècle et de Buchenwald, mêlant l'auto-fiction à l'exercice de remémoration et l'esthétique de l'existence à la méditation sur l'histoire. Un travail fascinant et obsessionnel sur les dédales de la mémoire et de l'oubli, la permanence et la beauté de l'instant, l'écriture et la vie, l'écriture ou la vie, la quasi impossibilité de traduire ce que fut l'expérience concentrationnaire, et qui fait qu'on s'arrête toujours au seuil.

Appartenant à une grande famille madrilène, petit fils par sa mère d'un chef de gouvernement, Antonio Maura, et neveu d'un ministre républicain modéré, fils d'un gouverneur civil de province devenu diplomate pendant la guerre d'Espagne et représentant de la République Espagnole à La Haye, Jorge Semprun arrive à Paris en 1939, à quinze ans. Son père est chrétien, proche des animateurs de la revue « Esprit ». Jorge Semprun est un élève ultra-brillant, qui maîtrise déjà très bien le français.

« Je l'avais connue en 1939 (Claude-Edmonde Magny, professeur de philosophie de dix ans son aînée qu'il retrouve pendant l'occupation et après la libération des camps), à l'occasion d'un congrès d'Esprit.Avant l'été, mais après la défaite de la République espagnole. C'était à Jouy-en-Josas, si je me souviens bien. Mon père avait été correspondant général du mouvement personnaliste de Mounier en Espagne. Il assistait à ce congrès, je l'avais accompagné. J'avais quinze ans, j'étais interne à Henri IV depuis la chute de Madrid aux mains des troupes de Franco ». (L'écriture ou la vie).

Semprun obtient le deuxième prix au Concours Général de Philosophie. Il fera une grande classe préparatoire à Paris en Lettres supérieures puis intégrera la Sorbonne pour y faire des études de philosophie où il se passionne pour Heidegger, Lévinas, Saint Augustin, Marx, Lukas, Wittgenstein, mais lit surtout beaucoup de littérature (Faulkner, Malraux, Giraudoux, Sartre) et de poésie (il fera des causeries sur Rimbaud organisées par l'appareil clandestin du camp à Buchenwald, récite à haute voix des centaines de poèmes) . Il fréquente la « meilleure société » parisienne, la jeune bourgeoisie intellectuelle bohème, enchaînant les surprise-parties dans les quartiers de l'ouest parisien, mais sa maturité intellectuelle, son exigence morale et politique, le conduisent aussi à s'engager.

Il aide par exemple un résistant juif des FTP-MOI à se cacher en 1943 chez une amie organisant une fête chez elle après que celui-ci, de son pseudonyme Koba, surnom de Staline, ait tué dans sa chambre d'hôtel un officier allemand (avec la prostituée qui couchait avec lui).

Auparavant, le 11 novembre 1940, Semprun participe à la manifestation patriotique à Paris des lycéens et étudiants, véritable défi à l'occupant, organisée notamment par l'Union des Étudiants communistes et les Jeunesses communistes. Il adhère au Parti Communiste Espagnol en 1941 et côtoie une agent communiste du Komintern, autrichienne des FTP-MOI, qui le forme politiquement et parle avec lui de Heine, Bertold Brecht. Mais ses contacts avec l'organisation communiste de résistance se rompent et il s'engage finalement dans la résistance, au groupe « Jean-Marie Action », dépendant du réseau Buckmaster mis en place par les services secrets britanniques. Ce réseau dirigé par Henri Frager, un homme de droite nationaliste, opère en Bourgogne en réceptionnant les parachutages d'armes et en les répartissant en Côte-d'Or et dans l'Yonne mais en ayant consigne de ne pas livrer d'arme à la résistance communiste. Dans le cadre de ses opérations, il se force à tuer dans un bois de Semur-en-Auxois avec son compagnon de résistance Julien, un beau et romantique soldat allemand, qui descendu de sa moto pour pisser auprès de la rivière, chantait "La Paloma". Un des récits inouïs et si tristes de ces temps atroces.

Semprun est arrêté par la Gestapo à Joigny en septembre 1943, dénoncé par un traître de la hiérarchie du groupe de résistance, et il est torturé pendant plusieurs semaines à la prison d'Auxerre. Il raconte cette expérience fondatrice de la torture dans son dernier livre, labyrinthique comme ses précédents, inachevé et posthume, « Exercices de survie », publié en 2012, alors que Semprun meurt en 2011 à l'âge de 88 ans.

Il est envoyé en déportation à Buchenwald depuis le camp de transit de Compiègne : quatre jours et trois nuits de voyage dans un wagon de marchandise cadenassé sans air et sans eau, avec cent vingt déportés à l'intérieur, expérience qu'il racontera, avec la libération du camp de Buchenwald, dans le « Grand Voyage » (1963), son premier écrit publié, son premier récit, à dimension philosophique, éthique et esthétique, sur l'expérience concentrationnaire. Il y raconte avec maestria presque les mêmes scènes, celles de sa vie, que dans « L'écriture ou la vie », que dans « L'écriture ou la vie » (1994) ou dans « Exercices de style » (2011), mais avec dans ces derniers cas des interprétations, des éclairages, des interpositions fictionnelles nouvelles.

A Buchenwald, quelques jours après la Libération du camp le 11 avril 1945, Jorge Semprun fait visiter le camp à des volontaires françaises candides de la « Mission France »:

« Les deux automobiles se sont arrêtées devant nous et il est descendu ces filles invraisemblables. C'était le 13 avril, le surlendemain de la fin des camps. Le bois de hêtres bruissait dans le souffle du printemps. Les Américains nous avaient désarmés, c'était la première chose dont ils s'étaient occupés, il faut dire. Ces quelques centaines de squelettes en armes, des Russes et des Allemands, des Espagnols et des Français, des Tchèques et des Polonais, sur les routes autour de Weimar, on aurait dit qu'ils en avaient une sainte frousse. Mais nous occupions quand même les casernes S.S., les dépôts de la division « Totenkopf » dont il fallait faire l'inventaire. Devant chacun des bâtiments il y avait un piquet de garde, sans armes. J'étais devant le bâtiment des officiers S.S. et les copains fumaient et chantaient. Nous n'avions plus d'armes, mais nous vivions encore sur la lancée de cette allégresse de l'avant-veille, quand nous marchions vers Weimar, en tiraillant sur les groupes de S.S. isolés dans le bois. J'étais devant le bâtiment des officiers S.S. et ces deux automobiles se sont arrêtées devant nous et il en est descendu ces filles invraisemblables. Elles avaient un uniforme bleu, bien coupé, avec un écusson qui disait « Mission France ». Elles avaient des cheveux, du rouge à lèvres, des bas de soie, des lèvres vivantes sous le rouge à lèvres, des visages vivants sous les cheveux, sous leurs vrais cheveux. Elles riaient, elles jacassaient, c'était une vraie partie de campagne. Les copains se sont tout à coup souvenus qu'ils étaient des hommes et ils se sont mis à tourner autour de ces filles. Elles minaudaient, elles jacassaient, elles étaient mûres pour une bonne paire de claques. Mais elles voulaient visiter le camp, ces petites, on leur avait dit que c'était horrible, absolument épouvantable. Elles voulaient connaître cette horreur. J'ai abusé de mon autorité pour laisser les copains sur place, devant le bâtiment des officiers S.S. et j'ai conduit les toutes belles vers l'entrée du camp.

La grande salle d'appel était déserte, sous le soleil du printemps, et je me suis arrêté, le cœur battant. Je ne l'avais jamais encore vue vide, il faut dire, je ne l'avais jamais vue réellement. Ce qu'on appelle voir, je ne l'avais pas encore vue vraiment. D'une des baraques, d'en face jaillissait doucement, dans le lointain, un air de musique lente joué sur un accordéon. Il y avait cet air d'accordéon, infiniment fragile, il y avait les grands arbres, au-delà des barbelés, il y avait le vent dans les hêtres, et le soleil d'avril au-dessus du vent et des hêtres. Je voyais le paysage qui avait été le décor de ma vie, deux ans durant, et je le voyais pour la première fois. Je le voyais de l'extérieur, comme si ce paysage qui avait été ma vie, jusqu'avant-hier, se trouvait de l'autre côté du miroir, à présent. Il n'y avait que cet air d'accordéon pour relier ma vie d'autrefois, ma vie de deux ans jusqu'avant-hier, à ma vie d'aujourd'hui. Cet air d'accordéon joué par un Russe dans cette baraque d'en face, car seul un Russe peut tirer d'un accordéon cette musique fragile et puissante, ce frémissement des bouleaux dans le vent et des blés sur la plaine sans fin. Cet air d'accordéon, c'était le lien à ma vie de ces deux dernières années, c'était comme un adieu à cette vie, comme un adieu à tous les copains qui étaient morts au cours de cette vie-là. Je me suis arrêté sur la grande place d'appel déserte et il y avait le vent dans les hêtres et le soleil d'avril au-dessus du vent et des hêtres. Il y avait aussi, à droite, le bâtiment trapu du crématoire. A gauche, il y avait le manège, où on exécutait les officiers, les commissaires et les communistes de l'Armée Rouge. Hier, 1é avril, j'avais visité le manège. C'était un manège comme n'importe quel manège, les officiers S.S. y venaient faire du cheval. Ces dames des officiers S.S. y venaient faire du cheval. Mais il y avait dans le bâtiment une salle de douche spéciale. On y introduisait l'officier soviétique, on lui donnait un morceau de savon et une serviette éponge, et l'officier soviétique attendait que l'eau jaillisse de la douche. Mais l'eau ne jaillissait pas. A travers une meurtrière dissimulée dans un coin, un S.S. envoyait une balle dans la tête de l'officier soviétique. Le S.S. était dans une pièce voisine, il vivait posément la tête de l'officier soviétique et il lui envoyait une balle dans la tête. On enlevait le cadavre, on ramassait le savon et la serviette éponge et on faisait couler l'eau de la douche, pour effacer les traces de sang. Quand vous aurez compris ce simulacre de la douche et du morceau de savon, vous comprendrez la mentalité S.S.

Mais ça n'a aucun intérêt de comprendre les S.S., il suffit de les exterminer.

J'étais debout sur la grande place d'appel déserte, c'était le mois d'avril, et je n'avais plus du tout envie que ces filles aux bas de soie bien tirés, aux jupes bleues bien plaqués sur des croupes appétissantes, viennent visiter mon camp... » (Le grand voyage, 1963)

Semprun finira par montrer l'empilement des cadavres sur la place derrière les baraques. On les entreposait là depuis que les fours crématoires s'étaient arrêtés de fonctionner, quelques jours avant que la majorité des bourreaux nazis ne quittent le camp devant la pression de l'avance alliée. Semprun raconte les survivants qui meurent d'avoir trop mangé avec leur organisme affaibli une fois le camp libéré par les Alliés. Il donne la main ainsi à un ancien de la guerre d'Espagne et du plateau des Glières, Morales, qui meurt "d'une dysentrie foudroyante provoquée par une nourriture redevenue trop riche" après avoir survécu à Auschwitz et à des mois de camp de concentration.

Les fours crématoires, dont certains firent des jeux de mot douteux, par où partirent en fumée beaucoup d'amis de Semprun, dans le professeur Maurice Halbwachs, à qui Semprun avant l'instant de basculement dans la mort récita les vers de Baudelaire :

« O mort, vieux capitaine, il est temps, levons l'ancre »

 

« Étrange odeur », a écrit Léon Blum.

Déporté en avril 1943, avec Georges Mandel, Blum a vécu deux ans à Buchenwald. Mais il était enfermé en dehors de l'enceinte proprement dite du camp : au-delà de la barrière de barberés électrifiés, dans une villa du quartier des officiers S.S. Il n'en sortait jamais, personne n'y pénétrait que les soldats de garde. (…) C'est la rigueur de cette clôture qui explique son ignorance. Léon Blum ne savait même pas où il se trouvait, dans quelle région de l4allemagne il avait été déporté. Il a vécu deux ans dans une villa du quartier des casernes S.S. de Buchenwald en ignorant tout de l'existence du camp de concentration, si proche pourtant. « Le premier indice que nous en avons surpris, a t-il écrit au retour, est l'étrange odeur qui nous parvenait souvent le soir, par les fenêtres ouvertes, et qui nous obsédait la nuit tout entière quand le vent continuait à souffler dans la même direction : c'était l'odeur des fours crématoires. (…). Étrange odeur, en vérité, obsédante. »

- « Le crématoire s'est arrêté hier, leur dis-je. Plus jamais de fumée dans le paysage. Les oiseaux vont peut-être revenir !

Ils font la grimace, vaguement écœurés.

Mais ils ne peuvent pas vraiment comprendre. Ils ont saisi le sens des mots, probablement. Fumée : on sait ce que c'est, on croit savoir. Dans toutes les mémoires d'homme, il y a des cheminées qui fument. Rurales à l'occasion, domestiques, fumées des lieux-lares.

Cette fumée-ci, pourtant, ils ne savent pas. Et ils ne sauront jamais vraiment. Ni ceux-ci, ce jour-là. Ni tous les autres, depuis. Ils ne peuvent pas imaginer, quelles que soient leurs bonnes intentions.

Fumée toujours présente, en panaches, ou volutes, sur la cheminée trapue du crématoire de Buchenwald, aux abords de la baraque administrative du service du travail, l'Arbeitsstatistik, où j'avais travaillé cette dernière année.

Il me suffisait d'un peu pencher la tête, sans quitter mon poste de travail au fichier central, de regarder par l'une des fenêtres donnant sur la forêt. Le crématoire était là, massif, entouré d'une haute palissade, couronné de fumée.

Ou bien de flammes, la nuit.

Lorsque les escadrilles alliées s'avançaient vers le cœur de l'Allemagne pour des bombardements nocturnes, le commandement S.S demandait qu'on éteignît le four crématoire. Les flammes, en effet, dépassant de la cheminée, étaient un point de repère idéal pour les pilotes anglo-américains.

Krematorium, ausmachen ! Criait alors une voix brève, impatientée, dans le circuit des haut-parleurs.

« Crématoire, éteignez ! »

Nous dormions, la voix sourde de l'officier S.S. de service à la tour de contrôle nous réveillait. Ou plutôt elle faisait d'abord partie de notre sommeil, elle résonnait dans nos rêves, avant de nous réveiller. A Buchenwald, lors des courtes nuits où nos corps et nos âmes s'acharnaient à reprendre vie – obscurément, avec une espérance tenace et charnelle que démentait la raison, sitôt le jour revenu – ces deux mots, Krematorium, ausmachen ! qui éclataient longuement dans nos rêves, les remplissant d'échos, nous ramenaient aussitôt à la réalité de la mort. Nous arrachaient au rêve de la vie.

(…)

« S'en aller par la cheminée, partir en fumée » étaient des locutions habituelles dans le sabir de Buchenwald. Dans le sabir de tous les camps, les témoignages n'en manquent pas. On les employait sur tous les modes, tous les tons, y compris celui du sarcasme. Surtout, même entre nous, du moins. Les S.S et les contremaîtres civils, les Meister , les employaient toujours sur le ton de la menace ou de la prédiction funeste

Jorge Semprun, L'écriture ou la vie (1994)

  1. c'était aussi non loin des bourreaux Weimar, ses bois et ses douces collines, la maison de Goethe à deux pas de l'enfer et du mal radical, un lieu de sociabilité inouï dans les latrines où s'organisait la résistance du camp, les trafics, où l'on fumait à l'aise, un bordel et un groupe de jazz clandestin, le cinéma où les Allemands organisaient quelques projections à destination des déportés à base de films romantiques, une bibliothèque tenue par un communiste allemand sourcilleux sur le retour des livres, même après la libération du camp, où l'on trouve les livres de philosophie idéaliste allemande de Schelling et de Fichte. Ce sont les hauts-parleurs du camp d'où sort une chanson de Charles Trenet.

« Il s'appelait donc Widerman, le jeune déporté français tellement doué, qui bouleversait ses camarades en leur chantant les succès de Charles Trenet.

Ménilmontant, mais oui, madame…

Un dimanche parmi les derniers dimanches de cet hiver-là, le dernier hiver, le plus rude hiver de toutes ces années-là, nous avons entendu la voix du jeune Français sur le circuit des haut-parleurs du camp. Sans doute, l'un des Lagerältester, des doyens de Buchenwald – poste le plus élevé dans la hiérarchie de l'administration interne des déportés – ou quelque vétéran communiste allemand, peut-être le kapo de l'Arbeit, Willi Seifert – il en était bien capable ! - avait dû convaincre l'officier SS, le Rapportführer ,de laisser chanter Widerman, puisque tel était son nom.

Ce serait bon pour le moral des français, avait-il dû lui dire, d'entendre chanter dans leur langue, ça les changerait des sempiternelles chansonnettes allemandes de Zarh Leander ! Or ce qui était bon pour le moral était bon pour la productivité des déportés. (…) C'est probablement avec des arguments ou arguties de cette sorte, aussi spécieux, que le Lagerältester – peut-être Hans Eiden – avait réussi à persuader le Rapportführer de laisser Widerman chanter Ménilmontant sur le circuit des haut-parleurs. En tout cas, un dimanche, vers midi, alors que les déportés, par milliers, au garde-à-vous, se tenaient sur la place d'appel, soudain, l'un des derniers dimanches de ce terrible hiver, la voix du jeune Widerman avait éclaté : Ménilmontant, moi oui madame…

Une sorte de frémissement à peine perceptible, de halètement, de lourd sanglot de bonheur, a parcouru la foule des déportés. La plupart ne comprenaient pas la langue, certes : le sens exact des paroles leur échappait probablement. Mais c'était une chanson française : au rythme vif, entraînant, ça suffisait.

Aussi, soudain, pour ces milliers d'Européens, de toute origine – des russes, des polonais, des Tchèques, des Hongrois, des Espagnols, des Néérlandais, tous les Européens étaient là, en somme, il ne manquait que les Anglais, bien sûr, pour cause de liberté insulaire -, pour ces milliers de déportés, dans leur immense majorité combattant des maquis et des mouvements de résistance, la chanson de Trenet a soudain symbolisé la liberté : son passé de joie et de combats, son proche avenir victorieux ». (Jorge Semprun, Exercices de survie, 2012)

Plus qu'aucun autre, Semprun fait ressortir les éléments de sur-réalité ou d'irréalité d'un camp nazi. Peut-être à l'excès, comme quand il déclame des dizaines de poèmes à haute voix sur la place du camp ou à ses abords avec le lieutenant américain Rosenfeld, qui l'interroge sur le fonctionnement des S.S et l'administration du camp, car Semprun était affecté, grâce aux réseaux internationaux de la résistance communiste du camp, au bureau des entrées et sorties, ce qui lui permettait d'affecter par des inversions d'identité à des "bonnes places" des camarades prenant l'identité de prisonniers venant de mourir.

Semprun raconte aussi dans "L'écriture ou la vie" son difficile retour à la vie, à l'amour, sa volonté d'écrire et de faire oeuvre de ce vécu inouï et terrible, puis sa volonté d'oublier qui l'amènera à mettre presque quinze ans avant de commencer à raconter, la part de doute, de réinvention, de recomposition mémorielle dans la restitution de ce qui fut.

Ses récits pleins de paradoxe, où la beauté côtoie l'horreur, et la poésie la brutalité, sont composés par des détours, des retours successifs, des sauts temporels, des cercles concentriques autour de l'événement, entre l'association d'idées, le libre jeu de la mémoire et l'art du conteur qui suggère en omettant et dissimule en disant.

De 1945 à 1953, Semprun devient traducteur pour l'Unesco.

A partir de 1953, il coordonne les activités clandestines de résistance au régime de Franco au nom du Comité Central du Parti Communiste Espagnol en exil puis il entre au Comité Central et au bureau politique. De 1957 à 1962, il anime le travail clandestin du Parti Communiste dans l'Espagne de Franco sous le pseudonyme de Frederico Sanchez. En 1963, il publie "Le grand voyage". L'année suivante, il est écarté de la direction puis exclu du Parti Communiste par Santiago Carrillo en raison de divergences sur la ligne du parti. Il se consacre alors tout entier à son travail d'écrivain et de scénariste et en 1969, il reçoit le prix Fémina pour "La deuxième mort de Ramon Mercader" (l'assassin de Trotski), un livre d'espionnage à miroirs et à tiroirs où Semprun évoque aussi de manière détournée son rapport au communisme et son expérience de la vie clandestine. Dans "Exercices de survie", Semprun revient sur cette expérience de dirigeant clandestin du Parti Communiste espagnol avec un certain scepticisme, un jugement contrasté sur la portée effective des combats communistes et leur avenir. Son éloignement du communisme n'est pas non plus un reniement des idéaux humains, démocratiques du communisme et de la qualité de l'engagement des militants européens. Semprun restera attaché à un idéal démocratique de gauche jusqu'au terme de sa vie même s'il percevra le communisme comme un échec global et sans doute définitif. Après s'être rapproché du PSOE et de Felipe Gonzalez, il devient ministre de la culture du gouvernement espagnol de 1988 à 1991.

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5 juin 2017 1 05 /06 /juin /2017 05:18
Hommage aux résistants fusillés au Mont Valérien

Hier, comme chaque année, il y avait une cérémonie d'hommage et de recueillement au Mont Valérien organisée par l’Association pour le souvenir des fusillés. Les Nazis utilisèrent ce lieu pour assassiner essentiellement ceux dont les idées, les origines, les engagements philosophiques, politiques ou militaires désignaient comme les cibles à abattre de l’ordre fasciste du troisième Reich. Plus de mille résistants tombèrent dans la clairière. Ils étaient communistes, juifs, gaullistes, francs-maçons, etc. Leurs morts devaient servir d’exemple, leur sacrifice nous rappelle nos valeurs communes. Leur mort devrait aussi nous retirer toute légèreté et désinvolture face à la montée de l'extrême-droite (et à ses causes, essentiellement la désespérance sociale, l'abandon du peuple par les politiques au pouvoir, et le chômage) et d'autres idéologies totalitaires en Europe et en France. L'humanité et la démocratie sont des acquis fragiles. Ils sont morts pour les faire renaître, et, pour ce qui est des résistants communistes, pour une société du Pain, de la Paix, de la Liberté, de l'Egalité.  Il n'y a qu'à lire les lettres des résistants communistes brestois tués au Mont Valérien le 17 septembre 1943 pour le mesurer. 

Albert Rannou: Lettres de prison d'un résistant communiste brestois né à Guimiliau fusillé le 17 septembre 1943 au Mont-Valérien

Dernière lettre de Paul Monot, résistant brestois fusillé au Mont-Valérien le 17 septembre 1943 avec Albert Rannou et 17 autres résistants brestois dont André Berger et Henri Moreau

Dernière lettre à sa femme de Jules Lesven, dirigeant de la résistance communiste brestoise, ouvrier et syndicaliste à l'Arsenal, fusillé le 1er juin 1943,

Résistance et répression des communistes brestois de 1939 à 1943 (à partir des souvenirs et des enquêtes d'Eugène Kerbaul, résistant communiste)

Résistance: les derniers écrits d'un guimilien, Albert Rannou, dévoilés par Jacques Guivarc'h, de Pleyber-Christ (Le Télégramme, 3 mai 2017) - des lettres bouleversantes et une histoire de la résistance communiste de Brest à connaître à lire sur Le Chiffon Rouge

Un appel pour retrouver les photos de quatre résistants FTP brestois fusillés au Mont Valérien le 17 septembre 1943 (Ouest-France, 3 juin 2017)

 

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3 juin 2017 6 03 /06 /juin /2017 19:00

Brest. L'appel pour retrouver la photo de 4 résistants

Ouest-France Brest 03/06/2017 Laurence GUILMO

http://www.ouest-france.fr/bretagne/brest-29200/brest-l-appel-pour-retrouver-la-photo-de-4-resistants-5037360
 

Pour honorer la mémoire des 19 Brestois fusillés au Mont Valérien, dont la stèle se trouve au Guelmeur, Gildas Priol et Roger Berthelot recherchent les photos de quatre résistants.
 

Ces jeunes Brestois font partie des 19 Francs-tireurs et partisans (FTP) exécutés par les Nazis, le 17 septembre 1943, au Mont Valérien. Pour honorer leur mémoire, des associations recherchent leurs portraits.

Une stèle

C'est un jardin dédié aux 19 Brestois fusillés au Mont Valérien. Il est situé au Guelmeur, près de l'école Diwan, à l'angle des rues Lacordaire et Georges-Melou. Une stèle s'y dresse, consacrée à ces résistants Francs-tireurs et partisans (FTP), exécutés par les Nazis, le 17 septembre 1943, à Suresnes, près de Paris, avec 991 autres combattants français. Le nom de chacun de ces Brestois y est gravé.

Une mémoire

Une deuxième action contre l'oubli est en cours à l'initiative de l'Association des anciens combattants résistants (Anacr) et de Fort Montbarey, le mémorial des Finistériens. Objectif : retrouver le portrait de chacun. « Nous avons déjà retrouvé quinze photos grâce à internet, via notre page Brest 44 sur Facebook, et aux archives municipales. Il en manque encore quatre ! En faisant appel à Ouest-France, nous espérons qu'une connaissance ou un proche reconnaîtra l'un de ces résistants, et nous contactera », explique Gildas Priol, 29 ans, animateur de la page et membre de l'Anacr.

Les associations veulent préserver la mémoire des résistants, en lien avec les jeunes générations. « Pour faire passer un message, l'image est primordiale », affirme le jeune homme. L'an prochain, le forum brestois de la résistance sera d'ailleurs consacré aux FTP.

Arrêtés par des Français

Pour la grande majorité, ces résistants étaient ouvriers à l'arsenal et membres du Parti communiste. Ils ont été arrêtés par la police française entre 1942 et 1943. Et « sauvagement torturés ! », ajoute Roger Berthelot, de l'Anacr. Ils ont été remis à la police allemande, puis emprisonnés. En août 1943, ils ont été condamnés à mort par un tribunal militaire allemand. La plupart ont été jugés pour des « actions de francs tireurs » (tracts, sabotages, etc.)et quelques-uns pouravoir entrepris de « recréer le Parti communiste illégal ».

Les quatre résistants dont il manque la photo
 
 

Lucien Argouach est né le 11 octobre 1921, au Relecq-Kerhuon. Il est le fils de Maria Piolot et d'Etienne Argouach. Arrêté en octobre 1942, il est décédé à 22 ans.

Paul Le Gent est fils de Paul Louis Le Gent et d'Anna-Marie Corvé. Il est né le 5 juin 1913, à Brest. Il s'est marié avec Yvonne Creff, avec laquelle il a deux garçons, Jean-Claude et Yvon. Il a été arrêté sur dénonciation en octobre 1942. Il a été exécuté à 30 ans.

Etienne Rolland est né le 10 novembre 1916, à Brest. Il est le fils d'Alexandre Rolland et de Marie Le Roy. Il s'est marié avec Yvonne Stéphant et est père de trois enfants. Il a été tué à 26 ans.

Charles Vuillemin est né le 28 mars 1918, à Brest. Son père est décédé lors de la Première Guerre mondiale. Le jeune homme a été officier radio dans la marine marchande. Il est devenu un des chefs locaux des FTP. Il prit part à l'attentat contre l'hôtel Moderne à Brest, siège de la Kreiskommadantur. Arrêté en 1943, il est décédé à 24 ans. À Saint-Marc, une rue porte son nom.

Dix fusillés avaient été oubliés

Pour rappel, dix Brestois faisaient partie des 19 FTP fusillés le 17 septembre 1943 au Mont-Valérien, près de Paris. Mais leurs noms ne figuraient pas sur la cloche de ce lieu de mémoire. Cet oubli a été réparé en 2010.

Contact : 06 45 90 98 33 ; Facebook : Brest 44

 

Lire aussi: 

Albert Rannou: Lettres de prison d'un résistant communiste brestois né à Guimiliau fusillé le 17 septembre 1943 au Mont-Valérien

Dernière lettre de Paul Monot, résistant brestois fusillé au Mont-Valérien le 17 septembre 1943 avec Albert Rannou et 17 autres résistants brestois dont André Berger et Henri Moreau

Dernière lettre à sa femme de Jules Lesven, dirigeant de la résistance communiste brestoise, ouvrier et syndicaliste à l'Arsenal, fusillé le 1er juin 1943,

Résistance et répression des communistes brestois de 1939 à 1943 (à partir des souvenirs et des enquêtes d'Eugène Kerbaul, résistant communiste)

Résistance: les derniers écrits d'un guimilien, Albert Rannou, dévoilés par Jacques Guivarc'h, de Pleyber-Christ (Le Télégramme, 3 mai 2017) - des lettres bouleversantes et une histoire de la résistance communiste de Brest à connaître à lire sur Le Chiffon Rouge

 
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28 mai 2017 7 28 /05 /mai /2017 19:36
Affaire Maurice Audin. Des personnalités écrivent à Macron pour réclamer "la vérité historique"
LORENZO CLÉMENT AVEC AFP
DIMANCHE, 28 MAI, 2017
HUMANITE
Photo AFP.
Photo AFP.

Une quarantaine de personnalités ont appelé à faire "la vérité historique" sur l'"assassinat" de Maurice Audin, dans une lettre à Emmanuel Macron à l'occasion des 60 ans de la mort du jeune mathématicien communiste disparu à Alger en juin 1957.

Après l'"Appel des douze" en 2000, condamnant la torture commise durant la guerre d'Algérie, et l'"Appel des 171" en 2014, une lettre au président de la République, datée de vendredi et rendue publique samedi, est signée notamment par le sociologue Edgar Morin, les écrivains Mathias Enard et Jérôme Ferrari, l'ancien ministre Pierre Joxe, l'avocat Jean-Pierre Mignard, les historiens Gilles Manceron et Benjamin Stora et le mathématicien Cédric Villani, candidat REM dans l'Essonne.
"Jusqu'en 2014, la version officielle, à laquelle personne ne portait crédit, était qu'il s'était évadé", soulignent les signataires. "Le 18 juin 2014, M. François Hollande, votre prédécesseur", avait affirmé que "M. Audin ne s'(était) pas évadé" mais était "mort durant sa détention", rappellent-ils. Mais ni les documents ni les témoignages permettant d'"infirmer la thèse de l'évasion" et évoqués par l'ex-chef de l'Etat "n'ont été révélés", regrettent ces personnalités.
"A l'occasion de ce triste soixantième anniversaire, la vérité historique relative à cet assassinat doit enfin être connue", écrivent-ils à Emmanuelle Macron, lui rappelant sa promesse de prendre "des actes forts sur cette période de notre histoire".
Arrêté à son domicile à Alger le 11 juin 1957 en présence de sa femme par des parachutistes, Maurice Audin, 25 ans, est soupçonné d'héberger des membres de la cellule armée du Parti communiste algérien. Il est torturé à plusieurs reprises dans une villa d'El Biar, un des quartiers d'Alger, en compagnie d'Henri Alleg, futur auteur de "La Question", livre dénonçant la torture. Dix jours plus tard, Josette Audin apprend officiellement que son mari s'est évadé lors d'un transfert.
Dans "La vérité sur la mort de Maurice Audin" (Equateurs), paru en janvier 2014, le journaliste Jean-Charles Deniau concluait que Maurice Audin avait été tué par un sous-officier français sur ordre du général Jacques Massu, patron de la 10e division parachutiste (DP) pendant la bataille d'Alger. Un ordre répercuté par Paul Aussaresses, alors officier de renseignements au 1er régiment de chasseurs parachutistes (RCP), l'un des quatre régiments de la 10e DP.
 
 

Monsieur Emmanuel Macron
Président de la République
Palais de l’Élysée
55, rue du Faubourg Saint-Honoré
75008 Paris

 

Objet : la « disparition » de Maurice Audin

le 26 mai 2017

Monsieur le Président,

Dans la nuit du 11 au 12 juin 1957, il y aura juste soixante ans dans quelques jours, Maurice Audin, jeune mathématicien membre du Parti communiste algérien, était arrêté à Alger par une unité de parachutistes. Il disparaîtra à jamais. Jusqu’en 2014, la version officielle, à laquelle personne ne portait crédit, était qu’il s’était évadé.

Le 18 juin 2014, M. François Hollande, votre prédécesseur, a publié un communiqué déclarant : « Mais les documents et les témoignages dont nous disposons aujourd’hui sont suffisamment nombreux et concordants pour infirmer la thèse de l’évasion qui avait été avancée à l’époque. M. Audin ne s’est pas évadé. Il est mort durant sa détention. » Depuis cette déclaration (évoquée la veille devant son épouse Josette Audin, reçue à l’Élysée), ni ces documents ni ces témoignages ainsi évoqués, pourtant concordants et nombreux selon ce communiqué, n’ont été révélés.

En mars 2014, un appel signé de 171 personnalités et publié par les quotidiens L’Humanité et Mediapart, que nous vous joignons, a demandé qu’il soit enfin dit la vérité sur cette affaire.

De nombreuses questions se posent. Un livre paru en janvier 2014 a fait état de confidences tardives du général Paul Aussaresses peu avant sa mort évoquant un ordre d’assassinat donné par le général Jacques Massu. Qu’en est-il ? Dans ce cas, y a-t-il eu des échanges à ce sujet avec le ministre résidant Robert Lacoste, le commandant en chef de l’armée en Algérie Raoul Salan et certains autres ministres ?

Nous pensons qu’à l’occasion de ce triste soixantième anniversaire, la vérité historique relative à cet assassinat doit enfin être connue. Le 5 mai, devant la rédaction de Mediapart, vous avez déclaré : « De fait, je prendrai des actes forts sur cette période de notre histoire… » Nous pensons donc qu’à cette occasion, en recevant Josette Audin ou en vous exprimant lors des commémorations qui auront lieu à cette occasion, vous pourriez ainsi concrétiser cet engagement.

Nous vous prions d’agréer, Monsieur le Président de la République, l’expression de notre haute considération.

 

Alban Liechti, Agir contre le colonialisme aujourd’hui (ACCA),

Charles Silvestre, Société des Amis de l’Humanité, coordinateur de l’Appel des douze — Henri Alleg, Josette Audin, Simone de Bollardière, Nicole Dreyfus, Noël Favrelière, Gisèle Halimi, Alban Liechti, Madeleine Rebérioux, Laurent Schwartz, Germaine Tillion, Jean-Pierre Vernant, Pierre Vidal-Naquet — du 31 octobre 2000,

Gérard Tronel, Association Maurice Audin,

Nils Anderson, éditeur,

Francis Arzalier, Association française d’amitié et de solidarité avec les peuples d’Afrique (AFASPA),

Raphaëlle Branche, historienne,

Didier Daeninckx, écrivain,

Pierre Daum, journaliste au Monde diplomatique,

Michel Broué, mathématicien,

Laurence De Cock, historienne,

Alain Desjardin, Association des anciens appelés en Algérie et leurs amis contre la guerre (4ACG),

Mathias Enard, écrivain,

Jérôme Ferrari, écrivain,

François Gèze, éditeur, La Découverte,

Mehdi Lallaoui, Au Nom de la Mémoire,

Renée Le Mignot, Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (MRAP),

Gilles Manceron, historien, Ligue des droits de l’Homme,

Olivier Mongin, directeur de la revue Esprit,

Michel Parfenov, éditeur, Actes Sud,

Claude Pennetier, chercheur CNRS, directeur du Maitron,

Edwy Plenel, directeur de Mediapart,

Henri Pouillot, Sortir du colonialisme,

Jacques Pradel, Association nationale des pieds-noirs progressistes et leurs amis (ANPNPA),

Alain Ruscio, historien,

Bernard Stephan, directeur de la rédaction de Témoignage Chrétien,

Benjamin Stora, historien,

Raphaël Vahé, Association républicaine des anciens combattants (ARAC),

Françoise Vergès, politologue et historienne,

Cédric Villani, mathématicien, président du jury du Prix Maurice Audin.

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27 mai 2017 6 27 /05 /mai /2017 05:06
Gracchus Bafeuf, guillotiné le 27 mai 1797: un révolutionnaire contre la terreur, le premier communiste contemporain (Claude Mazauric, L'Humanité - 27 juillet 2009)
Gracchus Babeuf, guillotiné le 27 mai 1797


Gracchus Babeuf par Claude Mazauric dans l'Humanité du 27 juillet 2009


« 1760-1797. Il appartient à la catégorie des penseurs de la réorganisation de la société fondée sur la remise en cause du "droit de propriété". Il est considéré comme le premier protagoniste du communisme contemporain.
Vous souvenez-vous de ce film britannique qui évoquait la vie du chancelier d'Angleterre, Thomas Morus, l'ami et l'hôte d'Érasme, l'immortel auteur de l'Utopie, un film auquel avait été donné ce beau titre : Un homme pour l'éternité ? C'est en pensant à ce film que m'est venu à l'esprit le désir, à mon tour, de situer Babeuf dans l'infinie durée où s'exprime la gratitude à l'égard de ceux qui ont combattu pour l'émancipation humaine.
De quoi donc, le dénommé François-Noël Babeuf, plus connu sous le prénom de « Gracchus », né picard en 1760, devenu parisien après 1789, condamné à mort à l'âge de trente-sept ans en 1797, est-il devenu, depuis deux cent douze ans, le symptôme ou l'incarnation, le symbole ou l'annonce, voire le manifeste toujours vivant ?
Doit-on le tenir pour le prophète exalté d'une sorte de « communisme » interâges qui occuperait une sorte d'à-côté, en parallèle à la grande histoire, celui des idées et des utopies sociales, de Platon à Lénine, vaste champ où se seraient illustrés entre autres, Thomas Morus, Campanella, Morelly (qu'on tenait pour être en réalité Denis Diderot car on ne prête qu'aux riches !), Étienne Cabet, William Morris et tant d'autres ? Pourquoi pas : Babeuf occupe effectivement sa place, qui est majeure, dans cette lignée-là et son nom s'inscrit à l'évidence, dans la suite des grands penseurs de l'inévitable réorganisation des sociétés, fondée sur la remise en question du fameux « droit de propriété » dont l'effet sera toujours d'établir l'inégalité entre les humains, comme le constatait tout simplement en 1777 un procureur du roi de Nantes qui déclarait qu'en vertu du « droit naturel », « celui qui est payé est subordonné à celui qui paie ».
Pourtant, Babeuf lui-même n'a jamais usé de l'énoncé « communisme » pour dire ses « rêves » (sic) ou préciser son projet ; sans doute, n'ignorait-il pas le mot qui était déjà en usage plus ou moins restreint, ici ou là. Mais il lui préféra des expressions plus concrètes, plus en harmonie avec les aspirations populaires que la Révolution avaient promues en formules de rassemblement politique : « bonheur commun », « égalité réelle » ou « parfaite », « communauté des biens et des travaux » ou « propriété commune » ; il préconisait l' « association entière », exigeait l' « administration commune » au service des « co-associés », etc. Car Babeuf ne rêva pas seulement de transformer la société en en proposant le modèle théorique : il entreprit de s'y consacrer pratiquement et c'est bien ici, dans ce choix, que se montre son inépuisable originalité.
Découvrant les immenses possibilités que recélait l'invention de la démocratie politique, laquelle fit irruption dans l'histoire des hommes avec la Révolution française, il n'eut de cesse de se servir du levier de la « politique », pour tenter de produire du réel à partir de l'idéel. À cette fin, dès le mois de juillet 1789, il chercha à utiliser tous les leviers, ceux de l'information, celui de l'invention d'un mode d'écriture, de publication et de discours, l'art de semer l'agitation dans la foule, de favoriser la mobilisation des « frères », des « amis », et de tous les « autres » si possible, pour faire élire les plus déterminés aux postes clés et contraindre le gouvernement, bientôt celui de la République, à transformer l'ordre social à seule fin de fonder sur la valeur de « fraternité » les rapports entre des individus humains, devenant libres, oui « libres », parce qu' « égaux ». En vérité, ce sont ses disciples posthumes, entre 1830 et 1840, qui ont fini par appeler « communisme » le corps de doctrine que Babeuf, avec ses amis les « Égaux », avait élaboré dans l'urgence et la chaleur des affrontements qui suivirent l'effondrement accéléré, après le 9 thermidor, du gouvernement révolutionnaire de l'an 2 de la première République.
En quoi, ils ont fait de Babeuf le premier protagoniste du combat communiste contemporain pour l'égalité et le libre développement de chacune et chacun, condition première du « bonheur commun ».Vous ferais-je confidence ? C'est en 1958, à l'instigation d'Albert Soboul, que je suis entré dans l'univers de Babeuf dont je ne connaissais que quelques textes lus rapidement dans l'anthologie alors publiée dans la collection « les Classiques du peuple » par Claude et Germaine Willard. Cette découverte a réorienté mon existence. Depuis plus d'un demi-siècle : je ne me suis jamais éloigné de Babeuf, non pour me retrancher de l'actualité du monde mais au contraire pour mieux m'y impliquer. Aujourd'hui, il est de bon ton de renoncer aux héritages culturels et de tenir pour vieilleries dépassées ce pour quoi nos pères et mères et nos frères d'espérance, naguère, ont combattu. Tel politicien ambitieux, maire périparisien d'une ville qui n'existait pas à l'époque de Babeuf et de surcroît « député », trouve un air dépassé au « socialisme » qui, selon lui, ferait très « dix-neuvième siècle » et propose aux siens de s'en affranchir ; tels autres, très proches de moi, assommés (on les comprend) par le rude et inacceptable échec des entreprises historiques issues de la révolution russe d'octobre 1917, du mot « communisme » dont on pensait qu'il en incarnait la substance, voudraient en faire abstraction.
On y renoncerait : dans la communication politique naturellement, mais aussi dans la programmation affichée d'une transformation sociale dont les prémisses apparaissent dans le cours même des luttes populaires, et même dans l'imaginaire des protagonistes. Billevesées que tout cela ! L'histoire, toute l'histoire est en nous, en chacune et chacun, et en nous tous collectivement : renoncer à s'inscrire dans son histoire, c'est renoncer à soi-même. En prolongeant le meilleur des ambitions émancipatrices venues du plus loin, et sans rien ignorer des étroitesses de naguère, des impasses et des échecs, des errements, des malfaçons et des crimes, c'est alors qu'on dégage le plus clair des horizons.
Revenons à Babeuf. François-Noël, son prénom de baptême, paraissait à ses yeux, symbole de soumission à la longue histoire de l' « Ancien Régime » cléricalo-monarchique. Comme d'autres révolutionnaires de son temps, il décida donc de s' « impatroniser » (sic) autrement. Le 5 octobre 1794, donnant le titre de Tribun du peuple au journal qu'il venait de fonder, comme étant, selon lui, la « dénomination la plus équivalente à celle d'ami ou de défenseur du peuple », Babeuf choisit simultanément de se prénommer « Gracchus ». Il justifia son choix par l'hommage qu'il voulait rendre aux Gracques, les fameux tribuns du peuple qui avaient voulu, de 133 à 121 avant Jésus-Christ, distribuer les terres du « domaine public » aux citoyens pauvres et accorder à tous les Latins la citoyenneté romaine. Babeuf s'en explique devant les lecteurs de son journal : « Je justifierai aussi mon prénom. J'ai eu pour but moral, en prenant pour patrons les plus honnêtes gens à mon avis de la République romaine, puisque c'est eux qui voulurent le plus fortement le bonheur commun ; j'ai eu pour but, dis-je, de faire pressentir que je voudrais aussi fortement qu'eux ce bonheur, quoiqu'avec des moyens différents. »
Entendons le sens des mots de Babeuf. Un « but moral » : que serait en effet la politique sans la morale ? Posture, cynisme, hypocrisie... « Les plus honnêtes gens de la République romaine » : s'inscrire dans la continuité du combat historique, même soldé d'un échec retentissant en son temps, pour l'émancipation humaine... Mais avec « des moyens différents » : contemporain du siècle des Lumières, Babeuf met la question de la révolution sociale à l'ordre du jour de son temps, lequel se situe à l'orée du nôtre.
Oui, convoquons notre Babeuf d'hier, pour le présent et pour l'avenir... Ce qui veut dire l'éternité !
 

Claude Mazauric

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